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"Créer notre maison d'édition a été un choix délibéré. Nous ne pouvions nous résoudre à raboter notre style pour le faire rentrer dans un moule." Dessinateur, scénariste, créateur de la maison d'édition Fréon, en Belgique, Thierry van Hasselt, 34 ans a plus d'une corde à son arc. Une polyvalence indispensable quand on veut défendre son style de bande dessinée, alternative et novatrice. Son dernier album, Brutalis, est sorti en 2003 chez Fremok, qui réunit désormais les éditions Fréon et Amok. Comment en êtes-vous venu à créer votre propre maison d'édition avec des amis ? Thierry van Hasselt : J'ai fait des études de BD à St-Luc, à Bruxelles, où j'ai rencontré entre autres Olivier Deprez, avec qui j'ai créé plus tard la maison d'édition. A la sortie de l'école, nous nous sommes retrouvés à travailler dans le même atelier de gravure, ce qui nous a permis d'imprimer nos premiers récits, pour ensuite monter notre première exposition à la galerie Sans Titre de Bruxelles. C'était un premier pas vers une maison d'édition, car nous avions tout organisé nous-même. Individuellement, nous continuions à rechercher des éditeurs pour nous publier, mais c'était impossible. Sans doute parce que notre travail manquait encore de maturité, mais aussi parce que le marché était incroyablement rigide. Il n'y avait pas encore l'effervescence des milieux indépendants. C'est ce qui nous a poussé à fonder notre propre maison d'édition, Fréon, en 1994, sous forme d'une association, avec des statuts sensiblement équivalents à ceux qui existent en France. C'est courageux de se lancer comme ça, à l'aventure... T. van H. : Pour nous, ça a été un choix délibéré. Nous ne pouvions nous résoudre à raboter notre style pour le faire rentrer dans un moule qui convienne à un éditeur en place. Ca nous a permis de publier ce qu'on faisait, mais aussi de lancer des gens qui n'arrivaient pas à publier ailleurs, comme Alberto Breccia. L'idée qui sous-tend notre société c'est de créer, d'avoir une

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"Créer notre maison d'édition a été un choix délibéré. Nous ne pouvions nous résoudre à raboter notre style pour le faire rentrer dans un moule."  

 

 Dessinateur, scénariste, créateur de la maison d'édition Fréon, en Belgique, Thierry van Hasselt, 34 ans a plus d'une corde à son arc. Une polyvalence indispensable quand on veut défendre son style de bande dessinée, alternative et novatrice. Son dernier album, Brutalis, est sorti en 2003 chez Fremok, qui réunit désormais les éditions Fréon et Amok.

Comment en êtes-vous venu à créer votre propre maison d'édition avec des amis ?

Thierry van Hasselt : J'ai fait des études de BD à St-Luc, à Bruxelles, où j'ai rencontré entre autres Olivier Deprez, avec qui j'ai créé plus tard la maison d'édition. A la sortie de l'école, nous nous sommes retrouvés à travailler dans le même atelier de gravure, ce qui nous a permis d'imprimer nos premiers récits, pour ensuite monter notre première exposition à la galerie Sans Titre de Bruxelles.

C'était un premier pas vers une maison d'édition, car nous avions tout organisé nous-même. Individuellement, nous continuions à rechercher des éditeurs pour nous publier, mais c'était impossible. Sans doute parce que notre travail manquait encore de maturité, mais aussi parce que le marché était incroyablement rigide.

Il n'y avait pas encore l'effervescence des milieux indépendants. C'est ce qui nous a poussé à fonder notre propre maison d'édition, Fréon, en 1994, sous forme d'une association, avec des statuts sensiblement équivalents à ceux qui existent en France.

C'est courageux de se lancer comme ça, à l'aventure...

T. van H. : Pour nous, ça a été un choix délibéré. Nous ne pouvions nous résoudre à raboter notre style pour le faire rentrer dans un moule qui convienne à un éditeur en place. Ca nous a permis de publier ce qu'on faisait, mais aussi de lancer des gens qui n'arrivaient pas à publier ailleurs, comme Alberto Breccia.

L'idée qui sous-tend notre société c'est de créer, d'avoir une démarche expérimentale, en-dehors des standards, de pouvoir obtenir des impressions particulières, des grains de papier qu'on ne trouve pas ailleurs.

Evidemment, nos objectifs ne sont pas les mêmes que dans les grosses sociétés d'édition. Pour nous, un album qui se vend bien, c'est 3 000 exemplaires, pas 30 000.

Et vous parvenez à vivre de cette activité ?

T. van H. : Financièrement, ça rapporte peu. L'argent récupéré sur les livres est réinvesti pour de nouvelles publications, nous ne faisons donc aucune marge. Je suis prof de BD en cours du soir pour vivre ! Mais nous pensons que c'est un investissement à long terme. Les comportements des lecteurs peuvent évoluer, ils se tourneront peut-être un jour vers des BD moins traditionnelles.

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Vous avez recours aux nouvelles technologies ?

T. van H. : On les utilise beaucoup. Sans la démocratisation des moyens techniques récents, on ne pourrait pas aller aussi vite. Ils permettent aussi des gains économiques importants, en évitant, par exemple, les frais de flashage chez l'imprimeur. Ce n'est pas pour autant que je pense qu'il faille tout dessiner sur ordinateur.

Par ailleurs, Internet a énormément changé notre façon de travailler. Notre site Internet, notamment, permet à nos contacts à l'étranger de suivre ce que nous faisons. Et, en termes de communication, ce site est presque plus important que les livres que nous éditons ! Je ne vous parle pas du mail, qui est ouvert en permanence...

A qui donneriez-vous leur chance chez Fréon ?

T. van H. : A ceux qui souhaitent publier des choses qui leur semblent essentielles artistiquement. Penser trop au public et au lectorat ne correspond pas forcément aux meilleurs choix en la matière. En tout cas, si j'ai un conseil à donner, c'est d'y aller molo, de ne pas être trop mégalo au début. Il faut se laisser le temps que les choses s'installent, et être rigoureux.

Propos recueillis par Sandra Rude le 16 janvier 2002

 

Le livre

  Gloria LopezEd. Fréon

Thierry Van Hasselt - Gloria Lopez

EditeurFréon

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INFOS +Pour plus d’informations sur les éditions Fréon, voir leur site

Qu’est-ce que Gloria Lopez ? D’abord un oubli fort dommageable que Chronic’art corrige aujourd’hui. Ensuite un objet improbable, comme seul le médium bande dessinée peut nous en réserver à l’occasion. Œuvre malade de son propre sujet, Gloria Lopez donne à voir les pérégrinations d’une jeune femme venue d’Amérique du Sud au début du siècle et qui échouera dans un bordel avant de finir misérablement ses jours dans une fusillade entre souteneurs. Ce pathétique destin est toutefois transfiguré par la grâce d’un narrateur inquiétant, un médecin légiste qui fouille sans fin le corps de Gloria afin d’y trouver des réponses à ses questions : "Vais-je trouver une trace de l’âme sous la peau, dans les viscères ou les tripes ?" Cérémonial extatique, étrangement similaire à celui de Jack L’Eventreur -William Gull dans le From hell d’Alan Moore. Cette volonté de savoir, et de restituer l’innocence perdue de Gloria est la principale quête de cette œuvre piège. Œuvre piège car œuvre piégée : la linéarité du récit est torturée par des excroissances ironiques, des postiches narratifs (enquêtes policières, situation politique) qui échappent à toute référence. Le récit s’égare, revient sur ses pas, à la faveur des témoignages de ceux qui ont connu Gloria, le policier Lawrence, premier bourreau de Gloria, Louise, tenancière de bordel, avant de s’achever(?) lors d’une troisième pièce hallucinante, composée exclusivement de fresques sans paroles, sur l’enfance de Gloria.

Gloria, péché sadien ? Certes, puisque Thierry Van Hasselt a reconnu avoir songé à son œuvre après la lecture de la Justine du divin marquis. Gloria est un corps qui souffre, soumise au bon vouloir d’autrui et niée comme être pensant et désirant. Le narrateur-docteur, en charognard de sens, cherche à dépasser la mécanique aporétique de Sade pour combler le vide, l’absence de cette présence éphémère. Mais il se noie tout comme le lecteur dans ce flou entretenu par la merveilleuse utilisation du dessin, gravure sépia diluée et mouvante où chaque élément se révèle en perpétuelle mutation. Visages, silhouettes émergent de la fange pour mieux y retourner, à l’image de cette encre sauvage et capricieuse qui semble échapper à tout contrôle. La beauté de Gloria Lopez naît d’une énigme : chaque parcelle de connaissances acquises s’évanouit pour obscurcir un peu plus l’hypothétique vérité. En cela, Van Hasselt est sans doute plus proche du Robbe-Grillet des Gommes ou du Voyeur que de Sade. Ambiance délétère et monde fantasmatique font de cette création inclassable un petit chef-d’œuvre diablement inquiétant. Si vous voulez faire sensation, débarquez sur la plage flanqué de votre Gloria Lopez et plongez-vous dans un rêve noir comme l’enfer. Les éditions Fréon sont grandes et Thierry Van Hasselt est leur prophète. Amen et paix à l’âme de Gloria.

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