Tout Le Monde Couche Avec Tout Le Monde

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Tout Le Monde Couche Avec Tout Le Monde

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  • "Tout le monde couche avec tout le monde !"...

    http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/12/15/tout-le-

    monde-couche-avec-tout-le-monde.html

    Dans le cadre dun change entre nous, Thamy Ayouch, psychanalyste, Matre de

    confrences en psychopathologie lUniversit de Lille 3, et Professor Visitante

    Estrangeiro lUniversidade de So Paulo, pingle la normativit qui se pare de

    psychanalyse pour dnoncer les prtendus nouveaux dsordres amoureux.

    Sur le site du trs Jacques-Alain Millerien Lacan Quotidien (en guise du pain ?), la

    psychanalyste Marie-Hlne Brousse publiait rcemment Les nouveaux dsordres

    Lamour au temps du Tout le monde couche avec tout le monde, Le savoir de

    Christophe Honor [1].

  • Tout le monde couche avec tout le monde !

    Cest ainsi que Marie-Hlne Brousse entame sa chronique dans le numro 81

    du Lacan Quotidien. Cette formule, quelle prte des analysants, sert aussitt

    caractriser la vie sexuelle du XXIe sicle, introduisant, ds louverture de son propos,

    un curieux mlange des voix. La phrase passe du fantasme, libre dentraves, que le

    discours de lanalysant cherche verbaliser, lindignation sans appel de M.-H.

    Brousse. Ce que daucuns confient au gr de leurs associations libres et de

    lexploration de leur gographie libidinale psychique devient la rgle dune socit

    drgle o sest impose, par les sites de rencontre, un march au sexe plac sous

    le rgne de la quantification.

    Que tout le monde couche avec tout le monde ce qui reste attester par del le

    fantasme signifie-t-il ncessairement que toute dignit est dnie lautre et doit-

    on, encore en 2011, continuer considrer les pratiques sexuelles diversifies comme

    autant de drglements de lme prcipitant la socit vers la dgnrescence ?

  • Que penser, en outre, de linvocation de la banalisation, la lgalisation et la

    lgitimation de l'homosexualit [2] comme raison allgue de cette volution

    catastrophique des murs ? Faut-il entendre quil et fallu quelle demeurt illgale et

    honteuse, pour protger la socit de sa dpravation ? Poursuivant la lecture, nous

    apprenons que la deuxime raison de ces intemprances tient la mutation des

    modes de procration opre par la science, aujourdhui de plus en plus radicalement

    distincte de la vie sexuelle . La sexualit ne serait alors lgitime que par sa destine

    reproductrice, menace par la contre-nature dune banalisation de

    lhomosexualit , dune procration mdicalement assiste, voire, pourrait-on

    penser, de la contraception ou de lavortement.

    Ce drglement consistant dissocier sexualit et procration provoque, nous

    enseigne-t-on alors, une quadruple catastrophe.

    - Cest avec nostalgie que M.-H. Brousse constate que la vie sexuelle est pour le

    grand nombre totalement affranchie des liens sociaux traditionnels qui la contenaient,

    donc affranchie du discours, sauf celui du capitalisme . Telle est la premire

    consquence, fustigeant le dvergondage autant que les msalliances. La disparition

    de la civilisation est ici le chtiment : tant se livrer la luxure, nos contemporains,

    comprend-on, en perdraient lusage du langage. Paraphrasons Voltaire et affirmons

    quon na jamais employ [si peu] desprit nous rendre Btes, et quil prend, [ lire

    ces propos], envie de [se mettre] quatre pattes ce qui ne manquerait pas de

    servir, pourrait observer M.-H. Brousse, notre animale disposition au stupre. Gageons,

    en outre, que labstinence avant ou hors mariage serait ici la solution aux turpitudes

    actuelles.

    - La vie sexuelle apparat, deuxime consquence, lie davantage limaginaire,

    limage plus quau dire :

    Cest le cas, par exemple, poursuit lauteure, de la sexualit gay dans les backrooms

    qui mobilise les crans pour diffuser des vidos porno et proscrit la parole entre les

    agents : cas extrme certes, mais qui accentue seulement une tendance luvre

    dans toutes les autres formes de rencontres .

  • Par del lhomophobie patente que cet exemple confirme, on serait en droit de se

    demander au nom de qui M.-H Brousse parle, et o elle puise son savoir. Rpondre

    quil sagit ici de ce que lui confient ses analysants reviendrait nouveau gnraliser

    abusivement le fantasme ventuel de quelques-uns. La sexualit gay dans les

    backrooms reste, faut-il le rappeler, une pratique choisie, non dominante, et non

    exclusive dautres pratiques ou modalits de lien. Pourtant, cest, semble-t-il, au nom

    dune connaissance assurment experte en la matire que M.-H. Brousse statue ici sur

    son droulement, sa vise, sa fantasmatique, et la libert qu'on peut avoir de s'y

    prter, de s'y refuser ou de la subvertir de l'intrieur. Que penser de ces allgations

    sans nuances, empreintes de la normativit la plus ordinaire (la moins avise et

    labore, la moins mme de sinterroger sur sa posture nonciative en un mot, la

    moins psychanalyse), sinon qu'elles trahissent une totale mconnaissance de ce

    qu'elles dcrivent ? moins quelles ne soient terrorises par leur propre

    fantasmatisation, qu'elles conjurent coup de projection dformante ?

    - La troisime consquence aborde frontalement la question :

    Lexpression de Freud sur la sexualit infantile perverse polymorphe vaut dsormais

    pour la sexualit adulte qui lui ajoute la dimension dacte sexuel qui la caractrise.

    Si la sexualit a toujours t organise par le fantasme, lui-mme pervers, elle dclare

    aujourdhui sans refoulement ses pratiques elles-mmes dans lAutre et se rclame de

    cette polymorphie .

    Le mot est lch : la dimension polymorphe de la sexualit infantile est ici agie, signe

    manifeste de perversion, conue comme propension raliser les fantasmes qui

    structurent la sexualit de chacun, plutt qu les refouler. Notons toutefois quen

    psychanalyse, la notion de perversion est complexe, et peut servir qualifier, lorsque

    lusage en est peu avis, autant lauteur du meurtre en srie que celui du cunnilingus.

    La catgorie des perversions sexuelles est tout droit hrite de la psychiatrie du

    XIXe sicle, qui, par les pousailles peu heureuses du mdical et du juridique, dfinit

    comme perverse toute pratique considre comme dviante par rapport lacte

  • sexuel tenu pour normal , nommment le cot visant obtenir lorgasme par

    pntration gnitale avec un(e) partenaire de sexe oppos.

    En entriner lusage le plus grossier revient ici perptrer une double erreur. En effet,

    le vocable inscrit toute considration dans un irrductible cadre idologique, comme le

    rappelait dj Georges Lanteri-Laura en 1979 :

    En matire de perversions, cest la doxa qui dlimite le champ des phnomnes dont

    traite lpistm : lopinion vient indiquer le domaine des comportements pervers, et

    la connaissance reste cet gard tributaire de lopinion, mme si elle modifie en cours

    de route ltendue de ce champ [3].

    En psychopathologie analytique, le terme devrait donc saccompagner dune

    conscience de sa dtermination historique. Il invite ainsi un usage nuanc, soucieux

    de diffrencier les pratiques sexuelles diffrant du cot membrum virile in vaginam,

    qui, consenties, ne sont pas plus perverses lorsquelles prfrent loreille ou le doigt de

    pied aux organes gnitaux, dune part, et, dautre part, le dni de valeur de lautre, le

    rduisant un objet-ustensile, propre la perversion. Aucune pratique sexuelle nest

    en soi perverse : elles peuvent le devenir lorsque, au mme titre que la manipulation

    ou le harclement moral, elles servent de voie lexercice dun dni de laltrit

    dautrui. En outre, la limitation du cot la pntration gnitale avec un partenaire de

    sexe oppos, dans le cadre des liens sociaux traditionnels nimmunise gure contre

    la perversion.

    Ce qui toutefois rend la position de M.-H. Brousse encore plus problmatique tient la

    confusion quelle effectue entre sexualit et sexuel-infantile. Hormis pour

    dnaturaliser la sexualit humaine et la dtacher du destin biologique de la

    reproduction [4], la psychanalyse ne sintresse pas aux pratiques sexuelles.

    Remettant en question les fausses vidences, la thorie analytique dfinit le sexuel-

    infantile comme ce gain de plaisir irrductible la satisfaction dune fonction vitale,

    et qui rgit le rapport de chacun lensemble de ses intrts, sa gestion de

    langoisse, et son vitement du d-plaisir. Il semble alors bien surprenant quune

    psychanalyste effectue cette double mprise, rabattant le sexuel-infantile sur le sexuel,

    et confondant linfantile et lenfant, pour dpourvoir ladulte de sexuel-infantile.

  • - Enfin, la quatrime consquence confirme, si besoin en tait, limpritie de lauteure,

    qui voit dans ces pratiques sexuelles une extension du domaine du passage lacte .

    Rappelons que le passage l'acte est le propre d'un impossible penser, psychiser, et

    symboliser : il sagit de ce qui n'a pas reu de forme psychique, dborde en angoisse et

    dont on ne se dfait que par un acte incomprhensible. Il faudrait donc soutenir que

    ces nouvelles pratiques sexuelles ne sont pas symbolises, ce qui parat malais. Il

    suffit de reprendre largument prcdent relatif lextrme ritualisation quelle prte

    aux backrooms, pour que le constat dune absence de symbolisation de ce qui sy

    droule ne soit pas tenable. La prfrence idologique semble masquer ici M.-H.

    Brousse les contradictions de son propre discours.

    M.-H. Brousse prtend alors illustrer son analyse des murs dissolues contemporaines

    par une revue critique, aussi expdie qudifiante, des films de Christophe Honor, et

    qui vise rappeler, a contrario, lontologie immuable des assignations sociales.

    Ainsi, Dans Paris, par exemple, permet-il la psychanalyste de fustiger le pre qui fait

    la mre ou la mre qui fait la femme, autant de sujets qui ne se limitent pas aux rles

    quil leur revient de jouer. Un pre est un pre, une mre une mre, une femme une

    femme, la tautologie martle avec raison les vidences saines que la subversion

    pourrait branler. Suivons ces pas aviss et n'hsitons pas l'affirmer : une sotte est

    une sotte...

    Passons les analyses, tout aussi claires, des autres films de C. Honor, pour parvenir

    alors la conclusion magistrale du texte. la question Dans le contexte du tout le

    monde couche que devient lamour ? , rpond une limitation du dsir ce qui

    mouille ou bande . La dtumescence de lorgane auquel M.-H. Brousse rduit le

    dsir ne tarde pas alors sannoncer : a ne dure pas au-del de la satisfaction des

    corps .

    Mais, ne peut-on manquer de demander, do M.-H. Brousse tire-t-elle donc sa

    science ? Des propos de ses analysants, quelle nhsite pas dcontextualiser, de sa

    comprhension avise du cinma franais de ces dernires annes, ou de ses

  • investigations toutes personnelles ? Car, pourrait-on interroger, de quelle exprience

    se prvaut-elle pour aborder ces pratiques en vitant den parler la place des

    autres ? Faut-il alors conclure qu'elle dit n'importe quoi de ce qu'elle ne connat pas,

    ou qu'elle connat bibliquement ces pratiques, mais les juge tout aussi bibliquement ?

    Que a ne dure pas par del la satisfaction des corps trahirait presque, pourrait-on

    dire avec la mme pertinence caractrisant son analyse des autres, son dpit de ny

    avoir pas got, sa peur dy cder, ou sa dception repentie. Quels mcanismes de

    dfense prsident lcriture de ce texte : formation ractionnelle ou identification

    projective ?

    Invoquant la vanit du plaisir dans ses accents jansnistes, M.-H. Brousse peut

    alors dclarer le rapport sexuel illusoire sans lamour. Que ne relit-elle son Lacan,

    serait-on tent de dire, pour dcouvrir qu'il y s'agit, dans l'un comme dans l'autre, de

    semblant, de captation imaginaire, et que le il n'y a pas de rapport sexuel que

    proclamait le psychanalyste n'est pas entendre de manire si littrale dfaut de

    cela, M.-H. Brousse prfre dplorer que la mort, en ce XXIe sicle dboussol, ne

    vienne plus nous signifier la valeur de l'amour : car jadis, la mort signait le srieux de

    lamour, en rendant rel le rapport sexuel illusoire . Doit-on alors regretter la faste

    poque du cholra, de la peste ou des guerres en tout genre, qui assurment,

    mettraient fin toutes les perversions, ou du moins les inscriraient dans l'amour, la

    mort ?... Et lon entend en cho le "Viva la muerte" des phalangistes de la guerre

    d'Espagne.

    La posture de M.-H. Brousse nest malheureusement pas bien originale : elle rejoint la

    cohorte de ceux qui entendent professer, au nom de la psychanalyse, la version la plus

    licite du sexe, de lamour et du lien social, et dont les cris dorfraie se sont fait

    entendre publiquement au moment du PaCS ou dans le dbat sur lhomoparentalit.

    Les voici toujours prompts prescrire ou proscrire les modalits symboliques de la

    rencontre, de lalliance ou de la filiation, statuer sur les questions que se pose une

    socit rlaborant les formes de lien entre ses sujets, ou inscrire la sexuation et les

    pratiques sexuelles dans un vritable dispositif de sexualit (Foucault) [6]. Faut-il

  • croire que parce quils crient plus fort que dautres, et le font devant les mdias, ce sont

    les seuls reprsentants de la psychanalyse ?

    On peut certes, au nom de la psychanalyse, gratifier la communaut de ses

    prfrences subjectives exemptes de lanalyse du contre-transfert, et reproduire les

    strotypes les plus poussifs dans un habillage de mtapsychologie ternitaire. Mais

    on renonce alors parler en psychanalyste. Omettre dinterroger sur la posture

    depuis laquelle est mis un discours, sur son adresse, son axe narcissique et son

    inscription historique, nest-ce pas l une rsistance auto-immunitaire de la

    psychanalyse son dehors comme elle-mme (Derrida) [6] ?

    Que reste-t-il dans ce monde dvast ? demande la dernire phrase du texte. Bien

    peu dintelligence, ou de psychanalyse, serait-on enclin rpondre en en achevant la

    lecture...

    Thamy Ayouch

    Notes

    [1] http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2011...

    [2] M.H. Brousse crit : La banalisation, la lgalisation et la lgitimation de

    lhomosexualit, la mutation des modes de procration opre par la science,

    aujourdhui de plus en plus radicalement distincte de la vie sexuelle, ainsi que le

    dveloppement de grande envergure dune imagerie sexuelle accessible tous sur le

    web, ont eu une quadruple consquence

    (http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2011/11/LQ-811.pdf).

    [3] Georges Lanteri-Laura, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation

    mdicale, Masson, Paris, 1979.

    [4] Voir, par exemple, Freud, S. (1987). Trois essais sur la thorie sexuelle,Paris,

    Gallimard, Folio Essais, ou Freud, S. (1968) et Pulsions et destins des pulsions in S.

    Freud, Mtapsychologie. Paris, Gallimard, Folio Essais.

    [5] Au sujet de cette ptrification de linstitution dans la thorie psychanalytique, voir,

    par exemple, Thamy Ayouch, A instituio fenomenolgica na psicanlise : afeto,

  • teoria e historicidade , Revista AdVerbum, v. 4 (2), n. Aot-dcembre 2009, pp. 78-

    94. Disponible en ligne :

    http://www.psicanaliseefilosofia.com.br/adverbum/vol4_2/0...

    [6] Michel Foucault, La volont de savoir. Histoire de la sexualit, Tome I, Paris,

    Gallimard, 1976.

    [7] Jacques Derrida, tats d'me de la psychanalyse. Adresse aux tats Gnraux de la

    Psychanalyse, Paris, Galile, 2000.

    Bibliographie de Thamy Ayouch

    Ouvrage

    Thamy Ayouch, Daniel Beaune, Folies contemporaines, LHarmattan, Paris, 2009

  • Articles paraitre

    La psychanalyse : une pense magique , Cliniques Mditerranennes(2012)

    Genealogia da intersubjetividade e figurabilidade do afeto: Winnicott e Merleau-

    Ponty , Psicologia USP (2012)

    Clinica da lngua : vias associativas interlingsticas, traduo e transferncia

    , Psicologia, cincia e profisso (2012)

    Articles publis

    Desmentindo as falsas comparaces: do corpo perceptivo ao corpo fantasmtico.

    Sobre fenomenologia e psicanalise do corpo , Aurora, Revista de filosofa da

    PUCPR, v. 22 n. 31 jul./dez. 2010, pp 495-513. Disponible en ligne :

    http://www2.pucpr.br/reol/index.php/rf?dd1=4483&dd99=...

  • A instituio fenomenolgica na psicanlise : afeto, teoria e

    historicidade , Revista AdVerbum, v. 4 (2), n. Aot-dcembre 2009, pp. 78-94.

    Disponible en ligne :

    http://www.psicanaliseefilosofia.com.br/adverbum/vol4_2/0...

    Inconscient et traduction, de la psychanalyse la traductologie ,LInformation

    psychiatrique, Volume 85, n 2, fvrier 2009

    Body-Proper and Fantasmatic Body : the Debate between Merleau-Pontyan

    Phenomenology and Psychoanalysis , Journal of Theoritical and Philosophical

    Psychology, volume 28, n 2

    Tnia Vaisberg, Maria Christina Lousada, Caron Rosa, Beaune Daniel, Thamy Ayouch,

    (2009) : Les rcits tranfrentiels comme prsentation du devenir clinique : une

    proposition mthodologique , in Revue de phnomnologie et de psychologie

    analytique, LHarmattan, 2009-1

    Approche de la psychanalyse par la phnomnologie : lexemple de Merleau-Ponty ,

    in Revue de phnomnologie et de psychologie analytique, LHarmattan, 2009-1