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 Journal de la société des américanistes 96-2 (2010) tome 96, n° 2 ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Palmira La Riva González Rêves de fleurs et rêves de fruits : une construction andine du genre ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  T oute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Référence électronique Palmira La Riva González, « Rêves de fleurs et rêves de fruits : une construction andine du genre »,  Journal de l a société des américanistes [En ligne], 96-2 | 2010, mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 16 février 2015. URL : http://jsa.revues.org/11557 Éditeur : Société des américanistes http://jsa.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://jsa.revues.org/11557 Document généré automatiquement le 16 février 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Société des Américanistes

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    Journal de la socit desamricanistes96-2 (2010)tome 96, n 2

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    Palmira La Riva Gonzlez

    Rves de fleurs et rves de fruits : uneconstruction andine du genre

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniquePalmira La Riva Gonzlez, Rves de fleurs et rves de fruits : une construction andine du genre ,Journal de lasocit des amricanistes[En ligne], 96-2 | 2010, mis en ligne le 10 dcembre 2014, consult le 16 fvrier 2015.URL : http://jsa.revues.org/11557

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    Palmira La Riva Gonzlez

    Rves de fleurs et rves de fruits : uneconstruction andine du genre

    Pagination de ldition papier : p. 181-203

    Introduction1 Les recherches effectues au cours des quarante dernires annes sur la reprsentation des

    diffrences entre les hommes et les femmes ont dmontr le caractre minemment culturel desreprsentations de la personne sexue1. Elles ont galement montr en quoi les comportementset les rles attribus chacun des deux sexes sont des constructions sociales qui traduisentdes rapports de subordination, de hirarchie ou dingalit, rvlant des enjeux de pouvoir.Margaret Mead (1963 [1928]) fut la premire introduire lide dune composante culturelle,et pas seulement biologique, dans la faon dapprhender la diffrence sexuelle. MichelFoucault, dans son Histoire de la sexualit (1984), a mis en vidence ltroite relation

    entre le contexte historique et les reprsentations du corps et de la sexualit. Rcemment,certains auteurs sont alls jusqu dnoncer le caractre illusoire des diffrences biologiques etphysiologiques entre les hommes et les femmes, ces diffrences ntant que des constructionssociales et culturelles, variant dans le temps et dans lespace gographique, mais lgitimantdes rapports de domination2. Pour Bourdieu (1998, pp. 13-21), la dfinition sociale du corpsmasculin et fminin nest pas du tout un simple enregistrement des proprits anatomiqueset naturelles, cest une construction fonde sur laccentuation de certaines diffrences et levoilement de certaines similitudes . Lapproche anthropologique dHritier (1996, pp. 32-39),tout en plaant les donnes biologiques lorigine de la construction diffrencie des sexes,

    confirme leur caractre de construction culturelle 3. De leur ct, Godelier et Panoff (1998)ont analys les correspondances entre les reprsentations du corps, les rapports entre les sexes

    et les formes de pouvoirs et de hirarchies propres une socit en Ocanie. Les tudes andinesrelatives au genre envisag dans un sens trs large ont t marques par une certaineidalisation de la complmentarit et de la dualit andines, ce qui a eu pour consquence demasquer les enjeux de pouvoir sous-jacents aux rapports sociaux entre les sexes. Cependant,ces dernires annes, nous assistons une reprise critique du dualisme andin, qui a permis

    de faire ressortir les rapports ingaux entre hommes et femmes 4. ct de thories sur leparalllisme ou la complmentarit entre hommes et femmes, des thories concernant lasubordination ou la complmentarit hirarchique ont connu un certain dveloppement5.

    2 Notre tude ne porte cependant pas sur les implications sociopolitiques de la construction dugenre, ni sur les rapports entre les reprsentations du corps et lordre social. Ce qui nous occupeici, et qui nous parat fondamental pour comprendre les rapports entre hommes et femmes,

    quils soient gaux ou ingaux, ce sont les relations entre, dune part, les reprsentations ducorps et de la personne et, dautre part, la construction sociale du genre au cours des premirestapes de vie de lindividu6. En effet, cet aspect de la construction du genre na pas t trait oula trs peu t. Notre analyse portera sur les pratiques rituelles et les discours relatifs au corpset son fonctionnement, ainsi que sur les diffrences physiologiques et psychologiques entreles hommes et les femmes, telles quelles sont exprimes par nos interlocuteurs. Nous nousintresserons essentiellement aux reprsentations et aux pratiques relatives la grossesse, la coupure du cordon ombilical, au traitement du placenta et aux discours sur la diffrenceessentielle entre hommes et femmes.

    3 Les donnes ethnographiques ont t recueillies dans la communaut de Surimana7(provincede Canas, dpartement de Cuzco) o nous travaillons depuis 1998. Nos interlocuteurs sontdes femmes, des enfants et des hommes de la communaut, parmi lesquels se trouventdes spcialistes rituels et des accoucheurs traditionnels, aussi bien que des agents de santcommunautaires8. Surimana dispose dune modeste infirmerie9, dun technicien de sant et

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    de deux infirmires. La province de Canas, qui fait partie du rseau de sant Canas CanchisEspinar (trois provinces limitrophes) du ministre de la Sant10, ne compte quun seul centre desant dans la capitale provinciale et onze infirmeries rurales. Le service officiel de mdecineest prcaire, car on ne compte quun mdecin pour 6 000 habitants11.

    4 Les habitants de Surimana sont de langue quechua, mais beaucoup dentre eux, surtout lesjeunes et les hommes, sexpriment couramment en espagnol, tant donn leurs contacts troitslors des transactions commerciales ou administratives avec les villes de Combapata et de

    Cuzco. Ils pratiquent essentiellement une agriculture de subsistance, une faible partie de laproduction tant destine lchange et au march local.

    La reprsentation du genre dans le monde andin5 Si, dans les populations andines quechuaphones, le terme runa12dfinit ltre humain de faon

    gnrale et sapplique tant aux hommes quaux femmes, des termes plus spcifiques sontutiliss pour parler des sexes, qharipour les hommes, warmipour les femmes13. Le genreest ici envisag partir de diffrences biologico-physiologiques, sans toutefois accorder leprimat au biologique. Ces diffrences dterminent la constitution animique et psychologiquedes hommes et des femmes ; de fait, il existe une troite relation dinterdpendance et decontinuit entre les composantes matrielles et spirituelles du corps.

    6 Dans les tudes sur le cycle de vie dans le monde andin, un rle central est attribu au rituelde la coupe des cheveux (rutuchikuy), considr comme dterminant la diffrenciation entreles sexes (Christinat 1989 ; Harris 1980). En effet, aprs la coupe des cheveux qui a lieu un ge compris entre deux et quatre ans, une diffrenciation par le vtement est clairementimpose au petit garon et la petite fille. Mais les matriaux que nous avons recueillis surnotre terrain rvlent une ralit plus complexe. Nous avons pu observer que la distinctionentre les sexes, loin de se rduire un moment privilgi, correspond un long processus deconstruction de lidentit sexuelle qui commence avant mme la naissance de lindividu, lorsdes rves prmonitoires annonant la gestation dun enfant. Ce processus se poursuit durantla grossesse, passe par la coupure du cordon ombilical, par le traitement donn au placenta etculmine en effet avec la coupe des cheveux, pour se prolonger travers la socialisation des

    hommes et des femmes tout au long de leur vie14

    .Rver

    7 Le monde des rves nous offre loccasion, si fugitive soit-elle, de converser avec nosamis lointains, nos morts, et nos dieux (Dodds 1966, p. 102). Lexprience onirique joueun rle fondamental dans la vie des populations sud-andines pruviennes, conditionnantet dterminant les actions et dcisions de la vie quotidienne. Elle est aussi une partieessentielle des processus dinitiation des spcialistes rituels et constitue un moment privilgide rencontre avec les tres de lautre monde. On peut reprer deux catgories de rves : ceuxdits prmonitoires qui annoncent un vnement futur et ceux dits oraculaires quipermettent dentrer en communication avec les dieux, les morts15, les esprits ou des puissances

    surnaturelles16.8 Parmi les rves prmonitoires, les interlocuteurs font une distinction entre les bons et les

    mauvais rves. Les bons ont une origine divine, ils proviennent de Dieu, et les mauvaisont une origine diabolique. Dans la catgorie des mauvais rves, nous avons les rves qullu frustration, extinction . Dans le contexte de lexprience onirique, ce terme peut tre traduitpar de mauvais augure , sans que le rve ait pour autant une origine diabolique. Le termequllu-17, en tant que verbe, fait rfrence lextinction des humains ou des ressources et aunon-accomplissement ou la frustration des objectifs18.

    Ishkay clasey sueu : Diosninchispa partinmanta sumaq sueu, sumaq tikata rikunki, imatapas

    allin sueuchata sueukunki chayqa maakunki diosmanta chayqa, allinpaq sumaq sueu

    hamushan. Sichus mana allin sueukunata creenki, satanaspa partinmanta kallanpunin chaysueukunki, cayesunki. Imapas pasasunki. [] Chay musquyqa ciertun. Diosmanta hamun

    riki. Allin musquy hamun Diosmanta kaspa, millay musquytaq hamun diabluq partinmanta,satanasmanta.[ Il y a deux sortes de rves : ceux qui proviennent de notre Dieu sont de beauxrves, tu vois des fleurs. Si tu fais un bon rve si tu as demand quelque chose Dieu, il te vient

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    un rve de bon augure. Si tu crois aux mauvais rves il y en a qui viennent de Satan si tu enfais, a tarrive. Quelque chose tarrive. Les rves sont vrais. Ils proviennent de Dieu. Les bonsrves viennent parce quils viennent de Dieu, et les mauvais rves viennent du diable, de Satan. ](Saturnino Mamani, spcialiste rituel ou paqu et accoucheur)

    9 Les rves prmonitoires peuvent annoncer des vnements positifs ou ngatifs, intressant nonseulement le rveur mais aussi la communaut tout entire.

    10 Chaque individu possde sa propre clef des songes, avec un rpertoire spcifique de rves et de

    significations/interprtations qui peut varier tout au long de sa vie. Ce caractre individuel dessignifications attribues aux symboles oniriques est souvent soulign par les informateurs :

    Manan musquyta igualchu sapanka runaman, sapanka runan creen imayna musqumantapis.

    Chaynata musqukunku, entonces sapanka runan sapanka warmipas diferente musquykuna [].

    [ Les rves ne sont pas les mmes pour chaque personne, chacun croit selon ses rves. Cestainsi quils rvent, pour chaque personne : pour chaque femme, les rves sont diffrents (). ](Francisco Quispe, agent de sant communautaire)

    11 Toutefois, malgr ce caractre individuel, lexprience onirique relve aussi dun systmeculturel et historique (Dodds 1966)19. En effet, pour certains rves prmonitoires, il y a unfond commun de symboles et dimages codifis dont linterprtation est partage par tousles membres de la communaut. Cest notamment le cas des rves annonant la naissance

    dun enfant : rver de fleurs renvoie la fertilit et la reproduction (miray), aussi bien desanimaux que des tres humains20. Les fleurs sont toujours prsentes lors de certains rites depassage, comme le unuchay leau de secours . Il sagit dune pratique rituelle domestiquequi seffectue peu de jours aprs la naissance de lenfant et qui consiste lui appliquer deleau dune source laquelle on ajoute du sel afin quil se transforme en runa, cest--direen tre humain. Il y a aussi des fleurs lors de la coupe des cheveux, au cours de mariages, de

    rites propitiatoires de fertilit des animaux21et dans le rituel thrapeutique dappel la forcevitale, animu waqyachiy. Relevons que, dans le rcit de Saturnino Mamani, spcialiste rituel

    et accoucheur, le dormeur voit des fleurs dans les rves, provenant de Dieu 22.

    Tikachata rikunku musqurunku chayqa, ninku tikatan, tikata rikunku wakin casupin

    tikata rikunku uywapaq, animalpaq, wakin casupitaq tikata rikunku, wawayuq kanankupaq,

    seguramente unquq kasaq, chaypaqmi tikata musquruni nispa.[ Si on voit, on rve de fleurs,dit-on, si on voit des fleurs, dans certains cas on voit des fleurs (et cela annonce la reproduction)des animaux, dans dautres cas on voit des fleurs et a annonce quon va avoir des enfants : Peut-tre vais-je tomber enceinte, cest pour cette raison que jai rv de fleurs, dit-on. ] (FranciscoQuispe)

    12 Les rves peuvent donner des informations sur le sexe de lenfant natre. Par exemple, sirver de fruits renvoie certes la fertilit, rver de fruits avec un noyau ou des ppins annoncela naissance dun garon23, alors que rver de fleurs annonce la naissance dune fille ou le fait

    davoir un filleul24.

    Ima frutachata rikunku qhari wawa kananpaq. Tikachakunata rikunku, ima colorchata, warmi

    wawayuq kananpaq.[ Si lon voit en rve un fruit, cela annonce un garon. Si lon voit des fleursde nimporte quelle couleur, cest pour avoir une fille. ]

    Flores, las tika, significa que vas a tener un ahijado o va a ser mujer.[ Rver de fleurs signifieque tu vas avoir un filleul ou une fille. ]

    Soar con frutas viene a ser que vas a tener un hijo varn o vas esperar de ac a un tiempo

    un hijo. La palta, el mango : hombre. Cuando tienen pepa, su qoroto, es varn 25.Chayta ninkunispa : Qhari wawayki kanqa, platano tambin [][ Rver de fruits veut dire que tu vas avoirun garon bientt. Lavocat et la mangue annoncent la naissance dun garon. Quand les fruitsont un noyau, son quruta26, cest un garon. On dit cela. Pour avoir un garon : des bananes aussi(). ] (Juana Turpa)

    13 Les fruits noyau et ppins sont troitement associs au sexe masculin en raison de la valeur

    gnsique attribue aux graines muhu27, terme qui fait aussi rfrence au sperme28. Il en estde mme en aymara, le terme jathadsigne la fois le sperme et les graines (Arnold et al.

    1999, p. 107).

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    14 La conception dun enfant est considre comme la rencontre de la semence de lhomme(muhu)avec le sang menstruel (killa yawar)de la femme. Les personnes avec lesquelles jaitravaill disent en effet que la semence de lhomme se cuit et/ou crot dans le sangmenstruel, la substance masculine tant perue ici comme un aliment. La gestation peut treaussi perue comme la coagulation du sang fminin par le sperme (La Riva 2000, p. 171).Mes interlocuteurs pensent aussi que la semence est comme un petit ver (kuruchahina)quifrappe et qui est pris (hapirapun)par lovaire de la femme. Dans ce cas, on peut considrer

    quil sagit dun cho aux discours mdicaux tenus par les agents de sant communautaires etpar le personnel des centres officiels de sant publique. Ceux-ci introduisent des notions demdicine allogne que les populations andines se rapproprient en les adaptant leurs propres

    reprsentations29. Cest ainsi que, parmi les termes employs pour se rfrer la semencemasculine, on trouve espermatozoideemprunt lespagnol :

    Espermatozoide ninchis chayqa lichihina haykushan, anchay chayqa chay chokan, chayqa chay

    lichihina hamushan chaypis kuruchakuna kashan [].[ Ce quon appelle spermatozode, arentre comme du lait, ainsi cela cogne, frappe. Cela arrive comme du lait, on dit que, dedans, ily a des petits vers (). ] (Alejandrina Caylla)

    15 Le ftus se forme progressivement partir du sang. Les os napparaissent quentre le troisimeet le cinquime mois, surtout dans le cas des garons. Cest pour cette raison que, lorsquune

    fausse couche se produit dans les trois premiers mois, on ne peroit que du sang :Alejandrina Caylla [AC] : Wiksanchispi. Manachu hina tullukunaqa kanmanchu. Manachu hina,

    yawarllan. Abortanki chaypas, iskay killayoqta, huk killayuqta yawarllatan wikchumunchis.

    Manan wawaqa tulluyuqraqchu.[ Dans notre ventre je crois quil ne peut y avoir des os. Je ne lecrois pas, seulement du sang. Lorsquon fait une fausse couche un mois ou deux, on nexpulseque du sang. Le bb na pas encore dos. ]

    Palmira La Riva [PLR] :Haykaqmanta tullu formakun ?[ partir de quand se forment les os ? ]

    [AC] : Tulluqa formakun riki desde tawa, pisqa killayoqmanta, o sea kinsa killayoqmantawichayman.[ Les os se forment partir de quatre, cinq mois. Cest--dire partir de trois mois. ]

    16 Cest la rencontre du sperme et de lovaire qui dclenche la constitution du ftus.

    Taytaqmantaqa chay espermatozoide, leche hina haykushan, anchay chay chocan. Chay lechehina hamushan anchaypis kuruchakuna hina kan. Warmiqtaq kashan chay ovarionchis uhupi

    chayqa aknata funcionashan, entonces chay kuruchakuna allin kallpayoq chayqa, haykurkun

    chayqa ovario hapirapun aknata, chayqa chay warmiqwan chokarapun chaypitaq wawa

    formakun, chayqa kinsa unchaymantaqa yawarwana haykupun. Chayqa yawarwan runaaformakun.[ Le sperme vient du pre, il rentre comme du lait et cogne. Cest comme du lait etlon dit que la dedans il y a comme de petits vers. Et la femme a son ovaire, cest ainsi que celamarche. Quand les petits vers ont beaucoup de force, ils rentrent rapidement et lovaire les capte.Cest lors de cette rencontre, se cognant avec lovaire de la femme, que se forme le bb, aprstrois jours arrive le sang. Cest avec le sang que se forme la personne. ] (Alejandrina Caylla)

    17 La prsence du sang semble marquer le statut de personne du ftus. Nous dirions pluttson statut de proto-personne car, comme nous lavons mentionn plus haut, il va falloireffectuer un rite de passage nomm unuchay(londoiement) la naissance pour le transformer

    en une personne part entire30. Surimana, le ftus qui mrit normalement dans le ventrede la mre nest pas considr comme dangereux et agressif pour la mre, comme il lestdans layllu macha au Nord Potos tudi par Platt (2001). En revanche, chez les Machacomme Surimana, tout nouveau-n est considr comme tant saqra, cest--dire diaboliqueet sauvage, jusqu ce quon lui attribue un nom lors du rite dondoiement immdiatementaprs la naissance.

    18 Garons et filles sont donc annoncs par des symboles oniriques variant selon le genre.Symboles de fertilit, les fruits et les fleurs prfigurent la naissance des tres humains,tablissant ainsi une continuit dessence entre la nature vgtale et celle des hommes.

    Comportement diffrenci du ftus dans le ventre de la mre

    19 La diffrence sexuelle et de genre se dfinit avec beaucoup plus de prcision dans le ventre dela mre, car les ftus masculin et fminin diffrent autant par leur constitution physiologique

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    que par leur comportement qui nest que la consquence directe de cette constitution. Toujoursselon mes interlocuteurs, les garons prennent forme plus promptement que les filles. Ils sesolidifient et commencent jouer au bout de deux ou trois mois. Les filles, en revanche, mettentautour de cinq ou six mois, parfois mme huit mois, pour se former. Au bout de trois mois,

    elles ne sont encore que du sang ouyawarllaraq31.20 Contrairement aux garons, les filles ne jouent pas beaucoup car elles nont pas assez de force

    (kallpa). Ce dernier terme fait rfrence la vitalit, lnergie quexigent notamment les

    activits physiques. Dans le cas dun avortement, sagissant dune fille, Alejandrina Cayllaexplique qu on ne le sent mme pas . La plupart des personnes rencontres insistent surla diffrence entre le ftus dun garon et celui dune fille.

    Qhari casupi kinsa killaqta a riparakuna qharicha kasqa. Warmicha kaqtinmi ichaqa mana

    riparakuwaqchu porque yawar kumpa hinallaraq, yawar kumpalla. Yaqa iskay killapi aknalla

    mana riparakunchu qharipis warmipis. Qharicha ichaqa kinsa chunka punchawpiqa casi a

    riparakuna qharicha kasqa. Manan kikillan kashan. Diferentechapuni. Entonces maypichachus

    huk seora abortota qun iskay killayuq o kinsa killayuq chayqa, llaqapis yawar kumpallata

    wikchun. Maypichachus qharicha kaqtin ichaqa furmachayuq lluqsipun, abortan, chaypi tariyku

    warmi kasqa, qhari kasqa, riqsikun chay abortaq tiempun []. [ Dans le cas de garons, au boutde trois mois, on voit que cest un garon. Mais, si cest une fille, on ne le distingue pas car lafille nest quun caillot de sang. Au bout de presque deux mois, cela ne se voit pas si cest un

    garon ou une fille. Cependant sil sagit dun garon, au bout de 30 jours on voit que cest ungaron. Ce nest pas pareil du tout. Quand la femme fait une fausse couche deux ou trois mois,elle rejette juste un caillot de sang. Mais, si cest un garon, il est dj form, elle avorte et, l,on voit que ctait une fille ou un garon. On le reconnat au moment de la fausse couche (). ](Alejandrina Caylla)

    21 Si le ftus dune fille nest quun caillot de sang, celui dun garon, en revanche, prsenteune forme prcise et se comporte de manire dcide. On dit quil est comme un huqullu, un

    ttard , agitant sa queue32. Il a plus de force, il bouge, il se secoue, il joue:

    Chay iskay killa, kinsa killapis warmi wawaqa wiksapiqa yawarllaraq yawar kumpalla. Yawar

    kumpalla warmiqa kaq kasqa. Warmi wawaqa manan pukllaqchu kasqa [] manan imapis

    riparakunchu, manan imapis riparakunchu, akna yawar kumpalla.Aburtasqa rikuni manankikillan manan kikillanchu, manan agualchu fetuqa, manan igualchu. [] Qharicha icha

    yasta formasqaa huqullu-hina, huqullucha-hina chupachayuq igualchalla.[]Qhari wawaqharikunaqa aswan kallpayuq, fuerte qharikunaqa.[ Au bout de deux ou trois mois, la petitefille dans le ventre nest que du sang, juste un caillot de sang. Lenfant nest quun caillot de sang.La petite fille ne joue pas. () On ne voit rien du tout. Juste un caillot de sang. Jai vu une faussecouche, ce nest pas pareil, le ftus [du garon et de la fille] nest pas pareil, il nest pas pareil.Le garon, lui, est dj form, comme un ttard, avec une petite queue, pareil. () Les garonsont plus de force, ils sont plus forts les garons. ] (Alejandrina Caylla)

    22 Nous voyons donc que la diffrence sexuelle et de genre se manifeste tout au long du processusde gestation, ds les trente premiers jours de la conception.

    La coupure du cordon ombilical

    23 Bien que les diffrences de constitution et de comportement entre un ftus masculin etun ftus fminin puissent tre annonces, grce des rves prmonitoires, avant mme laconception, puis pendant la grossesse, elles doivent tre renforces et accentues par despratiques rituelles. Ainsi, la coupure du cordon ombilical est un geste rituel fondamental, caril dtermine aussi bien les potentialits et les capacits reproductives que le comportementsexuel du futur adulte. Nous ne retiendrons ici que les aspects concernant la diffrenciationsexuelle que la coupure du cordon renforce. Lendroit de la coupure varie en effet en fonctiondu sexe de lenfant. Ce geste est excut avec soin par laccoucheur ou la sage femme qui tientcompte des instructions des parents :

    Palmira La Riva [PLR] : Quand on coupe le cordon ombilical, quelle est la mesure adquate ?

    Ana Huallpa, accoucheuse [AH] : Quatre doigts ou trois doigts.

    [PLR] : Et quand on coupe plus long ?

    [AH] : Pour un garon ce serait trop long.

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    [PLR] : Quest-ce qui serait trop long ?

    [AH] : (rires) On dit que son sexe serait trop grand, trop long. Parfois si tu coupes tout petit,on croit, on dit que, si cest une femme, son vagin va tre petit et elle ne pourra pas accoucher.Dautres parents suggrent de le couper grand . Pour eux, je coupe quatre doigts tant pour leshommes que pour les femmes. videmment, en fonction de la coupe, ils vont pouvoir engendreraprs. (Entretien traduit directement de lespagnol)

    24 En ce qui concerne le garon, la coupure du cordon dtermine la taille du sexe. Il semble

    y avoir une continuit dessence entre le cordon ombilical et le sexe masculin, car le termeservant dsigner le premier, chunchulin, peut aussi tre employ pour faire rfrence ausexe masculin33. Chez la femme, une coupure trop courte pourrait avoir des consquences surla taille de son utrus le rendant beaucoup trop petit et, donc, empchant la procration. Cetacte rituel ne dtermine pas seulement la capacit procrative de lindividu, mais aussi soncomportement sexuel, car, selon mes interlocuteurs, si lon coupe trop long, lhomme sera uncoureur de jupons et la femme une libertine .

    Un traitement diffrenci donn au placenta

    25 Le placenta, paris (pares en espagnol) terme signifiant membre dune paire, double,pendant (Csar Itier, communication personnelle) , est une des entits corporelles les plus

    complexes du systme de reprsentation du corps dans les Andes : il est considr la foiscomme le double de lenfant, mais aussi comme celui de la mre, do son ambigit et soncaractre dualiste. Il y a aussi un rapport troit entre le placenta, dune part, et la peau de lamre et du nouveau-n, dautre part34. Une fois sorti du ventre de la mre, le placenta, bien lav,doit tre brl ou enterr. Sans quoi, toujours vivant, il pourrait vouloir rintgrer le corps dela femme. Mes interlocuteurs disent alors queparisninchis kawsanmi[ notre double vit ].Il est donc ncessaire de lenterrer pour quil meure. Le placenta est assimil lme dunmort, mais toujours vivant. Il pourrait se rintroduire dans le ventre de la mre, lui causant le

    mauvais air 35qui produit un gonflement du corps ou provoque la mort36.26 Lav ou brl, puis enterr avec beaucoup de prcautions, le placenta est trait diffremment

    selon quil sagit dun garon ou dune fille. En effet, le placenta, considr comme lalter ego

    de lenfant, prfigure la vie de celui-ci. Sagissant dune fille, le placenta est enterr avec desmtiers tisser, avec de petites casseroles, avec tout ce dont elle aura besoin pour sa vie defemme. Dans le cas dun garon, on enterre le placenta avec les outils du travail agricole, lechakitaqlla(bche pied), des instruments de musique

    27 Prfiguration de la vie de lenfant, lenterrement du placenta peut tre vu aussi comm elenterrement dun corps qui doit mourir ou se sparer dfinitivement de son double aprs lanaissance. Le placenta reoit un traitement qui ne manque pas de rappeler, dans certaines deses phases, celui donn au cadavre : lavage, crmation, enterrement. Dans le cas du placenta,ces prcautions servent surtout protger la mre de ses attaques et de son dsir de rintgrerson corps37.

    28 De plus, des manipulations rituelles particulires sur le placenta peuvent permettre dobtenirun futur enfant du sexe oppos. Par exemple, si on a eu un garon et que lon veut que leprochain soit une fille (ou vice versa), le placenta doit tre retourn et brl ou enterr avec desfleurs, reprsentant la fertilit en gnral. Le retournement du placenta est considr commeun cambio de suerte( changement de sort ou de destine ) qui aura un effet sur le sexe dunfutur enfant.

    Ah, cuando quieres una mujercita o un varoncito, se voltea la placenta con su florcita.Y eso sequema derechito noms.[ Quand tu veux une petite fille ou un garon, on retourne le placentaavec des fleurs et tu le brles aussitt. ] (Ana Huallpa)

    29 Principe gnsique, le placenta continue oprer au-del de la naissance de lenfant. Il est unlien, un passage vers le futur.

    Animuet construction sociale du genre

    30 Dans les pratiques et discours quotidiens concernant le corps et la personne, ltre humainest peru comme ayant un corps et un principe vital qui lanime, animu(nimoen espagnol),

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    me ou esprit, ces termes tant interchangeables38. Lombre, llanthu, comme entit-reflet duprincipe vital est aussi mentionne. Lorsquon discute des spcificits des hommes et desfemmes quant leur constitution physico-psychique, leur temprament et leur caractre, nosinterlocuteurs, quel que soit leur sexe, sont daccord pour dire que la quantit de substanceanimante dans le corps ou me force vitale , pour reprendre lexpression de Robin (2008),varie selon le sexe et que cela explique les diffrences dordre physiologique et psychique.Selon ces personnes, les femmes possdent une plus grande quantit danimuque les hommes.

    On donne le chiffre de sept pour les femmes et de trois ou dun seul pour les hommes39.31 On ne spcifie pas les termes pour les sept animudes femmes, mme si ce sont bien ces animu

    qui dterminent leur personnalit et expliquent leurs tendances tre plus susceptibles, plussensibles, plus irascibles et vulnrables que les hommes :

    Hay veces dbil kanchis. Warmiqa imamantapis facilllata qharikuna engaaruwanchis.Encambio, enamorakuypi imata prometeruwanchis riki, qharikuna. Chayqa warmiqa cierto

    nispa creenchis riki. Hinaspa yasta huk qhariqa aprovechawanchis, chaypi chayqa anchaypi

    chay a veces pasan. Kunan aknata wawakunatapis wikchupunku wacharachispa. Chaymantaqa

    huk taytaqa hamurullantaq : ya nuqa prometesayki wawaykita reconocesaq, uywasaq .

    Imaymanata, uf caramba, ay si ! cielotapis wicharusaq. Nuqa imata qusayki que esto aquello ,

    prometesunki. Cierto warmiqa creellanchistaq. Chayqa hukwanpas yapayukullantaq. Anchayy

    chay warmi debil kanchis. Chayrayku qanchis animuyuq kanchis. Y tambin warmi facilta

    imamanpis comprometekunchis, reneganchis millayta riki, millayta reacionanchis. Chayqaimamanpis maqanakuyman hucha tariymanpas facilta haykurunchis. Anchaywan chay qanchis

    animuyuq ninku.[ Quelquefois, nous (les femmes) sommes fragiles. Les hommes nous trompentfacilement. En amour, ils te promettent des choses, nest-ce pas ? Alors nous leur faisonsconfiance. Et ils profitent de nous, ces choses-l arrivent parfois. Ils te mettent enceinte et ilstabandonnent avec tes enfants. Aprs a, arrive un autre homme : je suis l, je te promets que jevais reconnatre ton fils, je vais moccuper de lui, bla, bla () Beaucoup de choses () oui, hlas !Jusquau ciel je peux aller pour toi, disent-ils. Je te donnerai nimporte quoi, ceci et cela ().Et, nous, les femmes, nous les croyons. Et, nous avons un enfant de plus ! Nous sommes faibles.Cest pour cette raison que nous avons sept animu. Nous assumons des responsabilits, nous nousfchons, nous avons des ractions violentes. Ainsi nous nous mettons dans des problmes, nousnous battons. Cest pour toutes ces raisons quon dit que nous avons sept animu. ] (AlejandrinaCaylla)

    32 Du point de vue physiologique, la prsence de lanimuchez la femme est d au sang qui, chezelle, est abondant et jusqu un certain point renouvelable, ainsi que le prouve la rgularit desmenstruations, mme si, daprs les personnes interroges, il est admis que la quantit de sangdans tout corps est limite. Toutefois, ces mmes personnes disent que certaines substancesalimentaires aident reproduire (mirachi-)40le sang dans le corps. Parmi ces substances, noustrouvons la bire de mas et dautres utilises dans la mdecine officielle, comme le srumphysiologique.

    33 Labondance danimuet de sang chez les femmes fait quelles sont considres comme tantqui( chaudes ) par rapport aux hommes qui sont chiri( froids )41selon le systme declassification binaire fondamental de la pense andine, qui oppose le chaud au froid, le fmininau masculin.

    34 On notera que les caractristiques tant physiologiques que psychologiques attribues auxhommes et aux femmes en raison de la prsence danimudans les corps ne sont pas dnues decontradictions, ce qui pose un problme quand on cherche donner une dfinition univoquedu concept danimuen tant que substance ou principe vital.

    35 Nous avons vu que la diffrence des genres se manifeste avant mme la conception de lenfantet se poursuit pendant la gestation du ftus. Or, si les femmes ont une plus grande quantit de substance animante que les hommes, on serait tent de penser que les femmes se formentplus rapidement dans le ventre de la mre et y jouent davantage, pour employer lexpressionandine habituelle. Pourtant on a vu que ce sont l des caractristiques attribues, du moins Surimana, aux garons.

    36 Il semblerait, de plus, que lanimu, en tant que substance corporelle troitement associe

    la prsence et la circulation du sang dans le corps, doive activer non seulement la forcephysique et spirituelle et les fonctions physiologiques, mais aussi avoir une certaine action sur

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    la sensibilit et la personnalit de lindividu. Or les tmoignages relevs ne sont pas toujoursconcordants. premire vue, ils varient en fonction du sexe des tmoins. Daprs un paysan,les femmes seraient plus fortes, dsquilibres et fofolles , alors que les hommes seraientplus humbles .

    Chay qanchis animuyuq huk siura kanman, qharikunataqsi kanman pisqalla. Warmikunaq

    qanchis, chaysi siorakuna kanku ms fuerte, askha animuyuq, luka. Manan kankumanchu

    qharihina humildakuyta atinkumanchu. [ Les femmes auraient ces sept animu, les hommes

    au contraire en auraient peu. Les femmes sept, cest pourquoi elles sont plus fortes, pleinesdanimu, fofolles. Elles ne pourraient tre comme les hommes, elles ne pourraient tre humbles. ](Anacleto Soto)

    37 Si la prsence de lanimudans le corps garantit lquilibre des humeurs, la possession desept animu comme cest donc le cas pour les femmes provoque un certain dsordre etdsquilibre psychique qui se manifeste par leur caractre irascible et incontrlable, ainsique par une certaine fragilit motionnelle, les rendant plus susceptibles de perdre l animu(Figure 1).

    FIG. 1 Reprsentation par une petite fille de la perte de lanimuchez une femme.

    38 En revanche les hommes, parce quils ne possdent que trois animu, sont plus forts etinvulnrables au mensonge. Ils sont, de plus, moins susceptibles de perdre leur animu(Figure 2). Du moins, cest ce que disent les femmes :

    Qharikunaqa paykunaqa fuertepasch. Chayrayku kimsa animullayuq ninku. Chayqa fuerte

    paykunaqa. Chayrayku mana ancha tanto facilta paykuna engaachikunmanchu. Manan

    qharikunata enganasunmanchu warmi riki. Chayqa anchayraykuy chhayna.[ Les hommes, ilssont plus forts. Cest pour cette raison quon dit quils nont que trois animu. Cest pour cetteraison quils sont forts et quon ne peut pas les tromper facilement. Nous, les femmes, nous ne

    pourrions pas tromper les hommes, nest-ce pas ! ] (Alejandrina Caylla)

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    FIG.2 Reprsentation par un petit garon de lanimudun homme.39 Il nous parat vident que les reprsentations et les discours relatifs lanimu et ses

    effets sur le corps et la personnalit des hommes et des femmes varient selon le genre desinterviews et sont destins lgitimer les comportements ou le caractre de chacun des sexes.Ces reprsentations peuvent varier dune rgion lautre. En effet, les reprsentations dessubstances animantes dans le nord du Prou (Polia 1989) et en Bolivie (Fernndez Jurez1999), pour ne citer que ces deux rgions, divergent de celles que nous venons dtudier.

    Conclusion40 Nous avons vu comment, dans les Andes sud-pruviennes, la construction de lidentit

    sexuelle, troitement associe aux conceptions relatives au corps et la personne, dbuteavant mme la naissance de lindividu, lors de rves prmonitoires de la gnitrice. Mais, dj

    identifi sexuellement, le nouveau-n doit poursuivre sa construction en tant qutre humainet qutre sexu par le biais dactes rituels de passage et de discours qui contribuent le dfinircomme homme (qhari)ou femme (warmi). Ces diffrences doivent tre renforces et modelespar des pratiques rituelles qui modifient la nature mme du corps et de la personne andine.

    41 Cette construction du genre fait partie dun processus plus gnral, celui de la constructionde la personne humaine (runa)qui, galement par le biais de rites et de discours, confre auxindividus une nature la fois sociale et sexue. Tout nouveau-n est en effet considr commentant pas encore humanis, donc comme tant saqra( dmon , esprit malfique ). Ceterme fait rfrence la sphre du non socialis, du sauvage et du nocturne, et soppose donc ce qui est humain et domestique42. Devenir runa( tre humain ), homme ou femme, estle rsultat instable dun long processus de socialisation qui stend sur tout le cycle de vie et

    doit tre systmatiquement pour le moins ractualis et surveill. Par ailleurs, les diffrencesessentielles entre les sexes sont la base des rapports de dualit et de complmentarit(hirarchique ou symtrique) qui caractrisent les rapports entre les hommes et les femmesdans le monde andin.

    42 Remerciements: Je remercie Madame Catrysse, mon amie hellniste, pour sa relecture, sescorrections et observations toujours passionnantes.

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    1 En ce qui concerne lvolution et les emplois du concept de genre , ainsi que les diffrentesapproches sur ce thme, voir Scott (1986), Conway et al.(1987).

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    2 Sur ce sujet, voir Delphy (2001) qui affirme que le genre prcde le sexe et que ce sontles rapports de pouvoir qui induisent la division sexue de la socit, non linverse.3 Hritier (1996, p. 22) signale que [] les caractres observs dans le monde naturelsont dcomposs, atomiss en units conceptuelles, et recomposs dans des associationssyntagmatiques qui varient selon les socits .4 Pour un tat des lieux assez complet propos des tudes sur le genre et la parent dans lemonde andin, voir Arnold (1997, pp. 13-52 ; 1998).

    5 Certains auteurs sont alls jusqu modifier leurs positions initiales. Cest le cas dIsbell(1997) qui fait la critique de sa propre thorie qui postulait, en 1976, lexistence dun ordenandino que es bsicamente dual, complementario e igualitario (Isbell 1976, p. 55). Sur cethme, le lecteur pourra galement se reporter aux textes de Spedding (1997), de Canessa(1997) et de Rsing (1997). Les notions de dualit andine et de complmentarit andine ont aussi t revisites par Harris (2000). Nous ne retenons ici que les travaux concernant lescommunauts paysannes et rurales.6 notre connaissance, ltude la plus complte sur la construction culturelle et sociale delenfant est celle de Lestage (1999), dans laquelle la logique de la fabrication de lenfant estanalyse sans se pencher toutefois spcifiquement sur son identit sexuelle. Pour une tudesur les reprsentations et les rituels de la grossesse chez les Macha qui tablissent une analogie

    entre accouchement et transition mythico-historique, voir Platt (2001).7 Surimana est situ prs du fleuve Apurmac au nord-est de la province de Canas, lafrontire des provinces Chumbivilcas et Acomayo. Le terme employ par les comunerospourse rfrer Surimana est celui de ayllu, terme qui dsigne la communaut paysanne, maisaussi le lignage.8 Le terme en espagnol pour dsigner ces agents estpromotores de salud. Il est intressant denoter qu Surimana ce sont gnralement les hommes qui remplissent le rle daccoucheurs.Il en va de mme, dans la communaut Qulla dIncawatana, au bord du lac Titicaca (Bolton etBolton 1976, pp.68, 69). Cependant, aussi bien dans les sources anciennes que dans les tudesethnographiques contemporaines portant sur le thme de laccouchement dans les Andes, cerle est traditionnellement confi aux femmes. Pour les XVIe et XVIIe sicles, voir Polo de

    Ondegardo (1916 [1571], p. 35), Mura (1987 [1613], livre 3, chap. LXII), Guaman Poma(1980 [1615], pp. 192 [194]) et Cobo (1964 [1653], chap. XXXV). Pour la priode actuelle,citons Seravia et Sueiro Cabredo (1985, p. 209), Tomaso et al.(1985, p. 207) et Bustos deMiranda (1977).9 Nous traduisons par infirmerie ce quon dsigne dans la rgion parposta mdica, cest--dire un tablissement trs modeste dans lequel sont dispenss les soins de base.10 Ce rseau met, sur les radios locales, des campagnes de prvention de sant en quechua.11 La province de Canas est, en effet, une des plus pauvres au niveau national. Deplus, les reprsentations concernant les politiques de sant officielles ne sont pas toujourspositives. Le tmoignage dun accoucheur ce sujet est explicite. Selon lui, laplanificacinfamiliar, cest--dire les mesures de contrle de la natalit, serait nfaste pour certaines

    femmes : Chaypas wakinta allinta ruwan, efectuta ruwan. Wakintaqa astawan maltaruwan. Malta ruwan cuerpunta. Chayqa wakin senurakunataqa flacata ruwayapun.Pasaqtaunquchipun astawan. Aha. Chay rayku wakin manan munankuchu chay planificacin de

    familiarta.Wakinqa munakutaq. Wakintaqa provechanpunitaq chay planificacin familiar

    [La planificacin familiar a algunas les aprovecha, tiene efecto. En cambio a otras mucho

    dao les hace. Les hace mal a su cuerpo. La planificacin familiar, a algunas seoras les hace

    bajar de peso. Totalmente les hace enfermar. Por eso algunas no quieren a esa planificacin

    familiar](Saturnino Mamani). En ce qui concerne les mdicaments distribus par linfirmerie,on peut entendre dire quils ne sont pas bons , quils ne gurissent pas : mana postahampi allinchu. Manan thaninchimanchu (Natividad Cuebas).12 Notons que le terme runa est aussi employ pour faire rfrence aux populationsautochtones des communauts paysannes par opposition aux Blancs et gringos. De mme, dansla province de Churcapampa (dpartement de Huancavelica), Magny (2007, p. 321) signaleque le terme runa, outre sa signification d homme ou de personne , est utilis par les

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    mtis pour dsigner les indignes ayant choisi de ne pas se mlanger avec les gringoset les mtis. Cette acception d tre humain par opposition ce qui nest pas humain,

    mais aussi pour faire rfrence aux populations autochtones, est atteste depuis le XVIesicle.Voir les dsignations ethniques dans laPlticade Santo Tomas (1560), cit inTaylor (2001,p. 435). En aymara, lquivalent de runa est jaqi personne, individu, homme (GillesRivire, communication personnelle). Le verbe qui dsigne le fait de devenir homme estjaqichasina, qui est le mme terme que celui pour dire casarse, convertirse as en persona

    (Arnold et al.1999, p. 102).13 Il est bon de noter quune nette distinction est faite entre les identits sexuelles humaines etanimales. Les termes servant dsigner les mles et les femelles tant respectivement urquetchina. Cette distinction sinscrit dans un rapport plus gnral doppositions et dquivalencesentre le monde sauvage et le monde domestique.14 Nous naborderons pas le rituel de la coupe de cheveux dans cet article. Signalonstout de mme quavec ce rituel semble se mettre en place ce quon pourrait appeler la domestication de lanimu(en espagnol nimo) et sa fixation dans le corps ; deux processuscaractriss par la matrise des sorties de celui-ci du corps lors dexpriences oniriques etpar un contrle de la parole. Pour une tude sur les reprsentations de l animu, voir La RivaGonzlez (2005).

    15 Sur les rencontres avec les gentils, savoir les anctres de lge pr-solaire, dans les rves,voir Robin (2008, p. 207).16 Pour une tude sur les rves oraculaires et leur rapport avec les rites dinitiationdes spcialistes rituels, voir Fernndez Jurez (1995a, p. 215 ; 1995b). Linitiation par lesrves nest pas rserve quaux altumisayuq, au sommet de la hirarchie des spcialistesrituels. Les accoucheurs et gurisseurs, hommes et femmes, peuvent aussi tre initis pardes rves au cours desquels des divinits rvlent des secrets thrapeutiques. Cest le casdu spcialiste rituel Anna Huallpa avec qui jai beaucoup travaill. La rvlation, par lesrves, des dmarches thrapeutiques suivre est atteste par Cobo (1964, p. 227) pour lapriode coloniale : [] diciendo que estando dormidos se les aparecio alguna persona,que, doliendose de su necesidad, les dijo que les daba facultad para curar de aquellas

    enfermedades que curaban; y siempre que empezaban la cura, sacrificaban algo a aquellapersona que afirmaba haberseles aparecido entre sueos y enseandoles el modo de curar

    y los instrumentos con que lo habian de hacer et mentionn par Fernndez Jurez (1995a,p. 189).17 Pour la transcription des racines verbales, je suis le travail dItier (s. d.). Elles sont suiviesdun tiret pour les diffrencier des noms.18 Se reporter au dictionnaire de lAcademia Mayor de la lengua quechua (2005).19 Depuis une vingtaine dannes, sest dveloppe une vritable anthropologie du rve quiinsiste sur les dterminants culturels des systmes de rves (voir les travaux de Tedlock 1987,1991, 1994 ; ainsi que le numro de 1996 de la revue Terrain. Rver). Pour les rves dansles socits amrindiennes, voir Perrin (1978). Pour le monde andin plus spcifiquement, voir

    Jimnez Borja (1961), Melis (1978), Zorrilla Eguren (1978), Mannheim (1987, 1991), Chvez(1996) et Andrade (2005).20 Le motif de la reproduction des biens plantes cultives et animaux domestiques partir des fleurs offertes par une divinit, comme les esprits des montagnes ou la Pachamama, un paysan pauvre, est rcurrent dans la tradition orale (CBC 1990). Au XVIIe sicle, lesfaucons et les vautours taient des symboles oniriques qui annonaient la naissance dun enfant(Prez Bocanegra 1631, pp. 127, 134). Ils apparaissent comme kamaq, donneur de vie ,des hommes et des femmes.21 Sur les rites de fertilit des animaux, voir Arnguren (1975), Gow et Gow (1975).22 Diosninchispa partinmanta sumaq sueu, sumaq tikata rikunki[Les rves provenant ducot de Dieu sont beaux, tu vois de belles fleurs].23 Dans la zone de Marcapata, au sud de Cuzco, tudie par Pablo Sendn, rver de la bche pied, chakitaklla, annonce la naissance dun garon. Je tiens remercier Pablo Sendn quima permis davoir accs son entretien avec Martin Quispe Rojas, paysan de Marcapata, au

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    sujet de ses rves : []Chakitaklla [arado de pie] tambin es bueno, suerte. De repente vasa tener suerte y vas a tener hijo varn.Qhari waway. Chaymanta qhari wawayoq kanaykipaq[Hijo varn. Para que puedas tener hijo varn.] Instrumento tambin.Ishkay taqamanta qhariwawayoq kanaykipaq [Para que puedas tener hijo varn de dos grupos] De banda, bajo, detrompeta, de un algo. Entonces, eso [] para que tengas hijos. As haba sido (Pablo Sendn,communication personnelle). Une miniature comme une chakitakllapeut tre enterre avec leplacenta dun garon, comme nous le verrons plus loin.

    24 Il serait intressant de se pencher sur le rapport dquivalence entre fille et filleul, maispour le moment nous navons que trs peu dlments.25 En espagnol dans lentretien.26 En quechua, quruta signifie testicule et, en aymara, ce mme terme dsigne lafois la graine ou le ppin/noyau dun fruit et les testicules (Gilles Rivire, communicationpersonnelle).27 Les graines de mas, de qaiwa(Chenopodium pallidicaule)et les huairuru(wayruruenquechua, plante de la famille des lgumineuses, Ormosia coccinea) font partie des offrandesaux morts, mais aussi des offrandes faites la Pachamama et aux Apu dans ce quon appelleles despachos. Pour les offrandes aux morts, voir Santos (1988). Dans la culture ParacasNecropolis (200 av.-200 apr. J.-C.), des graines de haricots noirs ont t trouves dans les

    fardeaux funraires de spcialistes rituels comme cela a t montr lors de lExposition Paracas. Trsors indits du Prou ancien , muse du quai Branly, avril-juillet 2008).28 Lquivalence entre sperme et graine est explicite dans une des expressions utilisespour se rfrer aux hommes striles chaki sara mas sec . Au XVIIesicle, nous trouvonscette quivalence entre aliment concentr (graine) et sperme dans la chapitre II des Rites ettraditions de Huarochiro lon raconte le mythe de Cuniraya Huiracocha et Cahuillaca, danslequel Cahuillaca engendre un enfant de Huiracocha aprs avoir mang un fruit de lucuma lintrieur duquel Huiracocha avait dpos son sperme (Taylor 1987, p. 55). Pour unequivalence entre graine et testicule en aymara, voir supranote 26.29 Par exemple, chocar( frapper en espagnol) est un des termes repris et fait rfrence ausperme qui pntre lovaire, voquant les discours mdicaux officiels sur la reproduction.

    30 Les ftus issus dune fausse couche et les morts-ns reoivent aussi ce traitement rituelcar, autrement, ils se transformeraient en duende( mauvais esprit ), rincorporant le ventrede la mre et provoquant la maladie ou la mort. Duende ninku riki mana unuchasqataqa.Chayqa senuraq wiksanmansiya kasqanta chay mal espiritu kutiyapullantaq chay wawachaq

    mal espiritun. Chayqa wiksapi creakapullantaq. Chay seurata, mamitanta malta ruwapun.

    Chayqa unquyullantaq. Chaymi mana allinchu [ Les enfants qui lon na pas donnlondoiement, on les appelle duende. On dit que ce mauvais esprit retourne dans le ventre dela mre, cest--dire le mauvais esprit du bb. Ainsi il se reconstitue dans lestomac ; cela faitmal la mre. Elle pourrait tomber enceinte ou tomber malade. Ce nest pas bon ] (SaturninoMamani).31 Platt (2001, p. 649) signale aussi un comportement diffrenci selon le genre en fonction

    des mouvements perus par la mre dans son ventre et de la constitution du ftus masculinet fminin.32 Platt (2001, p. 649) rapporte galement que les garons sont comme des petits poissonsou challwa.33 Le sexe masculin est connu sous diffrents noms :pichiku, chunchulin, hatun pichiku,huchuy pichiku, ullu,pisqu.34 En tant que double de la mre, le placenta est responsable des taches au visage des femmes :mancha uyaykipi lluqsin chayqa, yawarkunata maqchi maqchirispa sumaqta urqupuyku[ ily a des taches qui apparaissent sur ton visage, lorsque nous lavons bien le sang du placentaelles disparaissent ]. Double du nouveau-n, mes interlocuteurs disent que, si lon ne lavepas bien le placenta, le nouveau-n devient vieux et la peau toute noire. Palmira La Riva :Mana kanasqa imataq pasan ? [ et quand on ne le brle pas (le placenta), quest-ce quiarrive ? ]. Natividad Cuebas : Imay pasakunman, punkillikunkus ninku, chaymanta nan,iman, wawa yana machuchamansi tukupun mana maqchisqa mana paris maqchhisqa ninku,

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    yana chilluchamansi wawa tukupun ninku mana parista maqchhiqtiyki, limphuyta maqchhinki

    parista anchaysi munay zorrocha wawaqa, mana maqchhisqaqa yana machusy[ Je ne saispas ce qui pourrait arriver. On dit quon se gonfle, dautres que le bb devient comme unvieux noir parce quon na pas lav le placenta. On dit que le bb devient noir, trs noir. Ondit que, quand on lave bien le placenta, le bb est blond. Si lon ne le lave pas, il est commeun vieux noir ].35 Le mauvais air renvoie une catgorie de maladies lie toutes sortes dairs et de

    vents pathognes pouvant sintroduire dans le corps. Pour plus dinformations sur ce sujet,voir La Riva (2005, p. 65).36 Lenfant qui on ne fait pas le unuchay(londoiement), acte rituel qui le transforme enpersonne (runa), lui donnant un nom, peut aussi vouloir rintgrer le ventre de la mre et la tuer.Il est appel, dans ce cas, duende mauvais esprit . Un enfant mort-n doit aussi bnficier decet acte rituel. Les personnes avec lesquelles jai travaill disent quautrefois on le brlait ausommet des montagnes :Nawpaq ichaqa kanaqku duende nispa, urqu puntakunaman, anteskanaqku. Kunanqa mana hinachu. Manan [ Mme si tu accouches dun petit mort-n, ilfaut toujours faire londoiement. Avant ont avait la coutume de le brler, on lemmenait ausommet des montagnes et on le brlait. Maintenant on ne fait plus cela ] (Saturnino Mamani).Davidson (1983, p. 72) indique que, dans le nord du Prou, le placenta peut produire lair

    du mort , qui compte parmi les maladies rpertories dans la mdecine andine.37 Pour une description minutieuse des tapes de la fabrication rituelle du mort dans deuxcommunauts sud-andines, voir Robin (2008). Cet auteur rapporte un traitement diffrencide la coiffure du mort selon quil sagit dun homme ou dune femme (ibid., p. 70).38 Lanimujoue un rle fondamental dans les reprsentations du corps et de la personne dansle monde andin. Cette substance vitale maintient le corps en vie en garantissant la circulation deses humeurs. Pour une tude sur les reprsentations de lanimu, voir La Riva Gonzlez (2005).39 Dans la communaut dAndamarca (dpartement dAyacucho), Ossio (1992, p. 282)mentionne une diffrenciation dans les pratiques funraires selon que le mort est un hommeou une femme : se repican las campanas tres veces y cuando son mujeres, siete veces,correspondiendo con el nmero de almas que se supone tiene cada sexo[ lorsquil sagit

    dhommes, les cloches sonnent trois fois et, lorsquil sagit de femmes, elles sonnent sept fois,en fonction du nombre dmes que chacun des sexes est suppos avoir ].40 Se reporter au dictionnaire de lAcademia mayor de la lengua quechua (2005).41 Les femmes interroges disent aussi que les hommes sont comme le vent wayrahina.42 Dans une perspective mythico-historique, Platt (2001) analyse le paralllisme entre laformation de la personne et lavnement dune socit chrtienne.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Palmira La Riva Gonzlez, Rves de fleurs et rves de fruits : une construction andine du genre ,Journal de la socit des amricanistes[En ligne], 96-2 | 2010, mis en ligne le 10 dcembre 2014,consult le 16 fvrier 2015. URL : http://jsa.revues.org/11557

    Rfrence papier

    Palmira La Riva Gonzlez, Rves de fleurs et rves de fruits : une construction andine dugenre ,Journal de la socit des amricanistes, 96-2 | 2010, 181-203.

    propos de lauteur

    Palmira La Riva Gonzlez

    Doctorante luniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense, Laboratoire dethnologie et desociologie comparative, Maison Ren-Ginouvs (archologie et ethnologie), 21 alle de luniversit,92023 Nanterre [[email protected]]

    http://localhost/var/www/apps/conversion/tmp/scratch_4/[email protected]
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    Droits dauteur

    Socit des Amricanistes

    Rsums

    Rves de fleurs et rves de fruits : une construction andine du genre. De nombreux travauxsur le genre ont montr que les comportements et les rles attribus aux hommes et aux femmessont des constructions culturelles variant dans le temps et dans lespace. Les reprsentationsdu genre sont par ailleurs troitement lies aux conceptions du corps et de la personne. Notreintention est de montrer comment, dans le cas de la reprsentation du genre que se font lespopulations des Andes du Sud, lopposition masculin/fminin, tout en tant fonde sur unaspect biologico-physiologique, exige dtre renforce au cours des premires tapes de viede lindividu, la fois par le discours et par des pratiques rituelles qui modifient la naturemme du corps.

    Soando con flores y frutas. La construccin andina del gnero.Una abundante literaturasobre gnero ha puesto en evidencia que los comportamientos y roles atribuidos a hombresy mujeres son construcciones sociales que varan con el tiempo y la cultura. Estasrepresentaciones de gnero estn por lo dems estrechamente asociadas a las concepcionesdel cuerpo y de la persona. Nuestra intencin es mostrar como, para las poblaciones de losAndes del sur peruano, la oposicin hombre/mujer a pesar de tener como base una explicacin fsico-biolgica debe, sin embargo, ser reforzada durante la primera etapa de la vida delos individuos a travs del discurso y de prcticas rituales que modifican la naturaleza mismadel cuerpo.

    Dreams of flowers and fruits. The Andean construction of gender. A rich literature about

    gender has demonstrated that the roles and behaviours assigned to men and women aresocial constructions varying within and across cultures and changing over time. Theserepresentations of gender are tightly related to the conceptions of the body and personhood.Our intention is to demonstrate how, in the Southern Peruvian Andes, the man/womanopposition, although having a biological explanation, have to be reinforced during thebeginning of the life cycle of every person, by discourse and ritual practices modifying thebody.

    Entres dindex

    Mots-cls :genre, pratiques rituelles, reprsentation du corps, corpsKeywords :gender, body, representations of the body, ritual practices

    Palabras claves :gnero, cuerpo humano, prcticas rituales, representacin del cuerpoGographique/ethnique :Andes, ProuThmatique/disciplinaire :Anthropologie

    Notes de la rdaction

    Manuscrit reu en novembre 2008, accept pour publication en juillet 2010