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Universität Potsdam Elisabeth Flitner Scolarit´ e des enfants d'immigr´ es en RFA : ebats et recherches first published in: Revue franc ¸aise de sociologie 33 (1992) 1, S. 33-48, ISSN 0035-2969 Postprint published at the Institutional Repository of the Potsdam University: In: Postprints der Universit¨ at Potsdam Humanwissenschaftliche Reihe ; 198 http://opus.kobv.de/ubp/volltexte/2010/4599/ http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de:kobv:517-opus-45998 Postprints der Universit¨ at Potsdam Humanwissenschaftliche Reihe ; 198

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U n i v e r s i t ä t P o t s d a m

Elisabeth Flitner

Scolarite des enfants d'immigres en RFA :debats et recherches

first published in:Revue francaise de sociologie 33 (1992) 1, S. 33-48, ISSN 0035-2969

Postprint published at the Institutional Repository of the Potsdam University:In: Postprints der Universitat PotsdamHumanwissenschaftliche Reihe ; 198http://opus.kobv.de/ubp/volltexte/2010/4599/http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de:kobv:517-opus-45998

Postprints der Universitat PotsdamHumanwissenschaftliche Reihe ; 198

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Elisabeth FLITNER-MERLE

Scolarité des enfants d'immigrés en RFA

Débats et recherches

RÉSUMÉ

Prenant comme arrière-plan la discussion française sur l'immigration, l'article étu­die le débat correspondant dans la sociologie allemande. Nous nous concentrons sur le devenir scolaire et les perspectives professionnelles des jeunes immigrés dont nous examinons les conditions politiques, économiques et familiales. Les principaux résul­tats de la recherche empirique de la décennie 1980-1990 sont présentés et la discussion théorique est restituée dans ses grandes lignes.

L'immigration en Allemagne

Sans jamais se définir comme pays d'immigration, la RFA mène depuis longtemps une politique d'immigration active. Des trois millions de réfu­giés de l'Europe de l'Est, de nationalité allemande, venus entre 1950 et 1960, deux millions et demi sont restés en RFA. S'y ajoutent, à partir de 1955 et plus encore dans les années 60, les immigrés des pays méditer­ranéens. Dès 1973, l'immigration d'ouvriers étrangers est interdite et à partir de 1983 leur retour est favorisé par des primes financières (jusqu'en 1986) et par des moyens juridiques (retrait du permis de séjour), en même temps que l'immigration d'Allemands d'Europe de l'Est est de nouveau encouragée (1).

(1) Le nombre d' immigrés venant de Roumanie, de Pologne et d'URSS qui, selon une définition de la loi fondamentale de RFA, sont de nationalité allemande, est passé d'en­viron 40 000 par an en 1980 à 380 000 par an en 1989 (Frankfurter Rundschau, 29 mars 1990). D'ici l 'an 2000 on attend encore entre 1,3 et 2 millions d'immigrés des pays de l 'Est (DIW, 1990). L'immigration en RFA est donc caractérisée par le fait qu'une très grande par­

tie des immigrés viennent d'Europe de l 'Est et que leur statut juridique ne les distingue pas des autochtones. Dans cet article nous écartons le thème de l'immigration allemande pour traiter uniquement de l'immigration de non-Allemands en RFA. Nous employons les termes « immigrés » et « étrangers » comme synonymes pour désigner la partie de la po­pulation résidant en RFA qui n 'a pas de pas­seport allemand.

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L'éducation dans la famille

A propos des attitudes et comportements éducatifs dans les familles im­migrées, les études directes interrogeant ou observant les différents mem­bres de la famille sont rares. Plus fréquentes sont les études qui constatent

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Le nombre d'immigrés étrangers résidant en RFA reflète ces mesures politiques. Il se multiplie par cinq entre 1961 et 1971, monte - à cause des réunifications de familles - à un maximum d'environ 4,7 millions en 1982 et redescend à 4,4 millions en 1985. Le Recensement de la population de 1987 n'en compte plus que 4,1 millions (correspondant à 6,8% de la population entière). Les mouvements migratoires sont toutefois beaucoup plus importants que ne le montrent les chiffres de la population résidente. Entre 1961 et 1985, environ 14 millions d'étrangers arrivaient en RFA tan­dis que 11 millions environ quittaient le pays. La fluctuation parmi les étrangers était donc énorme, fait important pour l'étude de changements au sein de cette population. Le constat éventuel d'une évolution ne peut pas s'expliquer par la seule «acculturation» sans tenir compte des pro­cessus de sélection : les hommes et femmes que l'on interroge en 1990 ne sont plus les mêmes que ceux qu'on a interrogés quinze ans auparavant.

Les politiques de l'immigration ont freiné cette fluctuation. Trois quarts des immigré(e)s vivant aujourd'hui en RFA y habitent depuis plus de six ans; environ 70% depuis plus de dix ans (König, Schultze et Wessel, 1986). Mais beaucoup d'entre eux n'ont qu'un statut résidentiel précaire. Les naturalisations sont rarissimes et le Jus soli n'existe pas en droit al­lemand.

Les chances d'intégration des immigré(e)s en général sont étroitement liées à la date de leur arrivée. On constate plus de signes d'intégration (mariages mixtes par exemple ou succès scolaire de la deuxième généra­tion) chez les premiers venus, les Italiens et les Grecs, que chez les Turcs dont l'immigration massive n'a commencé qu'une dizaine d'années plus tard. Derniers arrivés, les Turcs, qui forment le plus grand groupe d'étrangers en RFA, ont trouvé dans les années 70 un marché du travail beaucoup moins ouvert, une concurrence accrue avec ceux qui étaient déjà en place, i.e. des conditions d'intégration plus difficiles que leurs prédé­cesseurs.

En Allemagne, comme ailleurs, l'intégration scolaire de la deuxième génération est devenue un problème central et controversé qui a trouvé des solutions (ou des tentatives de solution) très variables dans les diffé­rents Länder et suscité des recherches et des réflexions de la part des sociologues. Nous esquisserons les principaux résultats de la recherche em­pirique de la décennie 1980-1990 et restituerons le débat théorique dans ses grandes lignes. L'exposé qui suit se limite à la seule ex-RFA, la situation dans les cinq «nouveaux Länder» étant encore largement inconnue.

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un problème donné chez un groupe d'enfants d'immigrés (par exemple échec scolaire ou troubles psychiques) pour l'expliquer ensuite par un sa­voir préalable sur les spécificités culturelles de l'éducation familiale et/ou par un conflit entre l'éducation familiale et l'entourage allemand. Auern-heimer (1988) résume les résultats de plusieurs études empiriques portant sur ce sujet en opposant un «familialisme traditionnel» restreignant l'in­dépendance des enfants, d'un côté, à un style éducatif moins « familialiste» d'encouragement à l'autonomie des jeunes, de l'autre. Le premier serait typique pour les familles immigrées. Il suppose que le « familialisme tra­ditionnel», i.e. une forte cohésion familiale et une soumission des intérêts propres de chaque individu aux intérêts communs de la famille entière, s'oppose à l'autonomie des jeunes et à leur orientation vers la réussite individuelle. Or, il n'est pas dit qu'un familialisme prononcé constitue un obstacle à la poursuite de buts individuels, scolaires ou autres. Bender-Szymanski et Hesse (1987) citent l'exemple du succès des enfants japonais dans l'enseignement aux USA pour illustrer leur contre-argument : les en­fants d'immigrés asiatiques auraient d'excellentes chances non pas malgré mais à cause de leur milieu familial collectiviste qui constituerait un meil­leur soutien pour leurs efforts que la famille individualiste américaine.

D'ailleurs, la notion de «famille traditionnelle» sert à expliquer tantôt les difficultés des enfants d'immigrés, tantôt leurs avantages relatifs. Une étude de troubles psychiques portant sur tous les enfants grecs qui habi­taient Berlin-Ouest en 1979 et sur un groupe comparable d'enfants alle­mands montrait des différences en faveur des enfants grecs : ils étaient moins «hyperactifs», moins «asociaux», moins souvent «émotionnelle-ment dérangés», souffraient moins de «difficultés de contact» et moins de « troubles psychosomatiques » que le groupe de comparaison (Steinhau-sen et Remschmidt, 1982). Pour expliquer ces données, les auteurs parlent des «forces protectrices» de la famille traditionnelle. Pousfka (1984) compare tous les enfants italiens et turcs de Mannheim, nés en 1965/66 et ayant vécu cinq ans ou plus en RFA, avec un groupe d'enfants allemands de milieu social semblable. Il trouve des troubles graves appelant une aide psychiatrique ou psychologique chez 26 % des enfants allemands, 22 % des enfants italiens et 18% des enfants turcs et conclut que les enfants d'im­migrés sont psychiquement plus stables que les enfants allemands. Il at­tribue ce résultat aux influences stabilisantes de la famille traditionnelle. Kreidt, Leenen et Gosch (1989) examinent les conséquences sur des enfants turcs de la séparation temporaire des familles lors de la migration. Ils constatent moins de troubles psychiques qu'ils n'attendaient et ils suppo­sent qu'un «facteur protecteur» agirait dans les familles turques: grâce à la cohésion et à la stabilité de la famille traditionnelle, une séparation temporaire serait moins traumatisante pour les enfants que dans une famille moderne...

La faiblesse évidente de ce type d'explications est leur caractère «ad hoc»; elles n'élargissent guère les connaissances de l'éducation pratiquée dans les familles immigrées, mais elles s'appuient sur un savoir préalable

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sur la culture des pays d'origine ou sur la famille traditionnelle. Jusqu'ici l'étude directe la plus ample sur l'éducation dans les familles immigrées est une enquête comparative auprès de 1 700 familles turques et alle­mandes (443 allemandes, 1 243 turques, dont 259 familles retournées en Turquie) (Nauck et Oezel, 1986). Les auteurs constatent que les familles turques préfèrent un style éducatif caractérisé par le « contrôle » et la « pro­tection tendre» alors que les Allemands préfèrent une «permissivité» vi­sant l'autonomie de l'enfant. L'assimilation en RFA induit des changements : les comportements (plus que les attitudes) des parents turcs se transforment en direction du style allemand. Attitudes et comportements varient selon la «valeur» que représentent les enfants. Si celle-ci est conçue en termes économiques-utilitaristes, leur devoir d'obéissance en­vers les parents est souligné; si elle est surtout d'ordre psychologique, c'est la permissivité qui l'emporte. Le passage, parmi les parents turcs, de la première position vers la deuxième peut s'expliquer, selon les auteurs, entre autres par l'assimilation rapide du comportement génératif ; les taux de natalité parmi les femmes immigrées s'approchent très vite de la moyenne allemande. Et plus le nombre d'enfants baisse, plus il y a des chances que, dans les conditions données en RFA, leur «valeur psycholo­gique» et le style éducatif correspondant prévalent chez les parents.

Le milieu familial est-il favorable ou défavorable à la réussite scolaire des enfants? Les éléments défavorables sont vite énumérés. La majorité des immigrés adultes parlent mal l'allemand ou ne le parlent pas du tout. Pratiquement tous ont passé leur scolarité à l'étranger et connaissent mal le système de formation scolaire et professionnelle en RFA. Enfin, la date d'arrivée de la famille souvent ne permet pas une scolarisation complète des enfants en RFA. Parmi les enfants d'immigrés, ceux qui ont pu commen­cer leur scolarité dans le pays réussissent mieux à l'école (les meilleurs étant ceux qui sont allés à l'école maternelle en RFA). Plus ils commencent tard leur scolarité allemande moins ils ont de chances de suivre l'ensei­gnement régulier et d'obtenir un diplôme (Esser, 1989).

A ces éléments potentiellement défavorables s'oppose, sur le plan de la motivation, l'intérêt marqué que les familles immigrées en général por­tent à la réussite scolaire de leurs enfants. Leurs ambitions dans ce domaine équivalent à celles de la moyenne allemande (Hopf, 1990 ; pour les familles grecques, cf. Hopf, 1987). La presque totalité des parents turcs interrogés par Herwartz-Emden (1986) souhaitaient une mittlere Reife (une sorte de bac - 1) ou un Abitur (bac général) pour leurs enfants, garçons et filles. L'ascension sociale de leurs enfants par l'obtention de diplômes scolaires et d'une formation professionnelle occupait la deuxième place (après le but économique) dans la liste des objectifs poursuivis par les migrants. Il semble que les mères attachent beaucoup d'importance à ce que leurs filles, elles aussi, obtiennent de bonnes chances de formation (pour les mères turques en RFA, cf. Herwartz-Emden, 1990; pour les mères italiennes en Suisse alémanique, cf. Ley, 1979).

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Le grand intérêt pour la réussite scolaire de la seconde génération s'ex­plique, selon Hopf (1990), par la sélectivité de la migration; il s'agit, chez les migrants, d'une population relativement jeune, entreprenante et bien formée qui traduit, pour ainsi dire, les projets liés à leur propre migration en projets scolaires pour leurs enfants, cette traduction visant soit une continuation directe de leur propre histoire migratoire vécue comme réus­sie, soit, au contraire, une compensation quand les buts individuels de la migration n'ont pu être atteints (2). Les souhaits des parents immigrés té­moignent de leur réalisme à l'égard du marché du travail comme de leur méconnaissance des chances objectives qu'ont leurs enfants dans les écoles allemandes. Leur disposition à apporter le soutien moral et financier né­cessaire pour une scolarité prolongée est grande. Ce qui leur manque (comme aux parents ouvriers allemands) c'est, entre autres, une connais­sance suffisante du système et des contenus de l'enseignement (surtout de l'enseignement secondaire) qui leur permettrait de donner le soutien quo­tidien concret dont profitent les enfants des couches moyennes allemandes. D'autant plus impressionnants sont les résultats scolaires de la seconde génération, qui se sont constamment améliorés au cours de la dernière dé­cennie.

Résultats scolaires

Compte tenu des difficultés et de l'insécurité auxquelles la plupart des enfants d'immigrés comme leurs parents étaient et sont toujours exposés, compte tenu aussi des ruptures fréquentes dans la carrière scolaire dues à la migration, il faut s'attendre à ce que leurs résultats scolaires restent en dessous de la moyenne allemande. En même temps, la composition de la population immigrée a beaucoup changé depuis les années 70 : nombreux sont ceux qui habitent et travaillent en RFA depuis longtemps et dont les enfants y ont fait leur scolarité entière. De plus, à partir du milieu des années 70, dans les Länder ont été réalisées diverses mesures de soutien pour les élèves étrangers (3).

(2) Oezerturgut-Yurtdas (1990) décrit un processus semblable de redéfinition de buts non atteints chez des mères turques.

(3) Les mesures prises varient beaucoup selon le Land. Elles se résument à cinq :

— pour les élèves qui ne peuvent pas sui­vre l'enseignement en allemand, les écoles obtiennent des heures d'enseignement supplé­mentaires pour l'enseignement de l'allemand et éventuellement le soutien dans d'autres matières ;

— lorsqu'elle accueille un nombre im­portant d'élèves étrangers, une école peut

créer des groupes d'apprentissage spécialisés pour préparer les enfants à leur intégration dans une classe allemande ;

— les écoles peuvent embaucher des en­seignants venant des pays d'origine des élèves pour assurer une partie de l 'enseigne­ment et pour servir d'intermédiaires en cas de difficultés entre étrangers et Allemands ;

— les écoles reçoivent des moyens sup­plémentaires pour acheter du matériel didac­tique adapté aux intérêts des enfants étrangers ;

— la formation continue des enseignants offre des séminaires spécifiques.

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(4) La Hauptschule mène à une sorte de CAP donnant accès à un apprentissage artisa­nal ou, plus rarement, industriel. Le diplôme de la Realschule, la mittlere Reife, donne ac­cès à des bonnes formations professionnelles dans l'industrie, dans l'administration et dans le secteur social/paramédical ainsi que la pos­

sibilité de continuer dans l 'enseignement général vers le bac général, possibilité qui est réal isée par environ un tiers des déten­teurs d'une mittlere Reife. Le Gymnasium correspond au lycée d'enseignement général, VAbitur donnant accès à tous les types d'en­seignement supérieur.

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Par rapport à l'école, la question d'être «intégré» ou non ne se pose pas puisque la scolarité est obligatoire pour tout enfant âgé de 6 à 16 ans résidant en RFA. Ils sont donc tous « intégrés » à l'école allemande, la bonne question étant seulement « o ù ? » et «comment?». Le sort scolaire collectif des élèves étrangers commence à ressembler à celui des Allemands. Cela ne signifie pas qu'ils aient les mêmes chances que la «moyenne alle­mande», mais cela signifie qu'ils prennent aujourd'hui dans le sytème sco­laire la place traditionnellement dévolue aux enfants d'ouvriers allemands.

Actuellement, les élèves étrangers constituent environ 11 % des élèves de l'enseignement général en RFA, tous Länder confondus. Une bonne moi­tié des élèves étrangers sont de nationalité turque. Les différences régio­nales et locales sont grandes : à Berlin-Ouest ou dans la Ruhr, il y a des écoles où plus des trois quarts des élèves sont des étrangers. En moyenne, à peu près la moitié des écoles non sélectives en RFA (enseignement pri­maire et primaire supérieur) accueillent entre 0 et 10% d'élèves étrangers, un quart entre 10 % et 25 %, un quart entre 25 % et 50 % ou plus (Baumert, 1990). Dans les écoles secondaires sélectives, les pourcentages sont consi­dérablement plus bas. Au niveau secondaire, à partir de la cinquième année scolaire (11 ans d'âge moyen), le système allemand est tripartite, se divi­sant en Hauptschule, Realschule et Gymnasium (4). Les élèves étrangers sont massivement sur-représentés dans la Hauptschule et sous-représentés dans les filières sélectives, i.e. la Realschule et le Gymnasium. Mais on observe un tournant dans les années 80 : en 1970 moins de 10 % des élèves étrangers du niveau secondaire allaient à une des écoles sélectives, en 1980, ils n'étaient toujours que 12%, mais 2 2 % en 1987 (Trommer, 1990). On reste loin d'une égalité des chances : en 1987 le taux correspondant pour les Allemands était de 4 3 % , donc presque le double. Pour le seul Gymnasium, on observe que la partie des élèves étrangers qui fréquentent l'école la plus sélective ne dépasse pas un tiers de la moyenne allemande : 10% des enfants étrangers y vont, contre environ 30% pour l'ensemble des élèves (Arbeitsgruppe Bildungsbericht, 1990, p. 203, p. 242), mais on observe en même temps que les chances des enfants étrangers se rappro­chent de celles des enfants d'ouvriers allemands et, pour certaines natio­nalités, les dépassent.

La tendance générale est illustrée par le développement en Nordrhein-Westfalen, le Land accueillant le plus grand nombre d'élèves étrangers. En 1980 encore, 47 % des enfants étrangers quittaient l'école sans diplôme, à la fin de la scolarité obligatoire. En 1987, ils n'étaient plus que 20% à partir sans diplôme, soit toujours le double de la moyenne en RFA (9 %)

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et quatre fois plus que parmi les seuls élèves allemands (5 %) - mais l 'é­volution est quand même spectaculaire. Autre exemple : en Bade-Wurtem­berg, en 1978, pas plus de 4 6 % des élèves étrangers de la Hauptschule n'arrivaient à décrocher le diplôme final, en 1986 ils étaient 8 3 % à l'ob­tenir (Trommer, 1990). Le troisième exemple concerne le cas le plus frap­pant constaté jusqu'ici dans la recherche ouest-allemande : à Berlin-Ouest (où 21,5% des élèves sont des enfants étrangers), environ 80% des élèves grecs ne suivaient que la Hauptschule en 1971. En 1988, ce n'était plus le cas que de 17% d'entre eux, tous les autres fréquentant des filières sélectives : 23 % la Realschule, 35 % le Gymnasium et 17 % la Gesamt­schule (lycée unique) (5), leur fréquentation du Gymnasium approchant de très près la moyenne allemande (Hopf, 1990). Le taux de lycéens grecs est suivi par celui des Italiens (29 %) et des Yougoslaves (26 %), celui des Turcs étant le plus bas (16%). La dimension et la rapidité du processus d'assimilation des carrières scolaires d'enfants grecs à Berlin est certai­nement exceptionnelle, même si des développements semblables s'obser­vent aussi dans d'autres régions, par exemple dans la Ruhr. Plus généralement néanmoins une tendance semblable apparaît dans d'autres Länder et pour d'autres nationalités. Baumert (1990) en vient à parler de la «nouvelle normalité de l'école multi-ethnique» (6).

L'expression est fausse en ce sens que la situation des élèves étrangers est loin d'être «normale» selon quelque critère que ce soit, mais elle té­moigne peut-être d'un nouvel optimisme parmi les chercheurs dont la «dé­formation professionnelle» est de trouver «a-normal» ce qu'ils ne comprennent pas et «normal» ce qu'ils arrivent à expliquer. En effet, on commence à bien connaître les conditions d'une amélioration des chances pour les élèves étrangers. Elles sont tout d'abord d'ordre politique.

En RFA, les Länder sont autonomes dans leur politique éducative, et on observe d'importantes différences entre eux, lourdes de conséquences pour les enfants d'immigrés. Ainsi la Bavière, gouvernée par la droite, favorise une double politique d'«intégration» et de «conservation de l'identité na­tionale» en vue d'un éventuel retour des élèves dans leur pays d'origine. Tous les enfants d'immigrés y reçoivent un enseignement bilingue, soit qu'ils se trouvent dans les mêmes classes que les enfants allemands et

(5) Les chiffres correspondants pour les élèves allemands à Berlin-Ouest sont : Haupt-schule 7 %, Realschule 16 %, Gymnasium 41 %, Gesamtschule 28 %.

(6) Le développement à Berlin-Ouest ressort du tableau suivant : Répartition des élèves étrangers de la septième année scolaire à Berlin-Ouest

sur les différents types d'écoles (en pourcentages)

Année HS RS G GS (lycée unique)

1980-81 46,6 15,6 15,0 22,8 1984-85 30,7 19,1 19,5 30,7 1988-89 24,8 21,1 21,1 28,8

Source : Baumert (1990).

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suivent un enseignement supplémentaire (d'environ 5 heures par semaine) dans la langue de leur pays d'origine, soit qu'ils se retrouvent dans des classes dites «bilingues» où la langue du pays d'origine est la langue d'enseignement régulière dans toutes les matières, l'allemand étant offert comme première langue étrangère. Passer de l'enseignement bilingue à l'enseignement normal est possible à la condition que l'enfant parle bien l'allemand, mais rare. A Berlin, les classes «préparatoires» pour enfants parlant mal l'allemand n'accueillent qu'environ 3 % des élèves étrangers; en Bavière, les classes «bilingues» en accueillent 2 8 % (Trommer, 1990). Au niveau secondaire, la ségrégation se poursuit : à Berlin, seulement 25 % des élèves étrangers restent à la Hauptschule (la moins prestigieuse), en Bavière ils sont 70 % {ibid.). Vivre en Bavière signifie pour un enfant d'im­migrés qu'il n 'a que des chances minimales d'aller au lycée.

Une deuxième possibilité de réussite scolaire peut être comptée au nom­bre des conditions politiques dans la mesure où elle dépend de décisions au niveau de l'administration scolaire. Une étude comprenant tous les ar­rondissements (urbains et ruraux) de RFA (sauf Berlin-Ouest et le Saarland) a examiné l'évolution de la répartition des élèves de niveau secondaire sur les différents types d'école entre 1976 et 1984 (Baker et Lenhardt, 1988). On aurait pu croire que l'afflux d'un grand nombre d'enfants d'im­migrés, élèves faibles, gonflerait les effectifs dans la Hauptschule, au bas de la hiérarchie scolaire. Si l'immigration amène un grand nombre d'élèves faibles, qui s'ajoutent aux mauvais élèves allemands, il devrait y avoir une croissance correspondante des effectifs dans les filières pour élèves faibles. Or il n'en est rien. Les effectifs des Hauptschulen restent stables, pour une raison très simple : plus il y a d'enfants d'immigrés qui arrivent dans les Hauptschulen, plus il y a d'élèves allemands qui sont admis dans des filières sélectives. L'afflux des enfants d'immigrés améliore les chances d'avancement pour les enfants allemands.

Un mécanisme semblable de substitution peut aussi agir en faveur des enfants étrangers. Entre 1976 et 1984, le nombre total d'élèves allemands du secondaire a baissé, pour des raisons démographiques, et plus il baisse, plus nombreux sont les enfants d'immigrés admis dans les filières sélec­tives. Plus le nombre d'élèves allemands baisse dans un arrondissement, plus les chances d'aller à la Realschule ou au Gymnasium sont grandes pour les enfants d'immigrés. Bien sûr il n 'y a pas de politique déclarée qui entendrait régler ce genre de corrélations. Sans entrer dans le détail, les auteurs les expliquent par un intérêt des institutions scolaires à main­tenir (ou augmenter) leurs effectifs. Si les institutions sélectives manquent de clientèle allemande, elles vont chercher leurs élèves ailleurs. Cet effet s'est avéré indépendant des politiques éducatives des différents Länder.

Ce que ces résultats ont en commun, c'est qu'ils mettent en cause les explications «culturalistes » de la situation scolaire des enfants d'immigrés. Les dates d'arrivée différentes selon la nationalité et selon la famille, les politiques éducatives variant d'un Land à l'autre, les politiques adminis-

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Société moderne et identité culturelle

L'identité culturelle de l'école allemande a-t-elle été transformée par l'arrivée des enfants étrangers? Les chercheurs sont d'avis divergents, comme il se doit. A ceux qui parlent d'une «nouvelle école» - multi-ethni-que et pluri-culturelle (Baumert, 1990; plus prudemment Leschinsky, 1989) - s'opposent ceux qui estiment qu'il n'y a pas eu de changement assez important pour parler d'une nouvelle identité (Baker et Lenhardt, 1988). Il est évident que l'école ne cesse pas d'être une distributrice de savoirs et de chances sociales, qu'elle ne cesse pas de fonctionner comme ses «fonctions sociales» le lui imposent, quand elle accueille des enfants de différentes nationalités. Mais, pour ne pas simplifier la question outre mesure, il faut considérer l'exemple des contenus. Que se passe-t-il quand les écoles allemandes commencent à enseigner la religion musulmane comme elles le font dans plusieurs Länder (7)? N'est-ce pas s'ouvrir à une particularité étrangère, turque dans ce cas précis? N'est-ce pas faire demi-tour sur le chemin de la modernité en s'adaptant aux revendications du traditionalisme musulman? Est-ce que les écoles allemandes se font un instrument du traditionalisme? Est-ce que leur «identité culturelle» est atteinte ?

En fait, on peut douter que cette identité soit en cause. Tout d'abord, l'enseignement de la religion musulmane n'est pas introduit parce que des groupements musulmans en RFA ou ailleurs le souhaitent mais parce que l'article 7, alinéa 3, de la loi fondamentale ouest-allemande formule un droit des élèves, de leurs parents et des communautés religieuses à l 'en­seignement religieux à l'école, sans exclure les confessions non chré­tiennes. Introduire la religion musulmane ne signifie pas adopter une «tradition étrangère» mais suivre la lettre et l'esprit de la législation al­lemande. Ensuite, l'enseignement de l'islam à l'école est loin d'être une tradition dans le pays d'origine en question. On entend par «tradition», dans le sens de Weber, ce qui est transmis et valide sans (pouvoir) être questionné. Or il existe en Turquie depuis le X I X e siècle un vif débat po­litique sur la laïcité dé l'Etat et de l'enseignement public (ancrée dans la Constitution depuis 1937) et sur la légitimité de l'enseignement de la re­ligion à l'école, enseignement qui ne fut réintroduit qu'à partir des années

(7) Ceux de Bayern, Niedersachsen, Hamburg et Rheinland-Pfalz.

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tratives répartissant les flux d'élèves sur les institutions scolaires - autant de facteurs sociaux et politiques qui semblent dominer le sort scolaire de ces enfants indépendamment de leur «identité culturelle» respective. Il s'agit là, bien entendu, d'une perspective visant les développements col­lectifs et se désintéressant des différences individuelles.

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(8) L'introduction de cette obligation était déclarée par le gouvernement comme une mesure contre l'influence des sectes fon­damentalistes et des «écoles du Coran» (il­légales en Turquie) sur la jeunesse. Cf. Bilgin et Erichsen (1989).

(9) Cette recherche biographique qui re­court à des méthodes qualitatives doit son im­pulsion principale à la recherche féministe sur les femmes immigrées, critiquant le statut d '«obje t» ou de «vict ime» souvent attribué aux femmes étrangères ou aux immigrés dans

leur ensemble. Ley (1979), dans une étude qualitative portant sur des immigrées ita­liennes en Suisse alémanique, fut parmi les premières à mettre la compréhension de soi des femmes interviewées au centre de son analyse. Morokvasic (1987) examine la constitution de l'identité féminine dans les conditions de la migration ; les études de Mihciyazgan (1986 et 1988), de Wolbert (1988) et de Oezerturgut-Yurtdas (1990) se concentrent sur l'auto-interprétation des femmes immigrées.

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50 et rendu obligatoire en 1982 (8). Traditionalisme musulman? Une tra­dition, religieuse ou autre, n'en est plus une quand elle est passée par l'école moderne, que ce soit en Turquie ou en RFA (cet argument est dé­veloppé par Lenhardt, 1990). Il ne s'agit pas d'un enseignement confes­sionnel dispensé par les communautés religieuses elles-mêmes, comme c'est le cas en France. Ces programmes d'enseignement sont établis par l'administration scolaire comme pour les autres matières. L'autorité in­conditionnelle de la tradition cède à la planification et au choix. Ceux qui apprennent sont des élèves d'une institution d'enseignement moderne et l'autorité modèle du père (spirituel) est remplacée par le savoir d'un per­sonnel enseignant formé et contrôlé par l'Etat. Ces conditions sociales ne restent pas extérieures aux contenus enseignés : elles les transforment en matière scolaire. L'enseignement scolaire peut traiter de la culture que les immigrés ont laissée derrière eux, ou de la religion, mais il ne peut pas l'investir de l'autorité de la tradition. La tradition, entretenue délibérément, devient folklore. Ce n'est pas nier que les savoirs scolaires occupent une place centrale dans «l'identité culturelle de l 'école» et que cette identité peut changer selon les matières enseignées. Mais cela veut dire qu'un ajout de l'enseignement de l'islam au canon scolaire n'est pas systématiquement différent de l'ajout d'une nouvelle langue étrangère ou de l'informatique. L'opinion publique en RFA semble d'ailleurs être familière avec l'effet des­tructeur de l'école sur les «traditions» dont elle s 'empare; 1'«affaire des foulards islamiques» n 'a pas d'équivalent allemand.

A propos du second thème, celui de l'identité culturelle comme obstacle à l'intégration des immigrés, c'est encore une fois sur la notion d'«identité culturelle» elle-même que s'est centré le débat de la dernière décennie. Depuis le début, une grande partie de la recherche sur les immigrés reposait sur des études qualitatives essayant de comprendre l'expérience vécue par les immigrés, leurs biographies et notamment leurs manières de vivre le processus de la migration (9). Aujourd'hui, l'approche qualitative centrée sur la subjectivité du processus migratoire va régulièrement de pair avec la critique d'une notion «hermétique» de culture, de l'idée qu'une «culture» serait comme une nationalité qu'on a ou qu'on n'a pas et dont la possession exclut éventuellement d'en acquérir une deuxième. Selon Bender-Szymanski et Hesse (1987), le contact entre deux cultures est mal

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compris quand on le conçoit en termes d'addition/soustraction et d'exclu­sion mutuelle de deux cultures, dont l'une serait nécessairement détruite dans la mesure où l'autre serait acquise. Ces auteurs demandent que les immigrés soient représentés comme des sujets façonnant de manière active et consciente le contact entre cultures différentes, assimilant quelques élé­ments pour en rejeter, transformer, mélanger d'autres, les prenant tant dans la culture de leur pays d'origine que dans la culture allemande, construisant ainsi leur propre « entre-deux-mondes » dans lequel se situent leur histoire, leurs buts et leurs intérêts. Une notion semblable d 'un «entre-deux-cultures » construit par le sujet se retrouve dans la recherche biographique sur la deuxième génération (10).

Qu'entendre donc par «identité culturelle» et quels sont ses rapports avec l'intégration en R F A ? Les taux de retour sont un mauvais indicateur de problèmes culturels d'intégration parce qu'ils s'expliquent surtout par des facteurs économiques et politiques. De toutes les nationalités, c'est justement chez les Turcs qu'on trouve le taux de retour le plus bas, sans qu'on puisse en conclure que leur identité culturelle les dispose plus qu'une autre à l'intégration en RFA.

Qu'en est-il des autres indicateurs sociaux? Le taux de criminalité chez les jeunes étrangers ne diffère guère de celui des Allemands, malgré leur plus grande «visibilité» pour la police allemande. Les taux de natalité dépendent de la durée du séjour en RFA. A propos des habitudes de consom­mation, les banques et le commerce allemands doivent savoir pourquoi ils ne font aucune publicité spécifique à l'adresse des étrangers. Leurs pré­férences politiques sont très mal connues - ils n'ont pas le droit de vote. Le chômage des étrangers est difficile à mesurer parce qu'ils peuvent quit­ter le pays. Le taux élevé des maladies et des accidents s'explique par les emplois occupés. Quant à l'identité culturelle et à ses effets sur l'intégra­tion des étrangers, les indicateurs sociaux restent muets. Divergences cultu­relles dans les notions de travail? Ce n'est que depuis un an à peu près que l'on trouve régulièrement, dans la presse ouest-allemande, des obser­vations concernant un comportement inadapté d'ouvriers immigrés dans les entreprises en RFA - il s'agit là des ressortissants de la RDA, est-alle­mands, qui manifestent, semble-t-il, des réticences (menant souvent à leur licenciement au bout de quelques semaines) envers la discipline et le rythme de travail de la production capitaliste. Il n 'a jamais été fait état de plaintes comparables émanant d'ouvriers étrangers.

L'«identité culturelle» est généralement conçue comme une construc­tion sociale. Le plus souvent, cependant, cet aspect est réduit à l'idée que

(10) Schaumann et al. (1988) analysent les conditions nécessaires pour une élabora­tion productive de « ruptures biographiques » dans la vie de jeunes Turcs. Wolbert (1988) examine les stratégies de jeunes femmes ren­trées en Turquie; elle constate qu'un retour

réussi s'appuie sur l'élaboration, par la femme rentrée, de la continuité entre le passé en RFA et le présent en Turquie. Pour l 'ap­proche qualitative, cf. aussi Kiper (1987), Furtner-Kallmiinzer (1987) et surtout Her­wartz-Emden (1990).

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Perspectives professionnelles

Depuis quelques années, on observe une nette amélioration des résultats scolaires des enfants d'immigrés en RFA, améliorations pourtant qui ne se montrent que sous des conditions politiques favorables. Le niveau scolaire

(11) L'opinion de Bukow et Llaryora (1988) selon laquelle d'éventuelles diffé­rences culturelles seraient sans importance

aucune pour l'intégration des immigrés est généralement contestée dans le débat alle­mand.

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la société engagerait les individus à certains comportements par la voie de la socialisation. Une fois socialisés, ils sont considérés comme porteurs d'un appareil plus ou moins stable de capacités, besoins et motifs qui dé­termineraient le comportement individuel. En réduisant le caractère social de l'identité individuelle à l'acquisition sociale d'un «ameublement d'in­térieur», pour employer la formule ironique de Max Weber, on néglige le fait que ce qu'un individu peut et veut faire ne devient concret qu'en in­teraction avec ses conditions de vie extérieures et qu'on ne peut guère « avoir » une identité indépendamment des circonstances qui permettent ou ne permettent pas de la (re)produire. Les modes d'existence d'ouvrier, de parent, de citoyen, d'étranger et leur «identité culturelle» ne peuvent être pratiqués, ni compris, sans références aux ressources sociales, matérielles, culturelles à leur disposition. La question pertinente semble donc : où et comment une «identité culturelle» grecque, espagnole, allemande, ou mé­langée, peut-elle se manifester, i.e. se constituer?

Quand on observe la démarche des chercheurs, on remarque que leur intérêt pour la question culturelle n'apparaît qu'à partir du moment où les familles des ouvriers immigrés ont commencé à arriver en grand nombre. Les hommes, venus seuls d'abord, étaient si parfaitement intégrés dans le marché du travail, donc dans la société, que les sociologues n'ont pas éprouvé la nécessité de s'interroger sur leur «culture». Ce sont les familles qui ont éveillé cette curiosité. D'ailleurs, les résultats de la recherche sur les immigrés reflètent cette conviction implicite que les différences cultu­relles relèvent de la vie privée. Quoi de plus tentant que de lier, dans un deuxième temps, les problèmes d'intégration des membres de la famille - comme le chômage (passager) des épouses immigrées, comme les diffi­cultés scolaires et le chômage (durable) de la deuxième génération - à la différence culturelle qu'on venait de découvrir, aux spécificités de leur vie familiale? Pourtant, nous l'avons vu, les explications culturelles de ces problèmes-là restent peu convaincantes. Où et comment la culture fa­miliale peut-elle rayonner au-delà des familles, se faire remarquer en de­hors de la vie privée? C'est peut-être le mérite principal de l 'idée d'une identité culturelle comme obstacle que d'avoir mené la discussion sur l'im­migration dans une impasse dont elle ne pourra sortir qu'en thématisant ses liens avec une théorie générale de la société et de la culture (11).

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des enfants étrangers reste généralement en dessous de la moyenne alle­mande. Ce désavantage se manifeste, entre autres, après la fin de la sco­larité obligatoire : pendant que 95 % des Allemands entre 16 et 19 ans continuent leur formation (enseignements général et professionnel confon­dus), le pourcentage correspondant pour les immigrés s'élève seulement à 83 % (Hopf, 1990). Pour ceux qui quittent l'école à 16 ans, il est difficile de trouver une place d'apprentissage dans une entreprise - surtout quand ils n'ont pas obtenu un diplôme scolaire auparavant (12). Ceci vaut aussi pour les Allemands, mais ils sont beaucoup moins nombreux à se retrouver sans diplôme. Le système dual de formation professionnelle en RFA per­mettant de fréquenter une école professionnelle même si on n'a pas trouvé une place d'apprentissage dans une entreprise - ce qui signifie qu'on ne reçoit que la «moitié» d'une formation et qu'on n'obtiendra pas de di­plôme professionnel - , le chiffre de scolarisation précité de 83 % est trom­peur : au milieu des années 1980, entre 35 % et 4 0 % des jeunes étrangers de 15 à 18 ans recevaient une formation professionnelle complète ou se trouvaient dans l'enseignement général (Beer et Collingro, 1989 ; Beauf­tragte der Bundesregierung, 1988) et environ 6 0 % des jeunes de cette gé­nération restaient sans formation complète - ils suivaient des cours à l'école professionnelle sans avoir un emploi, travaillaient sans obtenir une formation ou se trouvaient au chômage.

Jusqu'à une période très récente, on s'attendait à ce que le chômage parmi les jeunes immigrés diminue ou disparaisse dans le proche avenir parce que l'on prévoyait un recul de la population active allemande, pour des raisons démographiques, et une pénurie de main-d'œuvre pour les an­nées 1990. Aujourd'hui, l'unification des deux Allemagnes et l'immigration massive en RFA d'une main-d'œuvre est-allemande d'un haut niveau de qualification ont compromis ces pronostics modestement optimistes. On peut plutôt s'attendre à ce que les résultats scolaires des jeunes étrangers continuent à s'élever sans que leurs chances sur le marché de travail aug­mentent pour autant. Les derniers venus parmi les immigrés, les Polonais, Russes et Roumains d'origine allemande, prendront un certain temps à rat­traper le niveau scolaire des immigrés méditerranéens. Pendant dix ou quinze ans les derniers venus seront moins qualifiés que ceux-ci, sans que cela promette pourtant des avantages relatifs aux jeunes étrangers. Les pos­sibilités pour l'Etat de léser les intérêts individuels étant moins restreintes

(12) Selon l 'enquête représentative de König, Schultze et Wessel (1986), environ 50 % des jeunes étrangers ayant « fait des ef­forts » pour trouver une place d'apprentissage avaient effectivement réussi à en obtenir une, avec de grandes variations entre les nationa­lités (76 % des Yougoslaves, 39 % des Turcs) s'expliquant par les différences des résultats scolaires. Selon leurs propres déclarations, ce sont les jeunes Espagnols et Italiens qui font

relativement le plus grand effort pour trouver une place d'apprentissage, les Portugais étant les moins actifs. Quant à la qualité des ap­prentissages, elle est souvent moins bonne pour les étrangers que pour les Allemands : les étrangers obtiennent des places dans des petites entreprises artisanales ou commer­ciales, qui n'attirent pas les Allemands, le ris­que de chômage après la fin de la formation y étant très élevé.

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envers les étrangers qu'envers les détenteurs de passeports allemands, la politique gouvernementale sera tentée de se décharger d'éventuelles diffi­cultés économiques sur les étrangers. La promesse de diminuer le nombre de concurrents étrangers sur le marché de travail peut être comprise comme une affirmation, en temps de crise, de la volonté du gouvernement de pri­vilégier les intérêts des Allemands. Tant qu'il y a des étrangers en RFA qui ne profitent pas pleinement des droits concédés aux ressortissants de la CEE, une nouvelle politique de retour reste possible.

Jusqu'à présent, les conséquences d'un retour pour les enfants d'immi­grés n'ont guère été étudiées, malgré le fait que 7 6 % des immigrés venus entre 1953 et 1987 (11 millions en tout, dont 20% d'enfants d'âge scolaire) ont de nouveau quitté la RFA, leur majorité rentrant aux pays d'origine. Pour les Grecs, par exemple, le taux de retour est de 8 0 % ; près de 10% des Grecs vivant aujourd'hui en Grèce ont passé dix ans ou plus de leur vie en RFA. Chez les Espagnols, le taux de retour est semblable ; chez les Turcs, il s'élève à 60% environ et à 7 0 % pour les Yougoslaves. Le retour pendant l'âge scolaire n'est probablement pas moins destructeur pour la carrière scolaire qu'une immigration en RFA à cet âge-là. Les toutes pre­mières enquêtes semblent montrer que, passé l'âge de douze ans au moment du retour, les élèves ne réussissent plus à rattraper le niveau scolaire de leur groupe d'âge (Hopf, 1990). Les contenus de l'enseignement dans les différents pays ne se recoupent qu'à moitié, les méthodes didactiques et le comportement des enseignants peuvent être différents, et de plus les élèves rentrés peuvent rencontrer des difficultés dans leur langue d'origine (Akkent et Franger, 1987). Les enfants d'immigrés sont donc doublement désavantagés. L'atténuation de l'échec scolaire, le nombre croissant de di­plômés et l'amélioration de leur fréquentation d'écoles sélectives dans les dernières années ne peuvent pas faire oublier qu'il y a maintenant plus de vingt ans que les enfants de migrants n'ont pas les mêmes chances que les autres, que ce soit en tant qu'étrangers en RFA ou parce qu'ils sont de retour au pays.

Elisabeth FLITNER-MERLE Université de Fribourg

et Université de Paris VIII

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