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Sallinger - lereflet.ch · ! 2! Sallinger Bernard-Marie Koltès « Chacun de nos enfants n’est-il pas aujourd’hui si terriblement seul qu’il faut s’en alarmer ? » Al –

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Sallinger Bernard-Marie Koltès

« Chacun de nos enfants n’est-il pas aujourd’hui si terriblement seul qu’il faut s’en alarmer ? » Al – le père.

DOSSIER PEDAGOGIQUE

1. L’histoire – p.4 2. L’auteur – p.5 3. De Salinger à Sallinger – p.5 4. Le contexte historique de la guerre du Vietnam – p.6 5. Les thèmes de la pièce – p.9

Création mars 2016 au théâtre Bennon Besson, Yverdon, par la Cie Un Air de Rien Mise en scène Sandra Gaudin

CONTACT :

Sandra Gaudin : 078 710 23 27 / [email protected]

Sébastien Meier : 078 868 35 00 / [email protected]

http://www.airderien.com

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Distribution

Anna: Anne-Catherine Savoy Carole: Diane Muller Ma : Helene Cattin Al : Christian Scheidt Le Rouquin : Jerome Chapuis (sortie Manufacture 2015) Leslie : Simon Labarriere (sortie Manufacture 2015) June : Pauline Schneider Henry : Alexandre Bado

Sceno : Nicolas Fleury Video : Francesco Cesalli Lumie re : Christophe Pitoiset Musique : Arthur Besson Costumes : Eléonore Cassaigneau Maquillage : Sonia Geneux Perruque : Olivier Schawalder Mise en scene : Sandra Gaudin Assistant à la m.e.s : Sébastien Meier Co-production : Theatre Benno Besson Tournée 2016 1,2,4 & 6 mars Théâtre Benno Besson, Yverdon 10, 11 & 12 mars, La Grange de Dorigny, Lausanne 21 avril Théâtre du Reflet, Vevey 15 & 16 avril Centre Culturel Régional Delémont

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L’histoire New York, 1964. Un jeune homme, le Rouquin, le grand frère « génial », vient de se suicider, laissant ses proches dans le désarroi le plus total. Alors que sa famille interroge sa mémoire et essaie de combler le vide avec des mots, son spectre vient les hanter. Tableau d'une Amérique angoissée à la veille de la guerre du Vietnam, la pièce sonne tel un combat où chacun s'efforce de donner un sens à la violence inéluctable. Un jeune homme, le Rouquin, s’est tué en laissant derrière lui une famille inconsolable et une jeune veuve éplorée qui se disputent sa mémoire. Le suicidé, en quelques apparitions énigmatiques (est-ce un spectre ou une pure hallucination des survivants ?) tente en insultant les uns et les autres d’empêcher qu’on s’arrange avec sa mort. En vain : tous se drapent dans leur deuil. Cette histoire de famille lourde d’affects et de rancœurs tombe bientôt en panne. La rencontre attendue de Carole, la veuve, avec sa belle-famille, tourne court et les deux confrontations du Rouquin et de Leslie, son frère cadet, ne débouchent sur aucune révélation. Alors se produit une déchirure dans la trame de la fiction : Al, le père, qu’on n’avait vu jusque là que mutique, abruti d’alcool, reparaît devant le rideau de scène et interrompt la représentation pour annoncer joyeusement aux spectateurs que « l’Amérique mobilise ». Les petites histoires s’ouvrent d’un coup sur la grande : la guerre du Vietnam brutalement survenue fait déferler le refoulé de la première partie. On comprend alors que le Rouquin s’est tué à son retour de la guerre de Corée tandis que l’imminence de la conscription porte à l’incandescence le malaise des jeunes gens. Tirant les conclusions de son vécu d’exclusion, Henry, le « confident» de Leslie, choisit de se jeter d’un pont plutôt que de partir pour le Vietnam, tandis qu’Anna, sa sœur, sombre volontairement dans la folie. Après une dernière apparition du mort dans une scène fantasmatique où il accueille violemment son frère sur un champ de bataille, la pièce s’achève par un flash-back étrange : Carole et sa « confidente » (June), au moment où elles fuient le théâtre, « revoient » le suicide du Rouquin, sans que le mystère de son geste soit pour autant levé, comme si Koltès invitait in fine le spectateur à interpréter lui-même l’événement.

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L’Auteur « Pour ma part, j'ai seulement envie de raconter bien, un jour, avec les mots les plus simples, la chose la plus importante que je connaisse et qui soit racontable, un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des bruits, n'importe quoi qui soit un bout de notre monde et qui appartient à tous. »

Extrait d’un entretien accordé à Jean-Pierre Hàn au cours de l’été 1982. Il est le dramaturge français contemporain le plus joué au monde. Né en 1948 à Metz, issu d’une famille catholique, il est éduqué par des jésuites. en 1970, il connaît son premier choc théâtral en découvrant Maria Casarès dans Médée à Strasbourg. Il commence alors ses premières adaptations et mises en scène, et entre comme élève régisseur au théâtre national de Strasbourg. Il écrit en 1972, L'héritage, diffusé avec Maria Casarès sur France culture, La fuite à cheval très loin dans la ville, un roman – tandis qu'il se désintoxique de la drogue – puis Sallinger en 1977 sur une commande de Bruno Boëglin. A la fin des années 70, il voyage en Amérique latine, au Mali et en Côte d’Ivoire. en 1978, trois nouvelles naissent au Nicaragua. En 1983 commence la collaboration avec Patrice Chéreau, qui crée Combat de Nègres et de Chiens à Nanterre. Elle se poursuit avec un scénario inédit Nickel Stuff, Quai ouest en 1986 et Dans la solitude des champs de coton en 1987. Toujours à Nanterre, Luc Bondy met en scène en 1988 Conte d'hiver de Shakespeare dans la traduction de Koltès. Il s’inspire du meurtrier Roberto Succo pour sa dernière pièce. Atteint par le sida, il meurt en 1989, laissant un début de dialogue entre Coco Chanel et sa servante Consuelo. Depuis une dizaine d’années, il est considéré comme un auteur classique contemporain. Le monde littéraire le reconnaît comme l'un de ses fils les plus novateurs. Son œuvre est aujourd’hui traduite dans une trentaine de langues, et jouée dans une cinquantaine de pays.

De Salinger à Sallinger J.D. SALINGER Jerome David Salinger est un écrivain américain, né le 1er janvier 1919 à New York et mort le 27 janvier 2010 dans le New Hampshire. il commence à se faire connaître en 1948 avec des nouvelles parues dans le New Yorker, mais il est surtout célèbre pour son roman l'Attrape-cœurs (titre original : The catcher in the rye). Traitant de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, ce roman, devenu un classique du genre, connaît une popularité importante depuis sa publication en 1951. L’un des thèmes majeurs de Salinger est l'adolescence avec ses perturbations et son désenchantement devant la perte irrémédiable de l'innocence, de l'enfance. Salinger est connu aussi pour sa vie recluse. Il n'a fait aucune apparition publique ni accordé un seul entretien ou publié un seul écrit durant quarante ans. Tout a peut-être été dit sur cet étrange phénomène de réclusion et ce mur de silence qui ont fait de Salinger une sorte de dieu caché. Reste son œuvre phare, ce roman, l’Attrape-cœurs, et trois recueils de nouvelles, dont la minceur n’a d’égal que le déluge critique qu’elle a suscitée. Mais

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derrière ces quelques textes connus et reconnus sommeillent, dans leur publication d’origine, une vingtaine de nouvelles "oubliées", parues entre 1940 et 1948, dont l’écrivain a interdit par la suite toute nouvelle publication. Or le matériau de ces nouvelles, fréquemment autobiographiques et contenant nombre d’ébauches des textes à venir, nous donne des clés de lecture précieuses, notamment sur le rôle qu’a joué dans l’œuvre de Salinger sa participation à la seconde Guerre mondiale. La lecture de ces nouvelles, rédigées avant le débarquement, au front ou après son retour, éclaire en effet le palimpseste de la guerre dans sa fiction, cet hommage feutré et secret aux victimes et aux disparus.

La genèse du projet Sallinger de Koltès C'est en 1977 que le metteur en scène Bruno Boëglin invita Bernard-Marie Koltès à suivre un travail d'acteurs inspiré du romancier américain Jerome David Salinger, lui proposant d'écrire un texte à partir de là. Tout comme à la fin de sa vie pour le personnage de Roberto Zucco (Koltès changea en un «Z» la première lettre du nom du criminel Succo dont la trajectoire l'avait inspiré), il ajouta cette fois-ci un « l » à l'orthographe de Salinger, s'affirmant d'entrée à une latitude autre que celle de l'auteur de l'Attrape-cœurs. Même si 1977 fut aussi l'année où Koltès composa le monologue la nuit juste avant les forêts, il est possible de considérer Sallinger comme une première pièce : une création « initiale », sinon initiatique, dans la mesure où elle contient les thèmes, les formes, les atmosphères et le rythme unique des mots auxquels le poète ne cessa ensuite de revenir, toujours se décalant, et affinant d'œuvre en œuvre son art de l'ellipse, de l'énigme, du catapultage de solitudes juxtaposées.

Le contexte historique de la guerre du Viêtnam La guerre du Viêtnam (également appelée deuxième guerre d'Indochine) a opposé de 1964 à 1975 la République Démocratique du Viêtnam (ou Nord-Viêtnam), soutenue matériellement par le bloc communiste, la Chine et le Front national pour la libération du Sud Viêtnam (ou Viet Cong), face à, d'autre part, la république du Viêtnam (ou Sud-Viêtnam), militairement soutenue par l'armée des États-Unis et plusieurs alliés (Australie, Corée du Sud, Thaïlande, Philippines). La guerre civile laotienne et la guerre civile cambodgienne, s'étant déroulées en parallèle, et ont été fortement influencées par le conflit vietnamien. Suite aux accords de Genève (1954), la France quitte l'Indochine après quelque cent ans de Présence coloniale. Le Viêtnam voit son indépendance reconnue, mais les puissances lui imposent, en attendant des élections générales, une partition au niveau du 17e parallèle : ce compromis fera de la paix un leurre. La république du Viêtnam (au sud du 17ème parallèle) est présidée par Ngô Dinh Diêm, un fervent catholique qui refuse les élections générales prévues à Genève. Washington, à la fois parrain, banquier et conseiller, juge le bastion solide avant d'être progressivement indisposé par cet autocrate intolérant, qui s'avère, en outre, incapable de résoudre le problème communiste. Les dirigeants de la République Démocratique du Viêtnam, qui édifient au nord un État

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socialiste, sont en effet déterminés, dès 1959, à engager la lutte armée contre le sud, où sont restés, après les transferts de population, de dix mille à quinze mille cadres communistes. Le Front national pour la libération du Sud Viêtnam (Fnl) y est fondé en décembre 1960, mais Hanoï garde son autorité par l'intermédiaire d'un Bureau central pour le sud. Opérations de terrorisme et de sabotage, infiltrations d'hommes et de matériels s'intensifient par les voies multiples de la piste Hô Chi Minh. L'armée sud-vietnamienne encadrée en décembre 1961 par quinze mille « conseillers » américains, et entraînée en vue d'un conflit du type de la guerre de Corée, ne réussit pas à enrayer le développement du Fnl. L'échec politique et militaire du régime de Diêm conduit le président John Fitzgerald Kennedy à autoriser, dès le printemps 1961, des opérations de sabotage et de renseignement au nord du 17ème parallèle, puis à permettre un coup d'État de généraux sudistes : Diêm est assassiné avec son frère le 2 novembre 1963. Trois semaines plus tard, J.-F. Kennedy l'est à son tour, à Dallas. La détérioration de la situation au Sudviêtnam incite son successeur, Lyndon B. Johnson, à s'engager davantage. A la suite d'un incident naval dans le golfe du Tonkin, le congrès américain vote, le 7 août 1964, une résolution donnant au président toute liberté d'user de la force armée contre les « agressions communistes ». L'intervention américaine (1965-1968) La réaction américaine est vigoureuse : bombardements sur le nord (cinq cent mille tonnes de bombes de février 1965 à avril 1968), intervention directe dans le sud à partir de mars 1965. L'armée sud-vietnamienne est portée à sept cent mille réguliers et deux cent mille miliciens. Les effectifs du Viêt-cong passent de cent trente cinq mille hommes au début de 1965 à plus de trois cent mille en 1968. Les effectifs américains atteignent cinq cent trente six mille hommes en 1968. Le bombardement des pistes Hô Chi Minh restera sans effet. En 1966, les opérations se déroulent autour de la zone du 17ème parallèle, puis, dès 1967, autour de Da Nang, Quang tri et même en Cochinchine, au nord-ouest de Saigon. Aux États-Unis, l'opinion publique est sensibilisée par l'envoi au Viêtnam des « appelés » et par les images que diffuse la télévision. Devant l'impuissance américaine à obtenir une victoire rapide, la contestation fleurit sur les campus universitaires et gagne tout le pays. Aux prises avec un déficit budgétaire aggravé, L.-B. Johnson alterne bombardements intensifs sur le nord et propositions de trêve conditionnelle. Bien que lourdement frappé, le nord ne cède pas. Il dispose d'atouts d'une importance croissante : la mauvaise conscience de l'occident, l'appui des partis frères et des courants neutralistes, l'assistance matérielle de l'U.R.S.S. et de la Chine, qui permet à l'Armée populaire d'acquérir enfin un armement moderne et standardisé. L'offensive communiste généralisée, dite « offensive du Têt » (30 janvier 1968), menace Huê ainsi que Saigon. La base de Khe sanh, harcelée depuis novembre 1967, est attaquée en force dès la mi-février et subit un siège de soixante dix-sept jours. L'offensive du Têt est finalement un échec militaire mais l'armée américaine a été mise en difficulté. Le retentissement est grand dans l'opinion publique américaine. L.-B. Johnson renonce à un nouveau mandat et décide d'arrêter sans conditions les bombardements au nord (mai 1968). Des négociations préliminaires aboutissent à l'ouverture officielle de la conférence de Paris (janvier 1969).

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Le retrait américain (1969-1973) La politique de « vietnamisation » de Richard Nixon, qui succède à L.-B. Johnson au début de 1969, vise à un retrait total des forces terrestres après renforcement des armées sud-vietnamiennes. En revanche, les forces navales et aériennes bénéficient d'un accroissement notable. De 1969 à 1972, événements militaires et diplomatiques sont étroitement liés. La poussée des forces américaines et sud-vietnamiennes au Cambodge (30 avril 1970), destinée à saper le soutien logistique des pistes Hô Chi Minh, entraîne la suppression par le congrès des pouvoirs spéciaux du président américain concernant la guerre du Viêtnam. Profitant du retrait unilatéral des États-Unis, la République démocratique du Viêtnam procède à une nouvelle attaque généralisée le 30 mars 1972. Les États-Unis réagissent en minant par avion les ports d'arrivée des cargos soviétiques et chinois ; l'armée sud-vietnamienne réussit à dégager An lôc, Kontum et la route de Phnom Penh. Mais, tandis que les manifestations contre la guerre se multiplient aux États-Unis, R. Nixon ouvre la voie à un accord en acceptant le rapatriement total des troupes américaines en cas de cessez-le-feu et en renonçant à exiger l'évacuation du sud par les forces populaires. Après une ultime résistance du sudiste Nguyên Van Thiêu, qui refuse le maintien de forces communistes sur son territoire, et une suspension des pourparlers par Hanoï, un accord de cessez-le-feu est signé à Paris le 27 janvier 1973. La fin de la guerre (1973-1975) Le Sud-Viêtnam de Thiêu et le Nord-Viêtnam communiste sont désormais seuls face à face. Il apparaît vite que le conseil national de concorde et de réconciliation prévu à Paris en attendant des élections est un leurre. A l'intransigeance de Thiêu, qui lance un appel au combat, répond la détermination de Hanoï à réunifier le pays par la force. Dès octobre 1974, le nord considère officiellement les accords de Paris comme caducs et engage les préparatifs de l'invasion. Les conditions semblent favorables : malgré des effectifs importants et quelques corps d'élite, l'armée sudiste est moralement fragile, à l'instar d'une population civile lasse, hostile à un pouvoir corrompu et atteinte par une pauvreté chronique. Les États-Unis se désintéressent de leurs anciens protégés, auxquels ils réduisent leur aide. En mars 1975, les communistes lancent une nouvelle offensive d'envergure. Quang Tri, Huê, Da Nang sont abandonnées presque sans combat. Thiêu quitte le pouvoir au profit de Minh (21 avril). Les blindés nord-vietnamiens mettent fin à des tentatives de négociations en entrant à Saigon le 30 avril 1975. La réunification s'est réalisée sans la réconciliation promise, et la soumission du sud à la férule du nord s'est traduite par les drames de la rééducation et de l'émigration des boat people.

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Les thèmes de la pièce De la parole au rock, l’esprit libre peut-il survivre à l’oppression ? L’homme peut-il échapper à ses instincts triviaux, son animalité, ou est-il voué à la répétition perpétuelle de son histoire? Dans le texte, la question se pose : est-ce la faute du système ou de l’être humain ? « C’est rien d’autre que nous, la cause de notre fin, rien d’autre ne déconne, tout est bien calculé, tout est en ordre… »

Anna – la fille

La famille La violence des rapports interindividuels au sein de la famille est en effet permanente dans la pièce. Elle est d'autant plus intense qu'elle est le fait de très jeunes gens dans une situation de crise décisive : il s'agit pour eux de décider qui ils sont, s'ils parviendront à affirmer leur singularité malgré les contraintes du groupe restreint de la famille et du groupe élargi de la société (les parents ayant intégré jusqu'à la caricature les normes du groupe social). Il s'agit encore de savoir jusqu'à quel point l'individu peut composer avec les exigences du groupe sans sacrifier ses chances de se réaliser autrement que comme une marionnette sociale standardisée.

Entité dévoratrice, la famille est un organisme qui semble conjuguer la plus grande nocivité et la plus grande fragilité. L’essentiel des interventions de Ma (la mère) tourne autour de la question familiale. L’histoire « avec moralité » qu’elle raconte à la demande de la famille est une mise en abîme, sous la forme d’un western un peu délirant, des risques que court l’entité familiale.

Comme souvent chez Koltès, c’est finalement la génération parentale qui survit tandis que

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celle des enfants périclite. Le Rouquin est déjà mort, Henry se suicide, Anna devient folle et va s’ensevelir dans une clinique, Leslie se blesse, et la dernière vision des parents parait contraster totalement avec ces destinées : « De l’eau jusqu’aux chevilles, entre le cercueil vide, un grand tas de cigarettes, un grand tas de bouteilles de whisky, Ma et Al, tendres et précautionneux, dansent sans bruit. »

Entrer dans l’âge adulte ? La pièce relate bien cette fameuse thématique chère à l’auteur Salinger : les errances d’une jeunesse qui peine à s’identifier aux anciens repères, à se trouver au sein des cellules familiales et sociales traditionnelles. La fuite devant le passage à l’âge adulte, car le fossé entre les désirs intérieurs et la réalité du monde avec laquelle il faut composer est bien trop grand. La mère ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ses enfants n’arrivent pas à se trouver normaux dans ce monde, alors qu’elle-même semble complètement ailleurs.

La guerre, la violence

Serais-tu capable de tuer quelqu’un ? Comment devient-on soldat ? Qu’est-ce qui distingue celui qui a la capacité de tuer de celui qui ne l’a pas ? L’instinct ? Le mental ? le conditionnement? Dès la première scène, nous entrons dans une Amérique qui s’apprête à sacrifier ses fils au Vietnam comme elle l’a fait en Corée. Entre 50’000 et 100’000 jeunes Américains se réfugient au Canada pour éviter d'aller faire la guerre. Draft dodgers, insoumis, déserteurs ou réfractaires, cette jeunesse induit pour la première fois la possibilité de dire NON à un engagement au front et initie le mouvement pacifiste des années 70. Une génération sans doute peu saluée pour son courage et qui a portant modifié le sort des suivantes quant à l’obligation du devoir de guerre. Koltès en profite d’ailleurs pour questionner chaque personnage sur ses convictions.

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La guerre apparaît dans la pièce comme une fatalité. Depuis à peu près 5000 ans, il ne s’est jamais passé plus de 25 ans sans guerre dans le monde. Alors quoi ? L’expérience, la conscience, ne peuvent-elles pas modifier ce cycle infernal ? D’où nait cette violence ? Quelle place porte l’individu dans cette répétition inéluctable ?

Les personnages Le Rouquin Mort de la veille, suicide. Avant ça, il a fait la guerre de Corée. Sa famille s’en souvient comme d’un être exceptionnel. Pourtant désagréable et méprisant tout au long de la pièce, il est un déchet de la guerre, rendu asocial, fou et marginal. Leslie Frère du Rouquin, comédien de métier, personnage candide, perdu entre deux feux (famille – Rouquin), il rêve de partir, de faire autrement, d’être quelqu’un d’autre. Mais il est appelé et ira au Vietnam. Anna Sœur du Rouquin et de Leslie. Lucide et désenchantée, Anna se souvient de son enfance et a bien compris que tout était terminé, l’innocence et, même « les esprits indiscutables ». La guerre est une absurdité, la famille aussi, pas de solution, on n’échappe pas à sa condition : elle décide donc d’aller se faire interner dans une « clinique » (« Tout le monde, ici, est tellement complice »). Ma Mère du Rouquin. Fumeuse invétérée, Ma et son tablier de cuisine se confondent. Elle raconte des « histoires avec moralité » dont on ignore vraiment quelle moralité elles illustrent. Elle n’y comprend rien à ses enfants : « Qu’est-ce qu’ils vont devenir, avec leurs têtes là-haut, si haut au-dessus des nuages ? » Al Le père. Avalé parfois par son fauteuil, alcoolique notoire, Al est un vétéran qui n’ose exprimer ouvertement sa joie lorsqu’on annonce que « l’Amérique mobilise » – parce que Ma pleure. Lui comme Ma ne comprennent rien à leurs enfants. « Je trouve bizarre pourtant que nous ayons accouché, pendant des temps de paix et de reconstitution des formes, d’enfants si pâles, si nerveux, si peu préparés à ce qui leur vient ». Carole Veuve du Rouquin, la bouche plein de rouge-à-lèvres, elle voudrait faire payer la famille du Rouquin d’avoir rapatrié le corps à New-York – et aussi qu’un écrivain « s’occupe d’elle » en écrivant « un genre de roman » à son sujet. Pas bien futée, elle décide de fonder une société « pour embêter le monde » et en particulier la famille du Rouquin.

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Henry Confident de Leslie, plein de « boutons sur la gueule », personnage marginal, de rue, il se suicide en sautant du pont. June Confidente de Carole, c’est une femme terre-à-terre, qui ne comprend pas tant ni les élucubrations de Carole, ni pourquoi le Rouquin était si formidable. Elle essaie toujours d’attirer Carole hors de ce monde étrange et théâtral.