414
S O C I A L E Sous la direction de Philippe Carré et Fabien Fenouillet Traité de psychologie de la motivation

Traité de psychologie de la motivation - data.over-blog ...data.over-blog-kiwi.com/0/64/03/25/201306/ob_c73581_traite-de... · tion et dans desquelles la problématique du passage

Embed Size (px)

Citation preview

  • www.dunod.com6496962ISBN 978-2-10-051583-7

    psychologie cognitive

    psychologie sociale

    psychologie clinique

    La question des motifs de nos actes et des processus menant la dcision et laction est, depuis toujours, au cur de la pense humaine.Aujourdhui porte par les thories de la valeur, de lat-tribution, de lauto-efficacit, des buts, de lautodtermi-nation et de la comptence, la psychologie des motiva-tions fait une large place lanalyse des reprsentations davenir, du contexte social et de la conception de soi.Dans cet ouvrage, vingt auteurs, explorent, de manire claire et pdagogique, les approches thoriques de la motivation et la porte de ses enjeux pour les pratiques sociales : la premire partie prsente de faon synthtique les

    courants thoriques dominants de la psychologie socio-cognitive des motivations ;

    la deuxime partie passe en revue un ensemble de pratiques sociales traverses par la notion de motiva-tion et dans desquelles la problmatique du passage laction est dterminante.

    Destin aux tudiants de master et doctorat en psy-chologie, STAPS, gestion et sciences de lducation, cet ouvrage intressera aussi les professionnels de la psychologie, de lducation, de la formation des adultes, du sport, de lorientation et du management.

    PhILIPPe CArrProfesseur en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    FABIeN FeNOuILLeTMatre de confrences en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    Avec la collaboration de :JACQueS AuBreTALBerT BANDurASerGe BLANChArDTIeNNe BOurGeOISPhILIPPe BruNeLNOMIe CArBONNeAuYVeS ChANTALLAureNT COSNeFrOYANTONIA CSILLIKPIerre-heNrI FrANOISDOMINIQue GeLPePATrICK GOSLINGMArC-ANDr

    K. LAFreNIre JACQueS LeCOMTeSALVATOre MAuGerIThIerrY MeYerSANDrINe SChIANO-

    LOMOrIeLLOrOBerT VALLerAND

    so

    ci

    al

    eSous la direction dep. carr f. fen

    ou

    illettrait d

    e psycho

    log

    ied

    e la mo

    tivation

    Sous la direction dePhilippe Carr et Fabien Fenouillet

    Sous la direction de Philippe Carr et Fabien Fenouillet Trait de

    psychologie de la motivation

    trait de psychologie de la motivation

    PSYChO SuP

    Carre 02.indd 1 27/10/08 17:03:54

    NordCompoPice jointe9782100535156.jpg

  • Trait de psychologie de la motivation

    P01-P04-LIM-9782100515837 Page I Mardi, 21. octobre 2008 11:32 11

  • P01-P04-LIM-9782100515837 Page II Mardi, 21. octobre 2008 11:32 11

  • P S Y C H O S U P

    Trait de psychologie de la motivation

    Sous la direction de

    Philippe Carret Fabien Fenouillet

    P01-P04-LIM-9782100515837 Page III Mardi, 21. octobre 2008 11:32 11

  • Dunod, Paris, 2009

    P01-P04-LIM-9782100515837 Page IV Mardi, 21. octobre 2008 11:32 11

    ISBN 978-2-10-053515-6

  • LISTE DES AUTEURS

    Ouvrage ralis sous la direction de :

    Avec la collaboration de :

    Philippe CARR Professeur en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    Fabien FENOUILLET Matre de confrences en sciences de lducation luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    Jacques AUBRET Professeur mrite de psychologie de lorientation lInetop (Cnam).

    Albert BANDURA Professeur de psychologie sociale, Stanford University (USA).

    Serge BLANCHARD Chercheur en psychologie de lorientation lInetop (Cnam).

    tienne BOURGEOIS Professeur de sciences de lducation luniversit catholique de Louvain (Belgique).

    Philippe BRUNEL Matre de confrences HDR en sciences et techni-ques des activits physiques et sportives luniver-sit de Limoges.

    Nomie CARBONNEAU Doctorante, universit du Qubec Montral (Canada).

    Yves CHANTAL Matre de confrences luniversit de Limoges.Laurent COSNEFROY Matre de confrences en sciences de lducation

    lIUFM de Rouen.Antonia CSILLIK Matre de confrences en psychologie luniversit

    Paris Ouest-Nanterre La Dfense.Pierre-Henri FRANOIS Matre de confrences en psychologie sociale

    luniversit de Poitiers.Dominique GELPE Chercheur, laboratoire SACO, universit

    de Poitiers et AFPA.Patrick GOSLING Professeur en psychologie du travail luniversit

    Paris Ouest-Nanterre La Dfense.Marc-Andr K.

    LAFRENIEREDoctorant, universit du Qubec Montral (Canada).

    9782100515837-Carre.book Page V Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • Jacques LECOMTE Charg de cours luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    Salvatore MAUGERI Matre de confrences en sociologie luniversit dOrlans.

    Thierry MEYER Professeur de psychologie sociale luniversit Paris Ouest-Nanterre La Dfense.

    Sandrine SCHIANO-LOMORIELLO

    ATER luniversit de Limoges.

    Robert VALLERAND Professeur de psychologie sociale luniversit du Qubec Montral (Canada).

    9782100515837-Carre.book Page VI Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • SOMMAIRE

    CHAPITRE 1 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF (Philippe Carr) 1

    Premire partie

    Convergences thoriques

    CHAPITRE 2 LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE (Albert Bandura) 15

    CHAPITRE 3 LA THORIE DE LAUTODTERMINATION ET LE MODLE HIRARCHIQUE DE LA MOTIVATION INTRINSQUE ET EXTRINSQUE : PERSPECTIVES INTGRATIVES (Robert J. Vallerand, Nomie Carbonneau, Marc-Andr K. Lafrenire) 47

    CHAPITRE 4 LES THORIES DE LATTRIBUTION : CAUSE ET RESPONSABILIT(Patrick Gosling) 67

    CHAPITRE 5 LES THORIES REPOSANT SUR LE CONCEPT DE BUT (Laurent Cosnefroy) 89

    CHAPITRE 6 LA THORIE DU FLUX. COMMENT LA MOTIVATION INTRINSQUE DONNE DU SENS NOTRE VIE (Jacques Lecomte) 107

    9782100515837-Carre.book Page VII Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • VIII TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

    Deuxime partie

    Enjeux pour les pratiques

    CHAPITRE 7 MOTIVATION ET APPRENTISSAGES SCOLAIRES (Laurent Cosnefroy et Fabien Fenouillet) 127

    CHAPITRE 8 MOTIVATION ET VIE ADULTE (Jacques Aubret) 147

    CHAPITRE 9 MOTIVATION ET ORIENTATION SCOLAIRE ET PROFESSIONNELLE(Serge Blanchard et Dominique Gelpe) 167

    CHAPITRE 10 MOTIVATION ET TRAVAIL (Salvatore Maugeri) 187

    CHAPITRE 11 MOTIVATION ET MANAGEMENT (Pierre-Henri Franois) 211

    CHAPITRE 12 MOTIVATION ET FORMATION DES ADULTES (tienne Bourgeois) 233

    CHAPITRE 13 MOTIVATION ET PRATIQUE SPORTIVE (Philippe C. Brunel, Yves Chantal et Sandrine Schiano-Lomoriello) 253

    CHAPITRE 14 MOTIVATION, COMMUNICATION DES RISQUES ET CHANGEMENT DATTITUDE (Thierry Meyer) 273

    CHAPITRE 15 LENTRETIEN MOTIVATIONNEL (Antonia Csillik) 289

    CHAPITRE 16 VERS UNE APPROCHE INTGRATIVE DES THORIES DE LA MOTIVATION (Fabien Fenouillet) 305

    Bibliographie 339

    Index des notions 381

    Index des auteurs 383

    Table des matires 385

    9782100515837-Carre.book Page VIII Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • Chapitre 1

    DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF1

    1. Par Philippe Carr.

    9782100515837-Carre.book Page 1 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 9782100515837-Carre.book Page 2 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • D

    unod

    L

    a ph

    otoc

    opie

    non

    aut

    oris

    e e

    st u

    n d

    lit.

    1 UNE PROCCUPATION UNIVERSELLE

    La question des motifs de nos actes et des processus qui mnent la dcisionet laction est au cur de la pense humaine. Les essais dexplication dudsir, de la volont, du besoin, de la passion, bref de toutes les tendanceshumaines qui mnent laction, sont au cur des plus grands systmesphilosophiques de lhistoire ; selon picure (341-270 av. J.-C.), par exemple, propos de chaque dsir, il faut se poser cette question : Quel avantagersultera-t-il si je ne le satisfais pas ? . La question du pourquoi de nosactes recouvre, aujourdhui a fortiori, des enjeux universels pour la connais-sance des faits humains et laction quotidienne. On en trouve des exemplesrguliers dans la plupart des domaines de la vie sociale. En ducation, biensr : un numro rcent du Monde de lducation, qui faisait tat du thmearriv largement en tte du dbat national sur lcole affichait en couverture letitre suivant : Motiver, motiver, comment motiver les lves ? Le mondeprofessionnel est videmment un autre lieu de questionnement rcurrent surla question : managers, responsables de ressources humaines et leaders cher-chent depuis longtemps les cls de limplication des salaris, supposegarante de la performance globale dune entreprise. Le thme de lengagement(au travail, dans la recherche demploi, linsertion, le dveloppement descomptences) traverse de faon lancinante les proccupations dominantesdes spcialistes de lorientation, de la formation, de lemploi, de lorganisation.Tous les territoires de la vie sociale et prive sont quotidiennement investispar un questionnement prosaque sur les raisons de nos actes, des motivationsdachat aux motifs du crime, en passant par linterrogation sur les mobiles,les raisons, les explications du comportement du parent, du collgue, delamoureux ou de lamie, voire encore du sien propre. La question de pour-quoi nous faisons ce que nous faisons est une constante de la rflexionhumaine, quelle soit quotidienne ou scientifique.

    9782100515837-Carre.book Page 3 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 4 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

    Au plan scientifique, la plus ancienne des notions forges dans ce domainefoisonnant, la plus rpandue empiriquement, la mieux tablie thoriquement,mais aussi la plus conteste et parfois la plus contestable est bien srcelle de motivation, dfinie comme un construit hypothtique censdcrire les facteurs internes et externes produisant le dclenchement, ladirection, lintensit et la persistance du comportement (Vallerand et Thill,1993). On peut en retrouver les racines scientifiques dans la psychologiecomportementaliste des dbuts du XXe sicle. Cest sans doute cet hritagepesant (et pour daucuns, honteux) qui explique, en partie, le caractre sulfureux du terme aujourdhui. Le concept de motivation est en effettrs ingalement usit, son statut scientifique plus ou moins reconnu dans lapsychologie et les sciences de lducation de langue franaise aujourdhui.En sciences humaines, la notion de motivation est souvent ignore, parfoismprise, voire relgue au rang de savoir de sens commun. Son vocationdclenche des attitudes diverses que lon peut rsumer comme suit :

    la dngation : la motivation est alors conue comme un concept cr detoutes pices pour dcrire des tats que lon narrive pas expliquer ;construction la fois inutile et artificielle, linvoquer devient superflu, voiremystificateur. Il convient donc de lliminer du vocabulaire scientifique ;

    lindiffrence : tenant lexistence de ce quelque chose qui fait agir pourune vidence indiscutable, mais dans lincapacit den tirer des apportsdans lintervention ou la comprhension des phnomnes humains, on passela notion par pertes et profits , en regrettant parfois de ne pouvoir mieuxlexploiter ;

    la rsignation : cest la posture pessimiste et par consquent dfaitistedu convaincu qu on est motiv ou on ne lest pas , sous leffet dune loidu tout ou rien , dont on pourrait sans doute retrouver les racines dansle terreau biologique, pavlovien de la notion ;

    lincantation : cette figure reprsente une variante de la prcdente enpratique, porte par une conception plus optimiste, mais sans doute aussiillusionne, de la toute-puissance de cette nergie , mystrieuse etvanescente, qui dterminerait de faon automatique linvestissementindividuel dans laction.

    On peut trouver au relatif dni de statut scientifique de la motivation sur lechamp intellectuel franais un certain nombre de raisons, par-del le manquede connaissance des ouvrages crits en anglais sur le thme. On y peroit lestraces laisses par les interprtations de trois systmes dides dominantsqui se sont intresss aux motifs du comportement dans la psychologie duXXe sicle : bhaviorisme, psychanalyse, humanisme. Si lon interroge prati-ciens des ressources humaines, de la formation ou tudiants en psychologieou sciences de lducation, quant aux grands auteurs sur la motivation, onobtient gnralement une liste baroque de pdagogues, philosophes et psycho-logues parmi lesquels figurent en bonne place Freud, Skinner et Maslow. Or

    9782100515837-Carre.book Page 4 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 5

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    on sait quel point les expriences de conditionnement, classique puis oprant,ont donn de la motivation une image rductrice et caricaturale ; et si avecPetot (in Vallerand et Thill, 1993) on admet que la psychanalyse est, pourlessentiel, une thorie de la motivation , alors on reconnatra que ces deuxsystmes ont diffus de cette thmatique une image partielle, contestable etdcourageante. Quant Maslow, connu pour le schmatisme de sa pyramidedes besoins , aujourdhui largement conteste (si ce nest pour sa valeurpragmatique, du moins quant sa validit thorique), sa vision simplificatricedu fonctionnement de la motivation a sans doute contribu dcrdibiliser lanotion.

    De sorte qu lore des annes 1990, hormis lexception notable que repr-sente louvrage pionnier de Nuttin Thorie de la motivation humaine (1980),le champ scientifique francophone de la motivation est en friche. Louvragefondateur de Vallerand et Thill (1993) a alors permis de dsenclaver la notionde ses gangues caricaturales, de lui (re)donner statut de concept scientifiqueet a contribu lessor de la recherche francophone sur cette question. Lespublications sur ce thme se sont en effet multiplies au cours des toutesdernires annes, principalement dans le champ de lducation scolaire (Viau,1994 ; Lieury et Fenouillet, 1996 ; Delannoy, 1999 ; Galand et Bourgeois,2006), celui du travail (Michel, 1989 ; Francs, 1995 ; Feertchak, 1996 ; Lvy-Leboyer, 1998, 2007 ; Maugeri, 2004) de la formation (Carr, 1998 ; 2001) oudu sport (Cury et Sarrazin, 2001), allant jusqu entraner le dsenfouissementde la pense des prcurseurs1. Cette production sinscrit dans le sillage dunemodification des paradigmes dominants de ltude de la motivation humaineet tmoigne de lessor remarquable de ce thme de recherche qui ne fait quesaccrotre en milieu anglo-saxon depuis les annes quatre-vingt-dix (Weiner,1992 ; Higgins et Kruglanski, 2000 ; Tesser, Stapel et Wood, 2002 ; Mc Inerneyet Van Etten, 2004 ; Elliot et Dweck, 2005 ; Reeve, 2005 ; Shah et Gardner,2008). Cet essor sinscrivant sur un fond dintrt sensible aux tats-Unisdepuis plus dun demi-sicle, ainsi quen attestent les centaines de productionsde recherche prsentes dans le cadre des Nebraska Symposia on Motivationrunis annuellement depuis 1953

    2 RENOUVEAU THORIQUE

    Le paradigme nouveau de la motivation a ainsi pris son envol au tournant duXXIe sicle dans le cadre dune priodisation socio-historique parfois qualifie

    1. Ainsi du rcent ouvrage sur la psychologie de P. Diel (Bavelier, 1998).

    9782100515837-Carre.book Page 5 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 6 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

    de post-moderne , pour illustrer la rupture socitale avec la modernitindustrielle et son dpassement vers des formes indites de fonctionnementconomique, social, technologique et culturel au plan mondial. Ce contextesaccompagne au plan des idologies de la chute des grands systmes expli-catifs donneurs de sens qui ont domin la pense du XXe sicle. Chacunde ces systmes dinterprtation du monde est porteur dune conception dusujet et se traduit dans les orientations thoriques dominantes des sciencessociales et humaines une poque donne. Ainsi, particulirement en milieufrancophone, du socio-structuralisme dinspiration marxiste, puis bourdieu-sienne, caractris par la vision dun sujet-habitus dtermin, voire alin, parses conditions objectives dexistence, son appartenance de classe, sa positiondans le champ conomique et culturel. Ainsi galement du sujet-pulsion de lapsychanalyse aux prises avec les forces complexes de son univers inconscient,ou du sujet-rponse du bhaviorisme, ragissant aux stimulations de sonenvironnement selon les lois du conditionnement. Ainsi enfin du sujet-dmiurge des psychologies humanistes, tendu vers lactualisation de soi dansla toute-puissance de sa libert

    Par contraste, le XXIe sicle voit surgir et se dvelopper de nouveaux systmesexplicatifs plus modestes, moins marqus du sceau de leurs idologiesfondatrices, mieux prouvs laune de dmarches danalyse rigoureuses etcontrles, autour dun paradigme sociocognitif. travers celui-ci se dessinela figure dun sujet-arbitre, ultime juge de la combinatoire volutive de sesdterminations socio-familiales, de ses expriences de vie et de lexercice de sapuissance personnelle dagir (Ricur), dans un retour la formule sartriennequi pose lnigme de lexistence comme ce que lon fait de ce que la vie afait de nous .

    Renouveau : il ne sagit plus, en effet, ici, de concevoir la motivation commeil y a un quart de sicle, autour du concept initial, dorientation bhavioriste,indissolublement li aux thories du conditionnement animal. Ni commelexpression dun dsir aux contours flous, port par les logiques opaquesde linconscient, ni, comme aujourdhui encore, se plat parfois le dvoyerune certaine littrature managriale ou pdagogique, frue de schmas simplespour mettre au travail quipes dmobilises ou lves apathiques. Lmer-gence et la domination graduelles du paradigme cognitiviste initial du dernierquart du XXe sicle nont pas immdiatement chang grand-chose cettedsaffection pour la recherche motivationnelle. Psychologie froide , centresur les processus de traitement de linformation, longtemps domine par lamtaphore de lordinateur humain, la psychologie cognitive de lapprentis-sage, tout en reconnaissant limportance des aspects dynamiques, affectifs,motivationnels de laction, les relguait, prcisment, au champ de lmotionet de laffectivit, sous-traitant parfois la question la psychanalyse

    Cest dans ce cadre chaotique, donc propice aux remises en question etport par lessor dune psychologie cognitive chaude , aux confins de lapense, de lmotion et de lintention, que rapparat le concept de motivation,

    9782100515837-Carre.book Page 6 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 7

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    aux tats-Unis dabord, puis, via le Qubec, sous nos latitudes. On y dcouvreun ensemble conceptuel en voie dorganisation (Weiner, 1992), riche de lavision ouverte, dun sujet social actif, co-auteur de sa propre histoire, agissant lintrieur dun rseau de contraintes et dterminations externes aveclesquelles il est en perptuelle interaction.

    Port par les thories de lexpectation et de la valeur, de lattribution, delauto-efficacit, des buts, de lautodtermination et de la comptence, lenouveau courant de la psychologie des motivations fait une large place lanalyse des reprsentations davenir, du contexte social et de la conceptionde soi. Cest dire quil croise la fois les problmatiques cognitives classiquesdes reprsentations, les thories psychosociales du soi et les psychologiesmatrialistes de la personnalit (Leontiev, Wallon, Sve). Ce courant sinscritdans la mouvance dune psychologie sociocognitive chaude , hritirede la psychologie sociale exprimentale, tourne vers ltude rigoureuse etcontrle des interactions entre facteurs dispositionnels, contextuels et compor-tementaux de la vie psychique. Dans le prsent ouvrage, quinze auteurs bassdans quatre pays (France, Belgique, Canada, tats-Unis), inscrits dans cettediscipline ou des disciplines voisines des champs de lducation, de lorien-tation, de la clinique, des activits sportives ou du travail font ici la dmonstra-tion de la puissance heuristique et de la surface thorique des nouvelles approches de la motivation et de la porte de leurs enjeux pour les pratiquessociales.

    La premire partie du prsent ouvrage est ddie une prsentationsynthtique des courants thoriques dominants de la psychologie socio-cognitive des motivations.

    Cette section souvrira avec la thorie sociocognitive de Bandura, thoriedimpact majeur en psychologie aujourdhui. Luvre de cet auteur, dbute Stanford il y a plus de cinquante ans et poursuivie avec tnacit par lepsychologue vivant aujourdhui le plus cit au monde (Carr, 2004), est basesur une conception de lagentivit humaine qui fait de nous les co-construc-teurs de nos propres destines (chapitre 2). Au cur de cette conceptionglobale du fonctionnement humain, la notion d auto-efficacit fait figuredorganisateur des conduites, aux sources du comportement motiv.

    Autre grande proposition thorique en dveloppement permanent depuisune trentaine dannes, la thorie de lautodtermination de Deci et Ryanconvoque lhypothse du triple besoin de comptence, dautodtermination etdaffiliation sociale pour nous conduire, via un ensemble de mini-thories ,vers une construction majeure et influente de la motivation intrinsque et extrin-sque, applicable diffrents niveaux de gnralit : situationnel, contextuelet global (Vallerand et coll., chapitre 3).

    Les thories de lattribution mettent en relief diverses conceptions du sujethumain, de la mtaphore du scientifique naf celle de lordinateur qui setrompe, du juriste naf au sujet socialement insr, dtermin par des repr-

    9782100515837-Carre.book Page 7 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 8 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

    sentations sociales ou des normes (Gosling). La faon dont nous expliquonsnos actes, la fonction que remplissent ces explications et leur importancedans nos comportements sont les entres choisies pour le chapitre 4.

    Les thories reposant sur le concept de but font lobjet dun chapitre quipasse en revue le rle de ces organisateurs de laction que sont les buts ou reprsentations internes dun rsultat dsir (Cosnefroy). Caractristiquesdes buts, liens entre buts et performances, distinction entre buts de performanceet buts dapprentissage sont certains des thmes examins ici (chapitre 5).

    Enfin, en clture de cette partie vocation plus thorique, le chapitre 6(Lecomte) prsente la thorie du flux , ou exprience optimale, et examinecette situation dextrme motivation intrinsque au cours de laquelle lindi-vidu sengage corps et me dans une activit pour elle-mme, quilsagisse du travail, des pratiques culturelles ou des loisirs, faisant merger lesconditions de cette mise en action hyper-motive caractrise par la conver-gence de buts clairs, dune perception de contrle, dune concentrationmaximale et dun sentiment de dfi.

    3 RICHESSE DES IMPLICATIONS POUR LES PRATIQUES SOCIALES

    La seconde partie de louvrage passe en revue un ensemble de pratiquessociales traverses par la notion de motivation et au cours desquelles laproblmatique du passage laction est dterminante.

    Nous commencerons le priple avec, en toute logique, la question premirede lcole et des apprentissages scolaires (Cosnefroy et Fenouillet). Confor-mment aux dclarations rcurrentes des ducateurs et des responsables dusystme scolaire, le chapitre 7 met ainsi en lumire la pertinence des questionsabordes par les diffrentes thories de la motivation. En dpit dune impres-sion de puzzle conceptuel que donne de prime abord la littrature dans cedomaine, la lecture du chapitre confirme limpact essentiel que luniversthorique sociocognitif de la motivation peut avoir sur lamlioration despratiques et la comprhension des dynamiques de lapprentissage scolaire, autriple plan de son dclenchement, sa rgulation et ses modes de mmorisation.

    Passant de lenfance lge adulte, on abordera ensuite la question dudveloppement de la vie entire, de la jeunesse au grand ge. Deux grandesquestions sont ici traites : comment observer les motivations au cours de lavie adulte ? comment les dvelopper ? (Aubret, chapitre 8). On percevralimportance de ces questions lheure o linvitation, qui se fait souventinjonction, devenir agent de soi-mme devient de plus en plus universelle,

    9782100515837-Carre.book Page 8 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 9

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    quil sagisse de rapport au travail, la formation, aux choix de vie profes-sionnels et privs

    La transition sera fluide avec le chapitre 9 sur lorientation professionnelle.Dans ce domaine, ltude scientifique de la motivation a de longue date tprise au srieux, au plan empirique comme thorique, ce qui sexplique faci-lement compte tenu de lvidence de la problmatique du choix de nos actesdans le secteur de lorientation. En particulier, la question des reprsentationsde soi comme schmas directeurs de la conduite , question prminentedans le domaine, conduit directement vers les thories sociocognitives passesen revue dans la premire partie de louvrage. Les thmes du sentimentdefficacit personnelle, de lautodtermination et des buts trouvent ici, peut-tre encore plus quailleurs, une vidente lgitimit, dans le cadre dune conception dun sujet actif, agent de ses conduites, qui construit sa rflexiondans le cadre de linteraction sociale de la relation de conseil (Blanchard).

    Suite logique de notre progression travers cet ouvrage, le thme de lamotivation trouve un sens vif aujourdhui dans le contexte du travail. Confir-mant que chaque thorie de la motivation porte la marque de son poque ,Maugeri (chapitre 10) souligne le caractre stratgique, pour lentreprise, dela question des motivations, quil sagisse de lengagement dans le travail, delorientation des efforts des salaris, de la force et de la persistance de leurimplication dans la tche. Le monde industriel et des services daujourdhuiest pilot par une individualisation des modes de gestion et une autonomisationdes quipes qui, jointes lincertitude dominante qui pse sur les conomiescapitalistes, implique un recours accru aux ressources des personnes,quelles soient cognitives ou affectives. Dans un tel contexte historique,conomique et social, la thmatique des motivations trouve dvidence sajustification.

    Le management est ds lors au cur dune ventuelle gestion des moti-vations des quipes et des individus. Responsable des rsultats obtenuspar le systme humain dont il a la charge, le manager se voit contraintaujourdhui de penser les leviers daction qui pourront agir sur lefficacitcollective, do bien sr la centralit du thme qui nous intresse ici. Commelindique Franois, le domaine des sciences de gestion et, plus prcisment,du management a, de longue date, explor les ressources que les thories dela motivation pouvaient apporter lamlioration de lefficience des orga-nisations. Leadership, habilitation (empowerment) du personnel, contrat etdmocratie organisationnelle sont certains des thmes abords dans cetteperspective (chapitre 11).

    De faon trs lie aux chapitres prcdents, la question de la formation desadultes fait lobjet du chapitre 12. Pour Bourgeois, cette question est plusque jamais lordre du jour : la responsabilisation des salaris, mentionneci-dessus, mais galement des demandeurs demploi en priode de tensions surle march du travail, sans omettre la lancinante proccupation de dveloppement

    9782100515837-Carre.book Page 9 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 10 TRAIT DE PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION

    des comptences, voire celle du dveloppement dune apprenance citoyenne,sont autant de raisons de se pencher avec srieux sur la thmatique de lamotivation. Lauteur du chapitre passe en revue les deux situations que formentlentre en formation et lengagement dans les apprentissages, reliant lesdimensions majeures que sont les reprsentations de la valeur de la forma-tion et des chances de russite que le sujet sattribue dans le contexte de sesinteractions avec son contexte pdagogique et organisationnel.

    Dans le domaine du sport (chapitre 13), on constate que les tudes sur lamotivation font partie de plein droit des rfrences thoriques incontourna-bles dans le traitement de problmatiques essentielles, comme la performanceet le fair-play. partir des constructions thoriques du sentiment dauto-dtermination, de lauto-efficacit et des buts, Brunel et ses collaborateurssoulignent la pertinence des thories sociocognitives de la motivation dans lacomprhension des comportements lis la pratique sportive, quelle soittourne vers lamlioration des performances ou le souci de ralisation desoi.

    Les deux derniers chapitres de cette seconde partie consacre aux usagesdes thories de la motivation traitent de leur importance dans les domainesdu changement dattitudes et du conseil (thrapeutique ou autre). Meyerprsente dans le chapitre 14 la perspective de la cognition motive etillustre ce cadre de rflexion par lexemple de la communication des risques.Il indique quel point cette question sapplique tous les domaines danslesquels lincertitude et la dcision sont impliques : cest dire limpor-tance de ce chapitre. sa suite est prsente une nouvelle approche delentretien, dit motivationnel , grce auquel les thories de la motivationtrouvent une application directe dans le traitement par thrapies brves dedivers dysfonctionnements psychiques (Csillik, chapitre 15). Dans un croise-ment avec lapproche rogrienne du dveloppement de la personne, on pourralire ici quel point la combinatoire dun climat dacceptation et de lusagedes concepts sociocognitifs de motivation peut mener la rsolution de troublesaussi divers que lalcoolisme, les toxicomanies, les comportements risqueet les drglements alimentaires, permettant la mise en synergie des dimensionscognitives, motionnelles et comportementales de lengagement autodirigdans le changement.

    Enfin, en manire de clture (provisoire) du dossier, Fenouillet nous livreune synthse ambitieuse de soixante-quinze entres conceptuelles dans luniversen bullition des thories de la motivation. Dbouchant, aprs une analyseminutieuse de la littrature, principalement anglo-saxonne, du domaine, surun modle intgratif de la motivation, il nous permet de terminer louvragesur des perspectives de clarification du champ complexe, protiforme etessentiel de lanalyse du comportement motiv. largissant la problmatique la volition, comme phase seconde du processus motivationnel, il ouvre avecle chapitre final de louvrage la perspective dune conception englobante desdimensions conatives du choix et de lorientation des conduites, conception

    9782100515837-Carre.book Page 10 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF 11

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    construite partir de larticulation des concepts motivationnels proprementparler et de leurs contreparties volitionnelles, liant en une synthse heuristiquedimensions prcomportementales et comportementales de laction motive.

    4 DE LA MOTIVATION AU REGISTRE CONATIF

    Et ainsi, de faon prospective, on pourra se demander si les annes quiviennent ne seront pas celles de lmergence, dans le cadre dune psycho-logie gnrale en recomposition, dun tiers secteur caractrisant, par-delles champs cognitif et affectif (ou motionnel), la spcificit des comporte-ments volontaires, dpassement dialectique des reprsentations et des affects travers lanticipation de laction, lengagement, le projet, la construction desoi et de son propre devenir

    Cest sans doute le pari que font de nombreux auteurs quand ils introduisent, la suite de M. Reuchlin (1990), le terme de conation pour runir lensembledes observations, des concepts et des thories portant sur le choix et lorien-tation des conduites . Cest un certain retour ltude des motivations, maisdbarrasse de sa gangue de reprsentations aujourdhui dsutes et trans-forme par les apports du raz-de-mare cognitif. Mcanismes danticipationet de reprsentation de lavenir, logique des buts et du projet, dune part,perception de comptence, auto-efficacit et auto-attributions dautre part,processus dautodtermination et de rgulation enfin, forment alors les premiersjalons conceptuels dune tude de la conation, qui vient combler les lacunesde la rflexion sur les facteurs dynamiques, non strictement cognitifs durapport laction, de la construction de soi et du rapport aux autres et au monde.Dans cette conception, le sujet social est vu comme un agent de son propredveloppement, la fois producteur et produit de son existence (Bandura,2003), dployant son agentivit dans le jeu permanent des interactions entreperception de soi, rgulation du comportement et vnements du contexte devie. Le soi ne se ramne plus alors un ensemble de caractristiquesobjectives et dtermines, mais devient le produit volutif dun mlangetoujours singulier de dterminations, de hasard et de choix, de mmoire, derencontres et de projets (Deschavanne et Tavoillot, 2007). Au cur de cettecombinatoire, la motivation agit comme un juge arbitre (Weiner, 1992) ducomportement humain. On comprend ds lors limportance nouvelle que cechamp de recherche prend en psychologie aujourdhui.

    9782100515837-Carre.book Page 11 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 9782100515837-Carre.book Page 12 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • Premire partie

    CONVERGENCES THORIQUES

    9782100515837-Carre.book Page 13 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 9782100515837-Carre.book Page 14 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • Chapitre 2

    LA THORIE SOCIALE COGNITIVE :

    UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE1

    1. Par Albert Bandura. Adaptation par S. Brewer et P. Carr de larticle : Social cognitive theory :An agentic perspective , Annual Review of Psychology, 2001, 52, 1-26.

    9782100515837-Carre.book Page 15 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 9782100515837-Carre.book Page 16 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • D

    unod

    L

    a ph

    otoc

    opie

    non

    aut

    oris

    e e

    st u

    n d

    lit.

    tre un agent signifie faire en sorte que les choses arrivent par son actionpropre et de manire intentionnelle. Lagentivit englobe les capacits, lessystmes de croyance, les comptences autorgulatrices ainsi que les structureset les fonctions distribues au travers desquelles sexerce linfluence person-nelle ; elle nest pas une entit discrte localisable. Les traits fondamentauxde lagentivit donnent chacun la possibilit de jouer un rle dans sondveloppement personnel et dans sa capacit sadapter et se renouveleravec le temps qui passe. Avant daborder la perspective agentique de la thoriesociale cognitive, il convient daccorder aux changements de paradigme quisont intervenus au cours de la brve histoire de la psychologie un momentdattention. Si, dans le cadre de ces transformations thoriques, les mtaphorescentrales ont certes volu, il nen reste pas moins que, dans leur majorit,les thories accordent lhomme peu ou pas de capacits dagentivit.

    1 LES CHANGEMENTS DE PARADIGME DANS LES THORIES PSYCHOLOGIQUES

    Une majeure partie des premires thories psychologiques fut fonde sur desprincipes comportementalistes souscrivant un modle entre-sortie (input-output) o le comportement est certes rendu possible par un conduit intrieurqui relie ces deux ples, sans toutefois quil exerce une influence propre surlaction. Selon cette vision, le comportement humain est form et contrl parles stimuli environnementaux de manire automatique et mcanique. Cet axede rflexion est peu peu pass de mode avec lavnement de lordinateur,qui amena assimiler lesprit un calculateur biologique. Dans ce modle,le conduit intrieur est devenu le lieu de nombreuses reprsentations etoprations de calcul gnres par des penseurs intelligents et astucieux.

    9782100515837-Carre.book Page 17 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 18 CONVERGENCES THORIQUES

    Si lordinateur est capable de raliser des oprations cognitives de rsolutionde problmes, lhomme ne peut plus tre priv de pense rgulatrice. Aussile modle input-output a-t-il t supplant par un modle tripartite : input linear throughput output. Lesprit en tant que calculateur numrique estdevenu le modle conceptuel de lpoque. Si lorganisme sans esprit taitdevenu plus cognitif, il tait toujours aussi priv de conscience et de capacitsagentiques. Pendant des dcennies, la mtaphore informatique du fonction-nement humain qui rgnait a vhicul limage dun systme informatiquelinaire dans lequel linformation est digre par un processeur central quifabrique les solutions selon des rgles prdtermines. Larchitecture de lordi-nateur linaire de lpoque a dict le modle conceptuel du fonctionnementhumain.

    Le modle linaire a, son tour, t remplac par des modles computa-tionnels organiss de manire plus dynamique qui ralisent de multiples tchessimultanes et interactives pour tenter de mieux reproduire le fonctionnementdu cerveau humain. Dans ce troisime modle, linput de lenvironnementdclenche un processus intermdiaire dynamique, multiples facettes, pourproduire loutput. Ces modles dynamiques comportent des rseaux neurauxmulti-niveaux aptes assurer des fonctions intentionnelles loges au sein dunrseau excutif subpersonnel, lequel fonctionne en labsence de toute activitconsciente par lintermdiaire de sous-systmes plus lmentaires. Les organessensoriels transmettent des informations un rseau neural qui assume le rlede machine mentale capable, de manire non consciente, de raliser lesfonctions de conceptualisation, planification, motivation et rgulation. Dansson analyse du computationnisme, Harre (1983) fait remarquer que ce nesont pas les individus mais leurs composants subpersonnels qui orchestrentleurs conduites. Le niveau personnel suppose lexistence dune consciencephnomnale et lutilisation intentionnelle dinformations et de moyens dauto-rgulation pour faire advenir des vnements dsirs.

    La conscience est la substance mme dont est faite la vie mentale ; ellerend non seulement possible la gestion de lexistence, mais la rend dignedtre vcue. La conscience fonctionnelle implique laccs intentionnel et letraitement dlibr des informations en vue de la slection, la construction, largulation et lvaluation des conduites. Ces oprations sont effectues grce la mobilisation intentionnelle et lutilisation productive de reprsentationspragmatiques et smantiques des activits, des buts et dautres vnementsfuturs. Dans son livre clairvoyant sur la cognition vcue (experienced cognition),Carlson (1997) souligne le rle central jou par la conscience dans la rgula-tion cognitive de laction et le droulement des vnements mentaux. Il y aeu un certain nombre de tentatives visant rduire la conscience soit unesorte dpiphnomne rsiduel dactivits effectues au niveau subpersonnel,soit un sous-systme excutif intgr la machine de traitement delinformation, soit encore un aspect attentionnel du traitement de linfor-mation. Comme le fameux lphant imperceptible malgr sa taille, dans ces

    9782100515837-Carre.book Page 18 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 19

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    explications dordre subpersonnel de la conscience, lindividu qui conoitdes fins et agit intentionnellement pour les raliser, est invisible. En outre, cesexplications rductrices demeurent conceptuellement problmatiques parcequelles cartent les caractristiques essentielles de lhomme que sont lasubjectivit, la dlibration autodirige et la rflexivit autoractive. Pour desraisons sur lesquelles nous reviendrons dici peu, la conscience ne saurait trerduite un sous-produit non fonctionnel de loutput dun processus mentalralis de faon mcanique des niveaux infrieurs non-conscients. Pourquoiune telle conscience piphnomnale, passive, aurait-elle volu et perduren tant quenvironnement psychique dominant dans la vie des gens ? Sansconscience phnomnale et fonctionnelle, les personnes ne sont que des auto-mates suprieurs, qui subissent des actions, dpourvus de toute subjectivitou de contrle conscient. De la mme faon, de tels tres ne possderaientaucune vie phnomnale significative, ni aucun sentiment didentit stableenracin dans leur manire de vivre leur vie et dy rflchir.

    Green et Vervaeke (1996) ont observ qu lorigine, de nombreuxadeptes du connexionnisme et du computationnisme ont tenu leurs modlesconceptuels pour des modles approximatifs des activits cognitives. Or,plus rcemment, certains dentre eux sont devenus des matrialistes limi-natifs qui assimilent les facteurs cognitifs au phlogistique dautrefois. Seloncette vision, les personnes nagissent pas sur la base de leurs croyances, buts,aspirations ou attentes, mais cest plutt la mise en route de leur rseau neuralau niveau subpersonnel qui les incite agir. Dans sa critique de lliminati-visme, Greenwood (1992) affirme que les cognitions sont des facteurs psycho-logiques pourvus de contenus smantiques dont le sens ne dpend en rien despropositions explicatives dans lesquelles elles figurent. Le phlogistique navaitni fondement empirique ni valeur explicative ou prdictive. En revanche, lesfacteurs cognitifs excellent pour prdire le comportement humain et guider desinterventions efficaces. Pour trouver leur chemin dans un monde complexeplein de dfis et de risques, les individus doivent tre capables de formulerde bons jugements propos de leurs propres capacits, de prvoir les effetsprobables des divers vnements et conduites possibles, de mesurer ltenduedes opportunits et des contraintes dordre socio-structurel qui se prsentent eux et de rgler leur comportement en consquence. Ces systmes decroyances constituent un modle opratoire du monde qui permet chacunde produire des rsultats souhaits et dviter ceux qui ne le sont pas. Descapacits en matire danticipation ainsi que des capacits gnratives etrflchies sont donc vitales pour la survie et les progrs humains. Les facteursagentiques qui savrent explicatifs, prdictifs et dune valeur fonctionnelledmontre peuvent tre traduits et modliss dans un autre langage thoriquemais en aucun cas limins (Rottschaefer, 1985, 1991).

    9782100515837-Carre.book Page 19 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 20 CONVERGENCES THORIQUES

    2 UNE THORIE PHYSICALISTE DE LAGENTIVIT HUMAINE

    Comme nous lavons dj affirm, ltre humain nest pas simplement lhteet spectateur de mcanismes internes orchestrs par des vnements dumonde extrieur. Il est lagent plutt que le simple excutant de lexprience.Les systmes sensoriels, moteurs et crbraux constituent les outils auxquelsles personnes ont recours pour raliser les tches et atteindre les buts quidonnent sens, direction et satisfaction leur vie (Bandura, 1997 ; Harre etGillet, 1994).

    Les recherches sur le dveloppement crbral mettent en vidence le rleinfluent que joue lagentivit dans lvolution de la structure neuronale etfonctionnelle du cerveau (Diamond, 1988 ; Kolb et Whishaw, 1998). Cenest pas uniquement le fait dtre expos une stimulation qui apparatdterminant, mais laction agentique dans lexploration, la manipulation etlintervention sur lenvironnement. En rgulant leur motivation et leursactivits, les personnes produisent les expriences qui forment le substratneurobiologique fonctionnel de comptences symboliques, sociales, psycho-motrices et autres. Il est vident que la nature de ces expriences est fortementdpendante des types denvironnements sociaux et physiques que les personneschoisissent et construisent. Une perspective agentique favorise le dvelop-pement de recherches susceptibles de fournir de nouvelles pistes par rapport la construction sociale de la structure fonctionnelle du cerveau humain(Eisenberg, 1995). Il sagit dun espace dinvestigation o la psychologie peutfaire des contributions uniques et fondamentales la comprhension bio-psychosociale du dveloppement, de ladaptation et du changement humains.

    La thorie sociale cognitive soutient un modle dagentivit mergente etinteractive (Bandura, 1986, 1999a). La pense nest pas une entit dsincarne,immatrielle qui existerait indpendamment des vnements neuraux qui laproduisent. Les processus cognitifs sont des activits crbrales mergentesqui exercent une influence dterminante. Les proprits mergentes se distin-guent qualitativement des lments qui les constituent et ny sont donc pasrductibles. Pour reprendre lanalogie de Bunge (1977), les proprits uniqueset mergentes de leau telles que la fluidit, la viscosit et la transparence nesont pas simplement les proprits agrges de ses microcomposants, savoir loxygne et lhydrogne. travers leurs effets interactifs, ces deuxcorps se transforment en phnomnes nouveaux.

    Il est ncessaire de faire la distinction entre le substrat physique de la pense,sa construction et son usage fonctionnel. Lesprit humain est gnrateur,crateur, proactif et rflexif, non pas seulement ractif. Lenterrement deDescartes et de sa vision dualiste du monde nous oblige relever limmensedfi explicatif qui consiste btir une thorie physicaliste de lagentivit

    9782100515837-Carre.book Page 20 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 21

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    humaine et dune thorie cognitive non dualiste. Comment font les personnespour produire les penses qui exercent une influence dterminante sur leursactions ? Quels sont les circuits fonctionnels de lanticipation, de la planifi-cation proactive, de laspiration, de lauto-valuation et de lautorflexion ?Plus important encore, comment ces capacits sont-elles intentionnellementmobilises ?

    Les agents cognitifs rgulent leurs actes par le biais dune causalit cogni-tive descendante , tout en subissant la mise en activit de leur organismepar la stimulation sensorielle ascendante (Sperry, 1993). Lhomme estcapable de concevoir intentionnellement des vnements uniques, dimaginerdes conduites indites et de choisir de mettre ou non lune de ces conduites excution. condition dtre incit raliser une telle tche, chacun dentrenous est capable, spontanment et de manire tout fait dlibre, de construireun scnario des plus farfelus, comme, par exemple, limage dun hippopotamerose en tenue de soire en train de voler au-dessus de la lune en chantant lascne de folie de lopra Lucia di Lammermoor. Les notions dintentionnalitet dagentivit soulvent la question fondamentale de savoir comment nouscrons des activits sur lesquelles nous exerons une forme de contrlepersonnel, lequel dclenche les vnements subpersonnels neurophysiolo-giques ncessaires la ralisation de certaines intentions et aspirations. Ainsi,cest en agissant sur la croyance bien-fonde que lexercice est bnfiquepour la sant, que les individus sengagent dans diverses activits physiquesfavorables au maintien de leur sant sans avoir la moindre ide de la maniredont ces vnements surviennent au niveau subpersonnel. Le rsultat en termesdtat de sant est le double produit dune causalit agentique et dune causalitlie au simple droulement des vnements, chaque type de causalit oprant diffrents moments de la squence.

    La discipline psychologique volue en suivant deux chemins conceptuels bien divergents. Lun des axes thoriques se donne comme objet de clarifierla nature des mcanismes fondamentaux qui gouvernent le fonctionnementhumain. Les tudes allant en ce sens sont fortement centres sur le fonction-nement interne de lesprit dans le traitement, la reprsentation, le rappel etlutilisation des informations codes en vue dassurer la bonne gestion desexigences lies la ralisation de tches varies. Elles visent galement dterminer lendroit dans le cerveau o ces nombreux vnements se produi-sent. En rgle gnrale, ces processus cognitifs sont tudis sous une formedsincarne, coupe de la vie interpersonnelle, sans tenir compte des dmar-ches dlibres des personnes ni de leurs capacits autorflexives. Or lesgens sont des tres capables de ressentir et de se fixer des buts. Face auxexigences prescrites par diverses tches, les hommes agissent consciemmentafin de produire les rsultats quils souhaitent, plutt que de subir simplementdes vnements au cours desquels les forces situationnelles agissent sur leursstructures subpersonnelles pour produire des solutions. Dans des situations

    9782100515837-Carre.book Page 21 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 22 CONVERGENCES THORIQUES

    exprimentales, des participants sefforcent de savoir ce qui est attendu deux ;ils construisent des hypothses et mettent leurs comptences lpreuve envaluant les rsultats de leurs actions ; ils se fixent des buts dordre personnelet se mobilisent pour obtenir des performances qui plaisent aux autres, lesimpressionnent ou les satisfassent eux-mmes ; lorsquils rencontrent desdifficults, ils commencent tenir une sorte de dialogue interne avec eux-mmes, pour sencourager ou se dcourager face laction ; sils interprtentleurs checs en se disant que les difficults rencontres peuvent tre vaincues,ils redoublent leurs efforts, mais ils se dmoralisent sils voient en leurs checsdes signes de faiblesses personnelles ; sils se croient exploits, contraints,insults ou manipuls, ils rpondent de manire apathique, peu cooprative,voire mme avec hostilit. Dans les sciences cognitives, ces facteurs motiva-tionnels tout comme dautres facteurs lis lautorgulation qui gouvernentnon seulement le niveau mais encore la qualit de lengagement personnel dansdes activits prescrites sont vus comme allant de soi au lieu dtreinclus explicitement dans des structures causales (Carlson, 1997).

    Le second axe thorique est centr sur le fonctionnement de facteurssocialement situs et sur le rle que ces facteurs macro-analytiques jouentdans le dveloppement, ladaptation et le changement humains. Dans ce cadrethorique, le fonctionnement humain est analys comme un phnomnesocialement interdpendant et richement contextualis qui est orchestr demanire conditionnelle au travers des dynamiques de divers sous-systmessocitaux et de leurs interactions complexes. Or, dans cette approche macro-analytique, les mcanismes censs relier les facteurs dordre socio-structurel laction relle demeurent en grande partie inexpliqus. Une thorie compr-hensive doit dpasser ce genre de dualisme analytique en intgrant lesdimensions causales personnelle et sociale dans une seule structure de causalit.En effet, les influences socio-structurelles oprent ncessairement au traversde mcanismes psychologiques pour produire des effets comportementaux.Nous reviendrons plus tard la question des rapports rciproques ou bidirec-tionnels qui caractrisent les interactions entre les structures sociales etlagentivit personnelle.

    3 LES TRAITS FONDAMENTAUX DE LAGENTIVIT HUMAINE

    Les traits fondamentaux de lagentivit humaine soulvent la question de ceque signifie le fait dtre humain. Nous allons les examiner dans les sectionssuivantes.

    9782100515837-Carre.book Page 22 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 23

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    3.1 Lintentionnalit

    Lagentivit dsigne tout acte ralis intentionnellement. Par exemple, lindi-vidu qui brise un vase dans un magasin dantiquits suite au croche-pied faitaccidentellement par un autre client ne serait pas considr comme lagent delvnement en question. Bien entendu, les transactions humaines impliquentdes incitations circonstancielles, mais celles-ci ne jouent pas le rle de forcesdterminantes. Les individus peuvent choisir de se comporter en saccommodantdes autres personnes et des circonstances ou bien se comporter diffremment,en exerant une auto-influence. Une intention est une reprsentation duneaction future non encore ralise. Elle ne se rduit pas une simple attente ni une prdiction de telles actions futures, mais constitue un engagementproactif qui tend vers leur ralisation. Les intentions et les actions sont deuxaspects diffrents dune mme relation fonctionnelle articule dans le temps.Ds lors il est important de parler des intentions comme tant enracinesdans des motivations personnelles qui affecteront la ralisation des actions un moment ultrieur.

    Lagentivit dite de planification (planning agency) peut produire diversrsultats. Les rsultats ne sont pas les caractristiques dactes agentiques,mais en sont bien les consquences. Comme lexplique Davidson (1971), desactions conues pour atteindre un but dtermin peuvent nanmoins occa-sionner des consquences assez diffrentes. Il donne lexemple du mlanco-lique Hamlet qui poignarde intentionnellement lhomme cach derrire unetapisserie, croyant quil sagit du roi, seulement pour dcouvrir, sa grandehorreur, quil a assassin Polonius. Le meurtre du roi tait bien intentionnel,mais cest une autre victime qui a t tue. Quelques-unes de nos actionsralises avec la conviction quelles vont engendrer des rsultats souhaits,finissent en ralit par produire des consquences qui ne sont ni envisagesni voulues. Par exemple, il nest pas rare que les individus contribuent leurpropre malheur en ralisant des transgressions intentionnelles suite degraves erreurs de calcul quant leurs consquences. Certaines politiques etpratiques sociales conues avec les meilleures intentions savrent infructueuses,voire contre-productives, parce que leurs effets nfastes nont pu tre prvus.En bref, le pouvoir dtre lorigine dactes visant des buts donns constituele trait distinctif de lagentivit personnelle. Que lexercice de cette agentivitait des effets bnfiques ou nuisibles, quil donne lieu des consquencesnon envisages est une tout autre question.

    Les intentions sont centres sur des plans daction. Les projets sont rarementlabors dans le dtail ds le dbut. Il faudrait tre quasiment omniscientpour pouvoir anticiper chaque dtail circonstanciel. De surcrot, transformerun futur imagin en ralit exige des intentions orientes vers le prsent ou leproche avenir qui servent guider et encouragent aller de lavant (Bandura,1991b). Dans lapproche fonctionnaliste de lagentivit intentionnelle proposepar Bratman (1999), des intentions partielles initiales sont compltes et

    9782100515837-Carre.book Page 23 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 24 CONVERGENCES THORIQUES

    ajustes, rvises, affines ou mme reconsidres la lumire de nouvellesinformations qui se prsentent au cours de lexcution dune intention. Nousallons bientt voir que la ralisation de projets davenir ncessite bien plusque des intentions parce quen termes de causalit, ltat intentionnel ne suffitpas lui seul. Dautres aspects autorgulateurs de lagentivit contribuent la mise en uvre russie des intentions. Autre dimension fonctionnelle delintention prciser, la plupart des activits humaines impliquent la partici-pation dautres agents. Ces activits conjointement ralises requirent unengagement lgard dune intention partage ainsi que la coordination deprogrammes daction interdpendants. Le dfi des activits collaborativesest de russir lintgration des divers intrts personnels au service de butscommuns et dintentions collectives poursuivies de concert.

    3.2 La pense anticipatrice

    Ltendue temporelle de lagentivit va au-del de la planification dactionsfutures. La perspective davenir se manifeste de faons multiples et diverses.Les personnes se fixent des buts, anticipent les consquences probablesdactions futures, slectionnent et crent des squences daction susceptiblesde produire des rsultats souhaits et dviter des rsultats fcheux (Bandura,1991b ; Feather, 1982 ; Locke et Latham, 1990). travers lexercice de lapense anticipatrice, les personnes se motivent et guident leurs actions danslanticipation dvnements futurs. Quand elle se projette sur des objectifsvaloriss long terme, une perspective anticipatrice donne de la direction, dela cohrence et un sens la vie. mesure que les personnes voluent tout aulong de leur parcours de vie, elles continuent prvoir lavenir, rorganisentleurs priorits et structurent leur vie en consquence.

    Les vnements futurs ne sauraient tre les causes dune motivation oudune action prsente parce quils nont pas dexistence propre. Cependant, entant reprsents cognitivement dans le prsent, les vnements futurs prvi-sibles se transforment en autant de motivateurs et de rgulateurs ducomportement. travers cette forme dautoguidance anticipatrice, le compor-tement est motiv et dirig par des buts projets et par des rsultats anticipsau lieu dtre caus par un tat futur virtuel.

    Les personnes construisent des attentes de rsultats partir des relationsconditionnelles quelles observent entre les vnements qui surviennent dansle monde qui les entoure et les rsultats que des actions donnes produisent(Bandura, 1986). La capacit faire peser linfluence des rsultats anticipssur des activits en cours favorise ladoption dun comportement prvoyant.Cela donne aux individus la possibilit de transcender les contraintes de leurenvironnement immdiat, tout en leur permettant de faonner et de rgulerleur prsent de faon ce quil corresponde un futur souhait. En rgulantleur comportement par le biais des attentes de rsultats, les personnes adoptent

    9782100515837-Carre.book Page 24 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 25

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    des conduites aptes produire des rsultats positifs et cartent celles quirisquent dentraner des rsultats peu satisfaisants ou pnalisants. Cela dit, lesrsultats anticips, que ceux-ci soient dordre matriel ou social, ne sont pasle seul type dincitation susceptible dinfluencer le comportement humain,comme le suggrerait une approche fonctionnaliste sommaire. Si les actionsntaient accomplies que par rapport aux rcompenses et punitions externesque les individus peuvent anticiper, ceux-ci se comporteraient comme desgirouettes, changeant constamment de direction pour se conformer auxinfluences varies qui psent sur eux au hasard des circonstances. En ralit,les personnes manifestent un degr considrable dautodirection face lamyriade dinfluences concurrentes qui se prsentent eux en permanence.Une fois quelles adoptent des normes personnelles, les personnes rgulentleur comportement par le biais de rsultats dits auto-valuatifs (self-evaluative outcomes), lesquels peuvent renforcer ou contrecarrer linfluencede rsultats externes.

    3.3 Lautoractivit (self-reactiveness)

    Lagent ne doit pas tre seulement capable de planifier et de prvoir, maisaussi de se motiver et de sautorguler. Aprs avoir adopt une intention etun plan daction, on ne peut pas simplement rester inactif attendre que lesperformances appropries apparaissent. Lagentivit implique ainsi non seule-ment la capacit faire des choix dlibrs et des projets daction, mais aussi former des cours daction appropris et motiver et rguler leur mise excution. Cette autodirection multiples facettes opre au travers desprocessus autorgulateurs reliant la pense laction. Lautorgulation dela motivation, de laffect et de laction est gouverne par un ensemble desous-fonctions autorfrentes . Ces sous-fonctions comprennent lauto-observation, lautoguidance de la performance via les standards personnelset les autoractions correctives (Bandura, 1986, 1991b).

    Observer son comportement et les conditions la fois cognitives et environ-nementales dans lesquelles celui-ci sactualise constitue le premier pas pourlamliorer. Toute action implique une influence autoractive qui se forme travers la mesure du rsultat obtenu par rapport aux buts et standardspersonnels. Les buts, doublement enracins dans un systme de valeurs et unsentiment didentit personnelle, donnent aux activits leur signification etleur orientation. Ils ne motivent pas tant directement que par lengagementauto-valuatif dans une activit donne. En rendant leur auto-valuationcontingente latteinte des standards personnels, les gens donnent leursactivits une direction, tout en crant des auto-incitations pour soutenir leursefforts en vue datteindre lobjectif. Ils font des choses qui leur procurentune satisfaction personnelle, un sentiment de fiert et de valeur de soi ; ils

    9782100515837-Carre.book Page 25 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 26 CONVERGENCES THORIQUES

    vitent dadopter des conduites qui mnent linsatisfaction, lautodvalori-sation et lautocensure.

    Les buts ne mettent pas automatiquement en route les auto-influences quigouvernent la motivation et laction. Lauto-engagement, li lvaluationdes buts personnels, est affect par les caractristiques des buts en question,notamment par leur degr de spcificit, leur niveau de dfi et la proximittemporelle. Les buts gnraux sont trop flous et trop peu impliquants pourservir efficacement de guides et dincitations laction. Des buts stimulantsdclenchent un intrt puissant et un engagement complet dans lactivit.Lefficacit des buts en termes dautorgulation dpend fortement de ladistance temporelle laquelle ils sont projets. Les sous-buts dits proximauxmobilisent des auto-influences et dirigent ce que lon fait ici et maintenant.En revanche, les buts dits distaux servent tablir le cours gnral desconduites, mais sont, compte tenu des multiples influences concurrentes, troploigns dans le temps pour fournir laction prsente des incitations et desguides efficaces. Les meilleurs progrs vers des avenirs valoriss sont observslorsque des systmes de buts structurs et hirarchiss combinent aspirations long terme et autorgulation court terme. Les buts aux fortes propritsauto-engageantes motivent laction dune manire particulirement efficace(Bandura, 1991b ; Locke et Latham, 1990).

    Lagentivit morale occupe une place importante dans lautodirection. Lesthories psychologiques de la moralit sont fortement centres sur le raison-nement moral au dtriment de la conduite morale. Une thorie complte delagentivit morale doit concilier les savoirs et le raisonnement sur la moralitavec les conduites. Ceci ncessite une thorie agentique de la moralit pluttquune thorie rduite aux reprsentations de la moralit. Le raisonnementmoral se traduit en actions au travers de mcanismes autorgulateurs commele jugement moral du bien ou du mal inhrent une conduite donne auregard des standards personnels du sujet et des circonstances de cetteconduite et les autosanctions travers lesquelles lagentivit morale sexerce(Bandura, 1991a).

    Dans le dveloppement des comptences et des aspirations, les standardspersonnels concernant le mrite slvent mesure que les connaissances etles comptences sont acquises et les dfis sont relevs. Dans le cadre desconduites sociales et morales, les standards autorgulateurs sont plus stables.Ce nest pas toutes les semaines que les gens changent davis sur le juste oulinjuste, le bien ou le mal. Une fois que les individus ont adopt un standardmoral, les autosanctions ngatives quils sinfligent en raction aux actes quitransgressent leurs standards personnels, tout comme les autosanctionspositives quils sattribuent la suite des conduites fidles leurs standardsmoraux, servent dinfluences autorgulatrices (Bandura, 1991b). La capacit sautosanctionner donne un sens la notion dagentivit morale. Les auto-ractions tant valuatives quanticipatrices fournissent les rgulateurs moti-

    9782100515837-Carre.book Page 26 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 27

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    vationnels et cognitifs des conduites morales. Les autosanctions garantissentun certain alignement entre les standards personnels et les conduites. Lesindividus porteurs dune forte thique communautaire agiront pour promou-voir le bien-tre dautrui mme parfois au prix de leurs propres intrtspersonnels. Pousses par la situation se comporter de faon inhumaine, lespersonnes peuvent choisir de se comporter autrement en exerant une auto-influence qui contrebalance les pressions extrieures. Il nest pas rare que lesindividus investissent si fortement leur estime de soi dans certaines convic-tions, quils accepteront de se soumettre des formes de souffrance et depunition svres plutt que de cder ce quils considrent comme injusteou immoral.

    Lexercice de lagentivit morale se prsente sous deux modes principaux :le mode inhibiteur et le mode proactif (Bandura, 1999b). La forme inhibitricese manifeste dans le pouvoir dviter de se comporter de manire inhumaine.La forme proactive sexprime dans le pouvoir de se conduire de manirehumaine.

    Cela tant, les standards moraux ne fonctionnent pas comme des rgulateursinternes fixes des conduites. Les mcanismes autorgulateurs ne fonctionnentqu condition dtre mobiliss dans laction. Il existe de nombreuses manu-vres psychosociales qui permettent aux individus, par le biais de leurs auto-ractions morales, de se dsengager de manire slective lgard de conduitesinhumaines (Bandura, 1991b). Plusieurs de ces mcanismes de dsengagementmoral prennent racine dans la reconstruction cognitive de la conduite elle-mme. Ceci est possible en rendant personnellement et/ou socialement accep-table la conduite nocive, en la reprsentant comme si elle servait des finssocialement dignes ou morales, en la masquant sous un langage dulcor,maill deuphmismes et en proposant des comparaisons avec dautresactes encore plus inhumains. Dautres mcanismes affaiblissent le sentimentdagentivit personnelle dans les conduites nfastes en diluant et dplaantles responsabilits. Les autosanctions morales peuvent galement tre affai-blies ou dsengages au terme du processus de contrle dans la mesure o lesujet ignore, minimise ou discute les effets condamnables de sa conduite. Undernier ensemble de pratiques dsengage les autosanctions inhibitrices endshumanisant les victimes, soit en leur attribuant des caractristiques bestiales,soit en affirmant quelles sont responsables de leurs propres malheurs. Lesindividus prsentant une forte tendance au dsengagement moral se sententpeu coupables de leurs actes rprhensibles, sont moins prosociaux tout entant plus enclins des ruminations vengeresses (Bandura et al., 1996b). Parle dsengagement slectif de leur agentivit morale, les personnes qui seconduisent par ailleurs moralement et vertueusement sont capables de perptrerdes transgressions et des actes dinhumanit dans dautres sphres de leur vie(Bandura, 1999b ; Zimbardo, 1995).

    9782100515837-Carre.book Page 27 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 28 CONVERGENCES THORIQUES

    3.4 Lautorflexion

    Ltre humain nest pas seulement lagent de son action mais galementlexaminateur de son propre fonctionnement. La capacit mtacognitive rflchir soi-mme ainsi qu la viabilit de ses penses et de ses actionsconstitue encore un trait fondamental de lagentivit humaine. Au travers dela conscience autorflexive (reflective self-consciousness), chacun a la possi-bilit dvaluer sa motivation, ses valeurs et le sens quil donne ce quilentreprend dans la vie. Cest au niveau de lautorflexion que les individusabordent les conflits entre diffrentes incitations motivationnelles pour ensuitechoisir dagir en faveur de lune ou de lautre dentre elles. La vrification dela justesse de ses penses est aussi fortement dpendante de moyens dits autorflexifs (self-reflective means) (Bandura, 1986). Dans lexercice decette capacit mtacognitive, les personnes mesurent la justesse de leurspenses prdictives et opratoires selon les rsultats de leurs actions, les effetsproduits par les actions dautrui, ce que les autres croient et diverses dductionsdrives de connaissances tablies et de ce qui sensuit ncessairement.

    Parmi les mcanismes dagentivit personnelle, aucun nest plus central niomniprsent que la croyance personnelle dans sa capacit exercer un certaindegr de contrle sur son propre fonctionnement et sur les vnements delenvironnement (Bandura, 1997). Les croyances defficacit constituent lefondement de lagentivit humaine. Si les personnes ne croient pas quilspeuvent, par leurs propres actions, produire les rsultats souhaits tout envitant que des vnements fcheux surviennent, ils ont peu de raisons dagirou de persvrer face aux difficults. Si dautres facteurs peuvent servir deguides ou de motivateurs, ils nen sont pas moins enracins dans la croyancecentrale selon laquelle nous possdons la capacit de produire des effetspar nos actions. Des mta-analyses confirment le rle influent jou par lescroyances defficacit dans le fonctionnement humain (Holden, 1991 ; Holdenet al., 1990 ; Multon et al., 1991 ; Stajkovic et Luthans, 1998).

    Lauto-efficacit perue joue un rle essentiel dans la structure causale dela thorie sociale cognitive parce que les croyances defficacit affectentladaptation et le changement non seulement directement, mais galement travers limpact quelles exercent sur dautres dterminants (Bandura, 1997 ;Maddux, 1995 ; Schwarzer, 1992). De telles croyances dterminent, par exem-ple, si les personnes pensent de manire pessimiste ou optimiste, si leurspenses les aident rsoudre des problmes ou entravent leur dmarche. Lescroyances defficacit occupent une place centrale dans lautorgulation dela motivation par lintermdiaire des dfis lis aux buts que lon se fixe et auxrsultats que lon attend. Cest en partie sur la base des croyances defficacitque les personnes choisissent les dfis quelles vont relever, dcident desefforts quelles vont dployer dans lactivit, de leur dure de persvranceface aux obstacles et aux checs, et quelles peroivent leurs checs commetant motivants ou dmoralisants. La probabilit que les individus agiront

    9782100515837-Carre.book Page 28 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 29

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    selon les rsultats quils attendent de leurs performances futures dpendeffectivement des croyances quils ont dveloppes quant leur capacit, ouiou non, produire ces mmes performances. Un fort sentiment defficacitau coping (concernant sa capacit faire face dventuelles difficults)rduit la vulnrabilit au stress et la dpression dans des situations exigeantes,tout en renforant la rsilience face ladversit.

    Les croyances defficacit jouent galement un rle dans les trajectoiresde vie en exerant une influence aussi bien sur les types dactivits que surles environnements que les personnes choisissent. Tout facteur susceptibledinfluencer les comportements de choix du sujet peut affecter profondmentla direction de son dveloppement. En effet, les influences sociales luvredans les environnements choisis par le sujet continuent dvelopper certainescomptences, valeurs et centres dintrt bien longtemps aprs que le dter-minant dcisionnel a eu son effet initial. Ainsi, en choisissant, organisant etfaonnant leurs environnements, les personnes participent activement leurdevenir.

    La rapidit des changements informationnels, sociaux et technologiquesdonne toute son importance lefficacit perue en matire de dveloppementpersonnel et de capacit se renouveler au cours de lexistence. Dans le pass,le dveloppement acadmique des tudiants tait en grande partie dterminpar les coles do ils venaient. De nos jours, lInternet donne aux tudiants despossibilits illimites pour quils apprennent piloter leurs propres appren-tissages. Aujourdhui, sans restriction ni de temps ni despace, les tudiants ont leur disposition les meilleures bibliothques, les meilleurs muses, labora-toires et professeurs. Les autorgulateurs efficaces tendent leurs connaissanceset leurs comptences cognitives, tandis que les autorgulateurs inefficacesprennent du retard (Zimmerman, 1990).

    Lautorgulation devient aussi un facteur cl dans la vie professionnelle.Autrefois, les salaris apprenaient un mtier donn pour ensuite lexercer plusou moins de la mme manire et dans la mme entit tout au long de leurcarrire. tant donn le rythme soutenu des changements, le savoir et lescomptences techniques deviennent vite obsoltes moins dtre mis jouret adapts aux nouvelles technologies. Dans lorganisation moderne, le sala-ri doit prendre en charge son volution professionnelle en vue de tenir unevarit de postes et de fonctions au cours de sa carrire. Il doit cultiver demultiples comptences pour satisfaire aux exigences et aux rles professionnelsqui ne cessent dvoluer. Ladaptabilit agentique collective sapplique tantau niveau organisationnel quau niveau de la ressource humaine. Les orga-nismes doivent apprendre vite et innover en permanence pour survivre etprosprer dans des conditions marques par de rapides changements techno-logiques et des marchs mondialiss. Ils sont ainsi confronts au paradoxedavoir se prparer au changement au sommet de leur russite. Ceux quisont lents changer perdront gros.

    9782100515837-Carre.book Page 29 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 30 CONVERGENCES THORIQUES

    La sant est un exemple dautorgulation dans une sphre importante de lavie. Ces dernires annes il y a eu un changement majeur dans la conceptionde la sant, passant dun modle fond sur le traitement un modle fondsur le bien-tre. La sant humaine est fortement influence par les habitudeslies au style de vie de chacun ainsi que par les conditions environnementales.Cela permet aux individus dexercer un certain degr de contrle sur leur tatde sant. En effet, travers la gestion de leurs propres habitudes, les individusrduisent les risques majeurs pour la sant et mnent des vies plus saines etproductives (Bandura, 1997). Si les immenses avantages de ces quelqueshabitudes de sant lies au style de vie taient disponibles sous forme decomprim, cette invention serait reconnue comme une perce historique dansle champ de la mdecine.

    4 LA GESTION AGENTIQUE DU HASARD

    Sil y a beaucoup de choses que les gens font exprs afin dexercer un certaindegr de contrle sur leur dveloppement personnel et sur les circonstancesde leur vie, il existe aussi beaucoup de hasard dans le cours que prend lexis-tence. En effet, certains des dterminants qui exercent la plus forte influencesur les directions que prend notre vie se produisent travers les circonstancesles plus triviales. Cest au travers de circonstances souvent tout fait fortuitesque les personnes empruntent de nouvelles trajectoires dveloppementales,quil sagisse de choix amoureux, professionnels ou daffaires malencontreuses.Observez linfluence des vnements fortuits qui prsident au choix dun oudune conjoint(e). Un vol retard par une tempte inattendue amne la rencon-tre de deux personnes qui, par hasard, se trouvent assises lune ct delautre laroport en attendant que le temps se lve. Cette rencontre alatoiredonne lieu par la suite un mariage, un dmnagement et un changement detrajectoire professionnelle. Aucun desdits vnements ne se serait produit si, ce moment-l, le pilote navait pas reu lordre de ne pas dcoller pourcause de mauvais temps (Krantz, 1998). Un diteur entre dans une salle deconfrence au moment o elle se remplit rapidement, pour assister uneconfrence sur la psychologie des rencontres fortuites et des trajectoires devie . Il prend une place libre prs de lentre. Quelques mois plus tard, ilpouse la femme ct de qui il avait pris place ce jour-l. Si le futur maritait entr ne serait-ce que quelques secondes plus tard, la rpartition desplaces assises aurait t diffrente et lhistoire de vie des deux poux auraitt incomparable. Une union conjugale sest forme de manire tout faitfortuite lors dune confrence consacre aux dterminants fortuits desexistences humaines (Bandura, 1982) !

    9782100515837-Carre.book Page 30 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 31

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    Un vnement fortuit qui se produit dans des conditions incertaines, aussisocialement mdiatises soient-elles, est dfini comme tant la rencontre nonintentionnelle de personnes qui ne se connaissent pas. Quoique la successiondvnements de part et dautre de la rencontre fortuite possde chacune sespropres dterminants, la convergence des deux trajectoires se produit inopi-nment plutt que de manire prvue (Nagel, 1961). Ce nest pas pour direquun vnement fortuit na pas de cause , mais plutt quil y a un degrlev de hasard dans les conditions dterminantes de leur rencontre. Parmiles innombrables phnomnes fortuits qui caractrisent la vie quotidienne,bon nombre naffectent la vie des personnes que superficiellement, alors quedautres produisent des effets plus durables, ou dautres encore propulsentles individus dans de nouveaux itinraires de vie. La puissance de la plupartdes influences fortuites ne rside pas tant dans les proprits des vnementseux-mmes que dans la constellation complexe dinfluences transactionnellesque ceux-ci dclenchent (Bandura, 1982, 1998). Du ct des personnes, leursattributs, systmes de croyances, centres dintrt et comptences dterminentsi, oui ou non, une rencontre fortuite donne se transformera en relation durable.Du ct socio-structurel, limpact des rencontres fortuites dpendra en partiede la capacit des milieux sociaux o les individus se trouvent plongs lesretenir et les influencer.

    Le hasard ne signifie pas lincontrlabilit de ses effets. On peut profiterdu caractre fortuit de la vie. On peut faire en sorte que la chance sourie enpoursuivant une vie active, ce qui augmente la qualit et le type de rencontresfortuites quon peut faire. Le hasard est favorable aux individus curieux etentreprenants, qui bougent, agissent et explorent de nouvelles activits (Austin,1978). Les gens peuvent aussi mettre la chance de leur ct en cultivant leurscentres dintrt, leurs comptences et les croyances personnelles constructives.Ces ressources internes donnent chacun la possibilit de tirer le meilleurparti des occasions qui se prsentent de temps autre de manire tout faitinattendue. Pasteur (1854) la bien dit en affirmant que la chance ne souritqu lesprit prpar . Lautodveloppement permet chacun de participerplus activement la construction de son destin dans le cours de sa vie. Cesdiverses activits proactives illustrent la gestion agentique du hasard.

    Dans les analyses causales de trajectoires dveloppementales, on fait peu decas des facteurs fortuits, alors quils dominent les recommandations davenir,quil sagisse datteindre le souhaitable ou dviter des inconvnients(Bandura, 1995, 1997 ; Hamburg, 1992 ; Masten et al., 1990 ; Rutter, 1990).Quant au dveloppement personnel, les efforts sont centrs sur le dploiementdes ressources personnelles qui permettent de tirer avantage des alas promet-teurs. Pour ce qui est de la protection de soi, on aide les individus dvelopperles capacits autorgulatrices qui non seulement leur permettent dviter lespiges sociaux qui peuvent se prsenter eux de manire inattendue et lesinciter, contre leur intrt, adopter des lignes de conduite potentiellement

    9782100515837-Carre.book Page 31 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 32 CONVERGENCES THORIQUES

    nuisibles, mais leur donnent galement des outils pour pouvoir sextirper detelles situations difficiles si jamais ils sy trouvent coincs.

    5 LES MODALITS DE LAGENTIVIT HUMAINE

    La recherche et llaboration thorique propos de lagentivit humaine sesont essentiellement limites lexercice individuel de lagentivit. Pourtant,ce nest pas la seule manire dont les gens exercent une influence sur lesvnements affectant leur existence. La thorie sociale cognitive distinguetrois modalits diffrentes de lagentivit : personnelle, par procuration etcollective.

    Les analyses prcdentes se sont centres sur la nature de lagentivitpersonnelle directe ainsi que sur les processus cognitifs, motivationnels,motionnels et de slection au travers desquels elle produit des effets donns.Dans de nombreux domaines de fonctionnement, les individus nexercentpas de contrle direct sur les conditions sociales ni sur les pratiques institu-tionnelles qui affectent leur vie quotidienne. Dans ces circonstances, ilsrecherchent leur bien-tre, leur scurit et les rsultats quils valorisent parprocuration. Dans ce mode dagentivit par la mdiation sociale, ils essaientde trouver des personnes ayant de linfluence et du pouvoir pour sassurerdobtenir les rsultats quils souhaitent. Personne na le temps, lnergie, niles ressources pour matriser tous les domaines de la vie quotidienne. Unfonctionnement russi implique ncessairement un mlange defficacit parprocuration dans certains domaines de fonctionnement pour librer du tempset de lnergie afin de grer directement dautres aspects de sa vie (Baltes,1996 ; Brandtstdter, 1992). Par exemple, pour obtenir ce quils dsirent, lesenfants sappuient sur leurs parents, les conjoints sappuient lun sur lautretandis que les citoyens tentent dinfluencer les actes de leurs reprsentantslgaux. Le contrle par procuration dpend dune efficacit sociale peruepour influencer les efforts de mdiation des autres.

    Les individus ont recours au contrle par procuration dans des domaineso ils peuvent exercer de linfluence directe mais sans avoir dvelopp lesmoyens pour le faire. Ils croient que les autres peuvent mieux faire queux,ou bien ils ne veulent pas simposer le poids de certains aspects lis lexer-cice du contrle direct. Le contrle personnel nest ni une pulsion inne ni untrait universel, comme certains le prtendent. Le contrle personnel a descots qui peuvent en attnuer lattractivit. Lexercice dun contrle efficacerequiert la matrise de connaissances et de comptences accessibles unique-ment par de longues heures de travail ardu. De plus, conserver des aptitudes

    9782100515837-Carre.book Page 32 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 33

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    dans un contexte marqu par des conditions de vie en perptuel changementdemande un investissement permanent en temps, en efforts et en ressourcespour se renouveler tout le temps.

    Lexercice du contrle personnel impose non seulement un travail cons-quent dautodveloppement continu, mais il gnre frquemment dimpor-tants risques, responsabilits et sources potentielles de stress. Les gens nesont pas particulirement avides davoir porter les fardeaux de la responsa-bilit. Bien trop souvent, ils renoncent au contrle en le confiant aux autresalors quil sagit de domaines o ils pourraient exercer une influence directe.Ils agissent ainsi pour se librer des exigences de performance et des respon-sabilits lourdes que comporte le contrle personnel. Le contrle par procu-ration peut tre utilis dune manire qui favorise lautodveloppement ouqui freine lappropriation de comptences personnelles. Dans ce dernier cas,une partie du prix de lagentivit par procuration est la vulnrabilit tribu-taire des comptences, du pouvoir et des faveurs dautrui. Les gens ne viventpas leur vie de faon isole. Beaucoup de ce quils recherchent ne saurait seraliser que par des efforts socialement interdpendants. Par consquent,ils doivent collaborer avec dautres pour obtenir ce quils ne peuvent avoirtout seuls.

    La thorie sociale cognitive tend le concept dagentivit humaine jusqulagentivit collective (Bandura, 1997). La croyance quont les gens depouvoir produire collectivement des rsultats souhaits est une composanteessentielle de lagentivit collective. Les russites des groupes ne sont passeulement gnres par le partage des intentions, du savoir et des comptencesde ses membres, mais galement par la synergie des dynamiques interactives etcoordonnes qui caractrisent leurs transactions. tant donn que la perfor-mance collective dun systme social implique des dynamiques transaction-nelles, lefficacit collective perue est une proprit mergente au niveau dugroupe ; elle nest pas simplement la somme des croyances des individus enleur efficacit. Cela dit, il nexiste pas dentit mergente qui oprerait ind-pendamment des croyances et des actions des individus qui composent lesystme social. Ce sont les personnes qui agissent conjointement partir decroyances partages, non pas un esprit de groupe dsincarn qui rflchit,vise des rsultats, se motive et rgule son action cette fin. Les croyancesdefficacit collective servent des fonctions semblables celles du sentimentdefficacit personnelle et fonctionnent au travers de processus tout faitanalogues (Bandura, 1997).

    Des tudes empiriques en provenance de divers champs de rechercheconfirment limpact de lefficacit collective perue sur le fonctionnement dugroupe (Bandura, 2000). Certaines de ces tudes ont valu les effets delefficacit collective perue quand elle est exprimentalement induite desniveaux diffrencis. Dautres tudes ont examin les effets quexercent descroyances defficacit collective dveloppes naturellement sur le fonction-nement de divers systmes sociaux, y compris les systmes ducatifs, les

    9782100515837-Carre.book Page 33 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • 34 CONVERGENCES THORIQUES

    entreprises, les quipes sportives, les entits de combat, les communautsurbaines et des groupes daction politique. Dans leur ensemble, les rsultatsmontrent que plus lefficacit collective perue est forte, plus les aspirationsdun groupe et son investissement dans ses projets sont levs, plus il rsisteface aux obstacles et aux revers, meilleurs sont son moral, sa rsilience faceau stress et ses performances.

    Les thories de lagentivit humaine et collective sont mailles de dualismesdiscutables que la thorie sociale cognitive rejette. Ces dualismes concernentlagentivit personnelle contre les structures sociales, lagentivit autocentrecontre le sens de communaut et lindividualisme contre le collectivisme. Leclivage entre agentivit et facteurs socio-structurels oppose les thoriespsychologiques aux thories sociologiques, suggrant quil sagit de thoriesconcurrentes du comportement humain, ou que chacune se rserve les droitsexclusifs lgard de son niveau de causalit propre . Le fonctionnementhumain est enracin dans des systmes sociaux. Ainsi lagentivit personnelleopre-t-elle au sein dun vaste rseau dinfluences socio-structurelles. Engrande partie, les structures sociales reprsentent des systmes de rglesautorises, des pratiques sociales et des sanctions conues pour rguler lesaffaires humaines. Ces fonctions socio-structurelles sont assures par le biaisdtres humains qui occupent ces rles autoriss (Giddens, 1984).

    Dans le cadre des rgles structurelles des systmes sociaux, on observe defortes variations personnelles quant leur interprtation, leur adoption, leurtransgression, voire lopposition active leur gard (Burns et Dietz, 2000).Ces transactions nimpliquent pas une dualit entre une structure sociale rifieet dsarticule davec les personnes et leur agentivit, mais bien une interactiondynamique entre les individus et ceux qui supervisent le fonctionnementinstitutionnel des systmes sociaux. La thorie sociale cognitive explique lefonctionnement humain en termes de causalit triadique rciproque (Bandura,1986). Dans ce modle de causalit rciproque, les facteurs personnels internes,sous la forme dvnements cognitifs, affectifs et biologiques, le comportementet les influences environnementales fonctionnent tous comme des dterminantsen interaction qui sinfluencent bidirectionnellement. Lenvironnement nestpas une entit monolithique. La thorie sociale cognitive distingue entre troistypes de structures environnementales (Bandura, 1997). Lenvironnementpeut ainsi tre impos, choisi ou construit. Ces diffrentes structures environ-nementales recouvrent des degrs de modifiabilit impliquant la mise en uvrede formes diffrentes dagentivit personnelle tant en termes de primtre quede centration.

    Dans la thorie sociale cognitive, les facteurs socio-structurels oprentau travers des mcanismes psychologiques du soi pour produire des effetscomportementaux. Ainsi, par exemple, les conditions conomiques, le statutsocial et les structures ducatives et familiales affectent le comportementnon pas directement, mais en grande partie au travers de leur impact sur lesaspirations des individus, leur sentiment defficacit, leurs standards personnels,

    9782100515837-Carre.book Page 34 Jeudi, 23. octobre 2008 8:18 20

  • LA THORIE SOCIALE COGNITIVE : UNE PERSPECTIVE AGENTIQUE 35

    Dun

    od

    La

    phot

    ocop

    ie n

    on a

    utor

    ise

    est

    un

    dlit

    .

    leurs tats affectifs et autres influences autorgulatrices (Baldwin et al., 1989 ;Bandura, 1993 ; Bandura et al., 1996a, 2000a ; Elder et Ardelt, 1992). Les dter-minants socio-structurels et psychologiques ne peuvent pas non plus faire