Upload
others
View
1
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
SPORTS COLLECTIFS
PH
OTO
S ;
GIL
LES
BO
T
G. BOT, V. RICORDEL
La mise en place d'une démarche expérimentale avec des élèves de 3 e participe à l'acquisition de compétences générales chez les élèves via une amélioration de la performance en sports collectifs.
La démarche expérimentale comme condition d'acquisition des compétences générales
•
I l s 'agit pour les élèves de planifier des règles d'action collectives à partir d'un listing proposé par le professeur et de sélectionner celles
qui permettent une réussite stable et durable, dans une APS à dominante stratégique. Ces règles sont expérimentées dans une logique réflexion-planification-action décrite par Gré-haigne [1]. La différence essentielle à nos yeux consiste à fournir des alternatives décisionnelles pour aider les élèves à construire un projet collectif plutôt que de les laisser trouver seuls des solutions. La prise de conscience de stratégies d'efficacité entraîne de facto une amélioration de la performance. Celle-ci fédère une cohésion soc i a l e . On obse rve par a i l l eu r s une p ropens ion des élèves à solliciter à l 'avenir ce type de méthode basée sur l 'expérimentation.
Nous chercherons à montrer que cette démarche expér imenta le
permet à la fois : - d e s transformations motrices, -des acquisi t ions méthodolog iques s ign i f ian tes pour les élèves, - l 'émergence de comportements citoyens.
GENÈSE DE L'EXPÉRIENCE Nous avons été interpellés par les réflexions didactiques sur la planification au début des années 1990. Celles-ci soulignaient l'intérêt de la planification de l 'action comme une possibilité marquante pour la construction de l'élève-acteur.
Cependant, la mise en place de ces procédures n'allait pas sans poser quelques problèmes. Nous avons observé, lors de notre pratique en établissement tout d'abord, puis à l'occasion de nos rencontres avec les enseignants-tuteurs de nos étudiants en stage, l 'abandon fréquent de ce type de démarche. En effet, nous nous sommes heurtés à trois problèmes majeurs.
Le sens de la réflexion sur l'action pour les élèves en EPS Pour les élèves, la réflexion sur l'action ne va pas de soi en EPS. On peut même prétendre qu'elle va à l'encontre de leurs représentations de la discipl ine, plutôt centrées sur une EPS de « défoul e m e n t » . C 'es t pourquoi nous développerons comme préalable à la réussite de la démarche expérimentale la mise en projet des élèves [2].
Les pertes de temps Face à une si tuat ion-problème pour laquelle les élèves doivent trouver seuls des propositions de résolution, on assiste à des tâtonnements interminables et souvent désespérants car les règles de l'action efficace n'émergent pas toujours. Très peu de groupes trouvent des solutions efficientes.
l'appropriatimi de la méthode de recherche et des règles Elle ne conce rne pas tous les élèves. On s'aperçoit que ce sont
souvent quelques élèves qui trouvent, les autres restant passifs et peu concernés, se contentant de copier une solution trouvée par autrui, qui ne leur est pas nécessairement adaptée. Ou encore, on observe que l'enseignant finit par donner les solutions aux élèves, l'élève acteur se transforme alors en élève exécutant. Ces t rois p r o b l è m e s majeurs expliquent l 'abandon fréquent par les enseignants d 'EPS de ce type de procédure. C'est pourquoi nous avons cherché une solution intermédiaire entre l ' imposition et le laisser-faire.
Elle consiste, après avoir mis les élèves en projet à partir d'indicateurs de performance, à leur proposer une démarche expérimentale, en s 'appuyant sur une liste de règles opérationnelles à tester au regard de leur efficacité dans la pratique. Ces règles seront abandonnées ou conservées au regard de la performance qu'elles génèrent.
60 POUR VOUS ABONNER AUX REVUES EP.S ET EPS 1 • TEL 01 55 56 71 28 EMAIL [email protected] Revue EP.S n°334 Novembre-Décembre 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
DESCRIPTIF DE L'EXPÉRIENCE Notre expérience s'est déroulée avec une classe de 3 e , dans un col lège de Se ine-Sain t -Denis , dans le cadre de cycles de sports collectifs (handball et football).
Situation de référence Le cycle débute par la mise en place d'une situation de référence dans laquelle sont prélevés les indices suivants : -nombre de tirs, -nombre de buts, -nombre de balles possédées par l'équipe, -nombre de passes dans la course (foot-ball), -nombre de passes à contre-pied (foot-ball), - n o m b r e de contre-attaques et montées de balle (handball). A l'issue de cette situation, l'enseignant aide les élèves à dégager leurs priorités d 'apprent issage sous forme de thèmes d 'é tude stratégiques : -moins perdre la balle pour tirer plus, - monter la balle plus rapidement pour tirer dans des conditions très favorables (avant la mise en place d'un dispositif défensif stabilisé), -créer et u t i l i ser des espaces libres pour tirer dans les conditions les plus favorables.
Routines de fonctionnement A partir de cette logique, le cycle s'organise sur la base de routines [3]. > Les équipes sont stables et de niveau homogène entre elles. > Les équipes sont composées de x joueurs (6 au handbal l , 5 au footba l l ) , 2 obse rva teurs et 1 arbitre. » Chaque équipe dispose lorsqu'elle ne joue pas d'un « espace de réflexion » dédié.
> Lorsqu 'une équipe joue , elle fournit un arbitre et des observateurs. > Chaque équipe dispose entre 2 rencontres d'un temps de réflexion (durée de la rencontre : 7 à 10 min, durée du temps de réflexion : 7 à 10 min = le temps d'une rencontre de 2 autres équipes). l Les é l èves d i sposen t d ' u n e fiche de cycle (tableau ci-dessus) où à partir des indicateurs de performance prélevés pendant les matchs, les élèves notent sys témat iquement leurs choix s t r a t é g i q u e s à e x p é r i m e n t e r (anticipés).
I L'enseignant fournit aux élèves une liste de règles d'action relatives aux thèmes d'études dégagés en situation de référence par les élèves eux-mêmes (encadré p.62). l L ' e n s e i g n a n t pa r t i c ipe à la réflexion tactique sans imposer son point de vue mais plutôt en questionnant les élèves sur les alternatives retenues dans une logique maïeutique.
> Chaque séance se termine par
un bilan de 10 min environ où sont soulignés les progrès ou les ébauches de progrès pour chaque équipe avec le souci constant de valoriser les élèves à ce sujet.
Type de situations Pour cette expérience, nous fonctionnons seulement à partir de matchs. Ceci se justifie par le fait que nous nous centrons sur des apprentissages stratégiques [4] qui se prêtent volontiers à la verbalisation. Néanmoins, le dispositif peut se doubler d'un apprent issage technique à t ravers la mise en p lace de s i tua t ions décon tex tua l i s ée s re la t ives à l'amélioration d'habiletés spécifiques au thème d'étude retenu, mais imperméables à la verbalisation-planification [4].
Démarche expérimentale Les élèves vont tester des alternatives décisionnelles. Celles-ci sont déterminées d 'un commun accord, pendant les moments de réflexion, sous la forme d 'une règle qu'ils considèrent a priori comme plus efficace au regard de leurs r ep résen ta t ions du p ro blème à résoudre (encadré p. 62). Cette confrontation de points de vue au sein d'un même collectif représente un conflit sociocogni-tif 15]. Il permet à chaque membre de l ' équipe de faire valoir ses représenta t ions mais aussi de s 'apercevoir des contradictions ou des lacunes de son point de vue devant les propositions des autres membres du groupe. Dans cette logique, la confrontation de points de vue permet aux acteurs de faire évoluer plus rapidement leurs représentations initiales eu égard au problème posé.
Le choix stratégique effectué a priori est ensuite mis en application sur le terrain et évalué par un élève observateur de la même équipe qui joue le rôle de manager. Les indicateurs de performance de l 'équipe vont fédérer une seconde planification. Celle-ci va cons i s t e r à re ten i r et à consolider la stratégie initiale ou au contraire à l 'abandonner au profit d'une nouvelle expérimentation stratégique présente dans le listing proposé par l'enseignant.
Fiche de suivi de cycle Cet aller-retour réflexion-action se déroulera jusqu'à ce que la stratégie planifiée marque une stabilisation de la performance à un seuil retenu comme satisfaisant (schéma ci-dessous). Cette corrélation moyens (stratégie) / but (cr i tères de performance) favor ise une pr ise de conscience de la stratégie optimale relative aux ressources des différents membres de l 'équipe. Elle permet donc une économie décisionnelle effective pendant le j eu r endan t les r éponse s des acteurs plus rapides, plus pertinentes et donc plus efficientes. Par a i l l eu r s , ce t te pr ise de conscience entraîne des effets complémentaires. Du point de vue des transformations motrices
l La règle identifiée constitue un sous-but construit et conscient qui peut être rappelé en mémoire lorsqu'une situation présente des caractér is t iques ident iques ou proches. Cette logique constitue selon C. George une condition nécessaire pour la stabilisation de l'apprentissage [6].
Logique du cycle d'enseignement
EP.S № 3 3 4 - N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 0 8 61 Revue EP.S n°334 Novembre-Décembre 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
D e s règ les à e x p é r i m e n t e r e n handba l l
Indicateurs de performance : • Nombre de buts / nombre de possessions de balle faible.
• Nombre de buts / nombre de tirs élevé quand tireur seul face au gardien. • Nombre de buts / nombre de tirs faible quand défense repliée.
Monter la balle plus vite pour arriver dans l'espace de marque avant les défenseurs Pour les non-porteurs • Anticiper le départ en contre-attaque pour l'ailier à l'opposé du tireur. • Dès la perte de balle, libérer le centre du terrain (s'écarter du centre). Pour le porteur • À la réception de la balle, ne pas dribbler mais chercher à passer à un partenaire en 1er rideau sur les ailes ( 1 e r choix) ou à un 2 e rideau qui s'engage vers le centre (2 e choix).
Organisation collective • Se répartir les espaces à occuper dès la perte de balle (s'étager et s'écarter). • Établir un réseau de communication : gardien - • 1 e r relais excentré à 9m -» relais central -» aile.
Du point de vue motivationnel La prise de conscience a un sta
tut jubilatoire [7] et ainsi motivat ionnel qui va engendre r une curiosité et ainsi un investissement ultérieur devant des perspectives similaires de travail en groupe.
De ce fait, on peut compter sur une d e m a n d e des é lèves de reconduire ce type de procédure c'est-à-dire de s'inscrire à l 'avenir dans une dynamique de projet dont on connaît l'impact sur l'apprentissage et l'envie de pratiquer à long terme.
Cet aspect motivationnel est renforcé par une notation sur le progrès par rapport au score initial de l'équipe en situation de référence.
La motivat ion est également accrue par l'attitude de l'enseignant pendan t et à la fin de chaque de séance. Cette attitude est centrée sur la confiance et les e n c o u r a g e m e n t s p r o d i g u é s à l'égard des acteurs. Ces 2 points contribuent à renforcer, la compétence perçue et donc l'estime de soi qui se matérialise par un effort consenti plus intense [8].
De plus, la marge d'autonomie laissée aux élèves suscite un sentiment d 'autodétermination [9] pe rme t t an t une sa t i s fac t ion accrue lors de la réussite.
Du point de vue des acquisitions méthodologiques I Une intériorisation de la logique
reflexive sur l'action. Cette logique, parce qu'elle est couronnée par une réussite motrice sera sans doute réinvestissable à long terme.
Du point de vue de l'émergence de comportements citoyens
Une amélioration de la cohésion socia le au sein de l ' équ ipe et donc...
Une citoyenneté en acte émergeant de la nécess i t é de construire un projet commun.
E n résumé, nous pensons avoir mis en avant plusieurs gestes
professionnels caractéristiques de l'enseignant. I Le projet de l ' é lève comme condition nécessaire aux apprentissages ; ce chapitre ne va pas de soi. Il semble incontournable de permettre d'une part aux acteurs de se situer avant d'engager une démarche d ' app rop r i a t i on du savoir signifiante, et d'autre part
de leur fournir des règles clairement identifiées afin de susciter l ' expér imenta t ion . Dans cette expérience d'enseignement, nous avons pu observer les effets de la mise en projet des élèves avec l'intérêt manifesté par rapport au diagnostic initial ainsi qu 'avec les échanges relatifs au projet collectif à poursuivre. I Le développement à long terme de comportements citoyens fédérés par la recherche collective de l'amélioration de la performance
sportive. On observe en effet une baisse évidente de l 'agressivité entre élèves lors des matchs perdus, un passage au recours à l'entraide et à l 'échange là où nous observions couramment des critiques voire des conflits visant à se rejeter la responsabilité du score entre cer tains membres d ' u n e même équipe. Par ailleurs, il nous est apparu que les acteurs faisaient montre d'une envie de se retrouver ensemble se manifestant par une motivation de pratiquer sans que le professeur ait besoin de rappeler à l'ordre certains élèves peu motivés par l'activité comme c'est parfois le cas, envie confirmée par le peu d'empressement manifesté par les élèves pour rallier les vestiaires à la fin de la séance. Dans la même logique, on observe encore une propension à communiquer entre différents membres de la classe auparavant très discrets à ce sujet, tendance qu'il serait intéressant de mesurer avec l'aide d'outils plus objectifs (sociogramme par exemple).
Le rôle de guide, de médiateur de l'enseignant pour laisser s'exprimer l'élève comme un acteur véritable de sa pratique afin qu'il en retire du plaisir, garant d'une pratique continuée. Le tableau récapitulatif (ci-dessous) se propose de situer chaque geste professionnel en relation avec la démarche expérimentale.•
Gilles Bot, Valérie Ricordel Professeurs agrégés d'EPS,
Université de Marne la Vallée (77) [email protected]
Notes bibliographiques [1] GREHAIGNE (J.-F.), « Vers une autre conception de l'enseignement des sports collectifs. ». in Méthodologie et didactique de I éducation physique et sportive, sous la direction de Bui-Xuan (G.). AFRAPS. 1989 [21 BOT (G.) . «Tennis à l'école : un exemple de démarche didactique». Revue EPSnc 243, 1993. [3] AGRE (P.E.) Routines. MIT. Ai Memo. 1985. [4] DELIGNIÈRES (D.) . « Apprentissage moteur et verbalisation ». Échanges et Controverse n° 4. 1991. [5] DOISE (W.) et MUGNY (G.). Psychologie sociale et développement cogniti/. Paris: Interéditions 1981. [6] GEORGE (C.). Apprendre par l'action. Paris: PUF. 1983. [7| MHIRIEL (Ph.). Apprendre... oui mais comment ? Paris : ESF. 1987. [8| BOT (G.) FAMOSE (J.-P). « Un exemple de prise en compte de la motivation en EPS ». Dossier EPS n° 35. 1997. [9] DECI (E.L.). RYAN (R.M.). Intrinsic motivation and self-regulation in human behaviour. New York : Plenum Press. 1985.
62 POUR VOUS ABONNER AUX REVUES EP.S ET EPS 1 • TEL 01 55 56 71 28 EMAIL [email protected] Revue EP.S n°334 Novembre-Décembre 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé