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SPORT ET THÉORIE DES JEUX RAYMOND THOMAS, RAYMOND CHAPPUIS, EDGARD THILL, SERVICE DE LA RECHERCHE. INS Le sport fait partie de la catégorie des situations dites de conflit. Celles-ci sont caractérisées par des oppositions entre personnes ou entre personne et nature. Chaque individu doit alors élaborer des stratégies pour essayer d'obtenir le meil- leur résultat possible. Parmi celles-ci, certaines doivent s'avérer plus rentables que d'autres. Fondée sur l'intuition et l'empirisme, l'optimisation de ces straté- gies peut théoriquement être découverte rationnellement. Le modèle mathématique qui en permet le calcul est connu sous le nom de théorie des jeux (1). Une application capitale en a été faite dans le domaine économique et l'ouvrage fondamental est celui de Morgenstern et Von Neumann, Theory of games and economic behavior (2). Nous voudrions exposer dans cet article les idées principales qui ont servi à l'élaboration de la théorie des jeux et ensuite examiner les applications qui pourraient en résulter dans le domaine sportif. Il est évidemment hors de propos de présenter tout l'aspect mathématique fort compliqué et nécessitant de sérieuses connaissances algébriques, mais il est possible, sans entrer dans cette perspec- tive, de comprendre l'esprit qui a présidé à la formulation. Les jeux se sont avérés représenter des modèles de situations paraissant difficiles à comprendre et dont il était par conséquent impossible de prévoir l'évo- lution. Pour étudier un phénomène, l'homme en construit un modèle. Celui-ci peut être de différentes espèces. Geoffroy d'Aumale (3) reprenant un schéma de Blumstein (4) nous les présente : abstraction croissante rapidité croissante de l'analyse réalisme croissant coût croissant de l'analyse Les jeux peuvent entrer dans la caté- gorie de la simulation analogique. A partir de ceux-ci, le chercheur a élaboré un modèle mathématique plus abstrait et de manipulation plus aisée. Les philosophes, les psychologues et les sociologues ont proposé de nombreu- ses classifications des jeux. Celle de Caillois (5) est l'une des plus connues. L'auteur distingue deux axes principaux comprenant, le premier quatre caté- gories : l'Agon, l'Alea, l'Ilynx et la Mimicry (6), le second en 2 classes : la Paidea et le Ludus. Les sociétés, nous dit-il, ont évolué d'une com- binaison d'ilynx-Mimicry, visible dans les sociétés archaïques vers une autre d'Agon-Alea, fondement de nos so- ciétés industrielles, l'Alea tempère l'Agon. De telles classifications, extrêmement enrichissantes, ont cependant l'inconvé- nient de ne pas être utilisables par le mathématicien, pour lequel les différents sous-ensembles créés doivent être bien délimités. Ce dernier a donc proposé une classification plus nette. Les jeux, pour lui, sont composés de trois caté- gories : les jeux déterminés, les jeux de pur hasard et les jeux qui ne sont pas de pur hasard. Cette classification répond au souci de distinguer des problèmes mathé- matiques différents. Avant d'examiner ces diverses catégories, il convient de remarquer que l'étude mathématique des jeux n'a été abordée que fort tardive- ment au cours de l'histoire de la civili- sation. Des facteurs sociologiques et religieux semblent en être la cause. Les jeux n'étaient pas considérés comme des activités sérieuses. L'apport considérable de calcul des probabilités, issu de l'étude des jeux de hasard, à la science moderne, donne une nouvelle preuve historique de l'importance prééminente de la recherche fondamentale dont le public et souvent les responsables ne comprennent pas l'utilité (7). Le jeu de hasard est en oppo- sition avec un certain nombre de valeurs fondamentales pour une société. « L'alea nie le travail, la patience, la valeur pro- fessionnelle, la régularité, l'entraîne- ment » (8). Il n'a pu se développer qu'à partir de nos sociétés industrielles où il s'est avéré nécessaire pour y modérer les effets de l'Agon. Une certaine conception du christianisme s'est aussi opposée au jeu considéré comme d'inspiration sata- nique. Toujours est-il que l'étude mathé- matique des jeux n'a guère débuté avant l'époque de Pascal. Reprenons nos trois catégories pour les situer plus précisément. Miroir Sprint 13 Revue EP.S n°106 Novembre-Décembre 1970. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés

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SPORT ET THÉORIE DES JEUX

RAYMOND THOMAS, RAYMOND CHAPPUIS, EDGARD THILL, SERVICE DE LA RECHERCHE. INS

Le sport fait partie de la catégorie des situations dites de confl i t . Celles-ci sont caractérisées par des opposit ions entre personnes ou entre personne et nature. Chaque individu doit alors élaborer des stratégies pour essayer d'obtenir le mei l­leur résultat possible. Parmi cel les-ci, certaines doivent s'avérer plus rentables que d'autres. Fondée sur l ' intuit ion et l 'empirisme, l 'optimisation de ces straté­gies peut théoriquement être découverte rationnellement. Le modèle mathématique qui en permet le calcul est connu sous le nom de théorie des jeux (1 ) . Une appl icat ion capitale en a été faite dans le domaine économique et l 'ouvrage fondamental est celui de Morgenstern et Von Neumann, Theory of games and economic behavior (2) .

Nous voudrions exposer dans cet article les idées principales qui ont servi à l 'élaboration de la théorie des jeux et ensuite examiner les applications qui

pourraient en résulter dans le domaine sportif. Il est évidemment hors de propos de présenter tout l'aspect mathématique fort compl iqué et nécessitant de sérieuses connaissances algébriques, mais il est possible, sans entrer dans cette perspec­t ive, de comprendre l'esprit qui a présidé à la formulat ion.

Les jeux se sont avérés représenter des modèles de situations paraissant diff iciles à comprendre et dont il était par conséquent impossible de prévoir l 'évo­lut ion.

Pour étudier un phénomène, l 'homme en construit un modèle. Celui-ci peut être de différentes espèces. Geoffroy d 'Aumale (3) reprenant un schéma de Blumstein (4) nous les présente :

• abstraction croissante rapidité croissante de l'analyse

réalisme croissant coût croissant de l'analyse

Les jeux peuvent entrer dans la caté­gorie de la simulat ion analogique. A partir de ceux-c i , le chercheur a élaboré un modèle mathématique plus abstrait et de manipulat ion plus aisée.

Les phi losophes, les psychologues et les sociologues ont proposé de nombreu­ses classifications des jeux. Celle de Caillois (5) est l'une des plus connues. L'auteur dist ingue deux axes principaux comprenant, le premier quatre caté­gories : l 'Agon, l'Alea, l ' I lynx et la Mimicry (6) , le second en 2 classes : la Paidea et le Ludus. Les sociétés, nous d i t - i l , ont évolué d'une com­binaison d ' i l ynx -Mimic ry , visible dans les sociétés archaïques vers une autre d 'Agon-Alea, fondement de nos so­ciétés industrielles, où l'Alea tempère l 'Agon.

De telles classifications, extrêmement enrichissantes, ont cependant l ' inconvé­nient de ne pas être utilisables par le mathématicien, pour lequel les différents sous-ensembles créés doivent être bien délimités. Ce dernier a donc proposé une classification plus nette. Les jeux, pour lui, sont composés de trois caté­gories : les jeux déterminés, les jeux de pur hasard et les jeux qui ne sont pas de pur hasard. Cette classification répond au souci de dist inguer des problèmes mathé­matiques différents. Avant d'examiner ces diverses catégories, il convient de remarquer que l'étude mathématique des jeux n'a été abordée que fort tardive­ment au cours de l'histoire de la c iv i l i ­sation. Des facteurs sociologiques et religieux semblent en être la cause. Les jeux n'étaient pas considérés comme des activités sérieuses. L'apport considérable de calcul des probabil ités, issu de l'étude des jeux de hasard, à la science moderne, donne une nouvelle preuve historique de l ' importance prééminente de la recherche fondamentale dont le public et souvent les responsables ne comprennent pas l'utilité (7) . Le jeu de hasard est en oppo­sit ion avec un certain nombre de valeurs fondamentales pour une société. « L'alea nie le travail, la patience, la valeur pro­fessionnelle, la régularité, l 'entraîne­ment » (8) . Il n'a pu se développer qu'à partir de nos sociétés industrielles où il s'est avéré nécessaire pour y modérer les effets de l 'Agon. Une certaine concept ion du christianisme s'est aussi opposée au jeu considéré comme d'inspiration sata-nique. Toujours est-i l que l'étude mathé­matique des jeux n'a guère débuté avant l 'époque de Pascal.

Reprenons nos trois catégories pour les situer plus précisément.

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Le prototype des jeux déterminés est le jeu d'échec. Dans de tels jeux, le hasard n'intervient pas. Les règles permettent de conduire ou du moins d' imaginer un calcul au terme duquel un joueur est assuré du résultat. Si l'on y joue néan­moins, cela t ient à ce que le nombre de combinaisons est trop élevé pour que l'on puisse les envisager toutes. Mais il existe des jeux pour lesquels on connaît l 'algorithme de gain, comme celui des 11 objets. On place 11 objets sur une table, un premier joueur A en retire soit un, soit deux, soit trois, au choix. Puis le 2 e joueur B opère de même parmi les objets restants. Le premier joueur A recommence. Le joueur qui prend le dernier objet perd. L'algorithme per­mettant à A, qui commence, de gagner est le suivant : il doi t prendre 2 objets puis jouant après B, il doit retirer 4 — x objets, x étant le nombre d'objets retirés par B.

Un jeu déterminé peut être représenté par une structure arborescente. Le joueur A qui débute a le choix entre N coup (aux échecs 20) , son adversaire B a pour chaque coup de A, un certain nombre de réponses... etc. Dès lors, chaque branche terminale qui débouche sur la victoire, la défaite ou le match nul est l 'aboutisse­ment d'une série de choix de A et de B.

Une stratégie est un plan d'act ion pour l'un des joueurs indiquant le choix qu' i l effectuera en face de chaque décision de son adversaire.

La 2 e catégorie que le mathématicien a définie, celle des jeux de hasard, est représentée par la loterie. Ici , l'adver­saire n'est pas une personne, mais le sort. On mise une somme d'argent, en espé­rant en retour, un certain gain. Le jeu de dés est également un exemple très intéressant de cette catégorie, c'est à

partir de son étude que s'est développée la branche mathématique des probabil ités qui a permis l'élaboration de la statistique et de la prise de décision rationnelle face à l'aléatoire. La not ion d'espérance mathé­matique, ou moment du 1 e r ordre, est directement issue du jeu. L'espérance mathématique est une moyenne, c'est ce que le joueur peut raisonnablement es­pérer recevoir au bout d'un grand nombre de coups. Supposons une roue de loterie, présumée « honnête ». La moitié du disque est de couleur rouge, un quart de couleur verte, le dernier quart de couleur bleue. Pour la sortie du rouge, le joueur touche 8 F, pour celle du vert 20 F, et pour celle du bleu 40 F. A - t - i l intérêt à miser 20 F à chaque coup? Le calcul de l'espérance mathématique permet de répondre à cette question. L'espérance mathématique E(X) est égale à la somme des produits des probabilités de sortie de chaque couleur par leur règle­ment soit £ Pi x i , E (X) = 0,5 x 8 F + 0,25 x 20 F + 0,25 x 40 F = 19 F. Après N coups, le joueur recevra N fois 19 F, mais il aura versé N fois 20 F. L'espérance mathématique est la somme que devrait équitablement verser celui qui achèterait les chances de gain du joueur.

Grâce à ces préliminaires, nous dispo­sons maintenant de quelques concepts nous permettant d'aborder la troisième catégorie de jeux : ceux qui ne sont pas de pur hasard. Les spécialistes y dis­t inguent 3 sous-groupes : les jeux de coopérat ion, le duel et les jeux intermé­diaires. Nous nous intéresserons plus spécialement au duel qui représente assez bien nos compéti t ions sportives. Le mathématicien parle également de jeu à somme nulle et de jeu à somme non nulle. Dans les premiers, tout ce qui est

gagné par l'un des adversaires est perdu par un autre. Ce type de jeu rejoint le duel. Les jeux du second type sont des jeux intermédiaires, et le prototype en est le di lemme du prisonnier (9) . Dans toute la catégorie de ces jeux, le hasard inter­vient, mais s'interpose également autrui qui cherche à nous faire perdre. L'arché­type de la catégorie est le jeu de poker (10) Le hasard intervient dans la distr ibution des cartes mais l'adversaire peut bluffer, ruser. La théorie des jeux se présente donc essentiellement comme une théorie du bluff. Nous l'avons dit, son application principale en a été faite en économie, mais elle est également utilisée par les militaires et Dresher mathématicien à la Rand Corporation, n'a pas craint d'écrire (11) . « On sait l ' importance qu'a prise la théorie des jeux dans l'élaboration des stratégies nucléaires des deux grandes puissances mondiales. Il n'est pas exa­géré de dire que c'est grâce à de telles analyses qu'a pu être instauré puis main­tenu le délicat « équilibre de terreur » sur lequel repose actuellement la paix mondiale ».

La plupart des auteurs qui traitent de la théorie des jeux, commencent par une histoire empruntée à la littérature pol i ­cière. Le héros en est Sherlock Holmes opposé pour la circonstance à son ennemi Moriarty. Sherlock Holmes qui est en Angleterre a besoin de se rendre en France afin d'y chercher une preuve décisive pour l'arrestation de Moriarty. Il prend le train pour Douvres où il compte s'embarquer pour la France. Lorsque le train démarre, Holmes qui est à la fenêtre, aperçoit Moriarty qui arrive en courant et réussit à monter dans le train. Holmes réalise que Moriarty a deviné son plan et qu' i l va essayer de le tuer. Nous sommes à l 'époque où il n'y a pas de communicat ion entre les compart iments, Moriarty ne pourra donc attaquer Holmes que lorsque le train s'arrêtera. Il y a un seul arrêt de prévu avant Douvres, cet arrêt s'appelle Canter­bury. Le problème, pour Holmes qui n'est pas armé et ne pourra donc se défendre, est d'essayer de descendre à une station différente de celle où descendra Moriarty. Il lui faut donc descendre à Canterbury puisque Moriarty sait que Holmes va à Douvres. Seulement Moriarty a vu Holmes penché à la portière lorsqu'il a réussi à monter dans le train. Il sait donc, qu'Holmes sait qu' i l est dans le train. D'où il peut faire le même raisonnement qu'Holmes et descendre à Canterbury pour y tuer Holmes. En vertu de ce raisonnement, Holmes peut se dire qu' i l est plus astucieux de descendre à Dou ­vres. Mais Moriarty qui est sensé être aussi intell igent peut lui aussi suivre

La recherche de la stratégie.

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ce raisonnement. Il apparaît donc que, les deux antagonistes étant de même intell igence et ayant les mêmes informa­tions sur les événements, le jeu est bloqué. La seule façon pour l'un des antagonistes, pour Holmes par exemple, de trouver une solut ion est de faire inter­venir une tierce personne, en l 'occurence le hasard. Holmes va demander au hasard- de lui dire où il doit descendre, Canterbury ou Douvres en tirant à pile ou face. Comme Holmes ne peut c o n ­naître le résultat avant d'avoir interrogé le hasard, son adversaire ne peut non plus le connaître La seule solut ion pour Moriarty sera également de tirer à pile ou face. Cet exemple nous montre une partie de. la situation de duel. C'est la conjugaison de l 'action de Holmes et de l 'action de Moriarty qui crée l 'événement.

On peut représenter la situation par un graphe ou une matrice

Les deux tableaux représentent tous les événements possibles qui peuvent se produire à la suite de deux décisions une de Holmes et une de Moriarty. Dans ces événements possibles, il y en a 2 de favorables à Holmes : DC et CC.

Grâce à cet exemple, nous avons mis en lumière une idée fondamentale de la théorie des jeux, idée que nous uti l ise­rons pour le calcul des stratégies mixtes. Cette not ion a été résumée sous forme de boutade par Von Neuman « La meilleure manière que notre adversaire ne sache pas ce que vous allez faire, est de l'ignorer vous-même ».

L'histoire d 'Holmes était une situation de duel typique, mais dont le modèle était simplif ié à l'extrême par rapport aux situations que l'on rencontre dans la vie. Lorsqu'i l y a plusieurs protagonistes, il peut y avoir des coal i t ions. Il se forme à ce moment ce que l'on appelle un super- indiv idu. Une équipe en sport collectif répond à ce type. Le nombre

d' individus en présence dans un jeu n'est pas évident.

Dans un poker à 5 personnes, il se peut que 2 des personnes aient décidé d'unir leur résultat, gain ou perte. On se trouve donc en présence d'un jeu à 4 personnes.

Nous allons décrire un autre exemple souvent cité. Il s'agit d 'un couple qui décide de partir camper. Ils arrivent dans une région val lonnée. Or le mari et son épouse ont des goûts différents. Le mari aime l'altitude et sa femme désire au contraire camper le plus bas possible. La région est parcourue par 4 routes dans le sens Sud-Nord et par 4 autres routes dans le sens Ouest-Est.

Les routes étant disposées comme l ' in­dique le schéma, il y a 16 carrefours qui ont chacun une certaine alt i tude.

Nos deux campeurs décident que le mari prendra une route à son choix dans le sens Ouest-Est et sa femme une à son choix dans le sens Sud-Nord . Ils camperont à l ' intersection des deux routes.

On peut représenter le problème sous la forme d'une matrice de jeu dans laquelle les lignes correspondront aux possibilités de choix du mari et les colonnes aux possibilités de choix de l'épouse.

Les chiffres f igurant dans chaque case, ou cellule, représentent l 'altitude d'un croisement en centaine de mètres.

Le mari a donc le choix entre 4 routes symbolisées par les lignes 1 , 2, 3, 4. Il lui est possible de chercher à obtenir le point le plus élevé, c'est-à-dire, 700 mètres (7 correspondant à la case 1,1) en jouant la route n° 1 (la l igne n° 1) mais à ce moment il risque de camper à 100 mètres (case 1,4).

Dans la théorie des jeux, on joue la prudence. C'est-à-dire que l'on cherche à obtenir le meilleur résultat possible quel que soit le jeu de l'adversaire.

Dans notre exemple pour arriver à ce résultat le mari cherche quel est le min i ­mum de chaque ligne et ensuite quel est le maximum de ces différents min imum. Ce nombre est appelé le m a x i m i n . Le mari en jouant la l igne qui cont ient le maximum est assuré d'obtenir le meilleur résultat possible quel que soit le jeu de son épouse.

Cherchons les min imum de chaque l igne :

1 r e l igne = 1 2 e l igne = 2 3 e l igne = 3 4 e l igne = 1 Le maximum de ces différents chiffres

est 3 ce qui correspond à la 3 e l igne. En jouant la troisième ligne le mari est assuré de camper au moins à 300 m. En jouant une autre l igne il n'en est plus du tout assuré.

La stratégie de la femme va être oppo­sée. Elle joue ne l 'oubl ions pas suivant les colonnes. Elle va chercher dans cha­cune de celles-ci le maximum :

1re colonne = 7 2 e colonne = 3 3 e colonne = 5 4 e colonne = 6 Elle cherche ensuite le min imum de

ces maximum. Ce nombre est appelé m i n i m a x . Il est ici égal à 3 et correspond à la 2e colonne. Elle joue donc cette 2 e colonne. Elle est ainsi sûre de ne pas camper plus haut que 300 m.

Les choix des époux se croisent à cette cellule où il y a le chiffre 3. On dit qu' i l y a un « col » ou un point d'équil ibre. Cela correspond à une entente. Mais notons qu' i l n'y a pas forcément un col ou un point d'équil ibre.

Le choix de l'action face aux adversaires.

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Soit la matrice 2 x 2

On voit que A doit jouer la 1 r e l igne (min imum 1 r e l igne = 3, min imum de la seconde = 2. Le maximin est donc 3 correspondant à la 1 r e l igne). A, vise la cellule contenant ce chiffre 3.

Par contre B joue suivant les colonnes, il cherche le minima. Il doit jouer la colonne 1. (Max imum 1 r e colonne = 7, 2 e colonne = 11) . Il vise la cellule conte­nant le chiffre 7. On voit qu' ic i il n'y a pas de col , puisque les deux adversaires ne visent pas la même cellule.

R e m a r q u e . Nous avons vu jusqu' ic i des matrices où le joueur B se contentait de perdre le moins possible, de limiter les dégâts. Il était toujours perdant. Mais l'on peut introduire des nombres négatifs dans la matrice, ce qui fait que le gagnant A pourra être gagnant d 'un nombre négatif, c 'est-à-dire, qu' i l perdra et que B gagnera.

Exemple :

St ra tég ie m ix te .

Nous allons maintenant considérer que nous jouons plusieurs coups avec la même matrice de jeu. On parlera alors de stratégie mixte, le mot de tact ique ou stratégie pure étant réservée au jeu en un seul coup.

Comment faire pour jouer plusieurs coups? Nous supposons un nombre de coups assez élevé.

Nous pouvons jouer toujours la même ligne mais à ce moment notre stratégie sera vite repérée par l'adversaire. Nous pouvons décider de suivre un certain ordre. Nous jouerons (dans le cas du

joueur A) la l igne 5 puis la l igne 3, puis la l igne 2... etc. Mais cette périodicité que nous nous imposons sera, si nous jouons un certain temps, repérée par notre adversaire.

La solut ion consiste comme dans l'his­toire de Conan Doyle de s'en remettre au hasard. L'ordre que nous suivrons nous l 'obtiendrons en interrogeant le hasard. Rappelons qu' i l existe des tables de nombres au hasard.

Mais ce n'est pas tout. L'idée de straté­gie mixte suppose que l'on joue plus fréquemment une l igne qu'une autre dans le cas de A une colonne qu'une autre dans le cas de B. Nous allons essayer d'expliciter ceci.

Prenons comme exemple une matrice 2 x 2 . Rappelons que cela veut dire que la matrice a 2 lignes et 2 colonnes, cela n'a rien à voir avec le nombre de joueurs. Cela signifie que le joueur A peut choisir entre 2 possibilités et que le joueur B également. A peut choisir entre 2 lignes et B entre 2 colonnes.

Choisir une stratégie pure ou une tact ique c'est choisir pour A une ligne et jouer un seul coup. Pour B c'est choisir une colonne et jouer un seul coup. Nous remarquons que cette ma­trice n'a pas de point d'équil ibre. Elle n'a pas de col .

Si nous voulons jouer plusieurs coups, il nous faut prévoir un plan, une sorte de superstratégie que l'on appellera une stratégie mixte. Cela va consister pour A à jouer la l igne 1 avec une certaine probabil i té p 1 et la ligne 2 avec une probabil i té p 2. Tel que p 1 + p 2 = 1 puisque l'on joue l 'une ou l'autre des lignes.

Exemple, nous jouons 1 fois sur 5 la l igne 1 et 4 fois sur 5 la ligne 2. p1 = 1 / 5 p2 = 4 /5 (ou p1 = 0,2, p2 = 0,8).

Il est évident que nous pouvons prendre n'importe quelle valeur pour p1 entre 0 et 1 (une probabil i té est toujours comprise entre 0 et 1 ) p2 sera déter­miné par la valeur de p1 (p2 = 1 — p1) .

Le problème va consister à trouver la valeur de p1 pour laquelle nous aurons le meilleur résultat possible quoi que fasse notre adversaire qui lui aussi joue les colonnes avec une certaine proba­bilité p1 pour la colonne 1 et p2 pour la colonne 2.

Il nous faut donc chercher la distr ibu­t ion des probabil i tés pour A et B et il nous faut également chercher la va leur du jeu c'est-à-dire le règlement f inal .

On appelle ainsi la somme qui sera payée par l'un des joueurs à l'autre au bout d'une série de coups assez longue. (Elle peut éventuellement être nul le).

Pour les jeux avec co l , le règlement est constant c'est le point d'équil ibre mult ipl ié par le nombre de parties. On fait l 'hypothèse que le joueur adverse joue au mieux. Si donc on s'écarte soi-même du col on gagne moins ou l'on perd plus (suivant que l'on est A ou B).

(Remarque : Notons qu' i l y a des jeux qui ont plusieurs points d 'équi ­l ibre).

Calcul pour les jeux sans col. Le règlement est une moyenne, comme

toute espérance mathématique. C'est la somme des gains aléatoires moyens basés sur la matrice par cellule.

Exemple : soit la matrice que nous venons d'envi­

sager :

Nous supposons que A joue la l igne n° 1 une fois sur 5 et la ligne n° 2 4 fois sur 5. B lui joue la colonne n° 1 2 fois sur 5 et la colonne n° 2 3 fois sur 5. La matrice comprend 4 cellules que nous avons représentées sur la f igure.

Pour que la cellule A1 B1 sorte il faut que A joue la 1 r e l igne et B la 1 r e colonne. Or A joue cette 1 r e l igne avec une pro­babilité de 1/5 et B la 1 r e colonne avec une probabil i té de 2 /5 . Les deux choix sont indépendants d'où la probabil i té de sortie de la cellule A1 B1

est égal au produit des 2 probabilités. Elle est de 1/5 x 2 /5 soit 2 /25 et le règlement sera la somme inscrite dans la cellule mult ipl ié par la probabil i té de sortie soit 2 / 25 х 3 = 6 /25 .

On calcule de même le règlement des autres cellules :

A1 B 2 = 1/5 x 3 /5 x 6 = 18 /25 A1 B 1 = 4 / 5 x 2 / 5 x 4 = 40 /25 A 2 B 2 = 4 / 5 x 3 /5 x 4 = 4 8 / 2 5 Le règlement final sera égal à la somme

des règlements de chaque cellule. Il est ici de : 6 /25 + 18 /25 + 40 /25 + 4 8 / 2 5 = 112 /25 = 4,48.

On postule évidemment que l'on joue un grand nombre de coups. Sur un seul coup le joueur A ne peut pas recevoir une somme fractionnaire ; mais sur N coup il recevra N х 4,48. Il gagne en moyenne 4,48 par coup.

Mais n'oublions pas que nous avons pris des valeurs arbitraires pour les pro­babilités que devaient employer A et B.

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Nous allons maintenant imaginer que nous sommes le joueur A et nous allons, en conservant les probabil ités que nous avions choisies pour nous mêmes, faire varier les probabil ités de B. Au lieu de 2 /5 et 3 /5 nous prendrons par exemple : 1/4 et 3 /4 puis nous calculons dans ce cas le règlement. Il est alors de 4,45.

Changeons encore une fois les pro­babilités de B et prenons 1/2 et 1/2.

Le règlement est = 3 /10 + 6 / 1 0 + 2 0 / 1 0 + 16 /10 = 4,5.

Nous voyons donc qu'en faisant varier les chiffres des probabil i tés de B nous trouvons des règlements différents. Parmi ces différents règlements, nous cher­chons le min imum et nous le mettons de côté. Maintenant nous allons prendre pour nous-mêmes des probabil i tés dif fé­rentes, car jusqu'à présent nous avions conservé pour le choix des lignes 1/5 et 4 /5 . Nous prenons 2 autres probabil ités et nous recommençons toutes les opéra­t ions que nous avions faites Nous t rou­vons à nouveau des séries de règlements. Nous en dégageons le min imum. Cette opération terminée nous changeons en­core nos probabil ités et nous recommen­çons pour dégager un 3 e minimum... etc. Nous aurons ainsi une série de min imum. Parmi ceux-ci nous chercherons le maxi­mum. Nous serons ainsi assuré de gagner le plus possible (ou de perdre le moins possible) quo ique fasse l'adversaire. Nous retrouvons le maximin et le minimax. Le joueur A devra donc jouer les proba­bilités qui correspondent au maximin et le joueur B celles qui correspondent au minimax.

Le lecteur a maintenant une object ion à faire. D'après ce que nous venons de dire il y aurait une double infinité de calculs à faire pour obtenir le maximin et le minimax. On ne peut étudier toutes les probabil i tés que peut choisir B puisqu'une probabil i té peut prendre n ' im­porte quelle valeur entre 0 et 1 . Il y a heureusement une règle de calcul.

Prenons une matrice quelconque 2 х 2 et désignons par X1 et X2 les probabil i tés que doit prendre A pour jouer au mieux, de même désignons par Y1 et Y

celles que doit prendre B.

par déf ini t ion Y , + Y . = 1 X1 + X2 = 1

Le règlement est égal à 3 X , x Y , + 6 X 1 x Y 2 + 5 X 2 x Y 1 + 4 X 2 x Y 2 . Si l'on remplace X2 par (1 — X 1 ) et Y2 par (1 — Y 1 ) on a

3X1xY1+ 6X х(1 — Y1) + 5x(1 —X1)

Y , + 4 x (1 — X 1 ) = 4 + 2 X , + Y 1 — 4 X , x Y 1 .

Or nous voulons rendre le jeu indépen­dant de la manière de jouer de B donc indépendant de la probabil i té Y1 (rappe­lons que Y , nous suffit puisque Y2 = 1 - Y 1 .

Nous mettons donc Y , en facteur. Le règlement = 4 + 2X1 + X1(1—4X1

) Si la manière de jouer de B nous est

indifférente c'est que B choisisse une ligne ou une autre nous importe peu. Nous cherchons à calculer de façon à être assuré d'un maximum quoi que fasse B.

Si donc B joue uniquement la ligne 1 Y1 = 1 et Y2 = 0.

Alors R = 4 + 2X1 + 1 — 4 X 1 = 5 — 2 X 1 .

Si B joue uniquement la l igne n° 2 alors Y1 = 0.

Nous aurons à ce moment R = 4 + 2 X 1 . Si la manière de jouer de B nous est

indifférente, alors les deux règlements doivent être égaux.

4 + 2 X1 = 5 — 2 X1. On en déduit la valeur de X1 = 1/4

donc X2 = 3 /4 . Et R = 9 /2 . Voici sommairement expliquée la so lu­

t ion d'une matrice 2 x 2. Les mathémati­ciens ont démontré que tout duel ou jeu à deux joueurs (de 2 super individus comme deux équipes), à somme nulle, de matrice rectangulaire d'ordre M x N, admet toujours une solut ion. Ils ont mis au point des méthodes pour calculer les stratégies mixtes de chaque adversaire et le règlement qui en résulte. Dans les jeux comportant plus de deux stratégies pures par adversaires, le mathématicien recherche les stratégies dominantes pour B et dominées par A, afin de les éliminer. Une stratégie est dominante si elle est préférable aux autres.

Nous avons développé l'exemple du duel tout en nous limitant à des expl i ­cations très simples parce qu' i l s'agit d'un modèle très intéressant pour l 'activité sportive. Il existe d'autres formes de jeux de stratégies que nous n'avons pu qu'évoquer. Il aurait été également pos­sible de développer la not ion de duel en envisageant ceux qui ont un nombre infini de stratégies. Cela aurait pu être intéressant pour l'escrime par exemple.

nous n'avons pu le faire dans le cadre de cet article.

Appl ica t ions au doma ine spor t i f .

Pour pouvoir utiliser le modèle mathé­matique dont nous avons brossé un tableau rapide, l'entraîneur doit être capable de construire la matrice de jeu, qui à chaque décision, de son équipe et choix de l 'équipe adverse, fera cor­respondre un règlement. Pour cela, il lui faut recenser toutes les possibilités de jeu, toutes les stratégies pures pos­sibles. Dans certaines disciplines, la construct ion de la matrice sera plus diff ici le que pour d'autres. Pour quelques-unes les paiements seront bien délimités comme dans l'éventualité de la lutte de 4 coureurs de demi- fond opposés 2 à 2 dans une rencontre internationale. Dans un tel cas, le règlement ne peut être, si l'on exclut le déclassement, que de 8-3 , 7-4 ou 6-5 en faveur de l'une ou l'autre équipe. Pour certaines disciplines, les gains seront plus diff iciles à chiffrer.

L'application la plus intéressante, qui semblerait pouvoir être faite actuellement, concernerait le vol ley-bal l . Un groupe de chercheurs de la RDA a présenté dans Praxis der Körperkultur (11-68) les idées essentielles qui permettraient la mise en place du modèle théorique.

Une équipe A est opposée à une équipe B. Le règlement ne peut être que le gain d 'un point, la perte d 'un point, le gain du service ou la perte du service. La valeur attribuée au gain d 'un point est de + 1 , celui attribué à la perte d'un point de — 1. La valeur donnée à la conquête du service ou à sa perte doit se calculer d'après l'étude des matches auxquels l 'équipe a participé. Les auteurs de l'article après analyse des matches internationaux donnent la valeur de + 0,4 à la conquête du service et — 0,4 à sa perte. Cela veut dire que la probabil i té de marquer un point après la conquête du service est égal à 0,4 ou si l'on préfère que 40 % des phases qui suivent la reprise du ser­vice se terminent par le gain d 'un point alors que 60 % sont suivies de la perte du service.

L'écart-type de la distr ibut ion des fré­quences observées est faible. D'après les auteurs il est de 0,028. Bien que cela ne soit pas précisé, il est à penser que la distr ibut ion des fréquences doit être gaussienne.

La grande diff iculté réside dans le recensement de tous les aspects tactiques fondamentaux du vol ley-bal l , de ce que l'on appelle les stratégies pures, en théorie des jeux. Les auteurs de l'article qui pensent que les études statistiques, c o n ­cernant le vol ley-bal l , sont actuellement assez poussées pour établir la matrice

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Revue EP.S n°106 Novembre-Décembre 1970. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés

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de jeu, proposent un premier dénombre­ment des stratégies pures en fonct ion des coups d'attaque : smash, lob, balle placée... etc. Cela, pour chaque nature de la passe précédente. En face de cha­cune de ces actions, l 'équipe en défense pourrait répliquer par : un contre à trois, un contre à deux en diagonale, un contre individuel, pas de contre... etc.

En se l imitant à une analyse relativement superficielle au départ, il serait possible d'utiliser une matrice du type suivant :

Les « aij » qui représentent les règle­ments seraient calculés grâce à un travail statistique opéré sur les observations des matches auxquels aurait participé l'équipe. Le simple examen de la matrice donnerait déjà des renseignements fort utiles sur l'efficacité des tactiques employées. On pourrait ensuite calculer la stratégie mixte optimale, en util isant les opérations mathématiques de résolutions mises au point par les chercheurs. Les stratégies pures dominées seraient éliminées pour l 'équipe A, les dominantes pour l'équipe B. Le calcul se ferait sur la matrice rési­duelle.

La meilleure façon d'obtenir la stratégie mixte optimale est en effet de recourir aux solutions algébriques. Celles-ci sont très rapidement fournies par les ordina­teurs, grâce à des programmes adéquats.

Il faut cependant remarquer que les stratégies élaborées permettent d'obtenir le meilleur résultat parmi les moins bons, le maximum des minima et qu'elles pré­supposent que l'on ne cherche pas à utiliser les éventuelles erreurs de l'adver­saire. Plus précisément, il s'agit d'un jeu de défense. Nous avons développé lon­guement l'idée que la théorie des jeux joue la sécurité. Si donc, en défense, la stratégie calculée est optimale, par contre il n'en sera plus de même en attaque. Il conviendrait d'observer les fautes des adversaires, d'en faire un relevé statistique pour les exploiter au maximum.

La théorie des jeux postule évidemment la maîtrise de nombreuses stratégies pures. « La ruse est essentiellement mult iple : si l'on n'a qu 'un tour dans son sac, ce n'est plus un tour. Quand Homère qualif ie l'astucieux Ulysse, ses épithètes commencent par « Poly » et ce préfixe dit l'essentiel. Toutefois cette pluralité reste virtuelle et c'est ce qui dist ingue la force de la ruse » (12) .

Il existe une autre appl icat ion de la théorie des jeux qui pourrait intéresser

le chercheur sportif. Nous pensons à l 'uti l isation qui en a été faite en psycho­logie sociale expérimentale.

La théorie des jeux suppose une conduite rationnelle, un « homo oecono-micus ». Nous n'avons pu développer cette idée ni d'ailleurs un certain nombre d'autres traits concernant notre modèle, car cela ne nous était pas possible dans les limites de cet article. Les psycho­sociologues ont émis l 'hypothèse qu' i l y avait d'autres sources de motivat ion pour le joueur, que l'intérêt. Ils semblent avoir mis en évidence deux autres variables, à savoir l ' importance de la tâche et la parité. L' importance de la tâche se mesure faci lement par la diff iculté de l'entreprise. La parité concerne la comparaison de soi-même avec les autres.

Jusqu'à présent nous avons vu com­ment la théorie des jeux fournissait la stratégie mixte optimale, c'est-à-dire, ce que le joueur devait faire. Elle permet également, par l 'expérimentation, de voir comment les individus se comportent pratiquement. On crée des groupes expé­rimentaux et l 'on fait jouer les individus qui les composent. Les règlements se font en somme d'argent. Le psychosocio­logue observe le comportement des indi­vidus, l 'élaboration de leur stratégie, la format ion de coal i t ion.

Dans le cadre du mil ieu sportif cela devrait évidemment apporter d'uti les ren­seignements et notamment des informa­t ions sociométriques très intéressantes.

Dans les jeux à somme non nulle il existe des solutions de coopérat ion, les joueurs recherchent un maximum de gain total pour eux deux, des solutions de compét i t ion, chaque joueur cherche à maximiser la différence entre son gain et celui de l'adversaire, enfin des solut ions de blocage, chaque joueur essaye alors de minimiser le paiement fait à l'adversaire. Le psychosociologue voit évidemment à travers ses trois conduites des attitudes différentes qui lui permettent d'inférer l'existence d'autres variables psycholo­giques ou sociologiques. La nature du sport pratiqué ou son niveau de compé­t i t ion sont- i ls en relation avec ces variables?

Il y a la certainement matière à hypo­thèse intéressante. Il est également pos­sible d'étudier par l ' intermédiaire de la théorie des jeux le niveau d'aspiration, secteur clef du domaine sportif.

Au terme de cet article, nous voyons que le modèle conçu par la théorie des jeux doit s'avérer très efficace pour l'étude du phénomène sportif. Certes l'analyse des données nécessite l'aide de spécialistes notamment dans le do­maine mathématique.

Mais cette aide est possible à obtenir. Nous le montrerons par d'autres études réalisées en commun avec une équipe de chercheurs travaillant hors du domaine sportif. Il faut sortir des études empiriques et des remarques dites de bon sens qui ne peuvent avoir de valeur.

R. T H O M A S R. CHAPPUIS E. THILL

(1) La théorie des jeux peut être considérée non seulement comme structurelle, mais également comme une analyse structurale. Cf. Viet. Les méthodes structuralistes dans les sciences sociales. Mouton p. 175. Lagache. L'analyse structurale en économie. La théorie des jeux. Revue d'économie politique, 60, 1950, pp. 339-418. Le concept de structure a en mathématique un sens précis : ensemble de définitions et d'axiomes à partir desquels par un raisonnement logique on peut déduire un ensemble de propriété.

(2) Princeton University Press. 1944 et 1947. N'a pas été traduit en français.

(3) Geoffroy d'Aumale. La programmation des décisions. P.U.F. p. 77.

(4) Blumstein. The choice of analytical tech­niques. In cost effectiveness analysis.

(5) Les jeux et les hommes. Gallimard. (6) Agon = compétition. Alea = hasard.

Ilynx = vertige. Mimicry - mime. (7) Introduction aux fondements théoriques et

méthodologiques de la recherche sportive. Vrin (8) Les jeux et les op. cit.

(9) Les jeux et les sports. Encyclopédie de la Pléiade.

(10) On a dit que la théorie des jeux s'était élaborée autour des tables de poker de Princeton (New-Jersey).

(11) Dresher. Jeux de stratégie. Dunod. (12) Guilbaud. Eléments de la théorie mathé­

matique des jeux. Dunod p. 20.

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