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 Journal de la société des américanistes 96-2 (2010) tome 96, n° 2 ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Véronique Boyer Qu’est le quilombo aujourd’hui devenu ? De la catégorie coloniale au concept anthropologique ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  T oute autre reproduction est interdite sau f accord préalable de l'éditeur, en d ehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Référence électronique Véronique Boyer, « Qu’est le quilombo aujourd’hui devenu ? De la catégorie coloniale au concept anthropologique »,  Journal de la so ciété des amé ricanistes [En ligne], 96-2 | 2010, mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 20 janvier 2015. URL : http://jsa.revues.org/11579 Éditeur : Société des américanistes http://jsa.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://jsa.revues.org/11579 Document généré automatiquement le 20 janvier 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Société des Américanistes

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  • Journal de la socit desamricanistes96-2 (2010)tome 96, n 2

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    Vronique Boyer

    Quest le quilombo aujourdhuidevenu? De la catgorie coloniale auconcept anthropologique................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueVronique Boyer, Quest le quilombo aujourdhui devenu? De la catgorie coloniale au conceptanthropologique, Journal de la socit des amricanistes [En ligne], 96-2|2010, mis en ligne le 10 dcembre2014, consult le 20 janvier 2015. URL: http://jsa.revues.org/11579

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  • Quest le quilombo aujourdhui devenu? De la catgorie coloniale au concept anthropologi (...) 2

    Journal de la socit des amricanistes, 96-2 | 2010

    Vronique Boyer

    Quest le quilombo aujourdhui devenu?De la catgorie coloniale au conceptanthropologiquePagination de ldition papier : p. 229-251

    1 Dans un article publi par la revue bahianaise Afro-sia, lanthropologue amricain RichardPrice (2000, p.264) incite le gouvernement du Suriname sinspirer de lexemple de sonvoisin brsilien pour garantir les droits territoriaux des Saramaka, lun des groupes issusdes descendants desclaves africains ayant fui dans la rgion guyanaise. De fait, cent ansaprs labolition de lesclavage, le Brsil sengage officiellement assurer la protection desgroupes fonds par des Noirs marrons stant tablis dans des villages fortifis (quilombos)et dsigns comme quilombolas. Larticle68 de la Constitution brsilienne de 1988 stipuleainsi explicitement que ltat doit reconnatre la proprit de leur terre: aux rmanents1 descommunauts des quilombos qui occupent leurs terres est reconnue la proprit dfinitive [decelles-ci], ltat devant mettre leurs titres respectifs.

    2 La mme anne, le gouvernement institue par une loi fdrale une structure charge de laformulation et de limplantation des politiques publiques dont lobjectif est de potentialiserla participation de la population noire au processus de dveloppement, partir de son histoireet sa culture2. Sur son site Internet, la Fondation culturelle Palmares (FCP) annonce avoirdj recens 1289 communauts rmanentes de quilombo qui seraient en mesure de saisirlarticle68, mais elle prcise que leur nombre total serait nettement plus important, savoir3524. Ce dernier chiffre pourrait tre encore en-dessous de la ralit puisque, selon le journalEstado de So Paulo3, des organisations non gouvernementales les estiment 5000. Hormis lestats amazoniens du Roraima et de lAcre, tous les autres voient apparatre sur leur territoiredes groupes qui demandent tre reconnus en tant que quilombolas avec une concentrationplus forte Bahia, dans le Maranho, le Minas Gerais, le Par, le Pernambuco, le Piau etle Rio Grande do Sul. Laugmentation vertigineuse du nombre de groupes quilombolas (quene suit pas celui des attributions effectives de terres4) se produit partir du moment o trequilombola signifie avoir accs des droits diffrencis.

    3 Dans un de ses articles, Jean-Franois Vran (1999, p.54) a insist sur le fait que larticle68, promulgu loccasion du centenaire de labolition de lesclavage, tait apparu commeune concession symbolique obtenue par les mouvements militants [] pour rhabiliterlexprience historique de la rsistance lesclavage face la thse dominante dun esclavagedocile. Pour le mouvement noir, la prsence de ces groupes ruraux manifestait en effet lacontinuit de lesprit de rsistance (ibid., p.59), autrefois lesclavagisme et prsentau systme capitaliste. Lide de rmanence de quilombo sest construite partir de larelation entre un objet historique et un projet politique (ibid., p.54). Dans sa remarquableanalyse des disputes et ngociations entre les diffrents acteurs sociaux propos de la notionde quilombo, Vran dmontre que les anthropologues figuraient en bonne place, aux cts desmilitants, des reprsentants des institutions et des juristes, pour donner du sens celle-ci.

    4 Lanthropologie stait pourtant dsintresse du quilombo pendant prs de trente ans. De lafin du XIXesicle aux annes 1960, les tudes avaient bien compar et contrast le quilomborural, apprhend comme une forme rvolue de rsistance la socit esclavagiste, la vitalitdes cultes afro-brsiliens urbains5, mais ce thme avait t ensuite abandonn aux historiens.Au cours des annes 1990, il sera clairement rinvesti par des anthropologues quintrigue, etpassionne, lmergence dune identit quilombola dans une socit o le quilombo est censappartenir au pass. Les chercheurs semploient penser une notion date (Schwarcz 1999,p.304), en la dpoussirant ou en la re-smantisant, afin de la transformer en un conceptpertinent pour apprhender la ralit actuelle des nouvelles formes de mobilisation politique o

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    les enjeux fonciers sont centraux. La volumineuse production bibliographique ne cesse depuisde saccrotre au fur et mesure de la publication de nouveaux ouvrages, de la soutenance dethses et de la rdaction de rapports dexpertise la demande des organismes dtat dont jene parlerai pas ici faute de place6.

    5 Dans cet article, je veux explorer la voie ouverte par les travaux de Jean-Franois Vran, touten me concentrant essentiellement sur les crits des anthropologues. Pour cerner et comprendrequelle serait la singularit des groupes dsigns au Brsil comme quilombolas, tous lesauteurs sinterrogent sur la nature de leurs spcificits et sur les domaines de la vie sociale,culturelle, politique o elles se donnent voir. Toutefois, ils ne partent pas forcment dumme point de dpart, nadoptent pas obligatoirement la mme approche et ne mobilisent pasncessairement dans un mme ordre les outils conceptuels de la discipline. Certains travaux,comme ceux dAlfredo Wagner Berno de Almeida (1989; 2002), sont des tudes critiques quicherchent construire le quilombo en tant quobjet intellectuel, en rexaminant les lmentshabituellement utiliss pour le caractriser. Dautres, tels ceux de Jos Maurcio Arruti (1997;2006; 2008), sintressent aux processus en cours, la construction de laltrit, lmergencede demandes ethniques et au rle des institutions. Dautres encore, peut-tre le plus grandnombre, se proposent de montrer comment il est possible dintervenir dans le champ socialpour que les groupes aient accs au droit la diffrence culturelle et la reproduction de leurspratiques conomiques et sociales, comme au respect de leurs savoirs traditionnels (ODwyer2002, p.20)7.

    6 En dpit des diffrences observables, les argumentaires se recoupent trs souvent, et ilsfinissent systmatiquement par se renforcer. Car, dans ce champ dtude en pleine expansion,les questions thoriques sont presque toujours concomitantes de proccupations lies unprojet de socit qui promeut, par souci dquit sociale, un traitement diffrenci des groupesde population. Si cela est davantage perceptible dans le dernier ensemble de travaux citplus haut, o lanthropologie est autant tenue pour un moyen permettant aux politiquespubliques en faveur des quilombolas de se dployer avec un maximum defficacit que pourune source possible de nouvelles connaissances scientifiques, cela nen est pas moins vraipour les autres. Aussi, bien que les auteurs remettent tous en cause la dfinition du quilomboretenue par ltat, leurs discussions se placent dans le cadre prdfini des orientations et descatgories que celui-ci adopte, sans jamais les soumettre, en tant que telles, lanalyse. Cettetension quoi quil en soit des degrs divers o elle sexerce et des configurations variablesquelle assume entre programme scientifique et engagement militant traverse ainsi de bouten bout la littrature sur le thme des quilombolas.

    7 Il convient donc de dgager ce qui est commun ces analyses, mais aussi ce qui les distingue,en indiquant comment la rflexion pour actualiser la dfinition de la notion coloniale etpassiste de quilombola a t mene, en quels termes, selon quelles perspectives et avec quelleslimites. Avant de souligner les variations dans ltablissement et ladministration de la preuvede la diffrence des quilombolas, il est indispensable de dcrire le cadre gnral qui constituele soubassement, explicite ou non, des diffrentes interprtations.

    La rparation dune dette8 Le sminaire, organis par lUNESCO et coordonn par lanthropologue brsilien Arthur Ramos

    au dbut des annes 1950, marque le dbut dune longue srie de recherches concernant cequil est convenu dappeler les relations raciales8. Par la suite, dans les annes 1980 et 1990,de nombreuses tudes mettront en vidence, en sappuyant sur des donnes dmographiques,les profondes ingalits entre Noirs et Blancs9 dans diffrents domaines : accs lducation, entre sur le march du travail, niveau de rmunration, taux de mortalit infantile,esprance de vie, mise en place de lquipement sanitaire, etc. Dans la majorit de ces travauxcentrs sur lexclusion sociale de secteurs prcis de la population et sur la reproduction delingalit, la race est entendue comme un principe classificatoire fondamental et structurelde la socit brsilienne (Schwarcz 1999, p.293). La ligne de recherche qui apparat dansles annes 1990 prend note de cette situation dfavorable aux Noirs, mais elle sintressedsormais la dimension politique des identits en reprenant lide de culture, prsent dun

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    point de vue moins essentialiste. Cest dans ce contexte dun intrt accru pour les dynamiqueset les recompositions identitaires, ainsi que pour les mouvements sociaux et les mobilisationspolitiques en milieu rural, que la production scientifique sur les communauts noiresrurales prend son essor en les apprhendant comme quilombos, exemple paradigmatiquedune ethnicit noire.

    9 La premire pierre de ldification de la preuve de la diffrence quilombola est une vrithistorique indniable: la socit qui se constitue aprs larrive des Portugais au tout dbutdu XVIesicle, dans cette partie du Nouveau Monde quils nommeront Brsil, est fonde surla violence et le travail forc tout dabord des Indiens, appels ngres de la terre avantque le Directoire pombalin de 1758 ne linterdise expressment, puis des esclaves importsdAfrique. Lhistoriographie10 a maintes fois rappel limportance du systme esclavagiste,qui a perdur prs de quatre sicles jusqu son abolition en 1888, tant pour ce qui est delexploitation des ressources et de lorganisation de la production que de la manutention etde la reproduction de rapports sociaux hirarchiss et ingalitaires, et dont le Brsil porteencore les traces aujourdhui. Les disparits socio-conomiques persistent de fait entre lesdescendants des esclaves et les fils et petits-fils des matres, de nombreuses tudes montrantquune crasante majorit des premiers se concentrent dans les catgories sociales les plusdmunies, alors que les seconds se rencontrent parmi les plus riches. Parmi les pauvres,les Noirs, dont la couleur de peau constitue un traceur vident dune ancestralit esclave,doivent de plus affronter les manifestations dun racisme dautant plus pervers quil sedissimule souvent sous les oripeaux de la cordialit. la discrimination sociale sajouteainsi, dans leur cas, une discrimination raciale. Dans ce cadre, daucuns soutiennent que seulelanthropologie est capable de transformer un problme social [cest--dire le constat dunecorrlation entre couleur de peau et position dans la hirarchie sociale, en] un problme socio-anthropologique (Russczyk 2007, p.165) et, plus prcisment, en une question thorique:celle des quilombos.

    10 Certains anthropologues vont au-del de ce constat de la persistance significative de la fragilitsociale des descendants des anciens captifs. Ainsi, Ilka Boaventura Leite (2000, p. 334)considre-t-elle non seulement que leurs conditions de vie ne se sont pas amliores aprslabolition de lesclavage, mais quau contraire cette priode a t celle dune accentuation deleur exclusion sociale. En effet, alors que la manumission des esclaves, quils aient rachet leurlibert ou bnfici de la loi du ventre libre (1871), dpendait toujours dune compensationverse aux matres, lextinction du systme de lesclavage navait prvu aucune dispositionet aucun ddommagement leur permettant de sintgrer en tant que citoyens la socit post-esclavagiste. Les ingalits socio-conomiques se sont donc perptues.

    11 Un autre lment, antrieur la loi dore (lei urea) signe par la princesse impriale Isabel deBragana pour en finir avec lesclavage, est aussi mentionn comme ayant fortement concouru leur maintien. Il sagit de la loi sur les terres, promulgue en 1850, qui rompt avec le rgimeantrieur des concessions o le propritaire recevait le titre avant doccuper la terre (sesmarias)et qui prohibe toute acquisition dune terre autrement que par son achat11. La seule exceptionnotable lapplication de la nouvelle rgle fut lattribution dun lopin aux esclaves qui staientengags dans larme brsilienne durant la guerre du Paraguay (1864-1870). Si les fondsdmancipation ont permis de rares captifs de runir la somme demande pour accder laproprit foncire, limmense majorit sest toutefois trouve dans lincapacit dy parvenirdans les termes dsormais prvus par la loi.

    12 Ces derniers ont gnralement obtenu leurs terres par testament ou par une concessionaccorde de son vivant par le matre. Dans certains cas, crit Alfredo Wagner Berno deAlmeida (2002, p. 57), celles-ci ont t donnes certaines de ces dites communautsnoires daujourdhui [par un propritaire qui les a] utilises pour lutter dans le pass contreles quilombolas. Linformation est loin dtre anecdotique car cela signifie que la catgorieactuelle quilombo accueille aussi bien des descendants desclaves fugitifs que des enfants decaptifs envoys par leurs matres pour les combattre. Ce qui semble runir les uns et les autresest le statut desclave de leurs anctres. Toutefois, cette hypothse est battue en brche par lefait que des groupes, parmi ceux qui sont dits rmanents de quilombos, ont parfois t fonds

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    par des hommes libres cherchant sur des terres loignes les conditions de leur subsistance.Au bout du compte, le dnominateur commun de toutes ces situations, quoi quil en soit descirconstances particulires de chacune, est davoir chapp toute transaction marchande.

    13 Cette caractristique a rendu problmatique hier, et encore aujourdhui, la reconnaissance parltat du droit la proprit des quilombolas sur les terres o ils sont tablis. Ainsi, ltata rarement tenu compte des donations ou des testaments en leur faveur et ne sest pas plusempress de rgulariser des occupations anciennes, mais informelles. Plus encore, il a souventferm les yeux lorsque de grands propritaires ou de puissantes entreprises dsireuses desaccaparer toujours plus de terres ont tout fait pour les chasser, quelquefois en faisant appel des hommes de main. Observant que la question foncire a systmatiquement t traitecomme un problme policier et prenant acte que la justice sest range du ct des plus forts,certains auteurs (entre autres, Treccani 2006) rapprochent la condition passe desclave et celleprsente dagregado (littralement ceux qui ont t rassembls par un sujet, daprs Arajo1993, cest--dire des dpendants), voire postulent une quivalence entre elles dans la mesureo toutes deux sont fondes sur le travail forc.

    14 Toutefois, labsence de documents attestant de la proprit foncire et lappropriation de laforce de travail dhommes maintenus par un patron dans un statut subordonn ne constituentpas des faits qui concernent les seuls quilombolas. La mobilisation du Mouvement des sans-terre (MST) et les revendications des syndicats de travailleurs ruraux montrent que la questionagraire la concentration des terres et leur redistribution est un problme auquel estconfronte la majorit de la population et un enjeu politique majeur. Et sil est possible quele modle de la relation patron-agregado renvoie celui du lien entre le matre et lesclave,il suffit de lire quelques ouvrages pour se convaincre quil est structurant de lensemble dela socit brsilienne12.

    15 Cest peut-tre pourquoi les spcialistes des quilombolas introduisent un troisime registre,spcifique aux Noirs, dans leurs argumentations. Ceux-ci se distinguent des autres exclusen ce quils ont t victimes de lidologie dominante du blanchiment, qui dissimule leracisme leur gard et sest traduit dans les faits par lappel une immigration europennemassive. Lhistoire officielle, qui ne rend hommage ni aux apports culturels des Africains,ni leur contribution dans la formation de la socit et, encore moins, leur rsistance face un systme inique, les a ainsi plongs dans linvisibilit sociale. Signe de la force actuellede cette idologie et du fait que le Brsil se voit encore dans une phase de blanchiment,observe finement Leite (2000, p.346), larticle 68 est port au titre de lActe des dispositionsconstitutionnelles transitoires: il semble ainsi implicitement entendu que les Noirs sont vous,tt ou tard, disparatre.

    16 Ds lors, labolition ne saurait tre tenue pour un processus achev. Ltat et la socit ontune dette historique envers les groupes de population exploits, spolis, extermins quilsont reconnue et dont ils doivent sacquitter. Historiens et anthropologues rappellent queles Constitutions de 1934, 1967 et 1969, qui ont tent de rduire les carts en proclamantlgalit de tous les individus devant la loi, ont chou. Lheure est donc venue de prendreun autre chemin. Et, quand bien mme larticle 68 ntait quun geste symbolique adresspar le gouvernement de lpoque aux militants du mouvement noir, laugmentation constantedes demandes de rgularisation foncire dans le cadre des possibilits juridiques quil ouvresuggre quil est peru comme un levier efficace pour tenter de faire pression sur les autorits.Tout comme la mise en place de quotas rservs aux Noirs pour lentre dans la fonctionpublique ou luniversit, lattribution de titres de proprit aux communauts rmanentesde quilombo concrtiserait les actions compensatoires indispensables au rquilibrage deschances, outre quelle constitue une reconnaissance de leur participation la socit nationale.

    Le quilombo: de la criminalisation passe la rsistanceprsente, du droit lanthropologie

    17 Lune des grandes avances de la Constitution de 1988 est doprer une inversion de la pensejuridique prvalant jusqu labolition, en attribuant une valeur positive des groupementssociaux autrefois perus ngativement. Des rfrences au quilombo apparaissent dans la

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    littrature coloniale au XVIIe sicle pour dsigner toute habitation runissant cinq esclavesen fuite et plus autour dun pilon, objet indiquant une activit de production autonome. Lesautorits considraient ces tablissements, aussi modestes fussent-ils, comme un crime portantatteinte lordre esclavagiste et qui devait tre combattu par lenvoi de la troupe.

    18 En promulguant larticle68, ltat rompt dfinitivement avec la stigmatisation du quilombo,puisquil sengage octroyer des droits spcifiques et diffrencis, en particulier sur leursterres, aux descendants des esclaves fugitifs. La fondation cre cette occasion pourreprsenter et dfendre les intrts de la population noire reoit, de faon significative ethautement symbolique, le nom dun quilombo. Il ne sagit toutefois pas dun quilomboquelconque. Le nom choisi est Palmares, celui du plus grand et plus persistant dentre eux,situ dans larrire-pays de la capitainerie du Pernambouc (actuel tat dAlagoas). Il est eneffet connu pour avoir rsist tout au long du xviiesicle et compt jusqu 20000personnes,avant dtre ananti par le pouvoir colonial en 1695, aprs deux ans dassauts rpts (Enders2008, p.50).

    19 Ainsi quen atteste ladjectif qui la qualifie, lorientation de cette fondation charge deprserver et promouvoir les manifestations afro-brsiliennes13 est principalement culturelle.De ce point de vue, les quilombos retiennent son attention, au mme titre que les cultes depossession dont le plus clbre est le candombl, savoir en tant quexemples parmi les plusmarquants de la contribution africaine la formation de la socit brsilienne. Les modesde faire et de vivre des communauts rmanentes (Vran 1999, p.56), la fois tenus pourrelever et caractriser une tradition singulire, sont considrs comme des biens immatrielsdu patrimoine brsilien quil convient de protger14. levant les terres quilombolas au rangde territoire culturel national, la fondation se propose donc duvrer pour assurer celles-ci les conditions de leur ethno-dveloppement en rpertoriant les groupes susceptibles dtreintgrs cette catgorie.

    20 Les moyens de ses ambitions ne lui seront donns quen 1992, quand un dcret entrinerason statut. Toutefois, la Fondation culturelle Palmares (FCP) sera expose aux critiques dumouvement noir qui lui reproche son immobilisme et la concurrence de lInstitut nationalde la colonisation et de la rforme agraire (INCRA) qui nentend pas lui abandonner la tchede rgulariser des terres, fussent-elles quilombolas (Vran 2003, p. 62). En 1995, annecommmorant la mmoire de Zumbi, dernier roi de Palmares et figure emblmatique dela rsistance quilombola, les communauts rmanentes reviennent sur le devant de lascne politique nationale. Le problme de la rglementation de larticle 68, laiss de ctdepuis sa promulgation, devient ds lors incontournable. Juristes, parlementaires, militantsdu mouvement noir, qui saffrontaient propos de ce que lon devait entendre par quilomboaujourdhui, se tournent alors vers les chercheurs en sciences sociales.

    21 La production scientifique sur le thme des quilombos les questions souleves et lespropositions suggres, linsistance sur les nouvelles significations assumes par ce termea eu une influence notable sur le tour pris par les discussions et le sens donn la dfinitionlgale. Ainsi, pour Treccani (2006, p.84), juriste de formation et lecteur assidu des historienset des anthropologues, la lgislation en vigueur prend en compte trois lments constitutifscomplmentaires et insparables caractristiques de lexprience quilombola: chacun desgroupes est form dindividus unis par une relation prconstitue, cest--dire dont loriginese trouve dans le pass puisquils sont rmanents; ils sont organiss de manire collective,lidentit tant assume par une communaut et non par une personne; ils ont enfin encommun davoir connu un mme vnement historique, celui davoir t des quilombos15.Le premier critre a permis doprer un dplacement smantique et une inversionsymbolique (ibid.) entre lindividu et le groupe dans la lecture de larticle 68: la formulation rmanents de communauts de quilombo devait tre entendue comme communautsrmanentes de quilombo (Vran 2003, chap.II). Quant aux deux derniers, leur interprtationa t dterminante pour savoir, dune part, sous quelle forme serait lgalise la terre et, dautrepart, qui pourrait en bnficier.

    22 La question des modalits a t assez vite rsolue juridiquement par des dcrets dapplicationprvoyant que le titre de proprit attribu aux quilombolas serait non pas individuel, mais

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    collectif16. Pour novatrice que soit la dcision, si lon considre que la norme de rfrence estla proprit prive rurale individuelle, elle tait aussi parfaitement compatible avec limageriehabituelle du quilombo tabli par des esclaves africains fugitifs en un lieu isol en marge desagglomrations et, donc, lcart du monde des Blancs et de ses rgles: les descendants desanciens quilombolas ne pouvaient quavoir des valeurs et un mode de fonctionnement autres.Paraissant prendre la mesure de la diffrence de ces derniers avec la socit nationale, lesdispositions taient capables de satisfaire autant les partisans de la cause quilombola que sesadversaires attachs au caractre exceptionnel du quilombo, lequel portait apparemment lapromesse dune rgularisation foncire limite.

    23 La question des bnficiaires de larticle 68 tait de loin lenjeu le plus fondamental puisque larponse qui lui serait apporte aurait des effets directs sur le nombre de groupes concerns parson application. Or elle a t rsolue en remettant radicalement en cause les reprsentationstraditionnellement attaches aux quilombos. En effet, des chercheurs, dont Gomes et Reis(1996), commenaient montrer que, loin dtre toujours physiquement et conomiquementen retrait, ils taient parfois installs proximit des fazendas et bourgs, voire dans les villes,et entretenaient des relations, y compris commerciales, avec leurs habitants. Le rapport desquilombolas avec la socit dominante ne sest donc pas tiss systmatiquement dans leregistre du conflit et de lillgitimit; lisolement tant mis en exergue est somme toute une vuede lesprit peu en rapport avec la ralit historique. En outre, ces travaux ont mis en videnceque la population des quilombos ntait pas homogne, ni dans lorigine, ni dans le statut: auxcts desclaves fugitifs, se trouvaient galement des Indiens, des mtis et des Blancs libres(Schwartz et Langfur 2005). En dclarant quun titre de proprit sera dlivr aux groupesinstalls sur les terres dun ancien quilombo et ayant pour anctres des Noirs marrons cest--dire en posant la condition dun pass de lutte ouverte et durable, larticle 68 ne parvenaitdonc pas saisir ce quavaient t les quilombos.

    24 Restait savoir ce quils taient aujourdhui. Lintervention danthropologues qui avaientparticip un projet sur les communauts noires rurales17 et publi, en 1994, un documento ils prconisaient une remise en perspective de la notion, a t sur ce point essentielle.Ces chercheurs, affilis lAssociation brsilienne danthropologie (ABA), ont jou un rledcisif [] en indiquant que les faits devaient tre apprhends partir dune [] dimensionqui incorpore le point de vue des groupes sociaux aspirant lapplication dun droit attribu parla constitution fdrale (ODwyer 2002, p.18). Autrement dit, le quilombo ne doit pas trecompris partir de lhistoriographie, mais des groupes sociaux qui demandent prsentement tre reconnus comme quilombolas. Le groupe de travail, institutionnalis la mme anneet fonctionnant grce une dotation de la Fondation Ford, sest transform, en 1996, en unecommission terres de quilombos charge dorganiser et planifier les actions de lABA[, de] seconder la direction dans des actions externes qui exigent des contacts avec desorganismes du judiciaire et du Ministre public (Leite et Oliven 2002, p.10). En explicitantla mission confie la commission, lABA sest publiquement engage, en tant quassociationscientifique, dans une politique prnant le dveloppement dun dialogue avec les reprsentantsdes institutions officielles de ltat. Ce faisant, elle entendait lgitimement, dune part, ne pasabandonner au droit un objet anthropologique et, dautre part, dfendre les intrts de cespopulations historiquement prouves (sofridas) et spolies dans leurs droits et leur conditionhumaine (ibid., p.11).

    25 Connaisseurs des formations sociales contemporaines les plus vocatrices du quilombo, cest--dire des communauts noires rurales, ces anthropologues ont indiqu que larticle68dfinit les groupes actuels par ce quils ne sont plus. De ce fait, ils ont soulign que le projetde la FCP tait tourn vers le pass et vers ce qui idalement aurait survcu sous ladsignation formelle de rmanents des communauts de quilombos (Almeida 2002, p.46).Or, comme en atteste la diversit des conditions de leur fondation, linsurrection ne pouvait treadopte comme un critre de lexprience historique des quilombolas. Les quilombos, ayantt plusieurs fois dtruits et reconstruits plus loin dans la fort, ne se sont pas ncessairementtablis en des lieux occups autrefois par des esclaves fugitifs. La fugue concrtise ne sauraitdailleurs prtendre les caractriser, toutes les autres fugues non ralises, quelles se soient

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    traduites par une aide apporte un autre esclave, quelles aient chou ou mme quellesse soient soldes par une recapture (ibid., p.61), devant tre aussi prises en compte. Enfin,pour correspondre la ralit daujourdhui, la nouvelle catgorie juridique devait tre capabledaccueillir des communauts quilombolas qui ne descendent parfois mme pas danciensquilombos cest par exemple le cas des familles desclaves librs qui ont achet leurs terres(Almeida 2002, p.62).

    26 En limitant le pass historique considr la priode esclavagiste et en insistant autantsur la prennit de ltablissement et la continuit de la filiation biologique que sur lapermanence dlments socioculturels, larticle68 ne rpondait pas aux attentes des militantsdu mouvement noir, pas plus quil ne refltait lavis autoris des spcialistes. Cette lecturelittrale savrant inadquate et trop restrictive, il tait impratif de procder une re-smantisation du vocable quilombo. Tous les acteurs prsents lors des ngociations, ycompris la Fondation culturelle Palmares qui avait retenu dans un premier temps le critrede la continuit du groupe avec sa situation pendant la priode pr-abolition, se sont rangs cet avis18.

    27 Lanthropologie sest impose comme la discipline scientifique la plus mme de mener bien la rupture avec cette conception discriminante du quilombo car, loin de se contenter derecueillir des gnalogies et de reconstituer les dplacements des populations pour montrer laprsence effective de Marrons, elle cherche clairer le pass partir de la perception queles groupes ont deux-mmes, de leur histoire, de leur prsent et de leur futur. Sa contributionconsistera dmontrer, en sappuyant sur le travail de terrain, que la notion recouvre desconfigurations sociales variables et extrmement flexibles, et que ce que lon entend parrsistance a pu prendre des formes trs diverses. Mais elle ambitionne aussi de construire unmodle gnral laide des outils intellectuels quelle a forgs, en identifiant les traits culturelset/ou sociologiques qui caractrisent toutes les communauts noires rurales actuellesindpendamment des circonstances particulires de leur formation.

    La re-smantisation du quilombo par lanthropologie28 Si le problme des ayants droit de larticle 68 a pu paratre en partie rgl, il sest rvl plus

    problmatique que prvu au fur et mesure quont surgi des demandes manant de groupesqui se disaient jusque-l occupants sans titre dune terre (posseiros), travailleurs ruraux(trabalhadores rurais), populations traditionnelles , pour ne pas parler des quilombosurbains. Le quilombo continue ainsi de faire lobjet de redfinitions successives dans denombreuses tudes cherchant inlassablement largir le champ dapplication du vocable,sans renoncer toutefois lui conserver une spcificit. Celles-ci partent du constat que ni lesapproches marxistes, qui percevaient les quilombos comme une rsistance loppression, niles approches typologiques, qui les classaient selon leur taille ou leurs activits conomiques,nont t capables de relativiser la notion de quilombo par rapport sa dfinition historique,ni de la librer du carcan archologique (Marques 2008, p. 22). Elles se proposent doncde trouver des mises en perspective novatrices partir de la collecte de donnes ou dunerflexion critique sur la bibliographie. On peut grosso modo distinguer les analyses quiinsistent davantage sur les notions de mode de production et/ou de territorialisation de cellesqui en appellent lethnicit et/ou la race comme construction sociale.

    29 Pour sa part, Almeida (1989) sintresse, ds les annes 1980, aux conflits agraires dans ltatdu Maranho, mais aussi au processus de dmarcation des terres, lpoque, indignes. Par lasuite, il associera troitement ces deux thmatiques (crise de la structure foncire et des droitsdes communauts traditionnelles) dans ses tudes portant sur les identits construites dansle conflit par des groupes sociaux particuliers. Selon Almeida (2002), les luttes menes parles syndicats de travailleurs ruraux ont rvl linadquation des catgories censitaires utilisespar lInstitut brsilien de gographie et de statistiques (IBGE) et des catgories cadastrales delInstitut pour la colonisation et la rforme agraire (INCRA). En effet, de nombreuses formesdappropriation des ressources naturelles ne font pas intervenir la notion dunit dexploitationdfinissant ltablissement (estabelecimento) et elles ne sont pas non plus individualisescomme le suppose limmeuble rural (imvel rural) soumis limpt foncier. Une rubrique

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    occupations spciales a t cre pour inclure les situations dites de terres dusagecommun, qui ne correspondent ni des terres collectives (au sens de collectivistes), ni des terres communales (au sens fodal) (Almeida 2002, p.45), et que les acteurs sociauxpeuvent nommer terres de Noir (preto), terres de saint ou encore terres dIndien19.

    30 Rapprochant les dites terres de Noir du quilombo reconnu par le lgislateur et aprsavoir montr la ncessit de relativiser les lments qui le dfinissaient dans le pass,lanthropologue considre quil faut rompre avec le dualisme gographique attribu auquilombo, faisant quil soit compris en opposition la plantation, comme ce qui est lextrieur des limites physiques de la grande proprit territoriale (ibid., p.54). Le dclindes prix de la monoculture sur le march international a en effet favoris la multiplicationde situations dautoconsommation [par] des familles desclaves qui maintenaient une forteautonomie par rapport au contrle de la production par le grand propritaire (ibid.)20 etauxquelles participaient les quilombolas quand ils taient repris. En raison de limportance dece phnomne, qualifi par Almeida daquilombement (aquilombamento) de la propritdes matres, dans la formation dune couche de petits producteurs familiaux (ibid., p.59),lauteur affirme que la question du dit quilombo aujourdhui passe par la comprhension dusystme conomique intrinsque ces units familiales qui produisent de faon concomitante,pour leur propre consommation et pour le march (ibid., p.51).

    31 Les communauts autrefois appeles noires rurales et aujourdhui rmanentes dequilombo se caractrisent en outre par des modalits particulires dappropriation et degestion du territoire: chaque groupe domestique soccupe de sa maison, de son champ et deson jardin, mais cest ensemble que sont prises les dcisions concernant lusage de la terre etdes autres ressources naturelles. Ce qui leur est donc commun est leur capacit de rsistance la proprit prive de la terre par la constitution de formes autonomes de production.

    32 Une analyse critique de la notion de quilombo doit commencer par se demander, nonpas comment les agences dfinissent, ou comment une ONG dfinit, ou comment unparti politique dfinit [ces groupes sociaux], mais comment les sujets eux-mmes sauto-reprsentent et quels sont les critres politico-organisateurs qui orientent leurs mobilisationset forgent la cohsion autour dune certaine identit (ibid., p.68). Ces critres sont essentielsen ce quils permettent de relativiser le poids dune identit dfinie par une communautde langue, par le territoire, par le facteur racial ou une origine commune (ibid., p. 73).Ainsi Almeida (ibid., p.69; italiques dans loriginal) souligne quil y a des agents sociauxdascendance indigne qui [] sautodfinissent comme pretos [couleur de la peau], alorsque dautres qui pourraient apparemment tre classifis comme negros [identit politique]se mobilisent pour dfendre des dites terres indignes21. Les chercheurs sont alors amens considrer des situations complexes o dautres formes dusage en commun simposent eto dautres identits sont successivement affirmes (ibid., p.72)22:

    On est devant une diversit dautodfinitions se rfrant des situations sociales qui contrarientsouvent de faon concomitante tant les disciplines militantes que les critres des techniciens dela bureaucratie administrative, tous deux sappuyant sur des facteurs supposment objectifs etfidles des clivages prtendument scientifiques. (ibid., p.71)

    33 Lapproche socio-historique propose par Almeida a le grand mrite dintgrer lanalyse lesrapports conomiques et politiques dans lesquels sont pris la plupart des groupes sociaux enzone rurale, fournissant des clefs importantes pour comprendre la formation de ce paysannat.Elle prsente galement lintrt douvrir des pistes pour penser la flexibilit des identitsassumes par ces derniers, et en particulier les revendications actuelles de certains dentreeux en tant que quilombolas. Pour Almeida, lidentit ethnique, avant tout situationnelle etpolitique, doit tre apprhende du point de vue de stratgies contingentes (ibid., p.74)pour, entre autres, garantir des droits sur un territoire: lexistence du groupe mane de laconstruction dun rpertoire dactions collectives et de reprsentations face dautres groupes.Il faut rechercher ethnographiquement les circonstances dans lesquelles un groupe socialdtermin a accept dentrer (acatou) dans une catgorie et lactionne en interagissant avecdautres (ibid., pp.74-75). Notons en effet que ce qui est qualifi de mode de production

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    propre aux quilombolas, savoir alliant une aire dusage collectif de la terre et des plantationsprives, ne leur est aucunement exclusif: cette appropriation de la terre, que lavocat Benatti(1997) nomme posse agro-cologique, est aussi le fait de ceux que la littrature dsigne commepopulations traditionnelles, cest--dire les seringueiros (collecteurs de caoutchouc), lesribeirinhos (habitants des rives des fleuves), etc.

    34 Toutefois, lorsque dans la conclusion de son article lauteur entend resituer lobjet quilombodans un contexte plus ample, il semble prendre ses distances avec une analyse proprementsociologique qui pourrait sappliquer somme toute au plus grand nombre. Car sil indiqueque le quilombo doit smanciper de linvestigation archologique et de la dfinitiondhistoriens et de gographes , il affirme ensuite quil ne peut non plus tre rduit aurayon daction dagronomes, qui le tiennent simplement pour un problme agraire (ibid.,p.79). Il parat de la sorte convier la pratique dun autre exercice o lidentit quilombolaest apprhende dans une perspective plus restrictive et suppose plus conforme aux canonsde lanthropologie plus rcente, laquelle

    a permis de les conceptualiser [les quilombolas] [] comme des groupes ethniques qui existentou persistent au long de lhistoire comme un type organisationnel , selon des processusdexclusion et dinclusion qui permettent de dfinir les limites entre ceux qui sont considrsde lintrieur ou de lextrieur. Cela sans que soit ncessaire une quelconque rfrence laprservation de diffrences culturelles hrites [] facilement identifiables par un observateurextrieur, supposment produites par le maintien dun prtendu isolement gographique et/ousocial au cours du temps. (ODwyer 2002, p.14)

    35 Ces chercheurs ne prtendent pas que la continuit des communauts rmanentes avec lesanciens quilombos passe exclusivement ou ncessairement par la descendance biologique deleurs habitants avec les familles desclaves, ni que la singularit de leur organisation et de leurculture se donne aisment voir. Ils soutiennent quelles se sont historiquement constitueset que leurs limites se laissent apprhender ds lors que sont prises en compte les dynamiquesdappartenance. Lide que les processus dexclusion et dinclusion sont au principe delidentit des quilombolas est aussi prsente dans un article, maintes fois cit et galementpubli plusieurs reprises, dIlka Boaventura Leite (2000). partir de labolition, crit Leite(ibid., p. 338), se met en place la construction de lidentit de ces groupes, soit par laformalisation de la diffrenciation ethno-culturelle au niveau local, rgional et national, soitpar la consolidation dun type spcifique de sgrgation sociale et rsidentielle des Noirsjusqu nos jours.

    36 Les units sociales qui en rsultent sont labiles et instables (Marques 2008, p.48), linstarde celles des Indiens dits mlangs du Nordeste par opposition aux Indiens purs delAmazonie (Oliveira 1998). Cette figure de lIndien, objet dune ample littrature consacre la sociologie du contact et de lethnicit (Viveiros de Castro 1999, p.142), semble tre prise,implicitement ou explicitement, comme paradigme pour comprendre ce quest tre quilombolaaujourdhui: le cas des Indiens mergents aiderait penser celui des negros mergents23

    parce que, comme eux, ils sont engags dans un processus de redcouverte de leur identitethnique et de mobilisation politique pour faire valoir leurs droits auprs de ltat. Quoiquelidentit des quilombolas apparaisse de faon plus nette dans des situations de conflit ce quirenvoie largument dAlmeida, il ne faudrait pas en dduire que ces groupes, en tant quecollectivits distinctes de lensemble national, nexistent que dans la relation contraste unAutre menaant, ni que leur conscience ethnique ne salimente pas dlments indpendantsdes contextes politiques.

    37 Le concept de territorialisation, tir de luvre dOliveira (1998)24, a t fondamental pourviter limpasse o auraient pu senfoncer les analyses. Car lventuelle imperceptibilit, ouinvisibilit, de la diffrence des quilombolas au quotidien ne devait pas conduire douterde leur ralit et de leur irrductibilit. Pour les spcialistes des quilombolas, la terre nest pasun simple espace physique occup par le groupe et son importance excderait celle dun moyende production conomique. Elle est avant tout conue comme un territoire socialementoccup (Chagas 2001, p.228), cest--dire parcouru par des relations sociales qui soutiennentla reproduction culturelle de la communaut. Les quilombolas se caractriseraient, outre

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    le degr dautonomie paysanne dont ils jouissent et leur affirmation ethnique et politique,par le fait que, dans leur cas, identit et territoire sont indissociables (Marques 2008, p.25):la territorialisation ethnique [apparat] comme un modle de convivance25 avec les autresgroupes de la socit nationale (Leite 2000, p.338).

    38 Cest dailleurs parce que les terres sont tenues pour essentielles en tant quinstrumentdidentit culturelle et anthropologique (Treccani 2006, p.91; italiques dans loriginal) quela dlimitation territoriale serait si complexe: il ne sagit pas seulement de terres mais deconceptions identitaires ce que la thorie anthropologique appelle ethnicits (ibid.,p.15). Dans ce cadre, obtenir des droits territoriaux signifierait davantage pour un groupe quede garantir les conditions de sa subsistance. La proprit de la terre lui offrirait la possibilit deprendre conscience de sa diffrence et de prserver ses pratiques culturelles: disposer de ceterritoire permet au groupe de sapproprier son histoire, les relations de loyaut et de solidarit,la parent, la religiosit, la ritualit festive et les attentes futures projetes sur lui (Chagas2001, p.228). En dautres termes, le territoire concrtise ici lethnicit.

    39 Cependant, ds lors que les analyses du quilombo suivent lcole indigniste du contactinterethnique, en adoptant une perspective o le territoire prend le pas sur la parent commeprincipe de constitution sociale (Viveiros de Castro 1999, p.196), elles prtent le flanc lacritique formule par Viveiros de Castro lencontre de celle-ci:

    Lethnologie amazonienne montre comment de nombreuses formations sociales de cette rgionconvertissent continuellement le territoire (la co-rsidence) en parent, en dfinissant lesrsidents dun mme groupe local comme parents. Dans le cas du modle quOliveira sembleconcevoir pour les Indiens du Nordeste, cest la parent qui se convertit en territoire. Cest commesi, dans cette situation, le concept de mlange corporel les Indiens mlangs avait besoindune contrepartie dans la puret territoriale les territoires indignes distincts revendiqus parles Indiens. (ibid., pp.196-197)

    40 Or, quoique sans nul doute selon des modalits tout autres que celles des socitsamrindiennes auxquelles se rfre Viveiros de Castro, lanthropologie brsilienne, urbainecomme rurale y compris celle des populations mlanges amazoniennes a indiqulimportance du modle de la parent pour penser les relations sociales dans des groupes26

    o est couramment affirm que les voisins sont les plus proches parents . Il y a alorstout lieu de penser que cette reformulation de la co-rsidence en parent ne se limite pas auxvillages non mobiliss autour didentits ethniques, mais quelle est aussi observable dans lescommunauts quilombolas lesquelles sont dailleurs parfois des parents par alliance oupar filiation des premiers. Privilgier une telle approche permettrait de restituer sa densit autissu social. Il faudrait nanmoins se dfaire au pralable de la priori de la prdominancedune logique territoriale dans la constitution de ces groupes, en assumant peut-tre que ladtermination de limites gographiques finies na de sens pour eux que dans le cadre dedmarches de rgularisation foncire, face un tat qui ne connat dautre langage que celuides frontires.

    En guise de conclusion41 Dans larticle cit en introduction, Price (2000, p. 265) indique que, dun point de vue

    politique, les destins [des Saramaka au Suriname et des quilombolas au Brsil] en sontvenus sentrelacer. Les groupes issus des Africains amens en esclavage aspirent tous lobtention dune protection lgale garantissant leur permanence sur les territoires quilsoccupent. Pour autant, ces objectifs communs ne signifient pas quil y ait une reconnaissancemutuelle dun destin solidaire et, encore moins, une identification des uns aux autres. Du reste,le commentaire de lanthropologue fait suite un autre, quelques lignes plus haut, o il prciseque, pour les Saramaka, peu dAfro-brsiliens classifis comme rmanents de quilombosseraient vus comme quilombolas. Les Saramaka ont en effet toujours vu le monde partagentre nous et eux (ibid., pp.264-265), et ceux quils considrent comme lAutre lesvoient galement ainsi. Leur corpus de croyances, leur langue, les postures corporelles, lesrgles matrimoniales, entre autres, constituent autant de signes rvlateurs des carts culturels.Comme le dit trs clairement Price, point nest besoin danthropologues pour dmontrer

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    leur notable diffrence culturelle/sociale/politique, qui est vidente mme lil le moinsavis (ibid., p.264). En revanche, la diffrence des quilombolas, redcouvrant rcemmentleur identit et formalisant actuellement leur distinction, ne simposerait pas tout un chacuncomme une certitude indiscutable et indiscute: ni au grand public, et peut-tre pas mme auxquilombolas eux-mmes. Elle semble ce point si subtile quelle a besoin de professionnelsen sciences sociales pour la rendre visible.

    42 De ce fait, les tudes sur les Saramaka ont dvelopp des problmatiques tout autres que lestravaux portant sur les quilombolas brsiliens. Les premires se sont concentres sur cettesocit donne pour rendre compte de et analyser ses logiques particulires. Les secondsont avant tout cherch mettre en vidence et expliciter la singularit des quilombolas parrapport aux autres groupes de population. La rflexion soutenue mene par les anthropologuesnest pas ici partie de la ralit empirique et des catgories locales. Elle a t guide parune exigence politique majeure: conserver une notion coloniale remise lordre du jour parltat et le mouvement noir urbain, condition de la vider de son ancien sens en lui trouvantun autre contenu. Le paradoxe de la singularit quilombola, auquel il parat pour linstantdifficile dchapper, est que celle-ci se construit en interaction avec ltat, les organisationsinternationales, les mouvements sociaux et les populations locales.

    43 Vran (2003, p.116) distingue une approche situationnelle du quilombo (qui se rapporte la logique spcifique de mobilisation dun groupe pris dans un contexte dinteractions) duneautre, substantialiste (qui repose sur un certain nombre de critres tangibles renvoyant lessence de ce quest un groupe ethnique). Mais il observe aussi que loin de se rvler leurs contradictions, ces deux dfinitions coexistent et se confondent dans un va-et-vientdductif, qui emprisonne lobjet dans un cercle analytique lintrieur duquel il ne peut treobjectiv (ibid.). De fait, force est de constater que le travail de redfinition du quilomboconduit les auteurs rarticuler constamment les mmes mots-cls (territorialisation, ethnicit,autonomie de la production), lesquels prennent le relais lun de lautre comme des rfrencesincontournables dans des raisonnements qui deviennent trop souvent circulaires. La dimensionsituationnelle de la diffrence quilombola construite dans le conflit, dfendue par Almeida(2002), nest donc pas parvenue smanciper du quilombo comme mtaphore pour penserle groupe (Leite 2000, p.339). Cest ce prix que la notion coloniale a pu devenir peu peuun concept qui rend possible la rduction sociologique des cas empiriques dans une seulecatgorie (Arruti 2008, p.329).

    44 La perspective de ces chercheurs est en fait sous-tendue par lide que les personnes et lesgroupes sociaux ont le droit dtre gaux quand la diffrence les infriorise, et le droit dtrediffrents quand lgalit les dcaractrise (Santos 2000, p.47, cit in Chagas 2001, p.232).galit et diffrence sont traites comme des dimensions distinctes dun jeu politique dontpourraient, voire devraient, semparer les groupes sociaux. Le sentiment qui les anime estindubitablement gnreux, et nul ne saurait y rester insensible car la redfinition du quilombola non seulement transform en un concept, mais aussi en une catgorie juridique trs inclusivepermettant un grand nombre de populations de prtendre accder des droits sociaux etterritoriaux.

    45 Ce dernier point est dautant plus important que la multiplication des tudes sur lesquilombolas saccompagne dune inscription chaque fois plus prononce de lanthropologie.Lintrt croissant de lassociation brsilienne danthropologie pour le quilombo et les groupesquilombolas sest traduit par une modification de la place occupe par la thmatique des territoires noirs dans son organigramme. En 2000, la commission sur les questionsterritoriales (assuntos territoriais) a intgr des anthropologues spcialistes de ce thme, defaon inclure la question des terres de quilombos, autant que celle des terres indignes, auproblme de la distribution des terres dans le pays (Leite 2002, p.10). Eliane CantarinoODwyer, coordinatrice du projet initial sur les communauts noires rurales, devenu parla suite un groupe de travail permanent, dirige aujourdhui une commission spciale dappui la Prsidence concernant les rapports dexpertise qui doivent tre produits lors des demandesde rgularisation foncire. Les problmatiques des chercheurs se sont ainsi largies : auxquestions thoriques se sont ajoutes des proccupations plus concrtes et plus appliques.

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    46 Linstitutionnalisation de cette ligne de recherche suscite quelques interrogations sur ledevenir de lespace jusque-l trs libre offert par lABA, pour des discussions critiques etcomparatives sur les diffrentes formes de mobilisation sociopolitique. Ainsi, dans quellemesure la contribution de la discipline la dfinition et la promotion des politiques publiquesdestines aux quilombolas ne la conduit-elle pas aussi endosser un rle normatif o elleest suppose attester de lidentit des groupes sociaux? En effet, la mission dexpertise queles anthropologues se voient prsent confier par ltat nest pas sans les placer dans uneposition trs ambigu face aux populations avec lesquelles ils travaillent. Il conviendra donc depoursuivre lanalyse des rapports complexes entre programme scientifique et projet politique,ainsi que du rle qui est cens revenir lanthropologue et lanthropologie dans ce contexte.

    47 Remerciements: Je remercie pour leurs rflexions critiques, leurs remarques stimulantes surune premire version de cet article, ainsi que pour leurs encouragements bien ncessaires,Patricia Birman, Agns Clerc-Renaud et Mariana Pantoja. Je remercie galement Anne-MarieLosonczy pour sa lecture attentive.

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    Viveiros de Castro Eduardo1999 Etnologia brasileira, in Sergio Miceli (d.), O que ler na cincia social brasileira (1970-1995),vol.1, Anpocs, So Paulo, pp.109-223.

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    Journal de la socit des amricanistes, 96-2 | 2010

    Notes

    1 Le mot portugais remanescente est intraduisible en franais car il ne signifie pas seulement ce quiest issu (la descendance), mais aussi ce qui subsiste, ce qui reste (la rmanence). Cest pourquoijai choisi den faire une traduction littrale: rmanent.2 http://www.palmares.gov.br/ [consult le 24/03/2009].3 dition du 4 janvier 2009. Le nom de ces ONG nest pas cit.4 Si 102 titres de proprit concernant 95 territoires quilombolas avaient t mis en juin 2009, pasmoins de 830 demandes demeuraient encore en attente (INCRA juin 2009).5 Entre autres, Raimundo Nina Rodrigues (1977), mdecin lgiste bahianais dont le livre Os Africanosno Brasil a t publi initialement titre posthume en 1932. Voir aussi Ramos (1942), Carneiro (1947)et Bastide (1960).6 Notons que la littrature anthropologique consacre aux quilombos accorde davantage dattention la recherche de concordance avec la catgorie tatique qu lobservation empirique. Il existe ainsi peudtudes de cas lexception du trs beau travail de Vran (2003) sur le quilombo de Rio das Rs dansltat de Bahia. Pour lAmazonie brsilienne, on peut consulter Boyer (2002; 2009).7 Ce thme est trait dans un autre article (Boyer 2010).8 Il chappe au cadre de cet article danalyser le projet de lUNESCO et dexaminer les diffrentescontributions apportes. Pour cela, voir Schwarcz (1999) et Hofbauer (2006).9 Dans un premier temps, je traduirai le mot portugais negro par Noir. Je mettrai toutefois des majuscules Noir, Blanc et Indien pour indiquer quil sagit de catgories sociales; jy joins lors du premier usagede ces termes des guillemets pour insister sur ce point.10 Pour une mise au point rcente sur les travaux historiques, voir Enders (2008).11 Lors dune confrence prononce au ministre du Dveloppement en 2000, le sociologue Jos deSouza Martins aurait soulign les implications de ce changement: Il est bon de rappeler que la loi surles terres fut approuve presque simultanment lapprobation de la loi interdisant le trafic ngrier versle Brsil. La loi sur les terres a t une condition pour la fin de lesclavage. Dans tous mes travaux jaidit quun pays o la terre est libre, comme dans le rgime des sesmarias, le travail devait tre esclave.Dans un pays o le travail devenait libre, la terre devait tre esclave, cest--dire que la terre doit avoirun prix et un propritaire, sinon il y aurait une crise dans les relations de travail (Martins 2000, p.1,cit in Treccani 2006, p.76).12 Pour la seule Amazonie, rgion o je mne mes recherches, voir par exemple Arajo (1993) proposde migrants sur la transamazonienne et Lima et Alencar (2000).13 Voir http://www.palmares.gov.br/ [consult le 24/03/2009].14 Les articles 215 et 216, qui compltent les dispositions de larticle 68, insistent sur cette dimension.15 Notons que ces critres font cho ceux qui sont communment poss dans le cas indigne: uneprsence depuis les temps prcolombiens, un collectif peuple (povo), la tragdie de la Conqute(Mariana Pantoja, communication personnelle).16 Les terres ne peuvent pas tre vendues.17 Voir Schwarcz (1999) pour une rflexion critique sur les tudes des Noirs au Brsil et Vran (2003,pp.94-104) pour une analyse du passage de ltude des communauts noires rurales celle des quilombos.18 La dfinition donne par la Fondation culturelle Palmares, qui intgre ces diffrentes formes daccs la terre, leur donne comme dnominateur commun les valeurs de libert, rsistance et travail encommun sur lesquelles nous reviendrons: Les dnominations quilombos, mocambos, terra de preto,comunidades remanescentes de quilombos, comunidades negras rurais, comunidades de terreiro sontdes expressions qui dsignent des groupes sociaux afro-descendants amens au Brsil pendant la priodecoloniale, qui ont rsist ou, manifestement, se sont rebells contre le systme colonial et contre leurcondition de captifs, formant des territoires indpendants o la libert et le travail en commun se sontconstitus comme des symboles de diffrenciation du rgime de travail adopt par la mtropole. Leterme mocambo dsigne, comme celui de quilombo, les habitations desclaves marrons. Toutefois, dansla mesure o les anthropologues se sont attachs transformer en concept non pas le mocambo, maisle quilombo peut-tre parce que celui-ci semble davantage exprimer les rsistances lesclavage enraison de la dimension militaire qui lui est associe, je laisserai lanalyse de sa signification pour unarticle ultrieur.19 Voir Almeida, (1989) pour un examen de ces diffrentes appellations.20 Pour ltat du Maranho, lauteur trouve des situations dautoconsommation et dautonomie peu de distance de la maison des matres , montrant ainsi que le grand propritaire ntait pluslorganisateur de la production ds la seconde moiti du XVIIIesicle (Almeida 2002, p.54).

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    21 Cette rflexion est approfondie par Arruti (1997; 2006).22 Pour des exemples tirs de la littrature anthropologique de ces changements dans les identitssuccessivement assumes, voir Boyer (2010).23 Cest lun des thmes du livre dArruti (2006).24 La notion de territorialisation est dfinie comme un processus de rorganisation sociale quiimplique: 1)la cration dune nouvelle unit socioculturelle au moyen de ltablissement dune identitethnique diffrenciatrice; 2)la constitution de mcanismes politiques spcialiss; 3)la redfinition ducontrle social sur les ressources environnementales; 4)la rlaboration de la culture et de la relationavec le pass (Oliveira 1998, p.55).25 Ce nologisme, quemprunte Latouche (2001, p.13) Predrag Matvejevitch, est plus appropri queconvivialit pour traduire le terme portugais convivncia.26 Entre autres, voir Fonseca (1988) et Boyer (1993).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Vronique Boyer, Quest le quilombo aujourdhui devenu? De la catgorie coloniale au conceptanthropologique, Journal de la socit des amricanistes [En ligne], 96-2|2010, mis en ligne le 10dcembre 2014, consult le 20 janvier 2015. URL: http://jsa.revues.org/11579

    Rfrence papier

    Vronique Boyer, Quest le quilombo aujourdhui devenu? De la catgorie coloniale auconcept anthropologique, Journal de la socit des amricanistes, 96-2|2010, 229-251.

    propos de lauteur

    Vronique BoyerCERMA/MASCIPO, EHESS, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris [[email protected]]

    Droits dauteur

    Socit des Amricanistes

    Rsums

    Quest le quilombo aujourdhui devenu ? De la catgorie coloniale au conceptanthropologique. Depuis la publication de larticle68 de la Constitution brsilienne de 1988,lanthropologie commence sintresser lmergence dune identit quilombola dans unesocit o le quilombo est cens appartenir au pass. Des chercheurs entendent soumettrelancienne notion de quilombo un processus de re-smantisation afin de la transformeren un concept permettant dapprhender de nouvelles formes de mobilisation politique.Pour identifier et comprendre la singularit des groupes appels quilombolas, ces auteurssinterrogent sur la nature de leurs spcificits et sur les domaines de la vie sociale, culturelle,politique o elles se donnent voir. Il convient donc de dgager ce qui est commun auxdiffrentes approches, mais aussi ce qui les distingue, en indiquant comment la rflexion pouractualiser la dfinition de la notion de quilombola a t mene, partir de quel constat, enquels termes et selon quelles perspectivesThe construction of the quilombo object : from colonial category to anthropologicalconcept. After the enactment of the article68 of the 1988 Brazilian Constitution, anthropologybecame interested in the emergence of a quilombola identity in a society where the quilombois supposed to belong to the past. Researchers intend to submit the old notion of quilombo to

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    a process of evaluating its semantics (re-semantization). They aim to transform it into aconcept enabling to understand the reality of new forms of political mobilization. To identifyand understand the singularity of groups called Quilombola, these authors question the natureof their characteristics and the areas of social, cultural and political life where it is possible tocomprehend them. It is therefore necessary to identify what is common to different approaches,but also what distinguishes them by pointing out how the reflection and discussion to updatethe definition of the concept of quilombola was conducted, from which assumptions, withwhich terms and according to which perspectivesA construo do objeto quilombo: da categoria colonial ao conceito antropolgico. Apsa promulgao do artigo68 na Constituio brasileira de 1988, a antropologia comea a seinteressar pela emergncia de uma identidade quilombola numa sociedade que associao quilombo ao passado. Pesquisadores pretendem submeter a noo antiga de quilombo aum processo de ressemantizao, no intuito de transform-la num conceito pertinente paraapreender a realidade de novas formas de mobilizao poltica. Para entender qual seria asingularidade dos grupos chamados quilombolas, os autores refletem sobre a natureza de suasdiferenas com o resto da populao, bem como tentam identificar os domnios da vida social,cultural e poltica onde se manifestam. O artigo se prope examinar os rumos desta reflexoantropolgica sobre o quilombo, chamando ateno para o que comum a todas as abordagens,mas tambm para o que as distingue, indicando a partir de quais pressupostos, em que termose segundo quais perspectivas as anlises foram devenvolvidas.

    Entres dindex

    Mots-cls :quilombo, re-smantisationKeywords :quilombo, re-semantizationPalabras claves :quilombo, re-semantizaoGographique/ethnique :Afro-Brsiliens, Brsil, Noirs marronsThmatique/disciplinaire :Anthropologie

    Notes de la rdaction

    Manuscrit reu en mars 2009, accept pour publication en mai 2010