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Extrait de UAthénée, 4, Septembre-Octobre 1950 LA LITT ÉRATURE AU SERVICE DES COURS DE MORALE ôSi Les programmes pr évoient l'emploi d'un certain nombre de textes empruntés à des moralistes et des philosophes et destinés à illustrer le cours de morale. Certes, il est souhaitable que l'enseignement de la morale soit intuitif, mais il est incontestable que ces textes présentent peu d'attraits pour les jeunes gens avant l'âge de 1718 ans. Une culture sévère et abstraite s'impose avant d'aborder ces auteurs. Par ailleurs, les adolescents ont d'autres préoccupations que de lire Platon, Aristote, Schopenhauer, voire Ch. Wagner ou Lubbock. Il est licite d'admettre que le phénomène morale s'inscrit dans un contexte social et il importe donc que le professeur le présente d'une manière concrète. A cet égard, la littérature ofïre un matériel surabon dant et adéquat. Les œuvres littéraires s'adressent, en effet, à un public étendu et « humain », proche des étudiants par les mœurs et les senti ments. Si les classiques étudient volontiers des caractères généraux aux prises avec des situations générales, les romantiques, par contre, s'atta chent au thème de l'homme solitaire en lutte contre la société dans le même temps qu'ils délaissent la tour d'ivoire pour le forum. La vie ordi naire et nettement individualisée, dans ses aspects multiples et divers, s'y trouve décrite tout imprégnée de ndOoç, ce qui ne manque pas de plaire aux jeunes âmes. Il en résulte que les textes littéraires offrent matière aux analyses morales calquées sur le réel. La lecture de telle œuvre de Molière, d'Alexandre Dumas fils, de F. de Curel, d'Ibsen, de P. Bourget... de Duhamel même produit sur une âme bien née des impressions autrement profondes que la sèche nomenclature des devoirs envers soimême et envers autrui ou la lecture aride d'une dissertation philosophique qui souvent dépasse l'entendement des élèves. D'un côté, la vie avec sa com plexité où les principes moraux prennent leur signification à l'épreuve ; de l'autre, une théorie abstraite et iréelle par abus de généralisation. D'un côté, l'intérêt ; de l'autre, l'ennui. Aucun étudiant qui ne connaisse les commandements fondamentaux de la morale : inutile donc de les enseigner, hormis à l'école primaire. Seules les modalités de l'action qui enferment l'agent moral dans les dilemmes psychologiques et sociaux c m(2) «O 1 J

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Extrait de UAthénée, n° 4, Septembre-Octobre 1950

LA LITTÉRATURE AU SERVICE DES COURS DE MORALE

ôSi

Les programmes prévoient l'emploi d'un certain nombre de textes empruntés à des moralistes et des philosophes et destinés à illustrer le cours de morale.

Certes, il est souhaitable que l'enseignement de la morale soit intuitif, mais il est incontestable que ces textes présentent peu d 'at trai ts pour les jeunes gens avant l'âge de 17­18 ans. Une culture sévère et abstraite s'impose avant d'aborder ces auteurs. Par ailleurs, les adolescents ont d'autres préoccupations que de lire Platon, Aristote, Schopenhauer, voire Ch. Wagner ou Lubbock.

Il est licite d 'admettre que le phénomène morale s'inscrit dans un contexte social et il importe donc que le professeur le présente d'une manière concrète. A cet égard, la l i t térature ofïre un matériel surabon­dant et adéquat. Les œuvres littéraires s'adressent, en effet, à un public étendu et « humain », proche des étudiants par les mœurs et les senti­ments. Si les classiques étudient volontiers des caractères généraux aux prises avec des situations générales, les romantiques, par contre, s 'a t ta­chent au thème de l 'homme solitaire en lutte contre la société dans le même temps qu'ils délaissent la tour d'ivoire pour le forum. La vie ordi­naire et nettement individualisée, dans ses aspects multiples et divers, s 'y trouve décrite tout imprégnée de ndOoç, ce qui ne manque pas de plaire aux jeunes âmes.

Il en résulte que les textes littéraires offrent matière aux analyses morales calquées sur le réel. La lecture de telle œuvre de Molière, d'Alexandre Dumas fils, de F. de Curel, d'Ibsen, de P. Bourget... de Duhamel même produit sur une âme bien née des impressions autrement profondes que la sèche nomenclature des devoirs envers soi­même et envers autrui ou la lecture aride d 'une dissertation philosophique qui souvent dépasse l 'entendement des élèves. D'un côté, la vie avec sa com­plexité où les principes moraux prennent leur signification à l'épreuve ; de l 'autre, une théorie abstraite et iréelle par abus de généralisation. D'un côté, l 'intérêt ; de l 'autre, l 'ennui. Aucun étudiant qui ne connaisse les commandements fondamentaux de la morale : inutile donc de les enseigner, hormis à l'école primaire. Seules les modalités de l'action qui enferment l 'agent moral dans les dilemmes psychologiques et sociaux

c m(2) «O 1 J

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sont susceptibles de passionner profondément les adolescents. Et ces dilemmes, la littérature française, si friande de crises de sentiment dénoncées selon les lois de la vie psychologiques, les présente avec leur intensité véritable. L'être pur est incontestablement attiré par les règles morales dans leur formulation abstraite : un impératif garde sa valeur en toute circonstance. C'est toutefois dans les antinomies posées par les passions contradictoires et les sollicitations sociales que s'avère la force de la règle, obligée qu'elle est d'acquérir une plasticité particulière dans l'expérience. En dernier ressort, les actes seuls jugent l 'agent.

Il conviendrait que les études puissent préparer directement l 'étudiant à la vie des idées de son époque. Au sortir de l'école, il sera obligé de se préoccuper des questions de son temps, de s'enthousiasmer pour telle ou telle formule politique, de servir tel ou tel idéal. L'école reste généra­lement hors du moment actuel. Pour des raisons diverses, l'histoire et la morale semblent répudier le XX^ siècle.

A cette carence, le professeur de morale peut seul remédier en puisant, entre autres, le thème de certaines leçons dans des ouvrages de la litté­rature contemporaine.

Afin de montrer l'utilité que peut présenter l 'examen de textes litté­raires, nous donnerons en exemple six plans de leçons, les premières fondées sur des écrits classiques, les autres sur des ouvrages contem­porains, et s'adressant à des âges divers de l'adolescence (i).

Premier exemple : L'avarice.

T E X T E S DE BASE. Extra i t s de l'Aululaire de Plaute, de Shyllock (traduction d'A. de

Vigny), de l'Avare de Molière, Satire X de Boileau (portrait de Tardieu et de sa femme, exemple rare en li t térature d'une commune avarice dans la vie conjugale, des Caractères de La Bruyère (De l 'Homme), d 'Eugénie Grandet (de H. de Balzac), etc.

P L A N DE LA LEçON. a. Introduction : Lecture silencieuse et commentaire comparé d'un

certain nombre de ces textes. Constatation : l 'avarice est un vice de vieillard.

b. Analyse du texte de La Bruyère : « Ce n'est pas le besoin d'argent où les vieillards peuvent tomber un

jour qui les rend avares, car il y a de tels avares qui ont de si grands fonds qu'ils ne peuvent avoir cette inquiétude ; et d'ailleurs, comment pourraient-ils craindre de manquer dans leur caducité des commodités de la vie, puisqu'ils s'en privent volontairement eux-mêmes pour satis­faire à leur avarice? Ce n'est point aussi l'envie de laisser de grandes richesses à leurs enfants, car il n'est pas naturel d'aimer quelque chose

( i ) Ces leçons ont été données. L'article relate une expérience s'étendant sur plusieurs années.

aiisaaAiNn-sanaxngi

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d 'autre que soi-même, outre qu'il se trouve des avares qui n'ont pas d'héritiers. Ce vice est plutôt l'effet de l'âge et de la complexion des vieillards, qui s'y abandonnent aussi naturellement qu'ils suivaient leurs plaisirs dans leur jeunesse ou leur ambition dans l'âge viril. Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, ni santé pour être avare ; l'on n'a aussi nul besoin de s'empresser ou de se donner le moindre mouvement pour épargner ses revenus, il faut laisser seulement son bien dans ses coffres et se priver de tout. Cela est commode aux vieillards, à qui il faut une passion parce qu'ils sont hommes. »

{Les Caractères — De PHomme.) Données fondamentales fournies par le texte : 1. L'avarice est un vice de vieillard (i). 2. L'avarice ne se justifie pas : a) Pour l 'avare : il se prive inutilement puisqu'ils est âgé ; b) Pour les enfants : l 'avare pense surtout à lui-même. Il ne désire

pas enrichir ses héritiers, qui ont d'ailleurs leur propre vie. 3. Ce vice s'excuse partiellement : a) Chaque âge a ses travers ; b) Ce travers est aisé pour le vieillard. c. Renseignements fournis par les autres textes : 1. L'avarice vieillit le vieillard (dénuement). 2. Elle a des effets physiques : — elle raccourcit la vie ou l'allonge ; — elle se complaît dans la saleté (mendiants avares, Harpagon et sa

fluxion) ; — elle conduit à une négligence vestimentaire (description de Tardieu

et de sa femme). 3. Elle a des effets moraux : — elle isole l 'avare (peur de là dépense) ; — elle rend envieux (de la fortune des autres, de leurs succès, de

l 'apparente facilité de leur vie, de leur joie...) ; — elle rend mécontent (des autres, de soi-même : impossibilité de

vivre avec ses semblables) ; — elle rend triste (conséquence de ce qui précède) ; — elle déshonore (l'avare essaie de vivre au détriment des autres) ; — elle tue la sympathie et ne provoque pas la pitié. 4. Effets intellectuels : — la tristesse, l'envie, le mécontentement, l'incompréhension stéri­

lisent la pensée ;

(i) Les élèves intelligents peuvent déduire de cette constatation que l'avarice rejoint la prudence. En effet, la longévité des avares prouve que leur vice leur assure un certain nombre de vertus, dont la tempérance. Cette objection, qui nous a été faite un jour par un de nos élèves, ne doit pas être écartée (il faut rarement écarter les objections à un cours de morale). Le professeur fera remarquer que l'action morale suppose un désintéressement et ainsi l'élève sera amené à conclure que la prudence est une vertu d'un ordre inférieur.

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— l'avarice est improductive ; — elle empêche une saine compréhension des choses.

d. Transition : Les textes analysés envisagent seulement l'avarice de l 'argent.

e. Analyse £une nouvelle pensée : « Il est une avarice des sentiments qui n'affecte pas seulement le

vieillard. » Certes, chez lui, l 'amour effréné de l'argent ferme le cœur et le rend

sourd à la bonté et à la sympathie. Mais la cupidité est un vice qui se prépare lentement dans l 'homme. On voit des êtres, jeunes encore, res­sentir de la jalousie à la vue du succès de leurs égaux. Ils se prétendent perpétuellement lésés. Leur générosité s'étiole. Ils ne comprennent plus leurs semblables. Bientôt, ils vivent repliés sur eux-mêmes, incapables de vibrer à l'appel des idées et de la beauté. Ils sont seuls et égoïstes. Leur mécontentement croît avec l'amère satisfaction que leur procure leur isolement.

» Ceux-là sont les vrais avares qui verrouillent leur cœur à la géné­rosité des sentiments. »

Données fournies par le texte : 1. Il existe une avarice des sentiments aussi bien que de l'intelligence. 2. Ces avarices n'impliquent pas nécessairement la vieillesse : elles

s'aperçoivent dès la jeunesse. 3. Elles sont une manifestation de l'égoïsme.

f. Comparaison des deux textes : origine de Vavarice : 1. Cette origine ne s'aperçoit pas nettement. Exemple : Le vieillard avare en littérature (les auteurs n'indiquent

pas quand l'avarice commence). 2. Elle peut être acquise. Exemples : 1° Tardieu subit l'influence de son épouse ; 2° Celle-ci vit dans un milieu d'avares, elle subit l 'ascendant de son

éducation et de son milieu. 3. Mais elle demande quelque prédisposition. Preuve : Dans la société, avares et prodigues se coudoient. 4. Cette prédisposition peut s'apercevoir dans la jeunesse. Exemple : Deuxième pensée. 5. Elle affecte non seulement l 'argent, mais les plus nobles sentiments

en souffrent.

g. Conclusions générale : 1. Synthèse et généralisation de la leçon. 2. Résolution.

h. Applications : 1. Résumer la leçon sous forme d'une maxime. 2. Lire les textes non connus.

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Deuxième exemple : Valeur de la prudence et du risque. A la lecture de la préparation précédente, on dira sans doute, que

l'exemple de l'avarice est priviligié, puisqu'il est devenu classique. La leçon n'offre donc pas de grandes difficultés vu que la plupart des élèves ont lu Honoré de Balzac ou Molière.

Serait-il possible de recourir pareillement à quelque texte pour un sujet plus abstrait intéressant les classes supérieures ?

Supposons que l'on ait à opposer la valeur de la prudence à celle du risque. Comme il s'agit de jeunes gens déjà mûrs à la réflexion, utilisons le texte littéraire à la fin de la leçon en ayant soin toutefois de nous appuyer, au cours de l'exposé, sur des types littéraires connus. M A T I è R E ET PLAN DE I,A LEçON.

a. Introduction. b. Leçon proprement dite.

1. Uessence des grandes actions morales : a) Quelques exemples frappants : la mère qui sauve son enfant au

péril de sa vie — l'homme qui se dévoue pour sa patrie — le héros de la science...

b) Caractère semblable de ces actes : ils se font au détriment de l'indi­vidu, ils comportent un risque pour la personne qui agit ; ce risque pro­voque une « crise i>, il est impatient et fougueux, imprudent et jeune.

Type : Pascal. c) Conclusion : le risque présente une valeur morale.

2. La prudence et les vertus moyennes : a) Certaines vertus morales s'opposent au risque : persévérance, endu­

rance (il ne peut y avoir continuité dans le risque), patience, prudence. b) Caractères de la prudence : l 'homme prudent est attentif, lent,

calculateur, réfléchi, patient, prévoyant (il craint l 'imprévu, le hasard) ; il est « vieux ».

Type : Montaigne. c) Conclusion : la prudence présente une valeur morale.

3. L'antinomie de la prudence et du risque : a) La prudence s'oppose au risque. b) Prudence et risque peuvent se présenter au même moment :

que faire? Un examen plus approfondi du problème s'impose donc.

4. Le risque ne présente pas de valeur morale par lui-même : a) Exemples : les compétitions sportives, certaines professions. b) Le risque moral « insensé » : les faux prophètes, etc. c) Le risque s'applique au mal : dans toute société, la répression des

délits est forte. Le risque devient un sport : attrait du mal, de la chose défendue.

d) Conclusion : le risque n'est moral que s'il s 'attache à un acte moral.

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5. La prudence ne présente point de valeur morale par elle-même : a) Exemple : la prudence dans les compétitions sportives.

La prudence est proche de certains vices : elle rend défiant, elle annihile le goût du sacrifice, elle intensifie l'égoïsme.

^) La prudence exagérée nie la morale. Exemple : le célibataire jouis­seur.

6. Solution aristotélienne de Vantinomie : a) Aristote montre que les contraires entrent en contact et que du

choc des oppositions jaillit la nouveauté. (Même théorie reprise par M. Hartmann.)

Schème de l'action morale (assez explicite par lui-même...). Risque

Union < dans la moralité véritable (universelle) ( Prudence

Risque immoral immorale La vertu réside dans le concours de vertus contraires. b) Comparaison avec Héraclite. c) Application à l 'antinomie prudence-risque. Type : Descartes. y. Synthèse et conclusion : Examen d'un texte de La Rochefoucauld. La prudence. La Rochefoucauld écrit : « On élève la prudence jusqu'au ciel, et il n'est sorte d'éloge qu'on ne

lui donne ; elle est règle de nos actions et de notre conduite, elle est maî­tresse de la fortune, elle fait le destin des Empires ; sans elle on a tous les maux, avec elle, on a tous les biens, et, comme disait autrefois un poète, quand nous avons la prudence, il ne nous manque aucune divi-

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nité, pour dire que nous trouvons dans la prudence tout le secours que nous demandons aux dieux. Cependant la prudence la plus consommée ne nous saurait assurer du plus petit effet du monde, parce que tra­vaillant sur une matière aussi changeante et aussi inconnue qu'est l 'homme, elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets : d'où il faut conclure que toutes les louanges dont nous flattons notre prudence ne sont que des effets de notre amour-propre, qui s 'applaudit en toutes choses et en toutes rencontres. »

Troisième exemple : Le cas Alceste. Les <( Instructions provisoires concernant la réforme de l'enseigne­

ment moyen » conseillent au professeur de français des classes supé­rieures d'aborder l 'étude d'une grande comédie de Molière. Peu de pro­fesseurs choisissent « Le Misanthrope » parce que le comportement d'Alceste et de Philinte pose un problème moral qui doit être débattu et qui risque de faire dégénérer l'analyse littéraire en une leçon de morale. Ce danger est d 'autant plus vrai que l'adolescent, fervent du point d'honneur et du respect de la vérité, réprouve les demi-mesures et est naturellement porté à admirer sans réserve le personnage d'Alceste si proche de son idéal moral. Ainsi, l 'intention de Molière sera mal comprise.

Une collaboration étroite entre les professeurs de français et de morale permettra d'éviter cet écueil.

PLAN DE LEçON.

1 . Les élèves sont invités à lire « Le Misantrhope ».

2 . Le professeur usera de la méthode socratique pour faire découvrir les éléments suivants qui serviront de base à la discussion.

A. M i l i e u d e l a p i è c e : Tous les personnages appartiennent à la plus haute société et fréquentent le salon de Célimène. La bien­séance mondaine y sévit. Alceste détonne tandis que son ami Philinte incarne « l 'honnête homme » du X V I P siècle.

B. C a r a c t é r i s t i q u e m o r a l e d e c e m i l i e u : Le men­songe triomphe sous plusieurs formes. Recherchons-les.

a. Le mensonge des rapports mondains : 1° Les « embrassements « : Les personnages, Alceste excepté, mani­

festent une joie excessive, toute superficielle et fausse, dès qu'ils s'abor­dent.

Exemples : — Oronte se présente à Alceste (I 2) ; — Célimène reçoit Arsinoé (II 4). Songeons au portrait peu flatteur

qu'elle vient de tracer de la prude (II 4) ; — Arsinoé rencontre Alceste (III 5). 2° Les louanges immodérées et flatteuses.

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Exemples : — Clitandre et Acaste louent Célimène (II 4) et l 'abandonneront

lorsqu'ils auront la preuve de n'être point aimés d'elle (V 4) ; — Arsinoé s'étend sur les mérites d'Alceste dans l'espoir d'obtenir

ses faveurs (III 5). 3° La médisance, la calomnie bat son plein dans le salon de Célimène : — La coquette et les deux marquis s'acharnent à qui mieux mieux

à ternir la réputation de ceux qu'ils savent à l'occasion encenser et com­plimenter (II 4, scène des portraits).

— Arsinoé qui a défendu Célimène contre la calomnie dont elle a été l 'objet (III 4) essayera de la perdre en la calomniant à son tour auprès d'Alceste (III 5).

b. Le mensonge en amitié : L'amitié est ravalée à une simple amabilité de convenance. 1° Elle se donne au premier venu. Exemple : Oronte « brûle qu'un nœud d'amitié » l'unisse à Alceste

qu'il ne connaît pas (I 2). 2° Elle est hypocrite. Exemple : C'est au nom de l'amitié qu'Arsinoé a défendu Célimène

et qu'elle vient la mettre en garde contre les(bruits qui l 'atteignent dans son honneur. C'est également « par amitié » que Célimène a défendu la prude Arsinoé. Malgré cette « tendresse » elles se déversent mutuellement leur venin (III 4).

c. Le mensonge en amour : 1° Célimène, type de la coquette. Exemples : — « Faire » des amants. Se sentir aduler par eux, est sa seule préoccu­

pation. * — Remarquons sa complaisance à l'égard du doux Clitandre qui

« peut intéresser tout ce qu'il a d'amis » dans le procès qu'elle doit mener (II i). Songeons au billet qu'elle adresse à Acaste et dans lequel elle dira de Clitandre ; c'« est le dernier des hommes pour qui j 'aurais de l 'amitié » (V 4).

— Elle esquise toute discussion avec Alceste. Elle le désarme en abusant de son charme. Elle lui laisse tout espérer cependant qu'elle ne lui accorde que cet espoir (IV 3).

2° Les Marquis. « Être aimés du beau sexe », et non d*une femme élue, tel est leur seul

objectif (III i). L'inconsistance de leur sentiment se traduit par le pacte qu'ils con­

cluent entre eux : chacun de son côté s'évertuera à conquérir l 'amour de Célimène ; le vaincu s'elïacera devant le vainqueur (III i).

d. Le mensonge à l'égard de la justice : L'usage aux XVII^ et XVIIIe siècles était de solliciter ses juges.

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Rappelons-nous Chicaneau dans « Les Plaideurs » et l 'a t t i tude de Beau­marchais lors de son procès contre les héritiers de Paris-Duverney.

Exemples : — Philinte s'étonne qu'Alceste ne « visitera aucun juge » pour gagner

son procès alors que sa partie est forte et qu'elle peut « par sa cabale entraîner... » la défaite de notre misanthrope (I i).

— Même at t i tude chez Célimène qui se montre aimable avec Cli-tandre (II i).

3 . Discussion. a. En quoi admirons-nous Alcestel Son idéal de sincérité et de franchise dans ses rapport avec autrui,

sa conception de l 'amitié et de l 'amour basée sur un choix sévère, sa foi en une justice véritable et incorruptible, ses principes, en un mot, font de lui un honnête homme au sens étroit du terme.

b. En quoi Alceste est-il ridicule! Par l'intransigeance, la raideur, les indignations véhémentes qu'il

manifeste. 1° Dans l'expression. Exemples : Nombreux (lorsqu'il réprimande Philinte qui a salué

Oronte (I i). « Allez, vous devriez mourir de pure honte... » 2° Dans l ' inopportunité de ses paroles. Exemples : — Philinte est un « cœur corrompu » pour avoir accueilli Oronte selon

les convenances mondaines de l'époque. — « Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur,

» On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur (I l). Faut-il dire toujours tout ce qu'on pense? Quand pouvons-nous nous

taire, voire altérer notre pensée? (le mensonge poli, éducatif, patrio­tique, pieux — restriction : les abus !).

— A Philinte : « Je refuse d'un cœur la vaste complaisance... » L'ob­servation des convenances polies empêche-t-elle l'amitié vraie?

— Doit-on « rompre en visière à tout le genre humain » parce qu'on le trouve imparfait? (I i).

— Conscient des défauts qu'il abhorre en Célimène (I i), Alceste ne perd aucune occasion d'exploser.

c. Explication du comportement d'Alceste : Alceste est un idéaliste qui se forge de l 'humanité une image parfaite.

« Il porte en lui l'idée platonicienne de la perfection » (Doumic). Comme il est passionné, il s'irrite toutes les fois que son idéalisme heurte la mé­diocrité du monde dans lequel il vit. Ses colères sont d 'autant plus vives que son désir ardent de voir s'améliorer les hommes est sans espoir. En quoi ce comportement est-il l'indice d'un orgueil démesuré?

d. Explication du comportement de Philinte : — Philinte se fait de l 'humanité une idée aussi sombre qu'Alceste.

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De plus, il est convaincu de l'impossibilité de changer ce monde imparfait. Philinte est donc plus pessimiste qu'Alceste. Ce pessimisme s'accorde avec celui des moralistes du XVII^ siècle.

— Comme il désire vivre en paix avec la société, il est conciliant : il se conduit en « honnête homme » du XVII^ siècle, soucieux des règles de bienséance.

e. En quoi Philinte est-il blâmable] — Il admet l'indignité humaine, il ne fait rien pour l'extirper là où

il la voit : il est complice des médisances qui se colportent dans le salon de Célimène.

— De plus, il y a quelque lâcheté dans son at t i tude lorsqu'il tolère qu'on médise de son propre ami et surtout lorsqu'il l'accable en même temps que ceux dont il réprouve le comportement.

f. En quoi l'attitude de Philinte est-elle plausible] 1. Philinte est un ami sincère. Exemples : — Il supporte patiemment les rebuffades d'Alceste. — Il est délicat dans sa cour à Eliante qui pourrait aimer Alceste. — Lors du dénouement, il cherchera, avec Eliante, le moyen de se­

courir son ami au désespoir. 2. Il a le sens de la vie en société et de la mesure en admettant chez

l 'homme des qualités et des défauts. En quoi cette at t i tude est-elle un indice de modestie ]

* *

Le principe défendu plus haut a été appliqué à des entretiens tantôt simples, tantôt difficiles.

On rétorquera toutefois que les trois matières envisagées jusqu'ici constituent des sujets classiques des cours de morale et qu'elles n'ont rien de spécifiquement actuel.

Illustrons donc la méthode préconisée par l'analyse d'œuvres contem­poraines, où la réalité morale est présentée dans toute sa complexité. Nous éviterons ainsi l 'arbitraire des deux premiers exemples oh une seule vertu, un seul vice sont analysés.

Quatrième exemple : Analyse du « Disciple » de P . Bourget.

But : Cette analyse conduit l'élève sur la trace de plusieurs pro­blèmes moraux.

Exemples : i . L 'auteur s 'at taque à Taine et à la science expérimentale au nom d'un seul exemple particulier, le cas Greslou.

2. Le cas Greslou : l 'argument scientifique masque des actions senti­mentales troubles, aggravées par l'opposition des classes sociales.

3. Le cas de M. Sixte : le savant de cabinet édifie des théories utilisées dans un but peu louable.

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4- Le problème de la diffusion de la vérité : est-il souhaitable de voir diffusées des théories lorsqu'elles peuvent entraîner de redoutables conséquences ?

5. Le cas du justicier : peut-on se substituer à la justice des hommes, même si celle-ci va à l 'encontre de son propre code de l'honneur.

6. Le cas de la jeune fille : a-t-elle le droit de demander la mort de Greslou ?

Tels sont quelques dilemmes que pose l'ouvrage de P. Bourget. Méthode : a. Faire lire l 'ouvrage par les élèves. b. Faire résumer oralement. c. Par la méthode socratique, établir les divers problèmes à étudier. d. Montrer l'erreur générale de l'ouvrage. e. Examiner cependant, en principe pur, quelques-uns des problèmes

posés. /. Discussion de ces problèmes. Remarque : Il n'est pas nécessaire qu'une telle analyse conduise à une

leçon édifiante à laquelle répugne l'adolescent. L'essentiel est, nous semble-t-il, de faire réfléchir, et le plus profondément possible, à cer­taines attitudes. Cette méditation incitera l 'étudiant à concevoir ces actions à la lumière d'un débat préalable, sinon à les répandre pour défendre leur pureté. L'expérience nous a montré que les étudiants s'intéressent à ces analyses qui éveillent chez eux, avec le sens critique, le désir de mieux faire. En accordant, par ailleurs, une grande impor­tance aux antinomies morales, ils attachent de la valeur à leur propre conduite. C'est là un résultat estimable en ce qui concerne l'éducation morale, car rien ne désagrège davantage la bonne volonté que l'indiffé­rence à soi-même et aux autres.

Cinquième exemple : L'iionneur du médecin. Texte de base : Les Thibaut de R. Martin du Gard. Après avoir montré la naissance de l'honneur dans les classes sociales

ascendantes — la li t térature française constitue à cet effet un précieux auxiliaire — le professeur abordera quelques aspects de l 'honneur dans la société contemporaine, tels l 'honneur de l'avocat, du juge, de l 'homme politique, de l ' instituteur, du travailleur en général.

Examinons celui du médecin.

PLAN DE LEçONS.

1. R a p p e l : «La morale de l'honneur consiste à traiter les autres et à se comporter soi-même comme une personne » (E. Dupréel, Cours de morale, II , p. 514). C'est donc surtout dans ses rapports avec la société que nous étudierons le problème.

2. P r e m i è r e l e c t u r e : L'épisode de Robert et de Loulou dans la 4^ partie des Thibault , « La Consultation » (début du chapitre I et chapitre XI) .

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à) Faire lire à domicile le passage polycopié ou faire la lecture en classe.

V) L'analyse des qualités de cœur d'Antoine permettra de discuter les points suivants :

1° le médecin et l 'appât du gain ; 2° comment concilier ces deux aspects du médecin? D'une part ,

l 'homme de science qui s'intéresse au « cas » médical, dans son intérêt personnel (réputation, ambition légitime), dans celui de la science (pro­grès scientifique, acte gratuit ; — d'autre part, l 'homme sensible, qui cherche à soulager le malade afin de lui rendre sa dignité d 'homme valide) ;

3° la conscience professionnelle ; 4.° le rôle humanitaire du médecin grâce aux investigations psycho­

logiques qu'il lui est aisé de pratiquer chez ses clients. L'importance de la discrétion.

3. D e u x i è m e l e c t u r e : Le respect de la vie dans les cas déses­pérés.

a. Antoine refuse de supprimer la vie de la fillette de Héquet : « La Consultation » (début du chapitre X I I ainsi qu'un choix de quelques réflexions d'Antoine au chapitre XII I ) .

Examen du cas : — Fillette de deux ans, née estropiée, opérée vainement par le père,

le chirurgien Héquet, ami d'Antoine. — Le père et la mère s'accrochent à la vie de cet enfant. — Atteinte d'une otite, complication, douleurs atroces. — Nombreuses consultations, y compris celle du D'' Philip, « le pa­

tron » d'Antoine. Tous les médecins ont condamné l 'enfant. — La mère enceinte est souffrante. — Le père et son ami Studler, ancien étudiant en médecine, implorent

Antoine de supprimer la vie de l 'enfant. — Antoine refuse, bien qu'il sache qu'il n 'y a plus rien à tenter et

qu'il souhaite une mort naturelle rapide. Opinion de Studler : — Antoine fait preuve de lâcheté. — « La seule limite (au pouvoir du médecin) quand on est un homme,

c'est sa conscience. » Réflexions d'Antoine après son refus : — « N'aurait-il pas fallu plus d'énergie pour consentir que pour

refuser? » — Ne faut-il pas considérer ce respect de la vie comme un « féti­

chisme » résultant d'<( un faisceau d'habitudes implantées en nous depuis des siècles »?

— Plus loin, il ira jusqu'à se demander si « tout n'est pas permis du moment qu'on sait ce que l'on fait, pourquoi on le fait ».

Discuter la valeur de ces idées.

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b. Antoine supprime la vie de son père. Introduire le sujet : M. Thibaut a subi l 'ablation d'un rein. L'infection

du second, qui ne filtre plus, détermine un cas d'urémie convulsive. Le vieillard est alité depuis des mois. La paralysie se déclare et le malade, conscient de sa déchéance, souffre physiquement et moralement.

Lecture : « La mort du père », sixième partie (milieu du chapitre VI). Analyse du cas : Faire découvrir les diiïérences qui existent entre ce

cas et le cas précédent : 1° il s'agit d 'un être proche ; 2° Antoine consulte son frère Jacques ; 3° Antoine est à bout de ressources médicales et de fatigue ; 4° dernière extrémité d 'un vieillard condamné et qui souffre le mar­

tyre. Réflexions d'Antoine après la mort de son père : — Estime que « dans le cas présent » il a bien agi. — Il s'agit d'une question de conscience, d'interprétation surtout. — Il est convaincu du péril qu'il y aurait à autoriser les médecins à

agir comme il l'a fait. Discussion : A la rigueur, les élèves peuvent être invités à faire le

procès d'Antoine. Ils chercheront le pour et le contre et prendront posi­tion. Le professeur orientera le débat, affirmera son point de vue, sans toutefois l'imposer aux jeunes gens.

Sixième exemple : Civilisation et progrès technique.

Le sujet que nous proposons est extrêmement vaste. Nous nous con­tenterons d'en indiquer les grandes lignes. Le professeur de morale pourra donc, à son gré, donner plus d'extension à telle ou telle idée sui­vant le niveau intellectuel des élèves auxquels il s'adresse.

MéTHODE. — Tantôt la discussion précédera la lecture, tantôt celle-ci éclairera une discussion engagée ou confirmera l'entretien.

Évitons toutefois de vouloir convaincre à tout prix tous nos élèves. Dans des leçons de ce genre, nous rencontrerons toujours des avis opposés aux nôtres. Et c'est très bien ainsi. Sachons montrer à nos étudiants qu'à l'école au moins la tolérance n'est pas un vain mot. Dès lors, la leçon de morale suscitera le goût de la réflexion et de la libre discussion.

INTRODUCTION. — L 'homme s'interroge régulièrement sur sa situation dans son siècle, sur sa situation par rapport à ses prédécesseurs et s'in­quiète de son apport dans l'évolution de la civilisation. L'angoissante question du progrès est une de celles que l 'homme se pose avec une touchante constance.

Examipons-la ensemble. Pour ce faire, il faudra diriger nos investi­gations dans divers domaines, puisque la civilisation revêt de multiples aspects.

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PLAN.

1. Notre siècle s'enorgueillit à juste titre d'avoir élargi le domaine de la science -pure et d'y avoir posé, à côté de découvertes sensationnelles, les noms éminents des Einstein, des de Broglie...

Remarque : Le public confond souvent, et erronément, ces recherches théoriques et les applications pratiques qu'en peuvent tirer d'autres savants, éminents ou obscurs.

Il convient d'insister ici sur la gratuité de la spéculation scientifique de ceux-là, fort éloignés et même parfois opposés à la réalisation de ceux-ci. On ne montrera jamais assez le divorce entre les deux disciplines que l'on a tendance à confondre dans une même admiration ou un même mépris.

2. C'est que la seconde tendance implique une donnée de portée morale et le grave problème du progrès technique possède ses admirateurs exta­siés comme ses détracteurs farouches.

a. A première vue, évidemment, le lait en boîte et le coupe-cigare automatique témoignent d'un subtil esprit d'invention et réconfortent le civilisé préoccupé de la dangereuse confrontation avec l'homme des cavernes.

Certes notre confort a sensiblement augmenté depuis le temps où l 'homme se nourrissait, dans des grottes insalubres, de gibier découpé sans art et mal grillé : nous jouissons à toute heure du jour et de la nuit de possibilités aussi nouvelles qu'agréables comme l'avion, le train, la radio... Même, le progrès a conduit l 'humanité vers une meilleure justice sociale. Comparons nos paysans actuels à ceux que nous dépeint La Bruyère.

Texte : « Les Caractères » (ch. De l 'Homme : « L'on voit certains animaux farouches... », Garnier, p. 295).

Songeons à la part plus large faite à la dignité humaine et aux indi­gnations d'un Montesquieu contre l'esclavage, bien que dans ce domaine beaucoup de chemin reste à parcourir.

Texte : « Esprit des lois i> (XV 5), De l'esclavage. Devant cet apport certain et qu'il serait ridicule de négliger, béerons-

nous d'admiration comme M. Jourdain devant l'instruction? h. Montrons-nous plus difficiles, plus anxieux devant une satisfaction

moins légitime qu'elle ne le paraît. Qu'avons-nous ajouté, en fait, au chapitre de la fraternité, de l 'humanité ? Le nom abhorré de la guerre ne retentit-il plus que comme un sinistre souvenir? Les ricanements de La Bruyère ne sont-ils plus de saison dans un temps où Vercors a pu puiser l 'inspiration de ses poignantes nouvelles, et cela vingt ans seule­ment après une autre expérience sanglante.

Textes : I. « Les Caractères » de La Bruyère (Ch. Des Jugements — extrait

du § « Petits hommes, hauts de six pieds... », Garnier, p. 336).

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2. « La Marche à l'Étoile », « Les Armes de la Nuit », « Le Silence de la Mer » de Vercors.

3. « Le Feu » de Barbusse, « Prélude à Verdun » et « Verdun » de J . Romains.

Certes la cause de la paix, malgré ses courageux défenseurs, n 'a pas fait un pas depuis que les personnages d'Aristophane l'ont sortie de terre.

Texte : « La paix » d'Aristophane. Après avoir constaté humblement notre défaite au long des siècles,

engageons-nous à nourrir et protéger, de tout notre effort, cette Paix si débile encore.

Rappel de notions enseignées antérieurement : O.N.U-U.N.E.S.C.O...

3. Abordons le domaine de Vart. a. Le souci constant àe rUtilité, déifiée depuis peu, nous procure des

spectacles décevants. On construit d'énormes buildings, merveilles de l 'architecture moderne, mais on omet de les décorer et dans ce monde préoccupé de gigantesque on visite aujourd'hui les abattoirs modèles de Chicago comme un monument.

Textes : 1. <( Scènes de la vie future » de Duhamel (extrait du ch. VII I : Royaume

de la Mort). 2. <( La Possession du Monde » de Duhamel (i). b. La Facilité, autre fille du progrès technique, permet à un amateur

de se gorger de musique des heures entières par le simple jeu d'un bouton de radio. Notre malheureux ne se rend pas compte qu'il raye de sa vie toute redécouverte d'une oeuvre musicale, plaisir qui lui aurait été fourni après de pénibles tentatives, parfois bien informes, à l'aide de tel instru­ment de son choix.

Texte : « La Musique consolatrice » de Duhamel (extrait : Une réunion d'amateurs).

A cause de cette facilité, la pensée musicale reste superficielle et ne domine pas l 'auditeur comme l 'amateur patient.

Texte : « La Possession du Monde » de Duhamel (Introduction à la vie lyrique, § IX).

Il serait facile ici de citer d'autres exemples.

4. Venons-en enfin au domaine philosophique. a. L'abondance des réponses que les hommes ont trouvées au cours des

siècles à des questions d'ordre métaphysique toujours les mêmes, interdit toute idée de progrès : les opinions, si pertinentes soient-elles, se dé­truisent aisément grâce à d'autres opinions, tout aussi pertinentes.

h. Certes la Raison de l 'homme s'est conquise une indépendance plus large à l'égard de l 'amas des préjugés qui la tenaient emprisonnée dans un cercle étroit. Des savants, des penseurs ont eu l'audace de revendiquer

( i ) (Chapitre V ; Introduction à la vie lyrique, § 6 : L'art sert à vivre.)

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pour elle une autorité-souveraine. (Lesquels?) Et cette indépendance, qui constitue aujourd'hui notre libre-examen, a valu à l'homme des con­quêtes inestimables. (Lesquelles?)

c. Reste l'aspect le plus banal, le plus rudimentaire, celui que d'aucuns appellent philosophie de la vie. La littérature de ce temps, reflet de l'âme de l'époque est sombre voire morbide, elle broie du noir avec une una­nimité lassante. La joie de vivre, l 'aptitude au bonheur semble réduite sinon inexistante et même, il faut avoir le courage de l'avouer, un tan­tinet ridicule. L'enthousiasme devenu « l'emballement » sombre sous le mépris de la majorité qui, réfugiée dans une indifférence commode, le juge puéril et démodé.

Ni exaltation des beautés naturelles, d'ailleurs souvent insoupçonnées dans la fièvre de la vitesse qui ronge les voyageurs, ni la patiente re­cherche de l'âme de son semblable, rarement entreprise dans la ronde des préoccupations sans cesse grandissante de la vie moderne, n'attei­gnent l'ensemble de notre bizarre génération. Nous besognons sans trêve et sans joie vers un but pesant, mais lequel? Nous parcourons en toute hâte un chemin dont nous ne connaîtrons jamais que les obstacles et les cailloux. Qu'avons-nous fait de la joie de vivre?

Textes : 1. « Les Confessions ». Les promenades à pied. 2. <( Colas Breugnon — R. Rolland » (Le flâneur — Mon métier).

La CONCLUSION ne saurait être unique ; elle réclame un ensemble de réponses à chaque problème posé. Que l'on se garde de considérer la civilisation actuelle comme un « bloc » à glorifier en tout ou à rejeter en ses moindres détails.

* # *

Nous espérons que ces quelques plans de leçons auront montré l'intérêt de la méthode que nous préconisons.

La littérature offre un choix d'intrigues qui captivent les élèves, non seulement par l 'affabulation, mais aussi par les problèmes moraux qu'elles suggèrent. D'autre part, la bonne littérature est avant tout une interprétation de la vie souvent obscure pour l'adolescent qui n'en connaît que quelques aspects ou qui, par excès d'idéalisme, la conçoit sous un jour arbitraire et faux.

Un cours de morale qui s'appuie sur des ouvrages littéraires présente donc l 'avantage d'éclairer, de faciliter ou de confirmer la discussion. Il permettra aux étudiants de développer leurs idées sans s'égarer dans un monde créé de toutes pièces par leur imagination féconde. Il limitera le rôle du professeur à celui d 'un animateur, d'un guide qui s'abstiendra d'étouffer la personnalité de ses élèves. Et la leçon de morale prendra ainsi l'allure d'un entretien cordial et familier.

Ajoutons que telle analyse, en raison de sa profondeur, outre qu'elle

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fortifie le sentiment moral, sert l 'étude de la langue et parachève la cul­ture générale.

Enfin, un tel procédé d'enseignement constituerait une démonstration de la méthode expérimentale. Le peu d'efficacité des leçons de morale provient en ordre principal du fait que cet enseignement n'est point en contact avec la réalité.

Sans doute, il reste une objection que certains ne manqueront pas de formuler.

Comme il arrive fréquemment que le professeur de français soit égale­ment chargé du cours de morale, il se pourrait qu'une telle méthode l 'incitât à transformer sa leçon de morale en analyse littéraire. Cet argu­ment n'enlève rien à la valeur de la méthode envisagée. C'est affaire de conscience professionnelle. E t nous sommes convaincus que les pro­fesseurs soucieux de leurs responsabilités et de leurs devoirs sont moins rares que d'aucuns se plaisent à l'insinuer.

SYLVAIN D E COSTER, Professeur à l'Université libre de Bruxelles,

Directeur de l'École normale Ch. Buis.

MARCEL ROUSSEAU, Professeur

à l'École normale Ch. Buis.