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Secret professionnel : l'urgente nécessité d'un outil législatif adapté Bernard Le Douarin Coordonnateur national de l'Observatoire de la sécurité des médecins, Président de l'Association des services médicaux d'accueil initial (Sami) du Val-de-Marne, Président du conseil départemental du Val-de-Marne de l'Ordre des médecins, 4, rue Octave-du-Mesnil, 94000 Créteil, France Disponible en ligne sur SciVerse ScienceDirect le 8 mai 2013 L'émergence et la multiplication à venir de structures et établissements médico- sociaux conduisent les acteurs impli- qués, médecins et non-médecins, à s'in- terroger sur leurs obligations déontologiques : partager les informa- tions nécessaires et utiles au fonction- nement d'un dispositif multidisciplinaire dans le principe de bienfaisance, tout en respectant le secret professionnel. Un exercice de plus en plus difcile en l'absence d'un cadre réglementaire polyvalent. La protection des informations, les bases Le secret professionnel relève de l'arti- cle 226-13 du Code pénal. Y est tenue toute personne dépositaire « d'informa- tions à caractère secret » du fait de son état, de sa profession, de sa fonction ou d'une mission temporaire. Les articles R. 4127-4 et 4127-72 du Code de la santé publique (CSP), rela- tifs au secret dit « professionnel », s'appliquent au médecin et aux person- nes qui l'assistent dans son exercice. Les autres professionnels de santé ont la même obligation. Le secret « médi- cal » n'est explicitement cité qu'à la n de l'article L. 1110-4 du CSP. Nombre d'articles du Code de l'action sociale et des familles (CASF) rappel- lent également l'obligation de secret à laquelle sont tenus les professionnels de l'action sociale, assistantes et assis- tants de service social, étudiants des écoles se préparant à cet exercice, per- sonnels de l'aide sociale à l'enfance, coordonnateurs d'action sociale, travail- leurs sociaux : articles L. 411-3 et L. 221-6. L'article L. 2112-9 du CSP rappelle cette même obligation pour toute personne collaborant au service départemental de la protection maternelle et infantile (PMI). La loi du 21 juillet 2009 dite Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) rap- pelle que le secret professionnel s'impose à tous les professionnels de santé ainsi qu'à tous ceux intervenant dans le système de santé. Tous les acteurs du champ médico- social sont ainsi tenus au secret profes- sionnel. Il n'y a pas de hiérarchie dans le secret. Sauf dérogation, il est incontour- nable, général et absolu, socle de la conance entre le professionnel et l'usager. Les dérogations, la révélation du secret En dérogation à l'article 226-13 du Code pénal, l'article 226-14 du même code encadre la révélation du secret dans trois cas : les personnes ayant eu connais- sance d'atteintes ou de mutilations sexuelles inigées à des mineurs ou per- sonnes en incapacité, le médecin ayant eu connaissance de sévices ou priva- tions, les professionnels de santé ou de l'action sociale en cas de détention d'arme ou d'intention d'en acquérir une. Hormis ces situations dérogatoires auto- risant ou imposant la révélation du secret, le « secret partagé », juste évoqué dans une circulaire de la Direc- tion de la protection judiciaire de la jeu- nesse du 21 juin 1996, n'a aucune base légale ou réglementaire. La prise en charge de la personne requiert cepen- dant, au sein de structures multidiscipli- naires ou d'organisations transversales comme les maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (Maia), le partage des informations personnelles. Le législateur n'a pas souhaité introduire cette notion de « secret partagé », mais a retenu celle d'« échange-partage des informations à caractère secret entre professionnels ». Les autorisations d'échange- partage des informations à caractère secret Quelques exceptions à l'article 226-13 du C ode pénal constituent les textes fondateurs du cadre réglemen- taire de l'« échange-partage » en milieu médical ou social. Échanges d'informations entre professionnels de santé, équipe de soins et établissement de santé Ces échanges sont régis par l'article L. 1110-4 du CSP. Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Ce secret s'impose à tout profession- nel de santé, ainsi qu'à tous les pro- fessionnels intervenant dans le système de santé. Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent (hors établissement), sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des infor- mations relatives à une même per- sonne prise en charge, an d'assurer la continuité des soins ou de détermi- ner la meilleure prise en charge sani- taire possible. Cet échange avait déjà été reconnu de fait par les articles du CSP consacré au dossier médical per- sonnel (DMP) dès 2009. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les infor- mations la concernant sont réputées Adresse e-mail : [email protected] La Revue d'Homéopathie 2013;4:7071 Profession 70 http://dx.doi.org/10.1016/j.revhom.2013.03.003

Secret professionnel : l’urgente nécessité d’un outil législatif adapté

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La Revue d'Homéopathie 2013;4:70–71Profession

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Secret professionnel : l'urgentenécessité d'un outil législatif adapté

Bernard Le Douarin

Coordonnateur national de l'Observatoire de la sécurité des médecins, Président del'Association des services médicaux d'accueil initial (Sami) du Val-de-Marne,Président du conseil départemental du Val-de-Marne de l'Ordre des médecins,4, rue Octave-du-Mesnil, 94000 Créteil, France

Disponible en ligne sur SciVerse ScienceDirect le 8 mai 2013

L'émergence et la multiplication à venirde structures et établissements médico-sociaux conduisent les acteurs impli-qués, médecins et non-médecins, à s'in-terroger sur leurs obligationsdéontologiques : partager les informa-tions nécessaires et utiles au fonction-nement d'un dispositif multidisciplinairedans le principe de bienfaisance, tout enrespectant le secret professionnel. Unexercice de plus en plus difficile enl'absence d'un cadre réglementairepolyvalent.

La protection des informations,les bases

Le secret professionnel relève de l'arti-cle 226-13 du Code pénal. Y est tenuetoute personne dépositaire « d'informa-tions à caractère secret » du fait de sonétat, de sa profession, de sa fonction oud'une mission temporaire.Les articles R. 4127-4 et 4127-72 duCode de la santé publique (CSP), rela-tifs au secret dit « professionnel »,s'appliquent au médecin et aux person-nes qui l'assistent dans son exercice.Les autres professionnels de santé ontla même obligation. Le secret « médi-cal » n'est explicitement cité qu'à la finde l'article L. 1110-4 du CSP.Nombre d'articles du Code de l'actionsociale et des familles (CASF) rappel-lent également l'obligation de secretà laquelle sont tenus les professionnelsde l'action sociale, assistantes et assis-tants de service social, étudiants desécoles se préparant à cet exercice, per-sonnels de l'aide sociale à l'enfance,coordonnateurs d'action sociale, travail-leurs sociaux : articles L. 411-3 et L.221-6.

L'article L. 2112-9 du CSP rappelle cettemême obligation pour toute personnecollaborant au service départementalde la protection maternelle et infantile(PMI).La loi du 21 juillet 2009 dite Hôpital,patients, santé, territoires (HPST) rap-pelle que le secret professionnels'impose à tous les professionnels desanté ainsi qu'à tous ceux intervenantdans le système de santé.Tous les acteurs du champ médico-social sont ainsi tenus au secret profes-sionnel. Il n'y a pas de hiérarchie dans lesecret. Sauf dérogation, il est incontour-nable, général et absolu, socle de laconfiance entre le professionnel etl'usager.

Les dérogations, la révélationdu secret

En dérogation à l'article 226-13 du Codepénal, l'article 226-14 du même codeencadre la révélation du secret dans troiscas : les personnes ayant eu connais-sance d'atteintes ou de mutilationssexuelles infligées à des mineurs ou per-sonnes en incapacité, le médecin ayanteu connaissance de sévices ou priva-tions, les professionnels de santé ou del'action sociale en cas de détentiond'arme ou d'intention d'en acquérir une.Hormis ces situations dérogatoires auto-risant ou imposant la révélation dusecret, le « secret partagé », justeévoqué dans une circulaire de la Direc-tion de la protection judiciaire de la jeu-nesse du 21 juin 1996, n'a aucune baselégale ou réglementaire. La prise encharge de la personne requiert cepen-dant, au sein de structures multidiscipli-naires ou d'organisations transversalescomme les maisons pour l'autonomie etl'intégration des malades Alzheimer(Maia), le partage des informationspersonnelles.

Le législateur n'a pas souhaité introduirecette notion de « secret partagé », maisa retenu celle d'« échange-partage desinformations à caractère secret entreprofessionnels ».

Les autorisations d'échange-partage des informationsà caractère secret

Quelques exceptions à l'article226-13 du C ode pénal constituent lestextes fondateurs du cadre réglemen-taire de l'« échange-partage » en milieumédical ou social.

Échanges d'informations entreprofessionnels de santé, équipe desoins et établissement de santéCes échanges sont régis par l'article L.1110-4 du CSP.Toute personne prise en charge par unprofessionnel, un établissement, unréseau de santé ou tout autre organismeparticipant à la prévention et aux soins adroit au respect de sa vie privée et ausecret des informations la concernant.� Ce secret s'impose à tout profession-nel de santé, ainsi qu'à tous les pro-fessionnels intervenant dans lesystème de santé.

� Deux ou plusieurs professionnels desanté peuvent (hors établissement),sauf opposition de la personnedûment avertie, échanger des infor-mations relatives à une même per-sonne prise en charge, afin d'assurerla continuité des soins ou de détermi-ner la meilleure prise en charge sani-taire possible. Cet échange avait déjàété reconnu de fait par les articles duCSP consacré au dossier médical per-sonnel (DMP) dès 2009.

� Lorsque la personne est prise encharge par une équipe de soins dansun établissement de santé, les infor-mations la concernant sont réputées

http://dx.doi.org/10.1016/j.revhom.2013.03.003

La Revue d'Homéopathie 2013;4:70–71 Profession

confiées par le malade à l'ensemblede l'équipe (professionnels de santé).

� Les informations concernant une per-sonne prise en charge par un profes-sionnel de santé au sein d'une maisonou d'un centre de santé sont réputéesconfiées par la personne aux autresprofessionnels de santé de la struc-ture qui la prennent en charge, sousréserve :� du recueil de son consentementexprès ;

� de l'adhésion des professionnelsconcernés au projet de santé. Lapersonne, dûment informée, peutrefuser à tout moment que soientcommuniquées des informations laconcernant à un ou plusieurs pro-fessionnels de santé.

Protection de l'enfance : échangesd'information entre personnessoumises au secret professionnelCes échanges sont régis par l'article L.226-2-2 du CASF.Les personnes soumises au secret pro-fessionnel qui mettent en œuvre la poli-tique de protection de l'enfance, définieà l'article L. 112-3 du CASF ou qui luiapportent leur concours sont autoriséesà partager entre elles des informationsà caractère secret afin d'évaluer unesituation individuelle, de déterminer etde mettre en œuvre les actions de pro-tection et d'aide dont les mineurs et leurfamille peuvent bénéficier. Le partagedes informations relatives à une situ-ation individuelle est strictement limitéà ce qui est nécessaire à l'accomplisse-ment de la mission de protection del'enfance. Le père, la mère, toute autrepersonne exerçant l'autorité parentale,le tuteur, l'enfant en fonction de son âgeet de sa maturité sont préalablementinformés, selon des modalités adaptées,sauf si cette information est contraireà l'intérêt de l'enfant.

Prévention de la délinquance :échanges entre professionnelsde l'action socialeCes échanges sont régis par l'article L.121-6-2 du CASF.Les professionnels de l'action sociale(travailleurs sociaux, coordonnateur,autres professionnels de l'action sociale)intervenant auprès de la personne ou dela famille, par exception à l'article226-13 du Code pénal, sont autorisésà échanger entre eux des informationsà caractère secret. Le partage de cesinformations est limité à ce qui est stric-tement nécessaire à l'accomplissementde la mission d'action sociale.

Cas des maisons départementalesdes personnes handicapéesQuant aux maisons départementales despersonnes handicapées (MDPH), les arti-cles du CASF concernant leur mise enœuvre, extrêmement précis en ce quiconcerne lasécurité des informationsper-sonnellesetdes accès, ne font cependantaucune référence à « l'échange-partagedes données personnelles entre les per-sonnes habilitées soumises au secret ».Cette notion proactive d'« échange-par-tage » des informations personnelles seheurte ainsi immédiatement à l'inadé-quation entre la multiplicité des structu-res du secteur médico-social et les rarescas de dispositifs, sanitaires ou sociaux,mais jamais médico-sociaux, bénéfi-ciant d'un cadre réglementaire où cettenotion est lisible et adaptable auxbesoins du travail en équipe et à la réa-lité de la pratique quotidienne.

Échange-partage hors cadreréglementaire

Hors les dérogations (révélation dusecret) et exceptions (échange-partage)ci-dessus énumérées et prévues par lestextes réglementaires, l'échange-par-tage des informations à caractère secrets'inscrit dans un cadre illégal.

Il n'existe en effet aucun textelégislatif de référence quant auxéchanges-partages des donnéespersonnelles entre les acteurs du

secteur médico-social.

Un vide juridique qui est préoccupant :comment conduire une action partena-riale, pluridisciplinaire, parfois transver-sale, dans le respect du principe debienfaisance, de l'efficience, de la per-sonne et de ses droits ?À ce stade, deux réflexions peuvent êtreconduites.

Recommandations pratiquesDans l'attente d'un cadre législatifdédié, un certain nombre de recom-mandations pratiques peuvent guiderles acteurs médico-sociaux dansl'exercice de leurs missions. Cesrecommandations reflètent la pratiquequotidienne et l'analyse des situationsfaisant exception textuelle à l'article226-13 du Code pénal :� le secret professionnel s'appliqueà tous les acteurs de la prise en chargede la personne, sans hiérarchie. Il esttotal, général et absolu, pour tous ;

� l'intérêt de la personne doit en perma-nence être privilégié ;

� le respect de son intimité, protégéepar le secret, ne doit pas faire obstacleaux meilleurs soins dans le cadre duprincipe de bienfaisance ;

� le consentement de la personne oucelui de son représentant légal doi-vent être obtenus ;

� ce consentement doit être précédéd'une « information claire, loyale etappropriée » ;

� le droit d'accès du patient à son dos-sier reste essentiel ;

� la sécurité des données, la sécuritédes accès, les personnes habilitées,la traçabilité des accès et des conte-nus accédés doivent rester une pré-occupation constante, conforme auxrecommandations de la Commissionnationale de l'informatique et deslibertés (Cnil) ;

� La transmission des données per-sonnelles doit se limiter à la transmis-sion des « informations nécessaires,pertinentes et non excessives »,eu égard aux missions de chaqueacteur de la prise en charge de lapersonne ;

� Il convient en permanence de s'assu-rer que le partage s'opère entre pro-fessionnels déjà soumis textuellementau secret.

L'adaptation du vide juridiqueest urgenteLa prise en charge multidisciplinaire dela personne nécessite, dans le principeéthique de bienfaisance, de pouvoirs'appuyer sur un outil législatif simple,adaptable à toutes ces situationsmédico-sociales pour assurer tant lacontinuité que la permanence des soins.Il convient de réaffirmer le caractèregénéral et absolu du secret profession-nel, qui n'est pas que médical, mais quis'applique à tous les acteurs de la priseen charge de la personne.Eu égard au caractère absolu et indé-fectible du secret professionnel, il n'estpas certain qu'il soit nécessaire, voirepertinent, d'introduire la notion textuellede « secret partagé ».Le concept « d'échange-partage d'infor-mations à caractère secret », encadrépar un texte polyvalent, devrait pouvoirrépondre aux attentes de tous lesacteurs du secteur médico-social enfacilitant la prise en charge de la per-sonne et de ses données.

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflitsd'intérêts en relation avec cet article.

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