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J Radiol 2008;89:1764-6 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés lettre thorax Textilome intrathoracique découvert trente ans après une thoracotomie L Menassa-Moussa (1), T Elias (1), T Smayra (1), G Tabet (2), G Dabar (3), N Aoun (1) et M Ghossain (1) Key words: Gossypiboma. Surgical sponge. Foreign body. Postoperative. Mots-clés : Textilome. Compresse chirurgicale. Corps étranger. Postopératoire. e textilome, également appelé « gos- sybipoma », est une complication postopératoire très rare mais bien connue. « Gossypiboma » est un terme dérivé de gossypium signifiant coton en Latin et boma signifiant lieu de cachette en Swahili. Il est utilisé pour décrire un corps étranger composé de compresse(s) ou champ(s) chirurgicaux retrouvés au niveau d’un site opératoire (1-3). C’est une complication peu fréquente de la chi- rurgie abdominale et pelvienne, difficile à estimer (3) et très rare de la chirurgie tho- racique (2, 4-8). Cas clinique Un homme de 63 ans a été admis en urgence dans notre centre hospitalier en raison d’une hémoptysie. Dans ses antécé- dents, on notait la notion de chirurgie thoracique droite pour blessure de guer- re, il y a trente ans. Depuis, le patient est resté asymptomatique avant son épisode d’hémoptysie actuelle. La bronchoscopie a montré du pus endobronchique. Le scanner a montré une masse de l’espace pleural droit avec une condensation pul- monaire adjacente. La masse mesurait 12 × 5 cm et avait un aspect hétérogène. Elle contenait des bulles d’air et présen- tait une paroi épaisse, lamellaire. L’aspect était suggestif d’un textilome. Deux corps radio-opaques à l’intérieur de la masse étaient interprétés en premier lieu comme des éclats d’obus remontant à la blessure de guerre et c’est en regardant le scout view que le diagnostic a été rectifié (fig. 1 et 2). Une image kystique calcifiée en pé- L (1) Hôtel-Dieu de France, Service d’Imagerie Médicale, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban. (2) Hôtel-Dieu de France, Service de Chirurgie Cardiovasculaire et Thoracique, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban. (3) Hôtel-Dieu de France, Service de Pneumologie, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban. Correspondance : L Menassa-Moussa E-mail : [email protected] riphérie du lobe droit du foie a été égale- ment notée. Elle a été diagnostiquée comme un kyste hydatique quiescent (fig. 1). La chirurgie a confirmé le diagnos- tic de textilome, avec deux champs chirur- gicaux retenus dans l’angle costophrénique droit (fig. 3). Discussion Les compresses ou champs chirurgicaux laissés dans le corps peuvent être asymp- tomatiques comme ils peuvent provoquer une réponse granulomateuse avec forma- tion d’abcès. Les manifestations cliniques peuvent apparaître après une période va- riable voire prolongée après la chirurgie, à type de masse, douleur, occlusion, abcès ou fistule (1, 3, 5, 7, 9). Notre patient est resté asymptomatique trente ans après la thoracotomie. Le compte per-opératoire des compresses chirurgicales ne semble pas suffisant pour éliminer la notion de compresses laissées dans le site opératoire ; dans une série, ce compte fut correct chez 76 % des 29 patients ayant des compresses oubliées (10). En cas de décompte incor- rect, les radiographies sont le moyen le plus utilisé pour détecter les compresses, mais elles peuvent être négatives notam- ment avec certains types de compresses (11). Les compresses chirurgicales sont en général marquées par un fil radio-opaque fin et les champs par une petite bande radio- opaque ; certaines compresses utilisées en neurochirurgie sont plus difficiles à loca- liser. Dans certaines circonstances, des compresses marquées ne sont pas utilisées pour des raisons économiques. Une étude a montré une augmentation de la fré- quence du matériel chirurgical oublié Fig. 1 : Scout view montrant deux marqueurs radio-opaques se projetant en regard de la cavité thoracique droite et un éclat d’obus du flanc gauche (flèche noire). La forma- tion kystique calcifiée considérée comme un kyste hydatique quiescent est égale- ment visible sous un des marqueurs (flèche blanche).

Textilome intrathoracique découvert trente ans après une thoracotomie

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J Radiol 2008;89:1764-6© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

lettre

thorax

Textilome intrathoracique découvert trente ans après une thoracotomie

L Menassa-Moussa (1), T Elias (1), T Smayra (1), G Tabet (2), G Dabar (3), N Aoun (1) et M Ghossain (1)

Key words:

Gossypiboma. Surgical sponge. Foreign body. Postoperative.

Mots-clés :

Textilome. Compresse chirurgicale. Corps étranger. Postopératoire.

e textilome, également appelé « gos-sybipoma », est une complicationpostopératoire très rare mais bien

connue. « Gossypiboma » est un termedérivé de gossypium signifiant coton enLatin et boma signifiant lieu de cachetteen Swahili. Il est utilisé pour décrire uncorps étranger composé de compresse(s)ou champ(s) chirurgicaux retrouvés auniveau d’un site opératoire (1-3). C’estune complication peu fréquente de la chi-rurgie abdominale et pelvienne, difficile àestimer (3) et très rare de la chirurgie tho-racique (2, 4-8).

Cas clinique

Un homme de 63 ans a été admis enurgence dans notre centre hospitalier enraison d’une hémoptysie. Dans ses antécé-dents, on notait la notion de chirurgiethoracique droite pour blessure de guer-re, il y a trente ans. Depuis, le patient estresté asymptomatique avant son épisoded’hémoptysie actuelle. La bronchoscopiea montré du pus endobronchique. Lescanner a montré une masse de l’espacepleural droit avec une condensation pul-monaire adjacente. La masse mesurait12

×

5 cm et avait un aspect hétérogène.Elle contenait des bulles d’air et présen-tait une paroi épaisse, lamellaire. L’aspectétait suggestif d’un textilome. Deux corpsradio-opaques à l’intérieur de la masseétaient interprétés en premier lieu commedes éclats d’obus remontant à la blessurede guerre et c’est en regardant le scoutview que le diagnostic a été rectifié

(fig. 1et 2).

Une image kystique calcifiée en pé-

L

(1) Hôtel-Dieu de France, Service d’Imagerie Médicale, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban. (2) Hôtel-Dieu de France, Service de Chirurgie Cardiovasculaire et Thoracique, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban. (3) Hôtel-Dieu de France, Service de Pneumologie, rue Alfred Naccache, Beyrouth, Liban.Correspondance : L Menassa-MoussaE-mail : [email protected]

riphérie du lobe droit du foie a été égale-ment notée. Elle a été diagnostiquéecomme un kyste hydatique quiescent

(fig. 1)

. La chirurgie a confirmé le diagnos-tic de textilome, avec deux champs chirur-gicaux retenus dans l’angle costophréniquedroit

(fig. 3)

.

Discussion

Les compresses ou champs chirurgicauxlaissés dans le corps peuvent être asymp-tomatiques comme ils peuvent provoquerune réponse granulomateuse avec forma-tion d’abcès. Les manifestations cliniquespeuvent apparaître après une période va-riable voire prolongée après la chirurgie,à type de masse, douleur, occlusion, abcèsou fistule (1, 3, 5, 7, 9). Notre patient estresté asymptomatique trente ans après la

thoracotomie. Le compte per-opératoiredes compresses chirurgicales ne semblepas suffisant pour éliminer la notion decompresses laissées dans le site opératoire ;dans une série, ce compte fut correct chez76 % des 29 patients ayant des compressesoubliées (10). En cas de décompte incor-rect, les radiographies sont le moyen leplus utilisé pour détecter les compresses,mais elles peuvent être négatives notam-ment avec certains types de compresses(11). Les compresses chirurgicales sont engénéral marquées par un fil radio-opaquefin et les champs par une petite bande radio-opaque ; certaines compresses utilisées enneurochirurgie sont plus difficiles à loca-liser. Dans certaines circonstances, descompresses marquées ne sont pas utiliséespour des raisons économiques. Une étudea montré une augmentation de la fré-quence du matériel chirurgical oublié

Fig. 1 : Scout view montrant deux marqueurs radio-opaques se projetant en regard de la cavité thoracique droite et un éclat d’obus du flanc gauche (flèche noire). La forma-tion kystique calcifiée considérée comme un kyste hydatique quiescent est égale-ment visible sous un des marqueurs (flèche blanche).

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en temps de guerre (4). Dans ces cas, onne doit pas confondre les marqueurs ra-dio-opaques avec les éclats d’obus. Mal-gré ces difficultés, la radiographie duthorax reste l’élément essentiel du dia-gnostic. Au scanner, en l’absence d’uneradiographie du thorax, l’inspection duscout-view peut être utile pour détecterun marqueur radio-opaque à cause desartefacts de durcissement qui rendentl’aspect des corps métalliques moins évi-dent sur les coupes axiales (fig. 1 et 2) (3).En faisant abstraction des différentsmarqueurs radio-opaques, l’aspect sca-nographique du textilome est d’unegrande variabilité, en fonction du maté-riel chirurgical oublié et du type de réac-tion qu’il cause dans le corps. C’est engénéral, une masse bien limitée, ne prenantpas le produit de contraste, avec une pa-roi épaisse et une zone centrale d’aspect

variable. Cette dernière peut être homo-gène dense mais elle est en général hété-rogène avec un aspect strié, en mottes,spongiforme ou plissé. Elle peut contenirdes calcifications en amas. Des bullesd’air peuvent être présentes (1-3, 7, 8, 12,13). Dans la série de Buy, et al. (1) leschamps présentaient un aspect interneplissé alors que les compresses présen-taient un aspect spongiforme ; dans notrecas cependant, un aspect spongiformeétait associé à des champs. L’aspect varia-ble des textilomes peut mener à de mau-vaises interprétations diagnostiques. Enradiographie standard, le diagnostic estessentiellement basé sur la détection desmarqueurs (3). Au scanner, un textilomepeut être confondu avec une collectionpostopératoire, un hématome, ou une tu-meur. Toutefois, si l’aspect spongiformetypique ou plissé est vu avec un mar-

queur radio-opaque, le diagnostic correctde textilome peut être posé avec fiabilité.Ce diagnostic peut être également poséen l’absence de marqueur radio-opaquevisible (1). L’échographie et l’IRM peu-vent montrer une masse avec une archi-tecture interne évocatrice de textilome,mais elles ont le désavantage par rapportau scanner de ne pas pouvoir identifierles marqueurs radio-opaques bien visi-bles sur les scout-views scanographiques(1, 3). Les compresses hémostatiques ré-sorbables, de plus en plus utilisées par leschirurgiens pour le contrôle d’un saigne-ment intra-opératoire peuvent avoir unaspect bulleux qui simule celui des texti-lomes (3). Néanmoins, la connaissance deleur usage lors d’une chirurgie récente,l’absence de marqueur radio-opaque etleur disparition sur des examens de suivipermettent de poser le bon diagnostic.

Fig. 2 : Scanner abdomino-pelvien, avec injection de produit de contraste, montranta Un marqueur radio-opaque avec un artefact de durcissement vu dans l’espace pleuralb Une formation avec un aspect spongiforme, des bulles d’air et une paroi lamellaire.

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Fig. 3 : Photographies montrant deux champs opératoires avec marqueur bleu radio-opaque attaché (flèche).

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