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MARS 1998 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION SOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimestrielle de l’Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 465 1000 Lausanne 9 Y-mêle: [email protected] Vouèbe : www.imaginer.ch/Distinction/ Abonnement : Frs 25.– au CCP 10–22094–5 Prix au numéro : Suisse : 4.35 francs France : 18.25 francs Belgique : 99 francs Collaborèrent à ce numéro : Minna Bona Jean-Frédéric Bonzon Anne Bourquin Büchi Théo Dufilo Iris Jaquet-Jansen L’Agité du Local Simone Laraye Mad Mac Colin Maillard Gil Meyer Jacques Mühlethaler Marcelle Rey-Gamay Schüp Jacques Sigmund Cédric Suillot Jean-Pierre Tabin Valérie Vittoz 65 Si vous pouvez lire ce texte, cest que vous nêtes pas abonné(e). Quattendez-vous pour le faire ? Frs 20.– au CCP 10–220 94–5 «Strc ˇ prst skrz krk !» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année Annoncer les rectifications dadresse selon A1, n° 552 P. P. 1000 Lausanne 9 Exposition (Annonce) Galerie Basta ! Petit-Rocher 4 Lausanne-Chauderon Basta ! est une coopérative autogérée, alternative, Basta ! est une librairie indépendante, Basta ! est spécialisée en sciences sociales, Basta ! est ouverte sur dautres domaines, Basta ! offre un service efficace et rapide. Basta ! offre un rabais de 10 % aux étudiants, et de 5 % à ses coopérateurs (Publicité) (Annonce) LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél./fax 625 52 34 Ouvertures : LU 13h30-18h30 ; MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30 ; SA 9h00-16h00 Librairie Basta ! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél./fax/répondeur 691 39 37 Ouvertures : du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30 NOMINATIONS POUR LE GRAND PRIX DU MAIRE DE CHAMPIGNAC 1998 Émilie Letendre Encres et aquarelles Du 4 au 29 avril 1998 vernissage le 4 avril dès 11h00 «Aujourdhui, dans sa tour dargent, la Saint-Galloise fait partie des meubles. Dictatrice au sourire éternel, elle règne sans partage. On lui cherche désormais des rivales. Melbourne Park tourne des yeux de chimère vers la famille Williams.» Jean-Daniel Sallin, open dAustralie, in 24 Heures, 21 janvier 1997 «Après une longue traversée du désert, ils (les verts) sont en passe de sortir la tête de leau.» Jean de Preux, supra R S R 1, 2 février 1998, vers 12h40 «Est-ce que cest un coup de pétard mouillé ?» Pascal Decaillet, supra RSR 1, 4 février 1998, vers 12h35 «Je remercie Madame Tauxe-Jan, qui a rempli plusieurs casquettes ce soir.» Eliane Rey, présidente du Conseil Communal de Lausanne, séance du 10 février 1998, vers 21 heures «Vous navez pas oublié le dogme et ses prêtresses, les Simone, Betty, Kate et Gisèle que nous admirions tant, que nous lisions et dévorions à la barbe de nos malheureuses aïeules en esclava - ge.» Anne Rivier, féministe pile-poil, in Domaine Public, 22 janvier 1998 «Je suis persuadé que les récentes élections communales ont changé pro - fondément la donne dans lOuest : ce qui était jusquici impossible avec Renens va le devenir.» Jean-Jacques Schilt, syndiq de Lausanne, in Le Nouveau Quotidien, 30 décembre 97 «On est inquiet, comme mû [sic] par un pressentiment. Chacun y va de sa solu - tion. Les conseils fleurissent pour aider le chômeur, soit à tricher, soit à le sou - tenir dans ses recherches avec des mé - thodes souvent dépassées par le temps. Les revues se spécialisent, les émissions de radio et de T.V. aussi. Chacune a la même prétention : celle dapporter la solution miracle. On croit rêver. Et pendant ce temps, les con - damnés au chômage cherchent déses - pérément. Ils nen finissent pas de cher - cher. Lorsquun discours atteint cette déso - lante stérilité, il ne lui reste plus quà être loccasion dune affirmation. Cest cette affirmation qui légitime ces quel - ques propos. Seul choix : dire “je” et le dire à “tu”, cest-à-dire à celle ou celui qui sinterroge. Je te le dis non pas par - ce que je le sais (qui sait quoi sur le su - jet ?), mais parce que jai envie de te di - re, qui que tu sois, demandeur demploi ou gouvernement, chef dentreprise ou employé, cadre de plus de 50 ans ou jeune diplômé. Michel Pittet, syndic de Froideville, discours du 1er août, in Froideville Informations, août 1997 Hors-concours, une curieuse tentati- ve dexorcisme à lencontre de notre Grand Prix : «Maintenant, jentends par-ci par-là que cest un bon préavis ; oui, cest un bon préavis. Pour avoir habité le quartier, jestime effectivement quil conviendrait de rénover un peu les habitants de ce quartier… (rires) pardon les habita - tions… Montignac ! Montignac !» Marie-Ange Brélaz-Buchs, conseillère écologiste lausannoise, in Bulletin des séances du Conseil communal, 25 février 1997 Signature Pierre Bavaud Jean-Marc Béguin Les oubliés Trois Suisses de la guerre d'Espagne Cabédita, 1998, 160 p. Samedi 28 mars 1998 de 14h00 à 16h00 Librairie Basta ! Petit-Rocher 4, Lausanne Révélation chromatique vaudoise Le jaune est désormais situé entre le rouge et le noir Déclaration des responsables de la Fédération des sociétés de fonctionnaires vaudois (FSF), in 24 Heures, 24 février 1998 Hommage «Et encore trois décis !» Il tient, le syndic. «Et encore trois, de bleu !» Il tient encore, le chef du DMF. «Et remets un demi, un vrai !» Il tient toujours, le patron du DFEP. «Et encore un petit, pour la route !» Il vacille, le président. «Et…» Il est tombé sur la table, le vieux. L’a pas roulé dessous. Chapeau. Paul-René, poête Poaisie D ANS Le Mélomane, un film de 1903, on voit un énergique barbu quasi chauve prendre sa tête et la lancer sur une portée musicale dessinée au-dessus de lui. Sidérant. Et le barbu de recommencer la même opé- ration jusqu’à obtenir la par- tition d’une petite mélodie qu’il finit par faire entonner à un chœur. Dingue. Ce barbu, c’est Georges Méliès, et ses films sont dingues comme le sont les meilleurs de nos rê- ves, allégés de la logique du monde. Ces extraits des réali- sations de Méliès sont les meilleurs moments du docu de Jacques Mény, auquel est jointe une «séance de projec- tion» de films Méliès, dirigée par Madeleine Malthête- Méliès, petite-fille du cinéas- te, avec Eric Le Guen au pia- no: une heure de bon délire grâce à des films bourrés d’une imagination sans limi- te. Dans son documentaire, Jacques Mény a pris le parti de divertir par tous les moyens, de peur (panique té- lévisuelle généralisée) de las- ser le spectateur. Tout est bon pour le zapping: extraits de films sur Méliès, photos, com- mentaires, dessins, images de synthèses, etc. Cela va du pi- re –des morceaux de fiction montrant par exemple les pieds d’une foule en souliers vernis se rendant au specta- cle– au meilleur : les interven- tions de ceux qui côtoient l’œuvre du cinémagicien depuis de nombreuses an- nées. On notera spécialement les remarques avisées de l’historien Jacques Gau- dreault qui situe le travail ar- tistique de Méliès dans son époque et surtout les explica- tions du conservateur de la Georges Eastman House, Pao- lo Cherchi Usai. On aimerait plus de ces subtils commen- taires sur le caractère unique de l’œuvre, son esthétique ba- roque, ou sur la façon de Mé- liès de «travailler vite pour lutter contre la mort». A quand un documentaire sur Méliès par Cherchi Usai ? (1) Un troisième historien, Jacques Malthête, fournit quant à lui de quoi titiller la curiosité de l’amateur. En particulier, il évoque le tra- vail de Gaston Méliès, le frère de Georges, envoyé aux Etats- Unis pour gérer l’antenne américaine de l’entreprise fa- miliale. De 1909 à 1912, pour honorer un contrat passé avec le trust Edison, il ne tourna pas moins de 240 films et no- tamment des westerns dont Malthête évoque les qualités. Puis, à soixante ans, Gaston entame un périple dans les mers du Sud pour y tourner des films invendables à son retour en Europe. Une fin de carrière aussi difficile que cel- le de Georges, qui vivota en tenant une boutique de jouets à la gare Montparnasse. J. M. Méliès le Cinémagicien documentaire de Jacques Mény et compila- tion de 15 films Arte vidéo, 3 h 15 m En vente dans les meilleures boutiques de jouets, coffret de deux cassettes vidéo. (1) Paolo Cherchi Usai a édité A Trip to the Movies. Georges Méliès, Filmmaker and Magi - cian (1861-1938). Lo schermo incantato. Georges Méliès (1861-1938), International Mu- seum of photography at Geor- ges Eastman House, Roches- ter, Edizioni Biblioteca dell’Imagine, Le Giornate del cinema muto, Pordenone, 1991. Déjà à la TV Quand Méliès se prenait la tête

Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

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Page 1: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

MARS 1998 LA DISTINCTION — 1LA DISTINCTION — 1

LA DI S T I N C T I O NSOCIALE — POLITIQUE — LITTÉRAIRE

ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

LA DISTINCTION

Publicationbimestrielle del’Institut pour

la Promotion dela Distinction

case postale 4651000 Lausanne 9

•Y-mêle :

[email protected]èbe :

www.imaginer.ch/Distinction/•

Abonnement :Frs 25.–au CCP

10–22094–5Prix au numéro:

Suisse : 4.35 francsFrance : 18.25 francsBelgique : 99 francs

Collaborèrent à ce numéro:Minna Bona

Jean-Frédéric BonzonAnne Bourquin Büchi

Théo DufiloIris Jaquet-Jansen

L’Agité du LocalSimone Laraye

Mad MacColin Maillard

Gil MeyerJacques MühlethalerMarcelle Rey-Gamay

SchüpJacques Sigmund

Cédric SuillotJean-Pierre Tabin

Valérie Vittoz

65Si vous pouvez lire ce texte, c’est que vous n’êtespas abonné(e). Qu’attendez-vous pour le faire ?

Frs 20.– au CCP 10–220 94–5

«Strc prst skrz krk !»(Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

14 mars 1998paraît six fois par an

onzième année

Annoncer les rectifications d’adresse selon A1, n° 552P. P. 1000 Lausanne 9

Exposition

(Annonce)

Galerie Basta !Petit-Rocher 4

Lausanne-Chauderon

Basta ! est une coopérative autogérée, alternative,Basta ! est une librairie indépendante,

Basta ! est spécialisée en sciences sociales,Basta ! est ouverte sur d’autres domaines,Basta ! offre un service efficace et rapide.

Basta ! offre un rabais de 10 % aux étudiants,

et de 5% à ses coopérateurs

(Publicité)

(Annonce)

LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél./fax 625 52 34Ouvertures : LU 13h30-18h30 ; MA-VE 9h00-12h30, 13h30-18h30; SA 9h00-16h00Librairie Basta ! - Dorigny, BFSH 2, 1015 Lausanne, Tél./fax/répondeur 691 39 37

Ouvertures : du lundi au vendredi, de 8h30 à 17h30

NOMINATIONS POUR LEGRAND PRIX DU MAIRE

DE CHAMPIGNAC 1998

Émilie LetendreEncres et aquarelles

Du 4 au 29 avril 1998vernissage le 4 avril dès 11h00

«Aujourd’hui, dans sa tour d’argent, laSaint-Galloise fait partie des meubles.Dictatrice au sourire éternel, elle règnesans partage. On lui cherche désormaisdes rivales. Melbourne Park tourne desyeux de chimère vers la familleWilliams.»

Jean-Daniel Sallin, open d’Australie,in 24 Heures, 21 janvier 1997

«Après une longue traversée du désert,ils (les verts) sont en passe de sortir latête de l’eau.»

Jean de Preux,supra R S R 1, 2 février 1998, vers 12h40

«Est-ce que c’est un coup de pétardmouillé ?»

Pascal Decaillet,supra RSR 1, 4 février 1998, vers 12h35«Je remercie Madame Tauxe-Jan, qui arempli plusieurs casquettes ce soir.»

Eliane Rey, présidente du ConseilCommunal de Lausanne,

séance du 10 février 1998, vers 21 heures«Vous n’avez pas oublié le dogme etses prêtresses, les Simone, Betty, Kateet Gisèle que nous admirions tant, quenous lisions et dévorions à la barbe denos malheureuses aïeules en esclava -ge.»

Anne Rivier, féministe pile-poil,in Domaine Public, 22 janvier 1998

«Je suis persuadé que les récentesélections communales ont changé pro -fondément la donne dans l’Ouest : cequi était jusqu’ ici impossible avecRenens va le devenir.»Jean-Jacques Schilt, syndiq de Lausanne,in Le Nouveau Quotidien, 30 décembre 97«On est inquiet, comme mû [sic] par unpressentiment. Chacun y va de sa solu -tion. Les conseils fleurissent pour aiderle chômeur, soit à tricher, soit à le sou -tenir dans ses recherches avec des mé -thodes souvent dépassées par letemps. Les revues se spécialisent, lesémissions de radio et de T.V. aussi.Chacune a la même prétention : celled’apporter la solution miracle. On croitrêver. Et pendant ce temps, les con -damnés au chômage cherchent déses -pérément. Ils n’en finissent pas de cher -cher.Lorsqu’un discours atteint cette déso -lante stérilité, il ne lui reste plus qu’àêtre l’occasion d’une affirmation. C’estcette affirmation qui légitime ces quel -ques propos. Seul choix : dire “je” et ledire à “tu”, c’est-à-dire à celle ou celuiqui s’interroge. Je te le dis non pas par -ce que je le sais (qui sait quoi sur le su -jet?), mais parce que j’ai envie de te di -re, qui que tu sois, demandeur d’emploiou gouvernement, chef d’entreprise ouemployé, cadre de plus de 50 ans oujeune diplômé.

Michel Pittet, syndic de Froideville, discours du 1er août,

in Froideville Informations, août 1997

Hors-concours, une curieuse tentati-ve d’exorcisme à l’encontre de notreGrand Prix:«Maintenant, j’entends par-ci par-là quec’est un bon préavis ; oui, c’est un bonpréavis. Pour avoir habité le quartier,j’estime effectivement qu’il conviendraitde rénover un peu les habitants de cequartier… (rires) pardon les habita -tions… Montignac! Montignac !»

Marie-Ange Brélaz-Buchs, conseillèreécologiste lausannoise,in Bulletin des séances

du Conseil communal, 25 février 1997

Signature

Pierre Bavaud

Jean-Marc Béguin

Les oubliés

Trois Suisses

de la guerre d'Espagne

Cabédita, 1998, 160 p.

Samedi 28 mars 1998de 14h00 à 16h00

Librairie Basta ! Petit-Rocher 4, Lausanne

Révélation chromatique vaudoise

Le jaune est désormais situé entre le rouge et le noir

Déclaration des responsables de la Fédération des sociétés defonctionnaires vaudois (FSF), in 24 Heures, 24 février 1998

Hommage«Et encore trois décis !»Il tient, le syndic.«Et encore trois, de bleu !»Il tient encore, le chef du DMF.«Et remets un demi, un vrai !»Il tient toujours, le patron du DFEP.«Et encore un petit, pour la route !»Il vacille, le président.«Et…»Il est tombé sur la table, le vieux. L’apas roulé dessous.Chapeau.

Paul-René, poête

Poaisie

DANS Le Mélomane, unfilm de 1903, on voitun énergique barbu

quasi chauve prendre sa têteet la lancer sur une portéemusicale dessinée au-dessusde lui. Sidérant. Et le barbude recommencer la même opé-ration jusqu’à obtenir la par-tition d’une petite mélodiequ’il finit par faire entonner àun chœur. Dingue. Ce barbu,c’est Georges Méliès, et sesfilms sont dingues comme lesont les meilleurs de nos rê-ves, allégés de la logique dumonde. Ces extraits des réali-sations de Méliès sont lesmeilleurs moments du docude Jacques Mény, auquel estjointe une «séance de projec-tion» de films Méliès, dirigéepar Madeleine Malthête-Méliès, petite-fille du cinéas-te, avec Eric Le Guen au pia-n o : une heure de bon déliregrâce à des films bourrésd’une imagination sans limi-te.

Dans son documentaire,Jacques Mény a pris le partide divertir par tous lesmoyens, de peur (panique té-lévisuelle généralisée) de las-ser le spectateur. Tout est bonpour le zapping : extraits defilms sur Méliès, photos, com-mentaires, dessins, images desynthèses, etc. Cela va du pi-

re –des morceaux de fictionmontrant par exemple lespieds d’une foule en souliersvernis se rendant au specta-cle– au meilleur : les interven-tions de ceux qui côtoientl’œuvre du cinémagiciendepuis de nombreuses an-nées. On notera spécialementles remarques avisées del’historien Jacques Gau-dreault qui situe le travail ar-tistique de Méliès dans sonépoque et surtout les explica-tions du conservateur de laGeorges Eastman House, Pao-lo Cherchi Usai. On aimeraitplus de ces subtils commen-taires sur le caractère uniquede l’œuvre, son esthétique ba-roque, ou sur la façon de Mé-liès de «travailler vite pourlutter contre la mort». Aquand un documentaire surMéliès par Cherchi Usai ? (1)

Un troisième historien,Jacques Malthête, fournitquant à lui de quoi titiller lacuriosité de l’amateur. Enparticulier, il évoque le tra-vail de Gaston Méliès, le frèrede Georges, envoyé aux Etats-Unis pour gérer l’antenneaméricaine de l’entreprise fa-miliale. De 1909 à 1912, pourhonorer un contrat passé avecle trust Edison, il ne tournapas moins de 240 films et no-tamment des westerns dont

Malthête évoque les qualités.Puis, à soixante ans, Gastonentame un périple dans lesmers du Sud pour y tournerdes films invendables à sonretour en Europe. Une fin decarrière aussi difficile que cel-le de Georges, qui vivota entenant une boutique de jouetsà la gare Montparnasse.

J. M.

Méliès le Cinémagiciendocumentaire de Jacques Mény et compila-

tion de 15 filmsArte vidéo, 3 h 15m

En vente dans les meilleures boutiques dejouets, coffret de deux cassettes vidéo.

(1) Paolo Cherchi Usai a édité ATrip to the Movies. GeorgesMéliès, Filmmaker and Magi -cian (1861-1938). Lo schermoincantato. Georges Méliès(1861-1938), International Mu-seum of photography at Geor-ges Eastman House, Roches-ter, Edizioni Bibliotecadell’Imagine, Le Giornate delcinema muto, Pordenone,1991.

Déjà à la TV

Quand Méliès se prenait la tête

Page 2: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

Attention, chienméchantQuelqu’un doit s’êtresenti visé… En tout cas,nous avons reçu cette let-tre comminatoire. Nousla publions par craintede poursuites judiciaires.[réd]En butte à d’intolérables at-taques de votre part, j’ailongtemps opté pour un si-lence méprisant. Mais lacoupe est pleine, car vousn’avez cessé, depuis quinzenuméros au moins, de meprovoquer. Je vous sommedonc de faire paraître, pourdissiper tout malentendu,cette série de précisions,données ici par ordre alpha-bétique :– à ma connaissance, monépouse n’entretient aucunerelation adultérine avec unétudiant néerlandais ;– aucun de mes collègues detravail n’est affublé d’unprénom évoquant un arbreet d’un nom rappelant uncondiment industriel ;– bien qu’ex-fan des sixties,il ne me reste aucun vestigevestimentaire de ma période«baba» ;– il n’entre aucunementdans mes intentions de vouslivrer un apocryphe ;– j’entretiens les meilleursrapports avec mes collèguesjuristes et économistes ;– je n’ai aucune compétenceparticulière en mauvaise foimédiatique ;– je n’ai aucune relationparmi les amis des bêtes ;– je ne fais pas de vélo ni decinéma ;– je ne fournis jamais de li-vres aux brocanteurs, et mefournis rarement chez eux ;– je ne parle pas de bluejeans dans mes cours de so-ciologie générale ;– je ne peux pas faire l’expé-rience du caisson sensoriel,étant claustrophobe ;– je ne suis pas alcoolique ;– je ne suis pas gros ;– je porte le plus grand res-pect aux instituteurs retrai-tés, même gâteux ;– je porte très rarement unecravate ;– je préfère lire un bon ro-man policier que votre jour-nal, sauf votre respect ;– je suis logé dans un appar-tement raisonnablementconfortable ;– je suis plutôt pro-européen;– la moyenne comparée desnotes que je mets aux étu-diants en Lettres et à ceuxde Sciences sociales et politi-ques ne fait pas apparaîtrede différence significative ;– le père de ma compagnene souffre d’aucun défaut deprononciation ;– les cartes au vingt-cinqmillième n’ont aucun secretpour moi, et j’en possèdeune collection complète ;– ni le nom ni le surnomd’aucune de mes petites

amies passées et présentesne peut donner lieu à l’in-vention d’un pseudonyme oud’un surnom tabagique.Qu’on se le dise ! Car je com-mence à en avoir marre, sé-rieusement marre, d’êtreconstamment traîné dans laboue par votre courrier deslecteurs.

XXX,professeur de sociologie

dans une Universitélémanique

IndignationLa si belle notation chroma-tique non balisée (V i o l e tdans les gris…) dont se ceintabusivement le Champignacd’Or 1992 dans son recueild’haïkus est benoîtement re-piquée des carnets du pein-tre Pierre Bonnard (1867-1947), en date du 7 f é v r i e r1927. Une édition même àcompte d’auteur n’autorisepas les emprunts non signa-lés. Qu’en pensez-vous ?

Abel Maheu,de Beaune (France)

Juste. Mais l’éhonté pla-giat que vous incriminezfigure dans la recensiond’un ouvrage apocrypheet, comme tel, ne donne-ra matière à aucune vin-dicte, publique ou privée.[réd.]

Crime et châtimentLors d’une soirée buffet en-tre politiciens locauxd’ultra-gauche, j’ai perdu unpari et j’ai eu pour gage derelire et de synthétiser toutvotre courrier des lecteursdepuis le numéro 50. J’aimal à la tête, et je ne feraiplus de paris stupides surles insuccès suisses auxJeux Olympiques. Moi quiétais tout fier d’avoir passéle barrage du premier obsta-cle législatif dans ma carriè-re politique, me voilà bienpuni. Je ne serai plus si sa-tisfait en me regardant dansma glace le matin. Salauds !

Rintintin du Rebour,du parti socialiste

Le poids des MaudMoi qui étais amoureuse,moi qui voyais le printempsvenir et pousser les crocus,j’ai hélas jeté un œil bien-veillant sur le courrier deAnnie-Maud dans votre der-nière livraison. Je crainsfort qu’elle n’ait raison, etque ce prénom soit maudit.Mais aussi elle y est pourquelque chose : c’est sa fautesi mon moral a dégringolé.Elle a insufflé le doute dansmon esprit, et patatras, j’aifait une scène à mon nou-veau copain, qui m’a quittée.J’étais au septième ciel, et ilm’est tombé sur la tête.

Maud Furi,de la banlieue bernoise

Courrier des lecteurs

Les apocryphes

MARS 19982 — LA DISTINCTION

Chronique de l'excitation lexicale

Grand concours

J’AI été à un tout petitpoil de m’en aller.Mais enfin, puisque

vous avez été si nombreux àrâper sur le poil de mon réden chef –il l’a très fourni, etde carotte, je vous le donne enscoop–, je reviens, tout heu-reux d’avoir repris du poil dela bête. Au poil, ce moment oùil est venu me rechercher, latête basse et le poil terne ! Ducoup, il va m’avoir sur le poilpour un bon moment.

Minute métonymiqueN ’ e m p ê c h e : il va

falloir qu’il se gaffe,car je vais lui souf-fler au poil, et, qu’onse le dise, j’ai du poilaux yeux. Si jamaisil lui prenait fantai-

sie de me prendre à rebrous-se-poil, de me dire que j’ai unpoil dans la main, je lui cardele poil jusqu’à ce qu’il n’en aitplus un, plus un seul de sespoils de carotte, sur le caillou.C’est que je suis un brave àtrois poils, moi, et sous Napo-léon j’eusse été poilu.

Il faut dire aussi que cetterubrique a quelques avanta-ges secondaires ; par exemple,elle me permet de chasser dugibier de tous poils. Qu’on se

le dise : je ne suis pas qu’écri-vain, et me vante d’être aupoil et à la plume –mais non àvoile et à vapeur. Aussi nem’est-il pas indifférent de re-trouver dans mon lit une filleà la jolie crinière, et de memettre avec elle dans desétats où je n’ai –ni elle– plusun poil de sec. Cela me met debon poil, et je trouve que c’esttout de même mieux que d’al-ler au match de football fémi-nin et de brailler : «à mortl’arbitre», puis : «à poil la cen-tre avant». Je n’aime pas cela,et la vulgarité, vous la trouve-rez chez moi autant que despoils sur un œuf. Par contre,me rappeler avec Zola que,«lorsque Nana levait les bras,

on apercevait, aux feux de larampe, les poils d’or des ais -s e l l e s », ça me fait de l’effet–hérisser le poil, et dresseraussi autre chose…

Voilà, j’en ai assez pour au-jourd’hui. Vous voyez que ceretour en grâce m’a fait chan-ger de poil : je sais faire court,maintenant ! T. D.

P.-S, : Ai-je été assez bête etadolescent, cette fois, pourfaire se poiler les élèves de cetenseignant qui fit son malindans le dernier courrier deslecteurs de La Distinction.J’espère qu’ils se vengeront delui, et se souviendront desvertus du poil à gratter (poilau nez) !

LES PO, ça a le goût de l’em-ploi, ça crée les contraintesde l’emploi, mais ce n’est pas

de l’emploi.Ce mois-ci, nos enquêteurs ont

pu recueillir les candidats suivants:

☞Selon le journal de l’OSEO(4/1997), un programme

d’occupation est proposé dans unegare, à Interlaken. Des chômeurssurveillent les vélos des pen-dulaires qui prennent le train pouraller travailler, eux. Il s’agit de lut-ter contre les vols, le vandalismeet le désordre… Dix demandeursd’emplois se relaient pour sur-veiller les vélos, remettre de l’ordreet, sur demande, effectuer depetites réparations ou nettoyer les

Le PO SHOWvélos. On précise –sans rire–qu’une des chômeuses employéesà cette magnifique occupation«aime bien son travail : le nettoya -ge parce que les résultats sont vi -sibles immédiatement.» Avec lesvélos d’aujourd’hui, ce n’est pas lasociété à deux vitesses qu’on esten train (!) d’inventer, mais la so-ciété à 21 vitesses…

☞À Zoug, des chômeurs enprogrammes d’occupation

sont occupés à graver (à la main,sûrement) le numéro de téléphonede leur propriétaire sur des cadres

de vélo (encore !), parce que lechamp réservé aux adresses surles vignettes ne résiste pas aux in-tempéries et que la police s’enplaint. On pourrait aussi faire ta-touer les voleurs de vélos par deschômeurs !

☞Un programme d’occupa-tion, qui utilise plusieurs

chômeurs pour de la récupérationinformatique, cherche (en pro-gramme d’occupation…) un chefdu secteur intendance, devants’occuper de la surveillance del’entretien intérieur et extérieur, du

contrôle des inventaires, de lacomptabilité boissons et de fairerespecter discipline. Un program-me d’occupation comme sergent-major, en fait. Une solution pourl’armée du futur, peut-être…

A h ! Oui… J’oubliais. SelonI n d e x, «petit répertoire des pro-grammes d’occupation proposésen Suisse» (1/1998), «une motiva -tion insuffisante du côté des de -mandeurs d’emploi peut expliqueren partie le fait que de nombreuxprogrammes ne parviennent pas àfaire le plein de participants».Étonnant, non?

Envoyez toute proposition à L aD i s t i n c t i o n, qui la publiera sanshésiter.

Dans ce numéro, nous insé-rons la critique entière ou lasimple mention d’un livre, voired’un auteur, qui n’existe pas,pas du tout ou pas encore.Ce feuilleton sème l'effroi etla consternation depuis plu-sieurs années chez les librai-res, les enseignants et lesjournalistes. nous le poursui-vons donc.Celui ou celle qui découvrel’imposture gagne un splendi-de abonnement gratuit à L aDistinction et le droit impres-criptible d’écrire la critiqued’un ouvrage inexistant.Dans notre dernière édition,H a ï k u s, le recueil de poèmesattribué au Président PhilippePidoux, était une pure impos-ture. Chacun sait que le non-candidat au Conseil fédéralne compose que des élégies,des odes ou, à la rigueur, dessonnets…

Mais oui, c'est gratuitNous rappelons à nos chers abonnés qu'ils peuvent obtenir gratui -tement, à l'œil et pour pas un rond les publications suivantes :• Romands noirs, recueil de nouvelles policières. Éditions

Baleine, 1998, 104 p. (un exemplaire)• Bulletin des séances du Grand Conseil du Canton de Vaud

2001-2002. Suppl. à La Distinction n° 64, 16 p. (dix ex.)Envoyez une enveloppe à votre nom, de format C5 (229 x 162 mm) et tim-brée à Frs -.70 ou Frs -. 90 (selon votre impatience) à la rédaction.

LES ÉLUS LUS (XXXVII)

Deux journaux ont in-vité en communchaque candidat au

Conseil d’État vaudois « à rê-ver le futur du canton »avant les élections du1er mars . Le samedi 7 février,c’était le tour du chef du dé-partement de l’instructionpublique sortant. Son texteest paru sous deux titres dif-f é r e n t s : « É M E R G E R D’U N C A U-C H E M A R / Jean-JacquesSchwaab versifie sur l’éga-lité, la solidarité, les espacesverts, la liberté… » dans…La Liberté de Fribourg et« MON REVE POUR LE CANTON »dans le Journal de Genève.

Jean-Jacques Schwaabayant été brillamment réélu,❏ réélu de justesse, ❏ r e n-voyé à sa/ses chère/s étude/s(cochez la case qui convient),nous pouvons revenir calme-ment sur ce document pouren dégager un programmeonirico-politique originalsans être accusés d’électora-lisme.D’abord nous laisserons tom-ber les versets 11 et 14 quidébutent par « Je rêve d’unpays où… » et « Je rêve aussid’une Suisse… » puisqu’ils neconcernent pas directementou pas seulement le canton.Ensuite nous écarterons le

verset 15 où le rêve devientcauchemar : la crainte qu’au-cun de ses rêves ne se réalised’ici la fin de la prochaine lé-gislature, en mars 2002.Nous pourrons égalementnous passer des versets quipeuvent convenir à des en-sembles plus vastes. Souve-nez-vous que nous recher-chons le rêve original pour lefutur du canton. Parexemple les versets 4, 7 et 8peuvent se lire aux trois ni-veaux supérieurs : « Je rêved’une Suisse / d’une Europe /d’un monde où la convivialitél’emporte sur le matéria-l i s m e », « Je rêve d’uneSuisse / d’une Europe / d’unmonde qui se solidarise avecles plus démunis » et « J erêve d’une Suisse / d’une Eu-rope / d’un monde où chacunpeut réaliser son rêve à lui ».Après avoir testé tous lesversets, il faut nous rendre àl ’ é v i d e n c e : il n’en restequ’un, sur les 13 commen-çant par « Je rêve d’un can-ton… » qui soit impropre à lagénéralisation nationale,continentale et mondiale.C’est donc là qu’il faut cher-cher le rêve personnel deJean-Jacques Schwaab, celuidont la réalisation pourraitentraîner un renouveau, quedis-je, une renaissance ducanton de Vaud au sein de laConfédération. C’est avecbeaucoup d’émotion que jerecopie ce verset dont l’im-portance nous avaitjusqu’alors échappé : « JER E V E D’U N C A N T O N O U L E S

J E U N E S O N T E N V I E D’A P-P R E N D R E L E S U I S S E-A L L E M A N D ». Comment n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?Alors que l’oral et l’écrit onttoujours été liés dans l’ap-prentissage des langues, larévolution schwaabicienneconsisterait à adopter unelangue de proximité orale etune langue internationaleécrite qui soient différentes.On laisserait tout de suitetomber l’étude de l’allemand,puis petit à petit on réduiraitl’importance du français, detoute façon condamné parune orthographe aberranteet le fossé toujours plusgrand entre l’oral et l’écrit.Les économies seraienténormes et permettraient desortir le canton de ses diffi-cultés, d’autant plus que,flattés par la nouvelle poli-tique d’ouverture vaudoise,les cantons alémaniquesmettraient gracieusement àdisposition leur matériel etleurs profs pour l’enseigne-ment en suisse allemand del’anglais écrit.Quels jeunes n’auraient pasenvie de partager le rêve deJean-Jacques Schwaab, cetteconception enfin réaliste deslangues modernes qui leurpermettrait de se faire com-prendre dans toute la Suissepar téléphone portable etd’échanger des informationsdans le monde en-tier par Internet ?

M. R.-G.

Le ferset anchélicre

MARCELLEREY-GAMAY

Page 3: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

Une secrétaire de 45 ans dé-pucelée au seuil de la méno-pause par son patron, un dan-dy patricien assailli par unesecte de bayadères nympho-maniaques et un coprophagedieu «Bandhâ» agrémentaientle premier livre. Une gouver-nante d’étage rendant desservices assez particuliersdans un couvent aménagé enrésidence, un secrétaire géné-ral aimant à se faire (notam-ment) flageller entre deux

parties de tennis et un prédi-cateur darbyste aux appétitspeu courants colorent le se-cond. Mais, à l’évidence, l’in-térêt du polar ne réside pasdans le fait que l’auteur etpar ailleurs principal éditeurde journaux de Suisse roman-de y donne libre (?) cours à uncertain nombre de fantasmesrécurrents.

Cruel règlement de comptes

Par-delà ce qui semble bienn’être qu’une fixation caracté-risée sur la toute-puissance etle stade anal, Marc Lacaze-Lacasse gratifie ses lecteursd’une intrigue mettant auxprises un étrange réseau degens de pouvoir hantant lemonde politique européen. Et,de là à prendre Genève etLausanne pour plaques tour-nantes, le pas est rapidementfranchi, non sans un puissantdétour par le monde de lapresse.

Sur fond de grandes ma-nœuvres conjointes entrel’ONU, le CIO, les sept sageset le Château lausannois(sic !), impossible de ne pas re-connaître quelques fines plu-mes régionales progressive-ment promues à unrayonnement internationaldémesuré. Et tandis que lamécanique médiatique s’em-balle, apparaît une sage figu-re du chef de clan dont la dis-tance, le sens critique et

l’humour un brin sadique évi-tent finalement un drame.Non sans quelques avatarspermettant à l’auteur de dis-tiller son mépris pour la castede ses courtisans.

Ainsi de certain réd-en-chefsi mécaniquement pro-euro-péen et pro-Cointrin qu’il a fi-ni, lit-on, par ressembler à unperroquet psalmodiant desslogans sur son barreau avantde se faire virer pour avoirmis la crédibilité du groupeen péril. Ainsi du falot et in-vertébré directeur-girouetted’une feuille ressemblant fortà 24 heures si l’on en juge parla citation de certains dérapa-ges commis à propos de l’af-faire des fonds en déshérence.Ainsi d’un «roitelet» genevoisà la personnalité double etplus doué pour la maîtrise duchantage que pour la libertédont il affectait de se récla-mer. Ainsi de l’ensemble dessyndicats de plumitifs, décritscomme veules ou serviles mê-

Tourisme

Köttbullard

Cynique, ton père

MARS 1998 LA DISTINCTION — 3

Faits de société

Effrayant bizutage au Séminaire

pédagogique vaudois : on les force à manger

leurs excréments !

Toilettes du Séminaire Pédagogique de l’Enseignement Secondaire, Lausanne, automne 1997

Georges ArèsLa Suisse avenir de l’Europe ?Anatomie d’un anti-modèleGallimard, août 1997, 115 p., Frs 23.60

La revue Le Débat, sous le patronage delaquelle cette folliculerie se présente, as-pire à présenter une réflexion de hautniveau, des opinions documentées et sesauteurs, Pierre Nora en tête, s’expri-

ment toujours avec une grande autorité. On pouvait doncattendre de La Suisse avenir de l’Europe? autre chose queles cartes postales que les auteurs français, ne parlons mê-me pas des journalistes, nous renvoient après leurs cures ouleurs vacances, d’autant plus que l’éditeur nous promet del’humour en plus de la profondeur.Petit pays sans ressources, la Suisse fonda son enrichisse-ment sur le travail discipliné de ses mercenaires devenusprolétaires et sur une orientation précoce vers les marchésextérieurs. Bref, la Suisse fut une sorte de pré-Japon. Com-me là-bas, la raison économique y prime sur tout : les syndi-cats sont plus jaunes que les tournesols de van Gogh, et lagrève y reste une grossièreté inconcevable. Quant aux par-tis politiques, ils sont –tous sans exception– à la fois libé-raux, sociaux et démocrates. La Suisse ignore la corruption,grâce à un contrôle attentif et vétilleux des dépenses publi-ques par des élus proches du peuple. Seule une frénétiqueintelligentsia de gauche francophone s’est dressée, mais envain, dès les années quarante contre ce système sans faille.(Le lecteur aura reconnu au passage Jean Ziegler, perfor-mant produit d’exportation grâce au Monde Diplomatique età Charlie-Hebdo.)La vie culturelle est bien sûr asthénique. Fritz Zorn le dés-espéré et Henri-Frédéric Amiel le branleur sont les fées re-poussantes qui se penchent sur le berceau de tout nouvelHelvète. La langue elle-même se trouve contaminée par unfédéralisme outrancier et un multilinguisme commercial ob-sessionnel : savez-vous qu’on y parle le français fédéral, ef-frayant monstre syntaxique ?Ne croyez pas que l’auteur cherche à pourfendre pour au-tant la suissitude. Son objet est de démontrer que la replèteprospérité et le terne consensus helvétiques sont le procheavenir de l’Europe. Voilà qui inquiétera les chômeurs et lesexclus du continent, qui avaient jusqu’ici peu perçu cettemenace.Trêve de ricanements. Nous avons affaire à des propos na-vrants, qui veulent se donner des airs d’aristo cynique, re-grettant la «grandeur» gaullienne d’antan. Son analyse, sipleine d’esprit, du socialisme soviétique suffit à classer l’au-teur : «…à l’Est la classe ouvrière était au pouvoir ; la théoriepour une fois ne mentait pas. Pour la première fois dansl’histoire, le travailleur pouvait se livrer à sa passion la plusprofonde : en faire le moins possible.» Ajoutons le plus grave :il prend le lecteur pour un crétin et lui impose entre six etdouze mots soulignés par page. (J.-F. B.)

Toujours en grande forme

Le président Pidoux invente de nouveaux jeux pour

les journaux sans imagination

Quelle était la question:– Mangez-vous souvent du foin et de l'avoine?– Vous roulez-vous des pétards avec les rideaux de la cuisine?– Avez-vous déjà fumé un joint?

L'Hebdo, 5 février 1998

Devoirs de souvenir de vacances

Lausanne, place Centrale, août 1997«Seule une extrême faiblesse de l'imagination peut justifier

le fait que l'on ait à se déplacer pour voir.» (Pessoa)

COINCIDENCE ou coupde librairie machiavé-lique ? Le conflit ayant

récemment agité les person-nels de la Tribune de Genèveau point de faire publique-ment bafouiller et se déculot-ter les pontes d’Edipresse,avant d’être magistralementrécupéré, semble promis auxhonneurs d’un petit prolonge-ment livresque. Après avoircommis quelques nouvelles auSeuil en 1996 sous le pseudolargement éventé de Marc La-caze (1), le «patriarche» de latour de l’avenue de la Garesort un polar (ce qu’il avaitd’ailleurs pris soin d’annoncerdans la photo-home story a c-cordée en compagnie de sonfils à L’Illustré pour redresserla déplorable image du groupeet de la famille à quelques se-maines de la sortie duTemps).

Intitulé Du sang dans l’en -c r e et cette fois signé MarcLacasse (mais avec la mêmecourte notice biographiqueque dans son opus précédentsignalant laconiquement une«carrière dans la presse suis -s e »), le polar en question nefera sans doute pas date enFrancophonie. Mais les lec-teurs suisses attentifs auxmouvements concentrant lapresse romande y trouverontune confirmation romanesqueet même autobiographique àleurs inquiétudes pour la li-berté d’expression.

De mauvais goût

Commençant par une partiefine ayant pour décor leschiottes d’un bistrot de laPrincipauté d’Andorre (dansLe Dessert indien, une scènepresque identique avait lieudans celle de Monaco maistout le monde comprendra laréférence au célèbre Pas-de-la-Cases qui permet à l’auteurde sauter habilement des ca-tholiques hauteurs andorra-nes vers les bordéliques ram-blas de Barcelone), Du sangdans l’encre ne lésine pas plussur la fesse que sur les fèces.

Le père Lamunière assume la casse

Herbjorg WassmoFils de la ProvidenceGaïa, août 1997, 2 tomes, 284 p. et 350 p., Frs 33.80 le vol.

Fils de la Providence est l’édifiante histoirede Benjamin, fils de Dina (Le Livre de Di -na, trois tomes, Gaïa, 1996), la libre et ter-rible veuve, propriétaire de Reisnes–ferme, terres, comptoir et flotte tout au

nord de la Norvège. Envoyé loin de sa maison pour étudier, etsurtout pour oublier ce qu’il a vu, il va découvrir l’abandon, lasexualité, la mort, l’amitié, la souffrance, la guerre, le remordset le désespoir. Herbjorg Wassmo, participant des traditions vi-king et protestantes, écrit ainsi une suite qui ne trahit en rienLe livre de Dina femme du XIXe. Et s’il n’est pas indispensablede lire cette première histoire avant de se plonger dans celle deBenjamin, ceux qui s’enflammeront pour cette brûlante saganorvégienne pourront toujours remonter aux sources et dévorerles trois tomes qui valent leur pesant de passion. Le tout impri-mé sur un étrange papier rouge sanguin. (I. J.-J.)

me s’ils se drapent volontiersdans la toge prétexte de leurdéontologie, pour mieux laconchier à la première occa-sion.

Toute allusion à des person-nes ayant réellement existéne pouvant par définition êtreque fortuite, chacun éviterade reconnaître Pilet, Pozzy,Mettan ou qui que ce soitdans ce vaste règlement decomptes qui pourrait susciterune certaine sympathie pourson auteur. Mais sa patteclassique et manifestementnourrie aux sources libéralespousse un peu loin le bouchonen cherchant à conclure le ro-man sur l’image d’un vieuxroi solitaire faisant face à uncomplot contre l’humanismeet refusant toute censure.Malgré certains bonheurs deplume et une inspiration ma-nifestement tirée de l’expé-rience, le rôle de gardien de laliberté de la presse sied malau héros de M. Lacaze-Lacas-se qui prend manifestementses gens comme ses lecteurspour des cons. Sur ce vastesujet, l’entrevue parue dansLa Liberté du 16 février danslaquelle Lamunière pèrejouait les pourfendeurs indi-gnés des «micro-trottoirs quisont ce qu’il y a vraiment deplus bas dans l’information»,alors qu’il les a laissé se déve-lopper largement dans sa pro-pre presse, restera un chef-d’œuvre du genre cynique etaffairiste.

S. L.

Marc LacasseDu sang dans l’encre

Le Masque, février 1998, 245 p., Frs 9.30

(1) Marc Lacaze, Le dessertindien, Seuil, juin 1996, 218 p.

Page 4: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

gent, semble-t-il). En 1893,l’initiative anti-sémite contrel’abattage ri-tuel, alorsqu’elle était re-fusée à plus de8 0 % dans lecanton, étaitacceptée dansle districtd’Avenches.

L ’ a n t i s é m i t i s-me en Suisseest un sujetmal connu, quine se combinepas aisémentavec les habi-tuels critèressociaux, politi-ques ou cultu-rels. Il y a uneréelle difficultéà en prendre lamesure exacte.Ainsi on croits o u v e n tq u ’ A v e n c h e srefusa au siècledernier les de-mandes de na-t u r a l i s a t i o n ,suscitées parl’annexion de l’Alsace auReich, de ses habitants juifset les «exporta» dans les vil-lages voisins. En réalité, lesbourgeois de cette communeplutôt fortunée, craignant denouvelles charges, refusaienttout nouveau bourgeois, quel-le que soit son origine. Cefurent donc Donatyre, Che-vroux ou encore le mystérieuxhameau d’Oleyres, moinsriches, qui acceptèrent sansrechigner les naturalisations,taxées bien évidemment, deces commerçants qui leurjuraient de rester domiciliés àAvenches. On vit aussi lesmaquignons juifs eux-mêmesprotester contre la venue denouveaux commerçants israé-lites, qui allaient leur faire dela concurrence.

La haine se développe pour-tant indéniablement, et elleira jusqu’à la tragédie, échobroyard du génocide. Le récitde Dalain quitte alors le modede la chronique familiale : enavril 1942, quelques frontis-tes payernois tuent le mar-chand de bétail Türi Bloch.Cet assassinat, perpétré demanière atroce, à coups debarre de fer, le cadavre dépe-cé et caché dans des boilles àlait, est raconté en détaildans le livre –la famille Lévyl’a vécu intensément, elle eûtpu en être victime–, et a faitl’objet d’un documentaire télé-visé que réalisèrent YvanDalain et Jacques Pilet en1977.

Dans le domaine littéraire,un témoin de neuf ans, alorsécolier à Payerne, a livré savision de l’événement vingt-cinq ans plus tard «On nous aexpliqué en classe que c’étaitla guerre, que M. Bloch étaitune victime du nazisme infer -nal qui avait tourné la tête dequelques honnêtes commer -çants payernois. (…) J’ai faitla part des choses. J’allaisavoir neuf ans. J’ai ressenti lecrime, et l’atmosphère où ils’est produit, comme une ef -frayante malédiction. Mais sij’y songe aujourd’hui, je res -

MARS 19984 — LA DISTINCTION

Communes et communautés vaudoises

«UN Juif, bourgeoisde Donatyre, peutavoir l’accent vau -

dois et porter l’uniforme dedragon ou d’artilleur, il de -meure, sous cette honorableapparence, un Juif cent pourcent. À la moindre émotion,vous verrez la bonhomie vau -doise faire place à la fébrilitéorientale et le doux parler ro -mand se transformer en unjargon guttural caractéristi -q u e . » Cette citation –ni re-niée, ni regrettée– de MarcelRegamey (1), fondateur de laLigue vaudoise, ne sera ja-mais trop reproduite. Elle il-lustre l’existence d’un vérita-ble courant antisémite dansl’entre-deux-guerres, réalitétoujours masquée par la tra-ditionnelle bonhomie du folk-lore politique local. Au-delàde son idéologie répugnanteet son style Léon-Daudesque,ce texte rappelle égalementune particularité aujourd’huioubliée du district d’Aven-c h e s : la présence d’une com-munauté juive en milieu cam-pagnard.

Un accueil rare en Suisse

Le gouvernement vaudois,encore très jeune, eut au dé-but du dix-neuvième siècleune attitude conforme à sesprincipes démocratiques enaccueillant des immigrantsjuifs sans discrimination. Cet-te politique était certes peufréquente, même en Suisse ro-mande (2), mais à l’heure oùles pires abominations sontsouvent présentées comme lanorme, voire l’unanimité desesprits d’autrefois, il faut rap-peler que la haine raciale, icicomme ailleurs, fut construi-te, apparut progressivementet que, par exemple, la Gazet -t e des libéraux vaudois étaiténergiquement dreyfusarde àla fin du siècle.

Les Juifs qui vinrent s’ins-taller dans la Broye à partirde 1826 ne venaient pas detrès loin : les incertitudes defrontières, les pogroms et leschangements de statut queconnurent les Ashkénazesyiddishophones d’Alsace lesamenèrent à envisager l’émi-gration. Le choix d’Avenchesreste inexpliqué, sans doutele district le plus septentrio-nal du canton leur permet-tait-il de rester en contactavec leurs familles et le mon-de germanique. L’ancienne

ville romaine était égalementun point de passage impor-tant dans le commerce cheva-lin, domaine qui fut laissé auxJuifs, alors que les autres sec-teurs économiques faisaientl’objet d’un protectionnismejaloux. Bientôt une commu-nauté complète, avec rabbin,puis synagogue (plus vasteque celle de la Chaux-de-Fonds, alors qu’on est, répé-tons-le, en pleine cambrous-se), exercera elle-même uneattraction suffisante pour quela population juive atteigne260 personnes (soit 15 % de lapopulation) en 1870. Jusqu’àcette date, l’endogamie estpratiquement totale : un ma-riage mixte sur cinquante etune unions célébrées.

Le roman, largement auto-biographique, d’Yvan Dalain,Les Lévy d’Avenches, r a c o n t ela période déclinante de cettec o m m u n a u t é : dans l’entre-deux-guerres, on peine à réu-nir à la synagogue les dixhommes nécessaires aux célé-brations. Le narrateur n’ap-prend que peu d’hébreu, autravers d’un catéchisme quiest fort tardif, comme chez lesg o y i m. Pour lui, le sionismese limite à une tirelire frap-pée de l’étoile de David, ap-portée par le rabbin, qu’ilcambriole pour offrir une sa-lée au sucre à sa bonne amie.

Les marques identitairesdoivent être cherchéesailleurs. La cuisine, les souve-nirs gustatifs, comme la carpefarcie lors de la circoncisiondu petit frère, reviennent biensûr avec insistance, mais c’estla langue qui pour Dalain co-lore les souvenirs. De nom-breux dialogues sont donnésen version originale –unetranscription approximativedu yiddish (3)– et versionfrançaise. Bien qu’un peulourd, le procédé permet defaire entrer le lecteur dans levif du parler familial.

Les pratiques quotidiennesressemblent à celles de toutesles familles paysannes ro-mandes de la première moitiédu siècle. Le grand-père estun tyran familial, que les en-fants subissent ou renversent.On éloigne l’aîné lors de lagrossesse de sa mère, et il dé-couvre qu’un petit frère estarrivé pendant son absence.Les jeunes voient surgir le na-zisme et la seconde guerremondiale brutalement, dans

l’ignorance de la politique etde l’histoire. L’évolution desprénoms est un signe plusévident encore de l’intégra-tion en cours : on voit progres-sivement disparaître les pré-noms d’origine hébraïque etgermanique au profit des pré-noms autochtones.

Un exode dû à la misère ouà la terreur, la découverted’une niche économique quiservira de porte d’entrée, lacréation de structures com-munautaires plus ou moinsfortes, puis l’assimilation parla société d’accueil, avec lemaintien pour quelques géné-rations de pratiques culinai-res et langagières distinctes,tous les descendants de ma-çons italiens ou de ramoneurssavoyards auront reconnuleur roman familial : la com-munauté juive d’Avenchespasse par les stades classi-ques de toute immigration.

Yvan Dalain incarne lui-même cette trajectoire assimi-latrice, inconcevable pour lesantisémites raciaux commeRegamey. À tel point qu’on apu lire récemment ses prisesde position patriotiques dé-fendant le rôle humanitairede la Suisse pendant la secon-de guerre mondiale. Évidem-ment, cette exonération deserrements passés par un Juifa beaucoup servi certainsjournalistes. Son livre montrepourtant des réalités plusnuancées comme l’antisémi-tisme local ou la profonde an-goisse qui saisit cette famillejuive en juin 1940, lors de lachute de la France, et l’amena àchercher refuge dans les Alpes.

À échelle réduite, une l’histoire

de l’antisémitisme

Bien sûr, l’intégration ne vapas toute seule, et Dalainénumère diverses manifesta-tions d’agressivité. Cela vades remarques blessantes desenfants du village aux brima-des injurieuses que son pèresubit de la part de certains of-ficiers lors de son école de re-crues.

Déjà dans la deuxième par-tie du siècle dernier, l’attitudeavait changé, on constate desdécisions communales vexa-toires, comme le refus d’un ci-metière juif ou une tentatived’exclusion scolaire (pour évi-ter de payer un deuxième ré-

Un schtetl dans la Broye

Intérieur de la Synagogue d’Avenches, carte postaleÀ l’entrée, figurait une plaque : «Daigne bénir le peuple du canton de Vaud

ainsi que les peuples de la Confédération»

Carte postale du début du siècle : «De ses splendeurs des temps passés, / Avenches n’a rien conservéQue les murs de son vieux castel / Et quelques enfants d’Israël.»

sens le même effroi, auquels’ajoute un étonnement extrê -me. Comment se fait-il qu’onait tué pour Adolf Hitler danscette grasse ville sensée jus -qu’au cynisme ? Comment lenazisme a-t-il pénétré au do -maine madré des marchandsde tabac et de cochons? J’ima -gine Payerne aux mains d’ungaragiste botté. Les tibiascroisés ornent la casquette desratés qu’il galvanise. (…) L acroix gammée flotte sur l’Ab -batiale. On ratisse les rues, onbouscule les notaires et les pé -dagogues, on fusille à la Riol -laz. (…) Au lieu d’aller à Bo -chuz, certain pasteurmystico-obscurantiste est faitdocteur honoris causa. Onpend Ramuz, et Charles-Albert Cingria meurt dans uncamp de travail (…)» (4) Éton-nante est la conviction del’auteur quant à l’engagementpolitique qui aurait été celuide Ramuz et Cingria ; toutaussi remarquable est cetacharnement supposé des SSenvers les notaires et lesp r o fs; le plus frappant resteque, dans les souvenirs d’en-fance comme dans la réflexiona posteriori de l’écrivain, tou-te l’angoisse provient de for-ces extérieures (et métaphysi-ques, bien sûr). L’existenced’un antisémitisme local, en-dogène et non pas importé,apparaît comme inavouableau moment des faits, et restemanifestement inconcevablepar la suite.

De nos jours, l’amnésie et larestriction mentale sont enco-re de mise sur ce sujet. Parexemple, rendant compte,dans L ’ H e b d o du 31 octobre,de la très explicite thèse queRoland Butikofer a consacréeaux maurrassiens vaudois,Philippe Barraud trousse, surune page entière, un joli com-pliment à la mémoire de Mar-cel Regamey et à la gloire deson mouvement «original»,«singulier», «politiquementtrès incorrect», «toujours vi-vant». Touchante bluette pourdéputé au Grand Conseil vau-d o i s ! Et la haine raciale? En

près de 4000 signes, pas unmot de l’antisémitisme de Re-gamey et de ses compères,alors qu’il fut public, pro-grammatique et proclamé!

Dans les toutes dernièrespages, comme si Dalain avaitsoudain imaginé un autre li-vre, croisant deux problémati-ques, le narrateur se retrouvesoudainement à Jérusalemdans le rôle d’un Meursaultde parodie, assassin d’un Pa-lestinien. Malgré cette fic t i o nromanesque qui ne tient pasla route, Yvan Dalain nous li-vre un document de valeur.Les Lévy d’Avenches est un té-moignage de la trajectoired’une communauté immigréedans une région qui cultivejusqu’à l’imbécillité l’illusionde son homogénéité histori-que et culturelle.

C. S.

Yvain DalainLes Lévy d’Avenches

L’Aire, 1997, 221 p., Frs 32.40

(1) «Défie-toi du Juif !», in L aNation, septembre 1932.

(2) Christine Lauener, La commu -nauté juive d’Avenches : orga -nisation et intégration (1826-1 9 0 0 ), Fribourg, Institutd’histoire moderne et contem-poraine, 1993.

(3) «Billik vi borscht !», «Er frest via ferd !», «Er zol vaksen vi atsibeleh, mit dem kop indrerd!», les amateurs d’expres-sions imagées liront égalementavec ravissement Fred Kogos,A dictionary of yiddish slang& idioms, Citadel, 1995 et LéoRosten, Les joies du yiddisch,Livre de Poche.

(4) Jacques Chessex, «Un crime en1942», in Reste avec nous,Campiche, 1995, repris dansLe Nouveau Quotidien,3 octobre 1995.

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MARS 1998 LA DISTINCTION — 5

Nos amies les lettres vaudoises L'anti-roman fleuve

Nos amies les bêtes

Vrais professionnels

Telex, journal de la Fédération suisse des Journalistes/Verband Schweizer Journalistinnen und Journalisten, 20 déc. 1997

INUTILE de rendre comp-te ici des trois volumes dePoésie du plus grand écri-

vain de Ropraz, mais l’exem-plaire exercice critique qui lesprécède mérite de retenir l’at-tention. Je veux parler des«préfaces» de Christophe Ca-lame, sempiternel doctoranten philosophie et enseignantau gymnase.

M. Calame, dont l’œuvrecomplète, à ce jour, tientd’ailleurs principalement enpréfaces, a accompli une rudetâche: celle d’éterniser, enprenant la posture du savantautoproclamé, et notes de basde pages à l’appui, une œuvretout entière soumise aux mes-quines contraintes du pré-sent. Éterniser, rien de plusfacile, M. Calame disposepour cela de la bonne vieillerhétorique pastorale, si fami-lière en Suisse romande.

«J’ai effectué unesorte de retour ausacré : j’aime beau-

coup cette expressionde Christophe Calame

à mon sujet.»Jacques Chessex, TSR,

février 1998

Pour les amateurs d’enquêtes littéraires, M. Calame a eu la bonté defournir ses alibis et ses mobiles sur le site internet du gymnase de

Morges (http://www.unil.ch/CESSM/docs/Corps/Calame.html) Malheu-reusement, cette page n’a pas été mise à jour depuis décembre 1995.

Alessandro BariccoOcéan mersuperbement traduit de l’italien par Françoise BrunAlbin Michel, 1998, 275 p., Frs 30.40

Alessandro Baricco est la nouvelle coquelu-che des lettres italiennes et, comme tou-jours, l’édition française prend le train,mais seulement une fois qu’il est enmarche. Après un prix Médicis pour L e s

châteaux de la colère, après le succès en librairie de Soie, voicitraduit son premier roman.Océan Mer, au titre si beau, et redondant croirait-on, mais l’ex-plication en sera donnée dans le livre, procure d’ores et déjà lesentiment de magie auquel cet auteur nous aura, si l’on ose di-re, accoutumés. Dans sa fantaisie romanesque, Baricco donne àvoir un immuable cortège : des héros aux noms bizarres accapa-rés par des desseins qui défient le bon sens, la peinture minu-tieuse de paysages qui ne semblent pourtant habités que parles protagonistes eux-mêmes, une construction dont le désordren’est que provoqué pour mieux offrir rétrospectivement le plai-sir d’être tombé dans le piège d’une logique narrative sansmerci.«Que disons-nous lorsque nous disons : mer ? Disons-nous lemonstre immense capable de dévorer toute chose, ou cette vaguequi mousse à nos pieds? L’eau qui peut tenir dans le creux de lamain ou les abysses que nul ne peut voir? Disons-nous tout enun seul mot, ou masquons-nous tout sous un seul mot ?» s’inter-roge un des nombreux personnages. Océan Mer tente d’éluciderces doutes lancinants.Trois «livres» composent ce roman hors du temps. Le premierdresse le tableau des hôtes d’une pension située on ne sait où,«ce n’est plus la terre, et ce n’est pas encore la mer» ; le deuxiè-me, inspiré par le Radeau de la Méduse de Géricault, prend laforme d’une grande parenthèse et détaille un naufrage et sesterribles conséquences ; le dernier reprend la destinée des hé-ros, comme si elle dépendait de ce naufrage qui ne semblait pasles concerner.Passons sur la tragédie du radeau en perdition. À ce morceaude bravoure littéraire on préférera l’évocation des locataires dela pension Almayer, là où «la réalité s’évapore et tout se trans -forme en mémoire». Une pension tenue par des enfants sagaces,qui savent lire dans les rêves et anticiper les mouvements d’hu-meur de la mer, qui ont compris qu’il y a «trois sortes d’hom -mes : ceux qui vivent devant la mer, ceux qui vont sur la mer, etceux qui réussissent à en revenir de la mer, vivants».Les sept chambres sont occupées par des personnes ayant cha-cune un projet, presque une affaire de survie, qui les conduit àla mer. Des projets que Baricco expose longuement, et son ima-gination fait merveille. Des projets individuels qui débouchentsur des rencontres et sur des malentendus que dévoilera le troi-sième «livre».Plongeons-nous dans Océan Mer. Parmi d’autres personnages,on y fera la connaissance du peintre Plasson, las de la gloireque lui ont procurée ses portraits de notables et qui, désormais,«peint avec de l’eau de mer». Plasson se lie d’amitié avec un au-tre résident, le professeur Bartleboom, écrivain forcené, entreles lettres qu’il adresse à une fiancée qui n’existe pas encoremais qu’il attend et les pages d’une Encyclopédie des limites ob -servables dans la nature, avec un supplément consacré aux li -mites des facultés humaines. «Car, estime-t-il, la nature a uneperfection à elle, surprenante, et qui résulte d’une addition de li -mites.» C’est la raison pour laquelle Bartleboom passe des heu-res à observer les vaguelettes qui viennent mourir sur la plage,ce qui ne manque pas d’intriguer la belle Ann Devéria, femmeadultère exilée dans la pension Almayer, «mon mari pense quele climat de la mer assoupit les passions, et que la vue de la merstimule le sens moral». Bartleboom s’empresse de rassurer safiancée qui n’existe pas : sa jalousie serait sans fondements.Brisons ici l’énumération des résidents –tous attachants, cer-tains mystérieux– de cette pension qui vaut le détour. On peutêtre agacé par les fioritures stylistiques (voire typographiques)et par les hommages littéraires appuyés dont Baricco fait usa-ge. Quelle importance au bout du compte, face à tant d’inventi-vité. Voilà de l’authentique littérature d’évasion. (G. M.)

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Figaro, celle des courtisans del’Académie, celle enfin que lespetits précepteurs ont apprisà prier sous ce nom. Ser-viable, M. Calame situe doncpieusement notre poète enson sein. Mission à la mesurede l’Histoire, qui nous vautdes perles d’humour involon-taire. Ainsi, parmi d’autres:«Jacques Chessex sembleavoir réussi à garder l’équi -libre entre Breton et Mallar -mé.»

Le brûlant éloge de notrepréfacier, écrit –avoue candi-dement ce dernier– sous le re-gard bienveillant de l’immor-tel versificateur, ne sauraitmalheureusement faire ou-blier ce que trahit d’emblée lacouverture même des volu-mes, au demeurant assez élé-gants: notre auteur publie sespoésies (sont-elles déjà com-plètes?) chez le plus grandéditeur de la place d’Yvonand.

Précisons au besoin pour lelecteur que ce hameau est si-tué dans le Nord vaudois, etappartient à la Suisse franco-phone.

En y publiant son coffret depoèmes enrobé des précau-tionneuses préfaces, JacquesChessex fait publiquementpreuve d’une modestie prochede celle d’un autre régionalis-te, Rodolphe Töpffer, qui jus-tifiait ainsi son choix de nepublier qu’en province: « C ethéâtre me semblait et mesemble encore proportionné autout petit volume de ma voix.»

A. L.

Christophe Calame«Le Maître de l’obscur»,

«Le Retour au sacré», «Entre Tigre et Renard»,

trois préfaces à Jacques Chessex

Poésie I, II, III, Bernard Campiche, 1997,

1500 p., cher pour ce que c’est

Mais ces trois préfaces ontune seconde fonction, plusdiscrète et besogneuse: laverles taches des réserves faites,ce printemps, dans un essaiintitulé L’Imposture ou lafausse monnaie, sur la qualitéde l’«œuvre» romanesque deChessex. Le Journal de Genè -ve et Gazette de Lausanne (8-9mars 1997) n'a pas hésité àdire tout l’intérêt de cet essaiiconoclaste, au milieu du con-cert des louanges program-mées. Perdant toute mesure,le Mage de Ropraz s’est misen devoir de gifler les «rats»qu’il croyait voir partout alen-tour.

Mais revenons à notre mou-ton. M. Calame, dont le nomest étymologiquement prédes-tiné à former un adjectif adé-quat, a donc été chargé, entreautres menus travaux depolissage bio-bibliographique,de clore ces débats ches-sexiens par quelques salves–pédagogues et point troptigresques– sur beau papier,salves de circonstance contre«l’Université», contre ceux quicommentent «stupidement»–c’est-à-dire h i s t o r i q u e m e n t –Ramuz ou Chessex, bref,contre tous les non-encore-convertis à la lecture inspirée.On le sait désormais, JacquesChessex s’assimile à la «gran-de littérature» française dujour, celle que vous bricolentsur mesure Hector Bianciottiou André Brincourt du

LA tradition de la fablenarrant la vie des ani-maux pour mieux par-

ler des hommes remonte àfort loin. Esope, le NouveauTestament, Apollinaire, Kip-ling, Prévert et j’en oublie…

Par ce petit livre bilingueallemand-français, AxelHacke s’inscrit à rebrousse-poil dans le genre, en racon-tant avec causticité la vied’animaux pas forcément trèsp o p u l a i r e s : le carlin, le ha-reng, le caniche ou encore lec a f a r d : «L’histoire du cafardest l’histoire d’une grande ex -pédition chez l’homme, dansses caves, ses cuisines, ses pla -cards, ses téléviseurs, ses mi -

Plus je vois mon chien plus j’aime les hommes

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nistères de l’Intérieur… Etl’histoire de l’homme, c’estl’histoire d’une lutte implaca -ble, d’une lutte sans mercicontre cet ami modeste, effacé,mais d’une affection boulever -sante. Quelle autre bestiole,hormis notre blatte des cuisi -nes, tenterait si désespérémentd’approcher l’homme ? Et quelamour, hormis celui de lablatte, se verrait repoussé avectant de sécheresse et dehaine ?»

Michael Sowa, qui pour lemême éditeur avait illustréEsterhazy, un lièvre à Berlin,a peint pour chaque récit oupresque, une image, petit ta-bleau surréaliste ou l’on voit

par exemple un rollmops entrain de nager sous l’eau, con-templé bouche bée par uneseiche et un poisson.

Un livre drôle et profondpour les enfants, grands, trèsgrands, pour les vieux enfantsm ê m e ; mais cela aussi faitpartie du genre.

Allemagne - France, 1-0

C’est à un exercice sembla-ble que s’est attelé Jean-LouisFournier, et la comparaisonentre la manière allemande etla française est des plus frap-pantes. N’ayons pas peur desclichés, c’est un peu comme sil’on avait d’un côté Goethe etLenz, et de l’autre Diderot etCabu (le créateur inoubliabledu Grand Duduche et de MonBeauf). Pour exemple le coq etla poule. «La poule a un toutpetit Q.I. On peut dire sansexagérer qu’elle est conne,mais elle est bonne au riz.

Droit de réponse de la poule.Peut-être que je suis conne,mais c’est moi qui fais lespoussins et tout le tintouin. Jene peux pas compter sur le pè -re : il passa son temps à péro -rer au bistrot.

Réponse du coq : C’est ellequi voulait des poussins, alorsqu’elle ne se plaigne pas main -tenant!»

Le tout est plutôt amusantet les informations donnéessont justes sur le plan scienti-fique. Dommage que l’espritbeauf alourdisse par trop le

trait. «La carpe a une formed’endive aplatie. mais à la dif -férence de l’endive elle a desnageoires qui lui permettentde circuler dans l’eau. Commel’homme, la carpe a une tête.un tronc et une queue.»

Comme ça, à brûle-pour-point, c’est plutôt drôle, maisen grande quantité, ça de-vient un truc pas très subtil.Enfin, chacun ses goûts.

A.B.B.

Axel Hacke texte, Michael Sowa, illustration

La Vie des AnimauxL’Inventaire, 1997, 97 p., Frs 23.10

Jean-Louis FournierSciences naturelles et impertinentes

Payot, 1996, 217 p., Frs 28.60

Un impayable préfacier

Page 6: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

Bientôt à la TV

«Sling Blade» de Billy Bob ThorntonVoilà le film casse-gueule par excellence, puisqu’il raconte l’amitié en-tre un débile léger et un enfant malheureux. Si l’on ajoute que le débi-le, nommé Karl, était lui-même un enfant maltraité et mal aimé ;qu’à onze ans il a massacré à la faux (sling blade en anglais) sa mèreet l’amant d’icelle ; qu’après plusieurs lustres en asile, l’administrationle juge «guéri» et le renvoie sans autre forme de procès ; qu’il tombesur un gamin, orphelin de père, doté d’une mère généreuse, maisd’un «beau-père» méchant et violent : on pourrait craindre pire queRain Man et crier grâce, n’en jetez plus, la coupe est pleine !Et pourtant, ce film est différent. À commencer par le personnage deKarl, interprété par le réalisateur, Billy Bob Thornton (un acteur, vunotamment dans Dead Man, dont c’est la première réalisation). Men-ton proéminent, lippe tombante, voix d’outre-tombe, regard absent,démarche maladroite : on s’y fait avec peine, avant de découvrir quejustement, il en fait un minimum et qu’il ne tire pas la couverture à lui.En effet, Sling Blade dresse le tableau nuancé d’un patelin du fin fonddes États-Unis, décrivant avec une vraie tendresse, mais sans com-plaisance ni sentimentalisme, sa vie autour du seul «café» (un fast-food) et du seul magasin, et ses autochtones –obèses, paumés, rus-tres, imbéciles. Toutefois, malgré la médiocrité ambiante, on s’en sortsans trop de casse, car les personnages sont humains, et même,pour beaucoup, bons. S’il est une denrée rare dans le cinéma actuel,c’est bien la gentillesse, et ses différents avatars : indulgence, toléran-ce, amabilité, sensibilité… Autre singularité : Thornton prend sontemps, laissant son film s’écouler à un rythme calme, entre deux em-bardées, lorgnant presque vers le documentaire.Bref, on sort de ce curieux film avec le sentiment d’avoir échappé audésastre, voire avec un regain de foi dans l’humanité. (V.V.)

MARS 19986 — LA DISTINCTION

Comprendre les médias

Revues vues et lues

Woody Allen. À New York et dans tous ses états,Télérama hors-série, Frs 13.50Les fétichistes seront ravis de ce numérohors-série de T é l é r a m a qui recense, photos àl’appui, divers lieux de Manhattan queWoody Allen a marqués de son passage réel,légendaire, filmique ou familial. Le «Carlyle»où il joue du jazz tous les lundis (car en dis-tingués branchés vous saurez qu’il ne joueplus au «Michael’s Pub», fermé), le restau-rant «Carnegie Delicatessen» de B r o a d w a y

Danny Rose, les adresses d’appartements ou d’hôtels utilisésdans ses films, Brooklyn où il est né, Chinatown où se rend MiaFarrow en limousine à la recherche des poudres du Dr Yangdans A l i c e. Dans une interview, à la question «Qui souhaiteriez-vous être? », le réalisateur répond «Une éponge». Mais la tendancespongieuse de Z e l i g à s’imbiber d’un milieu, des habitudes deceux qui l’entourent, de devenir gros ou barbu comme son voisin,tendrait à s’inverser, comme en témoigne ce guide des lieux deWoody. Ce sont les rues de Manhattan qui ont fini par s’impré-gner de lui, ou plutôt de ses fil m s .Plus fort, on observe une tendance au détriplement dans sa fa-çon de produire ses films. T é l é r a m a s’est fendu d’un schéma dé-crivant sur trois niveaux le cinéaste en train de promouvoir lefilm qui va sortir, tourner le suivant et en écrire un autre. Sescollaborateurs et acteurs témoignent les uns de la longue expé-rience qu’ils ont de l’oiseau, les autres de leur brève rencontreavec ce type qui leur a parlé cinq minutes du rôle en regardantses chaussures avant de s’enfuir en taxi. (J. M.)

Le Virus informatiqueJ a n v i e r 1998, n° 5, 32 p., Frs 3.20Tout comme l’idolâtrie suscite l’iconoclas-me, l’adulation aveugle qui remplit les ma-gazines d’informatique devait finir par en-gendrer la critique la plus acerbe. Le petitVirus informatique ne contient que des po-tins malveillants, des anathèmes défin i t i f s ,des polémiques enflammées sur des sujetsaussi angoissants que les bogues du Pen-tium II ou les auto-incompatibilités de W i n -

dows 95. Vous l’aurez deviné, ce «trimestriel qui sort tous lesdeux mois» est entièrement voué à la dénonciation du démon, icibaptisé Micro$oft. Dans un but d’exorcisme probablement, ledernier numéro nous livre un portrait du cofondateur de l’entre-prise vouée aux gémonies, modeste sixième fortune du monde:épicurien philanthrope resté accro à la pop music, le dénomméPaul Allen nous est présenté comme l’«antithèse» de l’infâmeBillou Gates, ce qui ne dénote pas chez les auteurs une connais-sance approfondie de la dialectique hégélienne, mais bon pas-s o n s …Les utilisateurs de Macintosh liront tout cela comme unbouddhiste assisterait à une messe noire : sans se sentir vrai-ment concernés. Ils auront tort, car la présence croissante devers dans les machines ornées de la pomme mériterait elle aussiune sévère inquisition.Le Virus informatique est rédigé dans un esprit macho bien fran-chouillard, illustré par des adolescents impubères encore entrain d'hésiter entre la scatologie et l’érotisme commercial. Lamaquette est elle-même remarquable, tant l’encombrement detextes rédigés à l’emporte-pièce, le choix d’une titraille résolu-ment poubelliste (t r a s h y), une bichromie mal maîtrisée digne desannées quarante font ressembler cette petite revue, touchantedans ses intentions, au résultat des amours clandestines d’untypographe sénile de la Süddeutsche Zeitung et d’une punk hys-térique maquettiste d’un fanzine autonome. (M. M.)

Aujourd’hui que le téléphone(1) portable a disparu, il estdifficile d’imaginer l’enferqu’était devenue la société àla fin du XXe siècle. Cet ins-trument, au début fort utilepuisqu’il (2) permettait detromper l’ennui tout en évi-tant le curage méticuleux (3)des narines aux feux rouges,l’inhalation forcenée (3) de ni-cotine dans les salles d’at-tente des maternités, l’ab-sorption massive d’alcooldans les salles de garde (4), lefeuilletage compulsif (3) desmagazines chez le dentiste,avait peu à peu empoisonnéles bons moments de l’exis-t e n c e : pas un spectacle, pasun concert, pas un film qui nefût interrompu par des appelsintempestifs (5).On ne voyait pas comment lasociété aurait pu sortir decette impasse. Les tentativesd’interdiction dans les parle-ments sombraient dans le ri-dicule, les députés ayant prisl’habitude de consulter télé-phoniquement leurs électeursavant de prendre une déci-sion importante. Les journa-listes rendaient hommageaux restaurateurs, aux direc-teurs de salles, aux p r ê t r e squi avaient le courage deprendre des mesures de pro-tection électronique, mais lesclients évitaient leurs établis-sements (6). Les relations hu-maines tendaient de plus enplus à se limiter à des dia-logues téléportés. Et des in-dices inquiétants (3) commen-çaient à faire craindre pour lasurvie de l’humanité : mainagitée de spasmes en l’ab-sence de l’appareil, regardvague, disparition de l’odorat,appauvrissement du sperme,etc.Jusqu’au jour où eut lieu cequ’on appela par la suite leRing Bang et dont se souvien-nent sûrement les plus âgésde nos lecteurs (1). On n’a ja-mais réussi à expliquer scien-tifiquement (3) le phénomène,mais le fait est que le millionde personnes qui utilisaientun appareil portable le1 6 mars 1998, à 17h15 GMTexactement (3), furent frap-

Texte original

pées par un sifflement d’unetelle intensité qu’aucuned’entre elles ne survécut. Cer-tains y virent la volonté di-vine de punir ceux quiavaient pris l’habitude de sedétourner de leur prochainpour parler à leur lointain,d’autres le résultat d’un com-plot écologiste pour retrouverles vraies valeurs de proxi-mité, d’autres encore l’inter-vention anticipée des extra-terrestres humanophiles de« 2001 l’odyssée de l’espace (7).Les Gaëliens et les Témoinsde Génova prétendirent avoirannoncé l’événement depuislongtemps (8).Quelles que fussent les expli-cations, tout le monde cessaaussitôt et sans aucun regret(9) d’utiliser le téléphone por-table, comme si l’événementdonnait l’occasion de prendrela décision sage que l’on re-mettait toujours à plus tard(9). C’est ainsi que cette pro-thèse phonique que l ’oncroyait nécessaire à l’hommecivilisé fut abandonnée dujour au lendemain. Depuiselle a rejoint le téléscripteuret le gramophone à pavillonau musée des inventions (1).Les anciens se souviennentque Construire paya un lourdtribut à cette libération so-ciale. Joël Guyet et MichelDente furent parmi les vic-times de ce jour mémorable.Ironie du sort, ils se félici-taient précisément, au mo-ment de l’onde mortelle, decette invention merveilleusequi leur permettait de discu-ter à distance de certains dé-tails rédactionnels tout en sa-tisfaisant des besoins natu-rels (10).L’événement eut aussi desconséquences plus inatten-dues. C’est de cette époqueque date par exemple la pre-mière vague de désaffectionpour la cigarette, comme siune explosion vengeresse ris-quait à tout moment de frap-per les fumeurs dans l’exer-cice voluptueux de leur vicepour les soustraire prématu-rément au cancer de leurchoix (11).

Aujourd’hui que le t é l é p h o n e( 1 ) portable a disparu, il estdifficile d’imaginer l’enferqu’était devenue la société àla fin du XXe siècle.

Utile au début,l ’ i n s t r u m e n t ( 2 ) permettait detromper l’ennui tout en évi-tant le curage méticuleux (3)des narines aux feux rouges,l’inhalation forcenée (3) de ni-cotine dans les salles d’at-tente des maternités, l’ab-sorption massive d’alcooldans les salles de gar (4)et le feuilletage pulsif (3) desmagazines chez le dentiste.Mais il avait peu à peu empoi-sonné les bons moments del’existence. P a s un spectacle,pa un concert, pa un film quine fût interrompu par des ap-pels intempestifs.On ne voyait pas comment lasociété aurait pu sortir decette impasse. Les tentativesd’interdiction dans les parle-ments sombraient dans le ri-dicule, les députés ayant prisl’habitude de consulter télé-phoniquement leurs électeurs.avant de prendre une déci-sion importante. Les journa-listes rendaient hommageaux restaurateurs, aux direc-teurs de salles, aux p r ê t r e squi avaient le courage deprendre des mesures de pro-tection électronique, mais lesclients évitaient leurs établis-sements. (6) Les relations hu-maines tendaient de plus enplus à se l i m i t a n t à des dia-logues téléportés, Et des in-dices inquiétants (3) commen-çaient à faire craindre pour lasurvie de l’humanité : m a i na g i t é e d e spasmes en l’ab-sence de l’appareil, regardvague, disparition de l’odorat,appauvrissement du sperme.etc.Jusqu’au jour du Ring Bang !où eut lieu ce qu’on appelapar la suite dont se souvien-nent sûrement les plus âgésde nos lecteurs. (1) On n’a ja-mais réussi à expliquer scien-tifiquement (3) le phénomène,mais le fait est que le millionde personnes qui utilisaientun appareil portable le16 mars 1998, à 17h15 GMT,e x a c t e m e n t ( 3 ) , furent frap-

Texte anesthésié

pées par un sifflement d’unetelle intensité qu’aucuned’entre elles ne survécut. Cer-tains y virent la volonté di-vine de punir ceux quiavaient pris l’habitude de se détournent de leur prochainpour parler à leur lointain,d’autres le résultat d’un com-plot écologiste, pour retrou-ver les vraies valeurs deproximité d’autres encore l’in-tervention anticipée d ’e x t r a -terrestres humanophiles.de « 2001 l ’odyssée del ’ e s p a c e » Les Gaëliens et lesTémoins de Génova prétendi-rent avoir annoncé l’événe-ment depuis longtempsQuelles que fussent les expli-cations, tout le monde cessaaussitôt et sans aucun regretd ’ u t i l i s e r le téléphone portable.comme si l’événement don-nait l’occasion de prendre ladécision sage que l’on remet-tait toujours à plus tard (9).Ainsi fut abandonnée cette pro-thèse phonique que l’oncroyait nécessaire à l’hommecivilisé.

2) Les subordonnées ne conviennentguère au niveau d’instruction de notrelecteur(trice) moyen(ne).3) Pendant les cours, on nous a assezrépété d’économiser les adjectifs et depourchasser impitoyablement les ad-verbes en -ment…4) Trois exemples suffisent. Suppri-mons celui qui fait allusion à la sur-consommation d’alcool. On ne com-

s’agit de salles de garde d’hôpitauxou de casernes. Pas question que l’onnous soupçonne de soupçonner le

corps médical d’ivrognerie!

5) Comment peut-on imaginer que

dans un journal, pas dans un roman descience-fiction.

1) Inutile de respecter la vraisem-blance pour le lecteur du futur. On est

prend d’ailleurs pas très bien s’il

Texte original Texte anastasié

nos lecteurs arrivent au bout d’unephrase de près de 500 signes ? Ilfaut bien sûr diminuer le nombre demots et augmenter le nombre dephrases.

6) Pas d’allusion au métier de jour-

naliste, surtout quand le passagemet en doute l’influence des jour-naux sur les lecteurs.7) Pas d’allusions littéraires ou ciné-

matographiques. Elles pourraient êtreressenties par le lecteur comme unefaçon de se moquer de son igno-rance. Ou alors seulement de livresou de films dont on dit précisémentle bien qu’il faut en penser dans larubrique culturelle du même numéro.8) La religion est un sujet tabou. Etsi ça se trouve, les adeptes de cesdeux sectes se servent à la Migros.Peut-être même ont-ils la carte Cu-mulus.9) Des faits. Seulement de faits. Parrespect pour nos lecteurs, pas decommentaires psycho- ou sociolo-giques.10) La déontologie exige que l’onne mette pas en cause les journa-listes, et surtout pas ceux du journaloù paraît l’article. D’ailleurs s’ils’agit du mour, euh, attendez que jev é r i fie l’orthographe dans le Guidedu journaliste romand, m.o.u.r,m.o.u.r.e, m.o.u.r.r.e, y a pas, cu-rieux, bref s’il s’agit du mour, il estdéplacé. Les allusions scatologiquesne sont tolérées que dans la publi-cité pour le papier hygiénique. Ti-rons la chaîne.11) Impossible de se moquer desvictimes du tabagisme dans le jour-nal de la Migros. On pourrait nousreprocher de profiter un peu facile-ment du fait qu’elle ne vend pas en-core de cigarettes. De toute façonce paragraphe est hors sujet.

Le Centre de Recherches Périphériscopiques a été invitépar la rédaction lausannoise de C o n s t r u i r e à participer àun dossier sur le téléphone mobile. Le CRP’ fournirait untexte «contre» et l’hebdomadaire gratuit du capital à but so-cial ferait de la publicité pour les deux autocollantinatels,«pub qui devrait valoir beaucoup de commandes vu notretirage important».Résultat :• Le texte a été réduit de moitié par la rédaction de Lau-

sanne puis amputé du dernier paragraphe par celle deZurich.

• La publicité a été limitée à l’autocollant «interdicition deportable» sur injonction de la rédaction zurichoise.

Quant aux commandes, elles se sont réparties de façon par-faitement égale entre privés (deux) et institutions (La Bi-bliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et l’Offi-ce des poursuites de Monthey).Profitons-en pour mieux comprendre le travail fascinant dujournaliste-hygiéniste chargé de nettoyer les textes pourqu’ils conviennent à l’idée qu’il s’est fabriquée du lecteurmoyen, à la fois inculte et susceptible, pour justifier sonautocensure vis à vis de l’éditeur. Pour cela il suffit de met-tre en regard un texte et sa réduction, ensuite on essaie deretrouver les principes de salubrité qui l’ont déterminée.Dans les colonnes impaires on trouve le texte original, dansles colonnes paires le texte expurgé qui a paru dansConstruire du 20 janvier 98. Les appels de notes renvoientaux explications sur fond gris qui occupent les espaces cen-surés d’au moins une ligne. (Sch.)

La publicité pour cet autocol-lant était prévue par la rédactionde Lausanne. Elle a été refusée

par la rédaction de Zürich. L’autocollant est en vente dans

toutes les bonnes librairies Basta!

▲ Tel que paru dans Construire.

Un séjour à la CleaniqueConstruire

Page 7: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

Tableau 2 : les premiers prix

EN cette période de dé-flation rampante, nousavons voulu voir com-

ment optimiser les achats parcorrespondance. Le consom-mateur conscient s’efforcerade réduire les pertes dues auxlimites imposant des com-mandes minimales ; il ne com-mandera que les articles lesmoins chers de chaque cata-logue.

En effet, la plupart des mai-sons de vente par correspon-dance imposent un montantminimum de commande :Frs 35.– pour Vedia, Home &Hobby et Kays (nous porte-rons plus particulièrementnotre attention sur cette der-nière entreprise ci-dessous).Cette exigence n’existe paschez Ackermann, au vu desdeux catalogues d’articles (ha-bits mini-prix et objets deNoël) récemment distribués.(voir tableau 1, liste des arti -cles les moins chers selon lesdifférents catalogues)

L’exemple du catalogue Kays

Pour démonter les mécanis-mes sous-jacents à ce systèmede montant minimum, nousavons repris tous les prix dudernier catalogue reçu (Kays).Entre les feuilles d’autocol-lants de Noël à Frs 9.95 et lesalon complet à Frs 1499.–,cet ouvrage présente des piè-ces de lingerie féminine, decuisine, d’hygiène, quelquesarticles pour la maison ausens large et, bien sûr, lesjouets et articles de décora-tion de Noël. La limite deFrs 35.– a fait que nous avonsporté notre attention sur lesprix inférieurs à cette sommeen essayant de les combinerde manière à avoir le pluspetit dépassement possible(Voir schéma : l ’ o r g a n i g r a m -me du choix optimal) Cette re-présentation de la décisiond’achat nous montre commenttrouver la combinaison laplus favorable, et ceci quelque soit le vendeur.

MARS 1998 LA DISTINCTION — 7

Page Prix Déjà dépenséplus de

25, 27, 41, 43 9.95 25.0525, 33, 37, 45 12.95 22.0525, 27, 43, 45 14.95 20.0531, 33, 45, 49 16.95 18.0525 17.90 (2*8,95) 17.103 19.00 16.0021, 23, 25, 27, 31, 33, 35, 37, 43, 45, 49 19.95 15.0531, 41, 43 22.95 12.0523, 25, 27, 29, 31, 33, 35, 43, 45 24.95 10.0525 26.85 (3*8,95) 8.1543, 49 26.95 8.0521, 23, 25, 27, 29, 31, 33, 35, 37, 43, 45, 49 29.95 5.0543 32.95 2.0525, 27, 29, 33, 35, 45 34.95 0.05

Le monde fascinant de la consommation

Tableau 1 : liste des articles les moins chers selon les différents catalogues

Catalogue Montant Premiers prix Conditions spécialesminimum (n° de page)

VEDIA(octobre 97) Frs 35.– Frs 3.–

(p. 188)HOME & HOBBY(septembre 97) Frs 35.– Frs 4.95 Frs 3.95 par 4 pces (p. 36 à 39)

(p. 20) ou Frs 1.95 par 50 pces (p. 56)KAYS(automne hiver 97/98) Frs 35.– Frs 9.95 Frs 8.95

(p. 24, 27, 41, 43) (p. 25)

Vous avez choisi un article dans le catalogue Vedia, par exemple celui de la page 111 à Frs 29.95. Il vous faut donc encoretrouver des articles pour un montant de Frs 5.05. Vous pouvez bien sûr les trouver en feuilletant le catalogue, mais notretableau exclusif révèle ici son utilité : deux fois l’article le moins cher (Frs 3.–), ce qui fait Frs 6.–.Résumons-nous, nous avons Frs 29.95 + Frs 3.– + Frs 3.–, ce qui donne Frs 35.95. Nous constatons un dépassement de95 cts. Dans cet exemple, nous voyons clairement qu’il n’est jamais possible de parvenir exactement à la somme minimaleexigée.

Schéma 1 : l’organigramme du choix optimal

En vous servant de la colonne «Prix», vous choisissez les sommes qui pourrontcompléter l’achat jusqu’à obtenir les Frs 35.– fatidiques. Il ne vous reste plusqu’à aller voir les articles proposés à la colonne «page». La troisième colonnen’est là qu’à titre indicatif, elle résulte de la soustraction du chiffre de la colonne«prix» à la somme limite.Un exemple sera certainement plus parlant : nous choisissons dans le catalogueKays les si chouettes bas à Frs 19.95 de la page 23. Il nous reste à dépenserFrs 15.05. Nous sommes donc contraints d’utiliser la somme minimum la plusproche, qui est de Frs 16.95 (colonne «prix»). L’article correspondant à cettesomme se trouve à la page 48 (bien sûr, le tableau indique page 49, mais–rappelez-vous– cette colonne fait référence à la double page). Voici deux char-mantes assiettes de naissance ou de mariage, vendues avec un feutre indélébi-le pour l’inscription des prénoms, qui compense largement le fait qu’elles nesont que purement ornementales et pour un surplus –on croit rêver– de seule-ment Frs 1.90. Certes, nous aurions pu préférer un objet moins cher, parexemple l’article à Frs 12.95 de la page 36 (un mignon mini-globe porte-crayons), mais il nous aurait encore manqué Frs 2.10 pour atteindre l’objectif.Un des articles à Frs 9.95 n’aurait pu corriger le tir qu’au prix d’une grave erreurde consommation ( dépassement de Frs 7.80–).

En nous servant d’un ta-bleur, nous avons collectédans le catalogue Kays tousles prix inférieurs au montantminimum exigé, avec l’indica-tion des pages où ils se trou-vent (voir tableau 2, les pre -miers prix). Chose curieuse :des trois catalogues, c’est leseul à proposer des prix ensomme ronde ou qui finissentpar 95 centimes (le fameuxprix «psychologique»). Cer-tains articles peuvent être

achetés en lots avec une remi-se, comme ces «décors de fenê-tres pour les fêtes» à Frs 9.95seul et Frs 8.95 «dès 2 piècesau choix». Nous pourrionsdonc considérer selon ces ter-mes que, si nous en prenionstrois pièces, elles nous coûte-raient chacune Frs 8.95 pourun total de Frs 26.85. Or iln’en est rien : pour cet article,en lisant Frs 8.95, il faut com-prendre bien sûr Frs 17.80.Ces astuces commerciales,

bien que courantes, sont pourle moins trompeuses ici.

Pour faciliter la lecture dutableau, nous n’avons cité queles pages impaires, ainsi laréférence à la page 21 peutaussi bien signifier à lapage 20 qu’à la page 21. Il estvrai que quelquefois nous au-rions eu de la peine à biendistinguer la page, puisquel’objet peut être sur deux pa-ges, ou être séparé du descrip-tif et du prix.

En conclusionNous ne saurions que re-

commander l’utilisation del’ordinateur, surtout avec lespossibilités offertes par unlangage de programmationcomme Javascript pour Inter-net, afin d’optimiser lesachats par correspondance.Les bénéfices réalisés aumoyen de l’ACAO (achat as-sisté par ordinateur) sont telsque cette machine, qui ne fi-gure dans aucun catalogue,n’en demeure pas moins dé-terminante pour l’avenir devotre porte-monnaie.

C. M.

Faits de société

Encore une fois, l'État de Vaud traite les femmes comme des potiches!

Exposition

(Annonce)

Galerie Basta !Petit-Rocher 4

Lausanne

La Lumière TransmisePhotographies de la natureprises à contre-jourpar G Peter Winnington

Du 2 au 28 mars 1998

Que choisir pour que j’achète mieux?

Page 8: Samedi 28mars 1998 de 14h00 à 16h00 - Distinction«Strcˇ prst skrz krk!» (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 14 mars 1998 paraît six fois par an onzième année P

MARS 19988 — LA DISTINCTION

20. 8. (suite)

Avec Abdul Amad, notre infirmier, on a de chouettesdiscussions. Il me fait bien rire. Il ne parle que farsimais à quelques mots près, je comprends tout. Il aime-rait venir en Europe ! Ça me fait sourire. À voir com-ment il se débrouille aussi bien avec les hommes qu’avecles femmes, je me dis encore une fois que nous sommesinutiles ici. Amère constatation. Il faut pourtant êtrejuste : si nous n’apportions pas de médicaments, person-ne ne pourrait rien faire ici. Mais une personne ou deuxsuffiraient amplement.

Abdul Amad s’est fait arrêter deux fois par les soldatsde Babrak. Il a été retenu une fois pendant une semai-ne, l’autre pendant quatre semaines. Il a été torturé àl’électricité. Il m’a montré ses orteils tous marqués.C’est impressionnant. Il m’a demandé ce que les Russesferaient s’ils m’attrapaient. Je lui ai répondu que sûre-ment on nous tuerait, le fait de nous garder prisonniersleur causant trop de problèmes (quatre nationalités dif-férentes). Il a été très impressionné et a été le répéter àtous les mudj. Il m’a fait tirer une balle avec sa kalach.Beaucoup de bruit cet engin-là !

Je pense au retour. À nouveau vingt à trente jours demarche. Quelle folie. Je me souviens des premiers joursdu voyage. C’était terrible. Se lever à quatre heures dumatin, puis thé et départ avec les pieds pleins de clo-ques, en sang et pas de possibilité de s’arrêter et d’at-tendre. Continuer coûte que coûte, avec ces douleurslancinantes, sous un soleil brûlant dès six heures dumatin en sachant que jusqu’au soir on allait marchersans repos ou presque. Je vous le dis, il faut avoir la foipour faire une chose pareille. Jamais je n’aurais fait çasi on m’avait forcée à le faire. Et refaire tout ce trajet ensens inverse, dans le froid de l’hiver !

21. 8.

Il y a exactement un mois qu’on a ouvert l’hôpital. Çatourne assez bien. Grande surprise hier, alors que le sa-medi d’habitude c’est bourré. J’ai vu deux femmesl’après-midi et Abdul Amad n’en a pas vu plus d’une di-zaine le matin. Les gens se rendraient-ils compte qu’ilsne sont pas vraiment malades, en tout cas moins mala-des que nous parfois? On s’est pris la tension avec Phi-lippe, on peut ne pas être en forme. Il a 80 sur 50 et moi90 sur 50. Ne nous étonnons pas si la tête tourne et lesjambes sont en coton.

Ce matin, plus de monde, 18 femmes. Le gosse de lagreffe du doigt est venu. La greffe n’a pas bien pris mal-heureusement. Moi j’ai revu plusieurs tuberculoses enbonne voie. Ça fait plaisir de voir que quelques person-nes prennent leur traitement au sérieux. Pour les au-tres, c’est souvent n’importe quoi. Ils reviennent aprèstrois jours et ils ont fini leurs antibiotiques qui étaientprévus pour dix ! Ça fait devenir fou ce genre de gens.

J’ai appris à compter en farsi, de droite à gauche.Les espions de Faisabad ont été arrêtés. L’un deux por-

tait un plan de Shel-i-Khurd, avec notre chambre, l’hô-pital, la maison des mudj. Un autre avait un talkie-wal-kie. Ça fait froid dans le dos tout ça ! Un a essayé des’enfuir, ils l’ont descendu à la kalach.

Bien dormi après avoir pris un petit calmant. Sinon, jem’agite et je dors peu.

22. 8.

Feda est parti pour deux jours dans sa famille. Un au-tre cuisinier, l’ancien de Bassir, nous fait à manger–très bien, d’ailleurs.

Ce matin, peu de travail, 26 femmes, quelques-unes re-viennent, d’autres sont des nouvelles. Ça se passe touttranquillement, c’est bien. À 11 heures, boulot terminé,on va à la rivière, je fais un peu de lessive puis dîner–poule, pour ne pas trop varier.

Maintenant, on se repose. Une boîte de lait condensérusse, tout va bien. On a nettoyé la chambre, cela faitdisparaître les mouches pour un moment. On a com-mandé deux c h a p a n à Faisabad, manteaux de couleuraux manches très longues. Je m’en ferai une robe dechambre en coupant les manches. J’ai reçu mes calouch,genre de caoutchouc noirs que tous les gens portent.Elles sont un peu grandes, mais pratiques, bien que çam’ait entamé les chevilles des deux côtés. C’est les Rus-ses qui fabriquent ça pour les Afghans.

Hier à Jansun, tout près d’ici, il y a eu un très grosbombardement et trois cents Russes à pied. Deux Rus-ses tués et donc deux kalachnikovs prises et vingt-qua-tre vaches tuées. Les mudj sont sains et saufs. Pour ladéfense d’ici, il n’y a qu’une dachaka, mais les mudj fontcourir le bruit qu’il y en a cinq! Ça décourage toute atta-que! (Quelle naïveté ! Mais je crois qu’il n’y avait pas queles mudj qui s’accrochaient à cette idée).

Deux personnes cet après-midi, c’est tout. Notre opéréde l’appendicite se porte comme un charme. Miracle duciel –vraiment, c’est incroyable, avec la péritonite qu’ilavait, il aurait dû mourir. Il nous a apporté une vingtai-ne d’œufs et des concombres. Chaque jour, les cadeauxaffluent maintenant. Colliers d’amandes ou de pista-

ches, œufs durs ou crus, pommes, poules, les gens sont,paraît-il, très contents de nous. Il ne manquerait plusque ça ne leur plaise pas ! On distribue des dawas «mé-dicaments» à tour de bras.

Une femme m’appelle par la fenêtre, je n’entends rien,j’ai le walkman sur les oreilles ; elle veut sûrement despilules. On n’est jamais tranquilles. Philippe vomit parla fenêtre. Il est bien malade. C’est celui de nous qui a leplus perdu de kilos, au moins quinze. Il est devenusquelettique. Les autres doivent avoir pris le chemin duretour depuis Teshkan. Je me réjouis de les revoir etsurtout d’avoir des nouvelles des autres. Peut-être vien-dront-ils avec le médecin supplémentaire qui normale-ment devrait nous apporter du courrier. Si seulement.Je rêve presque toutes les nuits que je reçois enfin desnouvelles de la famille. Jamais de ma vie entière, jen’aurais cru qu’elle me manquerait tellement. Ces jourscomme aujourd’hui, où il y a peu de travail, le tempspasse tellement lentement. Je ne crois pas avoir autantattendu un jour comme celui du retour à la maison.

23. 8.

Nouvelle belle journée. Six heures, je suis prête de-bout, dehors. Philippe a vraiment toujours de la peine àdécoller. Je dois dire que s’il n’y avait pas le travail, j’au-rais bien dormi encore un peu, mais non, il faut se lever.

Hier en fin de journée, des chevaux caracolants montéspar des femmes en chadri sont passés. Il y aura du mon-de ce matin.

Peu de travail, dix femmes. Il est neuf heures, le tempspasse trop lentement ici. Cinquante-huit jours encore !Merde alors !, si on pouvait bouffer les jours plus vite.

À 11 heures, on a tout fermé quand arrive un gosse quia reçu un coup de corne de vache dans les testicules. Oncroit d’abord que c’est une hernie, mais la peau est toutedéchirée et le testicule gauche est devenu énorme. Niune, ni deux, on endort le gosse au Katalar et on prépa-re tout. On recoud, cela prend une petite heure. On luidonne des anti-inflammatoires, des antibiotiques et desanalgésiques. On s’en est très bien tirés. Philippe a cou-su une partie, moi le reste, beau travail. Le gosse dortencore dans la chambre à côté, son père est là, tout vabien. Heureusement que ce n’était pas une hernie ! Ou-vrir un abdomen est encore pour nous du domaine del’infaisable.

Après-midi calme, quelques femmes de Faisabad, quiont entendu parler des médecins français ! Je suis assisesur le bord de la fenêtre, je fais des photos, il se passeplein de choses sous les fenêtres. Les femmes ont faitune énorme poterie qu’elles cuisent maintenant avec desc h a p a k s, ces galettes de merde. Elles l’ont complète-ment recouverte et attendent qu’elle se sèche. Le gosse àcôté va bien, il dort par intermittence.

Bonne nuit, à part un fort tremblement de terre quim’a réveillée brusquement à cinq heures. Ça secouebien, les poutres craquent, la poussière nous recouvred’un fin voile gris.

24. 8

Il est 6 heures et quart, je suis sur le balcon où l’onmange maintenant, on a vue sur tout le carrefour. Lesanimaux passent, chèvres et vaches, ânes qui montentpaître et chercher la paille et le blé coupé sur les col-lines.

Bon boulot, 26 femmes (ça tourne toujours autour de cechiffre). Philippe m’appelle pour un type, il a sur l’épau-le droite une énorme excroissance. Je le persuade decommencer une opération et on y va. Il bosse un mo-ment seul, puis quand j’ai fini avec les femmes, je m’ymets aussi. Trois heures pour sortir un énorme kyste deplus de deux kilos. Ça fait une belle cavité. Philippe estcrevé, je recouds la plaie longue de vingt centimètres,j’ai fait des photos. On se débrouille vraiment bien,maintenant les deux. Le gosse des testicules ouverts vabien, il n’a pas mal et somnole avec son père dans la piè-ce à côté.

Feda est revenu, amenant des lettres de Teshkan etune boîte de BCG (Nous étions supposés entreprendreune campagne de vaccinations…) Ils vont bien, la lettrea croisé Paul et Marjolaine, elle est datée du 10 a o û t .Quatorze jours pour venir ici !

Saïed Jemeludin qui, il y a un mois, devait partir pourPeshawar avec notre courrier et un télex pour Paris,n’est pas encore parti. Les nouvelles de juillet et d’aoûtarriveront toutes en même temps en Suisse, quelle ga-b e g i e ! J’espère que les parents ne se font pas trop desouci pour moi.

La vie continue ici paisiblement. Je suis allée me laverà la rivière, comme tous les jours. Je me repose mainte-nant, il est deux heures vingt. À trois heures, retour àl’hôpital pour travailler à nouveau. Vivement que lesautres reviennent pour qu’on puisse un peu se reposer,Philippe et moi. Je pense qu’ils seront archi-crevés parle voyage et peut-être que ce sera plutôt eux qui se repo-seront ! À voir !

J’ai commencé la lecture du C o r a n, c’est très intéres-sant, pas mal compliqué, aussi.

J’ai rêvé que j’étais sous la banquise, que je nageaisvers un trou fait par les eskimos pour pêcher. Au mo-ment où je sortais la tête pour respirer, je me trouve enface de deux ours blancs qui tendent leur patte énormeet griffue pour m’attraper. Je dois replonger, mais je n’aiplus d’air dans les poumons et je cherche un autre trou.Seulement, ce qu’il y a d’horrible c’est qu’il n’y a pasd’autre trou et que je me sens mourir étouffée, avec latête qui éclate sous la pression de l’eau. C’était atroce.

Que dirait Monsieur Sigmund Freud devant un tel rê-ve? J’aime mieux ne pas le savoir. Ça vaut mieux pourma pauvre tête.

Je me réjouis de rentrer, nom d’une pipe, quel piedquand je toucherai le sol de la France, puis celui de laSuisse. Fabuleuse impression de revenir d’un mauvaisrêve ! Se secouer, se pincer et se dire que ce n’était qu’uncauchemar, que c’est fini, que tout va bien, maintenant.Et ces tremblements de terre, ce soir. J’imaginais quel’Europe avait été secouée en même temps que nous,mais mille fois plus fort et que tout était détruit, toutela famille morte et moi qui n’en sais rien…

J’ai vraiment des idées noires, il faut que je m’arrête làpour ce soir. D’ailleurs, le stylo est en train de baisserde l’aile, plus de carburant pour aider aux délires del’esprit et de l’écriture. Bonne nuit, eh cong !

Les Russes devaient savoir que nous étions dans lamosquée près de la rivière, car j’ai appris que le jour oùils nous ont bombardés, ils ont complètement détruit lamosquée à coups de bombes, croyant que nous y étionsencore. Une demi-heure de plus et nous y passions.

25. 8.

Six heures. À nouveau la diane. Je me réveille commeau son d’un réveil, toujours la première. Pas mal de tra-vail, bien régulier, trente femmes.

À dix heures et demie, opération d’un autre kyste qui,une fois décortiqué d’un côté s’avère être un gangliontout collé d’adhérences à la mâchoire. Là, je me retiresur la pointe des pieds et je referme sans rien enlever.Heureusement, la cicatrice est invisible sous la mâchoi-re et de plus j’ai fait de très jolis points en V.

Après, une femme arrive, qui parle de zakhm, blessu-re, abcès au rein. Je regarde ça et trouve un énorme ab-cès de la taille d’un gros melon. La croûte enlevée, mesdeux mains et un paquet de coton n’arrivent pas à endi-guer le pus. J’en remplis à ras bord trois boîtes de con-s e r v e ! Horrible et ça coule, ça n’arrête plus. Ça gar-gouille, Abdul Amad vient à mon aide. Ça laisse aprèsune grande poche flasque. Je lui fais un bon pansementrembourré, lui fais une gentalline intramusculaire ( u nantibiotique puissant) et lui donne des antibiotiques àhaute dose pour une semaine. Si cela recollecte (c’est-à-dire que la poche de pus se reforme) je mettrai une lamecaoutchoutée la prochaine fois.

Minna Bona

1983: Journald’Afghanistan

(suite)En 1983, pour Médecins sans Frontières, Minna Bona travaillesix mois dans une vallée afghane. Chaque jour, ou presque,elle note dans un carnet à couverture cartonnée gris-bleu cequ’elle voit et ce qu’elle vit : son Journal d’Afghanistan, quenous publions avec les commentaires nécessaires à sa compré-hension, mais sans grandes retouches…

«Pour la défense d’ici, il n’y a qu’une dachaka, mais les mudj font courir le bruit qu’il y en a cinq !»

(à suivre)