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Sommaire
Impulsion monétaire et réponse de l’économie (Anton Brender, Florence Pisani et Emile Gagna)
De Bâle I à Bâle III: Que retenir de plus de 20 ans d’accords prudentiels ? (Rachida Hennani)
La crise financière: enseignements et perspectives (Olivier Klein)
Stratégie de la banque et de l’assurance (Eric Lamarque)
L’affirmation d’un nouveau modèle bancaire (Entretien avec Marie-Christine Jolys et Kenza Bellakhdar )
En partenariat avec Oberthur Fiduciaire
Les ancêtres de la monnaie
D’Athènes à Rome, la monnaie, vecteur de progrès
De la pénurie de monnaie à l’inventivité monétaire
Le papier transformé en argent : invention et expansion du billet
Billets : pour longtemps, le moyen de paiement le plus pratique et le plus sûr ?
Banques de détail: l’impérieuse nécessité de réinventer la relation client (Daniel Pion)
La relation difficile des français avec les actions (Bruno Séjourné)
Centralité bancaire et émission monétaire (entretien avec Antoine Vion, Eric Grémont et François-Xavier Dudouet)
Investir aujourd’hui : défis et perspectives (Entretien avec Christian Dargnat)
« Le capital-investissement est un stabilisateur de l’économie » : Pourquoi il faut encourager le capital-
investissement français (entretien avec Olivier Millet)
Le crowdfunding: éclairage sur un phénomène de société (Chloé Magnier)
L’inclusion sociale peut-elle se passer du marché des capitaux ? (Régine Hollander)
La spécificité du modèle mutualiste bancaire français est-elle durable? (Katia Lobre-Lebraty)
La finance responsable en France, quelles opportunités lors de l’après-crise financière ? (Thibault Cuenoud)
2
En partenariat avec Oberthur Fiduciaire
L’euro: « l’Europe dans la poche du citoyen » Le dollar, monnaie d’Amérique…et du monde !
Les monnaies africaines, vecteurs identitaires de la décolonisation la mondialisation
La Chine, berceau de la monnaie papier et première victime de la planche à billets
Les monnaies traditionnelles d’Océanie, ancêtres de la Monnaie fiduciaire
Paradis fiscaux et économie criminelle (Antoine Molé)
Les principaux enseignements de l’étude annuelle d’EY 2015 sur la fraude (Antoinette Gutierrez-Crespin et Phi-
lippe Hontarède)
Directeur de la rédaction
Nicolas Menguy
Chef de projet éditorial
Roxane Lauley
Contact annonceurs (publicité et partenariats éditoriaux)
Illustrations : ©Ingimage
Imprimerie : Gibert Clarey Imprimeurs, rue Charles Coulomb, 37170 Chambray-les-Tours
Dépôt légal : Février 2016
ISSN : 2428-5374
© VA Press Media Group 2015
16, boulevard de la Reine
78000 Versailles
www.vapress.fr
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L 122-5, d'une part, que les "copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations
dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur
ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite" (art L 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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3
Pour tenter d’expliquer la crise financière de 2007-2009, il
faut remonter au violent krach boursier de 2000 qui corres-
pond à l’éclatement de la bulle technologique. Entre juin
2000 et mars 2003, le CAC 40 est passé de 7000 à 2300
points. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis
ont sapé un peu plus les bases de la confiance. Puis, en
2002-2003, on a découvert qu’un certain nombre d’entre-
prises (Enron, Wordlcom, Parmalat, etc.) avaient cédé à la
créativité comptable pour tromper les marchés. Cela a
entraîné une crise de confiance consi-
dérable et une violente crise du crédit.
En 2003, les grands groupes ne pou-
vaient pratiquement plus emprunter
sur les marchés financiers et leur
prime de risque s’est élevée vertigi-
neusement.
La forte récession et la crainte de dé-
flation qui en résultaient ont obligé la
FED et les différentes banques cen-
trales à réagir. Le taux directeur de la
FED est ainsi passé de 6%/7% en
2000 à 1% en 2003. Cet environnement de taux bas qui a
duré jusqu’en 2004 a permis de lutter contre la déflation.
L’action sur les taux d’intérêt a en effet soutenu le marché
de l’immobilier, ce qui a permis, par un effet richesse, au
consommateur américain de servir de « consommateur en
dernier ressort ». Ainsi, fin 2003-début 2004, la croissance
est-elle repartie.
Deuxième élément de contexte de la crise de 2007-2009 :
la mondialisation. Elle est évidemment le fait des pays
émergents, qui choisissent un mode de développement, à
partir du début des années 2000, très différent de celui
adopté précédemment par les pays asiatiques. Il avait été
fondé sur la consommation interne, il a donc buté sur des
contraintes de balances courantes, avec un retournement
très brutal des marchés de capitaux trop euphoriques an-
térieurement. En 1997, on a vu se retirer soudainement
les capitaux qui s’étaient investis à court terme dans les
pays émergents, à la recherche de rendements élevés.
Cela a provoqué la panique et la crise de 1997-1998.
Les pays émergents, et notamment asiatiques, ont donc
cherché un mode de développement plus favorable, fondé
sur l’exportation, en allant légitimement chercher la de-
mande des pays développés. Ils ont profité de leurs avan-
tages comparatifs, un faible coût du travail, donc des prix
très compétitifs sur certaines gammes de produits. Le mo-
dèle s’est également développé sur la base de devises
sous-évaluées pour faciliter leurs exportations, donc pour
soutenir leur dynamique de croissance. Durant les années
2000, les capacités de production des émergents se sont
accrues fortement provoquant des surcapacités de pro-
duction importantes, puisque simulta-
nément les pays développés n’ont
pas baissé leur propre niveau de pro-
duction à due proportion. Et la de-
mande interne des pays émergents
ne tirait pas encore suffisamment la
croissance mondiale.
L’offre mondiale de biens et services
s’est ainsi retrouvée supérieure à la
demande, avec pour corollaire une
épargne mondiale très supérieure à
l’investissement. C’est le « saving glut
», l’« excès d’épargne », cher à Bernanke, l’ancien prési-
dent de la FED. Effectivement, les pays émergents eux-
mêmes épargnaient plus qu’ils ne consommaient l’essen-
tiel de leur accroissement de revenus, dégageant des ex-
cédents d’épargne considérables qui n’étaient pas suffi-
samment absorbés par un surcroît d’investissement in-
terne.
« Les pays émergents épar-gnaient plus qu’ils ne con-
sommaient l’essentiel de leur accroissement de revenus, dégageant des excédents
d’épargne considérables qui n’étaient pas suffisamment
absorbés par un surcroît d’investissement interne »
La crise financière :
Enseignements et perspectives
Olivier Klein Professeur affilé à HEC en Economie et Finance, Directeur Général de la BRED
GOUVERNER L’ARGENT
4
Les capacités de financement mondiales supérieures aux
besoins de financement ont ainsi maintenu les taux d’inté-
rêts très bas.
Dans le même temps, les salaires réels des pays dévelop-
pés n’augmentaient que très peu, voire pas, sous la pres-
sion de la compétition mondiale. Cela a donc conduit à
nouveau à une inflation très basse et à des taux d’intérêts
très bas.
Troisième élément de contexte : le refinancement automa-
tique du déficit de la balance courante américaine, qui est
la contrepartie de ce qui précède.
Dopés par leurs exportations, la
Chine, les pays pétroliers et d’autres
pays émergents ont connu une crois-
sance des excédents courants de leur
balance des paiements. Symétrique-
ment, les Etats-Unis ont creusé le
déficit de leur balance courante. Sans
douleur, puisque les réserves de
change accumulés par les Chinois ont
été placées aux Etats-Unis et ont financé l’accroissement
des dettes américaines (des particuliers, des entreprises,
voire des Etats). Les taux longs américains sont donc res-
tés très bas. Et, dès le retour de croissance en 2004, bien
que la FED ait remonté ses taux courts jusqu’à 5%, les
taux longs eux ne sont pas ou peu remontés.
Pour désigner cette décorrélation historique entre le mou-
vement des taux longs et celui des taux courts, Greens-
pan, alors patron de la Banque Centrale américaine, a
parlé de « conundrum », c’est-à-dire d’énigme. Comment,
alors que la FED remontait significativement ses taux
courts, les taux longs ne montaient-ils pas de façon auto-
matique ? La raison n’était probablement pas si énigma-
tique, comme nous l’avons vu.
D’une certaine manière, la surproduction mondiale née de
la mondialisation, mondialisation non régulée, a été occul-
tée par l’accroissement de la consommation dans les pays
développés, mais sur la base d’une croissance soutenue
artificiellement par endettement progressivement insoute-
nable, elle-même favorisée par des taux anormalement
bas.
L’endettement des ménages explose partout, à l’exception
notable de l’Allemagne. Le taux d’endettement des entre-
prises bondit également entre 2000 et 2007. Avec le retour
à la croissance à partir de 2004, les emprunteurs comme
les prêteurs sont entrés dans une phase euphorique ou-
bliant les règles de prudence traditionnelles. C’est l’effet
d’un biais cognitif, bien connu : « l’aveuglement au dé-
sastre ». Plus le temps passe, moins on sait probabiliser le
retour d’une crise catastrophique. De ce fait, dans le do-
maine financier, on accumule des dettes progressivement.
Les banques, mais aussi les prêteurs de marché, abais-
sent leurs conditions d’octroi de crédit, commençant à
demander moins de garanties et à accepter des marges
plus faibles. La sélection devient moins forte, le niveau de
levier monte. Parallèlement, les emprunteurs oublient les
règles de prudence élémentaires.
Ajoutons que depuis le milieu des années 90, avec une
accélération dans les années 2000, on a connu un phéno-
mène qui a facilité cet endettement : la titrisation. Elle con-
siste à sortir du bilan des banques des crédits pour en
faire des objets marchands et à les vendre à des investis-
seurs financiers ou indirectement à des particuliers. A par-
tir de 2005, les titrisations non réglementées connaissent
une croissance exponentielle et se font de la façon la plus
anarchique qui soit (titrisation de créances peu homo-
gènes, des titrisations de titrisations …),
rendant toujours plus difficile l’apprécia-
tion de la valeur de ces placements.
En outre, la titrisation a permis à cer-
taines banques de ne plus se sentir res-
ponsables des crédits qu’elles oc-
troyaient en s’exonérant tout à la fois
d’une analyse sérieuse des risques de
l’emprunteur comme du suivi (« monito-
ring ») du client emprunteur. Se généralise alors, dans
certains types de banques, un comportement dit « d’aléa
moral », puisqu’elles engendrent un surcroit de risque
pour le système économique de par leurs propres actions.
Enfin, la dissémination des objets titrisés ne permet plus
d’avoir une véritable supervision prudentielle. La théorie
économique et financière traditionnelle, qui suppose
qu’une diffusion large du risque est meilleure qu’une con-
centration dans des banques supervisées et professionna-
lisées pour les gérer, s’est révélée totalement erronée. Les
montages de plus en plus sophistiqués (CDO, CDO de
CDO, etc.) ont permis à de nombreuses banques d’inves-
tissement d’engranger des revenus croissants, puisque
c’était elles qui en faisaient l’ingénierie financière, en en
« Ajoutons que depuis le milieu des années 90, avec une accélération dans les années 2000, on a connu
un phénomène qui a facili-té cet endettement :
la titrisation »
GOUVERNER L’ARGENT
5
assurant le montage.
Côté américain, le
paroxysme de la titri-
sation a consisté dans
le montage de certains
crédits subprime.
Dans nombre de cas,
des crédits immobiliers
étaient proposés à des
personnes qui n’avaient pas les revenus pour pouvoir les
rembourser. Tout reposait sur l’idée que l’immobilier de-
vait connaître une évolution haussière permanente de son
prix et qu’il suffirait de revendre le bien pour pouvoir rem-
bourser, indépendamment des revenus récurrents des
ménages.
Les investisseurs, qu’ils aient été particuliers ou spécia-
listes, ont été pris par un biais cognitif bien classique :
l’effet d’ancrage. Malgré la baisse constante des taux, les
investisseurs avaient en tête (c’est l’effet d’ancrage) des
taux de rendement beaucoup plus élevés que ceux qui
leur étaient proposés et qui étaient compatibles alors avec
le taux de croissance économique et le taux d’inflation. Ils
étaient donc en attente de proposition de rendement satis-
faisant à leurs yeux, quitte à ne pas chercher à com-
prendre comment ces taux de rendement « anormaux »
étaient possibles. Certaines entreprises, quant à elles,
acceptaient d’élever leur niveau d’endettement afin de
présenter un taux de rendement sur leurs actions (ROE)
compatible avec les attentes des investisseurs, au prix
parfois d’acrobaties comptables ou financières.
La période 2003-2007 a donc été une phase euphorique,
peu différente en réalité des phases euphoriques du
Notons que la crise de 2007-2009 est bien
une répétition de l’his-toire, aggravée par un élément nouveau qu’est
la titrisation.
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GOUVERNER L’ARGENT
6
XIXème siècle ou de la première moitié du XXème siècle.
Dans la phase récente, nous avons assisté à une bulle
immobilière et à une bulle de crédit, qui se sont auto-
entretenues. Dans toutes ces phases euphoriques, l’aveu-
glement au désastre (« desaster myopia ») s’amplifie. Les
comportements de prévention s’émoussent alors au fur et
à mesure du temps, provoquant de ce fait la possibilité
même d’un retour de ces crises.
Notons que la crise de 2007-2009 est bien une répétition
de l’histoire, aggravée par un élément nouveau qu’est la
titrisation. On a en effet connu une crise immobilière peu
banale aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne
notamment. Conjointement, on a vu une crise de l’endette-
ment et du levier (« leverage »), suivie naturellement d’un
désendettement et d’un « deleveraging » généralisés qui
se poursuivent encore et qui laissent à penser que pen-
dant un temps certain la croissance devrait être très faible.
Ajoutons encore qu’une crise majeure de liquidité s’est
faite jour, entremêlée à la crise de l’immobilier et à la crise
du crédit et de l’endettement.
En 2008, survenait effectivement une crise de liquidité
d’une violence inouïe. Face à l’incertitude fondamentale
quant à qui détenait quoi et quant au contenu même des
titrisations, plus personne ne voulait prêter à personne. Le
marché inter-bancaire notamment était totalement figé. Si
les banques centrales n’étaient pas intervenues massive-
ment, il n’y aurait plus de banques. Une très grave crise
de liquidité est également apparue en 2010-2011 pour les
banques de la Zone Euro.
La globalisation financière mal régulée, à partir de 1987, a
entrainé de facto la réapparition et la répétition de crises
systémiques qui ont vu s’entremêler les trois formes de
crises financières précitées.
Enfin, reverra-t-on des crises financières ? Notre opinion
est qu’elles sont inéluctables dans le monde tel qu’il est.
D’une part parce que la finance est intrinsèquement ins-
table et que l’on vit depuis trente ans des cycles financiers
faisant se succéder des phases euphoriques avec des
bulles de crédit comme du prix des actifs patrimoniaux –
actions et immobilier notamment -, et des phases dépres-
sives avec éclatement de ces mêmes bulles, réapparition
des crises de liquidité, provoquant des crises financières
majeures.
Les réglementations financières et bancaires sont néces-
saires, mais à supposer qu’elles soient parfaitement effi-
caces, elles ne tendraient qu’à adoucir les hauts et les
bas, sans pour autant abolir la succession de ces phases.
D’autre part, les réglementations prudentielles elles-
mêmes ne sont pas exemptes d’erreurs. De temps en
temps, elles tentent de corriger les causes de la crise pré-
cédente avec une sous-estimation des causes futures.
Enfin, certaines réglementations excessives ou mal cali-
brées peuvent elles-mêmes accroître la pro-cyclicité de la
finance, voire engendrer les prochaines crises.
Il est à notre avis ainsi possible d’atténuer l’instabilité fi-
nancière par de bonnes mesures et une bonne réglemen-
tation prudentielle, y compris macro-prudentielle, mais
illusoire de prétendre la supprimer.
De même, il est absolument indispensable de réglementer
les banques. Mais, il serait dangereux de vouloir trop
abaisser le niveau de risque pris par elles, alors que leur
utilité économique et sociale réside dans le fait même
d’être des centrales de risque – de crédit, de taux d’intérêt,
de liquidité, etc.- et de gérer ces risques professionnelle-
ment et de façon supervisée.
Ce serait très certainement provoquer une instabilité bien
plus grande encore que de repousser ces risques hors
des banques vers du « shadow banking » et des hedge
funds peu ou pas contrôlés ou sur les entreprises et les
ménages eux-mêmes qui ne sont pas armés pour le faire.
OLIVIER KLEIN est Professeur affilié à HEC en économie et finance. Il est égale-ment co-responsable de la Majeure (Master 2) de la Grande Ecole Managerial and Financial Economics d’HEC et de son Master en Managerial and Financial Economics. Olivier Klein est par ailleurs membre du Comité Scientifique de l’Ecole Doctorale en Sciences de gestion à HEC – Panthéon Sorbonne (Paris I).
Depuis fin 2012, Olivier Klein est Directeur Général de la BRED, la plus impor-tante banque commerciale du Groupe BPCE. Il est également Administrateur de Natixis Asset Management et de Nexity.
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GOUVERNER L’ARGENT
7
L’affirmation d’un nouveau modèle
bancaire
Entretien avec Marie-Christine Jolys et Kenza Bellakhdar Associées chez KPMG
L’AVENIR DE LA BANQUE
8
Marie-Christine Jolys associée chez KPMG et
responsable du département règlementaire
Banque, ainsi que Kenza Bellakhdar, senior
manager et coordinatrice de l’étude
«Communication financière des banques eu-
ropéennes : Défi pour la transparence 2015»,
ont répondu à nos questions.
Quelle est la situation économique des banques
européennes, aujourd’hui, et quels sont leurs axes
stratégiques en 2015 ?
M-C. J : Depuis la crise financière de 2008, les profits des
banques européennes ont accusé une baisse d’environ -
30 % en 2011 et en 2012. En 2013, nous avons assisté à
un renversement de cette tendance avec une croissance
de 4% des résultats. Cette hausse timide est désormais
confirmée par les résultats de 2014 : le profit cumulé des
seize plus grandes banques a progressé de 45%, cumu-
lant un total de 65 milliards contre 45 milliards en 2013. Il
s’agit d’une rupture avec les précédents scénarii et d’une
nouvelle donne en matière de performance bancaire. Ces
résultats s’expliquent par la bonne dynamique commer-
ciale mais également par une rigoureuse gestion des
coûts opérationnels et des risques de la part des
banques. L’objectif des banques est d’avoir une structure
en capital et des réserves de liquidités renforcées.
Par ailleurs, depuis 2 à 3 ans, les banques se recentrent
sur leurs activités cœur. Cette stratégie a conduit à des
cessions de filiales, jugées trop éloignées des activités
historiques des établissements bancaires. On remarque
également un recentrage sur le client : la banque doit être
au service du client. Par ailleurs, les banques veulent être
en mesure de rémunérer les actionnaires. Les banques
d’investissement, elles-aussi font la part belle au client et
moins à la prise de risque.
Pour la neuvième année consécutive, vous avez
mené une analyse comparative des discours de
dirigeants à la tête des plus grands groupes ban-
caires européens. A quoi ressemble la banque
« nouvelle génération », à travers leurs propos ?
M-C. J : Les dirigeants se font l’écho d’une nouvelle gé-
nération de banque : la banque numérique au service du
client. Leurs discours portent la modernisation de leurs
établissements, notamment grâce à une ambitieuse poli-
tique d’investissement dans les technologies digitales.
L’accès est mis sur l’amélioration des sites internet, le
développement des applications mobiles et à la générali-
sation de certains services de banque en ligne. Cer-
taines banques ont acquis des entreprises du secteur
numérique afin de conduire ce changement qui prendra
encore plusieurs années.
K. B Si l’agence physique prime encore aujourd’hui,
on peut imaginer que demain les rendez-vous entre les
clients et les conseillers se fassent en visioconférence.
Dans les pays anglo-saxons, les banques ont déjà la pos-
sibilité de communiquer avec leurs clients via des ava-
tars. Il s’agit de s’adapter aux nouveaux modes de con-
sommation des clients et maintenir leur lien avec eux.
M-C. J : En outre, les dirigeants affichent leur volonté de
construire des banques solides. Ils exposent d’ailleurs la
qualité de leurs bilans pour l’année 2014 et soulignent la
résistance de leurs établissements face aux tests de la
BCE (asset quality revue) ainsi qu’aux stress tests.
Les conclusions de cet exercice montrent, en effet, qu’un
stress sévère et prolongé peut être absorbé par les
banques sans besoin additionnel de fonds propres. Ces
banques fiables, résolument tournées vers le client cor-
respondent aux attentes des consommateurs. Aussi, les
dirigeants sont en phase avec la réalité et ont bien pris
note des mutations du système bancaire.
On perçoit bien la volonté des banques de restau-
rer le lien de confiance avec leurs clients, de mieux
tenir compte des usages et des attentes de ces der-
niers, avec le digital ou le principe de proximité par
exemple… Bref, de redevenir des acteurs respec-
tables au service de leurs clients. Avaient-elles per-
du le sens des responsabilités ?
M-C. J: Avec la crise financière et des scandales tels
que l’affaire Madoff, les établissements bancaires ont pâti
d’une mauvaise image. Aujourd’hui il y a une volonté
affichée de la part des banques de restaurer leur réputa-
tion et de s’afficher comme des acteurs respectables et
responsables.
K. B : Il y a eu une prise de conscience des banques qui
ne tolèrent plus aujourd’hui le comportement de certains
banquiers qui ont pu, par le passé, faire prendre des
risques aux établissements afin de générer des profits
spectaculaires sans penser aux conséquences. On a vu
que certains dirigeants de banques se sont eux-mêmes
excusés du comportement de leurs banquiers. Après ces
excès, l’heure est à la moralisation exigée par l’opinion
publique. Les banques sont donc rappelées à leurs res-
ponsabilités. Ceci est particulièrement flagrant dans les
pays anglo-saxons, où il existe les « class actions », ces
recours collectifs qui ont permis des indemnités significa-
tives. Dans ce contexte, les banques érigent leur éthique
et leur valeur grâce à un code de bonne conduite. Nous
L’AVENIR DE LA BANQUE
9
avons constaté que les cinq banques anglo-saxonnes de
notre étude ont mis en place un indicateur pour mesurer
la satisfaction client.
Désormais, les banques sont sous pression : de
l’opinion, on vient de le voir, mais aussi des autori-
tés de régulation (stress tests, Bâle 3…) ou encore
fiscales. Comment cette pression est-elle vécue par
les dirigeants de ces banques ?
M-C. J: En 2014, les provisions et amendes ont atteint
les 29 milliards d’euros, en raison notamment de la vigi-
lance exercée par les régulateurs américains, particulière-
ment impliqués dans le respect de la règlementation.
Preuve en est, l’amende de BNP Paribas, a atteint une
somme record équivalente à une année de résultats. Les
banques ne peuvent plus échapper à la normalisation de
leurs activités qui demandent de lourds investissements
informatiques afin de sécuriser les données. Ainsi les
contraintes légales et réglementaires sont désormais ap-
préhendées comme des risques inhérents à l’activité ban-
caire.
K. B : Au-delà de ce volet répressif, le volet préventif se
développe en Europe avec Bâle I, II et III. Il s’agit de faire
face aux exigences renforcées en matière de fonds
propres de solvabilité ou de capacité d’absorption des
pertes. Les banques jouent le jeu et anticipent la législa-
tion. Ainsi, les établissements bancaires répondent à ces
nouvelles attentes du marché et démontrent leur capacité
à générer du capital en affichant des ratios supérieurs
aux minimas règlementaires. Le ratio de CET 1 moyen
s’élève ainsi à 11 % pour un minimum de 4,5% au 31
décembre 2014. De même pour les ratios qui sont en
cours de calibrage et de mise en œuvre comme le nou-
veau ratio sur l’absorption des pertes. Il existe un réel
effort de compliance de la part des banques.
Dans votre étude, vous notez que les banques, dans
leur ensemble, consacrent une part croissante de
leurs rapports annuels à la RSE. Au-delà des évi-
dences, à quoi ressemble concrètement la RSE ban-
caire ?
M-C. J : Dans ce contexte post crise, les banques affir-
ment leur rôle dans la société et communiquent de plus
en plus sur leurs actions. La RSE bancaire se traduit ainsi
par un engagement croissant notamment sur la place des
femmes au sein des établissements, un sujet sur lequel le
secteur bancaire accusait encore quelques retards. Au
niveau de la gouvernance, les banques favorisent une
approche durable à l’instar de l’intégration des critères
environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). A
titre d’exemple, Nordea a intégré ces facteurs dans les
décisions d’investissement ce qui lui a valu d’être distin-
guée comme la banque qui possède le meilleur proces-
sus ESG de l’Europe en 2014 par le magazine « Capital
Finance International ».
De plus, nous constatons une forte implication des
banques dans les actions caritatives comme le soutien à
l’éducation ou à l’entreprenariat. UBS a ainsi lancé en
2014 « UBS and Society » dans une optique philanthro-
pique et de soutien de l’investissement durable. La
banque a ainsi été élue meilleure banque parmi les
banques des « Dow Jones Sustainability Indices ». Pour
sa part, LBG s’est engagée dans de nombreux pro-
grammes de communauté comme le« Lloyds Scolar pro-
gram », qui se focalise sur l’entreprenariat social. Elle a
également levé plusieurs millions de fonds en faveur de la
recherche médicale. LBG annonce avoir lancé un parte-
nariat avec « BBC Children in Need » pour 2015 et 2016
dans l’objectif d’aider enfants et jeunes démunis. Il s’agit
d’aligner les activités bancaires avec l’intérêt de la com-
munauté.
« Être plus solide, plus efficace, et plus utile »…
Peut-on résumer ainsi les « bonnes résolutions » des
banques, en 2015 ?
M-C.J: Effectivement c’est un résumé pertinent. Plus
que jamais, les banques veulent être au service de l’éco-
nomie. Il s’agit de répondre aux procès d’intention qui
affirment que les banques ne financent plus l’économie.
Or, les chiffres montrent le contraire.
L’AVENIR DE LA BANQUE
11
Les
ancêtres de la
monnaie
L’histoire de la monnaie se confond avec celle de l’huma-
nité…
Aussitôt qu’ils ont travaillé, collaboré, coopéré pour assu-
rer leur subsistance et améliorer leurs conditions de vie,
les hommes ont ressenti le besoin d’un moyen permettant
de fluidifier leurs échanges. « Avant l’échange monétaire
ou derrière l’échange monétaire, il y a l’échange tout court.
L’homme est un animal échangiste, pourrait-on dire. Il a
d’instinct du goût pour ce jeu où tout le monde gagne »,
écrivent les économistes Philippe Simonnot et Charles Le
Lien (1).
Cette propension humaine à l’échange prend toutefois une
importance croissante à compter de la « révolution du
néolithique ». Comme le note Vincent Lannoye, auteur
d’une histoire de la monnaie (2), à cette époque, « les
nomades chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés pour
un approvisionnement plus régulier. Ils ont ainsi pu tirer
parti de l’élevage sur les terres incultes et de l’agriculture
dans les champs rendus arables par l’irrigation et d’autres
techniques. Pour protéger les troupeaux et les récoltes,
les communautés s’étaient approprié des territoires et
elles s’étaient regroupées en villages, puis en villes forti-
fiées ou en cités-États ».
L’EXPANSION DE LA MONNAIE
12
Cette nouvelle forme d’organisation va bien sûr de pair
avec une diversification et une spécialisation progressive
des tâches dont chacun s’acquitte pour contribuer au bien-
être de la communauté. Les métiers font progressivement
leur apparition. D’une masse indistincte des chasseurs-
cueilleurs émergent des cultivateurs, des éleveurs et des
artisans de toutes sortes, dotés de compétences spéci-
fiques : forgerons, charpentiers, tisseurs, mineurs, etc.
Initialement ce nouveau mode d’organisation ne nécessi-
tait toutefois pas de recourir à la monnaie, ni même au
troc, le modèle dominant étant plutôt collectiviste. À l’instar
de ce qui se pratiquera bien plus tard dans les kibboutz et
les communautés alternatives des années 1960-1970,
l’ensemble des biens produits était redistribué à l’en-
semble des membres !
C’est l’extension géographique de ces communautés, la
complexification et la diversification des services et biens
produits qui sonnera le glas de cette sorte d’archéo-
marxisme. Sur de vastes territoires, l’emprise du pouvoir
central se relâchant, une part croissante des échanges se
déroulait directement entre des agents économiques plus
autonomes, donnant naissance à une « économie mixte »,
combinant redistribution et libre-échange dans un foison-
nement d’initiatives privées. Vincent Lannoye explique les
immenses avantages résultant de cette croissance des
échanges : « Avec l’échange de viande contre des outils,
un boucher produisait davantage ou avec des procédés
plus économes. L’artisan d’outils trouvait plus intelligent de
fabriquer un outil pour l’échanger contre un pain nutritif
que de produire lui-même un pain malingre. Le monde
extérieur profitait ainsi d’une mine de fer, d’une rivière
poissonneuse, de terres fertiles ou d’un autre avantage
géographique. »
Si bénéfique fut-elle pour une humanité luttant encore
souvent pour sa subsistance, cette économie de troc mon-
tra toutefois rapidement ses limites. Un exemple : un pê-
cheur souhaitant acquérir des amphores ne pouvait, sui-
vant ce modèle, n’obtenir celles-ci qu’après avoir trouvé
un fabricant d’amphores désireux d’acquérir du poisson…
Et si ce dernier était plutôt désireux d’avoir du vin, il ne
restait plus au pêcheur qu’à échanger son poisson contre
du vin avant de revenir vers le fabricant d’amphores. À
supposer toutefois que le marchand de vin ait lui envie de
poisson…
Pour résoudre cette complexité inextricable et s’épargner
d’interminables marchandages, les participants aux nom-
breux marchés et foires où se déroulaient les échanges
ont dès lors abandonné progressivement le troc pur pour
lui substituer l’échange contre un bien intermédiaire
unique admis de tous comme, par exemple, le sel. Dans
ce système, le pêcheur vendait son poisson contre des
sacs de sel avant de les utiliser pour acheter des am-
phores ! Le choix fréquent du sel dans de nombreuses
contrées ou époques s’explique par ses nombreux avan-
tages. D’une part, il est aisément fractionnable, permettant
un calcul plus fin du prix. D’autre part, il est imputrescible
et permet donc un report dans le temps de l’échange, et
l’apparition d’une forme d’épargne. Enfin et surtout, il sus-
cite la confiance : en effet, en raison de son usage pour la
conservation de la viande et du poisson, chacun savait
qu’un sac de sel trouverait toujours preneur.
Signe de l’importance acquise par le sel dans la vie éco-
nomique de nos lointains ancêtres, le mot « salaire »
trouve là son origine. Toutefois un grand nombre d’autres
matières ont également rempli cette fonction au cours de
l’histoire comme le blé ou même le bétail. En latin, ce der-
nier était d’ailleurs désigné par le mot « pecus » d’où dé-
coule le terme actuel de « pécuniaire ». Et en sanskrit il
était appelé « rupa » à l’origine du mot « roupie » utilisé
aujourd’hui encore pour nommer les monnaies de nom-
breux pays tels que l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie ou en-
core le Népal. Même le mot « capital » dérive de
« cheptel ». Ce recours au bétail comme « monnaie »
d’échange peut sembler curieux. Il s’explique en fait par sa
facilité de transport : à l’inverse des sacs de sel ou de blé,
le bétail a l’avantage de se transporter lui-même ! Peut-on
voir dans ces biens intermédiaires de véritables mon-
naies ? Pas tout à fait. En effet, même si, au fil des
siècles, le sac de sel est devenu une sorte d’unité comp-
table, passant de main en main au gré du commerce, sans
même être consommé, il ne peut être pleinement qualifié
de monnaie parce qu’il reste potentiellement consom-
mable. On parle donc plus volontiers de « protomonnaie »
ou de « monnaie marchandise ». « La monnaie sera pure
lorsque le bien intermédiaire “non consommé” aura évolué
en monnaie “non consommable” et sera utilisée pour les
transactions par l’ensemble de la population. Ce stade
sera atteint avec des monnaies symboliques en pièces de
cuivre ou en billet de papier », note Vincent Lannoye.
Pour autant, malgré l’essor des monnaies symboliques
communément utilisées aujourd’hui, le recours aux
« protomonnaies » n’a pas entièrement disparu. Outre sa
persistance dans des contrées reculées attachées à des
usages locaux archaïques, il réapparaît aussi dans les
périodes de chaos : on songe notamment à l’usage du
paquet de cigarettes dans l’Allemagne de l’immédiat après
-guerre. Si l’apparition des « protomonnaies » a représen-
té un formidable progrès pour l’humanité, leurs réappari-
tions sporadiques sont aujourd’hui le signe de terribles
régressions.
(1) La monnaie: Histoire d'une imposture, par Philippe
Simonnot et Charles Le Lien, Editions Perrin, 2012, 276 p.
(2) L'Histoire de la Monnaie pour comprendre l'Économie,
par Vincent Lannoye, CreateSpace Independent Publis-
hing Platform, août 2011, 452 p.
L’EXPANSION DE LA MONNAIE
13
Banques de détail :
l’impérieuse nécessité de
réinventer la relation client
Entretien avec Daniel Pion Associé Conseil, Responsable de l'industrie Banque de détail chez Deloitte
La banque est l’un des piliers du secteur pri-
vé en France et les Français comptent parmi
les plus gros épargnants. Les banques de
détail font néanmoins face à de multiples mu-
tations structurelles et conjoncturelles. En
effet, avec l’explosion des services et des
produits 2.0, les banques doivent repenser
leur rôle, voire se restructurer. Au cœur de
cette stratégie, la relation-client constitue un
axe d’ajustement. Daniel Pion, en charge
pour le cabinet Deloitte d’une étude sur les
relations entre banques et clients en 2014,
nous éclaire sur cette mue.
Vous évaluez chaque année la confiance des
Français vis-à-vis de la banque. Quels sont vos
résultats ? Comment se positionnent les
banques face à ces exigences ?
Depuis cinq ans, notre étude mesure le niveau de con-
fiance des clients dans leur banque. Elle analyse cinq
facteurs déterminants : l’intérêt client, l’écoute, la crédibili-
té, la transparence et la fiabilité. Le niveau de confiance
reste faible depuis 5 ans ; seuls 60% des clients ont con-
fiance dans leur banque principale.
Notre étude a permis de constater de grandes disparités
entre les attentes des clients et ce que les banques met-
tent concrètement en œuvre afin d’y répondre. L’écart est
le plus grand ( 38%) s’agissant de l’intérêt client qui cor-
respond aux attentes des clients en matière de conseil à
valeur ajoutée, d’accompagnement sur le long terme et
d’individualisation de la relation. 50% des clients considè-
rent cette dimension primordiale dans la relation avec leur
banque. Or, seuls 12% des clients interrogés se déclarent
très satisfaits sur ce critère. L’écart le plus faible (21%),
concerne le critère de transparence, soit la manière dont
la banque communique avec ses clients sur ses tarifs &
conditions et produits & services.
Cette perte de confiance est très probablement liée à la
crise de 2008 qui a largement impacté négativement
l’image des banques. Depuis, cet indice de confiance
peine à remonter. Or, la confiance est primordiale car il
existe une relation mécanique entre le niveau de con-
fiance et le chiffre d’affaires que les banques génèrent :
plus la confiance est élevée, plus le PNB additionnel est
important. D’où l’intérêt de travailler sur les leviers per-
L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES
14
mettant d’améliorer la situation. Dans ce contexte, les
efforts des banques portent sur trois axes qui sont indis-
sociablement liés : l’organisation du réseau, la gestion
des RH et les outils mis à disposition des chargés de
clientèle.
Les canaux mobiles sont devenus prédomi-
nants pour les opérations simples. Quelles
stratégies multicanal peuvent adopter les
banques afin d’optimiser leur relation-client ?
Face à l’apparition des solutions digitales et l’évolution
des modes de consommation, les banques n’ont pas eu
d’autres choix que d’intégrer les canaux mobiles pour
faire évoluer leur politique de la relation client. Au-delà du
multicanal, le véritable défi des banques est de réussir le
pari de l’omni-canal. En effet, il s’agit pour les banques de
garantir l’interopérabilité et le caractère interruptible entre
les différents canaux qu’elles proposent. Une demande
d’un client doit pouvoir commencer, par exemple, par
mail, se poursuivre sur les réseaux sociaux et se conclure
en agence sans que l’information client ne se perde. La
banque doit être capable de traquer en temps réel l'en-
semble des interactions avec ses clients.
Les clients s’attendent à un parcours transparent, en
temps réel et fluide, comme celui que proposent des so-
ciétés comme Amazon ou Apple. Les clients veulent vivre
une expérience similaire avec leur banque qui doit être
désormais plus flexible, plus mobile et plus transparente :
la banque ATAWAD (pour« AnyTime, AnyWhere, Any
Device »). Il s’agit également de « ré enchanter le par-
cours client » en proposant une expérience qualitative
unique tant sur le fond que sur la forme. Cela implique
des investissements conséquents pour les banques qui
vont bien au-delà des seuls aspects technologiques :
c’est tout le business model de la banque de détail qui
doit être repensé : offres de P&S, tarification, organisa-
tion, process et bien sûr profil de ses conseillers clientèle.
Comment expliquez-vous que l’agence phy-
sique perdure alors que le degré de satisfac-
tion client reste faible ?
En effet, il existe un réel paradoxe. Force est de constater
que les clients désertent leur agence physique et privilé-
gient la banque mobile pour les opérations simples
comme une commande de chéquier ou un virement de
compte à compte. En revanche, pour les opérations plus
complexes (mise en place d’un crédit immobilier, sous-
cription d’un contrat d’assurance –vie …), le client a en-
core besoin d’une interface humaine. Ceci est d’autant
plus vrai quand on sait que les clients sont de moins en
moins bien informés : seuls 15% d’entre eux sont ainsi
capables d’exprimer de manière complète et précise leurs
besoins en matière de finance personnelle..
Le véritable enjeu porte en réalité moins sur le nombre
d’agences (quasiment stable sur les dernières années
puisqu’entre 2011 et 2014, il n’a baissé que de 0.8%) que
sur l’organisation de la relation clients. Aujourd’hui, ce qui
intéresse le client n’est pas tant d’avoir un conseiller en
agence attitré mais que la banque réponde de manière
précise et efficace à ses besoins propres. A l’avenir, on
pourrait ainsi parfaitement imaginer que les clients aient
plutôt accès à un pool de conseillers, interconnectés,
partageant en temps réel les mêmes informations clients
et qui pourraient être localisés à différents endroits au
sein du réseau bancaire.
Est-ce à dire que demain la relation entre les
banques et leurs clients sera uniquement digi-
tale ?
Notre étude met en valeur la satisfaction du client par
rapport aux canaux qui lui sont proposés (internet fixe,
internet mobile, agence physique, email, téléphone, cour-
rier et centre d’appel). Lorsque l’agence physique est
utilisée seule, l’expérience client est la plus faible. Le taux
de satisfaction est plus élevé dès lors que le réseau ban-
caire combine l’agence physique avec un autre canal.
Cela montre bien que l’agence physique reste au centre
de la relation client, tant que cette dernière est digitalisée
et connectée. La difficulté pour les banques réside dans
la juste combinaison du digital et du physique.
Les banques adoptent différentes stratégies. La Caisse
d’épargne a fait de son agence physique un véritable hub
multicanal dans lequel tous les outils digitaux sont égale-
ment mis à disposition de ses clients. BNP Paribas a,
pour sa part, choisi de garder son réseau d’agences phy-
siques et de lancer en parallèle Hello Banque, une
agence 100% on line.. Sur ce terrain, le recours croissant
à des outils d’intelligence artificielle afin d’améliorer la
qualité des interactions avec la clientèle se pose. Aujour-
d’hui, de telles applications sont mures et peuvent appor-
ter aux clients des réponses à leurs questions avec un
degré élevé de pertinence.
Cette utilisation ne remplace évidemment pas le chargé
de clientèle mais vient en support. En effet, elle lui permet
de dégager du temps commercial qu’il peut alors utiliser
au profit de la recherche et de l’élaboration de proposi-
tions à plus forte valeur ajoutée pour le compte de ses
clients. Il s’agit de renforcer sa proactivité mais égale-
ment de le sécuriser face à des situations complexes,
notamment dans le domaine réglementaire et du respect
de la conformité.
Ces innovations renforcent la nécessité pour les banques
d’adopter une approche réellement globale et intégrée du
L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES
15
digital. Car le digital va non seulement bouleverser l’en-
semble de l’organisation et des processus métiers de la
banque mais également son offre de produits et de ser-
vices. L’essor des FinTech témoigne bien de ces muta-
tions à l’œuvre.
Dans ce contexte, quelles sont les implications
en matière de segmentation de la clientèle?
Un des défis des banques de détail est de parvenir à per-
sonnaliser leurs offres de produits et services tout en
restant rentables. La tâche est particulièrement ardue car
la banque de détail, de par sa définition même, s’adresse
à des millions de clients.
Le Big Data (ou advanced) analytics) permet une micro
segmentation de la clientèle. Il repose sur des algo-
rithmes permettant de constituer des poches de popula-
tions de clients extrêmement homogènes, ayant les
mêmes attributs sociodémographiques et/ou ou caracté-
ristiques comportementales. Il convient d’aller au-delà de
la simple segmentation fondée sur des critères purement
quantitatifs (surface financière, par exemple) et d’utiliser
des axes d’analyse plus fins, tels que le rapport au risque
du client, son degré de connaissance des produits finan-
ciers, ses centres d’intérêt ou bien encore son mode de
consommation des différents canaux bancaires mis à sa
disposition. Les banques investissent dans de tels outils
et si elles n’ont pas la possibilité de développer ces outils
en interne, elles font appel au crowdsourcing qui se déve-
loppe et fournit des résultats très performants.
Selon vous, quels sont les enjeux de la relation
-client à l’avenir?
Les demandes des Français sont croissantes en matière
de conseil personnalisé. De plus, ces derniers s’attendent
à ce que les banques défendent davantage leurs intérêts.
Ils exigent également une attitude davantage proactive de
la part de leur banque. Il est primordial pour les banques
de répondre à ces exigences. Plus que jamais, elles doi-
vent réinventer leur relation client, voire leur métier de
banquier même afin de s’adapter aux mutations qui vont
secouer en profondeur le secteur bancaire au cours de
ces prochaines années.
Le cas échéant, leur clientèle pourrait les déserter pour
rejoindre le front des FinTech souvent moins chères, plus
agiles et plus innovantes. Sans une réaction forte de la
part des banques, on pourrait imaginer que les FinTech
16
grignotent plus ou moins rapidement le terrain des offres
et des produits & services bancaires, ne laissant plus aux
banques que la seule gestion comptable des comptes
bancaires de leurs clients. Il existe un réel risque
d’ « uberisation » du système bancaire dans son en-
semble. Les banques ont bien conscience qu’elles ne
peuvent pas laisser un tel écosystème de jeunes pousses
se développer indépendamment d’elles. Ainsi certaines
concluent des partenariats avec des FinTech, d’autres en
font l’acquisition voire les incubent pour « garder un œil »
sur ce qu’elles font.
DANIEL PION a rejoint le cabinet en 2006. Il a plus de 30
années d’expérience professionnelle dont 26 en conseil. Il
possède une expérience étendue de conduite de mis-
sions d’organisation, accompagnement du changement et
systèmes d’information dans les secteurs bancaires /
assurances auprès d’importants établissements finan-
ciers, et notamment dans les domaines de la banque de
détail et de la gestion privée
L’ARGENT LES MENAGES ET LES BANQUES
17
Pour les néophytes, pouvez-vous expliquer
brièvement à quoi sert la gestion d’actifs
dans une banque comme BNP Paribas ? Et
puisque nous nous intéressons, dans ce nu-
méro, aux circuits de l’argent, pouvez-vous
nous indiquer quelle est l’origine des capi-
taux que vous gérez ?
La gestion d’actifs existe maintenant depuis près de 100
ans aux Etats-Unis. En Europe, cette activité s’est déve-
loppée dans les années 60. Une entreprise de gestion
d’actifs est une entreprise qui gère de l’épargne, c’est-à-
dire qu’elle opère de la gestion pour compte de tiers.
C’est donc un intermédiaire qui a pour mission d’optimi-
ser l’épargne et de l’investir, soit en actions (les place-
ments les plus risqués), soit en obligations ou monétaire
(les placements les
moins risqués). Le
rendement est alors
proportionnel à la
prise de risque.
Historiquement, la
France est réputée
dans ce domaine et
quatre sociétés françaises se hissent dans le Top 25 des
sociétés de gestion au niveau mondial. BNP Paribas a
rassemblé ses activités de gestion d’actifs au sein de
BNP Paribas Investment Partners. Ainsi, environ 3000
collaborateurs, répartis dans 35 pays gèrent plus de 500
milliards d’euros. Ces capitaux proviennent aux deux tiers
de clients institutionnels et l’autre tiers de clients particu-
liers.
La crise économique a échaudé les épar-
gnants, dont on dit qu’ils ont développé une
très forte aversion au risque. Est-ce un phé-
nomène que confirment les profils de risque
de vos clients ?
Il est vrai que la crise a échaudé certains épargnants,
comme les Français connus pour leur aversion au risque
assez développée. Cela s’explique notamment par des
raisons culturelles mais également fiscales et règlemen-
taires. En effet, l’épargne française est depuis longtemps
marquée par la prédominance des obligations d’Etat
comme les contrats d’assurance vie ou les livrets dits
règlementés. Ces produits à la fiscalité attrayante, sont
pourvoyeurs d’épargne et permettent de financer la dette
publique ainsi détenue par les ménages français. De
plus, l’épargne française se caractérise par un investisse-
ment à court terme et à la liquidité élevée. Or, ces pra-
tiques ne semblent plus très adaptées à notre nouvel
environnement.
Ainsi, un des grands enjeux structurels aujourd’hui est de
convertir une partie de cette épargne vers de l’épargne à
plus long terme et plus productive au service du finance-
ment de l’économie réelle, c’est-à-dire les entreprises. Il
s’agit d’investir davantage dans les petites et moyennes
entreprises qui ont du mal à se financier sur les marchés
financiers. L’enjeu est tel que des mesures ont été prises
au niveau européen, notamment avec le plan Juncker ou
le lancement en octobre dernier de l’Union des Marchés
de Capitaux de la Commission européenne. Il importe de
diversifier les sources de financement – historiquement
bancaire – et d’utiliser d’autres canaux comme les mar-
chés financiers et le private equity. Ces initiatives incitent
à un déplacement de l’épargne relativement sûre vers
une épargne certes plus risquée mais surtout plus utile
pour l’emploi de demain.
Notre métier de gérant d’actifs implique de mieux faire
comprendre la nécessaire diversification des encours afin
de s’adapter à ce monde qui change. Nous sommes face
à une évolution structurelle et raisonner avec des con-
cepts anciens, comme rester sur des habitudes datées,
peut se révéler contre productif. Dans ce contexte, le
placement le plus rentable n’est plus forcément le place-
ment d’Etat, on le voit bien avec la Grèce. Certaines en-
treprises bénéficient d’une solvabilité plus élevée que leur
Etat d’appartenance. Il s’agit donc d’évoluer et de pour-
Investir
aujourd’hui :
défis et
perspectives
Entretien avec Christian Dargnat Responsable de la ligne de métier Distribution de
BNP Paribas
Investment Partners
« Notre métier de gérant
d’actifs implique de mieux
faire comprendre la né-
cessaire diversification
des encours afin de
s’adapter à ce monde qui
change. »
FINANCEMENT ET MARCHES
18
suivre le basculement qui a déjà eu lieu aux Etats-Unis et
dans certains pays européens, mais où la France accuse
un certain retard contrastant d’autant plus avec son posi-
tionnement historique.
Les nouvelles « modes » de financement
comme le crowdfunding détournent-elles
une partie de l’épargne jusqu’ici drainée par
les grandes banques de détail, voire par le
private equity ?
La gestion d’actifs représente quelques 70 000 milliards
d’euros et 25% des ressources financières. Par ailleurs,
le secteur est en expansion. Ainsi le crowdfunding ne
concurrence pas l’activité des banques, mais se pose
comme un phénomène intéressant. En effet, il est louable
de participer à faire émerger des projets motivants et
bons pour la société. Encore faut-il s’assurer du risque
que l’on prend dans le projet final
et dans toutes les étapes intermé-
diaires. Et c’est bien là la limite du
financement participatif. Si vous
investissez à titre particulier dans
un projet de crowdfunding, savez-
vous seulement le risque que vous
prenez ? L’information disponible
sur ce risque est encore trop limi-
tée sur ces plateformes à mon
sens.
La gestion d’actifs est quant à elle
très règlementée. C’est d’ailleurs
tout à fait justifié puisque nous
investissons pour compte de
tierces personnes. Ainsi, il ne fau-
drait pas qu’en marge de cet en-
cadrement règlementaire, qui ga-
rantit la sécurité des clients, se
développent des activités qui
échappent à ces obligations. Il y a
ici un risque que nous tombons
dans un engrenage ternissant de
nouveau l’image de la finance.
Quelle est la place de l’ISR et des critères
ESG dans vos décisions d’investissement ?
L’ISR et les critères ESG sont aujourd’hui des points es-
sentiels dans la manière d’approcher les clients et les
entreprises dans lesquelles investir. J’y crois personnelle-
ment beaucoup. En effet, les activités économiques qui
vont le plus se développer, seront celles dites sociale-
ment responsables. Car les citoyens sont toujours plus
soucieux de l’environnement, du respect des droits des
personnes, et d’une bonne gouvernance et il existe une
forte demande de la clientèle vers ces critères. Ainsi, les
sociétés de gestion ont tout intérêt à investir dans de
telles sociétés aux multiples débouchés et ce, peu im-
porte leur point de
vue idéologique sur
le sujet. Il s’agit
d’être en phase avec
le monde d’aujour-
d’hui et de demain.
BNP Paribas In-
vestment Partner est
très sensible à cette prise en compte de critères extra-
financiers : nous gérons 20 milliards d’euros de pur ISR
et investissons d’une manière responsable. Par exemple,
nous n’investissons pas dans certains secteurs contraires
à notre charte éthique. Par ailleurs nous avons établi une
liste d’exclusion de certaines sociétés. Il ne s’agit pas de
jeter l’opprobre de manière définitive mais nous les pré-
venons que nous n’investirons pas tant qu’elles n’auront
pas faire l’effort de compliance nécessaire afin de ré-
pondre à ces critères.
La perspective récurrente
d’une sortie de la Grèce
de la zone Euro est-elle un
facteur déstabilisant pour
les gérants d’actifs ?
Ce qui se passe en Grèce est
important. Il s’agit cependant
moins d’un problème économique
dans la mesure où le pays repré-
sente moins de 2% du PIB de la
zone euro. Le problème n’est pas
financier non plus puisque depuis
2012, l’exposition d’investisseurs
financiers a été réduite à l’occa-
sion de la première restructuration
de la dette grecque. A mon sens,
la perspective d’une sortie de la
Grèce a plus trait à des considéra-
tions d’ordre géopolitique liées à
la construction européenne et à la
stabilité régionale.
En effet, la Grèce a une position géographique straté-
gique car elle est une porte d’entrée sur le Moyen Orient
mais également sur l’Afrique du nord. Elle se situe égale-
ment aux confluents de la Turquie et des Balkans (la
zone la plus inflammable d’Europe) ainsi que de la Rus-
sie.
Peu importe de ce que l’on pense de la faible gouver-
nance de ce pays, une sortie à chaud de la zone euro
aurait été une catastrophe. Pour les gérants d’actifs c’est
tout à fait déstabilisant, mais cette crise dépasse notre
activité. Elle touche aux fondements de la construction
européenne, celle-là même qui a permis d’éviter les
guerres depuis 60 ans. Aussi, un Grexit aurait signifié
que l’Europe est « réversible ». En filigrane, se pose une
question: l’Europe a-t-elle son mot à dire face la Chine,
FINANCEMENT ET MARCHES
« L’ISR et les critères ESG
sont aujourd’hui des
points essentiels dans la
manière d’approcher les
clients et les entreprises
dans lesquelles investir. »
19
l’Inde, la Russie ?
Certes, la solution
actuelle n’est pas
tout à fait satisfai-
sante mais on a évité
le pire à mon sens. Il
faut bien voir que la
Grèce souffre d’une
contraction de son
économie de plus de
20 points, ce qu’aucun pays n’a supporté. Il s’agit néan-
moins de résoudre les problèmes structurels et non d’agir
de manière cosmétique. Il ne tient qu’à nous européens
d’œuvrer dans ce sens.
L’un de vos collègues, analyste de recherche
chez BNPP Securities Services, publiait ré-
cemment une tribune invitant les banques à
mieux comprendre le fonctionnement et les
enjeux des crypto-monnaies, comme le Bit-
coin. Quel est votre avis à ce sujet ?
Emettre de la monnaie est pour un Etat une prérogative
régalienne au même titre que de défendre ses citoyens.
Cette monnaie a de la valeur car elle repose sur la con-
fiance des citoyens en leurs dirigeants. Cette confiance
ne se décrète pas. De fait, Bitcoin remet en question ce
schéma en s’octroyant de manière unilatérale le droit
d’émettre une monnaie. In fine dans l’euro, il y un préteur
de dernier ressort qu’est la BCE. En cas de problème, je
m’interroge quant aux garanties et aux contreparties pro-
posées par Bitcoin.
En tant que gérants d’actifs nous sommes plus observa-
teurs de cette évolution qu’acteurs. A titre personnel, je
suis assez dubitatif quant au développement du bitcoin et
des monnaies alternatives. Il s’agit d’une libéralisation à
l’extrême, alors que l’Etat a encore sa place afin de battre
monnaie.
Les algorithmes incarnent-ils l’avenir de la
prise de décision en matière de placements ?
Quel regard portez-vous sur le trading haute
fréquence ?
Ils existent différentes natures d’algorithmes financiers. Ils
naissent naturellement de notre environnement connecté
et globalisé. Dans le cas du trading haute fréquence, il
faut savoir que 90% des ordres d’achat ou de vente gé-
nérés sont annulés dans la minute qui suit. Les algo-
rithmes utilisés dans la gestion d’actifs se portent davan-
tage comme des outils d’aide à la décision ou d’optimisa-
tion d’exécution des décisions prises en amont. La capa-
« Les algorithmes peu-
vent être utiles lors-
qu’ils sont mis au ser-
vice des négociations et
permettent de renfor-
cer l’efficience des mar-
chés financiers. »
Une règlementation perti-
nente est celle qui est élabo-
rée en prenant en compte les
conséquences potentielles
dommageables s’agissant
du financement de l’écono-
mie réelle. Elle doit égale-
ment se faire dans le respect
des intérêts nationaux.
20
CHRISTIAN DARGNAT est Responsable de la ligne de métier Distribution de BNP Paribas Investment Partners.
Il a rejoint BNP Paribas Asset Management en 2006 comme « Chief Investment Officer » et membre du Comité Exécutif.
En Avril 2009, il est nommé Directeur Général de BNPP AM. De 2009 à 2012, il était également Chief Investment Officer
de BNPP Investment Partners. Christian est Président de BNP Paribas Asset Management SGR en Italie et de CAM Ges-
tion. Il supervise les activités de la gestion Wealth Management de BNP Paribas en France et en Italie.
De juin 2013 à juin 2015, Christian a été Président de l’EFAMA (European Fund & Asset Management Association), après
en avoir été Vice-Président pendant 2 ans. Depuis 2008, Christian est Conférencier à HEC (Hautes Etudes Commer-
ciales), l’Ecole Polytechnique et Sciences Po. De septembre 2010 à juin 2013, il a exercé la Présidence du Comité Mon-
naies et Système Monétaire du MEDEF. Depuis janvier 2014, il est membre de la Commission consultative de l'AMF
"Gestion et Investisseurs institutionnels". Il est membre du collège « Investisseurs Institutionnels » de Paris Europlace.
Christian Dargnat est titulaire d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en économie et finance de l’Université de Paris
Dauphine (1988).
cité de calcul permise par ces outils favorise in fine la
meilleure qualité de service pour l’épargnant final. En
outre, ces algorithmes peuvent être utiles lorsqu’ils sont
mis au service des négociations et permettent de renfor-
cer l’efficience des marchés financiers. Dans ce contexte,
les algorithmes peuvent être source de valeur ajoutée
lorsqu’ils sont utilisés sous la forme d’outils. En revanche,
ils ne doivent pas se substituer à une prise de décision.
Le facteur humain est indispensable dans notre activité.
Les algorithmes sont donc des outils au service de la
réflexion.
Avec le renforcement de la réglementation
prudentielle, le risque systémique appartient
-il à l’histoire ancienne ?
Il serait très imprudent, voire prétentieux de dire que le
risque systémique a disparu dans la mesure où le risque
est inhérent à l’activité humaine. Or, comme nous l’avons
précédemment évoqué, la gestion d’actifs repose sur ce
facteur humain. Néanmoins, depuis la crise de 2008, les
modes de régulation se sont largement renforcés. Ils per-
mettent de mieux maitriser le risque et de garantir une
plus grande transparence et une sécurité accrue. Preuve
en est, la norme dite UCITS (pour Undertakings for Col-
lective Investment in Transferable Securities) est recon-
nue comme exemplaire en Europe. Elle a fait l’objet de
cinq réformes depuis sa création il y a plus de 25 ans,
dont trois sur les seules cinq dernières années. Cet
exemple illustre bien l’accélération normative à laquelle
les gérants d’actifs doivent faire face.
Par ailleurs, il me semble important que la règlementation
prudentielle s’opère de manière globale et homogène en
Amérique, en Asie et en Europe. Il importe d’avoir une
concordance entre les différentes normes car la gestion
d’actifs est une activité à l’échelle mondiale. Cette homo-
généisation permet d’éviter les arbitrages entre les diffé-
rentes législations. Car de tels arbitrages se font malheu-
reusement en faveur du moins-disant.
Quel est votre point de vue sur la séparation
des activités de dépôt et d’affaires ? Faut-il
un Glass-Steagall Act à l’européenne ?
Je crains qu’un Glass-Steagall Act à l’européenne aurait
de nombreux effets indésirables et n’atteindrait pas les
effets escomptés. Chaque zone géographique se carac-
térise par des orientations stratégiques, souvent histo-
riques, qui en font ses forces dans un monde globalisé
qui change très vite. S’adapter de manière pragmatique à
ce changement, là est le véritable enjeu. Par ailleurs, les
banques européennes et françaises en particulier, ne
sont pas à l’origine de la crise. Le modèle des banques
universelles a au contraire démontré sa participation au
financement de l’économie ces dernières années. Ainsi,
couper les activités de marchés des activités de finance-
ment, remettrait en cause le business model des banques
universelles. Ce qui importe aujourd’hui lorsqu’une socié-
té a une activité de marché, est de disposer d’une gestion
de risque efficace. Isoler l’activité de marché ne servirait
à rien si cette dernière est mal contrôlée. Plus largement,
une règlementation pertinente est celle qui est élaborée
en prenant en compte les conséquences potentielles
dommageables s’agissant du financement de l’économie
réelle. Elle doit également se faire dans le respect des
intérêts nationaux.
FINANCEMENT ET MARCHES
21
« Le capital-investissement
est un stabilisateur
de l’économie »
Pourquoi il faut encourager le capital-investissement français
Entretien avec Olivier Millet
Président du Directoire d’Eurazeo PME , Vice-Président de l'AFIC
22
Le concept de capital investissement ou pri-
vate equity est souvent mal compris. Pourriez
-vous faire la lumière sur ce qu’est le capital-
investissement ?
Si l’actionnariat familial, l’actionnariat boursier, ou éta-
tique sont globalement bien connus, l’actionnariat privé
d’investisseurs professionnels est encore peu identifié ou
mal compris. Il existe pourtant depuis 30 ans en France,
et il a pour vocation d’apporter du capital et d’accompa-
gner des entreprises non cotées, à des stades de déve-
loppement divers, qui ont besoin de financer des projets
de croissance.
Les entreprises très jeunes, de la start-up naissante à
l’entreprise commençant à réaliser du chiffre d’affaires
font appel au capital-innovation pour des projets plus à
risques qui ne seront pas forcément financés par des
banques.
Les entreprises plus matures se tournent vers le capital
développement pour financer des projets spécifiques.
Dans ces deux cas les entrepreneurs sont actionnaires
majoritaires et les fonds d’investissement sont générale-
ment minoritaires.
Quant au capital-transmission, il permet à un dirigeant
fondateur de transmettre son entreprise et de retirer le
fruit de son travail. Il peut, par exemple, vendre son entre-
prise à l’équipe de management en place qui peut faire
appel à un fonds de capital-investissement, le plus sou-
vent majoritaire, pour composer la nouvelle structure du
capital.
Dans les trois cas, la mécanique est la même et l’enjeu
est la croissance, comme l’illustre bien l’acronyme AFIC
pour Association française des investisseurs pour la
croissance. L’argent investi dans les entreprises est levé
en amont par les fonds de capital investissement, auprès
des collecteurs d’épargne longue. En 2014, 60% des
montants ont été levés auprès d’investisseurs français,
40% auprès d’investisseurs étrangers. Ainsi, la fonction
du private equity est d’aller chercher cette épargne
longue française et internationale et de l’injecter dans des
entreprises à différents stades de développement. Mais
au-delà de l’apport de capitaux propres, les fonds de ca-
pital-investissement stimulent également la mise en place
au sein des entreprises d’une discipline extra financière
et d’une bonne gouvernance.
Le secteur a été durement affecté par le repli
des investisseurs. Quel est aujourd’hui le bi-
lan du capital-investissement français?
Le tissu économique français est particulier avec une
multitude de petites entreprises. Aussi, les acteurs du
capital-investissement comme l’AFIC jouent un rôle clef
dans la consolidation des PME. Ils leur permettent d’at-
teindre des tailles critiques et de devenir des opérateurs a
minima européens voir mondiaux mais avec les centres
de décision qui restent en France.
2014 a été une bonne année pour le capital-
investissement français. La situation s’est améliorée par
rapport aux années précédentes. 10 milliards d’euros ont
été levés, soit une augmentation de 25% par rapport à
2013. Un résultat proche des niveaux d’avant crise. Les
ressources collectées seront investies dans les 3 à 5 an-
nées qui suivent. Ainsi en 2014, 8,7 milliards ont été in-
vestis dans les entreprises. Cela correspond à une
hausse 35% par rapport à 2013, même si cette progres-
sion ne rattrape pas le niveau d’avant crise. Enfin 1648
entreprises ont reçu un financement en 2014, un chiffre
supérieur à la moyenne de long terme. 90% ont leur
siège social en France et 75% sont des TPE et PME.
Le capital investissement français affiche une grande
capillarité et irrigue une part importante de l’économie
réelle. A la différence du capital boursier qui tourne en
moyenne en totalité tous les ans, les fonds d’investisse-
ment restent environ 5 ans au capital des entreprises, un
horizon de moyen long terme qui constitue un atout et un
stabilisateur pour se donner les moyens d’entreprendre
des projets indépendamment de la volatilité des marchés
financiers.
Nombre d’entrepreneurs hésitent encore à
faire appel au capital investissement, souvent
par peur de perdre le contrôle de leur activi-
té ou de dilution de leur capital. Quels sont
donc les atouts du capital-investissement
dans le financement d’une entreprise ?
La question est légitime. Il est logique de vouloir rester
actionnaire de l’entreprise que l’on a créée. Mais dans un
monde globalisé la vitesse du développement de l’entre-
prise est devenue un enjeu. Alors qu’hier la concurrence
était franco-française, elle est devenue européenne voire
mondiale et les questions de taille et de structuration des
entreprises sont dorénavant critiques. Le recours au capi-
tal-investissement dépend de la taille que le chef d’entre-
prise veut donner à son entreprise. Si son ambition est de
construire une entreprise plus grande ou plus euro-
péenne, le recours au capital investissement va avoir un
véritable effet accélérateur.
Le capital-investissement est un financement profession-
nel. En 2012, alors que l’emprunt bancaire représentait
92% des sources de financement des PME et ETI en
France, 7% venaient du capital- investissement et 1%
seulement de la Bourse, selon le rapport de Paris EURO-
PLACE ("Redonner sa compétitivité au pôle investisseurs
de la Place de Paris" du 20/09/13). Suite à la crise, les
banques sont soumises à des ratios bancaires qui con-
traignent leur capacité de prêts aux entreprises. Dans ce
FINANCEMENT ET MARCHES
23
contexte nouveau, celles-ci vont devoir se tourner vers
d’autres modes de financement, notamment vers le finan-
cement en capital. Avec le capital-investissement une
entreprise dispose non seulement de fonds propres pour
accélérer sa croissance, mais aussi d’un accompagne-
ment pour transformer et structurer son développement.
L’entrepreneur est souvent face à ces problématiques de
gestion de la croissance. Nous lui apportons notre exper-
tise, une vision complète, de la stratégie aux enjeux ma-
nagériaux, patrimoniaux et financiers. Le développement
d’une entreprise ne s’improvise pas ; le fait d’avoir à ses
côtés un partenaire dédié, expérimenté et engagé sur le
moyen-long terme est un atout compétitif majeur pour
l’entreprise et ses dirigeants.
Dernier aspect, le capital-investissement est également
un accélérateur pour les entreprises qui souhaitent réali-
ser des opérations de croissance externe en France, en
Europe ou dans le reste du monde. Ces opérations qui
renforcent le tissu économique en transformant des PME
en ETI mondialisées, sont le plus souvent très complexes
tant dans l’identification des enjeux, dans l’analyse et le
financement. Là aussi, avoir un partenaire professionnel
à ses côtés est un atout majeur pour l’entrepreneur.
Vous avez déclaré que « le capital-
investissement doit balayer devant sa
porte ». Qu’entendez-vous par là ?
Il n’y a pas d’activité humaine sans dérives, qu’elles
soient politiques, sportives, industrielles. Dans notre sec-
teur, certains excès ont terni l’image de la profession et la
fonction positive que joue le capital-investissement pour
l’économie réelle. Certains acteurs se sont contentés
FINANCEMENT ET MARCHES
24
OLIVIER MILLET est Président du Directoire d’Eurazeo PME depuis 2005, Olivier Millet est éga-
lement Vice-Président de l'AFIC depuis 2014. Il a été Président de la commission ESG de
l'AFIC de 2009 à 2015. Olivier Millet a débuté sa carrière comme entrepreneur en 1986 en
créant Capital Finance (revue de référence du capital investissement français). Il a ensuite
rejoint 3i (de 1990 à 1994), avant d’intégrer Barclays Private Equity France où il a participé
pendant 11 ans au développement et au succès de ce fonds pan-européen. En 2005, Olivier
Millet dévient président du directoire d’OFI Private Equity société d’investissement cotée en
2007 et devenue en 2011 Eurazeo PME, désormais filiale du groupe Eurazeo.
d’opérations purement financières et déconnectées des
enjeux de développement des entreprises, notamment
par un niveau d’endettement trop élevé avec pour consé-
quences de freiner le développement au lieu d’être une
ressource positive.
La crise de 2008/2009 a éradiqué ces
rares mais médiatiques excès. Les exi-
gences de nos bailleurs de fonds ont aug-
menté. Ils ne se contentent pas d’attendre
que la valeur de leur investissement pro-
gresse, mais souhaitent que les profes-
sionnels du capital investissement démon-
trent que leur travail est utile au développe-
ment des entreprises dans lesquelles ils
sont actionnaires. Les fonds de capital-
investissement sont challengés à la fois
par les grands investisseurs institutionnels
et par les entrepreneurs sur la valeur ajou-
tée de leur accompagnement, au-delà de
leur apport de capitaux. Nous devons bien
sûr à nos parties prenantes un historique de performance
financière, mais également un historique de performance
dans la relation avec l’entreprise et ses dirigeants.
Quel impact a la montée en puissance de ces critères
ESG dans les stratégies de financement des entreprises
mais également pour les fonds de private equity ?
Au début de l’implémentation des stratégies ESG dans le
capital-investissement français en 2008, cette démarche
pouvait être un argument de différenciation des fonds. Ce
n’est plus le cas maintenant. Nous sommes passés d’un
« nice-to-have » à un « must-have ». La prise en compte
de critères extra financiers est incontournable et attendue
par les entreprises et nos investisseurs.
L’ESG est devenu une des briques de maturité et de pro-
fessionnalisation du capital investissement. Notre contri-
bution est d’agir pour une mise en place adaptée des
critères ESG dans la conduite des affaires. Car toute en-
treprise est confrontée à ces enjeux, qu’ils soient environ-
nementaux (le E de ESG), sociaux (S) pour construire un
projet collectif qui motive au-delà du salaire, et
de gouvernance (G) avec la mobilisation d’une
équipe solide autour du dirigeant, des contre-
pouvoirs et un partage les responsabilités.
Les fonds d’investissement ont un rôle de
filtres pour exclure certaines entreprises ou
domaines de leur portefeuille, sur la base d’au-
dits ESG par exemple, et avec la publication
de rapports annuels ESG sur les entreprises
en portefeuille. Il est important de noter que le
capital-investissement français est premier
dans le monde en matière d’ESG, ce dont
nous pouvons nous féliciter.
Quels défis reste-t-il à relever ?
Le capital-investissement est de plus en plus utile à l’éco-
nomie car il créé un cercle vertueux entre l’épargne des
Français et le financement de nos entreprises, en particu-
lier les PME. L’enjeu est donc de poursuivre le dévelop-
pement de cette industrie dans une période charnière, et
les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle déterminant
afin de permettre au capital investissement de jouer plei-
nement son rôle de soutien de l’économie.
« Avec le capital-
investissement une
entreprise dispose
non seulement de
fonds propres pour
accélérer sa crois-
sance, mais aussi
d’un accompagne-
ment pour transfor-
mer et structurer son
développement »
FINANCEMENT ET MARCHES
25
Le dollar,
monnaie de l’Amérique…
et du monde !
« Pour cent dollars de plus » (Jack London), « Cinquante
mille dollars » (Ernest Hemingway), « La douleur du dol-
lar » (Zoé Valdès), « I have dollars » (Wen Zhu), « Une
pluie de dollars » (Pelham Grenville Wodehouse), « Le
sourire à cinq dollars » (Shashi Tharoor) « Pour une poi-
gnée de dollars » (Sergio Leone), « Cent mille dollars au
soleil » (Henri Verneuil)… Preuve de sa renommée uni-
verselle, des centaines de romans et de films de par le
monde citent le dollar dans leur titre. Plus que tout autre
monnaie, le dollar excite l’imagination, suscite la convoi-
tise, symbolise la réussite, l’enrichissement ou la cupidité.
Le dollar est connu voire utilisé sur toute la surface du
globe. Même dans les contrées les plus pauvres et les
plus reculées, rares sont les personnes qui ne pourraient
reconnaître le fameux billet vert ! Et pourtant, les débuts
du dollar sont plutôt modestes. Le premier dollar naît en
même temps que la déclaration d’indépendance des colo-
nies anglaises d’Amérique du Nord, le 4 juillet 1776. Ce
n’est alors qu’un simple morceau de papier, appelé aussi
« monnaie continentale » parce qu’il est émis par le
« congrès continental » réunissant les colonies en quête
de liberté.
MONNAIES DU MONDE
26
Sa création vise à financer la guerre contre les Britan-
niques mais aussi à affirmer d’emblée la souveraineté du
nouvel État. Pas question pour les insurgés de continuer
à utiliser la monnaie de la couronne britannique ! La
naissance d’une nation va de pair avec la naissance
d’une nouvelle monnaie. Et comme, dans le cas de la
République américaine, les deux phénomènes sont con-
comitants, le dollar devient, plus encore que dans les
anciennes nations européennes, le symbole même du
pays et de sa liberté.
Autant que leur goût de la réussite matérielle, cette ori-
gine explique certainement le vif attachement des ci-
toyens américains à leur monnaie. L’iconographie de la
nouvelle monnaie garde d’ailleurs la trace de ces temps
héroïques. Aujourd’hui encore, les billets de 1 dollar s’or-
nent du portrait de George Washington, premier prési-
dent des États-Unis tandis que ceux de 10 dollars sont
frappés de celui d’Alexandre Hamilton, son premier Se-
crétaire au Trésor.
Pour autant, à l’époque des « pères fondateurs », le dol-
lar n’est pas encore ce qu’il est devenu aujourd’hui. À
vrai dire, il n’est même pas une véritable monnaie natio-
nale. Au début du XIXe siècle, pas moins de 8000
banques différentes émettent chacune quelque huit cou-
pures différentes, sources de confusion et véritable au-
baine pour les faux-monnayeurs qui n'ont même pas à
se donner la peine de copier des billets existant, la créa-
tion d'une nouvelle monnaie au nom d'une banque fictive
suffisant à abuser leurs victimes !
Il faudra attendre la guerre de Sécession pour qu’Abra-
ham Lincoln – dont le visage est reproduit sur les billets
de 5 dollars – engage, en 1863, la remise à plat du sys-
tème avec la volonté de créer une monnaie unique pour
l’ensemble des états membres de l’Union. C’est à cette
époque que les billets commencent à être frappés de
l’Aigle américain et qu’est élaborée la devise « In God
We Trust » qui, toutefois, n’ornera les billets que dans
des années 1950 après avoir été initialement reproduite
sur les pièces.
Comme toute monnaie, le dollar entretient un lien étroit
avec l’histoire du pays qui l’émet. Pour le psychosocio-
logue et anthropologue Clotaire Rapaille, observer un
dollar revient à contempler « une histoire vivante de
l’Amérique et de la philosophie américaine » (1). En ef-
fet, outre les grandes figures de l’histoire américaine
placées au recto du billet, le verso est aussi orné d’un
savant dosage de symboles mystérieux évoquant tantôt
la foi en Dieu, tantôt la fidélité aux idéaux du siècle des
Lumières qui ont inspiré la révolution américaine mais
surtout la confiance dans la « destinée manifeste » des
États-Unis.
Ainsi, la devise « Novus Ordo Seclorum » reproduite sur
le billet de 1 dollar et qui n’annonce rien de moins qu’une
« nouvelle ère américaine ». Une prétention dont on
pourrait aisément sourire si le dollar n’était effectivement
devenu non seulement la première monnaie mondiale,
mais carrément la mon-
naie du monde. Malgré la
grande crise de 1929,
l’histoire du dollar est
celle d’une ascension
continue vers ce statut
dont les deux grands ja-
lons sont 1944, avec les
accords de Bretton
Woods et 1976 avec la
décision unilatérale des
États-Unis d’abandonner
tout lien du dollar avec
l’or.
Depuis la fin de la Se-
conde Guerre mondiale,
les échanges internatio-
naux sont libellés en dol-
lars. Mais ce succès mon-
dial du dollar est loin de
se limiter aux grandes
transactions, réalisées de
façon dématérialisée sous
la forme de jeux d’écri-
tures. La pénétration du
dollar est plus profonde.
Elle concerne aussi les
personnes physiques et
morales qui, partout dans
le monde, conservent des
billets en dollars, voire les
utilisent pour leurs tran-
MONNAIES DU MONDE
28
Principaux enseignements de
l’étude annuelle d’EY 2015 sur la
fraude
Antoinette Gutierrez - Crespin Associée au sein de la ligne de services Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France
Philippe Hontarrède Responsable de la ligne de service Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France et Luxembourg
L’étude annuelle sur la fraude publiée en mai 2015 par
EY est le résultat d’une large enquête, effectuée auprès
de plus de 3 800 participants dans 38 pays de la zone
EMEIA (Europe, Moyen- Orient, Inde, Afrique). Conduite
auprès de cadres dirigeants d’entreprise, elle offre un
état des lieux de la lutte contre la fraude et la corruption
dans le monde des affaires et en souligne les nombreux
défis.
Aujourd’hui, l’environnement des affaires reste incertain
et complexe, dans un contexte de volatilité des marchés
financiers, de chute du prix du pétrole (baisse de plus de
40% entre mai 2014 et mai 2015) et de doutes sur la
stabilité de la zone euro. Cette situation est d’autant plus
préoccupante que les objectifs de croissance fixés par le
top management restent ambitieux. A cela s’ajoutent
d’autres sources d’instabilité, telles que les restrictions
commerciales liées aux sanctions. Sans compter les
nouveaux défis
auxquels sont
exposées les
entreprises :
cybercriminali-
té, usurpation
d’identité de
hauts diri-
geants ou de
leurs clients,
détournement
de fonds, blanchiment d’argent, entre autres. A ce titre,
et comme toutes les entreprises mondiales, les entre-
prises françaises sont fortement mises à l’épreuve.
Les principaux enseignements de l’enquête concernent
tant la pression sur les collaborateurs et les entreprises
que l’insuffisance des moyens de prévention et de con-
trôle, indispensables pour réduire les risques de fraude
et de corruption. Mais au-delà des freins et zones de
progression illustrés par l’étude, se profile enfin un mes-
sage fort et d’avenir : une corrélation entre croissance et
intégrité.
Des objectifs ambitieux, une pression conti-
nue et des risques très présents
Pour rester compétitives dans un marché mondial forte-
ment concurrentiel, les entreprises poursuivent des ob-
jectifs de croissance extrêmement ambitieux et se tour-
nent vers les marchés les plus dynamiques. Ainsi, les
résultats de l’étude montrent que 31% des répondants
estiment que le management subit une pression accrue
pour développer des opérations sur les marchés émer-
gents. Or, ces marchés présentent des risques de cor-
ruption particulièrement élevés. 61% des répondants
implantés dans ces marchés à forte croissance considè-
rent la corruption comme largement répandue. Réussir
une croissance « propre » dans un marché à haut risque
est un vrai défi, d’autant que la pression sur les collabo-
« Gérer efficacement les
risques de fraude et de cor-
ruption implique la mise en
place de politiques et procé-
dures spécifiques, claires,
s’accompagnant d’une vérifi-
cation continue de leur bonne
application »
ARGENT ET OPACITE
29
rateurs peut les inciter à des comportements déviants
pouvant impacter la réputation et l’intégrité de l’entre-
prise.
Les moyens de prévention et de contrôle
nécessaires pour réduire les risques de
fraude et de corruption restent insuffisants
Malgré les enjeux dévoilés par de nombreuses affaires,
les risques de fraude et de corruption persistent, y com-
pris dans les pays matures, tant pour les entreprises que
pour leurs dirigeants et collaborateurs.
Gérer efficacement les risques de fraude et de corrup-
tion implique la mise en place de politiques et procé-
dures spécifiques, claires, s’accompagnant d’une vérifi-
cation continue de leur bonne application. Or, il est pré-
occupant que beaucoup d’entreprises n’ont toujours pas
mis en place les moyens de contrôle nécessaires. Selon
l’étude, 42% des
répondants affir-
ment que leur orga-
nisation n’a pas de
politique anti-
corruption ou igno-
rent si une telle
politique existe. Ce
résultat reste aussi
élevé (41%) sur les
marchés matures
malgré l’importance accordée à ces sujets par les autori-
tés de régulation. Ignorance ou absence, peu importe.
Pour être efficace, un programme de prévention doit au
minimum être connu par l’ensemble de l’organisation,
son objectif et ses exigences devant être largement
communiqués. Pour ce qui concerne la France, 56% des
répondants déclarent que leur entreprise a mis en place
un programme anti-corruption et un code de conduite :
un faible pourcentage face à la taille des enjeux.
« Une culture de com-
pliance forte n’est pas in-
née. Savoir comment résis-
ter aux tentations de la
fraude et de la corruption
dans un environnement
d’affaires instable implique
de se former »
ARGENT ET OPACITE
30
Par ailleurs, l’étude indique que les nouvelles divisions
opérationnelles pourraient considérer, plus que les divi-
sions historiques, la corruption comme une solution ac-
ceptable. A titre d’exemple, 25% des répondants des
divisions opérationnelles créées au cours des deux der-
nières années considèrent que payer des pots-de-vin
peut être justifié si cela permet d’assurer la pérennité de
l’entreprise. Le chiffre descend à 15% pour les répon-
dants des divisions opérationnelles mises en place il y a
plus de deux ans. Par ailleurs, 26% des répondants des
nouvelles divisions estiment que les mauvais résultats
financiers ne sont pas partagés ouvertement et de façon
transparente avec la direction du siège. L’enseignement
est clair : une attention toute particulière doit être portée
aux nouvelles divisions en incluant dès le départ de so-
lides formations anti-corruption.
Dépasser les évidences
Une culture de compliance forte n’est pas innée. Savoir
comment résister aux tentations de la fraude et de la
corruption dans un environnement d’affaires instable
implique de se former. Pourtant, l’étude met en avant
des résultats insatisfai-
sants, avec 37% des parti-
cipants qui indiquent
n’avoir reçu aucune for-
mation. Or, environ trois
quarts des répondants
ayant participé à ces for-
mations les considèrent
utiles et efficaces dans le
cadre de leurs fonctions
opérationnelles.
La mise en place d’un
dispositif d’alerte (connu
comme whistle-blowing
hotline) constitue aussi un
moyen de prévention des
risques de fraude et de
corruption. Mais encore
faut-il qu’il soit utilisé par
les lanceurs d’alerte pour
dénoncer des cas de
fraude et de corruption, et que le management analyse
en détail ces alertes et prenne des mesures concrètes à
l’issue des investigations. Cependant, plus de 20% des
répondants affirment que leur entreprise ne dispose tou-
jours pas d’une ligne d’alerte éthique permettant de re-
monter un cas présumé de fraude ou de tentative de
corruption. Par ailleurs, les cadres dirigeants ne sem-
blent pas être suffisamment au courant des enjeux opé-
rationnels de leurs collaborateurs, y compris dans les
filiales : c’est l’avis de 50% des répondants. Une telle
méconnaissance peut conduire à un décalage entre la
réalité du terrain et les objectifs fixés.
Créer un modèle d’affaires durable en al-
liant compétitivité et compliance
Trop souvent, compliance et compétitivité sont oppo-
sées. Force est de constater qu’elles sont complémen-
taires pour assurer la pérennité des affaires. Ainsi, dans
les entreprises en croissance, 31% des répondants esti-
ment les normes éthiques de leur entreprise comme très
élevées dans la conduite des affaires, contre 18% dans
les entreprises en décroissance.
Pour se positionner à moyen et long termes, l’entreprise
devrait combiner les objectifs de performance et d’inves-
tissement dans la compliance. Cet investissement doit
d’ailleurs être proportionnel aux risques identifiés et me-
surés préalablement. Il peut constituer un facteur diffé-
renciant, notamment dans le cadre d’appels d’offres na-
tionaux ou internationaux (ex. : Banque Mondiale), la
défaillance d’un tel programme pouvant, dans le pire des
cas, mener à l’interdiction de l’entreprise de participer à
des appels d’offres futurs. A l’inverse, l’absence de pro-
gramme de compliance robuste peut nuire à la réputa-
tion de l’entreprise et freiner le développement des rela-
tions d’affaires avec les
partenaires et les
clients.
Pour faire face à ces
risques, les départe-
ments de l’entreprise
(directions de la com-
pliance, juridique, des
risques, de l’audit, la
stratégie ainsi que les
fonctions commer-
ciales, de production,
etc.) doivent travailler
ensemble. En effet, ce
risque n’est pas l’apa-
nage des fonctions
juridiques ou de com-
pliance : c’est un sujet
transverse. Dans la
lutte contre la fraude et
la corruption, identifier
la complémentarité des différents services et optimiser
les ressources et budgets dédiés est donc clé pour obte-
nir des résultats efficaces. Face à la pression, le recours
aux pratiques non éthiques peut apparaître comme une
solution rapide et facile, voire comme la seule solution
possible à un moment donné, pour gagner un contrat par
exemple. Il est temps, pour ceux qui ne l’ont pas encore
fait, de réfléchir autrement. La corrélation entre com-
pliance et croissance montrée par cette étude apporte
de nouveaux arguments pour que l’entreprise opère un
changement profond dans la conduite des affaires, s’il
ARGENT ET OPACITE
31
n’est pas déjà en cours. Les cadres dirigeants sont les
premiers à devoir s’investir en la matière. Ils sont d’ail-
leurs particulièrement exposés à ces risques. Leur im-
pulsion pour favoriser une culture de travail éthique est
essentielle. Cet aspect est d’autant plus important que,
selon l’étude, la communication réalisée sur ces sujets
par le management n’est pas suffisante. Environ la moi-
tié du top management estime communiquer régulière-
ment sur son engagement en matière de normes
éthiques élevées, alors que seulement 30% des cadres
interrogés partagent cet avis.
Deux idées clés sont à retenir de cette étude : première-
ment, la compliance n’est plus optionnelle, c’est un pré-
requis pour un succès durable, et le temps est venu pour
l’entreprise d’investir dans ce domaine ; deuxièmement,
la vigilance permanente qu’impose la lutte contre la
fraude et la corruption doit s’accompagner d’un change-
ment en profondeur des mentalités.
ANTOINETTE GUTIERREZ - CRESPIN est associée au sein de la ligne de services Fraud Investigation & Dispute Ser-vices d’EY France. Elle accompagne de grands groupes en France et à l’international dans la conception, le de-sign, le déploiement et/ou le renforcement de leur dispo-sitif de compliance anti-fraude et anti-corruption.
PHILIPPE HONTARRÈDE est responsable de la ligne de ser-vice Fraud Investigation & Dispute Services d’EY France et Luxembourg. Il gère des projets de grande envergure impliquant des investigations de fraude, des services de transaction forensic, des projets de diligence pré-acquisition.
ARGENT ET OPACITE