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39 TERRITORIAL Zepros 6 | Octobre 2018 JURIDIQUE | PRATIQUE S ous l’impulsion conjointe des textes et de la juris- prudence, l’obligation de reclassement des agents terri- toriaux en raison de leur inap- titude physique a pris une réelle ampleur dont les employeurs publics doivent maîtriser tous les aspects. Érigé en principe général du droit, le reclasse- ment s’impose à tout em- ployeur public lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un agent se trouve de manière définitive atteint d’une inapti- tude physique à occuper son emploi. Ainsi, les contours et les limites de cette obligation se sont également précisés et désormais les préoccupations relatives au reclassement des agents territoriaux doivent être intégrées dans la politique de gestion des ressources humaines des employeurs publics. n Qui sont les bénéficiaires de l’obligation de reclassement? D’une part, l’article 81 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale permet au fonctionnaire territorial reconnu médicalement inapte à l’exercice de ses fonctions, sans être inapte à l’exercice de tout emploi, de bénéficier d’un reclas- sement, sur sa demande, dans un autre cadre d’emplois, emploi ou corps. D’autre part, ce principe a été étendu aux agents contractuels recrutés à titre permanent sous CDI ou CDD dont le terme est postérieur à la date de demande de reclassement conformément aux dispositions de l’article 13 II et III du décret n° 88-145 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale. En revanche, le Conseil d’État a écarté l’applica- tion de ce principe aux fonction- naires stagiaires (CE, 17 février 2016, ministre de l’Intérieur c. B…, n° 381429). n Quand estce que le reclassement doit être envisagé? Une fois l’inaptitude physique constatée, l’autorité territoriale devra, dans un premier temps, chercher à maintenir l’agent dans son poste de travail en adaptant celui-ci à ses capacités physiques avec par exemple la suppression des tâches les plus pénibles, la modification de ses horaires de travail. Il peut également être l’affecté dans un autre emploi de son grade. C’est uniquement si l’aménagement du poste s’avère impossible que l’administration devra alors engager les démarches en vue de reclasser l’agent concerné. n L’employeur public peutil reclasser un agent sans son accord préalable? Non. L’article 2 du décret n° 85- 1054 du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonc- tionnaires territoriaux reconnus inaptes à l’exercice de leurs fonc- tions a prévu que l’employeur public devait, en cas d’inaptitude du fonctionnaire à reprendre son poste, l’inviter à formuler une demande de reclassement. Dès lors, si l’agent ne sollicite pas son reclassement après y avoir été invité, l’administration ne peut d’office prendre une mesure de reclassement. Elle peut simple- ment le placer en disponibilité d’office pour raison de santé. Toutefois, aucune obligation légale n’impose à l’agent de préciser dans sa demande, la nature des emplois sur lesquels il sollicite son reclassement (CE, 17 mai 2013, Mme B…, n° 355524). n Quelles sont les limites de l’obligation de reclassement? Deux situations sont à différencier pour apprécier les obligations qui pèsent sur les employeurs territo- riaux. Soit, le reclassement résulte d’une inaptitude du fonctionnaire qui n’est pas liée au service, la col- lectivité est soumise à une obliga- tion de moyen renforcée. Ainsi, le juge administratif considère que si la collectivité démontre qu’elle ne disposait d’aucun poste vacant au sein de ses effectifs pour reclasser l’un de ses agents inaptes au regard de ses restrictions médicales et de ses compétences, elle a rempli son obligation de reclassement et elle est fondée à placer à engager la procédure de mise à la retraite pour invalidité (CAA de Nancy, 21 juin 2007, Mme R…, rq n° 06NC00394). En revanche, la collectivité est sou- mise à une obligation de résultat dans le reclassement d’un fonc- tionnaire dont l’inaptitude résulte d’un accident ou d’une maladie pro- fessionnelle puisque la jurispru- dence administrative considère que dans cette situation, le fonction- naire a droit au maintien de son plein traitement jusqu’à son reclasse- ment effectif ou son admission à la retraite pour invalidité (CE, 18 décembre 2015, Mme C…, rq n° 374194). n Quels types de postes peut proposer la collectivité pour un reclassement? Trois modalités de reclassement sont prévues par les articles 82 et 83 de loi du 26 janvier 1984 : le détachement dans un autre cadre d’emplois, l’intégration dans un autre grade du cadre d’emplois et le recrutement dans un autre cadre d’emplois. La jurisprudence administrative a précisé que la nou- velle affectation proposée à un fonctionnaire déclaré inapte doit être précise et compatible avec la situation de l’agent concerné et notamment d’un point de vue géographique (CE, 17 mars 2010, Mme Bland épouse Paris, rq n° 309496). Il n’existe aucun délai réglementaire pour agir et com- mencer les démarches pour reclasser un agent inapte à ses fonctions. Néanmoins, la cour administrative d’appel de Bordeaux, dans une décision du 9 avril 2013 (rq n° 12BX120689) a précisé qu’en cas d’inaptitude physique d’un agent, le délai de quatre mois, à compter de la constatation par l’administration de cette inaptitude physique, peut être regardé comme excédant le délai raisonnable pour commencer à opérer une recherche d’un poste de reclassement. n Dans quelles positions statutaires doit être placé un agent dans l’attente de son reclassement? Soit, le reclassement résulte d’une inaptitude non imputable au service et il a épuisé ses droits à congé statutaire, il est alors placé en disponibilité d’office pour raison de santé après avis du Comité médical. Soit, l’inaptitude est imputable au service, l’agent est placé en congé pour accident de service ou maladie professionnelle avec maintien de son plein traite- ment jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite pour invalidité (alinéa 2 du 2° de l’article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1987). n Quelles sont les consé quences si l’agent refuse le poste de reclassement? Soumis à l’obligation d’obéissance hiérarchique, l’agent doit repren- dre ses fonctions dès lors que les tâches proposées répondent aux restrictions médicales consta- tées, faute d’élément d’ordre médical établissant que ce reclas- sement n’est pas compatible avec son état de santé. En cas de refus, une procédure d’abandon de poste peut être engagée, conduisant à une radiation des cadres (CA de Lyon, 12 juillet 2010, Mme Marin- Pache, rq n° 09LY00247) ou à un licenciement après avis de la commission administrative pari- taire conformément aux disposi- tions de l’article 17 et 35 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 relatif à l’organisation des comités médicaux, aux conditions d’apti- tude physique et au régime des congés de maladie des fonction- naires. n Quelle posture adopter si le reclassement est irréalisable? En cas d’impossibilité de reclasse- ment d’un agent reconnu inapte à l’exercice de ses fonctions, plusieurs solutions sont envisageables. D’abord, si l’inaptitude n’est pas définitive et qu’il ne peut être pro- cédé au reclassement de l’agent dans l’immédiat après l’épuise- ment de ses droits à congé, l’agent est placé en disponibilité d’office pour raison de santé. Puis, si l’incapacité n’est pas défi- nitive, le fonctionnaire ne pourra pas être mis à la retraite pour invalidité, même s’il a épuisé ses droits à congés de maladie. Au terme de ses droits à disponi- bilité, l’autorité territoriale n’aura d’autre solution que de le licencier pour inaptitude physique. Enfin, la collectivité pourra envisager d’engager une procédure de mise à la retraite pour invalidité. Ordonnance du 19 janvier 2017 L’ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d’activité, à la for- mation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction pu- blique modifie les dispositions relatives au reclassement pour inaptitude physique des agents. Elle crée, pour l’ensemble des fonctionnaires, un nouveau droit à une période de préparation au reclassement avec traitement d’une durée maximale d’un an, assimilée à une période de service effectif conformément à l’article 85-1 de la loi du 26 janvier 1984. L’OBLIGATION DE RECLASSEMENT POUR INAPTITUDE PHYSIQUE Par Perrine Bouchard, avocate au cabinet Seban & Associés

Seban & Associés | Cabinet d’avocats dédié au secteur public ......2018/10/05  · inapte à l’exercice de ses fonctions, sans être inapte à l’exercice de tout emploi, de

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39TERRITORIAL

Zepros 6 | Octobre 2018 JURIDIQUE | PRATIQUE

Sous l’impulsion conjointedes textes et de la juris-prudence, l’obligation de

reclassement des agents terri-toriaux en raison de leur inap-titude physique a pris une réelleampleur dont les employeurspublics doivent maîtriser tousles aspects. Érigé en principegénéral du droit, le reclasse-ment s’impose à tout em-ployeur public lorsqu’il a étémédicalement constaté qu’unagent se trouve de manière définitive atteint d’une inapti-tude physique à occuper sonemploi. Ainsi, les contours etles limites de cette obligation se sont également précisés etdésormais les préoccupationsrelatives au reclassement desagents territoriaux doivent êtreintégrées dans la politique de gestion des ressources humaines des employeurs publics.

n Qui sont les bénéficiairesde l’obligation de reclassement?

D’une part, l’article 81 de la loin° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale permet au fonctionnaireterritorial reconnu médicalementinapte à l’exercice de ses fonctions,sans être inapte à l’exercice de toutemploi, de bénéficier d’un reclas-sement, sur sa demande, dans unautre cadre d’emplois, emploi oucorps. D’autre part, ce principe aété étendu aux agents contractuelsrecrutés à titre permanent sousCDI ou CDD dont le terme est postérieur à la date de demandede reclassement conformémentaux dispositions de l’article 13 II etIII du décret n° 88-145 relatif auxagents contractuels de la fonctionpublique territoriale. En revanche,le Conseil d’État a écarté l’applica-tion de ce principe aux fonction-naires stagiaires (CE, 17 février2016, ministre de l’Intérieur c. B…,n° 381429).

n Quand est-ce que le reclassement doit être envisagé?

Une fois l’inaptitude physiqueconstatée, l’autorité territoriale devra, dans un premier temps,chercher à maintenir l’agent dansson poste de travail en adaptantcelui-ci à ses capacités physiquesavec par exemple la suppressiondes tâches les plus pénibles, la modification de ses horaires de travail. Il peut également êtrel’affecté dans un autre emploi deson grade. C’est uniquement sil’aménagement du poste s’avèreimpossible que l’administration devra alors engager les démarchesen vue de rec lasser l ’agentconcerné.

n L’employeur publicpeut-il reclasser unagent sans son accordpréalable?

Non. L’article 2 du décret n° 85-1054 du 30 septembre 1985 relatif au reclassement des fonc-tionnaires territoriaux reconnusinaptes à l’exercice de leurs fonc-tions a prévu que l’employeur public devait, en cas d’inaptitudedu fonctionnaire à reprendre sonposte, l’inviter à formuler une demande de reclassement. Dès lors, si l’agent ne sollicite passon reclassement après y avoir étéinvité, l’administration ne peut d’office prendre une mesure de reclassement. Elle peut simple-ment le placer en disponibilité d’office pour raison de santé. Toutefois, aucune obligation légalen’impose à l’agent de préciser dans sa demande, la nature desemplois sur lesquels il sollicite son reclassement (CE, 17mai 2013,MmeB…, n° 355524).

n Quelles sont les limitesde l’obligation de reclassement?

Deux situations sont à différencierpour apprécier les obligations quipèsent sur les employeurs territo-riaux. Soit, le reclassement résulte

d’une inaptitude du fonctionnairequi n’est pas liée au service, la col-lectivité est soumise à une obliga-tion de moyen renforcée. Ainsi, le juge administratif considère quesi la collectivité démontre qu’ellene disposait d’aucun poste vacantau sein de ses effectifs pour reclasser l’un de ses agents inaptesau regard de ses restrictions médicales et de ses compétences,elle a rempli son obligation de reclassement et elle est fondée àplacer à engager la procédure demise à la retraite pour invalidité(CAA de Nancy, 21 juin 2007,Mme R…, rq n° 06NC00394). En revanche, la collectivité est sou-mise à une obligation de résultatdans le reclassement d’un fonc-tionnaire dont l’inaptitude résulted’un accident ou d’une maladie pro-fessionnelle puisque la jurispru-dence administrative considère quedans cette situation, le fonction-naire a droit au maintien de son pleintraitement jusqu’à son reclasse-ment effectif ou son admission à la retraite pour invalidité (CE,18 décembre 2015, Mme C…, rqn° 374194).

n Quels types de postespeut proposer la collectivité pour un reclassement?

Trois modalités de reclassementsont prévues par les articles 82et 83 de loi du 26 janvier 1984: le détachement dans un autre cadre d’emplois, l’intégration dansun autre grade du cadre d’emploiset le recrutement dans un autre cadre d’emplois. La jurisprudenceadministrative a précisé que la nou-velle affectation proposée à unfonctionnaire déclaré inapte doitêtre précise et compatible avec la situation de l’agent concerné etnotamment d’un point de vue géographique (CE, 17 mars 2010,Mme Bland épouse Paris, rqn°309496). Il n’existe aucun délairéglementaire pour agir et com-mencer les démarches pour reclasser un agent inapte à ses

fonctions. Néanmoins, la cour administrative d’appel de Bordeaux,dans une décision du 9 avril 2013(rq n° 12BX120689) a précisé qu’en cas d’inaptitude physiqued’un agent, le délai de quatre mois,à compter de la constatation parl’administration de cette inaptitudephysique, peut être regardé commeexcédant le délai raisonnable pourcommencer à opérer une recherched’un poste de reclassement.

n Dans quelles positionsstatutaires doit êtreplacé un agent dansl’attente de son reclassement?

Soit, le reclassement résulte d’une inaptitude non imputable auservice et il a épuisé ses droits àcongé statutaire, il est alors placéen disponibilité d’office pour raisonde santé après avis du Comité médical. Soit, l’inaptitude est imputable au service, l’agent estplacé en congé pour accident deservice ou maladie professionnelleavec maintien de son plein traite-ment jusqu’à ce qu’il soit en étatde reprendre son service ou jusqu’àsa mise à la retraite pour invalidité(alinéa 2 du 2° de l’article 57 de laloi n° 84-53 du 26 janvier 1987).

n Quelles sont les consé-quences si l’agent refuse le poste de reclassement?

Soumis à l’obligation d’obéissancehiérarchique, l’agent doit repren-dre ses fonctions dès lors que les tâches proposées répondentaux restrictions médicales consta-tées, faute d’élément d’ordre

médical établissant que ce reclas-sement n’est pas compatible avecson état de santé. En cas de refus,une procédure d’abandon de postepeut être engagée, conduisant àune radiation des cadres (CA deLyon, 12 juillet 2010, MmeMarin-Pache, rq n° 09LY00247) ou à un licenciement après avis de lacommission administrative pari-taire conformément aux disposi-tions de l’article 17 et 35 du décretn° 87-602 du 30 juillet 1987 relatif à l’organisation des comitésmédicaux, aux conditions d’apti-tude physique et au régime descongés de maladie des fonction-naires.

n Quelle posture adoptersi le reclassement estirréalisable?

En cas d’impossibilité de reclasse-ment d’un agent reconnu inapte àl’exercice de ses fonctions, plusieurssolutions sont envisageables.D’abord, si l’inaptitude n’est pasdéfinitive et qu’il ne peut être pro-cédé au reclassement de l’agentdans l’immédiat après l’épuise-ment de ses droits à congé, l’agent est placé en disponibilitéd’office pour raison de santé. Puis, si l’incapacité n’est pas défi-nitive, le fonctionnaire ne pourrapas être mis à la retraite pour invalidité, même s’il a épuisé ses droits à congés de maladie. Au terme de ses droits à disponi-bilité, l’autorité territoriale n’aurad’autre solution que de le licencierpour inaptitude physique. Enfin, la collectivité pourra envisager d’engager une procédure de mise àla retraite pour invalidité. �

Ordonnance du 19 janvier 2017L’ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 portant diversesdispositions relatives au compte personnel d’activité, à la for-mation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction pu-blique modifie les dispositions relatives au reclassement pourinaptitude physique des agents. Elle crée, pour l’ensemble desfonctionnaires, un nouveau droit à une période de préparationau reclassement avec traitement d’une durée maximale d’un an,assimilée à une période de service effectif conformément àl’article 85-1 de la loi du 26 janvier 1984.

L’OBLIGATION DE RECLASSEMENT POUR INAPTITUDE PHYSIQUEPar Perrine Bouchard, avocate au cabinet Seban & Associés