Upload
others
View
8
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Topiltzin actor
Topiltzin Actor
ArtĂculo recibido el 1 de febrero de 19; aceptado el de agosto de 19; https://doi.org/1.1/iie.18736e..117.73
Arnold Lebeuf Jagiellonian University, Cracovia, Institut dâHistoire des Religions, [email protected]
LĂneas de investigaciĂłn Historia y mitologĂa de MesoamĂ©rica; religiĂłn, ritual y teatro.
Lines of research History and myths of Mesoamerica; religion, ritual and theater.
PublicaciĂłn mĂĄs relevante Arnold Lebeuf, Les Ă©clipses dans lâancien Mexique (Cracovia: Jagiello-nian University Press, 3).
Resumen Este ensayo analiza las cuatro pĂĄginas de los Anales de Cuauhtitlan que tratan la vida y muerte de QuetzalcĂłatl. En Ă©l, me ciño a un punto de vista: revisar las fuentes histĂłricas que refieren a QuetzalcĂłatl a la luz de lo que sabemos del teatro del misterio religioso en el MĂ©xico pre-hispĂĄnico, representaciones teatrales que culminan con el sacrificio del actor principal o bien de toda la agrupaciĂłn. Algunos autores opinan que QuetzalcĂłatl fue un personaje histĂłrico y otros que fue una figu-ra Ășnicamente mĂtica, aunque es posible que fuese ambos. Los Anales de Cuauhtitlan describen una o mĂĄs representaciones histĂłricas de un libreto mitolĂłgico.
Palabras clave QuetzalcĂłatl; sacrificio humano; teatro en el MĂ©xico antiguo.
Abstract This essay analyses the four pages the Annals of Cuauhtitlan that pre-sent the life and death of Quetzalcoatl. Bound by a single objective, I review sources concerning Quetzalcoatl taking into account what we know about religious mystery theatre in ancient Mexico, those thea-trical representations culminating in the sacrifice of the leading actor and sometimes of the entire troupe. Some authors claim Quetzalcoatl was an historical figure, whereas others sustain he was purely mytholo-gical; although he probably was both. The Annals of Cuauhtitlan des-cribe one or more historical representations of a mythological script.
Keywords Quetzalcoatl; human sacrifice; theatre in ancient Mexico.
ANALES DEL INSTITUTO DE INVESTIGACIONES ESTĂTICAS, VOL. XLII, NĂM. 117, 179
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
18
RĂ©sumĂ© Cet essai analyse les quatre pages du texte des Annales de Cuauhtitlan qui traitent de la vie et de la mort de QuetzalcĂłatl. Je me suis limitĂ© Ă un seul point de vue : celui de relire les sources concernant Quetzal-cĂłatl Ă la lumiĂšre de ce que nous savons du mystĂšre religieux dans le Mexique prĂ©hispanique, reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales se terminant par le sacrifice de lâacteur principal et parfois de tout son entourage. Quet-zalcĂłatl fut-il un personnage historique comme le soutiennent les uns ou une figure mythique comme lâaffirment les autres ? Il est possible quâil ait Ă©tĂ© tout Ă la fois entiĂšrement mythologique et entiĂšrement his-torique parce que le texte des Annales fait rĂ©fĂ©rence Ă une ou des reprĂ©-sentations jouĂ©es historiquement dâun libretto mythologique.
Mots-clĂ©s QuetzalcĂłatl; sacrifice humain; thĂ©Ăątre dans lâancien Mexique.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
181
ARNOLD LEBEUFjagllnan unvsty, plna
Topiltzin actor
Consideramos como culminaciĂłn de la representaciĂłn tĂpica de un rito prehispĂĄnico el sacrificio de una vĂctima humana, donde la ficciĂłn ritual se derrama dramĂĄticamente en la realidad. Patrick Johansson1
Le prĂ©sent texte constitue une partie dâun manuscrit plus Ă©tendu sur les quatre pages du texte des Annales de Cuauhtitlan qui traitent de la vie de QuetzalcĂłatl. Les commentaires concernant ce personnage sont nom-
breux. Certains ont Ă©tĂ© Ă©crits dĂšs le v siĂšcle par les chroniqueurs espagnols et dâautres par des indigĂšnes Ă©levĂ©s dans lâancien systĂšme, ou leurs descen-dants directs, mĂ©tis christianisĂ©s et Ă©duquĂ©s Ă lâespagnole, souvent bien infor-mĂ©s, conscients et fiers de leur passĂ©. Tous, bien que pour des motifs diffĂ©rents, voulaient noter et sauver de lâoubli ce quâil restait de lâancienne culture dâavant la conquĂȘte. Depuis les premiĂšres mentions de QuetzalcĂłatl aux tout dĂ©buts de la conquĂȘte espagnole et jusquâaujourdâhui, cet intĂ©rĂȘt ne sâest jamais tari. Les Ă©tudes sur QuetzalcĂłatl sont trĂšs nombreuses, de sorte que reprendre le sujet pourrait paraĂźtre une entreprise vaine et inutile. Henri B. Nicholson et Michel Graulich3 nous en ont livrĂ© des historiographies trĂšs Ă©rudites et
1. Patrick Johansson, «La mort de Quetzalcóatl: un modÚle exemplaire pour les obsÚques des seigneurs mexicains», Caravelle. Cahiers du Monde Hispanique et Luso-Brésilien, nr.78 (): 5-36.
. Henri B. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord of the Toltecs (Boul-der: University Press of Colorado, 1).
3. Michel Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan (Anvers: Instituut voor Amerikanis-
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
18 anl lbuf
parfaitement documentĂ©es. Bien dâautres auteurs ont aussi rapportĂ©, commen-tĂ© et discutĂ© dâabondance les sources et les hypothĂšses de leurs prĂ©dĂ©cesseurs Ă propos de QuetzalcĂłatl. Il ne sâagit donc pas ici dâessayer dâexploiter lâen-semble de la littĂ©rature pour la discuter, puisque cela a dĂ©jĂ Ă©tĂ© fait de maniĂšre trĂšs satisfaisante et selon divers Ă©clairages et points de vue, mais de se concen-trer sur les paragraphes 7-5 des Annales de Cuauhtitlan,4 quatre pages5 dâune Ă©criture serrĂ©e traitant de QuetzalcĂłatl, le roi de Tollan, qui constituent en quelque sorte le noyau dur de tout ce qui peut se rapporter Ă ce personnage. Ce texte est dâune singuliĂšre sobriĂ©tĂ©. Il nous manquera Ă tout jamais la richesse expressive de sa dĂ©clamation ou de ses reprĂ©sentations, gestes, mimes, chorĂ©-graphies, accompagnements sonores de tambours, flĂ»tes, grelots, cris, silences et les dĂ©cors de fleurs et de plumes, les nuages de fumĂ©e de copal, la fascina-tion silencieuse des auditeurs, les dĂ©bordements Ă©motifs des spectateurs, le giclement du sang. Mais dâautres textes, dâautres reprĂ©sentations, les commen-taires naĂŻfs ou savant peuvent nous aider un peu Ă nous imaginer ce qui habil-lait autrefois ce squelette:
Se entiende sin dificultad lo que perderĂĄ la sĂntesis expresiva vocal cuando ven-gan a desaparecer en la escritura alfabĂ©tica el esplendor de los trajes, el oro y las plumas, significaciĂłn simbĂłlica inmanente al personaje que ninguna mediaciĂłn verbal podrĂa reproducir sin oscurecerla.6
Je me suis limitĂ© Ă un seul point de vue, celui de relire les sources concernant QuetzalcĂłatl Ă la lumiĂšre de ce que nous savons du mystĂšre religieux dans le Mexique prĂ©hispanique, reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales se terminant invariablement par le sacrifice de lâacteur principal et parfois de tout son entourage. Ici enco-re, les travaux sur le thĂ©Ăątre et sur le sacrifice de Ăngel MarĂa Garibay;7 YĂłlotl
tik, 1988); Michel Graulich, «Los reyes de Tollan», Revista Española de AntropologĂa Americana, nr. 3 (): 87-114.
4. Selon la classification des Annales de Cuauhtitlan, in CĂłdice Chimalpopoca, Anales de Cuauhtitlan y Leyenda de los Soles, Primo Feliciano VelĂĄsquez, ed. y trad. (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 1975), IX-X.
5. Les 6 derniĂšres lignes de la page 3 du manuscrit; les pages 4,5,6,7; et les 4 premiĂšres lignes de la page 8.
6. Patrick Johansson, La palabra, la imagen y el manuscrito (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 4), 86.
7. Ăngel MarĂa Garibay K., Historia de la literatura nĂĄhuatl (MĂ©xico: PorrĂșa 1953-1954).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 183
1) Ehecatl QuetzalcĂłatl, lâacteur Topiltzin, pantin de terre cuite. Museo de TehuacĂĄn, Puebla. SecretarĂa de Cultura-nah-. âReproducciĂłn autorizada por el Instituto Nacional de AntropologĂa e Historiaâ.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
184 anl lbuf
GonzĂĄles;8 Michel Graulich;9 Miguel LeĂłn Portilla;1 Alfredo LĂłpez Austin;11 Patrick Johansson;1 Fernando Horcasitas,13 sont trĂšs utiles et facilitent grande-ment la tĂąche. Il nây a guĂšre de sources utiles que ces auteurs nâaient signalĂ©es et discutĂ©es en ce qui concerne les trois pieds de mon objectif:
1) Les traditions concernant QuetzalcĂłatl.) Le sacrifice humain dans le Mexique prĂ©hispanique.3) Les reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales du mystĂšre divin dans lâancien Mexique.
Comme tout ou presque a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dit, mon apport propre se borne donc Ă rĂ©examiner les sources dâun point de vue diffĂ©rent, Ă changer dâoptique et dâĂ©c-lairage. QuetzalcĂłatl fut-il un personnage historique comme le soutiennent les uns ou une figure mythique comme lâaffirment les autres? Il est possible que ces luttes incessantes entre les tenants de la thĂšse historique et ceux de lâex-plication mythologique aient Ă©tĂ© inutiles, que les uns comme les autres aient eu raison et que le personnage en question, QuetzalcĂłatl, ait Ă©tĂ© tout Ă la fois entiĂšrement mythologique et entiĂšrement historique. Comment justifier une telle gageure? La solution serait la suivante. Lâhistoire de QuetzalcĂłatl, grand roi des ToltĂšques et grand dieu de nombreuses cultures de MĂ©soamĂ©rique durant des siĂšcles est de pure mythologie, certes, mais comme en MĂ©soamĂ©-rique la religion se prĂ©sentait principalement comme rituel, comme reprĂ©-sentation thĂ©Ăątrale de la vie et de la mort des dieux, cette mythologie avait Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e publiquement de trĂšs nombreuses fois dans de nombreuses rĂ©gions et durant de longs siĂšcles. Ces rituels et reprĂ©sentations avaient donc Ă©tĂ©, eux, on ne peut plus historiques. Il me semble que le texte des Annales de
8. YĂłlotl GonzĂĄlez Torres, El sacrificio humano entre los mexicas (Ciudad de MĂ©xico: Fondo de Cultura EconĂłmica/Instituto Nacional de AntropologĂa e Historia, 6).
9. Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan; Michel Graulich, Montezuma ou lâapogĂ©e et la chute de lâempire aztĂšque (Paris: Fayard, 1994); Graulich, «Los reyes de Tollan»; Michel Graulich, Le Sacrifice humain chez les AztĂšques (Paris: Fayard, 5).
1. Miguel León Portilla, «Teatro nåhuatl prehispånico», La Palabra y el Hombre. Revista de la Universidad Veracruzana (1959).
11. Alfredo LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 1998).
1. Patrick Johansson, Teatro mexicano y dramaturgia (Ciudad de México: Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, 199); Johansson, «La Mort de Quetzalcóatl»; Johansson, La pala-bra, la imagen y el manuscrito.
13. Fernando Horcasitas, El teatro nĂĄhuatl, Ă©pocas novohispana y moderna (Ciudad de MĂ©xi-co: Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 4).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 185
Cuauhtitlan nâest ni mythologique ni historique mais les deux Ă la fois, par-ce quâil fait rĂ©fĂ©rence Ă une ou des reprĂ©sentations jouĂ©es historiquement dâun mystĂšre divin considĂ©rĂ© comme Ă©ternel, anhistorique.
Les Annales de Cuauhtitlan sont une composition anonyme en langue nahuatl. AprĂšs une discussion serrĂ©e des origines possible de ce texte, Primo Feliciano VelĂĄzquez conclue quâil est trĂšs probable quâil ait Ă©tĂ© composĂ© par Alonso Vexerano de Cuauhtitlan, Martin Jacobita de Tlaltelolco et Pedro de San Buenaventura de Cuauhtitlan entre 1558 et 157 et aurait fait partie des rap-ports et manuscrits rĂ©digĂ©s Ă la demande de SahagĂșn.14 Ceci est bien possible puisque de tous les textes concernant la saga de QuetzalcĂłatl, ceux du manus-crit nahuatl du CĂłdice Matritense 15 sont les plus proches du texte des Annales de Cuauhtitlan. Le texte des Annales serait donc le document original qui ser-vit Ă SahagĂșn Ă recomposer son «Histoire» de QuetzalcĂłatl, ce qui nous le rend dâautant plus prĂ©cieux. Les auteurs prĂ©sumĂ©s Ă©taient selon SahagĂșn lui-mĂȘme les plus savants de ses informateurs. Garibay pense que le texte des Annales est une compilation de fragments poĂ©tiques mutilĂ©s et mal conservĂ©s: «Una larga serie de fragmentos en que se canta la vida, hechos y ruina de QuetzalcĂłatl⊠mutilado y mal conservado, es con todo de la mĂĄs valiosa aportaciĂłn de este gĂ©nero».16 Mais que veut dire exactement Garibay par ce terme de «chanter»? A-t-il utilisĂ© ici une forme littĂ©raire du verbe conter, ou dĂ©clamer une Ă©popĂ©e? faire des louanges? ou, parlant au sens strict, veut-il dĂ©signer une piĂšce chan-tĂ©e, accompagnĂ©e de musique et autres dĂ©cors? le texte des Annales serait alors ce quâil resterait dâune reprĂ©sentation bien plus fastueuse, plus proche des tra-ditions de lâopĂ©ra que du rĂ©cit historique, lâopĂ©ra des dieux.
14. Annales de Cuauhtitlan, IX-X.15. Bernardino de SahagĂșn, CĂłdice Matritense de la Real Academia de la Historia, textos
en nĂĄhuatl de los indĂgenas informantes de SahagĂșn, ediciĂłn facsimilar de Paso y Troncoso (Madrid: Hauser y Menet, 197); Bernardino de SahagĂșn, «CĂłdice Matritense», en Primeros memoriales, Wigberto JimĂ©nez Moreno, trad., prĂłl. y comentarios (Ciudad de MĂ©xico: Ins-tituto Nacional de AntropologĂa e Historia, 1974); Bernardino de SahagĂșn, «CĂłdice Matri-tense», Primeros memoriales. Paleography of NĂĄhuatl Text and English Translation, Thelma Sullivan, ed., Completed and Revised, with Additions, by Henry B. Nicholson, Arthur J.O. Anderson, Charles E. Dibble, Eloise Quiñones Keber and Wayne Ruwet (Norman: University of Oklahoma Press,1997); SahagĂșn, CĂłdice Matritense del Real Palacio, fols. 161v y ss., 13v-134v. versiĂłn de A. M. Garibay, in Miguel LeĂłn-Portilla, ed., AnĂłnimo. Cantos y crĂłnicas del MĂ©xico antiguo (Madrid: Dastin, ), 58-6; 76-77.
16. Garibay, Historia de la literatura nĂĄhuatl, I, 84.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
186 anl lbuf
Nicholson Ă©crit:
This important Nahuatl document is an unusually rich compilation of a large number of local histories of various important centres in the Basin of MĂ©xico and the Basin of Puebla. Unfortunately, the anonymous compiler(s) tried to force all these independent traditions into a continuous chronological framework, thereby producing a highly artificial and distorted account.17
Plus loin il ajoute, en se rapprochant de Garibay:
It almost certainly hails from some major centre in the Basin of MĂ©xico. Its exact date can also only be guessed at. It bears every indication however, of being deri-ved from a genuine pre-Conquest narration, quite possibly in metered verse, and must have been recorded before the last elders educated in the calmecac had begun their journey to the Nine Fold Stream.18
MalgrĂ© toutes mes rĂ©ticences Ă accepter la thĂšse abusivement historique de Nicholson, ce commentaire ne pouvait que me plaire, que dit-il? -Quâen fait, les Annales de Cuauhtitlan pourraient bien ĂȘtre ce quâil reste dâun texte versi-fiĂ©, et pour le MĂ©xique prĂ©hispanique ceci implique nĂ©cessairement une piĂšce jouĂ©e et mimĂ©e avec musique et dance, dĂ©cors et mise en scĂšne, et que son origine est authentiquement prĂ©hispanique. Et dâailleurs, le mĂȘme Nichol-son qui dĂ©fend contre vents et marĂ©es la thĂšse historique note trĂšs lumineuse-ment dans ses conclusions que lâanalyse de toutes les sources prĂ©sente: «A kind of tragic âdrama in seven acts,â then, can be tentatively reconstructed as the most fundamental version of the tale as known from the core group of Cen-tral Mexican sources».19 Les Annales de Cuauhtitlan sont donc une compilation dâĆuvres plus anciennes, sans doute abrĂ©gĂ©es, ce qui est bien regrettable, parce que les sources dans lesquelles a puisĂ© le rĂ©dacteur de ce manuscrit sont dâune exceptionnelle richesse et chaque mot y compte. Je ne serais pas bien dâaccord avec le jugement sĂ©vĂšre de Garibay selon lequel le texte serait mutilĂ© et mal conservĂ©. Quâil ait Ă©tĂ© Ă©courtĂ©, soit, mais ce quâil en reste me semble excep-tionnellement bien conservĂ©, et bien que de toute Ă©vidence il sâagisse dâun
17. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 39.18. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 39.19. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 5.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 187
collage de fragments provenant de sources diverses, comme le voit aussi Grau-lich: «El autor desconocido de los Annales de Cuauhtitlan compone su obra basĂĄndose en fuentes diferentes, de lo que resultan confusiones», ces frag-ments ont Ă©tĂ© assemblĂ©s de maniĂšre Ă en faire une nouvelle Ćuvre dâart dont la composition ne laisse pas Ă dĂ©sirer, Ă la maniĂšre de ces masques funĂ©raires en mosaĂŻques de jade dont les morceaux peuvent provenir de piĂšces rĂ©cupĂ©rĂ©es sur dâautres compositions dĂ©truites mais ont Ă©tĂ© parfaitement rĂ©assemblĂ©s pour en faire une nouvelle Ćuvre structuralement parfaite. Leurs auteurs premiers faisaient certainement partie de ces indigĂšnes de classe supĂ©rieure eux-mĂȘmes directement Ă©duquĂ©s dans les traditions prĂ©colombiennes quâils rapportent. A ce quâil me semble, dans les Annales de Cuauhtitlan en gĂ©nĂ©ral et dans cette partie en particulier, lâinfluence europĂ©enne est nĂ©gligeable et ne dĂ©passe pas lâusage de qualificatifs tels que celui de dĂ©mon 1 pour dĂ©signer TezcatlipĂłca ou de formules conventionnelles telles que le On dit que dans son idolĂątrie. A part ces quelques rajouts diplomatiques, le texte est dâune parfaite authenticitĂ©. Les mythes ont la vie dure et rĂ©sistent aux pires destructions parce quâils ont, comme les hydres, la facultĂ© de se reconstituer Ă partir dâun quelconque frag-ment: «La vie dâun peuple renferme des Ă©lĂ©ments intimes qui non seulement triomphent du choc le plus violent, mais se maintiennent Ă travers les Ăąges et arrivent presque dans toute leur intĂ©gritĂ© jusquâĂ la postĂ©ritĂ© la plus Ă©loignĂ©e».3 Il serait bien Ă©tonnant que ce texte ne soit pas original puisque les autres textes que nous possĂ©dons, bien que provenant de divers auteurs indĂ©pendants et de diverses cultures et Ă©poques, se complĂštent et se confirment les uns les autres en dĂ©pit des variantes et des apparentes contradictions. Nous ne pouvons sĂ©rieuse-ment croire que les auteurs du v siĂšcle aient tous recopiĂ© une seule et mĂȘme source ou se soient tous plagiĂ©s les uns les autres, et dâailleurs, si câĂ©tait le cas, les ressemblances seraient bien plus serrĂ©es, les diffĂ©rentes versions seraient qua-si identiques, ce qui nâest pas le cas.
. Graulich, Quetzalcóatl y el espejismo de Tollan, 91.1. Annales, 38; Johansson, La mort de Quetzalcóatl, 18, traduit littéralement «Hommes-hi-
boux» du nahuatl «tlatlacatecolo», qui se traduit gĂ©nĂ©ralement par sorcier, dĂ©mon, mais peut aussi dĂ©signer un prĂȘtre.
. Annales de Cuauhtitlan, 36.3. Remi Siméon, Introduction à Chimalpahin, sixiÚme et septiÚme relation (Paris: Maison-
neuve et Leclerc, eds., 1889), introd. VI.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
188 anl lbuf
Voyons Mendieta:
Otros dijeron que Tezcatlipoca (de quien arriba se hizo menciĂłn, que era el Ădolo principal de MĂ©xico) habĂa descendido del cielo descolgĂĄndose por una soga que habĂa hecho de tela de araña, y que andando por este mundo desterrĂł ĂĄ Quet-zalcĂłatll, que en Tulla fuĂ© muchos años señor, porque jugando con Ă©l a la pelo-ta, se volviĂł en tigre, de que la gente que estaba mirando se espantĂł en tanta manera, que dieron todos a huir, y con el tropel que llevaban y ciegos del espan-to concebido, cayeron y se despeñaron por la barranca del rĂo que por allĂ pasa, y se ahogaron; y que el TezcatlipĂłca fuĂ© persiguiendo al dicho QuetzalcĂłatll de pueblo en pueblo, hasta que vino a Cholula, donde le tenĂan por principal Ădo-lo, y allĂ se guareciĂł y estuvo ciertos años. Mas al fin el Tezcatlipuca, como mĂĄs poderoso, le echĂł tambiĂ©n de allĂ, y fueron con Ă©l algunos de sus devotos hasta cerca de la mar, donde dicen Tlillapa Ăł Tizapan, y que allĂ muriĂł y le quemaron el cuerpo; y que de entonces les quedĂł la costumbre de quemar los cuerpos de los señores difuntos. Y que el alma del dicho QuetzalcĂłatl se volviĂł en estrel-la, y que era aquella que algunas veces se ve echar de sĂ un rayo como lanza: y algunas veces se ha visto en esta tierra la tal cometa o estrella, y tras ella se han visto seguir pestilencias en los indios, y otras calamidades [âŠ]. Pues volviendo al QuetzalcĂłatl, algunos dijeron que era hijo del Ădolo Camaxtli, que tuvo por mujer ĂĄ Chimalma, y de ella cinco hijos, y de esto contaban una historia muy larga. Otros decĂan, que andando barriendo la dicha Chimalma, hallĂł un chal-chihuitl (que es una pedrezuela verde) y que la tragĂł, y de esto se empreñó, y que asĂ pariĂł al dicho QuetzalcĂłatll.4
Il est clair quâil sâagit dâune autre source trĂšs diffĂ©rente de celle des Annales de Cuauhtitlan, mais nous y trouvons pourtant plusieurs points communs et des convergences. Nous remarquerons aussi que chez Mendieta ce texte concernant QuetzalcĂłatl est inclus dans le paragraphe dĂ©diĂ© ĂĄ Tezcatlipo-ca! Parfois ennemis et parfois frĂšres et collaborateurs dans la mĂȘme Ćuvre de crĂ©ation.
4. GerĂłnimo de Mendieta, Historia eclesiĂĄstica indiana, 4 vols. (Ciudad de MĂ©xico: Salva-dor ChĂĄvez Hayhoe, 1945), 88-89, in Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan, 18.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 189
Les origines chrétiennes de Quetzalcóatl
Bien que je trouve des idĂ©es intĂ©ressantes dans lâarticle dâEmanuela MĂłnaco,5 je ne puis ĂȘtre dâaccord avec son interprĂ©tation structurale brossant un por-trait de QuetzalcĂłatl taillĂ© sur mesure pour plaire aux chrĂ©tiens espagnols. Les catĂ©gories et les questions mises en Ćuvre dans ce texte sont trop universelles et trop profondes pour ne pas ĂȘtre authentiques. Bien que je ne crois pas du tout dans ce cas Ă un problĂšme de diffusion historique, lâauteur qui remarque si justement que: No casualmente Quetzalpetlatl significa «trono y poder del quetzal» (es suficiente recordar que Isis significa «trono»),6 aurait pu Ă©viter de prendre Ă la lĂ©gĂšre la saintetĂ© de lâinvitation Ă lâivresse que QuetzalcĂłatl prĂ©-sente Ă sa sĆur. Lâauteur abonde dans lâinterprĂ©tation du pĂ©chĂ©, de la chute morale de QuetzalcĂłatl:
La acciĂłn llevada a cabo por QuetzalcĂłatl en estado de ebriedad â la de llamar a su hermana â seguramente responde a una interpretaciĂłn del episodio en tĂ©rminos morales. Ăl, vencido por los demonios tentadores, arrastra en su corrupciĂłn a una mujer, y, por añadidura, a una mujer que, siendo su hermana, con mayor razĂłn la habrĂa tenido que proteger y preservar del mal y de la corrupciĂłn. La acciĂłn apa-rece mucho mĂĄs indigna ya que Quetzalpetlatl se dedica a una vida de santidad.7
Le fait est plutĂŽt que lorsque lâon vient chercher Quetzalpetlatl pour lâof-frir Ă QuetzalcĂłatl, le roi, le grand prĂȘtre, elle nâoppose aucune rĂ©sistance, au contraire, elle rĂ©pond, Ă la bonne heure: «Sea en hora buena. Vamos, abuelo y pajeâ, selon le texte, et âVoy inmediatamente»⊠selon lâauteur.8 Quelque chose ne va pas dans cette interprĂ©tation de la chute morale. Et puis, les Ă©lĂ©-ments qui composent ce texte sont trop bien confirmĂ©s par dâautres aspects des cultures prĂ©hispaniques de MĂ©soamĂ©rique, par lâiconographie et lâarchĂ©ologie et trouvent trop de parallĂšles frappants et significatifs chez dâautres peuples du grand ensemble des cultures indigĂšnes de lâAmĂ©rique pour avoir Ă©tĂ© emprun-tĂ©s Ă lâEurope chrĂ©tienne. Il suffit dâailleurs de lire les quelques pages que Die-go DurĂĄn consacre Ă Topiltzin QuetzalcĂłatl pour voir quâen toute honnĂȘtetĂ©,
5. Emanuela MĂłnaco, «QuetzalcĂłatl de Tollan», ArqueologĂa 19, segunda Ă©poca (1998): 119-155.
6. Mónaco, «Quetzalcóatl de Tollan», 137.7. Mónaco, «Quetzalcóatl de Tollan», 136-137.8. Mónaco, «Quetzalcóatl de Tollan», 136.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
19 anl lbuf
il ne doutait pas un instant de lâoriginalitĂ© des lĂ©gendes, des signes et des gestes rapportĂ©s par les indigĂšnes de la Nouvelle Espagne. Bien au contraire, certaines dĂ©clarations des indigĂšnes ou lâobservation de certains rites et cou-tumes le laissĂšrent stupĂ©fait, essayant de comprendre les inquiĂ©tantes simila-ritĂ©s que ces traditions prĂ©sentaient avec lâenseignement des Ă©vangiles. DurĂĄn croit y trouver lâeffet dĂ©formĂ©, abĂątardit dâune Ă©vangĂ©lisation prĂ©coce des Indes par saint Thomas:
Las azañas y maravillas de Topiltzin y de sus hechos heroicos son tan celebrados entre los indios y tan mentados y casi con apariencias de milagros, que no sĂ© quĂ© me atreva a afirmar ni escribir de ellos, sino que en todo me sujeto a la correcciĂłn de la santa iglesia catĂłlica. Porque aunque me quiera atar al sagrado evangelio que dice por San Marcos que mandĂł Dios a sus sagrados apĂłstoles que fuesen por el mundo y predicasen el evangelio a toda criatura, prometiendo a los que creyesen y fuesen bautizados la vida eterna, no me osarĂ© afirmar en que este varĂłn fuese algĂșn apĂłstol bendito. Pero gran fuerza me hace su vida y obras a pensar que, pues estas eran creaturas de Dios racionales y capaces de la bienabenturanza, que no las dejarĂa sin predicador, y si le hubo fue Topiltzin. El cual aportĂł a esta tier-ra, y segĂșn la relaciĂłn del se da, era cantero que entallaba imĂĄgenes en piedra y las labraba curiosamente. Lo cual leemos del glorioso Santo TomĂĄs.9
Les ressemblances avec le christianisme sont trop frappantes pour ne pas inquiĂ©ter un homme aussi instruit que Fray Diego DurĂĄn, chroniqueur, thĂ©o-logien et prĂȘtre catholique qui revient plusieurs fois sur son Ă©tonnement:
Es de notar que la figura presente se solemnizaba en nombre de âPadreâ que quiere decir tota, para que sepamos que reverenciaban al padre y al hijo y al espĂritu san-to, y decĂan tota, topiltzin y yolometl, los cuales vocables quieren decir ânuestro padre, y nuestro hijo y el corazon de ambosâ, haciendo fiesta a cada uno en par-ticular y a todos tres en uno, donde se nota la noticia que hubo de la trinidad entre esta gente.3
A veinte de marzo, un dĂa despuĂ©s que agora la iglesia sagrada celebra la fies-ta del glorioso San Josef, celebraban en esta tierra los indios una solemnĂsima
9. Diego DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España e Islas de la Tierra Firme, A. M. Garibay, ed., vols. (MĂ©xico: PorrĂșa, 1984), 9-1.
3. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: VIII: 86.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 191
fiesta y tan regocijada y ensangrentada y tan a costa de hombres, que no habĂa otra mĂĄs que ella. LlamĂĄbanla Tlacaxipeualiztli que quiere decir «desollamento de hombres», y era la primera fiesta del año de las del nĂșmero de su calendario, que ellos celebraban de veinte en veinte dĂas. En la cual, demĂĄs de ser de las fiestas de este nĂșmero, celebraban en ella a vn Ădolo que, con ser vno, lo adoraban debajo de tres nombres, y, con tener tres nombres, lo adoraban por uno, casi a la mesma manera que nosotros creemos en la SantĂsima Trinidad, que es tres personas dis-tintas y un solo Dios verdadero: asĂ esta gente creĂa en este Ădolo ser vno por debajo de tres nombres, los quales eran Totec, Xipe, Tlatlauhqui Tezcatl. La declara-ciĂłn de los cuales nombres serĂĄ necesario poner, para que entendamos lo que quie-ren significar, y cĂłmo todas las cerimonias y solemnidad se enderezaban a honor de estos tres nombres y de cada uno en particular. El primer nombre que es Totec, aunque al principio no le hallaba denominaciĂłn y me hizo titubear, en fin, pregun-tando y tornando a preguntar, vine a sacar que quiere decir «señor espantosso y ter-rible», que pone temor. El segundo, que es Xipe, quiere decir «hombre desollado y maltratado»; el tercer nombre, que es Tlatlauhqui Tezcatl, quiere decir «espejo de resplandor encendido». Y no era Ădolo particular que lo celebraban aquĂ y allĂ pero era fiesta universal de toda la tierra, y todos lo solenizaban como a dios univer-sal, y asĂ le tenĂan un templo particular con toda la honra y suntuosidad posible.31
DurĂĄn revient donc plusieurs fois Ă cette inquiĂ©tante ressemblance des croyances indigĂšnes avec la Sainte TrinitĂ©, qui lâĂ©tonne tant. Lire ici le mot «étonner» au sens fort, selon son Ă©tymologie: frappĂ© du tonnerre, de la foudre, stupĂ©fait, saisi de stupeur. Je ne crois pas ici non plus que DurĂĄn ait interprĂ©-tĂ© les traditions mexicaines Ă la mode chrĂ©tienne. Il se serait sans doute plus volontiers passĂ© de telles singularitĂ©s historiques et humaines, et de ce mĂ©lange incomprĂ©hensible dâĂ©lĂ©ments apparemment si chrĂ©tiens avec des pratiques ido-lĂątriques et des mĆurs scandaleux pour un europĂ©en de lâĂ©poque. Câest surtout ce mĂ©lange inextricable qui devait sembler totalement blasphĂ©matoire et diabo-lique, et beaucoup plus quâune pure idolĂątrie exotique, et câest bien pour cela que DurĂĄn est inquiet. Mais DurĂĄn, grĂące Ă Dieu, est dâune honnĂȘtetĂ© toute Ă son honneur. Il veut sâassurer dâavoir bien compris, et retourne demander des prĂ©cisions chez ses informateurs: âal principio no le hallaba denominaciĂłn y me hizo titubear, en fin, preguntando y tornando a preguntar, vine a sacar».3
31. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: IX: 1-3: 95.3. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: IX: :95.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
19 anl lbuf
Ce fragment sent si fort la vĂ©ritĂ©! La formulation me fit tituber trahit bien son Ă©motion lorsquâil croit reconnaĂźtre une forme exotique de la Sainte Tri-nitĂ© chrĂ©tienne dans la tradition locale, ce qui dĂ©montre complĂštement quâil ne saurait sâagir dâun syncrĂ©tisme, il Ă©tait trop tĂŽt pour cela. Et dâailleurs cette unitĂ© des trois personnes divines entre parfaitement dans les possibilitĂ©s logiques de la pensĂ©e religieuse mĂ©soamĂ©ricaine avec tout son systĂšme de tra-ductions, dĂ©placements et substitutions des ixiptla,33 des images. DurĂĄn est si stupĂ©fait de ce quâil croit comprendre, que ne pouvant le croire, il retourne pour sâinformer. DurĂĄn se compte ici parmi les plus anciens et les plus scru-puleux des ethnographes. Il lui faut retourner sâinformer pour sâassurer quâil a bien compris, quâil nâa pas interprĂ©tĂ© ce quâon lui a dit. La passion de la vĂ©ri-tĂ© Ă tout prix, comme le meilleur des enquĂȘteurs du roman policier. DurĂĄn remarque ces ressemblances frappantes des Ă©vangiles non seulement avec les traditions orales des indiens, mais encore avec certains aspects de leur rituel, et surtout du plus fondamental, lorsque celui-ci prĂ©sente une idole du dieu en pĂąte dâamarante que les fidĂšles se partagent en communion:
quise contar el modo que esta gente tenĂa de sacrificar, y quice hacer capĂtulo par-ticular de ello, por lo mucho que hay de notar, asĂ en el sacrificio, como en los particulares ministros que para ello habĂa. Donde, despuĂ©s de acabada la cerimo-nia y bendiciĂłn de aquellos trozos de masa en figura de hueso y carne del Ădolo, en cuyo nombre eran reverenciados, y honrados con la veneraciĂłn y acatamiento con que nosotros reverenciamos al divino sacramento del altar.34 [Et encore,] La cual carne de todos los sacrificados tenĂan realmente por consagrada y bendita, y la comĂan con tanta reverencia y con tanta cerimonias y melindres, como si fue-ra alguna cosa celestial.35
Il semble pourtant garder quelques réserves quant à une possible évangélisation précoce des Indes occidentales par Saint Thomas, mais il est vraiment convaincu
33. Image, double, représentant, etc. 34. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: III: 1-:31. Avec de tels documents
Ă disposition, on sâĂ©tonne un peu quâen 1975 Schwarz puisse se demander si lâidĂ©e de trans-cendance se rencontre au Mexique et dĂ©clarer «so far as we know they do not appear in the Mayan-Aztec civilisations» dans un essai pour le numĂ©ro spĂ©cial de Daedalus sur le thĂšme de la transcendance, in Gordon Willey, prĂ©face Ă H.B. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, XVI.
35. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: X: 14:18.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 193
que les indiens sont les descendants des tribus perdues dâIsraĂ«l. Le premier cha-pitre de son Historia est un long plaidoyer de cette explication, une hypothĂšse qui refait surface tout au long de son Ćuvre, comme par exemple pour com-menter le nom de Malinalco lieu de sĂ©dentarisation de la tribu de Malinalxo-chitl, DurĂĄn sâĂ©crit: «Y esta es costumbre de esta generaciĂłn: poner el nombre al pueblo de su primer fundador. Costumbre judaica».36 DurĂĄn espĂšre trouver la Bible et lâEvangile, mais ailleurs il sâinterroge, il balance entre deux possi-bilitĂ©s, celle dâune prĂ©coce Ă©vangĂ©lisation et celle dâune farce cruelle de Satan:
Acabadas las cerimonias, bailes y sacrificios, entremeses y juegos que entre los dioses habĂa â digo entre aquellos que los representaban â Ăbanse a desnudar, y los sacerdotes y dignidades del templo tomaban el Ădolo de masa y desnudĂĄbanle aquellos aderezos que tenĂa, y asĂ a Ă©l como a los trozos que estaban consagra-dos en huesos y carne suya, hacĂanlos muchos pedacitos y, empezando desde los mayores, los comulgaban con ellos a todo el pueblo, chicos y grandes, hombres y mujeres, viejos y niños, y recibĂanlo con tanta reverencia y temor y lĂĄgrimas que era cosa de admiraciĂłn, diciendo que comĂan la carne y huesos del dios; teniĂ©ndose por indignos de ello. Los que tenĂan enfermos pedĂan para ellos y se lo llevaban con mucha reverencia y veneraciĂłn. Todos los que comulgaban quedaban obli-gados a dar diezmo de aquella semilla de que se hacĂa aquella masa para la carne y huesos del dios. Note el lector quĂ© propiamente estĂĄ contrahecha esta cerimo-nia endemoniada la de nuestra iglesia sagrada que nos manda recibir el verdadero cuerpo y sangre de nuestro señor Jesucristo, verdadero Dios y verdadero hombre por Pascua florida⊠De lo cual se colijen dos cosas: o que hubo noticia â como dejo dicho â de nuestra sagrada religiĂłn en esta tierra, o que el maldito de nues-tro adversario el demonio las hacĂa contrahacer en su servicio y culto, haciĂ©ndose adorar y servir, contrahaciendo las catĂłlicas cerimonias de la cristiana religiĂłn.37
On remarquera avec beaucoup dâintĂ©rĂȘt sa formulation: «los dioses⊠digo entre aquellos que los representaban». DurĂĄn nâest pas le seul Ă chercher dans les croyances et pratiques religieuses mexicaines le signe dâune Ă©vangĂ©lisation prĂ©-coce de lâAmĂ©rique, par exemple Ixtlilxochitl dĂ©crit QuetzalcĂłatl comme prĂ©-curseur ou prĂ©monition du christianisme. «llegĂł a esta tierra un hombre a quien llamaron QuetzalcĂłatl y por otro nombre Huemac, virgen, justo y santo, el que
36. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, II: III: 4:3.37. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: III: -4:35.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
194 anl lbuf
vino de la parte del oriente y enseño la ley natural y constituyó el ayuno evitan-do todos los vicios y pecados; el primero que colocó y estableció la cruz».38
Il cherche evidemment Ă se conforter dans sa nouvelle foi, nâayant dĂ©jĂ plus le choix, mais en mĂȘme temps sauver lâancienne en la rendant accepta-ble dans la nouvelle culture en crĂ©ation, il veut complaire aux espagnols mais aussi se vanter que ses ancĂȘtres connaissaient eux aussi une religion sublime et morale, ce qui ne veut pas dire que ce quâil dĂ©clare soit de pure invention.
Bien loin du Mexique central, au pays Maya, Las Casas sâinterroge aussi au sujet dâune possible premiĂšre Ă©vangĂ©lisation:
un hombre muy hermoso habĂa por allĂ pasado e les habĂa dejado aquella señal para que del siempre se acordasen. Otros diz que afirmaban que porque habĂan muerto en ella un hombre mĂĄs resplandeciente que el sol: esto refiere Pedro MĂĄr-tir en el capĂtulo 1° de su cuarta DĂ©cada.39
Et qui donc aurait propagĂ© ces croyances et dâautres plus chrĂ©tiennes encore? Un certain Kukulcan (le nom maya de QuetzalcĂłatl), qui Ă©tait arrivĂ© au Yuca-tan avec 19 compagnons: «Si estas cosas son verdad, parece haber sido en aquel-la tierra nuestra santa fe notificada».4
Torquemada signale que QuetzalcĂłatl portait la croix: «Dicen de este Dios QuetzalcĂłatl, que viviendo en esta vida mortal, vestĂa de vestiduras largas hasta los pies, por honestidad, con una manta encima, sembrada de cruces coloradas».41
Comment nâauraient-ils pas Ă©tĂ© surpris de trouver en AmĂ©rique un fils de dieu, nĂ© dâune mĂšre fĂ©condĂ©e par le ciel, doux ermite innocent, victime de la mĂ©chancetĂ© du pouvoir et mourant pour la rĂ©demption de son peuple tant
38. Fernando de Alva IxtlilxĂłchitl, Obras histĂłricas, Edmundo OâGorman, ed. (Ciudad de MĂ©xico: Instituto Mexiquense de Cultura, 1997), I:59-53.
39. Bartolomé de las Casas, Obras completas, vol. (Madrid: Alianza Editorial [1988-1994], 199), 88.
4. Las Casas, Obras completas, 883.41. Juan de Torquemada, MonarquĂa indiana, 3 t. (Ciudad de MĂ©xico: Editorial PorrĂșa,
1986, [ediciĂłn facsĂmile de la ediciĂłn de Madrid de 173]), VI: XXIV; II: 5: 1; AndrĂ©s de Tapia rapporte la mĂȘme information (RelaciĂłn hecha por el senor Andres de Tapia, sobre la conquista de MĂ©xico, in ColecciĂłn de documentos para la historia de MĂ©xico, JoaquĂn GarcĂa Icazbalceta, ed., vol. (Ciudad de MĂ©xico: J. M. Andrade, 1866), 554-594, 573. Les exemples iconogra-phiques et archĂ©ologiques de QuetzalcĂłatl portant une croix ou marquĂ© dâune croix sont nom-breux, voir entre autres Vaticanus 3738 planche 7v.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 195
aimĂ©? Le fait mĂȘme que les premiers chroniqueurs du v siĂšcle aient cherchĂ© dĂ©sespĂ©rĂ©ment une telle explication historique Ă la prĂ©sence de similitudes si frappantes avec le christianisme dĂ©montre parfaitement que ces traditions sont bien originales, sinon ils auraient tous tempĂȘtĂ© contre les dĂ©formations intolĂ©-rables que les indiens opĂ©raient sur les enseignements des prĂȘtres rĂ©cemment venus leur porter la vraie foi, ils se seraient lamentĂ©s sur les insurmontables dif-ficultĂ©s de lâĂ©vangĂ©lisation de ces peuples sauvages. Mais non, ce quâils trouvent câest une tradition locale, authentiquement prĂ©hispanique qui ressemble trop dangereusement Ă lâĂ©vangile pour ne pas poser de graves problĂšmes historiques, philosophiques et thĂ©ologiques. Et dâailleurs, dâautres prĂȘtres de la mĂȘme Ă©poque voulaient rĂ©soudre ces inquiĂ©tantes similitudes dâune maniĂšre radicale-ment opposĂ©e, en les prĂ©sentant comme farces cruelles et moqueries de Satan. En effet, certains auteurs du ve siĂšcle, Ă©pouvantĂ©s par les sacrifices, et autres diableries, et peu enclins Ă se comparer Ă une telle humanitĂ©, ni capables dâac-cepter ce mĂ©lange de spiritualitĂ© quasi chrĂ©tienne, de barbarie charnelle et de cruautĂ©s insupportables, un mĂ©lange baroque qui nâĂ©tait pas encore de mode dans la vieille Europe, nây ont voulu voir quâune singerie moqueuse et cruelle du DĂ©mon, de Satan, du Grand Menteur. Par exemple le PĂšre De Los Rios pour lequel les lĂ©gendes qui rapportent que QuetzalcĂłatl est nĂ© de Chimal-man aprĂšs quâun ambassadeur de la voie lactĂ©e (Citlallatonac) lui ait annoncĂ© la naissance dâun fils, ne sont que malice du dĂ©mon:
AquĂ fingen los miserables ciertos sueños de su ceguedad, diciendo que un dios que se decĂa CitlallantĂłnac, que es aquel signo que se ve en el cielo llamado camino de Santo Santiago o VĂa LĂĄctea, mandĂł un embajador del cielo con una embajada a una virgen que estaba en Tulan, que se llamaba Chimalman,⊠a la cual dijo el embajador que aquel dios querĂa que concibiese un hijo, y que oyendo la embajada se levantĂł y barriĂł la casa y tan luego como la barriĂł concibiĂł un hijo, sin contacto con hombre, el cual fue llamado QuetzalcĂłatlle⊠No dejarĂ© de notar en este lugar la astucia de nuestro adversario que desde hace tanto tiempo inventĂł esta falsedad entre esta pobre gente a fin de que, si en cualquier tiempo tuvieran noticia del prin-cipio del misterio de nuestra redenciĂłn, que fue cuando el ĂĄngel Gabriel fue man-dado por Dios a la virgen MarĂa⊠lo atribuyesen al padre de la mentira falsificada y contrecha en este falso dios CitlallantĂłnac, y en su embajador, y en esta virgen.4
4. Codex Vaticanus 3738, vol. III, lĂĄm. VIII, 6, en Lord Kingsborough, AntigĂŒedades de MĂ©xico (London: 1964).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
196 anl lbuf
Le bon prĂȘtre dĂ©nonce les illusions mensongĂšres de lâennemi des bons chrĂ©-tiens, des hommes et de Dieu, il mĂ©prise les croyances indigĂšnes mais en trĂšs bon pĂšre leur octroi dâavance le pardon pour leurs erreurs, les plaint sincĂšre-ment dâavoir Ă©tĂ© fourvoyĂ©s de maniĂšre si dĂ©goutante, tout rempli dâune com-passion condescendante.
Joseph de Acosta pour sa part se permet de comparer les onguents diabo-liques des prĂȘtres mexicains avec le Saint ChrĂȘme,43 et au chapitre 4, il ne peut que sâĂ©merveiller de la duplicitĂ© et astuce du diable pour imiter la vrai religion et sâattirer la dĂ©votion due Ă JĂ©sus: CapĂtulo XXIV De la manera con que el demonio procurĂł remedar la fiesta de Corpus Christi, y comuniĂłn que usa la santa Iglesia⊠Suit une longue description de la fĂȘte de Huizilopochtli et du partage de sa figure en graines dâamarante et miel pour essayer dâimiter la vraie et sainte communion. Tous ne sont pas aussi admiratifs devant les astu-cieuses tromperies du dĂ©mon. Mendieta sâĂ©tonne innocemment et sans rire que le malin ait Ă©tĂ© si peu malin dans ses imitations de la vraie foi:
Para haber de orar a sus dioses, no sabĂan quĂ© cosa era ponerse de rodillas, sino en cuclillas, como suelen estar para parlar o descansar, en que se ve la poca reve-rencia en que tenĂan a sus dioses; y es de maravillar cĂłmo el demonio, pues ape-tece ser adorado y reverenciado en la forma y manera que ese mismo dios, no les enseñó el ponerse de rodillas cuando le hacĂan oraciĂłn.44
Câest charmant.SahagĂșn trouve, lui aussi, diabolique lâinsupportable simulacre de lâeau
bénite:
Otro diablo adoraron vuestros antepasados, al qual llamaron nappatecutli: dixe-ron que era el dios de los que hazen petates y icpales⊠El sacerdote deste dios, que ellos llamavan ixiptla, que quiere dezir su ymagen: acostumbrava andar por las casas, con una xicara con agua en la una mano, y un ramo de salze en la otra,
43. Joseph de Acosta, Historia natural y moral de las Indias. De la unciĂłn abominable que usaban los sacerdotes mexicanos y otras naciones, y de sus hechiceros (Ciudad de MĂ©xico/Buenos Aires: Fondo de Cultura EconĂłmica, 196), 6-63.
44. GerĂłnimo de Mendieta, Historia eclesiĂĄstica indiana, Cien de MĂ©xico (Ciudad de MĂ©xi-co: SecretarĂa de EducaciĂłn PĂșblica, 1997), 93.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 197
y rociava con el ramo las casas y personas bien como quien echa agua bendita, y todos lo recibian con gran devocion.45
Dans toutes ces rĂ©flexions nous ne trouvons pas la moindre trace de syncrĂ©-tisme religieux. Oui, les croyances et les rites des indigĂšnes de lâAmĂ©rique res-semblent scandaleusement Ă ceux des chrĂ©tiens, et les seules maniĂšres de sâen sortir honorablement et de ne pas blasphĂ©mer est de chercher les traces dâune Ă©vangĂ©lisation prĂ©coce malheureusement dĂ©figurĂ©e par la distance et la perte de contact avec la Sainte MĂšre lâEglise de Rome ou sinon une astuce rĂ©voltante du Malin. Nous nâen sommes pas encore aux Ă©tudes de religions comparĂ©es. On en remarque les Ă©lĂ©ments mais sans pouvoir en dĂ©duire encore les conclusions nĂ©cessaires et inĂ©vitables, parce que trop intolĂ©rables, inacceptables, blasphĂ©-matoires. En dĂ©pit de leurs conclusions si opposĂ©es, aucun de ces auteurs ne met en doute lâorigine locale et ancienne, prĂ©hispanique des traditions quâils rapportent et les stupĂ©fait pour leurs incomprĂ©hensibles similaritĂ©s avec cer-tains Ă©lĂ©ments fondamentaux du christianisme.
Les commentaires des auteurs anciens
Plusieurs lettrĂ©s et curieux des siĂšcles suivants se posĂšrent les mĂȘmes ques-tions que les premiers chroniqueurs et arrivĂšrent aux mĂȘmes conclusions. Mais comme plus tard, les Ă©rudits nâoseront plus faire appel Ă Saint Thomas, aussi voudront-ils faire croire Ă un emprunt dĂšs les premiers temps de la conquĂȘte, un syncrĂ©tisme religieux et culturel, ce qui procĂšde de la mĂȘme logique. Pour-tant, lorsque lâon trouve de telles ressemblances dans les Ă©lĂ©ments culturels de diverses nation, il nâest pas nĂ©cessaire dâen conclure une diffusion des valeurs et coutumes du vainqueur, ce qui serait dâune ridicule vanitĂ©. Lorsque Tezo-zĂłmoc dĂ©crit la dĂ©tresse des Ă©pouses des guerriers partis en campagne et leur angoisse de ne plus jamais les revoir, et se couvrent la tĂȘte de cendres en signe
45. Bernardino de SahagĂșn, CĂłdice Florentino. Manuscrito 218-20 de la ColecciĂłn Palatina de la Biblioteca Medicea Laurenziana, 3 vols. (Ciudad de MĂ©xico: SecretarĂa de GobernaciĂłn/Archivo General de la NaciĂłn, 1979 [ediciĂłn facsimilar]), I: ApĂ©ndice: 39v-4r; Bernardino de SahagĂșn, Historia General de las Cosas de Nueva Espana, 3 vols., versiĂłn Ăntegra del texto castel-lano del manuscrito conocido como CĂłdice Florentino, Alfredo LĂłpez Austin y Josefina GarcĂa Quintana, estudio introductorio, paleografia, glosario y notas, Cien de MĂ©xico (Ciudad de MĂ©xi-co: SecretarĂa de EducaciĂłn PĂșblica/Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, ), 14.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
198 anl lbuf
de deuil et de pĂ©nitence, il Ă©crit: «Y las mugeres de estos soldados mexicanos, en señal de jamas los beer boluer, començaron luego a ayunar, poner çeniza en sus cabeças, señal de gran tristeza, y jamas se lauauan».46 Est-ce par dĂ©sir de plaire aux espagnols en citant la Bible: «DespojĂĄndose de sus magnĂficos ves-tidos, se vistiĂł de angustia y duelo. En vez de exquisitos perfumes, echĂł sobre su cabeza ceniza y suciedad».47 Et: «MardochĂ©e, ayant appris tout ce qui se pas-sait, dĂ©chira ses vĂȘtements, se revĂȘtit dâun sac et se couvrit la tĂȘte de cendre».48 Et lorsquâil rapporte que sous Moctezuma les adultĂšres Ă©taient lapidĂ©s49 est-ce encore parce que lâAmĂ©rique fut peuplĂ©e par une des tribus perdues dâIsraĂ«l? Et lâauteur du Popol Vuh avait-il lu Saint Jean lorsquâil dĂ©crit le commencement du monde: «Entonces vino la Palabra»5 qui ressemble tant Ă notre Au dĂ©but Ă©tait le verbe, incipit de lâĂ©vangile de Saint Jean?51 Certainement pas, et la volute de parole fleurie qui sort du copilli, en haut de la Piedra del Sol signifie sans doute lâacte de crĂ©ation de la divinitĂ© suprĂȘme.5
Brinton lâavait bien vu:
Furthermore, if the myths of the American nations are shown to be capable of a consistent interpretation by the principles of comparative mythology, let it be recognized that they are neither to be discarded because they resemble some fami-liar to their European conquerors, nor does that similarity mean that they are historically derived, the one from the other. Each is an independent growth, but as each is the reflex in a common psychical nature of the same phenomena, the same forms of expression were adopted to convey them.53
Pour ma part, je crois que sâil y eut quelques contaminations des traditions europĂ©ennes et chrĂ©tiennes dans le corpus de donnĂ©es qui nous a Ă©tĂ© lĂ©guĂ© sur QuetzalcĂłatl, celles-ci sont de peu dâimportance. PremiĂšrement parce que lâĂ©vangĂ©lisation au v siĂšcle fut trĂšs superficielle et que les indiens ne prirent
46. Alvarado TezozĂłmoc, CrĂłnica mexicana (Madrid: Dastin, 1), XXX, 139. 47. Bible de JĂ©rusalem, traduite en français sous la direction de lâĂ©cole biblique de JĂ©rusalem
(Paris: Ă©ditions du Cerf, 1998), Esther, XIV: .48. Bible, Esther, IV: 1.49. TezozĂłmoc, CrĂłnica mexicana, CV; 453; Bible, Deut. : 3-4.5. Popol Vuh, AdriĂĄn Recinos, ed. y trad. (MĂ©xico: Fondo de Cultura EconĂłmica, 1953), 86.51. Bible, Evangile, Jean, I: 1.5. Arnold Lebeuf, «El Sol 4-Ollin de los aztecas», ArqueologĂa, nr. 39 (8): 18-141.53. Daniel Brinton, American Hero Myth (Philadelphia: H.C. Watts & Co.,188), 35-36.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 199
des enseignements des prĂȘtres que ce qui leur convenait, ce qui pouvait sâintĂ©-grer sans grand mal Ă leur cosmovision, aux structures fondamentales et pro-fondes de leur culture propre. Il semble que les Ă©lĂ©ments adaptables parce que fondamentalement semblables aient Ă©tĂ© nombreux. Et puis, ne serait-ce pas Ă nouveau le signe dâune grande cĂ©citĂ© culturelle, dâune superbe et grande suf-fisance que de croire toujours que les autres se sont calquĂ©s sur nous et sur notre religion dominante, le christianisme. Les ressemblances sont nombreuses, certes, entre le christianisme et ce que lâon sait des religions de MĂ©soamĂ©rique, mais les ressemblances seraient bien plus grandes encore si lâon voulait compa-rer les religions de lâancien Mexique avec par exemple lâhindouisme. Cela a-t-il conduit Ă parler dâun syncrĂ©tisme hindou-mexicain? Ce serait donc plutĂŽt le christianisme qui aurait largement puisĂ© au fond commun religieux proto-historique ou prĂ©historique de lâhumanitĂ©. Que lâon ne sâĂ©tonne donc pas de dĂ©couvrir quelques ressemblances! Les explications en faveur dâun emprunt ou dâun syncrĂ©tisme sont ridicules. Lorsque nous rencontrons de frappantes res-semblances avec le christianisme, nâallons donc pas croire quâil ne sâagit que dâune forme mineure empruntĂ©e, une singerie grotesque. Les ressemblances sont plus profondes, structurales. Et dâailleurs, Michel Graulich avait dĂ©jĂ lar-gement argumentĂ© dans ce sens en reconnaissant lâorigine authentiquement prĂ©hispanique de thĂšmes comme ceux de lâarbre brisĂ© du paradis perdu, de la maternitĂ© virginale, du dĂ©luge, de lâexode, etcetera.54 Et il avait trĂšs justement proposĂ© une explication plus plausible, dans la lignĂ©e de Brinton:
la antigua religiĂłn del Altiplano mexicano tal como se la presenta aquĂ es en cier-ta medida una religiĂłn de salvaciĂłn mĂĄs que una religiĂłn de tipo arcaico, analĂti-co, no totalizante, dependiente del pensamiento mĂtico. Desde el siglo v, a los misioneros les sorprendieron algunos rasgos que evocaban sus propias creencias, pero no se dieron cuenta o no quisieron darse cuenta de que la misma economĂa del sistema era muy equiparable a la del cristianismo.55
Depuis le début des études deux courants principaux se sont affrontés. Les uns voulant montrer la teneur historique des traditions du roi des ToltÚque
54. Michel Graulich, «Myths of Paradise Lost in Pre-Hispanic Central Mexico», in Current Anthropology, vol. 4, no. 5 (1983): 575-588; Michel Graulich, «Lâarbre interdit du paradis aztĂš-que», Revue de lâHistoire des Religions 7, 1 (199): 31-64.
55. Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan, 43.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
anl lbuf
et identifier archĂ©ologiquement la capitale de son royaume, Tollan, les autres rejetant lâhypothĂšse historique pour mettre lâaccent sur les aspects purement mythiques du personnage.56 Ces deux points de vue apparaissent depuis le tout dĂ©but puisque les chrĂ©tiens qui ont vu dans les traditions amĂ©ricaines concernant QuetzalcĂłatl la marque dâune Ă©vangĂ©lisation prĂ©coce sâattachaient Ă une vision diffusionniste, et donc historique, alors que ceux qui dĂ©non-cĂšrent une manipulation diabolique penchaient pour lâexplication mythologi-que, une affabulation, une illusion. Chez les chrĂ©tiens, Dieu est historique et le dĂ©mon nâest quâun menteur, un illusionniste. Lui-mĂȘme un mensonge, une illusion peut ĂȘtre? Bien sĂ»r, les tenants de lâhypothĂšse historique admettent quâil se soit mĂȘlĂ© un peu ou plus quâun peu de lĂ©gende dans les chroniques, et les partisans du mythe ne peuvent nier certains aspects apparemment histo-riques et chronologiques, mais la contradiction rĂ©siste. Dans son Ă©tude magis-trale Hombre-Dios, Alfredo LĂłpez Austin rajoute une troisiĂšme Ă©cole dans laquelle il se situe lui-mĂȘme et quâil fait remonter Ă LĂłpez de Gomara, lâhu-maniste: «no vacilarĂa en colocar a LĂłpez de Gomara entre los autores del ter-cer enfoque, con los historiadores que se esfuerzan por separar los elementos mĂticos de los histĂłricos».57 Si je trouve trĂšs utile, et mĂȘme indispensable dâun point de vue scientifique, de faire la part des choses, de sâefforcer de sĂ©parer la rĂ©alitĂ© historique de lâaffabulation religieuse et littĂ©raire, il faut aussi prendre en compte que telle distinction nâest pas vraiment pertinente pour le sujet qui nous occupe. Nous devons considĂ©rer que pour les civilisations du Mexique prĂ©hispanique tous ces aspects Ă©taient intimement enlacĂ©s et confondus dans ce qui pour eux Ă©tait la rĂ©alitĂ© historique. Et nous devons, nous aussi, accepter cette rĂ©alitĂ© prĂ©hispanique comme telle si nous voulons garder lâespoir de com-prendre le message qui nous a Ă©tĂ© transmis. Lâensemble des mythes, lĂ©gendes, croyances et rituels qui nous ont Ă©tĂ© lĂ©guĂ©s forment un tout que nous devons prendre tel quel, comme il se prĂ©sente, câest-Ă -dire comme rĂ©alitĂ© historique de cette civilisation que nous cherchons Ă mieux comprendre. Patrick Johans-son a parfaitement raison de dire quâen MĂ©soamĂ©rique, tout nâest que conven-tion et que lâapparence - câest - la rĂ©alitĂ©.
56. Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan; LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl; Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, ont fait la revue de ces diffĂ©rentes approches.
57. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 15.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 1
En el MĂ©xico antiguo, todas representaciones poĂ©ticas se presentaban disfrazadas: Si el señor mandaba a los maestros y cantores que cantasen y bailasen el cantar que se llama Cuechtecayotl, tomaban los atavĂos del areito conforme al cantar y se componĂan con cabelleras y mĂĄscaras pintadas, con narices agujeradas y cabellos bermejos, y traĂan la cabeza ancha y larga como lo usan los Cuechtecas y traĂan las mantas tejidas a manera de red.58
Toute la rĂ©alitĂ© est jouĂ©e, câest Ă dire dominĂ©e par sa sublimation artistique, son artifice. Le monde nâest apprĂ©hensible que sous sa forme reprĂ©sentĂ©e, et toute la gamme des incarnations artificielles de la rĂ©alitĂ© est mise Ă profit: «Un relato indĂgena de inspiraciĂłn precolombina, contenido potencialmente en la memo-ria de los tlamatinime, se expresaba oralmente mediante una enunciaciĂłn espectacular, en la que se entretejĂan gestos, sonidos, colores, ritmos, compases dancĂsticos, jeroglĂficos indumentarios y otros elementos suprasegmentales que constituĂan, con el registro verbal, el texto manifiesto de dicho relato».59
Si le mystĂšre de lâidentitĂ© de Topiltzin QuetzalcĂłatl sâest assez bien dissi-pĂ© avec des travaux tels que ceux de Laurette SĂ©journĂ©,6 de Jill Leslie FĂŒrst,61 Henry B. Nicholson6 et surtout dâAlfredo LĂłpez Austin63 et Michel Graulich64 de nombreuses questions restent ouvertes. En vĂ©ritĂ©, il est bien difficile de dis-tinguer entre plusieurs figures majeures de QuetzalcĂłatl:
â Une divinitĂ© reprĂ©sentĂ©e sous la forme dâun serpent Ă plumes associĂ© Ă la planĂšte VĂ©nus, que Nicholson groupe autour dâEhecatl QuetzalcĂłatl.
â Un personnage historique rĂ©el dont on signale les parents et les grands-parents, son origine rĂ©gionale, lâenfance Ă Amatlan, bourgade proche de Tepoztlan,65 Morelos, ou Ă©levĂ© par ses grand parents Ă Michatlauco prĂšs de Xochicalco pour Enrique Florescano,66 pour ne citer que deux de
58. Johansson, La palabra, la imagen y el manuscrito, 84.59. Johansson, La palabra, la imagen y el manuscrito, 3.6. Laurette Séjourné, El Universo de Quetzalcóatl (México: Fondo de Cultura Económica, 3).61. Jill Leslie Furst, «The Year 1 Reed, Day 1 Alligator: A Mixtec Metaphor», Journal of Latin
American Lore 4, nr. 1 (1978): 93-18.6. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord of the Aztecs. 63. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl.64. Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan.65. Wigberto JimĂ©nez Moreno, Historia de MĂ©xico (MĂ©xico: PorrĂșa, 1967), 1.66. Enrique Florescano, «Tula-Teotihuacan, QuetzalcĂłatl y la toltecayotl», Historia Mexica-
na 13, nr. (Oct.-Dec., 1963): 13.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
anl lbuf
ces légendes historiques improbables; différentes traditions que Nichol-son regroupe sous le nom de Topiltzin Quetzalcóatl. -Un personnage his-torique divinisé, le roi mythique des ToltÚques, Topiltzin Quetzalcóatl de Tollan, dont presque toutes les dynasties de Méso-Amérique postclassique se voulaient héritiÚres, personnage étudié par Alfonso Caso,67 Jill Leslie Furst et Henry Nicholson.
â De nombreux prĂȘtres ayant portĂ© le titre de QuetzalcĂłatl Totec Tlama-cazqui et Tlaloc QuetzalcĂłatl Tlamacazqui:68
â De nombreux avatars connus sous dâautres noms ou reprĂ©sentations gra-phiques dans dâautres cultures, tels que, Cinteotl, Cuculcan, Guacamatz, Nacxitl, etcetera.
â Quelques personnages qui semblent se confondre avec lui, comme Huemac,69 Quetzalteueyac7 ou les seigneurs 8-Mazatl et 4-Ocelotl des codex de la Mixteca.71
â Des truchements, images et personnifications rituelles du dieu, des Ixiptla.
Ignacio Bernal a proposĂ© de rĂ©soudre la complexitĂ© et les difficultĂ©s prĂ©sentĂ©es par lâextraordinaire variation du personnage en avançant quâil sâagissait de dif-fĂ©rents prĂȘtres ayant adoptĂ© ou reçu le titre de QuetzalcĂłatl, solution retenue aussi par Piña Chan:
Ignacio Bernal atiende a la complejidad de la historia del famoso Ce Acatl, rey de Tollan, que segĂșn Ă©l se debe a la costumbre de dar el nombre de QuetzalcĂłatl a todos los sacerdotes del dios, cuyas vidas se han fusionado en las crĂłnicas. Esta idea, que ya se ha visto mencionada anteriormente, adquirĂa nueva importancia en unos cuantos años mĂĄs, emitida por Piña Chan.7
67. Alfonso Caso, Reyes y reinos de la mixteca. Diccionario biogråfico de los señores mixtecos (México: Fondo de Cultura Económica, 1979).
68. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, III: Apendiz IX: 39 v; SahagĂșn, Historia General, 34.69. DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, II: I: 3-31:14.7. Paul Kirchhoff, Historia Tolteca Chichimeca (MĂ©xico: Instituto Nacional de Antropolo-
gĂa e Historia /SecretarĂa de EducaciĂłn PĂșblica, 1976), fol. 16r.71. Maarten Jansen, «Los señorĂos de Ăuu Dzaui y la expansiĂłn tolteca», Revista Española de
AntropologĂa Americana 36, nr. (6): 175-8, 191-19.7. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 4.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 3
Câest une hypothĂšse satisfaisante Ă mon goĂ»t, mais encore insuffisante. Que signifie Ă vrai dire la dĂ©nomination de prĂȘtre? -La victime quelle quâelle soit pouvait ĂȘtre appelĂ©e courtoisement: Grand PrĂȘtre, ou bien elle le devenait vraiment lorsquâelle Ă©tait dĂ©signĂ©e comme image du dieu pour ĂȘtre sacrifiĂ©e, comme on le lit bien dans les Annales: «Hijo mĂo, sacerdote Ce Acatl Quet-zalcĂłatl, yo soy tu vasallo». En fait, tous sont les images et reflets, les Ixiptlas, les uns des autres, et pour cette raison elle-mĂȘme peut-on donc facilement se perdre entre tous ces personnages. Par exemple, le premier chapitre du livre, Libro de los ritos y ceremonias en las fiestas de los dioses y celebraciĂłn de ellas, de DurĂĄn commence justement par le chapitre sur Topiltzin: «De quien se sos-pecha que fue un gran varĂłn que hubo en esta tierra, llamado Topiltzin, y por otro nombre Papa, a quien los Mexicanos llamaron Hueymac. ResidiĂł en Tula».73 Mais QuetzalcĂłatl nâoccupe que le VIĂšme chapitre: «Del Ădolo llama-do QuetzalcĂłatl, dios de los Cholultecas, dellos muy reverenciado y temido, fue padre de los Toltecas, y de los españoles, porque anunciĂł su venida».74 Il nomme le premier Gran Baron, et le deuxiĂšme idole comme sâil ne se rendait pas compte quâil sâagit des facettes diffĂ©rentes du mĂȘme personnage. Laurette SĂ©journĂ© le comprend bien et reprend ces textes de DurĂĄn pour affirmer quâil sâagit du mĂȘme sous diffĂ©rents titres:
De lo que se deprende que estas dos colectividades se agrupan alrededor del mis-mo personaje, cuya trayectoria se inscribe en la sucesión de los nombres siguientes: Ehecatl (viento), Topiltzin (nuestro muy querido hijo), Quetzalcóatl (Serpiente Emplumada), Xolotl (doble), y también en las denominaciones sacadas de la posi-ción del planeta Venus.75
Elle a tout Ă la fois raison et tort, comme nous le verrons plus bas.Ce-Acatl â Ehecatl â Topiltzin â QuetzalcĂłatl â Tlahuizcal-pantecuhtli â
Xolotl â Venus est-il donc lâancĂȘtre des lignĂ©es royales et des communautĂ©s mentionnĂ©es ici et dâautres, une simple idole ou une planĂšte? Sâagit-il dâune chronique historique ou dâun rĂ©cit mythique? Avec une telle diversitĂ© dâaspects attestĂ©s par les sources, lâabondance et la variĂ©tĂ© des commentaires qui lui ont
73. DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, I: I: 9.74. DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, I: VI: 61.75. Laurette SĂ©journĂ©, CosmogonĂa de MesoamĂ©rica (Ciudad de MĂ©xico: Siglo XXI,
4), 6.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
4 anl lbuf
Ă©tĂ© consacrĂ©s, il semble que tout dĂ©jĂ ait Ă©tĂ© dit de ce dieu â prĂȘtre â roi de Tollan, et Thompson, il y a bien longtemps dĂ©jĂ sâĂ©tait gaussĂ© dâune telle situa-tion en Ă©crivant sur un ton plutĂŽt acide: «Modern investigators have interpre-ted the quetzal-feathered serpent as a deity of almost everything under and including the sun».76
Un personnage historique?
Alfonso Caso propose de savantes reconstructions des gĂ©nĂ©alogies royales issues de QuetzalcĂłatl dans la Mixteca.77 Sans ignorer le moins du monde les aspects religieux et transcendants du personnage, Nicholson penche dĂ©cidĂ©ment du cĂŽtĂ© de lâexplication historique. Pour cela, il sĂ©pare assez strictement deux ensembles rattachĂ©s respectivement Ă Ehecatl QuetzalcĂłatl, la divinitĂ©, et Topilt-zin QuetzalcĂłatl lâhomme. Ceci constitue un parti pris classificatoire trĂšs utile sans doute, et permet dâĂ©viter bon nombre dâabus dâinterprĂ©tations, mais cette classification elle-mĂȘme est abusive, artificielle et pour tout dire impossible. Nicholson en est parfaitement conscient:
This study aims only to examine one limited aspect of this larger problem, that relating to a large corpus of documentary source material that provides a number of different versions of what can be called the Topiltzin QuetzalcĂłatl of Tollan Tale, or at the least, significant allusions to its protagonist. The purely superna-tural figure, whom I shall refer to as Ehecatl QuetzalcĂłatl, will receive only tan-gential consideration. With the cult and mythology of this old creator/wind/rain deity, symbolized by the feathered serpent, who clearly goes back well into the Classic period if not before, the personality and tale of Topiltzin QuetzalcĂłatl of Tollan seems to have become almost inextricably entwined. Separating the two is difficult, but a reasonably clear division can in most cases be made. Ideally, both aspects should be considered jointly, but this would demand a far more extensive investigation. It is the figure of historical legend, then, the man, not the god, who is the subject of this study.78
76. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, XXVI, citant Thompson, 1945: 13.
77. Alfonso Caso, Reyes y reinos de la mixteca. Diccionario biogråfico de los señores mixtecos.78. Nicholson, Topiltzin Quetzalcóatl, the Once and Future Lord, XXVI.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 5
A la fin de son analyse, Nicholson affirme Ă nouveau lâhistoricitĂ© du personnage:
Topiltzin QuetzalcĂłatl, in spite of his concomitant quasi-divinity, was essen-tially a man who lived at a stated time and who moved through a world speci-fically located in space 79 et encore: First and most important, I believe that it is quite possible that there was an «original» Topiltzin QuetzalcĂłatl, an actual per-son who lived on this earth but who later apparently became inextricably fused (and confused) with more than one deity â and probably with later rulers as well.8
On remarquera surtout dans ces fragments lâinsistance sur le singulier, Topilt-zin QuetzalcĂłatl est un personnage historique singulier, une personne dĂ©finie dans le temps et lâespace. Nicholson ne veut pas voir que les diffĂ©rents aspects de Topiltzin QuetzalcĂłatl ne sont que les multiple facettes dâun ensemble insĂ©-parable et quâil nâest ni possible ni nĂ©cessaire ni efficace de les sĂ©parer ou de chercher lâorigine ou la version originale du personnage, la facette originale de toutes les autres puisque toutes font partie intĂ©grante du personnage que nous cherchons Ă mieux dĂ©finir et comprendre: «This well illustrates the fusion, or perhaps better, confusion, that had taken place between these two fundamen-tally distinct figures, the great ruler/priest of the Toltecs and the old fertili-ty/creator god whose name he bore».81 Il revient sur cette distinction entre le dieu Ehecatl QuetzalcĂłatl et le roi Topiltzin QuetzalcĂłatl dans son introduc-tion Ă lâĂ©dition de 1 malgrĂ© toute lâĂ©vidence dâune impossibilitĂ© de sĂ©parer ces deux fonctions:
I probably should have mentioned, [âŠ] the ascription of the creation of the Chichi-meca ancestors of the major peoples of Central MĂ©xico, as well as the heavens, sun, and the earth, to «Topiltzin QuetzalcĂłatl»(SahagĂșn 1997: 3). As I noted in footnote 9 of this page, this particular binomial designation was usually reser-ved for the traditional Toltec ruler rather than the creator/wind deity, Ehecatl QuetzalcĂłatl, who was clearly intended hereâbut I also recognized that «at least by the time of the Conquest⊠their personas had intertwined to the extent that it is difficult to sharply differentiate them.8
79. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 57.8. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 59.81. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 36.8. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, XXXIII.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
6 anl lbuf
Son choix constitue Ă mon sens une grave distorsion de la rĂ©alitĂ©. Non, les deux personnages ne sont pas deux figures distinctes. Pour ĂȘtre le plus connu, Nicholson nâest certes pas le seul Ă dĂ©fendre la thĂšse historique. Le livre dâAl-fredo LĂłpez Austin, Hombre-dios est une Ćuvre capitale. Elle ne traite pas par-ticuliĂšrement du personnage de QuetzalcĂłatl, mais le prend comme lâune des figures exemplaires de ceux quâil nomme les hommes-dieux. La plupart de ses rĂ©flexions sont dâune remarquable perspicacitĂ©, et il signale par moments quelques traits, quelques aspects qui auraient dĂ» lâamener logiquement Ă une solution du problĂšme proche de celle que nous proposons ici. Par exemple, Ă propos de lâivresse de QuetzalcĂłatl, il Ă©crit: «No es transgresiĂłn de un sacerdote original, sino la conducta de un dios en el mito, repetida ritualmente sobre la tierra».83 Il semble toutefois quâil nâait pas voulu franchir le seuil du danger du blasphĂšme, de la dĂ©sacralisation de ce hĂ©ro mythique si magnifique rĂ©demp-teur du Mexique ancien. Il voit bien que parfois les hĂ©ros, hommes-dieux sont en fait des victimes sacrificielles, mais chez lui cette catĂ©gorie reste marginale entre toutes les formes dâhommes-dieux quâil prĂ©sente. Il croit aussi que cer-tains prĂȘtres prenaient le rĂŽle de victime reprĂ©sentant le dieu: «Una de las mĂĄs duras funciones, naturalmente, era la occisiĂłn ritual. Hay vagas noticias de que algunos sacerdotes tomaban el papel del dios y morĂan representĂĄndolo».84 Il y eut sans doutes des cas de folie sacrĂ©e chez des fidĂšles possĂ©dĂ©s dâune rage mystique connue dans dâautres religions, le culte de CybĂšle, par exemple, et prĂȘts Ă se mutiler ou se tuer. Mais Alfredo LĂłpez Austin ne considĂšre pas les cas sans doute infiniment plus frĂ©quents dans lesquels la victime nâavait rien choisi du tout, et nâĂ©tait dĂ©clarĂ© prĂȘtre que le temps dâune reprĂ©sentation et bien malgrĂ© elle, ce qui nâempĂȘchait nullement de sâadresser Ă elle par les termes de prĂȘtre ou Grand-PrĂȘtre, titres honorifiques que reçoit aussi Quet-zalcĂłatl comme le veut le protocole religieux: «Tezcatlipoca; entrĂł, le salu-do y dijo: âHijo mĂo, sacerdote Ce Acatl QuetzalcĂłatlâ».85 LĂłpez Austin fait donc de QuetzalcĂłatl un cas trĂšs exemplaire, mais somme toute un simple cas particulier dâun vaste ensemble de personnages qui prĂ©sentent les mĂȘmes particularitĂ©s ou certaines dâentre elles. Nous sommes bien dâaccord quâil y eut une quantitĂ© de QuetzalcĂłatls, câest Ă dire dâacteur du rĂŽle, mais ce nâest
83. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 155.84. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 181, citant Francisco
HernĂĄndez, AntigĂŒedades de la Nueva España, trad. y notas de JoaquĂn GarcĂa Pimentel (Ciudad de MĂ©xico: Editorial Pedro Robredo, 1946): 176-177.
85. Annales de CuauhtitlĂĄn, 39.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 7
pas dans ce sens que LĂłpez Austin parle de la multiplicitĂ© des QuetzalcĂłatl, il rassemble sous la catĂ©gorie gĂ©nĂ©rale des hommes-dieux des personnages Ă vrai dire trĂšs diffĂ©rents: hĂ©ros nationaux et tribaux, prĂȘtres, sorciers, shamans, ixipt-la, nahuals, devins, rois, victimes, etcetera. Il voit bien que certains dâentre eux auraient pu ĂȘtre des prisonniers ou des esclaves manipulĂ©s, droguĂ©s, dĂ©personna-lisĂ©s pour en faire les ixiptla des dieux, de simples acteurs, mais prĂ©sente ces cas comme de simples exemples mineurs, presque marginaux de sa catĂ©gorie gĂ©nĂ©-rale des hommes-dieux. Il ne voit pas ou ne veut pas voir que ce sont pour la plu-part ces acteurs forcĂ©s du mystĂšre divin qui sont justement Ă la base de toutes les autres imaginations pseudo historiques trĂšs idĂ©alisĂ©es. Il voit bien que les ixi-ptla des dieux, se transformaient en nahual du dieu qui entrait en eux pour les possĂ©der, qui prenait possession de leur enveloppe terrestre, mais prĂ©sente cela comme une qualitĂ© particuliĂšre, exceptionnelle et stupĂ©fiante, admirable, de cer-tains ĂȘtres dotĂ©s de pouvoirs ou dons spĂ©ciaux, et ne veut pas voir que nâimporte qui ou presque pouvait ĂȘtre attrapĂ©, manipulĂ©, opĂ©rĂ©, lobotomisĂ©, reprogrammĂ© psychologiquement pour en faire un automate, un zombie, une simple enveloppe vide dans laquelle on pouvait insuffler lâesprit du dieu Ă reprĂ©senter, reformater et reprogrammer totalement son comportement aprĂšs un sĂ©rieux lavage de cer-veau. Bref, en faire un acteur parfait. LĂłpez Austin semble vraiment croire quâil existait un type prĂ©hispanique de surhommes, et que ces personnages Ă©taient vĂ©ri-tablement dotĂ©s de pouvoirs surhumains et surnaturels, capables de prouesses mentales et spirituelles hors du commun, quâils avaient bien mĂ©ritĂ© de leurs rĂ©putations de dieux ou demi dieux, de hĂ©ros culturels, chefs et maĂźtres spiri-tuels de leurs communautĂ©s. Et pour lui, QuetzalcĂłatl fut donc un personnage (ou des personnages) historique douĂ© de qualitĂ©s exceptionnelles, surhumaines, en quelque sorte un saint homme. Son commentaire du passage suivant montre bien quâil exclue de sa catĂ©gorie dâhommes-dieux les victimes, prisonniers ou esclaves achetĂ©s qui nâen pouvaient mais, et se seraient bien passĂ© dâun tel honneur:
Cuando Motecuhzoma Xocoyotzin, alarmado por las señales celestes de la desgra-cia, interpelĂł a la imagen viva de Huitzilopochtli, contestĂł el muchacho: âŠque Ă©l era un pobre mozo ignorante y que de cosas del cielo Ă©l no alcanzaba nada, porque ni era astrĂłlogo, ni hechicero, ni adivino. Que mandase llamar a los astrĂłlogos y adivinos y a los que sabĂan de las cosas nocturnas y que le preguntase, que aquel era su oficio.86
86. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 183-184, citant Du-rĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, II: LXIII: 6:468.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
8 anl lbuf
Et LĂłpez Austin de commenter: «¥A quĂ© nivel habĂan llegado los salvadores de pueblos!» Ce qui montre bien quâil croit vraiment aux qualitĂ©s et pouvoirs excep-tionnels des hommes-dieux, et nâa pas compris que pour la majoritĂ© ce sont de pauvres victimes innocentes, prises au piĂšge dâune mĂ©canique sociale infernale. Or dans la rĂ©ponse de ce pauvre garçon, câest de tout le contraire quâil retourne, ce nâest pas A quel niveau Ă©tait tombĂ©e la fonction de «sauveur du peuple»! Cette rĂ©ponse du jeune homme dont on avait voulu faire le pantin de dieu devrait bien plutĂŽt soulever notre admiration, quelle grandeur dans cette rĂ©ponse! Car contrai-rement Ă la grande majoritĂ© des autres victimes qui sâavouaient vaincues, rĂ©signĂ©es Ă la mort, et jouaient docilement les jeux des prĂȘtres et de toute la sociĂ©tĂ©, celui-ci fait enfin preuve dâune saine et noble insolence et dâun esprit critique remar-quable, dâune libertĂ© absolue. Il peut bien se le permettre, se sachant condamnĂ© Ă mort de toutes maniĂšres. A vrai dire il insulte Moctezuma et avec lui ses prĂȘtres et toute lâidĂ©ologie de lâempire. Les grands prĂȘtres du pouvoir central de Tenochtitlan lâont eux-mĂȘmes dĂ©signĂ© pour ĂȘtre le dieu suprĂȘme des aztĂšques, et en particulier le dieu absolument principal pour Moctezuma et tout le pouvoir AztĂšque! Huitzi-lopochtli. Comment pourrait-on lui porter la contradiction? Par cette rĂ©ponse il se moque de lâEmpereur et dĂ©chire le voile de lâimposture religieuse, de lâidĂ©ologie du pouvoir. Moctezuma Ă©tait dâune extrĂȘme dĂ©votion, comment aurait-il pu chĂątier le dieu vivant? ce faisant il aurait complĂštement sapĂ© les fondements idĂ©ologiques de lâempire. Le jeune homme, ixiptla de Huitzilopochtli prend Moctezuma Ă son propre piĂšge. Peut-on sâimaginer quâun simple jeune homme puisse se permettre une telle rĂ©ponse Ă Moctezuma que mĂȘme les plus grands nobles ne pouvaient regarder en face et qui envoyait Ă la mort tous ses contradicteurs. Mais quâaurait-il pu faire au dieu vivant? Parmi la masse des Ă©lus rĂ©signĂ©s et abattus, se trouvaient donc aussi quelques rares rĂ©voltĂ©s, superbes combattants de la libertĂ© et de la vĂ©ri-tĂ©. Ces cas sont trĂšs rares, mais nous trouvons chez les Mayas une autre victime, cette fois fĂ©minine qui sauve sa vie par une insolence du mĂȘme esprit, retournant contre les prĂȘtres leur propre idolĂątrie, superstition et crĂ©dulitĂ©:
Un anciano de Chichen ItzĂĄ relata un incidente, que asienta LĂłpez Medel, segĂșn el cual a una joven a quien se iba a sacrificar se le exhortĂł a que pidiera despuĂ©s de su trĂĄnsito buenos temporales para sus cosechas; sin embargo, ella se rebelĂł y replicĂł que si la mataban pedirĂĄ el contrario. La joven fue sustituida por otra vĂctima.87
87. Martha Ilia NĂĄjera Coronado, El don de la sangre en el equilibrio cĂłsmico. El sacrificio y el autosacrificio entre los antiguos mayas (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional AutĂłnoma
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 9
Mais ces cas hĂ©roĂŻques Ă©taient rares sans doute. Les victimes sont trop souvent prĂ©sentĂ©es comme des hĂ©ros, des surhommes qui sâoffraient avec rĂ©signation, indiffĂ©rence, joie ou arrogance au couteau du sacrifice. Mon hypothĂšse nous amĂšnera bien loin dâune telle idĂ©alisation.
La liste des tenants de la thĂšse historique sont nombreux et lâon peut se demander comment les discussions sur lâhistoricitĂ© de QuetzalcĂłatl ont pu durer jusquâaux temps prĂ©sents puisque la chose avait Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e dĂšs la fin du siĂšcle. Brinton Ă©crivait alors:
Why should we try to make a king of Itzamna, an enlightened ruler of QuetzalcĂłatl, a cultured nation of the Toltecs, when the proof is of the strongest, that every one of these is an absolutely baseless fiction of mythology? Let it be understood, hereaf-ter, that whoever uses these names in an historical sense betrays an ignorance of the subject he handles, which, were it in the better known field of Aryan or Egyptian lore, would at once convict him of not meriting the name of scholar.88
Pure mythologie?
Jill Leslie Furst dans son Ă©tude des codex de la Mixteca considĂ©rĂ©s sĂ©rieusement par Alfonso Caso comme documents historiques et gĂ©nĂ©alogiques, avance lâhy-pothĂšse selon laquelle les codex gĂ©nĂ©alogiques MixtĂšques qui placent souvent QuetzalcĂłatl comme ancĂȘtre dynastique, nâauraient aucune valeur chronolo-gique historique, et quâil sâagit en fait de rĂ©cits mythiques Ă valeur divinatoire:
The numerous dates in the Mixtec codices and lienzos have long been considered a mean of reconstructing Mixtec prehistoryâŠâŠ My own study of the obverse of Vindobonensis, suggest, however, that none of the dates in this important and exceptionally well painted manuscript may be read as a literal and historical indi-cator of time.89
de MĂ©xico-Instituto de Investigaciones FilolĂłgicas, 3), 114, citant TomĂĄs LĂłpez Medel, Relation, Papers of the Peabody Museum of American Archaeology and Ethnology, vol. XVIII, Apendix B (Cambridge and Massachusetts: Harvard University, 1941, 194).
88. Brinton, American Hero Myth, 35.89. Furst, «The year 1 Reed, Day 1 Alligator: A Mixtec Metaphor», 93.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
1 anl lbuf
Nous pouvons tomber partiellement dâaccord sur le peu de fiabilitĂ© historique des gĂ©nĂ©alogies anciennes reprĂ©sentĂ©es sur ces documents, dont les auteurs, comme câest de tradition humaine, ont embelli, anobli et divinisĂ© leur pas-sĂ©. Les gĂ©nĂ©alogies royales issues de QuetzalcĂłatl nâont dâautre valeur que celle de justifier une royautĂ© de droit divin, mais cela ne signifie pas pour autant que les dates inscrites nâaient aucune valeur du point de vue de lâastronomie et de la chronologie historique, comme aussi dâailleurs, des points de vue de la philo-sophie, de la religion et de lâhistoire des sciences et de la politique.
Graulich, auteur majeur et dâune immense maĂźtrise de lâhistoire et de la culture de lâancienne MĂ©soamĂ©rique revient Ă diverses reprises sur la figure de QuetzalcĂłatl.9 Il rappelle dans Mythes et rituels du Mexique ancien prehispanique,91 que jusquâĂ la fin du Ăšme siĂšcle, câest Ă peine si lâon doutait de lâhistoricitĂ© de QuetzalcĂłatl et des ToltĂšques. Graulich Ă©videmment ne croit pas beaucoup Ă lâhistoricitĂ© du personnage:
Une tentative de biographie de QuetzalcĂłatl, le soi-disant roi et rĂ©formateur reli-gieux des prĂ©dĂ©cesseurs des AztĂšques, les ToltĂšques, a conduit Ă une conclusion sans ambigĂŒitĂ©: tel que prĂ©sentĂ© par les sources, ce QuetzalcĂłatl est mythique de part en part. Peut-ĂȘtre un personnage de ce nom a-t-il existĂ©, mais on ne sait rien de sa vie ni des Ă©vĂ©nements de son temps, Rien. Le mythe a tout recouvert.9
Il va plus loin encore, lorsquâil Ă©crit que:
Il est significatif quâaprĂšs la ConquĂȘte les anciens Mexicains ont cru bon de sâin-venter un souverain pseudo-historique, le fameux QuetzalcĂłatl, le Serpent Ă Plumes, qui aurait interdit les sacrifices humainsâŠ93 Or selon les chroniques, QuetzalcĂłatl aurait Ă©tĂ© un rĂ©formateur religieux quasi monothĂ©iste qui aurait interdit les sacrifices humains et que son frĂšre ennemi, Tezcatlipoca, partisan des sacrifices aurait chassĂ© de la ville. Il serait parti vers lâest et lâon croit retrou-ver sa trace⊠à Chicchen Itza! Belle illustration de la prudence qui doit prĂ©sider Ă la lecture des sources Ă©crites. Toutes sont postĂ©rieures Ă la conquĂȘte espagnole et
9. Graulich, Myths of Paradise Lost in Pre-Hispanic Central MĂ©xico; Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan; Graulich, Los reyes de Tollan.
91. Graulich, Mythes et rituels du Mexique ancien prehispanique (Bruxelles: Académie Ro-yale, 1987).
9. Graulich, Montezuma ou lâapogĂ©e et la chute de lâempire aztĂšque, introd., V.93. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 15.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 11
certaines sâefforcent, de maniĂšre comprĂ©hensible, de prĂ©senter aux colonisateurs et aux missionnaires une image plus flatteuse de leur passĂ©. En lâoccurrence, il sâagissait de montrer que les indiens aussi avaient Ă certains moments rĂ©prouvĂ© les sacrifices humains.94
Enfin:
no se puede reconstruir el pasado con meras enumeraciones de lugares o de ciu-dades conquistados, incluso aunque las listas concordaran entre sĂ, lo que no es el caso. Tampoco se puede reconstruir el pasado con listas de reyes fantasmas de quienes no se sabe nada.95
Ici, Graulich non seulement nie lâexistence historique de QuetzalcĂłatl roi de Tollan et de Tollan elle-mĂȘme, mais il va mĂȘme jusquâĂ prĂ©tendre quâun aspect aussi important de sa lĂ©gende que celui de refuser les sacrifices humains serait une affabulation des indigĂšnes pour complaire au conquĂ©rant chrĂ©tien. Autant jâapprouve la premiĂšre proposition, autant je ne puis ĂȘtre dâaccord avec la seconde, et reste persuadĂ© que ce trait du personnage est authentique-ment prĂ©hispanique. Mendieta le prouve, les aspirations Ă se libĂ©rer des sacri-fices si douloureux Ă©taient bien prĂ©sents dans le Mexique prĂ©hispanique, et les indiens Totonaques, suppliaient leur grande dĂ©esse, parĂšdre du Soleil, de les en Ă©pargner:
TenĂan gran esperanza en ella que por su intercesiĂłn les habĂa de enviar el sol a su hijo para librarlos de aquella dura servidumbre que los otros dioses les pedĂan de sacrificarles hombres, porque lo tenĂan por gran tormento, y solamente lo hacĂan por el gran temor que tenĂan a las amenazas que el demonio les hacĂa y daños que de Ă©l recibĂan.96
Les indiens eux-mĂȘmes Ă©taient Ă©pouvantĂ©s par les sacrifices, ils ne les pra-tiquaient que pour complaire aux dieux mauvais, et sâen protĂ©ger. Câest du moins ce quâil ressort de la dĂ©claration faite par la premiĂšre ambassade de Moc-tezuma aux espagnols:
94. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 18-19.95. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 11.96. Mendieta, Historia eclesiĂĄstica indiana, 89.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
1 anl lbuf
Luego al dĂa siguiente enviaron aquellos señores y capitanes tres clases de cosas en presente a CortĂ©s; y los que la trajeron le decĂan: «Señor, veis aquĂ cinco esclavos: si sois dios bravo, que comĂ©is carne y sangre, comeos Ă©stos y traeremos mĂĄs; si sois dios bueno, he aquĂ incienso y pluma; si sois hombres, tomad aves, pan y cerezas.97
La proposition de Graulich selon laquelle le refus des sacrifices dans les tra-ditions prĂ©hispaniques de QuetzalcĂłatl serait une complaisance Ă lâĂ©gard des chrĂ©tiens est dâautant plus surprenante quâil a Ă©tĂ© lâun des plus engagĂ© Ă dĂ©mon-trer que lorsque lâon observe des ressemblances frappantes entre la religion aztĂšque et la chrĂ©tientĂ©, il ne faut pas conclure immĂ©diatement Ă un emprunt dâĂ©poque coloniale: «En AmĂ©rique, les chercheurs actuels, plus guĂšre formĂ©s au comparatisme religieux, ont tendance Ă croire que tout ce qui ressemble au christianisme dans les religions mĂ©so-amĂ©ricaines est dâinfluence euro-pĂ©enne, ce qui nâest Ă©videmment pas le cas».98 Pourtant, Ă propos dâun autre trait concernant QuetzalcĂłatll, Graulich nâhĂ©site pas Ă inverser de nouveau les termes de ce que les sources attestent pourtant de maniĂšre rĂ©pĂ©titive, Quetzal-cĂłatll Ă©tait blanc, avait la peau claire. Graulich Ă©crit:
parce quâen 1519 Hernan Cortes fut pris pendant un temps pour le dieu qui reve-nait, les moines espagnols crurent que QuetzalcĂłatl avait dĂ» ĂȘtre un Blanc venu Ă©vangĂ©liser les Indes occidentales et les indiens sâempressĂšrent de leur emboiter le pas et de prĂ©senter QuetzalcĂłatl comme un rĂ©formateur qui aurait interdit les sacrifices humains.99
La blancheur de la peau en AmĂ©rique comme en Europe et bien dâautres endroits, Indes, Japon, est une des marques physiques de lâappartenance Ă la classe supĂ©rieure. Non pas pour des raisons de race, Brinton affirme que cette croyance vient du fait que la clartĂ© de la peau reflĂšte celle de la lumiĂšre que lâon a adorĂ©e partout comme divine et cĂ©leste.1 Mais il se peut plus simple-ment que ce soit parce que cela dĂ©note une personne nâayant pas besoin de tra-vailler aux champs sous le soleil. Et tout comme les nobles dâEurope se faisaient
97. López de Gomara, Historia de las conquistas de Hernan Cortés (México: imprenta de testamentaria de Ontiveros, 186), cap. 45, p. 8.
98. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 45. voir Aussi Graulich, «Myths of Para-dise Lost in Pre-Hispanic Central MĂ©xico» et Graulich, «Lâarbre interdit du paradis aztĂšque».
99. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 33.1. Brinton, American Hero Myth.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 13
un devoir de se garder du soleil, les grandes dames surtout, on disait de Moc-tezuma quâil Ă©tait de peau claire comme aussi sa fille Isabelle. Quâon le veuille ou non, que cela plaise ou non, Ă part quelques exceptions, la blancheur de la peau est apprĂ©ciĂ©e un peu partout, dans les caraĂŻbes comme au Japon: «La gente de estas islas es mĂĄs blanca y dispuesta que la de Cuba ni HaitĂ, espe-cial las mujeres, por cuya hermosura muchos hombres de Tierra-Firme, como es la Florida, Chicora y YucatĂĄn, se iban a vivir a ellas».11 De plus et surtout, les rapports des blancs, des albinos avec la vie recluse et le sacrifice sont bien attestĂ©s au Mexique comme ailleurs en AmĂ©rique: «cuando no llovia arroja-ban a los nacidos blancos, y que de puro blanco no ven».1 En vĂ©ritĂ©, tout ce qui touche Ă QuetzalcĂłatl est bien compliquĂ©! La position franchement dĂ©cla-rĂ©e en faveur de lâexplication mythologique de Graulich avait Ă©tĂ© celle aussi de Brinton qui refusait le titre de savant Ă qui voudrait faire de QuetzalcĂłatl un personnage historique et de Tollan une ville terrestre rĂ©elle. Pour Brinton, Tollan est la ville du soleil resplendissant et de la lumiĂšre.13 Il veut interprĂ©-ter chaque dĂ©tail selon cette clef unique du combat du jour et de la nuit, de la lumiĂšre et des tĂ©nĂšbres au point de lasser le lecteur. Je ne puis Ă©videmment accepter cette interprĂ©tation astrale de la mythologie mĂ©soamĂ©ricaine qui sera celle aussi dâEduard Seler et dâautres auteurs. Brinton voit tout solaire en Quet-zalcĂłatl, Seler y voit par contre la lune,14 on ne sây retrouve pas trĂšs bien. Sâil y a bien une relation forte entre QuetzalcĂłatl et les lois du ciel, les astres, elle nâest pas aussi simple ni aussi confuse. Avec Michel Graulich et la plupart des auteurs les plus rĂ©cents lâĂ©cole mythologique a semble-t-il enfin gagnĂ© la par-tie, bien quâil se trouve lĂ aussi quelques abus. Nous avons vu que Graulich fait de certains aspects de QuetzalcĂłatl, comme par exemple la blancheur de sa peau et sa barbe, les signes dâune invention dâaprĂšs la conquĂȘte, mais Wer-ner Stenzel avance plus loin encore dans son livre «Mitogenesis de una leyen-da postcortesiana».15 Pour lui, Ă peu prĂšs tout ce que lâon sait de QuetzalcĂłatl aurait Ă©tĂ© inventĂ© aprĂšs lâarrivĂ©e des blancs. Il croit aussi quâil est possible de
11. Francisco LĂłpez de Gomara, Historia de las Indias. Historiadores primitivos de las Indias Occidentales, t. I (Madrid: s.e., 1749), cap. XLI, 31.
1. TezozĂłmoc, CrĂłnica mexicana, LXXII, El sacrificio humano, 39; YĂłlotl GonzĂĄlez, El sacrificio humano, 56.
13. Brinton, American Hero Myth.14. Seler, 1993: IV: 165-175.15. Werner Stenzel, «Mitogénesis de una leyenda postcortesiana», Cuadernos del Unicornio,
nr. 13 (Nuevo LeĂłn: Universidad AutĂłnoma de Nuevo LeĂłn-Facultad de FilosofĂa y Letras, 1991).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
14 anl lbuf
sĂ©parer le dieu Serpiente Emplumada Viento du hĂ©ros historique Topiltzin Ce Acatl QuetzalcĂłatll de Tula. JâapprĂ©cie la documentation et suis disposĂ© Ă Ă©cou-ter les arguments dont certains semblent intĂ©ressants, et mĂȘme convaincants, mais il va sans dire que je ne puis accepter cette hypothĂšse en gĂ©nĂ©ral. Dâail-leurs, nous avons de Torquemada citant Sahagun une notice qui dĂ©montre sans faute que les indigĂšnes croyaient vraiment que les espagnols Ă©taient de retour de Tlilan Tlapalan. Pour eux, Tlilan Tlapalan Ă©tait un lieu mythique, trĂšs loin, de lâautre cĂŽtĂ© de lâocĂ©an, mais ils Ă©taient bien en peine de savoir oĂč exactement. Aussi demandent-ils aux espagnols sâils peuvent leur dire oĂč se trouve Tlilan Tlapalan. Les espagnols Ă©berluĂ©s ne savent bien sĂ»r quoi rĂ©pondre puisquâils ne connaissent encore rien de ces lĂ©gendes locales:
Y dice el Padre Fr. Bernardino de SahagĂșn, que en la ciudad de Xuchimilco, le preguntaron algunos indios, quĂ© donde era Tlapallan? Y que les respondiĂł, que no sabĂa, ni tampoco entendiĂł el intento de la pregunta; porque aĂșn no sabĂa estas cosas, porque fue cincuenta años antes que lo escribiera, que vino a ser a mui pocos años, despuĂ©s de su conversiĂłn, y entrada del evangelio, en estas tier-ras; y dice mĂĄs, que entonces ellos andaban dando tientos, para ver si nosotros los Religiosos, y Españoles sabĂamos algo de aquellas antiguallas, que ellos tenĂan.16
Solutions de compromis
Dâautres auteurs essaient de mĂ©nager la chĂšvre et le chou. Laurette SĂ©journĂ© voit en QuetzalcĂłatl la figure centrale de toute la spiritualitĂ© de MĂ©soamĂ©rique. Un roi de Tollan-Teotihuacan qui aurait prĂȘchĂ© lâunion mystique avec la divi-nitĂ© pour sauver lâhomme de son alourdissement dans la matiĂšre, par une vie dâascĂšse et dâabstinence. En somme un ermite, un renonçant, un grand pro-phĂšte, historique, mais quasi divin. Nous sentons ici, bien sĂ»r, un christianisme profondĂ©ment ancrĂ© chez lâauteur de ces lignes. On a du mal Ă comprendre la justification de considĂ©rations dâordre Ă©thique telles que ce commentaire Ă propos du serpent Ă plume de la façade du temple de Xochicalco: «El Quet-zalcĂłatl es el signo del advenimiento de la consciencia».17 Cette attitude spiri-tualiste et trĂšs Ă©motive aura bien Ă©videmment provoquĂ© chez certains lecteurs
16. Torquemada, MonarquĂa indiana, VI: XXIV; II: 5: 1.17. SĂ©journĂ©, El Universo de QuetzalcĂłatl, 38, fig. 31.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 15
Ă prĂ©tentions scientifiques un rejet immĂ©diat et viscĂ©ral. Laurette SĂ©journĂ©, de toute Ă©vidence, a projetĂ© sur QuetzalcĂłatl ses propres aspirations idĂ©alistes et absolues. Je trouve moi-mĂȘme les textes quasi mystiques de Laurette SĂ©jour-nĂ© plutĂŽt littĂ©raires et charmants, trĂšs engagĂ©s idĂ©ologiquement et autobio-graphiques, autrement dit en dissonance avec ce que lâon attend dâune analyse scientifique. Mais justement pour cela, parce que la culture mĂ©soamĂ©ricaine est toute littĂ©rature, exaspĂ©ration religieuse et convention, mise en forme des Ă©motions et des passions, passion mystique, je crois que cet auteur, en dĂ©pit de ses Ă©garements, est bien plus prĂšs de la vĂ©ritĂ© quâon ne le juge gĂ©nĂ©ralement:
Esto sugiere, posiblemente, la llegada al mundo del conocimiento interior cuya gestaciĂłn requiere â segĂșn el ejemplo del rey de Tula â toda una existencia [âŠ]
Como la existencia del rey de Tula termina tambiĂ©n en una ruptura del orden natural, resulta que su historia no es mĂĄs que una rĂ©plica, sobre un plano diferente, de la del reptil en su voluntad de superaciĂłn. En los dos casos, la meta es alcan-zada por medio de largos esfuerzos simbolizados por el movimiento â peregrina-ciĂłn del primero; tentativas de erguirse del segundo â asĂ como por el sacrificio de la forma original. De ahĂ que, lo mismo que la materia bruta estĂĄ considerada a partir de la toma de consciencia de una posible liberaciĂłn de los lĂmites fĂsicos, la sustancia de la serpiente emplumada lo es a partir de su visiĂłn de un dominio que trasciende la objetividad, de la visiĂłn que insufla la necesidad de dirigirse âa los confines del mundo, hacia el horizonte donde cielo y tierra se unanâ.
El mito marca ese punto de partida con los remordimientos del pecado carnal que abre la historia de QuetzalcĂłatl. Como Ă©sta acaba con la hoguera, su vida se revela entonces limitada al peregrinaje, a la bĂșsqueda de un mĂĄs allĂĄ de la situa-ciĂłn experimentada corporalmente.
La soberanĂa de que es investido QuetzalcĂłatl desde antes que existiera el reino de Tula â ya que como hemos visto, el reino implica siempre una previa divinizaciĂłn y que Ă©sta, a su vez, implica un rey poseĂdo del deseo de transformaciĂłn â queda establecida sobre el dominio de los vastos espacios que separan la inercia animal de la consciencia pura. Es, pues, en esta hazaña interior donde reposa la soberanĂa que originĂł el reino de los grandes artistas, de los hombres que, al igual que su dios, poseĂan el secreto de convertirse en energĂa luminosa. Es decir, que lo que hace de QuetzalcĂłatl un rey, es su determinaciĂłn de cambiar el curso de su existen-cia, de iniciar una marcha a la cual no lo obliga mĂĄs que una necesidad Ăntima. Ăl es el Soberano porque obedece a su propia ley, en lugar de obedecer a la de otros.18
18. Séjourné, El Universo de Quetzalcóatl, 55-56.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
16 anl lbuf
Jâai citĂ© largement ce fragment parce quâil est typique de lâĂ©criture de Laurette SĂ©journĂ©, une Ă©criture passionnelle, militante, qui se laisse emballer dans ses propres visions et convictions, projette ses propres espĂ©rances: Ăl es el Sobe-rano «porque obedece a su propia ley». Tout un programme politique et mes-sianique dâanarchie militante et intĂ©griste! Elle se trompe lorsquâelle croit que QuetzalcĂłatl est un personnage historique. Elle se trompe encore lorsquâelle en fait un surhomme maĂźtre et crĂ©ateur de son propre destin, libre et que personne nâoblige, un rĂ©volutionnaire messianique. Mais elle touche juste lorsquâelle pose au cĆur de la problĂ©matique de QuetzalcĂłatl le dĂ©passement de la matiĂšre et de lâinertie animale, la sublimation lumineuse des limitations terrestres, la trans-cendance artistique. Pourtant, ce nâest pas un personnage historique, isolĂ© et unique qui porte tout cela par nĂ©cessitĂ© intime, câest la base culturelle, philo-sophique et religieuse de tout lâensemble culturel de MĂ©soamĂ©rique. Et Quet-zalcĂłatl nâen est que le meilleur reprĂ©sentant, mais un reprĂ©sentant littĂ©raire et scĂ©nique. Et sa seule libertĂ© est dâaccepter le destin tragique qui lui est impo-sĂ©, par force. Mais ce fragment tombe Ă point pour notre interprĂ©tation: «su vida se revela entonces limitada al peregrinaje, a la busqueda de un mĂĄs allĂĄ de la situaciĂłn experimentada corporalmente».19 SĂ©journĂ© sâest laissĂ©e empor-ter par son enthousiasme, et câest pour cette raison mĂȘme quâelle touche juste, les cultures mĂ©soamĂ©ricaines Ă©taient marquĂ©es de la mĂȘme faiblesse. Et dâail-leurs, dans sa revue critique des idĂ©es de Laurette SĂ©journĂ©e, Michel Graulich prĂ©sente un avis assez proche:
A decir verdad, la autora no se enreda demasiado con referencias bibliogrĂĄficas. Pero he demostrado anteriormente y veremos de nuevo en este libro que la idea de la materia de la que uno tiene que liberarse para acceder a la deidad suprema sĂ estĂĄ en el centro del pensamiento religioso mexicano y del sistema sacrificial en particular.11
Ou encore:
lâidĂ©e du sacrifice comme un instrument de libĂ©ration de lâĂąme prisonniĂšre de la matiĂšre, thĂšme ancien de lâInde, des pythagoriciens et des nĂ©opythagoriciens, des philosophes chinois aprĂšs Confucius et de la gnose notamment, Ă©tait bel et
19. Séjourné, El Universo de Quetzalcóatl, 55-56.11. Graulich, Quetzalcóatl y el espejismo de Tollan, -3.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 17
bien un thĂšme mĂ©soamĂ©ricain et Laurette SĂ©journĂ©e a le grand mĂ©rite dâavoir Ă©tĂ© la premiĂšre Ă le pressentir, sinon Ă le dĂ©montrer».111
Bien plus tard, Emanuela MĂłnaco verra aussi lâaspect de transfiguration, de sublimation du destin de QuetzalcĂłatl: «QuetzalcĂłatl lleva a cabo su transfor-maciĂłn de una vida humana corruptible, deleznable, a una vida celeste incor-ruptible, inmortal».11 Position bien proche de celles de Laurette SĂ©journĂ©e et Michel Graulich, et trĂšs bien justifiĂ©e, Ă mon sens. Cette tradition et ces textes reflĂšteraient une expĂ©rience mystique, un parcours initiatique.
En faveur dâun personnage historique mais fortement sceptiques et cri-tiques, se dĂ©clarent des auteurs tels que Eloise Quinones Keber,113 David Car-rasco114 et Hanns Prem.115 David Carrasco, comme Eloise Quinones Keber, voit en QuetzalcĂłatl un modĂšle de la royautĂ© et admet un personnage historique qui sâen serait inspirĂ© ou incarnĂ©. Hanns Prem veut bien accepter lâhistoricitĂ© de QuetzalcĂłatl, et de Tollan, mais se montre trĂšs prudent et accepte quâune quantitĂ© de lĂ©gendes ont brouillĂ© lâimage.
Plus froidement, Victoria Solanilla résume les avis contradictoires pour les accepter tous ensemble:
La figura de Quetzalcóatl presenta un alto grado de dificultad para su estudio, ya que las modernas investigaciones han llegado a concluir que no solamente fue un personaje histórico concreto sino que también fue un dios, un concepto, un arquetipo que se repite en las diversas etapas y zonas culturales de Mesoamérica.116
Cette position largement ouverte est sans doute bien proche de la vĂ©ritĂ©, mais ne rĂ©sout pas la question pour autant, et en fait, nâapporte rien.
111. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztÚques, 34.11. Mónaco, «Quetzalcóatl de Tollan», 139.113. Eloise Quiñones Keber, «Topiltzin Quetzalcóatl in text and images», M.A. thesis (New
York: Columbia University Press, 1979).114. David Carrasco, Quetzalcoatl and the Irony of Empire: Myths and Prophecies in the Aztec
Tradition (Chicago: University of Chicago Press, 1983).115. Hanns Prem, Los reyes de Tollan y Colhuacan, «Los reyes de Tollan y Colhuacan», Mexi-
co, Estudios de Cultura Nåhuatl, nr. 3 (1999): 3-7.116. Victoria Solanilla Demestre, «Quetzalcóatl y su proyección en el Cristianismo», in Lo
que duele es el olvido (Barcelona: Universitat de Barcelona, 1998), 83-93.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
18 anl lbuf
Un modÚle des funérailles royales
Sous la plume de Patrick Johansson nous trouvons des travaux de lâĂ©cole structuraliste française teintĂ©s de phĂ©nomĂ©nologie et de brillantes intuitions poĂ©tiques. Johansson revient Ă plusieurs reprises sur les significations possibles de QuetzalcĂłatl. Son article «La mort de QuetzalcĂłatl: un modĂšle exem-plaire pour les obsĂšques des seigneurs mexicains»117 reprend de nombreux arguments exposĂ©s dans le livre Ritos mortuarios nahuas precolumbinos 118 qui offre une interprĂ©tation originale, et elle aussi exemplaire, de ce quâil nomme le mythe de QuetzalcĂłatl, affirmant par lĂ son caractĂšre non-historique, son caractĂšre de modĂšle religieux. ModĂšle, selon lui, des funĂ©railles royales en MĂ©soamĂ©rique et quâil nomme aussi La ley de Topiltzin. Cette interprĂ©ta-tion est certainement soutenue et confirmĂ©e entre autres nombreux exemples par les texte de TezozĂłmoc et DurĂĄn Ă propos de lâhabillage du corps du roi dĂ©funt pour les obsĂšques de Tizoc: «Hecho esto y cantando delante del, le tornan a descomponer y le adornan de los vestidos que llaman de Quetzal-cĂłatl.119 El cuarto vestido que le ponĂan era del dios QuetzalcĂłatl, ponianle en la caueca una mĂĄxcara de tigre con un pico de pĂĄjaro».1
Câest dire quâil entend le mythe de QuetzalcĂłatl comme le modĂšle lit-tĂ©raire de la liturgie des obsĂšques dâun monarque. La procession des funĂ©-railles royales depuis la prĂ©paration et lâexposition du corps jusquâau bĂ»cher deviennent la fuite de QuetzalcĂłatl vers lâautre monde. Ce faisant, son inter-prĂ©tation se situe ici au plus prĂšs de la mienne. Pour lui il sâagit dâun texte mythologique servant de modĂšle au rituel dâaccompagnement vers lâautre monde du souverain dĂ©funt. Dans la mesure ou les funĂ©railles en gĂ©nĂ©ral, et les funĂ©railles nationales, royales ou impĂ©riales en particulier sont organisĂ©es selon un protocole et une pompe parfaitement thĂ©Ăątrale, nos deux interprĂ©ta-tions se rejoignent, et sâaccordent en parallĂšle sur beaucoup de points. Encore faut-il savoir de quel roi nous parlons. Un vrai roi? Son modĂšle cĂ©leste? Ou son substitut rituel? Lorsquâun roi se meurt, son successeur peut bien lâac-compagner vers lâau-delĂ , en la personne de son substitut, de son alter ego, de son ixiptla, ce qui permet bien entendu au nouveau roi de dĂ©tourner la mort
117. Johansson, «La mort de QuetzalcĂłatl».118. Patrick Johansson, Ritos mortuarios nahuas precolumbinos (Puebla: SecretarĂa de Cultura
de Puebla, 1998).119. Tezozómoc, Crónica mexicana, LXII, 1: 64.1. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: XXXIX: 355.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 19
de sa propre personne. Le sacrifice quâil offre est expiatoire et de protection, et fait partie des cĂ©rĂ©monies dâintronisation. La lecture de Patrick Johans-son est des plus intĂ©ressantes, et de nombreux aspects viennent lâappuyer. Le roi Ă©tait peut ĂȘtre malade avant dâen mourir, il avait bien mauvaise mine, les yeux creux, ou tout gonflĂ©. Effectivement, on lâa sans doute fait boire pendant lâagonie, on grime et masque le mort comme on le fait avec QuetzalcĂłatl, on lui sacrifie une ou plusieurs Ă©pouses pour lâaccompagner, ainsi que ses gens de service, ses pages, nains et bossus quâil aime tant. On va chanter ses exploits et rappeler tous les lieux quâil a visitĂ©, sanctifiĂ©, oĂč il sâest illustrĂ© et laissĂ© des souvenirs durables, enfin, richement habillĂ© et dĂ©corĂ©, le visage couvert dâun masque on le place sur le bucher. A peu prĂšs tout est parallĂšle et lâhypothĂšse dâun QuetzalcĂłatl comme modĂšle des funĂ©railles royales doit emporter lâad-hĂ©sion. Mais ce nâest lĂ que lâune des applications du mythe de QuetzalcĂłatl, dâautant que la solution de Patrick Johansson gĂ©nĂšre aussi quelques Ă©nigmes. Selon lui, la mort de QuetzalcĂłatl a bien lieu Ă Tollan, dans le palais mĂȘme du roi. Tout dâabord Tezcatlipoca lâoblige Ă se regarder dans le miroir, autrement dit, QuetzalcĂłatl serait mort en se regardant dans le miroir de Tezcatlipoca, en quelque sorte il serait passĂ© de lâautre cĂŽtĂ© du miroir, dans lâautre monde. Câest une idĂ©e assez allĂ©chante, mais je ne puis ĂȘtre dâaccord avec cette inter-prĂ©tation, ou du moins seulement de maniĂšre partielle. Plus loin, câest dans lâacceptation du pulque quâil propose de voir le moment de la mort: «Dans lâoptique qui est la nĂŽtre, lâentrĂ©e de Tezcatlipoca dans la maison de Quetzal-cĂłatl reprĂ©sente la mort de ce dernier, mort attendue puisque le roi Ă©tait vieux et malade, et le mĂ©dicament quâon lui propose sera en fait le remĂšde mortel qui guĂ©rira son agonie».11
«Le fait dâaccepter la boisson enivrante que lui propose Tezcatlipoca consti-tue une rupture de pĂ©nitence, Ă©quivalent actanciel, dans le contexte considĂ©-rĂ©, de la mort».1
QuetzalcĂłatl serait-il donc mort empoisonnĂ©? De coma alcoolique? ivre-mort! Ici non plus, je ne puis suivre cette lecture, bien quâelle soit elle aussi acceptable dâune certaine maniĂšre, remise dans un autre contexte. Le miroir prĂ©sente et annonce la mort, il nâest pas encore la mort. Le pulque constitue aussi certainement un signe de la mort qui sâapproche, mais il nâest pas encore la mort, lui non plus, le Rabinal Achi lâexprime trĂšs clairement: ConcĂ©deme tu
11. Johansson, La mort de QuetzalcĂłatl, 18.1. Johansson, La mort de QuetzalcĂłatl, 1.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
anl lbuf
alimento, tus bebidas. Las recibirĂ© para probarlas». Esto dijo tu voz. «Ăsa serĂĄ la suprema señal de mi muerte, de mi fallecimiento» .13
La troisiĂšme annonce de la mort est constituĂ©e par la nuit dâivresse avec Quetzalpetlatl. Câest encore le Baron de los QuichĂ©s qui nous en assure:
Concedeme a la Madre de las plumas, la Madre de los Verdes Pajarillos, la Pie-dra Preciosa, traĂda de Tzam-Gam-Garchag, cuyos labios estĂĄn aĂșn por estre-nar, cuya cara no ha sido tocada, para que estrene su boca, que estrene su cara. Que baile con ella, que yo la muestre en los vastos muros, en la vasta fortaleza, en los cuatro rincones, en los cuatro lados, como suprema señal de mi muerte, de mi fallecimiento, bajo el cielo, sobre la tierra. El cielo, la tierra, estĂ©n contigo, jefe Cinco-Lluvia.14
Et pour finir, pour QuetzalcĂłatll comme pour le Baron des QuichĂ©s, cette mort ne sera pas simplement symbolique, un simple Ă©quivalent actanciel, une forme littĂ©raire, non, ce sera vraiment la mort, la mort clinique.15 Si dans son ensemble lâinterprĂ©tation de Johansson est trĂšs convaincante pour la partie du texte allant de la mise dans la caisse de pierre jusquâĂ la crĂ©mation Ă Tlilan Tla-palan, elle nâexplique pas les singularitĂ©s de la premiĂšre partie, celle de la vie de renoncement et de pĂ©nitence jusquâĂ lâacceptation du miroir, de la coupe et de la nuit dâivresse. Pour cette partie, chacun des arguments est Ă Ă©tudier en dĂ©tail, et si lâon y trouve des propositions trĂšs intĂ©ressantes, on y remarque aussi quelques incohĂ©rences, quelques impossibilitĂ©s logiques. La prĂ©sentation du miroir peut bien signifier la porte dâentrĂ©e dans le monde des esprits. Câest pour cela que lâon voile les miroirs dans la maison du mort en Europe comme en dâautres pays. La boisson enivrante est un signe de mort. En boire cinq coupes, justement, signifie au Mexique se saouler Ă mort! La nuit dâamours avec une prostituĂ©e quâelle soit ou non sacrĂ©e peut elle aussi mener Ă une sorte de petite mort. Evidemment que le dĂ©part, et le voyage, en gĂ©nĂ©ral sont les images du grand voyage par excellence, du voyage vers lâau-delĂ ou dĂ©jĂ dans lâautre monde. Comme chez nous le chemin de Santiagio de Compostelle, sur terre et dans la voie lactĂ©e. Le texte des Annales de Cuauhtitlan comme
13. Rabinal Achi, Teatro indĂgena prehispĂĄnico, Francisco Monterde, prol. (Ciudad de MĂ©xico, Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 15), 68.
14. Blixen, «Rabinal Achi», 7.15. Bien que celle-ci dans la piÚce de Rabinal soit jouée de la maniÚre la plus légÚre qui soit.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 1
les autres textes qui lui sont parallĂšles sont bien explicite, le voyage vers Tli-lanTlapalan est un exil ou un pĂšlerinage vers le bĂ»cher funĂ©raire dans lequel QuetzalcĂłatl va se jeter ou se faire jeter pour devenir lâEtoile du Matin dâune nouvelle Ăšre, dâun nouveau Soleil. Lâinnovation chez Patrick Johanson câest de situer le moment de la mort bien plus tĂŽt:
En fait deux lectures du mythe qui se compĂ©nĂštrent peuvent ĂȘtre faites ici. La premiĂšre, la plus accessible, et que le texte exprime de maniĂšre explicite en struc-ture de surface, Ă©tablit que QuetzalcĂłatl part de Tula, chassĂ© par Tezcatlipo-ca, et sâen va mourir Ă Tlillan, Tlapallan, un lieu situĂ© sur la cĂŽte du Golfe du Mexique. Lâautre plus sĂ©miologique, moins Ă©vidente, et qui constitue notre hypo-thĂšse, serait: que QuetzalcĂłatl meurt Ă Tula Ă un moment prĂ©cis que notre ana-lyse dĂ©terminera, et que son voyage vers Tlillan Tlapallan sâeffectue dâOuest en Est dans les entrailles rĂ©gĂ©nĂ©ratrices du Mictlan. La mort, le dĂ©part, le voyage et lâarrivĂ©e constitueraient dans ce cas le modĂšle exemplaire du parcours eschatolo-gique effectuĂ© par un roi aprĂšs son dĂ©cĂšs.16
LâidĂ©e prĂ©sente ici dâune double lecture est bien intĂ©ressante et peut ĂȘtre dĂ©ve-loppĂ©e. On pourrait ainsi tracer plusieurs histoires parallĂšles toutes entrelacĂ©es:
â Le rĂ©cit dâune vie se terminant Ă Tollan dans la caisse de pierre.â Celui dâune vie se terminant par lâexil ou la fuite et un suicide Ă Tlilan
Tlapalan.â Le rĂ©cit du voyage en esprit dans le monde infĂ©rieur.â Le thĂšme mythique de lâincarnation, de la mort et de la renaissance du
dieu.â Le modĂšle structural des rites dâinitiation.â Le rituel dâintronisation royale.â Lâimage de la tragĂ©die de lâhomme et de ses espĂ©rances.â LâĂ©ternel recommencement des cycles cosmiques, plus particuliĂšrement
ici celui de VĂ©nus.â Le cortĂšge funĂ©raire transportant le corps du roi de son palais au bĂ»cher
de crémation. Effectivement, durant les funérailles on déclamait et jouait la vie et les faits
hĂ©roĂŻques du dĂ©funt et on allait en pĂšlerinages visiter les lieux oĂč il Ă©tait pas-sĂ© de son vivant. On pouvait y promener en procession son corps bandĂ©, ou
16. Johansson, La mort de QuetzalcĂłatl, 1.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
anl lbuf
son image, ou encore les cendres et restes du roi dĂ©funt mais on pouvait tout autant se contenter de dĂ©clamer les hauts faits de sa vie, ou les deux parallĂšle-ment, un acteur mimant les hauts faits dĂ©clamĂ©s de la vie du roi. On rejouait sa vie. Nous voyons donc ici la possibilitĂ© dâune composition polyphonique dans laquelle on joue la mĂȘme partition simultanĂ©ment ou consĂ©cutivement mais chaque partition est dĂ©calĂ©e par rapport aux autres, dĂ©placĂ©e Ă lâoctave, Ă la quinte, ou sur une autre clef, et lâon reprend le thĂšme de base alors que dâautres ont dĂ©jĂ commencĂ© une autre partie ou dâautres variations. On peut alors accepter que lâinterprĂ©tation proposĂ©e ici et celle de Patrick Johnson, bien que diffĂ©rentes, ne soient pas nĂ©cessairement contradictoires.
Pour Patrick Johansson, ce texte des Annales de Cuauhtitlan et le mythe sur lequel il se fonde constituent le modÚle des funérailles royales, funérailles qui constituent elles aussi, trÚs évidemment, une sorte de représentation théùtrale:
Le voyage de QuetzalcĂłatll vers Tlillan, Tlapallan ne reprĂ©sente pas seulement lâexil du roi de Tula et la rĂ©gĂ©nĂ©ration cosmique du soleil mais constitue Ă©gale-ment le modĂšle exemplaire de la rĂ©gression du dĂ©funt dans le Mictlan et la ges-tation de son Ăąme, modĂšle qui Ă©tablit en fait la «loi de Topiltzin» câest-Ă -dire le protocole rituel correspondant aux funĂ©railles dâun seigneur mexicain.17
Il Ă©crit dâailleurs: «Les diffĂ©rents programmes narratifs entrelacĂ©s dans cette version ne sâopposent pas en termes dâexclusion. Comme nous lâavons indiquĂ© plus haut, la fusion dans une totalitĂ© cognitive des diffĂ©rents niveaux actanciels est une nĂ©cessitĂ© pour une apprĂ©hension fonctionnellement vĂ©cue du sens».18
Le rite sacrificiel de la reprĂ©sentation thĂ©Ăątrales du mystĂšre de QuetzalcĂłatl est aussi une transposition des funĂ©railles du souverain, chacun des deux Ă©tant lâixi-ptla de lâautre sans que lâon puisse donner la primeur Ă lâun plutĂŽt quâĂ lâautre, et les deux sont aussi les ixiptla du mythe fondateur de la mort du dieu, mythe qui lui-mĂȘme ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme premier, mais plutĂŽt comme description visuelle de la piĂšce reprĂ©sentĂ©e. Et encore, une piĂšce dans laquelle se rĂ©duit Ă lâes-sentiel la tragĂ©die humaine. Nous Ă©tions accoutumĂ©s Ă considĂ©rer le terme ixiptla comme limitĂ© Ă des personnages, des animaux, des objets, des Ă©lĂ©ments naturels ou des concepts, mais nous voyons ici la possibilitĂ© dâĂ©tendre cette notion Ă des fragments historiques, rituels et mythiques complexes, des sĂ©quences narratives
17. Johansson, La mort de QuetzalcĂłatl, 1.18. Johansson, La mort de QuetzalcĂłatl, 1.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 3
trĂšs Ă©laborĂ©es, des structures littĂ©raires entiĂšres, transposĂ©es dans le temps et lâes-pace, rhabillĂ©es, rĂ©interprĂ©tĂ©s. Ce qui est parfaitement illustrĂ© par les rĂ©cits his-toriques ou pseudo-historiques calquĂ©s sur des modĂšles mythiques, eux-mĂȘmes se rĂ©pĂ©tant en sĂ©ries de variantes Ă partir dâune mĂȘme structure et transposĂ©es sur le mĂȘme Ă©chiquier du temps rĂ©glĂ© par sĂ©quences de 5 ans.19
Il serait bien temps dâouvrir ici une parenthĂšse pour essayer de cerner les sens possibles de ce mot essentiel pour la comprĂ©hension des cultures mĂ©soamĂ©ri-caines prĂ©hispaniques et de la culture Nahua en particulier, celui dâIxiptla. Ixi-ptla est construit sur la racine Xipe qui signifie Ă©corcher la peau, dĂ©pecer, câest Ă dire arracher lâapparence, lâimage, la partie visible, extĂ©rieure de lâĂȘtre. Lâixi-ptla dans le sens Ă©troit, est un ĂȘtre humain qui reprĂ©sente un dieu sur terre lors des cĂ©rĂ©monies, un acteur, mais cet acteur disparait complĂštement pour nâĂȘtre plus quâune enveloppe, une baudruche, une peau que va gonfler le souffle du dieu, littĂ©ralement se mettre dans sa peau, se mettre Ă sa place, câest-Ă -dire faire prendre des vessies pour des lanternes. Graulich le dit bien Le systĂšme sacrificiel nâest-il dâailleurs pas par excellence celui des substitutions? 13 Lâixiptla devient dieu, il est le dieu lui-mĂȘme, prĂ©sence de dieu. Lâixiptla permet au dieu de se matĂ©-rialiser, de sâincorporer, de sâincarner, de se figurer, de se transfigurer, de sâactua-liser, de se vĂȘtir, de sâhabiller, de se prĂ©senter, de se reprĂ©senter, de se montrer, de paraĂźtre, dâapparaĂźtre, de naĂźtre, de connaĂźtre, de se faire connaĂźtre et recon-naĂźtre, de se manifester, dâexister. Ce que fait lâixiptla du dieu, une fois devenu dieu, le fait ensuite celui qui, portant sa peau, va le reprĂ©senter Ă nouveau sur terre, son Xipe (xipe Totec), mot lui aussi apparentĂ©. Tout ce qui peut reprĂ©sen-ter un autre ou autre chose est ixiptla. Le fils est lâixiptla de son pĂšre, lâambassa-deur est lâixiptla de son roi, la statue est lâixiptla du dieu, la montagne miniature de pĂąte dâamarante est lâixiptla de la vrai montagne, le temple miniature lâixiptla du temple principal, une situation historique rappelant une sĂ©quence mythique en constitue aussi lâixiptla, le personnage couvert de la peau dâune victime sacri-ficielle reprĂ©sentant un dieu est ainsi lâimage dâune image. Ce dieu lui-mĂȘme Ă©tant la reprĂ©sentation dâune force naturelle, image du vent, de la pluie, etce-tera. En fait le monde entier nâest constituĂ© que dâun rĂ©seau de chaĂźnes dâixipt-la, tous reflets les uns des autres. La note 4 au texte de Cristobal del Castillo,
19. Michel Graulich a présenté une étude des variations du mythe dans Quetzalcóatl y el espejismo de Tollan.
13. Michel Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 88.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
4 anl lbuf
Historia de la venida 131 traduit Ixiptla comme personage teatral, pour ĂȘtre origi-nale, cette traduction tombe ici au mieux. Câest trĂšs bien vu.
Il me semble trĂšs possible que lors des reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales ce voyage ne durait quâun instant, et quâaprĂšs son dĂ©part, sa sortie de scĂšne, seul un entracte musical dĂ©clamĂ© par un chĆur et des danses sĂ©parait le dĂ©cor de scĂšne du palais de Tollan de celui de lâarrivĂ©e Ă Tlilan Tlapalan, ce dĂ©cor pouvait ĂȘtre rĂ©duit Ă sa plus simple expression et le changement de lieu pouvait ĂȘtre sim-plement dĂ©clarĂ© comme tel. Le bĂ»cher de crĂ©mation pouvait ĂȘtre reprĂ©sen-tĂ© par un simple brasero dans lequel on jetait du copal pour faire sâĂ©lever un nuage dâĂ©tincelles et de fumĂ©e. Le voyage Ă©tait parfois contĂ© et mimĂ© sur place. Miguel LĂ©on Portilla le mentionne: «Una vez mĂĄs el coro y el actor principal van alternando los himnos. Se vuelven a describir los sitios por donde va pasan-do QuetzalcĂłatll en compañĂa de los toltecas».13
Nous voyons dâailleurs que ce long et grand voyage ne se pouvait faire quâen esprit puisque Tollan et Tlillan Tlapalan sont un seul et mĂȘme lieu. Selon Saha-gun, lorsque QuetzalcĂłatl demande au vieux oĂč il doit aller, celui-ci rĂ©pond Ă Tollan Tlapallan: «O viejo, a donde me tengo de yr: y le dixo, el dicho viejo. Por fuerça aueys de yr, a Tullan Tlapallan».133 Ce qui pourrait ĂȘtre pris pour un lapsus de Tlillan Tlapallan nâest en fait quâune Ă©quivalence, le mĂȘme endroit, lâAlpha et lâOmega de ce cycle refermĂ© sur lui-mĂȘme dans lâespace comme dans le temps, sur scĂšne. Nous voyons ceci dans la mise en scĂšne du Rabinal Achi. Le Baron des QuichĂ©s: «despuĂ©s solicita la Ășltima gracia: ir a despedirse de sus montañas durante 13 veces dĂas, o sea 6 dĂas, lo que constituĂa un año del calendario religioso. El protagonista hace mutis por un momento con lo que se simboliza el largo viaje realizado y vuelve danzando».134
On pourrait aussi soutenir que le voyage de QuetzalcĂłatl vers Tlilan Tla-palan, vers la mer et le ciel, lâautre monde, constitue le modĂšle de la mort en gĂ©nĂ©ral et non seulement les funĂ©railles royales. QuetzalcĂłatl montre aux hommes le chemin et leur promet le retour sur terre, la rĂ©surrection. Sa
131. CristĂłbal del Castillo, Historia de la venida de los mexicanos y de otros pueblos e historia de la Conquista, Cien de MĂ©xico (Ciudad de Mexico: SecretarĂa de EducaciĂłn PĂșblica, 1), 93, note 4 de Federico Navarrete Linares.
13. Miguel León Portilla, «Teatro nåhuatl prehispånico», in La Palabra y el Hombre. Revista de la Universidad Veracruzana (1959): 31.
133. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, III: IV: 11v; Historia General, : 311.134. Hyalmar Blixen, «El Rabinal Achi y el teatro danzado de los mayas», disponible en http://
letras-uruguay.espaciolatino.com/blixen_hyalmar/rabinal_achi_y_el_teatro_danzado.htm
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 5
lĂ©gende sert donc aussi et peut-ĂȘtre surtout Ă consoler les mortels de leur mort inĂ©vitable, leur promettre un retour Ă la vie en QuetzalcĂłatl. Ecoutons TezozĂłmoc raconter lâangoisse de Moctezuma qui devant lâarrivĂ©e des espa-gnols prĂ©fĂšre aller se cacher chez Huemac, dans la grotte de Chapultepec, câest Ă dire se suicider, ou se faire immoler dans cette grotte. Pour lâen dis-suader, Tzoncoz lui parle:
Mirad, señor, lo que oy se trata del Ăe teuchtli que lleuo consigo QuetzalcĂłatll. ÂżNo fueron a morir a Tlapalam por la Mar del Ăielo arriba? Y sus prençipales de ellos llamados Matlacxochitl y Oçomatli y Timal, que fueron estos los mayores nigromanticos del mundo en Tula, y al cabo Âżno binieron a morir? Que los llevo su rrey y señor QuetzalcĂłatll, no estan agora en el mundo. Agora, señor, Âżque te fatigas, que as? Torna en si agora mas alegria que nunca tubiste en la bida, agora goza tu noble juventud, floresçe, y ese animo agora mayor que nunca lo tubiste en la bida, agora mucho rregozixo, fiestas, alegrias en jardines, huertas.
Moctezuma lui répond: Abeisme hecho mucho plazer y me abeis dado mucho consuelo. ¿Quien me consolara como agora me abeis consolado?135
Intronisation royale
Nous pouvons encore considĂ©rer que si le modĂšle QuetzalcĂłatl est celui des funĂ©railles royales ou de la bonne mort en gĂ©nĂ©ral, il est aussi celui de lâintro-nisation: «Ya de oy, señor, quedais en el trono, silla, que primero pusieron Ce Acatl y Nacxitl QuetzalcĂłatll».136
Heredado has el estado real de muy ricas y hermosas plumas y el aposento de pie-dras preciosas que dexĂł el dios QuetzalcĂłatll y el gran Topiltzin.137
Asi mesmo tenian por preeminencia los dos sumos sacerdotes dichos de confir-mer en los estados å todos los gouernadores y Reyes desta Nueua España desta manera que los tales Reyes ó caçiques en heredando el Reyno ó señorio venian å esta ciudad å reconoscer obedençia al ydolo della queçalcoatl. A qual ofrescian
135. Tezozómoc, Crónica mexicana, CVII, 464.136. Tezozómoc, Crónica mexicana, LVIII, 1:49.137. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, XXXIX: 359.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
6 anl lbuf
plumas Ricas, mantas, oro, y piedras presciosas y otras cosas de valor y auiendo ofrescido los metian en una casilla que para este efecto estaua dedicada en la qual los dos sumos sacerdotes los señalauan horandandoles las orejas las narices ó el labio inferior segun el señorio que tenian.138
Eloise Quiñones Keber a vu les relations entre les rites dâintronisations des rois et les mortifications de Topiltzin QuetzalcĂłatl Ă Tula. Elle Ă©crit: «The types of self-sacrifice and penance associated with Topiltzin QuetzalcĂłatll in the text were performed by rulers as part of dynastic ceremonies».139
Emanuela MĂłnaco voit aussi dans la saga de QuetzalcĂłatl le modĂšle de la transmission dynastique: «Topiltzin QuetzalcĂłatl representa y funda la realeza elemental, de tipo dinĂĄstico».14 Tout dâabord, lâavĂšnement dâun nouveau roi succĂšde en gĂ©nĂ©ral Ă la mort du prĂ©cĂ©dent, et dans le cas de conquĂȘtes, le nou-veau roi peut ĂȘtre tout simplement le conquĂ©rant qui vient dâachever la dynas-tie locale pour prendre la place du mort. Mort parfois pour avoir Ă©tĂ© sacrifiĂ© par le vainqueur qui lui succĂšde. Et puis, le rituel dâinvestiture est, comme la plupart des rites dâinitiation, essentiellement une mort et renaissance. Nous pouvons donc supposer que la mort et la renaissance du roi Ă©tait accompagnĂ©e de celles de QuetzalcĂłatl, le modĂšle mĂȘme de la royautĂ©, qui mourrait avec le roi et renaissait avec son successeur, en quelque sorte une version mexicaine du Le roi est mort, vive le roi. Lâacteur QuetzalcĂłatl pouvait bien jouer cette mort et renaissance glorieuses du roi lors des cĂ©rĂ©monies de funĂ©railles et dâin-vestitures royales, en parallĂšle, et reprĂ©senter thĂ©Ăątralement lâimmortalitĂ© de la fonction royale. LĂ©on Portilla le confirme:
AdemĂĄs de los declamadores, hicieron su apariciĂłn los grupos de actores que repre-sentaban plĂĄsticamente las leyendas y los mitos. En el repertorio de textos reco-gidos por SahagĂșn, asĂ como en la colecciĂłn de cantares mexicanos y en otros documentos mĂĄs, hallamos no pocos himnos y poemas que denotan claramente la presencia de diversos personajes que dialogan entre sĂ, ofreciendo los momentos culminantes de los antiguos mitos y leyendas nahuas. Como es obvio, no siempre se afirma expresamente que dichos himnos y poemas podĂan ser representados. Sin embargo, su lectura nos muestra que parecen concebidos precisamente para ser
138. Gabriel Rojas, «Relacion de Cholula», Revista Mexicana de Estudios Históricos I (197), 161.139. Quiñones Keber, Topiltzin Quetzalcóatl in Text and Images, 64.14. Mónaco, «Quetzalcóatl de Tollan», 14.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 7
puestos en escena. AquĂ vamos a transcribir tan sĂłlo uno de esos poemas pertene-cientes a la colecciĂłn de cantares mexicanos. En Ă©l se recuerda el gran mito de la huida de QuetzalcĂłatll que abandonĂł Tula y marchĂł hacia el oriente, hacia Tli-lan Tlapalan, «el lugar del color negro y rojo», la tierra de la sabidurĂa. Oigamos el texto y procuremos imaginar la acciĂłn que lo acompañaba. Es tal vez un can-tor quien da principio al poema que recuerda y describe la salida de QuetzalcĂłat-ll, nuestro prĂncipe, Nacxitl Topiltzin, al abandonar a Tula.141
En Tula una casa de tablones,SĂłlo quedan columnas cual serpientes,La dejo abandonada Nacxitl,Nuestro prĂncipe [Topiltzin.14]Con mĂșsica de caracolesSon llorados nuestros principes,Van a perderse alla en Tlapallan.143
Ainsi pleure et se lamente Matlacxochitl, le successeur de QuetzalcĂłatll sur le trĂŽne de Tollan.
Que penser?
Les sources prĂ©tendument historiques concernant les rois de Tollan ne sont que dĂ©sordres et contradictions. Davies;144 Prem145 et Graulich146 analysent logique-ment toute la documentation, pour essayer de remettre de lâordre dans la suc-cession dynastique de Tollan, mais Ă©videmment sans aucun succĂšs. Le rĂ©sultat de leurs investigations montre que lâon ne peut faire aucune confiance aux sources soi-disant historiques. Tout cela ne sâexplique que par la mythologie et la lĂ©gende. Mais il semble pourtant certain quâun ou plutĂŽt plusieurs Quet-zalcĂłatl aient vĂ©cu sur terre en chair et en os, historiquement. Ne les oublions
141. LeĂłn Portilla, Teatro nĂĄhuatl prehispĂĄnico, 3, citant Cantares Mexicanos.14. Topiltzin dans lâoriginal nahuatl, traduit ici par nuestro prĂncipe.143. Cantares Mexicanos, trad. y n. de Miguel Leon Portilla, 3 vols. (Ciudad de MĂ©xico:
Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico, 11), II: 351.144. Nigel Davis, The Toltecs Until the Fall of Tula (Norman: University of Oklahoma Press, 1977).145. Hanns Prem, âLos dos reyes de Tollan y Colhuacanâ, Estudios de Cultura NĂĄhuatl, nr.
3 (1999): 3-7.146. Graulich, Los reyes de Tollan.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
8 anl lbuf
pas, célébrons leur mémoire, ce sont eux tous qui ont créé le Quetzalcóatl abs-trait et divin. Graulich fait à ce propos une remarque précieuse:
Lâhabitude aztĂšque de dĂ©signer un personnage par le nom du dieu quâil person-nifie, ou mĂȘme, quâil porte, fait mieux comprendre comment, dans le rĂ©cit du meurtre de Copil, celui-ci est tuĂ© par un prĂȘtre, soit par un prĂȘtre portant Huit-zilopochtli, ou par Huitzilopochtli lui-mĂȘme. On voit mieux aussi par quel biais on est arrivĂ©, dans les rĂ©cits de pĂ©rĂ©grinations plus ancienne, Ă ne plus mettre en scĂšne que des dieux.147
Notons quâil contredit ici complĂ©tement lâexpression de son mĂ©pris pour lâex-plication Ă©vhĂ©mĂ©riste exprimĂ© par ailleurs.148 Dâailleurs Cristobal del Castil-lo dĂ©crit exactement cette transformation rĂ©elle dâun hĂ©ros en dieu. Le chef des aztĂšques se transforme en image du dieu Huitzilopochtli puis devient lui-mĂȘme Huitzilopochtli:
Y tambien con esto te favorecemos, pues tu seras Tetzauhteotl, en efecto seras su imagen, por lo que te llamaran Huitzilopochtli Tetzauhteotl. Ya habeis escucha-do lo que me fue ordenado. Y eso tambien os lo ordeno, porque en verdad ya soy su imagen, ya me hice nuestro dios Tetzauhteotl.149
Nous pouvons encore remarquer quâĂ considĂ©rer le nombre impressionnant dâexplications, dâinterprĂ©tations, de commentaires, et de mĂ©ditations quâa suscitĂ© le personnage de QuetzalcĂłatl, on voit bien quâen ceci aussi il se prĂ©-sente comme une crĂ©ation littĂ©raire, un chef dâĆuvre de littĂ©rature mytholo-gique et thĂ©Ăątrale, un archĂ©type qui rĂ©sonne Ă lâinfini dans les Ăąmes, au-delĂ des frontiĂšres culturelles locales, comme Hamlet ou Ćdipe. La force et la profondeur des symboles quâil Ă©veille, et son ambigĂŒitĂ© elle-mĂȘme suscitent toutes les rĂȘveries, fĂ©conde lâimagination. La richesse dâun texte littĂ©raire ou mythologique, nâest-elle pas justement de se prĂȘter Ă dâinnombrables lectures et interprĂ©tations, et des plus variĂ©es? Par sa briĂšvetĂ© mĂȘme, ses silences et ses contradictions internes, ce texte ouvre la porte Ă toutes les imaginations,
147. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztÚques, 35.148. Voir plus bas son désaccord avec Cristóbal del Castillo, Graulich, Le sacrifice humain
chez les AztĂšques, 84. 149. CristĂłbal del Castillo, Historia de la venida de los mexicanos, VIII: 8.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 9
permet toutes les broderies, et la diversitĂ© des lectures et des commentaires. Câest ici la marque du chef dâĆuvre! Comme dans la vie elle-mĂȘme, nous ne sommes toujours que mal ou partiellement informĂ©s des causes et des effets, sans compter les pertes et destructions de documents, les torsions des sources, les manipulations idĂ©ologiques conscientes ou non, chacun se cache comme il peut. Les contingences et nĂ©cessitĂ©s, la mĂ©canique sociale et son protocole, les non-dits, les allusions, les mensonges, lâincomprĂ©hension, les malenten-dus, les timiditĂ©s, les silences, les douleurs secrĂštes, les plaisirs cachĂ©s, et toutes les subjectivitĂ©s produisent les plus Ă©tranges combinaisons. Comme dans la nouvelle dâAkugatawa, Dans le fourrĂ©,15 ou chacun raconte sĂ©parĂ©ment sa ver-sion des faits, chacun des rĂ©cits est vraisemblable et logique, ils sont pourtant tous complĂštement diffĂ©rents, et qui plus est, incompatibles. Avec les textes et commentaires concernant QuetzalcĂłatl, nous avons souvent lâimpression de nous trouver dans la mĂȘme situation. Pourtant, sur de nombreux points, les auteurs arrivent Ă tomber plus ou moins dâaccord. De fait toutes les interprĂ©-tations et solutions prĂ©sentĂ©es sont acceptables, plus ou moins, et complĂ©men-taires. Et puis, dans les sciences humaines, les niveaux de lecture, les points de vue, les changements dâangles, de cultures ou dâĂ©poques font sans cesse appa-raĂźtre de nouveaux aspects pas toujours incompatibles avec ceux dĂ©jĂ connus par dâautres analyses. En adoptant ce nouvel Ă©clairage dâun QuetzalcĂłatl acteur, de trĂšs nombreuses contradictions disparaissent. Car il faut bien lâavouer, ce ne sont pas les contradictions internes qui manquent ici. Une courte revue des problĂšmes posĂ©s par la figure de QuetzalcĂłatl, figure emblĂ©matique pour la comprĂ©hension des cultures de MĂ©soamĂ©rique montre Ă quel point ce person-nage reste Ă©nigmatique, insaisissable et comme il laisse le lecteur perplexe. La documentation existante et les Ă©tudes sur QuetzalcĂłatl rĂ©vĂšle une grande variĂ©-tĂ© de points de vues, nous trouvons:
â Un QuetzalcĂłatl Guerrier, un autre pacifiste. Ils ne sont pas du mĂȘme Ăąge, le premier est un jeune conquĂ©rant, le deuxiĂšme, par force sans doute vient de faire son adieu aux armes.
â Un ermite opposĂ© Ă toute violence ou un dieu vengeur et sanguinaire.â Un prĂȘtre, le grand prĂȘtre par excellence ou tout au contraire la victime
impuissante aux mains des prĂȘtres, un pantin manipulĂ© dont on se moque.â Parfois dieu et dâautres fois un homme tout simplement. Un simple et
15. Ryubosuke Akugatawa, Dans le fourré, Rashomon et autres contes (Paris: Gallimard, 1965).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
3 anl lbuf
pauvre mortel malade, dâune laideur repoussante, ou le reprĂ©sentant de lâhumanitĂ© toute entiĂšre, le modĂšle canonique de la beautĂ© humaine, son symbole, son rĂ©dempteur.
â Un grand roi, le modĂšle des rois, le roi des rois ou un prisonnier de guerre, un guerrier dĂ©chu, vaincu. Un roi de carnaval, de pacotille, par dĂ©rision.
â Le modĂšle thĂ©orique des funĂ©railles royales ou bien la reprĂ©sentation dif-fĂ©rĂ©e de la mort du roi.
â La reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale de lâintronisation royale et son modĂšle.
JâespĂšre pouvoir montrer et convaincre que tous ces aspects peuvent se retrou-ver et justifier dans un mĂȘme personnage: QuetzalcĂłatl acteur du mystĂšre reli-gieux prĂ©hispanique. Il faudrait pouvoir lire la vie de QuetzalcĂłatl comme celle dâune composition littĂ©raire faite dâun collage Ă partir de fragments historiques, mythiques, lĂ©gendaires et rituels, de reprĂ©sentations commentĂ©es, un ensemble insĂ©parable dâĂ©lĂ©ments ayant servis Ă sa composition. Et surtout comme la des-cription de la reprĂ©sentation de la vie et de la mort du dieu sur terre, dans la peau de son reprĂ©sentant.
Lâauteur anonyme des Annales de Cuauhtitlan, comme SahagĂșn, DurĂĄn, Juan Cano, lâHystoire du Mechique, la Leyenda de los soles, et la Historia de los mexicanos por sus pinturas, entre autres151 nous rapportent lâhistoire du roi de Tollan, Topiltzin QuetzalcĂłatl, ou plutĂŽt, et ceci est dĂ©jĂ un signe, ils ne nous disent presque rien de sa vie, mais seulement des conditions de sa fin: -Acatl. Es relacion de Tezcoco que en este año murio QuetzalcĂłatl Topiltzin de Tol-lan en Colhuacan,15 3-Tecpatl, 4-Calli, 5-Tochtli, 6-Acatl, 7-Tecpatl, 8-Calli, 9-Tochtli, 1-Acatl, 11-Tecpatl, 1-Calli, 13-Tochtli, 1-Acatl, en este año muriĂł QuetzalcĂłatl.153
Le texte des Annales rapporte laconiquement la naissance de Topiltzin QuetzalcĂłatl et avec plus de dĂ©tails la fin du grand roi de Tollan. Toute la des-cription de la naissance, de la vie et de la mort du roi occupe quatre pages manuscrites serrĂ©es qui couvrent la totalitĂ© de lâannĂ©e 1-Acatl,154 importante
151. Voir la revue savante que, Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future, donne des sources.
15. Annales, 35.153. Annales 39.154. Remarquons, autre contradiction du texte que lâon annonce sa mort dans lâannĂ©e -Acatl
pour affirmer plus loin quâil mourut lâannĂ©e 1-Acatl. Mais on prĂ©cise que la premiĂšre date est
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 31
entre toutes. Puis, de nouveau, comme avant, la litanie des annĂ©es qui passent file vers lâavenir: -Tecpatl, 3-Calli, 4-Tochtli, 5-Acatl, 6-Tecpatl, 7-Calli, 8-Tochtli, 9-Acatl, 1-Tecpatl, 11-Calli, -1-Tochtli, 13-Acatl, -Calli, 3-Tochtl,155 Comme si le seul Ă©vĂšnement important de cette pĂ©riode historique ancienne avait Ă©tĂ© la mort du grand roi Topiltzin dans lâannĂ©e 1-Acatl, lâannĂ©e mĂȘme de sa naissance. Ce rĂ©cit se prĂ©sente comme une histoire chronologique. La vie de Topiltzin fait suite Ă celle de Coyotzin et lorsquâelle sâachĂšve, le rĂšgne de son successeur Matlacxochitl commence. On y relĂšve pourtant plusieurs sin-gularitĂ©s qui invitent Ă y regarder de plus prĂšs. Tout dâabord, non seulement le roi porte un nom divin, mais les ennemis et alliĂ©s du roi eux-mĂȘmes ne sont pas de simple humains: Tezcatlipoca le dĂ©mon au miroir, Toltecatl le dieu du Pulque,156 Ihuimecatl un autre dieu des ivresses et Coyotlinahual le plumas-sier divin, sont des ĂȘtres mythiques, des dieux. Il est bien vrai aussi que tous les Pierre ou les Arthur ne sont pas le disciple de JĂ©sus ou le Roi de la Table Ronde, mais que penser de tout cela? -Si nous lisons ce texte comme une chro-nique historique du royaume de Colhuacan ou de Tollan, comment interprĂ©-ter les noms des acteurs divins de lâopĂ©ra des dieux? Et si nous le lisons comme un rĂ©cit mythique, comment expliquer quâil soit insĂ©rĂ© dans une suite chro-nologique strictement datĂ©e en temps rĂ©el? Inscrit dans une lignĂ©e de succes-sion dynastique entre Coyotzin ou Ihuitimal et Matlacxochitl ou Huemac avec des mentions dâautres souverains et personnages contemporains jusquâaux Ă©poques modernes et la venue des espagnols, fait on ne peut plus historique. Sâagit-il dâune chronique historique ou dâun rĂ©cit mythique? Que ces rĂ©cits soient souvent lĂ©gendaires, mythiques et divinatoires semble Ă©vident ou du moins probable, mais mĂȘme alors, cela ne devrait pas empĂȘcher la possibilitĂ© dâun ancrage historique pour les parties qui se prĂ©sentent comme des allĂ©gories astronomiques et peuvent avoir Ă©tĂ© jouĂ©es Ă lâopĂ©ra des dieux pour un public bien terrestre Ă lâoccasion des grandes cĂ©rĂ©monies, et donc Ă un moment prĂ©-cis de la chronologie humaine. Le fait quâune histoire gĂ©nĂ©alogique commence par des origines lĂ©gendaires et mĂȘme quasi divines est affaire courante sur tous les continents, mais cela nâimplique pas quâaux gĂ©nĂ©rations suivantes, elle ne puisse reposer sur des archives parfaitement documentĂ©es. Si en Europe nous
donnée selon la tradition de Texcoco, sans nous informer du systÚme de la deuxiÚme date, mais la plupart des sources confirment bien la date 1-Acatl pour sa naissance et sa mort.
155. Annales, 53.156. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, I: XXII: 3v, I: ApĂ©ndice: 4r; SahagĂșn, Historia General,
111, 14.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
3 anl lbuf
croyons savoir bien dĂ©finir les limites entre mythe, lĂ©gende et histoire, câest peut ĂȘtre que nous sommes encore, grĂące Ă Dieu, trĂšs profondĂ©ment enracinĂ©s dans nos propres convictions culturelles et idĂ©ologiques.157 La distance aidant, il nous est moins pĂ©nible de voir Ă quel point histoire et mythologie peuvent parfois sâentrelacer en MĂ©so-AmĂ©rique. LĂ , nous le voyons, nous sommes en pleine histoire mythique. Chacun adapte le modĂšle Ă sa propre histoire ou plutĂŽt fait entrer lâhistoire dans les structures mythiques et idĂ©ologiques prĂ©Ă©ta-blies. Et mĂȘme en Europe oĂč lâon prĂ©tend savoir bien sĂ©parer histoire, religion, mythe et lĂ©gende et ou le mythe, la lĂ©gende et la fable relĂšvent de lâaffabula-tion, de la littĂ©rature, on pourrait pourtant bien souvent formuler ainsi leurs rapports: La mythologie est lâhistoire des vaincus et lâhistoire, la mythologie des vainqueurs. Je ne ferais pas pour ma part une diffĂ©rence bien nette entre ces deux types de rĂ©cits. En MĂ©soamĂ©rique surtout, ou toutes les cultures sont des variantes dâun mĂȘme ensemble fondamental, lâintĂ©gration et la cohĂ©rence interne sont dâune grande force, et la symbiose entre vainqueurs et vaincus successifs est si complĂšte quâil devient presque impossible de sĂ©parer lâhis-toire du Mythe. Les ennemis sont des ennemis intimes respectant les mĂȘmes rĂšgles du jeu. Les vaincus sont littĂ©ralement mangĂ©s et digĂ©rĂ©s et deviennent partie intĂ©grante des vainqueurs, insĂ©parables. Les vainqueurs nouveaux venus se font assimiler par lâancienne sociĂ©tĂ© millĂ©naire et ses coutumes et structures mentales les plus profondes. Les traditions mĂ©so-amĂ©ricaines semblent avoir systĂ©matiquement essayĂ© de calquer lâhistoire sur la mythologie et la mytholo-gie sur lâhistoire. SystĂšme idĂ©ologique dans lequel le jeu politique est lĂ©gitimĂ© par son insertion dans lâidĂ©ologie religieuse. La mythologie sây trouve inscrite dans un ordre astronomico-cosmique strictement calculĂ© servant de trame et de modĂšle Ă sa reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale: un rituel fastueux de lâopĂ©ra cĂ©leste, dans lequel les hommes endossent les rĂŽles des dieux.
Sabian cuando viene apareciendo, en que signos y cada cuando resplandece, les dispara sus rayos y les muestra enojo. Si cae en 1-Cipactli (espadarte), flecha a los viejos y viejas, a todos igualmente. Si cae en 1-Ocelotl (tigre), si en 1-Macatl (vena-do), si en 1-Xochitl (flor), flecha a los muchachitos. Si en 1-Acatl (Caña), flecha a los grandes señores, etcetera.158
157. Nâen dĂ©plaise aux dĂ©constructeurs de salon.158. Annales, 51.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 33
Rituel et politique, mythe et histoire sont, dans lâancien Mexique, Ă©troitement entrelacĂ©s. Les sociĂ©tĂ©s mĂ©soamĂ©ricaines sont Ă©minemment conventionnelles et thĂ©Ăątrales. Si nous voulons mieux entendre le contenu des archives et sources anciennes, il est nĂ©cessaire de garder ces considĂ©rations Ă lâesprit et lire la masse des informations comme les variantes ou les diffĂ©rents niveaux dâinterprĂ©tation dâun seul ensemble cohĂ©rent. Cet effort suprĂȘme des civilisations mĂ©so-amĂ©ri-caines pour crĂ©er une rĂ©alitĂ© physico-spirituelle unique et harmonieuse sâest fait au prix, bien sĂ»r, de quelques distorsions et dâabus symboliques. Il faut aussi compter sur quelques glissements, erreurs et trahisons dans les copies, les rĂ©su-mĂ©s et les traductions qui nous sont parvenus. Les sources mĂ©so-amĂ©ricaines se tiennent toutes entre elles dans une inextricable composition faite Ă par-tir des ruines et fragments de milliers dâannĂ©es dâhistoire et selon la technique du collage et du palimpseste. Tous les monuments sont construits Ă partir des matĂ©riaux du passĂ©. Tel fragment ancien a Ă©tĂ© dĂ©tournĂ© au profit dâune nou-velle Ă©criture de lâhistoire, aprĂšs la destruction des livres anciens comme cela est attestĂ© chez les AztĂšques: «y se sabia por las pinturas que se quemaron en tiempo del señor de MĂ©xico que se dezia Itzcoatl, en cuyo tiempo los señores y los principales que avia entonces acordaron y mandaron que se quemasen todas, porque no viniesen a manos del vulgo, y viniesen en menosprecio».159
Revenons Ă la diversitĂ© des hypothĂšses explicatives Ă propos de QuetzalcĂłatl. Il me semble donc quâil ne serait pas impossible de concilier les tenants des deux points de vue principaux qui sâopposent depuis si longtemps, lâhisto-rique et le mythologique. Le seul lieu oĂč lâon rencontre la fusion du temps des dieux et de celui des hommes, lâhistoire et lâĂ©ternitĂ©, câest celui de lâincar-nation et lâautel du sacrifice. On peut donc dĂšs lors lire ces rĂ©cits comme une liturgie, la description du rituel de prĂ©paration de la victime sacrificielle et son immolation en lâhonneur de lâĂ©toile du matin pour le renouveau des temps. Le modĂšle premier est sans doute religieux, mythologique, ce qui nâempĂȘche pas que cet opĂ©ra divin ait pu ĂȘtre reprĂ©sentĂ© sur terre et que lâon puisse donc le traiter historiquement. Exactement comme Hamlet est un personnage de faible consistance historique, mais quâil a servi de modĂšle Ă plusieurs Ćuvres littĂ©raires et quâil a Ă©tĂ© trĂšs souvent jouĂ©, par des acteurs rĂ©els, dont on peut connaĂźtre lâidentitĂ©, Ă diffĂ©rentes dates, dans de nombreuses salles de pays dif-fĂ©rents, nous avons les critiques dans la presse et les recettes des reprĂ©sentations
159. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, X: XXIX: pĂĄrrafo 14: 14r; SahagĂșn, Historia general, 974.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
34 anl lbuf
dans les livres de comptes. Bien que traduit dans toutes les langues, câĂ©tait Ă chaque fois le mĂȘme Hamlet, et chaque fois diffĂ©rent. Beaucoup plus prĂšs culturellement et gĂ©ographiquement de la tradition de Cuauhtitlan, nous dis-posons du texte maya-QuichĂ© du Rabinal Achi et de ses reprĂ©sentations tou-jours vivantes. QuetzalcĂłatl fut un homme-dieu jouĂ© sur scĂšne en diffĂ©rentes Ă©poques, dans diffĂ©rentes cultures, et pendant plus dâun millĂ©naire, depuis les dĂ©buts de Teotihuacan jusquâĂ la conquĂȘte espagnole. Ces reprĂ©sentations connurent sans doute de nombreuses variantes et variations, une certaine Ă©vo-lution historique. De plus, les sources multiples nâont pas toutes rapportĂ© le mĂȘme aspect du mythe et des rites, des croyances. Tout cela pour finir a Ă©tĂ© rassemblĂ© en une sorte dâamalgame. Il faut ajouter aussi que les chroniqueurs du XVI siĂšcle se sont fait des idĂ©es diffĂ©rentes des tĂ©moignages quâils recueil-laient, et nâont notĂ© que les aspects qui leurs semblaient personnellement les plus remarquables. Ces tĂ©moignages eux-mĂȘmes provenaient dâinformateurs issus de diverses cultures, dĂ©crivant des reprĂ©sentations ou traditions diffĂ©-rentes, et enfin, la mĂ©moire de chacun est sĂ©lective. Pour ces raisons aussi les sources diffĂšrent. Mais il me semble que nous pouvons maintenant mieux comprendre et dĂ©crire le complexe culturel centrĂ© sur QuetzalcĂłatl, lâacteur exemplaire de la vie et de la mort du dieu fait homme ou de lâhomme-dieu. DĂšs lâheure, je tiens aussi Ă mentionner quâil me semble que si les parties exis-tantes des Annales prĂ©sentent toutes les marques de lâauthenticitĂ©, je suis bien dâaccord pour accepter quâil manque une partie des textes dâorigine. Quâune partie des sources compilĂ©es par le rĂ©dacteur ultime a Ă©tĂ© perdue accidentelle-ment, ou plus certainement volontairement omise, abrĂ©gĂ©es pour ne pas fati-guer le lecteur nous disent plusieurs chroniqueurs: «por excusar prolijidad no se ponen aquĂ».16 Le chercheur moderne regrette infiniment ces coupures. Mais il y a aussi des coupures dictĂ©es par la pudeur ou la prudence. Dans ce cas, ce serait le signe dâune adaptation pour lâinterlocuteur chrĂ©tien, une sorte de men-songe par omission, une dissimulation, et en ceci seulement se situerait une certaine distorsion chrĂ©tienne du texte, mais non pas dans ce qui est rapportĂ©. Par exemple, mĂȘme en se limitant strictement au texte des Annales, on soup-çonne que le hĂ©ros meurt deux fois, bien que nous ne trouvions aucune trace de la premiĂšre mort qui se situe selon moi entre la nuit dâivresse et de noces et le chemin de lâexil vers Tlilan Tlapalan. Tout comme Patrick Johansson, Michel Graulich avait dĂ©jĂ remarquĂ© que le voyage Ă Tlilan Tlapalan pouvait
16. IxtlilxĂłchitl, Obras histĂłricas I, 63.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 35
sâentendre comme un voyage dans le monde des morts, dans lâautre monde, un voyage post-mortem:
Luego hay el viaje propiamente dicho. Sabemos a ciencia cierta que se trata de la transposiciĂłn de un viaje infernal en un trayecto de oeste (el paraĂso de Tollan estĂĄ necesariamente ubicado al oeste) a este, o sea el curso del sol despuĂ©s de poner-se. En efecto, no sĂłlo se dice francamente que QuetzalcĂłatl edifica las casas del Lugar de los muertos (Mictlancalco) â lo que es comprensible al comienzo de una era â sino que ademĂĄs, varias de sus jornadas corresponden a igual nĂșmero de estaciones en el inframundo. Desde la partida hay como una preparaciĂłn a la muerte. El dios se ve viejo y llora. SegĂșn los Annales, se encierra cuatro dĂas en una caja de piedra: en otras palabras, es como si estuviera muerto y enterrado (el dios supremo pone al rey muerto en una caja). Luego cruza el rĂo Tepanoayan, es decir el infernal Apanoayan que cierra el paso al paĂs de los difuntos.161
LĂłpez Austin avait Ă ce propos bien justement remarquĂ© lui aussi, que le sĂ©jour de quatre jours dans la caisse de pierre avant de partir pour Tlilan Tlapalan devrait marquer la mort de QuetzalcĂłatl: «Tal vez este detalle permita suponer que la marcha hacia Tlapallan se hace, simbolicamente, cuando QuetzalcĂłatll ha muerto».16 Il semble donc bien manquer quelque chose entre ces deux Ă©pi-sodes de la nuit dâivresse et du dĂ©part vers Tlilan Tlapalan. Un manque rĂ©sul-tant probablement dâun silence sur lâacte mĂȘme du sacrifice sanglant, de la mise Ă mort, un oubli pudique en prĂ©sence du lecteur chrĂ©tien, Ă moins quâil nâaf-firme par son silence mĂȘme que la mort nâest rien, rien quâun changement de monde, un changement de costume, un dĂ©part en voyage, un passage de fron-tiĂšre. Ce silence sur lâinstant de la mort pourrait aussi provenir dâune pudeur littĂ©raire dĂ©jĂ de bon ton avant la conquĂȘte, en quelque sorte la biensĂ©ance de notre thĂ©Ăątre classique: Ce quâon ne doit point voir.163 Saburo Sugiyama note aussi trĂšs justement quâĂ Teotihuacan:
Las escenas pictogrĂĄficas que se habĂan interpretado como rituales mitolĂłgicos, en realidad representan hechos reales, y aunque no se han identificado escenas de
161. Graulich, QuetzalcĂłatl y el espejismo de Tollan, 181-18.16. Lopez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 14, faisant rĂ©fĂ©ren-
ce Ă CristĂłbal del Castillo, Historia de la venida de los mexicanos, cap. 5.6, 11; Annales, 47 et 5.163. Boileau, lâArt poĂ©tique, Ă©dition de Guy Riegert (Paris: Larousse, 197 [primera ediciĂłn,
1674]) chant III, vv.51-54.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
36 anl lbuf
sacrificio humano explĂcitas o realistas, existe una gran cantidad de imĂĄgenes de cuchillos, de corazones, de gotas de sangre y otros sĂmbolos relacionados con las representaciones de sacerdotes en acciĂłn ritual o con los guerreros que supues-tamente capturaban cautivos para los rituales.164
Graulich avait remarquĂ© dĂ©jĂ quâĂ Teotihuacan, les artistes: «Evitan escenas explĂ-citas: tenemos por ejemplo alusiones al sacrificio humano pero ninguna repre-sentaciĂłn del acto».165 Sylvie Peperstraete le souligne Ă son tour: «Les artistes prĂ©colombiens ont prĂ©fĂ©rĂ© montrer dâautres moments du rite, prĂ©cĂ©dant ou suivant lâexĂ©cution de la victime, voire parfois tout simplement procĂ©der par allusions».166
Nous trouvons la mĂȘme biensĂ©ance littĂ©raire et thĂ©Ăątrale dans lâĂ©voca-tion pudique de la nuit dâivresse de QuetzalcĂłatl et de sa sĆur Quetzalpet-latl: «DespuĂ©s que se embriagaron, ya no dijeron: âPero si nosotros somos ermitanos!â Ya no bajaron a la acequia; ya no fueron a ponerse espinas». On se contente de cerner ce qui sâest fait par ce que lâon nâa pas fait. Ces ultimes dĂ©lices terrestres sont tout le contraire des macĂ©rations. Il faudra essayer de combler ces Ă©pisodes muets Ă partir de versions parallĂšles et des gloses. Le texte des Annales peut ĂȘtre lu comme la description de la prĂ©paration de la victime sacrificielle pour le culte du renouveau de Venus Etoile du Matin et par exten-tion pour tout renouveau, toutes inaugurations. Cette relation est largement attestĂ©e par de nombreuses sources, et pour nâen citer quâune, celle de Motoli-nia qui aprĂšs sâĂȘtre longuement Ă©tendu sur le culte de la planĂšte VĂ©nus, ajoute que si cette planĂšte Ă©tait tant vĂ©nĂ©rĂ©e, câest quâils croyaient que leur dieu princi-pal, Topiltzin, nommĂ© aussi QuetzalcĂłatl, lorsquâil mourut et quitta ce monde, fut transformĂ© en cette Ă©toile resplendissante:
Despues del sol, a esta estrella adorauan e hazian mas sacrifiçios que a otra criatu-ra ninguna, çelestial ni terrenal. Despues que se perdia en occidente, los astrologos
164. Saburo Sugiyama, «Sacrificios humanos dedicados a los monumentos principales de TeotihuacĂĄn», in Guilhem Olivier y Leonardo LĂłpez LujĂĄn, coords., El sacrificio humano en la tradiciĂłn mesoamericana (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional AutĂłnoma de MĂ©xico/Instituto Nacional de AntropologĂa e Historia, 1), 8-83.
165. Michel Graulich a rajouté ce fragment dans la version dactylographiée, publiée online et non datée, page 8 de son texte de 1988, Quetzalcóatl y el espejismo de Tollan, 1.
166. Sylvie Peperstraete, «Le sacrifice humain au Mexique central prĂ©hispanique. Mise en scĂšne et en images dâun rite spectaculaire», in Image et spectacle, coord. Thierry Lenain, DegrĂ©s 15 (Bruselas: Helbo, 1), 1-1, h 6.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 37
sabian el dia que primero auia de volver a apareçer el oriente. Y para aquel pri-mer dia aparejauan gran fiesta y sacrifiçios⊠La causa y rrazon porque contauan los dias por esta estrella y le hazian rreuerençia y sacrifiçio era porque estos natu-rales engañados pensauan e creian que vn de los prinçipales dioses llamado Topilçin y por otro nombre Quetzalcouatl, quando murio y deste mundo partio, se torno en aquella rresplandeçiente estrella.167
Ces quelques pages des Annales constitueraient donc la description fragmen-taire et incomplĂšte de la prĂ©paration en coulisses et de la reprĂ©sentation thĂ©Ăą-trale dâun mystĂšre religieux donnĂ© en spectacle. LĂłpez Austin rappelle dâailleurs une remarque de Jorge Acosta: «Para Jorge R. Acosta es un misterio que no haya testimonio alguno de la rivalidad entre los adoratores de QuetzalcĂłatll y los de Tezcatlipoca⊠despuĂ©s de esta brilliantĂsima observaciĂłn».168 Nous compre-nons beaucoup mieux cette absence dâanimositĂ© sectaire, si les spectateurs dâune seule et mĂȘme religion assistaient Ă ces reprĂ©sentations de deux acteurs adver-saires sur scĂšne mais appartenant Ă la mĂȘme mythologie, acteurs dâun mĂȘme drame, et surtout de la mĂȘme troupe, formĂ©s dans la mĂȘme Ă©cole. Comme si les reprĂ©sentations de la Semaine Sainte Ă Iztapalapa mettant en scĂšne JĂ©sus et Pilate tĂ©moignait de la lutte des fidĂšles de deux sectes opposĂ©es. Dâailleurs, le sacrifice et le repas de communion servent principalement Ă pacifier et unir tous les membres dâune sociĂ©tĂ© en crise, sous tension, Ă rĂ©tablir la paix sociale entre ennemis intimes. Le capteur et son captifs dansaient ensemble avant le sacrifice: «Cada uno de los que yvan en el areyto assi adereçados yva parea-do con su captivo: yvan ambos dançando a la par».169 Et tous ensembles mĂȘme aprĂšs le sacrifice:
Acabado de acuchillar y matar a los captivos, luego todos los que estavan presen-tes, sacerdotes y principales y los señores de los esclavos, començavan a dançar en su areyto, en rededor de la piedra donde avian muerto a los captivos. Y los seño-res de los captivos en el areyto, dançando y cantando, llevavan las cabeças de los captivos asidas de los cabellos.17
167. Toribio de Benavente MotolinĂa, Memoriales, XVI: 4, 1996: 183.168. LĂłpez Austin, Hombre-Dios. ReligiĂłn y polĂtica en el mundo nĂĄhuatl, 36, citant Jorge
Acosta, Historia natural y moral de las Indias, 17-18.169. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, II: XXIX: 63r; Historia general, 5.17. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, II: XXI: 3r; Historia general, 184.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
38 anl lbuf
Mon optique qui consiste Ă traiter les sources concernant QuetzalcĂłatl comme descriptions de la reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale du mystĂšre divin rĂ©pond Ă bien dâautres Ă©nigmes et interrogations. Michel Graulich remarquait trĂšs juste-ment que:
Un examen plus approfondi du mythe de Teotihuacan fait apparaĂźtre des obs-curitĂ©s et dâapparentes incohĂ©rences remarquables. Dâabord, que font les dieux sur terre, dans les tĂ©nĂšbres? Pourquoi sont-ils pesants, matĂ©riels, et pourquoi lâun dâentre eux est-il bubonneux, comme un homme atteint dâun chĂątiment divin pour avoir pĂ©chĂ©? Pourquoi et comment sont-ils devenus mortels? Pourquoi doivent-ils mourir dans un feu qui dĂ©truit le corps ou sous le couteau sacrificiel?171
Lâauteur commente ici le sacrifice de Nanahuatl, une des incarnations de Quet-zalcĂłatl au moment de la crĂ©ation du cinquiĂšme soleil Ă Teotihuacan, câest-Ă -dire, lĂ oĂč lâon crĂ©e les dieux. On y crĂ©e les dieux, justement, et non pas les hommes! Serait-il exagĂ©rĂ© de lire dans les noms mĂȘmes des dieux Tonacatecu-htli y TonacacĂhuatl, «Señor y Señora de nuestra Carne» quâils sont vraiment les produits de notre chair. Ils sont les dieux primordiaux, la partie palpable du principe de dualitĂ© qui prĂ©side Ă la crĂ©ation: Ometecuhtli y OmecĂhuatl, Señor Dos y Señora Dos. Teotihuacan est le lieu oĂč les hommes se font dieux, ou sont crĂ©Ă©s les dieux, oĂč les hommes crĂ©ent les dieux, leur prĂȘtent corps: «Y se llamo Teotioacan el pueblo de teutl, que es dios, porque los señores que alli se enterravan despues de muertos, los canonizavan por dioses».17 Teotihua-can est le lieu oĂč les hommes crĂ©ent les dieux. Mendieta rapporte que: «Algu-nos de los indios daban a entender que sus dioses eran o habĂan sido primero puros hombres».173
Pour la crĂ©ation du soleil et de la lune Ă Teotihuacan, le texte de Sahagun ne laisse subsister aucun doute, il sâagit dâune reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale rituelle: «Ya es el levantamiento, cuando aĂșn es de noche, para que cumplan su oficio, se convierteron en dioses. Y cuando ya se cerca la medianoche, entonces les ponen a cuestas su carga, los atavian, los adornan».174
171. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 61. Ă propos du texte de la Leyenda De los Soles.
17. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, X: XXIX: pĂĄrrafo 14: 143 r; SahagĂșn, Historia general, 974. 173. Mendieta, Historia eclesiĂĄstica indiana, 191.174. SahagĂșn, CĂłdice Matritense, in Miguel Leon Portilla, editor de AnĂłnimo, Cantos y crĂł-
nicas del MĂ©xico antiguo, 58-6.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 39
Muñoz Camargo lâexplique clairement lorsquâil rapporte les questions des TlaxcaltĂšques aux Espagnols pour savoir sâils sont ou non des dieux et que ceux-ci leur rĂ©pondent ĂȘtre les enfants du dieu unique venus les libĂ©rer de leur idolĂątrie:
Declaraos ya con nosotros y no querais que con torpe engaño caigamos en otros mayores errores; porque si ansi es como decis, que no hay mas de un solo Dios y que todos los demas son compuestos y fabricados por manos de hombres, que no hablan ni se mueven y que son estatuas sin sentido, ansi es verdad, te lo concede-mos y confesamos; mas estos bultos y estatua a quienes servimos y adoramos son imagenes, figuras y modelos de los dioses que en la tierra fueron hombres y [que] por sus hechos heroicos y famosos subieron alla, donde viven en eterno descanso, como agora vosotros, que sois como dioses.175
Lorsque Graulich affirme quâaucun des prĂȘtres de lâancien Mexique nâa laissĂ© de trace, cela semble exagĂ©rĂ©, il semble bien que cette dĂ©claration et les pages qui suivent constituent vraiment une petite leçon de thĂ©ologie prĂ©hispanique. Les hommes devenus dieux avaient pu ĂȘtre des hĂ©ros historiques ou plus souvent des victimes mĂ©morables ou lâaccumulation des victimes des sacrifices succes-sifs pour tel ou autre dieu, ou les trois ensembles pour donner force visuelle et pratique Ă des concepts. Cristobal del Castillo ne sây Ă©tait pas trompĂ© lorsquâil prĂ©sente Huitzilopochtli comme un homme en chair et en os qui nâaurait Ă©tĂ© que le reprĂ©sentant du dieu Chose Effroyable ou Augure, Tetzauhteotl, en qui il se serait fondu Ă sa mort.176 Explication que Graulich trouve aberrante,177 je ne puis comprendre cette rĂ©action de Graulich, tout au contraire je trouve cela parfaitement logique et comprĂ©hensible et dâune vĂ©ritĂ© absolue. Huitzi-lopochtli avait fini par se fondre dans la mort avec lâimage idĂ©ale quâon avait fait de lui, de son vivant et câest ainsi quâil Ă©tait devenu immortel. Graulich ajoute: Mais laissons cet Ă©vhĂ©mĂ©risme incongru, tout au contraire, il ne sâagit nullement dâĂ©vhĂ©mĂ©risme, nous nâavons pas Ă faire Ă un hĂ©ros historique, per-sonnage exceptionnel entrĂ© dans la lĂ©gende puis divinisĂ© comme tel, mais dâun dieu abstrait, dâun concept prĂ©existant sâincarnant dans une personne charnelle historique qui ne devient dieu quâen endossant le rĂŽle et nâavait nul besoin
175. Diego Muñoz Camargo, Historia de Tlaxcala (Madrid: Dastin, ), II: IV: .176. Cristóbal del Castillo, Historia de la venida de los mexicanos, 93; 115; 13.177. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztÚques, 84.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
4 anl lbuf
dâĂȘtre exceptionnelle, elle pouvait ĂȘtre choisie parmi les hommes du commun, et câest uniquement son rĂŽle qui la rendait exceptionnelle, lâaccumulation des sacrifices rendait cette divinitĂ© de plus en plus puissante. Nourrie de plus en plus de sang, elle grandissait et se gonflait et devenait de plus en plus exigeante. Les dieux se nourrissent de nos souffrances, de notre sang, de notre chair Tona-catecuhtli, Tonacacihuatl. SahagĂșn dâailleurs affirmait, lui aussi, bien haut, la stricte humanitĂ© de QuetzalcĂłatl:
Llamaron dios a QuetzalcĂłatll, el qual fue hombre mortal y corruptible, que aunque tuvo alguna aparencia de virtud, segun ellos dixeron, pero fue gran nigro-mantico, amigo de los diablos: y por tanto amigo y muy familiar dellos, digno de gran confusion, y de eterno tormento: y no de que le festeiasen, como a dios, y le adorasen como a tal: herraron grandemente, vuestros antepasados, en la adoracion deste pobre hombre, mortal y corruptible: y dijeron del muchas y muy grandes mentiras, como en su historia, esta claro lo que dijeron vuestros antepasados: que QuetzalcĂłatll fue a Tlapallan, y que a de volver, y lo espereys es mentira que sabe-mos que murio. Su cuerpo esta hecho tierra.178
On reconnait ici chez SahagĂșn le travail de lâĂ©vangĂ©lisateur, de lâextirpateur dâidolĂątrie, Ă©videmment, mais il nâempĂȘche quâil nâaurait pu trahir ses chers indiens, ses informateurs, qui lâauraient certainement corrigĂ© sâil sâĂ©tait Ă©garĂ©, puisque câest justement pour cela quâil les avait rĂ©unis et quâil leur faisait relire, commenter et amender ses Ă©crits. Si aucun ne le fit câest quâaucun dâentre eux nâaurait pu nier lâhumanitĂ© de Topiltzin, la victime du sacrifice. La critique ne concerne que la foi en sa divinisation post-mortem, et non pas son existence terrestre sous une forme purement humaine. Et dâailleurs, seul le peuple pou-vait avoir vraiment et aveuglĂ©ment foi dans la divinitĂ© de QuetzalcĂłatl, les grands, les gens Ă©duquĂ©s savaient bien quâil nâavait Ă©tĂ© quâun simple mortel. Lorsque Moctezuma Ihuilcamina va voir en compagnie de son frĂšre Tlacaelel, les figures sculptĂ©es quâils se sont fait faire dans le rocher de Chapultepec, le roi dit Ă son frĂšre: Hermano Tlacaelel, contentado me han estas figuras, las cuales serĂĄn memoria perpetua de nuestra grandeza, como tenemos memoria de Quet-zalcĂłatl y de Topiltzin, de los cuales estĂĄ escrito que, cuando se fueron, â dejaron
178. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, I: ApĂ©ndice: 35 v-36 r; Historia general, 11.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 41
esculpidas sus figuras en palos y en piedrasâ, en quien adora la gente comĂșn, y sabe-mos que eran hombres, como nosotros.179
Pourquoi nâavons-nous pas Ă©coutĂ© Moctezuma Ihuilcamina et SahagĂșn et Mendieta et CristĂłbal del Castillo et dâautres? Pourquoi ne les avons-nous pas Ă©coutĂ©s? Pourquoi ne les avons-nous pas crus sur parole? Les historiens ne veulent rien savoir sans textes et traces Ă©crites, mais quand ils les ont, ils ne cessent de les critiquer, discuter et interprĂ©ter pour leur faire dire ce qui leur convient au mieux selon lâĂ©poque ou la mode. A ce propos, dâailleurs, il me semble utile de mettre au clair pour le lecteur mon propre point de vue en ce qui concerne lâutilisation des sources et leur fiabilitĂ©. On trouve trop souvent Ă mon goĂ»t des dĂ©clarations mettant en garde contre des biais de toutes sortes. Ici ce sont les indiens qui ont adouci et embelli leur passĂ© pour se prĂ©senter aux espagnols sous un jour plus conforme Ă lâidĂ©e que ceux-ci se faisaient de la civilisation et des bonnes mĆurs. LĂ ce sont les espagnols qui avaient intĂ©-rĂȘt Ă noircir le portrait pour justifier la conquĂȘte et lâĂ©vangĂ©lisation, ou au contraire Ă lâĂ©dulcorer pour mettre le roi dâEspagne en appĂ©tit et gagner sa faveur. Ailleurs, des prĂȘtres qui ne cherchaient quâĂ protĂ©ger leurs ouailles et pour cette raison cachaient une partie de leurs vices et coutumes ou au contraire les accusaient de tous les vices pour glorifier leur travail dâĂ©vangĂ©li-sation. Certains chroniqueurs ont dĂ©formĂ© lâinformation par intĂ©rĂȘt person-nel ou parce que leurs propres limitations mentales les empĂȘchaient de comprendre autrement. Ixtlilxochitl nâest pas fiable parce quâil veut tout mettre Ă la sauce biblique. Il est Ă©vident quâIxtililxochitl a voulu accommoder les documents originaux quâil avait sous la main avec la chronologie biblique, mais il nâen reste pas moins que les donnĂ©es et dates prĂ©hispaniques quâil signale, bien que contradictoires, restent trĂšs dignes dâintĂ©rĂȘt puisquâelles pro-viennent certainement de documents originaux. TezozĂłmoc ne cherche quâĂ faire lâapologie de ses ancĂȘtres, grands nobles mexicas, il nâhĂ©site pourtant pas Ă les montrer cruels et machiavĂ©liques. Juan Cano est de mauvaise foi et nâa dâautre but que celui de justifier les droits de sa femme Isabelle et de sa des-cendance sur les terres de Moctezuma. La chronologie des Annales de Cuau-htitlan est dĂ©lirante, etcetera. Enfin, chaque auteur et chaque Ă©poque tord le cou dâune autre maniĂšre Ă ce pauvre poulet de lâhistoire. Un autre problĂšme est celui des limites permises du champ dâinvestigation. A-t-on le droit dans un travail sur le Mexique prĂ©hispanique de rappeler lâĂ©vangile ou un rite
179. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, II: XXXI: 8: 46.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
4 anl lbuf
amazonien? Il nâest tout simplement pas possible, sauf dans de rares cas, dâĂ©li-miner une information simplement parce quâelle ressemble trop Ă quelque chose qui nous est familier en Europe. Devrait-on alors Ă©liminer dans une Ă©tude sur les aztĂšques toutes les informations provenant des Mayas, des tarasques, voir des TĂ©panĂšques ou de Cholula ou Tlaxcala, mĂȘme si nous y reconnaissons des traits communs frappants qui peuvent nous Ă©clairer, et jus-tement pour cela, en argumentant que cela est trop ressemblant pour ĂȘtre ori-ginal, et quâil sâagit donc dâun emprunt. Mais qui a empruntĂ© Ă qui, dans ce cas? Il me semble que lorsque les peuples de MĂ©soamĂ©rique ont rapidement adoptĂ© un trait culturel chez les espagnols, les chrĂ©tiens, câest parce quâil y avait sa place toute prĂȘte structurellement. Sâil avait Ă©tĂ© fonciĂšrement inacceptable, il aurait Ă©tĂ© ignorĂ© ou rejetĂ©. Ces auteurs fĂ©rus dâhistoire nâacceptent rien qui ne soient fondĂ© sur des documents Ă©crits. Toute reconstruction thĂ©orique ou hypothĂšse sur des parties manquantes est regardĂ©e dâun trĂšs mauvais Ćil, sur-tout si elle ne sâaccorde pas avec les convictions personnelles du lecteur. Il sem-blerait que ces attitudes critiques soient motivĂ©es par la conscience professionnelle et la probitĂ© intellectuelle, mais lâexpĂ©rience montre quâil y va plus souvent des intĂ©rĂȘts de chacun, pire encore dâun tribut payĂ© aux normes tacites du travail intellectuel et scientifique. Il faut se montrer critique pour faire partie de la bonne sociĂ©tĂ©. Et le pire de tout, se conformer sans mĂȘme sâen apercevoir aux normes morales du moment. Si les indigĂšnes condamnent la sodomie, câest uniquement parce quâelle ne semble pas ĂȘtre du goĂ»t des prĂȘtres espagnols, pourtant, ni lâune ni lâautre de ces deux propositions ne me semble clairement justifiĂ©e et dĂ©montrĂ©e. Dans le travail dâinvestigations, il est certainement trĂšs utile que sâĂ©tablisse une discussion, un Ă©change dâidĂ©es, une confrontation des points de vue. Il est de mauvaise guerre de moquer ou dâĂ©li-miner complĂštement un auteur parce quâil a prĂ©sentĂ© une ou deux idĂ©es irre-cevables ou erronĂ©es. Son Ćuvre peut comporter par ailleurs de brillantes hypothĂšses et des intuitions lumineuses. Spinden sâest trompĂ© de 6 ans dans sa corrĂ©lation, mais sa dĂ©monstration est brillante et dâune remarquable intel-ligence des calendriers et de lâastronomie prĂ©hispanique. Je ne puis accepter personnellement lâidĂ©e fixe et lassante Ă force dâĂȘtre trop souvent rĂ©pĂ©tĂ©e de Michel Graulich Ă propos de son soleil lunaire de lâaprĂšs-midi comme reflet dans un miroir dâobsidienne Ă partir du mĂ©ridien, qui nâapparait que dans une seule source et reste Ă©nigmatique, mais cela nâenlĂšve rien Ă lâexceptionnelle perspicacitĂ© de bon nombre de ses analyses. RĂ©interprĂ©ter les sources, redres-ser ce que leurs auteurs ont dĂ©clarĂ© sous divers prĂ©textes et autres bonnes
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 43
raisons pour mettre en doute tel ou autre point, est sans doute utile, mais en mettant tout en doute, tout le temps, ne prend-t-on pas alors le risque de dĂ©former une deuxiĂšme fois au lieu de rectifier? Dâautant que les auteurs modernes ne sont pas moins exempts que les anciens de ne voir midi quâĂ leur porte, et de rectifier les sources dans le sens qui leur convient le mieux. Il faut Ă©videmment connaĂźtre et retenir toutes ces opinions, critiques et rĂ©flexions, mais le mieux reste encore de garder tels quels les documents comme ils se prĂ©-sentent en essayant dâen comprendre les contradictions pour tenter de les rĂ©soudre. Seule la cohĂ©rence interne globale devrait nous guider, mais il reste-ra toujours quelques incohĂ©rences. Essayons donc de nous diriger vers la solu-tion la moins problĂ©matique possible. Tous les auteurs, sans exception, choisissent les documents en fonction de leurs propres convictions et hypo-thĂšses de dĂ©part. Le choix et lâordonnancement est inĂ©vitable, on ne peut tout retenir en vrac. Chacun sĂ©lectionne et organise donc la masse documentaire selon son point de vue particulier, selon un Ă©clairage qui lui est propre, ce qui est lĂ©gitime. Je nâentrerai donc pas dans les interminables discussions mĂ©tho-dologiques ou luttes idĂ©ologiques pour justifier sâil est lĂ©gitime ou acceptable de faire appel Ă des sources diverses espacĂ©es dans le temps et lâespace, si une observation ethnographique moderne au Guatemala peut Ă©clairer un rite dĂ©crit par un chroniqueur mĂ©tis du v siĂšcle dans lâaltiplano central, ou si une pra-tique rituelle moderne permet de comprendre un reste archĂ©ologique dâĂ©poque classique. On a dĂ©jĂ gĂąchĂ© trop dâencre et de papier Ă ces questions. Que ceux que cela intĂ©resse en fassent lâhistoriographie. Pour moi, lorsque lâon veut essayer de comprendre ou dâexpliquer un aspect culturel quelconque, il est lĂ©gitime de faire feu de tout bois, Ă condition bien sĂ»r de sâefforcer au respect de la cohĂ©sion interne. La logique interne du modĂšle prĂ©sentĂ©, sa fonctionna-litĂ©, est le seul critĂšre vraiment important. Lorsque Knorosov se mit au travail pour essayer de dĂ©chiffrer lâĂ©criture maya, il demanda Ă son maĂźtre Sergei Tokarev quelle mĂ©thode il devrait adopter. Celui-ci lui rĂ©pondit: la seule chose importante câest le rĂ©sultat. Si lâon sâĂ©tait construit moins de barriĂšres et de cloi-sons, on aurait peut-ĂȘtre remarquĂ© depuis longtemps les ressemblances frap-pantes entre la geste de QuetzalcĂłatl et la piĂšce du Rabinal Achi. La critique systĂ©matique des sources, des intentions cachĂ©es des auteurs, des non-dits, des mal dits, des contre-sens, des mensonges et propagandes me dĂ©passe. Pour moi, tout cela est beaucoup trop compliquĂ©, et trop incertain. Certainement les informations originales sont souvent biaisĂ©es dâune maniĂšre ou dâune autre, mais en choisissant celles qui le seraient ou celles qui ne le seraient pas et en
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
44 anl lbuf
les rectifiant dans un sens ou dans un autre, on les biaise une deuxiĂšme fois, il faudrait donc passer sa vie Ă Ă©plucher tous les avis contraires et en tirer cer-taines conclusions, elles aussi nĂ©cessairement biaisĂ©es. Tout cela biaiserait les auteurs critiques une fois, les chroniqueurs deux fois et la vĂ©ritĂ© historique trois fois, et lâon finirait pas se biaiser soi-mĂȘme. On objectera donc sans doute dans le prĂ©sent travail lâabsence dâanalyse critique des sources citĂ©es et utilisĂ©es. Le seul critĂšre retenu a Ă©tĂ© celui de la cohĂ©rence interne. Le prĂ©sent travail pro-pose seulement une optique particuliĂšre en espĂ©rant quâelle permette de rĂ©soudre un grand nombre dâĂ©nigmes sinon toutes, et de convaincre le lecteur, de gagner sa comprĂ©hension voire son adhĂ©sion Ă notre point de vue. A qui faire confiance? DurĂĄn dĂ©nonce la duplicitĂ© des indiens qui sous couvert de chrĂ©tientĂ© continuent leurs anciennes dĂ©votions, ici pour la fĂȘte des morts, mais il dit bien, que cette technique Ă©tait gĂ©nĂ©rale:
Plega a nuestro señor sea verdad y que estĂ©n raĂdos de su memoria, pero tĂ©mome que no lo estĂĄn en algunos, porque, como ellos tenĂan sus fiestas de difuntos, una de difuntos menores y otra de mayores, creo ây sin creoâ podremos afirmar que mezclarĂĄn algo de ello con nuestra fiesta de difundos, como mezclan con las demĂĄs, cantando sus funerales responsos, llorando sus señores y dioses antiguos, y, porque no lo entendemos, dicen que no se acuerdan de ellos.18
Toutes les cultures humaines sont le rĂ©sultat dâinnombrables emprunts et bras-sages, de rĂ©interprĂ©tations et rĂ©adaptation des ruines du passĂ©. Pourquoi devrions-nous ĂȘtres plus pĂ©dants avec les anciens mexicains que nous ne le sommes avec les chrĂ©tiens? La chrĂ©tientĂ© elle-mĂȘme est le fruit dâun mĂ©lange dâĂ©lĂ©ments cultu-rels des plus variĂ©s, assemblĂ©s de maniĂšre syncrĂ©tique. Mon parti-pris est donc de garder les sources de premiĂšre, deuxiĂšme ou troisiĂšme main telles quâelles se prĂ©sentent, comme matiĂšre brute et matĂ©riaux pour ma propre rĂ©flexion. La seule critique consistant Ă relever les contradictions entre les auteurs, les contra-dictions internes de chaque auteur, et essayer de comprendre la logique interne du systĂšme social et de pensĂ©e des cultures de la MĂ©soamĂ©rique prĂ©hispanique.
Le texte des Annales de Cuauhtitlan se prĂ©sente comme une chronique de la vie de QuetzalcĂłatl, mais de fait, il ne nous prĂ©sente presque uniquement que les conditions de sa mort. Nicholson faisait la mĂȘme remarque Ă propos des ToltĂšques et de Tollan en gĂ©nĂ©ral:
18. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: V: 5: 56.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 45
The «fall» of Tollan and the consequent diaspora of its people are, as would be expected, more fully covered in the sources than the antecedents of the Toltecs and their history during the flowering of their capital. This was clearly the most momentous, well-remembered incident in pre-Hispanic Central Mexican politi-cal history until the turbulent events of the late fourteenth and fifteenth centuries in the Basin of MĂ©xico and, not surprisingly, left a profound mark on the histo-rical consciousness of Tollanâs successor polities.181
Et puis, nâest-il pas Ă©trange que le roi termine sa vie par un suicide rituel, sa propre immolation, qui servira de modĂšle au sacrifice en gĂ©nĂ©ral, alors que la raison premiĂšre avouĂ©e de sa chute, causĂ©e par la haine de ses ennemis, et orchestrĂ©e par les prĂȘtres avait Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment son obstination Ă refuser les sacrifices humains. Pour finir il choisira plutĂŽt de sâexiler et de sâimmoler soi-mĂȘme plutĂŽt que de cĂ©der aux pressions cruelles de ses ennemis. VoilĂ un bel et noble acte de courage rĂ©dempteur, pourtant, si nous lisons attentivement le texte, nous soupçonnons que notre vaillant hĂ©ro nâavait sans doute plus dâautre choix que de prĂ©senter contre mauvaise fortune bon cĆur, et jouer le jeu avec dignitĂ© pour sauver au moins lâhonneur, la derniĂšre de ses cartes. Le roi nous apparait en fait comme un prisonnier Ă©tranger destinĂ© au sacrifice.
Ăngel MarĂa Garibay dit du thĂ©Ăątre prĂ©hispanique:
HarĂ© sencilla la exposiciĂłn diciendo que en la dramĂĄtica nĂĄhuatl hallamos ya en germen la divisiĂłn de especies: la que celebraba grandes hechos y la que solamente tiene por misiĂłn divertir al espectador. Sin remedio tenemos que llamar a la pri-mera tragedia y a la segunda comedia, tal como las llamaron los griegos.18 Et plus loin: MĂĄs que hablar de un drama nĂĄhuatl puede decirse que hay una colecciĂłn de cuadros melodramĂĄticos. Eran para dar veneraciĂłn a los dioses o los hĂ©roes y para dar esparcimiento a los magnates. Eran Ă©stos los principales espectadores, aunque el pueblo no estaba excluido de las representaciones generales que se hacĂan en las grandes fiestas.183
181. Nicholson, Topiltzin QuetzalcĂłatl, the Once and Future Lord, 7.18. Ăngel Ma. Garibay K., PoesĂa nĂĄhuatl, 3 vols. (Ciudad de MĂ©xico: Universidad Nacional
AutĂłnoma de MĂ©xico, 1993), III: X.183. Garibay, PoesĂa nĂĄhuatl, III: XII.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
46 anl lbuf
Je ne serais pas dâaccord avec une partie de ce jugement. Sâil est vrai quâil ne nous est parvenu que des fragments de styles et de genres diffĂ©rents, et que cela donne lâimpression de «una colecciĂłn de cuadros melodramĂĄticos», je retien-drais plutĂŽt les termes de dramĂĄtica nahuatl; tragedia et comedia. Le terme mĂ©lodramatique est par trop mĂ©prisant et avec le mystĂšre prĂ©hispanique nous avons Ă faire Ă une passion tragique et poignante, un questionnement existen-tiel dramatique, fut-il parfois exprimĂ© ou accompagnĂ© de fragments comiques ou burlesques. Cette tragĂ©die sâexprime il est vrai parfois par des formes sur-prenantes. Pour certains esprits la tragĂ©die et le sacrifice religieux, la Grand-Messe, sâaccordent mal avec dâautres reprĂ©sentations, tels que celles du cabaret, du cirque, de la magie, de lâescamotage, de lâopĂ©ra, du guignol. Il nâest pour-tant pas si difficile de comprendre ces voisinages. Seules les situations les plus cruelles produisent les formes dâhumour les plus tordantes. AprĂšs les horreurs de la Grande Guerre et le gĂ©nocide perpĂ©tuĂ© par les bolcheviques bienfaiteurs de lâhumanitĂ©, quelques fous sublimes purent imaginer le thĂ©Ăątre de la cruautĂ© comme expression suprĂȘme de lâart.184 Fleurissent alors des auteurs tels quâAn-tonin Artaud, Jaroslav Hasek, Michail Boulgakov, Isaac Babel. Le rire est la forme ultime de la douleur, sa sublimation. Comme chez Rimbaud en enfer: Et le printemps mâa apportĂ© lâaffreux rire de lâ idiot. Cette association du plus tra-gique des spectacles et du rire burlesque dans les rituels a Ă©tĂ© remarquĂ© notam-ment par le Professeur Curt Sachs,185 qui dans son Histoire de la danse, Ă©crit:
En guise dâantidote et par un retour du pendule, la folie sacrĂ©e donne le jour Ă des danses burlesques. Aux cĂŽtĂ©s du danseur possĂ©dĂ© de lâesprit divin, nous voyons apparaĂźtre le bouffon. Chez les Indiens dâAmĂ©rique et en passant par les mers du Sud et lâAsie jusquâen Europe, il prend une part souvent dĂ©cisive aux danses. Il caricature les exĂ©cutants, effraie les spectateurs, harcĂšle les jeunes filles et pĂ©nĂštre les mystĂšres de la vie et de la mort: dans la danse du scalp des Indiens-Cheyenne, des clowns portaient le costume de lâennemi abattu; dans les danses des couvents tibĂ©tains, lâon voit figurer aux cĂŽtĂ©s de deux bouffons, deux autres personnages vĂȘtus de maillots blancs collants sur lesquels est peint le squelette humain et qui portent des tĂȘtes de mort.186
184. Voir Antonin Artaud, Oeuvres complÚtes, t. 4, Le théùtre et son double (Paris: Galli-mard, 1964).
185. Kurt Sachs, Histoire de la danse (Paris: Gallimard, 1938), .186. Michel Leiris, La possession et ses aspects thĂ©Ăątraux chez les Ăthiopiens de Gondar (Paris:
Plon, 1958).
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 47
Alfonso Caso relÚve cet aspect grotesque de certaines représentations dédiées à Quetzalcóatl:
There were special dramas performed in honor of QuetzalcĂłatll, the god of the wind and the hero-founder of agriculture and industry. The characters in these dramas were grotesque, deformed people and impersonalisations of animals. Dia-logue was highly spontaneous. In a hunting scene the sharp repartee between the hunter and the clever animals amused the spectator.187
Le problĂšme qui a pu arrĂȘter, me semble-t-il, nombre de chercheurs, câest jus-tement ce mĂ©lange inextricable de tous les genres peu coutumier de lâesprit de notre Ă©poque, un spectacle total pour tous les publics. Il nâempĂȘche que le cĆur, le noyau de toutes ces reprĂ©sentations confondues est une tragĂ©die par-faitement structurĂ©e et qui touche tous les hommes, et la comparaison avec Hamlet ou Ćdipe nâest pas si gratuite quâil pourrait y paraĂźtre. Ne trouve-t-on pas aussi dans le QuetzalcĂłatl lâenfance marginale, lâorphelinage, la quĂȘte du pĂšre et la vengeance, lâoncle usurpateur, lâinceste, la question de lâĂȘtre: un drame universel. Lorsque jâĂ©crivais ci-dessus que «ce mĂ©lange inextricable de tous les genres peu coutumier de lâesprit de notre Ă©poque», ce nâest pas tout Ă fait vrai. Traditionnellement aussi en Europe, le jour de la fĂȘte du village est avant tout le jour de la fĂȘte patronale de lâĂ©glise locale, une grand-messe chan-tĂ©e solennelle qui rappelle le sacrifice suprĂȘme du Christ comme aussi celui du saint Patron. Mais aux mĂȘmes jours on trouvait aussi souvent la foire annuelle, les commerces ambulants, le marchĂ© aux bestiaux, les dĂ©filĂ©s en fanfare, la fĂȘte foraine, le guignol, le cirque, le bal et les grands banquets, les batifolages de la jeunesse en prĂ©ludes aux futures unions.
Nous allons donc relire les sources concernant Quetzalcóatl et leurs com-mentaires comme fragments de descriptions de mystÚres religieux donnés en spectacle dans le théùtre préhispanique.188 A vrai dire les études sur le théùtre
187. A. Caso, The Aztec People of the Sun, ed. Lowell Dunham (Norman: University of Oklahoma Press, 1958), XV.
188. Plusieurs auteurs historiens, anthropologues lettrĂ©s, ont bien vu le caractĂšre Ă©minem-ment thĂ©Ăątral de la geste de QuetzalcĂłatl, au point mĂȘme de produire des piĂšces dramatiques pour la scĂšne. Alfredo Chavero (Alfredo Chavero, QuetzalcĂłatl ensayo trĂĄgico en tres actos y en versos [Ciudad de MĂ©xico: impr. de Jens y Zepiain, 1878]) et Miguel LeĂłn Portilla (Miguel LeĂłn Portilla, La huida de QuetzalcĂłatl [Madrid: Fondo de Cultura EconĂłmica de España, 1]) ont produit chacun une piĂšce de theĂątre sur QuetzalcĂłatl.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
48 anl lbuf
de mystĂšre prĂ©hispanique ne sont pas nombreuses, RenĂ© Acuña le remarquait dĂ©jĂ Ă propos des mayas pourtant bien mieux documentĂ©s que les cultures de lâaltiplano:
Las farsas y representaciones escĂ©nicas de los mayas antiguos constituyen un ter-ritorio todavĂa poco explorado⊠Frente al teatro ceremonial de los mayas, el europeo pudo sentir a veces deslumbramiento tal vez, pero siempre perplejidad. La lengua extraña de los cantares, lo desusado del baile y de la armonĂa musical de los instrumentos, las mĂĄscaras representando seres y rostros muchas veces monstruo-sos, los cuerpos semidesnudos de los danzantes, a veces escondidos en parte bajo la piel de felinos y de animales salvajes, o bien bajo los bordados de ricas plumas de aves exĂłticas, y, al fin los sacrificios humanos, debieron producir cierto pas-mo en el europeo, cuando no repugnancia. AdemĂĄs, ÂżCĂłmo comprender aquellos juegos escĂ©nicos cuyo simbolismo era tan complicado y extraño como las tubas de barro y de asta de ciervo, como el sonido perturbador de las trompas de cara-col, o como el tono ronco de los tunkules? Cuando, aun ahora, el ojo entrenado y disciplinado del observador etnogrĂĄfico deja escapar tanta variedad de detalles, ÂżCĂłmo pedirle al europeo de entonces, lleno de prejuicios occidentales, que hubie-ra reparado en el color de las plumas de los tocados, en la forma de los collares y ajorcas, en los dibujos de las rodelas, en el tiempo y ocasiĂłn de los bailes? Cada una de estas cosas, sin embargo, era significativa e importante para entender el teatro ceremonial de los pueblos de MesoamĂ©rica.189
A propos du thĂ©Ăątre de Bali, Antonin Artaud Ă©crit que: -Le premier spectacle du thĂ©Ăątre Balinais qui tient de la danse, du chant, de la pantomime, de la musique, - et excessivement peu du thĂ©Ăątre psychologique tel que nous lâentendons ici en Europe, remet le thĂ©Ăątre Ă son plan de crĂ©ation autonome et pure, sous lâangle de lâ hallucination et de la peur.19 Nous pouvons parfaitement adapter, et sans aucune hĂ©sitation, me semble-t-il, ces vues au thĂ©Ăątre mĂ©soamĂ©ricain, et mĂȘme plus encore quâĂ celui de Bali. Au Mexique tout Ă©tait jouĂ© en dansant, la vie des dieux, des hĂ©ros, des rois:
189. René Acuña, Farsas y representaciones escénicas de los mayas antiguos (Ciudad de México: Universidad Nacional Autónoma de México, 1978), 11-1.
19. Artaud, Le theĂątre et son double, 64.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 49
Y esos bayles mas solenes heran hechos en las fiestas generales y tanbien particu-larmente de sus dioses, y hazianlas en las plaças. En estas no solo llamauan e honr-rauan e alabauan a sus dioses con cantares de la boca, mas tanbien con el corazon y con los sentidos del cuerpo. Para lo qual bien hazer tenian e usuauan de muchas memorativas, ansi en los meneos de la cabeça de los braços y de los pies como con todo el cuerpo trabajauan de llamar y seruir a los dioses⊠Estos yndios de Anauac en sus libros y manera de escritura tenian escrito los vençimientos y vic-torias que de sus henemigos auian auido. Y los cantares dellos sabianlos y solezi-nauanlos con bailes y danças, bendiziendo y confesando a sus demonios por los quales creian auer avido vitoria contra sus enemigos. Y por estas memoria hazian en sus fiestas aquellos actos, trabajos y cantares.191
Encore un mot. Jâessaierai de ne pas tomber dans deux travers trop frĂ©quents, celui de lâidĂ©alisme qui veut tout voir tout beau et tout justifier au seul nom de lâimpartialitĂ© scientifique et de son dogme: ne jamais juger, et surtout, pour ne pas paraĂźtre faire le jeu dâun eurocentrisme dominant, excuser et justifier dans dâautres cultures ce qui ne saurait se tolĂ©rer dans la nĂŽtre. Les problĂšmes abordĂ©s ici concernent souvent lâhumanitĂ© dans son ensemble et posent de graves problĂšmes sur la nature humaine. Mon regard critique sur certaines pratiques ne cherche pas Ă dĂ©prĂ©cier les mĂ©soamĂ©ricains prĂ©-hispaniques mais plutĂŽt certaines constantes tragiques des errements de la culture, et lâĂ©tude de MĂ©soamĂ©rique peut beaucoup nous enseigner pour la comprĂ©hension dâautres sociĂ©tĂ©s dont il ne reste plus que des restes archĂ©o-logiques, je pense en particulier aux sociĂ©tĂ©s agricoles du nĂ©olithique euro-pĂ©en, comme aussi Ă la nĂŽtre qui en constitue le prolongement. Je ne ferai pas non plus aux Mexicains dâautrefois lâaffront de les croire plus primitifs que nous-mĂȘme. Leurs questionnements et interrogations sont humains tout simplement, leurs rĂ©ponses comme celles des autres cultures sont mĂ©langĂ©es de sublime et de bassesse, de cruautĂ© et dâabsurde et reflĂštent des angoisses existentielles qui sont aussi les nĂŽtres.
Les arguments sont nombreux qui montrent que le QuetzalcĂłatl des textes et traditions est lâaccumulation des reprĂ©sentations figurĂ©es de la vie et de la
191. MotolinĂa, Memoriales, XCII: 3-4: 543-544.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
5 anl lbuf
mort du dieu. Dans cette courte prĂ©sentation nous nâen pouvons rappeler que quelques traits essentiels.19
fueron los toltecas a traer a QuetzalcĂłatll para constituirle rey en Tollan.193 Cette formulation Ă elle seule pourrait constituer la preuve que toute lâaffaire de cette monarchie de Tollan est une construction rituelle. Les ToltĂšques sont allĂ©s cher-cher un certain QuetzalcĂłatl pour en faire leur roi! On ne nous indique pas non plus dâoĂč lâon avait Ă©tĂ© le chercher. Mais on nous informe bien ici que QuetzalcĂłatl nâĂ©tait pas originaire de Tollan et quâon lây amena pour lây dĂ©cla-rer roi. Un Ă©tranger donc. Chimalpahin confirme que QuetzalcĂłatl ne naquit pas Ă Tollan, mais y apparut:
Año 4-Tochtli, 1 años. Aqui en este nacio Topiltzin Acxitl Quetzalcohuatl alla en Tullan. Pero no nacio en verdad, puesto que solamente llego cuando vino a manifestarse en ese lugar. ¿de donde vino? No se sabe bien, tal como lo iran dicien-do los antiguos. Por entonces lleva dieceocho años de asumir el mando Totepeuh, tlatohuani de Culhuacan.194
1-Tochtli, 2-Acatl.195 Ce sont les annĂ©es du Feu Nouveau dans le systĂšme calen-daire du Mexique central, câest donc Ă lâoccasion de ces fĂȘtes que lâon a Ă©tĂ© chercher Topiltzin, notre prince, notre fils bien aimĂ©, un prisonnier, la victime sacrificielle. Câest effectivement ainsi que le prĂȘtre Tezcatlipoca sâadresse Ă lui: «Hijo mio».196
En este año 2-Acatl edifico Topiltzin Ce Acatl QuetzalcĂłatll su casa de ayunos, lugar de su penitencia y oracion.197 DurĂĄn et bien dâautres auteurs signalent que la construction de cabanes rituelles et de lieux de pĂ©nitence et de priĂšres Ă©tait
19. Il est probable que lâĂ©tude complĂšte qui compte presque 6 pages sera publiĂ©e en 1 par tab Edizioni, Roma.
193. Annales, 33.194. Chimalpahin 1991: 11; Año 4-Tochtli, 1. Remarquons ici lâĂ©quivalence, une autre fois
de Tollan et Culhuacan.195. Annales, 34,35.196. Annales, 39, 41.197. Annales, 35.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 51
bien en effet lâune des occupations obligĂ©es des prisonniers ixiptlas des dieux: «el edificar templos y altares y el poner Ădolos en ellos, el ayunar».198
estaba dentro de un aposento muy obscuro y custodiado; le custodiaban sus pajes en muchas partes, que cerraban; su aposento era el Ășltimo, y en cada uno estaban sus pajes.199 QuetzalcĂłatl Ă©tait un prisonnier. Il vit donc au fond dâun cachot, bien gardĂ©. Duran et Joseph de Acosta nous en disent tout autant de lâixiptla de Tezcatlipoca: «Este hombre representaba vivo a este Ădolo aquellos quaran-ta dias. El cual era servido y reverenciado como a tal; traĂa su guardia y otra mucha gente que le acompañaba todos aquellos dĂas. TambiĂ©n lo enjaulaban de noche porque no se le uyese».
Hagamos pulque; se lo daremos a beber, para hacerle perder el tino.1 On le fait boire pour lâĂ©tourdir. Pour le dĂ©cider Ă bien vouloir entrer en scĂšne et partir pour lâautre monde «que bebiendola conseguireis el fin de vuestros intentos, que serĂĄ ir a los Reinos que deseais». La formulation est machiavĂ©lique, Ă©videmment on lui fait dire quâil a lui-mĂȘme choisi de partir vers lâautre monde, la victime doit ĂȘtre consentante. Nombreux sont les textes qui mentionnent lâusage de boissons narcotiques pour la prĂ©paration de la victime. Duran rappelle la bois-son que lâon servait Ă lâimage de Cihuacoatl, nommĂ©e aussi Quilaztli et Xilo-nen: «TraĂanla siempre embriagada, fuera de su natural juicio; unos dicen que con bino, otros, que, demas de darle vino, le daban no sĂ© que hĂ©chicos junta-mente para que andando siempre alegre, no se acordase que habĂa de morir».3 Le baron des Quiches reclame lui aussi la boisson qui efface lâamertume, «las doce bebidas⊠Las probarĂ© un instante, como suprema señal de mi muerte».4
Estando ya alegre QuetzalcĂłatll, dijo: âId a traer a mi hermana mayor Quet-zalpetlatlâ.5 QuetzalcĂłatl rĂ©clame une femme. Lâexpression ma sĆur est une
198. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: I: 4, 1984: 13.199. Annales, 38.. Durån, Historia de las Indias de Nueva España, I: VI: 1-11; 1984: 63; Joseph de Acosta,
V: 3; Historia natural y moral de las Indias, 76.1. Annales, 39.. Torquemada, MonarquĂa indiana, VI: XXIV; II: 49: 1.3. DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, II: XIII: 9, 1984: 16.4. Blixen, «Rabinal Achi», 68.5. Annales, 4.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
5 anl lbuf
courtoisie, DurĂĄn la prĂ©sente autrement: «con mucho secreto le abĂan meti-do dentro a una ramera, que entonces vivĂa, muy desonesta, que avia nombre Xochiquetzal».6 Pour la victime du sacrifice, câĂ©tait de coutume, et la chose avait Ă©tĂ© prĂ©vue depuis lâaube de lâaventure aztĂšque, dĂšs le dĂ©but de la migra-tion, par leur dieu tribal Huitzilopochtli, faisant partie du plan de conquĂȘtes, on devait faire des prisonniers Ă sacrifier au dieu et les traiter au mieux avant de les immoler: «la vĂspera de su muerte, velarĂĄn toda la noche, comerĂĄn, dan-zarĂĄn y se emborracharĂĄn; y si acaso alguno quiere acostarse con mujeres, le serĂĄn ofrecidas prostitutas, habrĂĄ muchĂsimas mujeres perversas, prostitutas».7
He aqui la cancion que has de cantar.208 Sâil ne sâagissait pas dâun rituel de prĂ©pa-ration, on sâĂ©tonnerait bien de certaines incohĂ©rence du texte: Celui auquel on sâadresse avec rĂ©vĂ©rence par les titres de Sacerdote, câest-Ă -dire grand prĂȘtre, ne connaĂźt pas encore bien la liturgie, les rĂ©pons et les litanies du rituel dont il est lâacteur principal. Tout est organisĂ© et orchestrĂ© par les prĂȘtres, et lâon doit lui inculquer tout ce quâil doit faire, ici on lui enseigne la chanson quâil doit chan-ter, quâil est tenu de chanter. Lâexpression employĂ©e ne fait aucun doute, et câest un ordre: «De nuevo dijeron los demonios a QuetzalcĂłatl: âHijo mĂo, canta, He aqui la cancion que has de cantarâ.» Y canto Ihuimecatl:
Mi casa de plumas de quetzalli,mi casa de plumas de zaquan,mi casa de corales,la dejare, An-Ya.9
La formule nous rappelle le fragment dans lequel on le force Ă boire: «has de beber cuatro».1 et aussi chez SahagĂșn: «y le dixo, el dicho viejo. Por fuerça aueys de yr, a Tullan Tlapallan»,11 ou bien encore: «diciendo que os ha de ver por fuerza».1 Tout le scenario est rĂ©glĂ© dâavance, câest une obligation, on nây peut rien changer. Le chant est un chant dâadieu aux beautĂ©s et richesses de ce monde, le regret de partir dĂ©jĂ : «Mi casa de plumas de quetzalli, mi casa
6. DurĂĄn, Historia de las Indias de Nueva España, II: I: 3-31, 1984: 14.7. Del Castillo, Historia de la venida de los mexicanos, 1-11.8. Annales, 41.9. Annales, 41.1. Annales de Cuauhtitlan, 4.11. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, III: IV: 11v; Historia general, 311.1. SahagĂșn, CĂłdice Florentino, III: IV: 1v-11r; Historia general, 31.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 53
de plumas de zaquan, mi casa de corales, la dejare, An-Ya». Ceci nous rap-pelle une fois encore les paroles du baron des Quiché: «!Ah, oh cielo!, !Ah ho tierra!?debo, realmente, morir, fallecer aqui, bajo el cielo, sobre la tierra? ¥Oh mi oro! ¥Oh mi plata».13
Luego hablo Tezcatlipoca: Yo digo que vayamos a darle su cuerpo.14 Il sâagit ici dâoffrir au dieu, au personnage, au rĂŽle, un corps dans lequel il pourra se glis-ser, se montrer, de crĂ©er un personnage au sens thĂ©Ăątral du terme. Il faut lâha-biller, le peindre, le masquer pour pouvoir le faire sortir en public.
Hijo mio, yo digo que salgas a que te vean los vasallos; voy a alinearte para que te vean.15 Luego hizo esto Coyotlinahual, oficial de pluma. Hizo primero la insignia de pluma (apanecayotl) de QuetzalcĂłatll. En seguida le hizo su mascara verde; tomo color rojo, con que le puso bermejos los labios; tomo amarillo, para hacerle la portada; y le hizo los colmillos; a continuacion le hizo su barba de plumas, de xiuhtototl y de tlauhquechol, que apreto hacia atras.16
13. Blixen, «Rabinal Achi», 78.14. Annales, 39.15. Annales, 39.16. Annales, 4.
) Ehecatl QuetzalcĂłatl, lâacteur Topiltzin, sculpture en pierre. Museo Nacional de Historia del Castillo de Chapultepec, Ciudad de MĂ©xico. SecretarĂa de Cultura-nah-. âReproducciĂłn
autorizada por el Instituto Nacional de AntropologĂa e Historiaâ.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
54 anl lbuf
Il sâagit bien dâun costume de scĂšne comme cela se remarque sur tant de reprĂ©-sentations peintes ou sculptĂ©es de QuetzalcĂłatll, un jeune homme masquĂ© et peint, costumĂ©. Pour sauter dans le brasiers, Ă nouveau est-il lĂ aussi bien cos-tumĂ©. Se atavio y se quemo.17 Le texte des Annales prĂ©sente un QuetzalcĂłatl fortement idĂ©alisĂ©, un hĂ©ros magnifique qui comme Nanahuatl se jette har-diment dans le brasier, et de plus il sâĂ©tait dâabord fait beau, costumĂ©, mais nous savons que les sacrifiĂ©s Ă©taient souvent ligotĂ©s pour ĂȘtre sacrifiĂ©s, et il en Ă©tait de mĂȘme pour ceux que lâon jetait vivants au feu. Dâailleurs Mendie-ta donne une autre version des faits: «Mas al fin el Tezcatlipuca, como mas poderoso, le echĂł tambiĂ©n de allĂ, y fueron con Ă©l algunos sus devotos hasta cerca de la mar, donde dicen Tlillapa Ăł Tizapan, y que allĂ muriĂł y le que-maron el cuerpo».18
Muñoz Camargo dit aussi que les autres dieux (entendre ceux qui les repré-sentent) le jetÚrent dans la fournaise:
Dice la fĂĄbula que el sol fue un dios muy desechado, porque fue leproso o muy buboso, de modo que no se podĂa rodear ni parecer ante gentes. Visto por los demĂĄs dioses tan gran lĂĄstima, mandaron fabricar un horno de cal, y haciendo una muy gran foguera en el, le echaron dentro y estando ansi ardiendo que se que-mara y consumiera o se purificara mas que los dioses, obieron con el tanta piedad y virtud que le convertieron en luz y le llamaron sol.19
VoilĂ donc bien la grande compassion et gĂ©nĂ©rositĂ© des dieux (entendre les prĂȘtres dĂ©guisĂ©s qui les reprĂ©sentent). Ils soignent le malheureux lĂ©preux bubonneux en le purifiant au feu, le libĂšrent gratuitement dâune existence insupportable. Si le texte des Annales dĂ©clare que QuetzalcĂłatll se jeta lui-mĂȘme dans le brasier, câest ici encore que la victime du sacrifice comme la femme violĂ©e est toujours consentante, doit lâĂȘtre afin que ce ne soit pas un crime. La comparaison entre ces deux personnages nâest pas nouvelle puisquâon la trouve clairement exprimĂ©e chez les informantes de Sahagun.
trÚs ivre, fort abrutie, abattue, perverse; une victime sacrificielle, une esclave bai-gnée; riche et hautaine, elle est lascive, se maquille, elle ruine les gens, se mire,
17. Annales, 5.18. Mendieta, Historia eclesiåstica indiana, II: V, 188.19. Muñoz Camargo, Historia de Tlaxcala, 151.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
tpltzn at 55
se lave, se baigne [âŠ] elle vit comme un esclave baignĂ©, elle se comporte comme une victime sacrificielle.
Certains objecterons peut ĂȘtre que lâon ne devrait pas confondre les prostituĂ©es et les femmes violĂ©es, mais le texte de Muñoz Camargo nous montre pourtant Ă propos de Xochiquetzal, la patronne des prostituĂ©es comment lâabus de lâune conduit au consentement excessif de lâautre:
A esta diosa Xochiquetzal celebraban fiesta cada año con mucha solemnidad, y a ella concurrian muchas gentes donde tenia su templo dedicado. Dicen que fue mujer del dios Tlaloc, dios de las aguas, e que se la hurto Tezcatlipoca, e que la llevo a los nueve cielos e la convirtio en diosa del bien querer.1
La victime est publique, lui un homme public, elle une femme publique, tous deux baignĂ©s excessivement, tous deux attifĂ©s et fardĂ©s excessivement, tous deux dĂ©ambulant dans les rues sous bonne surveillance, arrogants et vĂ©naux, ivres et droguĂ©s, se laissant toucher par tous, arborant une superbe et une apparente gaĂźtĂ©, elles aussi excessives et douteuses, les deux sont trĂšs consentants, tout aussi consentants que les volontaires tchĂšques sur le front serbe pendant la Grande Guerre, qui, lorsquâils allaient Ă lâinfirmerie pour se dĂ©clarer malades, Ă©taient tous invariablement traitĂ©s de simulateurs. Il y en eut mĂȘme un, si lâon en croit Jaroslav Haszek, qui mourut de simulation Ă lâhĂŽpital. Quelle gran-deur, quelle merveille, lâacteur parfait. Lâactrice parfaite.
Dans cette courte prĂ©sentation de mon hypothĂšse, je ne puis dĂ©velopper tous les arguments qui dĂ©montrent que QuetzalcĂłatl fut un acteur, une suite dâac-teurs du rĂŽle et que toute la tradition se rapportant Ă Topiltzin QuetzalcĂłatl nous rapporte en fait divers aspects de la prĂ©paration et de la reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale du mystĂšre divin, ce qui nous est rĂ©vĂ©lĂ© de la maniĂšre la plus convain-cante et on ne peut plus claire par un fragment du Codex de Madrid. AprĂšs avoir costumĂ©, maquillĂ©, masquĂ© et bien enivrĂ© QuetzalcĂłatl, on va le faire
. Graulich, Le sacrifice humain chez les AztĂšques, 14-15, citant SahagĂșn, texte nahuatl du CĂłdice Florentino X: XV: 38v-4r.
1. Muñoz Camargo, Historia de Tlaxcala, 155.. Jaroslav Haƥek, le brave petit soldat Svejk, chapitre VII.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732
56 anl lbuf
sortir sur scĂšne, le montrer. Mais on doit encore finir de le dĂ©cider, lui donner courage, on le fait alors chanter Ă lâunisson, on fait attendre la foule massĂ©e au dehors: «Entonces con sus guardianes se puso a cantar un canto. A la multi-tud que esperaba fuera, se la hizo esperar mĂĄs».3 Pourquoi y aurait-il eu Ă lâex-tĂ©rieur une multitude? Une foule? Si ce nâest que cet Ă©vĂšnement avait Ă©tĂ© bien organisĂ©, prĂ©parĂ© et annoncĂ© depuis longtemps dĂ©jĂ pour que vienne de tous les alentours et souvent de trĂšs loin, Ă des jours de marche, le public des fidĂšles pour admirer la mort hĂ©roĂŻque du dieu, du sauveur, du dieu fait homme. Il est grand temps de le faire entrer en scĂšne, la foule attend la sortie du roi: «Noti-ficaron a Coyotlinahual, oficial de pluma, que tenĂa que ir y dijo: Sea en hora buena. Voy a ver a QuetzalcĂłatll. Y fue y dijo a QuetzalcĂłatll: Hijo mĂo, yo digo que salgas».4 3
3. SahagĂșn, CĂłdice matritense del Real Palacio, fols.13v-134v., versiĂłn de A.M. Garibay, in LeĂłn-Portilla, Cantos y crĂłnicas del MĂ©xico antiguo, 76-77.
4. Annales, 39.n. b. Ce texte constitue une partie des recherches conduites dans le cadre du projet nn,
(centre de la recherche scientifique de Pologne Nr. ID: 13/11/B/HS1/4146) sous le titre: Topiltzin jako aktor: analiza misterium religijnego prehiszpaĆskiej Mezoameryki oraz jego zwiÄ zkĂłw z aspektami kalendarzowymi i astronomicznymi.
https://doi.org/10.22201/iie.18703062e.2020.117.2732