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CURIOSITES NATURELLES ******************** En fait de curiosités naturelles, et en dehors de ses sites charmants, le ^orvan est d'une véritable indigence. La nature morvandelle n'est qu'une simple paysanne, un peu ébouriffée de cheveux, un peu carrée de taille, mais accorte, fraîche et bonne à voir. Il faut reconnaître que l'amateur de phé- nomènes ne trouvera pas son compte en Morvan. Nos maigres cascades, le Crot- de-l'Ours, le Saut-de-Gouloux... où l e Guignon et le Caillot, après avoir longtemps essayé leurs forces en timides cabrioles, prennent leur courage à deux mains et risquent un plongeon de six pieds ; l a Roche-du-Chien, bizarre entassement de rochers au milieu d'un site des plus pittoresques ; la Lieut- Mer, cratère d'un ancien volcan ? ; tout cela court les chemins. Cependant, dans le voisinage de Chêteau-Chinon, une modeste réduction des paysages suisses est à recommander : c'est Paubouloin. La fantaisie a rassemblé sur un même point, mais seus leurs formes le3 plus rares et les plus grandioses, les montages, les eaux, les arbres et les rochers. A Faubouloin, dans un horizon tout aussi étroit, mais sur un mode moins solen- nel, la nature a voulu prendre ce soin elle-même ; seulement, l e monument aux lignes harmonieuses qui, sur les toiles magistrales, couronne presque toujours quelque hauteur, n'est représenté ici que par une humble chapelle qui, hélas ! n'a rien d'artistique n i de sculptural. Cette chapelle, qui fait face au sommet où s'élève le vallum de Verdun, est debout sur une sorte de promontoire surplombant deux brèches profondes de 3 à 400 pieds, et entaillées en plein granit peut-être par quelques cou- rants diluviens. A ses pieds, au fond des couloirs, deux torrents minuscu- les, la Montagne et Reinaehe, mais rageurs, descendent à grands fracas leur escalier de rochers, bordé de rochers ; car c'est ici l'empire des rochers. Dans l'air, dans l'eau, sur le sol, partout le granité règne en maître, et partout il semble avoir pris, au gré de son caprice, les formes les plus variées et aussi les plus étranges. Il s'élance en aiguilles, en pitons dé- charnés, pareils à des menhirs prodigieux ; il se dresse en tourelles, en clochetons, se déroule en courtines, s'échancre en créneaux, et l'on croi- rait voir un de ces féeriques châteaux-forts. Le long des ruisseaux, il s'a- planit même en larges dalles et se pose sur d'autres pierres, peut-être en vue de jouer un bon tour à quelque naïf archéologue. Il couvre le flanc des montagnes de fragments de toute dimension, de toute forme, moussus, hérissés de ronces, et si pressés les uns contre les autres qu'à peine l a forêt peut glisser un arbre dans leurs interstices. Mais c'est au pied même des monta-

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C U R I O S I T E S N A T U R E L L E S ********************

En f a i t de curiosités n a t u r e l l e s , et en dehors de ses s i t e s charmants, l e ^orvan est d'une véritable indigence. La nature morvandelle n'est qu'une simple paysanne, un peu ébouriffée de cheveux, un peu carrée de t a i l l e , mais accorte, fraîche et bonne à v o i r . I l faut reconnaître que l'amateur de phé­nomènes ne trouvera pas son compte en Morvan. Nos maigres cascades, l e Crot-de-l'Ours, l e Saut-de-Gouloux... où l e Guignon et l e C a i l l o t , après av o i r longtemps essayé l e u r s forces en timides c a b r i o l e s , prennent l e u r courage à deux mains et risquent un plongeon de s i x pieds ; l a Roche-du-Chien, b i z a r r e entassement de rochers au m i l i e u d'un s i t e des plus pittoresques ; l a L i e u t -Mer, cratère d'un ancien volcan ? ; tout c e l a court l e s chemins.

Cependant, dans l e voisinage de Chêteau-Chinon, une modeste réduction des paysages suisses est à recommander : c'est Paubouloin. La f a n t a i s i e a rassemblé sur un même point, mais seus le u r s formes le3 plus rares et l e s plus grandioses, l e s montages, l e s eaux, l e s arbres et l e s rochers. A Faubouloin, dans un horizon tout aussi étroit, mais sur un mode moins solen­n e l , l a nature a voulu prendre ce soin elle-même ; seulement, l e monument aux lignes harmonieuses qui, sur l e s t o i l e s magistrales, couronne presque toujours quelque hauteur, n'est représenté i c i que par une humble chapelle qui, hélas ! n'a r i e n d ' a r t i s t i q u e n i de s c u l p t u r a l .

Cette chapelle, qui f a i t face au sommet où s'élève l e vallum de Verdun, est debout sur une sorte de promontoire surplombant deux brèches profondes de 3 à 400 pieds, et entaillées en p l e i n g r a n i t peut-être par quelques cou­rants d i l u v i e n s . A ses pieds, au fond des c o u l o i r s , deux torrents minuscu­l e s , l a Montagne et Reinaehe, mais rageurs, descendent à grands f r a c a s l e u r e s c a l i e r de rochers, bordé de rochers ; car c'est i c i l'empire des rochers.

Dans l ' a i r , dans l'eau, sur l e s o l , partout l e granité règne en maître, et partout i l semble avoir p r i s , au gré de son caprice, l e s formes l e s plus variées et au s s i l e s plus étranges. I l s'élance en a i g u i l l e s , en pitons dé­charnés, p a r e i l s à des menhirs prodigieux ; i l se dresse en t o u r e l l e s , en clochetons, se déroule en courtines, s'échancre en créneaux, et l'on c r o i ­r a i t v o i r un de ces féeriques châteaux-forts. Le long des ruisseaux, i l s'a­p l a n i t même en larges d a l l e s et se pose sur d'autres p i e r r e s , peut-être en vue de jouer un bon tour à quelque naïf archéologue. I l couvre l e f l a n c des montagnes de fragments de toute dimension, de toute forme, moussus, hérissés de ronces, et s i pressés l e s uns contre l e s autres qu'à peine l a forêt peut g l i s s e r un arbre dans l e u r s i n t e r s t i c e s . Mais c'est au pied même des monta-

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gnes q u ' i l faut v o i r dans quel chaos formidable, i n d e s c r i p t i b l e , l e s siècles l'ont accumulé, après l ' a v o i r déraciné des sommets. Devant cet énorme entas­sement, on rêve malgré s o i à ces l u t t e s titanesques de l a Guerre des Dieux.

Les deux ruisseaux précédents ne se contentent pas d'être tapageurs ; i l s se mettent de temps en temps à l a besogne, pour aider l e u r grande soeur, l'Yonne, à e n r i c h i r l e Morvan, en f l o t t a n t ses bois. C'est du sommet des plateaux, sur l e s points accessibles aux v o i t u r e s , que l e s bûches l e u r étaient lancées et l e u r a r r i v a i e n t après des culbutes sans nombre à t r a v e r s l e s rochers, à qui e l l e s rendaient horions pour horions. Alors, ces deux maigres f i l e t s d'eau, qui à eux seuls f a i s a i e n t plus de b r u i t i n u t i l e qu'une troupe d'écoliers en rupture de bancs, devenaient soudain de bons ouvriers et ardents à l a tâche. Ecumants, fangeux, i l s couraient, se précipitaient, s'attaquaient à tout obstacle, démolissaient en un tour de main toute velléi­té de p r i s e , et menaient tambour battant à l'Yonne l e u r troupeau de bûches effarées ; l e s lourds rondins de chêne ne l e u r pesaient pas un fétu, et i l semble q u ' i l s s eraient de force à emporter encore nos blocs de granité aux P a r i s i e n s , comme j a d i s peut-être aux baleines et aux mollusques du bassin de l a Seine.

L'Yonne !... voilà une v r a i e Morvandelle, coquette, fringante, un peu f o l l e , mais modeste malgré sa haute origine e t sa l o i n t a i n e notoriété, et surtout foncièrement honnête. Ce n'est pas e l l e qui i m i t e r a jamais l e s dé­bordements de ses voisines ; s o r t i r de son l i t , de ce l i t s i propre, f a i t de sable s i f i n et de roches s i p o l i e s , f i donc ! Tout au plus, dans une heure de caprice, se permettra-t-elle de mordiller un peu ses r i v e s et de s'ébattre sur l e s prés ; mais emporter un pont, effondrer une chaumière, manquer de respect à ses vieux moulins b a b i l l a r d s . . . jamais ! Cette "casca­deuse" a des moeurs et n'en a pas moins de charmes. Comme e l l e f u i t f o l l e ­ment, bondissante et blanche d'écume, en cavale échappée ! Quels beaux bouillons font ses rapides ! Quelle fraîcheur dans ses vallées où l'on ne v o i t qu'un coin du c i e l , et quel s i l e n c e là où son grondement s'apaise, où ses f l o t s s'endorment une minute !

Reste une curiosité végétale : ce sont l e s arbres de l a Chapelle du Chêne. La t r a d i t i o n tenace l e u r a gardé ce nom, même quand l a chapelle n ' e x i s ­t a i t plus ( e l l e a été relevée de ses ruines au siècle d e r n i e r ) , et bien que l e chêne sacré, à l'ombre duquel l e Christianisme l ' a v a i t bâtie, fût mort depuis longtemps peut-être, quand l e s deux t i l l e u l s , qui sont des S u l l y , l u i succédèrent. Les deux vigoureux jumeaux portent vaillamment l e u r s t r o i s siècles ( i l y a cent a n s ) . Du côté de l a p l a i n e , on v o i t de tout l o i n l e u r dôme de verdure commander l e s forêts, dont i l s sont l'avant-garde. E t tan­d i s que l e s générations s'écoulent, que l e s moeurs changent, que l a physio­nomie du Morvan va s'altérant de jour en jour, eux, ces deux f i e r s enfants du granité, jeunes et robustes comme en l e u r printemps, dressent toujours vers l e c i e l l e u r s fronts entrelaoés que l a foudre caresse, et sèment tous l e s ans, aux pieds de l'humble madone q u ' i l s abritent et qui l e s protège, l e t r i b u t de le u r s f l e u r s .

IV