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74 | PLANET PARFUM MAGAZINE Le maître Photographe de génie et véritable metteur en scène des couleurs, le directeur artistique de la création maquillage chez Dior est un magicien de l’éclat féminin et un dompteur de lumière. Avant-gardiste, on lui doit notamment le mascara bleu électrique, la Palette Neige de Lune dont les tons évoluaient en fonction de l’éclairage, le fond de teint en spray ou le mascara pour cheveux. Le moins que l’on puisse dire est que le parcours de cet artiste multifacettes est hors du commun. Car l’histoire de Tyen se lit comme un roman. Arrivé à Paris de son Vietnam natal à l’âge de 16 ans, il entreprend des études d’architecture intérieure à l’École des Beaux-Arts de Paris, pour ensuite passer par les loges de l’Opéra Garnier, où il crée des maquillages de scène épous- touflants. Devenu l’un des make-up artists les plus demandés, son talent retentit outre-Atlantique où il se voit réclamé par les plus grands magazines tels que Vogue, Vanity Fair ou Harper’s Bazaar. Fasciné par le travail des photographes avec lesquels il colla- bore, Tyen est de plus en plus tenté par la photogra- phie et finit par passer derrière l’objectif. Devenu directeur artistique du maquillage chez Dior, il réalise lui-même la mise en scène de ses créations et fixe sur la pellicule les campagnes publicitaires de la maison. Zoom arrière sur 30 ans de création. Comment vous définissez-vous ? Je suis un dreammaker : j’imagine, je réalise des rêves. Au cours de ces 30 ans de création, la société a évolué, tout va plus vite. Le ressentez-vous dans votre manière de travailler ? Pas vraiment, car le rythme s’est accéléré pro- gressivement. Je ne m’en suis pas rendu compte. C’est un peu comme l’Eurostar, on traverse la Manche et on rejoint Londres si vite que l’on ne s’en rend pas compte. Et puis, il y a aussi le fait que nous travaillons à l’avance en création : au printemps 2009, nous sommes déjà à l’automne 2010 ! Et l’évolution de la femme ? Aujourd’hui, les femmes cherchent de plus en plus à être belles comme elles sont, à rester elles-mêmes, elles ne veulent plus ressembler à une icône, elles sont des icônes. Pourtant on n’a jamais vu autant d’égéries. Vous-même avez votre muse Monica Bellucci... Monica m’inspire, elle est plus qu’une amie, elle est mon âme sœur. Monica n’est pas une icône, elle est une muse parce qu’elle est représentative d’une vraie féminité. Elle est à la fois star, maman et femme... et pas blonde. Pour moi, le blond est artificiel, j’aime l’authen- ticité des cheveux bruns. D’ailleurs les femmes l’adorent, elles se reconnaissent en Monica Bellucci, mais ne veulent pas lui ressembler pour autant. Avant, elles auraient dit « je veux lui ressembler », plus maintenant. On les ras- sure beaucoup aussi, elles ne se posent plus la question de savoir comment elles doivent se maquiller ; aujourd’hui on leur propose quelque chose, elles aiment ou elles n’aiment pas... Mais souvent elles aiment ce que Dior leur propose ! Je pense aussi que toutes les femmes peuvent être belles à chaque moment de leur vie : on peut se sentir belle parce qu’on vient de recevoir une bonne nouvelle, mais on peut aussi être belle parce qu’on est triste. On doit juste adapter le maquillage selon les moments ; triste, j’opterais pour le mascara tandis que si je veux exprimer le bonheur, je choisirais le fond de teint car la peau est le reflet de la vie. Elle est donc votre vision de la Femme ? J’ai toujours eu une image très symbolique de la femme. Avec des S : sereine, sensible, séduc- trice... dès le début de la création, le serpent (encore un S) séduit la femme. Quelles sont vos sources d’inspiration ? Tout, il faut savoir ouvrir son regard. À l’art, à la musique, à la littérature, à l’histoire... Vous parlez énormément de musique dans vos divers entretiens. Elle semble omniprésente dans votre vie. Elle l’est de manière innée. Elle est toujours présente dans mes pensées, dans mon cœur plutôt que dans mes oreilles. La musique Les plus belles femmes du monde ont toutes posé pour lui, de Naomi Campbell à Monica Bellucci. En 30 ans, Tyen a façonné l’image des parfums Dior à travers ses créations maquillage visionnaires et ses shootings publicitaires. Nancy Vander Weyden Tyen

Tyen Le maître - DoYouBuzz · Le maître Photographe de génie et véritable metteur en scène ... par le travail des photographes avec lesquels il colla-bore, Tyen est de plus en

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Page 1: Tyen Le maître - DoYouBuzz · Le maître Photographe de génie et véritable metteur en scène ... par le travail des photographes avec lesquels il colla-bore, Tyen est de plus en

74 | PLANET PARFUM MAGAZINE

Le maîtrePhotographe de génie et véritable metteur en scène des couleurs, le directeur artistique de la création maquillage chez Dior est un magicien de l’éclat féminin et un dompteur de lumière. Avant-gardiste, on lui doit notamment le mascara bleu électrique, la Palette Neige de Lune dont les tons évoluaient en fonction de l’éclairage, le fond de teint en spray ou le mascara pour cheveux. Le moins que l’on puisse dire est que le parcours de cet artiste multifacettes est hors du commun. Car l’histoire de Tyen se lit comme un roman. Arrivé à Paris de son Vietnam natal à l’âge de 16 ans, il entreprend des études d’architecture intérieure à l’École des Beaux-Arts de Paris, pour ensuite passer par les loges de l’Opéra Garnier, où il crée des maquillages de scène épous-touflants. Devenu l’un des make-up artists les plus demandés, son talent retentit outre-Atlantique où il se voit réclamé par les plus grands magazines tels que Vogue, Vanity Fair ou Harper’s Bazaar. Fasciné par le travail des photographes avec lesquels il colla-bore, Tyen est de plus en plus tenté par la photogra-phie et finit par passer derrière l’objectif. Devenu directeur artistique du maquillage chez Dior, il réalise lui-même la mise en scène de ses créations et fixe sur la pellicule les campagnes publicitaires de la maison. Zoom arrière sur 30 ans de création.

Comment vous définissez-vous ?

Je suis un dreammaker : j’imagine, je réalise des rêves.

Au cours de ces 30 ans de création, la société a évolué, tout va plus vite. Le ressentez-vous dans votre manière de travailler ?

Pas vraiment, car le rythme s’est accéléré pro-gressivement. Je ne m’en suis pas rendu compte. C’est un peu comme l’Eurostar, on traverse la Manche et on rejoint Londres si vite que l’on ne s’en rend pas compte. Et puis, il y a aussi le fait que nous travaillons à l’avance en création : au printemps 2009, nous sommes déjà à l’automne 2010 !

Et l’évolution de la femme ?

Aujourd’hui, les femmes cherchent de plus en plus à être belles comme elles sont, à rester

elles-mêmes, elles ne veulent plus ressembler à une icône, elles sont des icônes.

Pourtant on n’a jamais vu autant d’égéries. Vous-même avez votre muse Monica Bellucci...

Monica m’inspire, elle est plus qu’une amie, elle est mon âme sœur. Monica n’est pas une icône, elle est une muse parce qu’elle est représentative d’une vraie féminité. Elle est à la fois star, maman et femme... et pas blonde. Pour moi, le blond est artificiel, j’aime l’authen-ticité des cheveux bruns. D’ailleurs les femmes l’adorent, elles se reconnaissent en Monica Bellucci, mais ne veulent pas lui ressembler pour autant. Avant, elles auraient dit « je veux lui ressembler », plus maintenant. On les ras-sure beaucoup aussi, elles ne se posent plus la question de savoir comment elles doivent se maquiller ; aujourd’hui on leur propose quelque chose, elles aiment ou elles n’aiment pas... Mais souvent elles aiment ce que Dior leur propose ! Je pense aussi que toutes les femmes peuvent être belles à chaque moment de leur vie : on peut se sentir belle parce qu’on vient de recevoir une bonne nouvelle, mais on peut aussi être belle parce qu’on est triste. On doit juste adapter le maquillage selon les moments ; triste, j’opterais pour le mascara tandis que si je veux exprimer le bonheur, je choisirais le fond de teint car la peau est le reflet de la vie.

Elle est donc votre vision de la Femme ?

J’ai toujours eu une image très symbolique de la femme. Avec des S : sereine, sensible, séduc-trice... dès le début de la création, le serpent (encore un S) séduit la femme.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Tout, il faut savoir ouvrir son regard. À l’art, à la musique, à la littérature, à l’histoire...

Vous parlez énormément de musique dans vos divers entretiens. Elle semble omniprésente dans votre vie.

Elle l’est de manière innée. Elle est toujours présente dans mes pensées, dans mon cœur plutôt que dans mes oreilles. La musique

Les plus belles femmes du monde ont toutes posé pour lui,

de Naomi Campbell à Monica Bellucci. En 30 ans, Tyen a façonné l’image

des parfums Dior à travers ses créations maquillage visionnaires

et ses shootings publicitaires.

Nancy Vander Weyden

Tyen

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lumières

Votre couleur ? Le violet car il tient presque du mystère religieux.

Votre déco ? Désorganisée mais avec de la vie, un peu comme chez les gens du voyage. J’aime vivre dans ce désordre « voulu » : un lit défait, des livres...

Un lieu, un hôtel ? Beaucoup de lieux hors mode dont je garde le secret pour me préserver et où je rencontre des gens qui ont du goût et qui aiment la vraie vie...

Une rencontre ? David Lynch. C’est un artiste avant tout. Il y a beaucoup de couleurs dans ses paroles, on s’entend très bien. Il a beaucoup aimé ma lumière mais nous n’avons pas encore pu travailler ensemble pour une question de timing, je le regrette.

Votre madeleine de Proust ? Un sandwich au saucisson - non gras - au petit-déjeuner, accompagné d’un thé « Montagne d’or » de Mariage Frères !

Un conseil pour se maquiller ? Toujours avoir la bonne lumière dans le miroir. Il faut toujours une lumière directe. Ouvrir la fenêtre et regarder le ciel, sa couleur.

ouvre mon regard sur les couleurs, elle les transforme. Enfant déjà, elle m’émerveillait et même si je ne comprenais pas les paroles, j’inventais mes propres paroles imaginaires. Chaque moment, chaque personne que je croise, chaque humeur, chaque couleur a sa musique ; si je suis joyeux, j’entends Mozart ou si je suis mélancolique, je vois les femmes bleutées du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. J’aime beaucoup aussi le personnage de Mimi dans La Bohème de Puccini. Par exemple, ce Cardinal (du vin rouge à la liqueur de cassis, ndlr) que je bois, me fait penser à Wagner ; je l’associe à des tons durs, à la couleur cassis... Même si je n’aime pas les fruits, leurs cou-leurs peuvent aussi me « provoquer », elles peuvent me donner envie de les « croquer » en maquillage... Mais on n’entend pas le croquant, c’est ça la magie de Tyen ! En revenant sur ce Cardinal, on peut dire qu’il m’inspire directe-ment pour la nouvelle campagne d’Hypnotic Poison que je prépare actuellement.

L’avènement du numérique a-t-il changé votre vision de la création photographique ?

J’aime l’argentique, la vérité, la profondeur qu’il donne. Par exemple, la peau d’une femme est comme un fruit velouté et j’aime que l’on voie ce léger duvet sur la peau, les lèvres.

Que pensez-vous du projet de loi en France, qui obligerait de mentionner clairement sur les publicités que les mannequins ont été retou-chées ? Cela n’enlève-t-il pas un peu de magie ?

Pour moi, cela n’enlève aucune magie mais cela protège certaines jeunes filles, les ano-rexiques par exemple. Cependant il faut trou-ver le juste milieu. Déjà les artistes de la Renaissance retouchaient leurs œuvres : le sourire et le cou de Mona Lisa, Michel-Ange exagérant les muscles de ses sculptures, les tableaux de Gustave Moreau... Il ne faut oublier le fantasme de l’artiste.

Pourquoi être passé derrière l’objectif ?

Je ne me suis pas posé la question, c’était devenu quasi obligatoire pour moi. Quand je crée des couleurs, la femme idéale est nette

dans mes pensées... Il fallait donc que je com-plète mon regard « narcissisque » professionnel envers ma muse, mes couleurs. L’objectif est mon miroir.

Avez-vous une signature, un secret ?

Côté technique, la lumière est très importante, je fais donc des prétests lumière et make-up une à deux semaines auparavant, un peu comme l’essayage d’une robe. Je vois ensuite les changements à apporter et nous passons ensuite au shooting même qui va très vite. Je travaille avec mon modèle comme un dompteur face à une lionne, une tigresse. Chacun connaît les limites de l’un et de l’autre, la peur et le pouvoir sont des deux côtés : le dompteur séduit la tigresse qui devient domp-table, car elle sait qu’il peut lui faire du mal. C’est un véritable échange. Donc, dans mon objectif, je dirais que les femmes sont comme des animaux sauvages encagés. Je les excite, elles me donnent tout… D’ailleurs, je n’aime pas les gens qui sourient trop sur les photos, c’est trop commun, alors parfois je les rends tristes en mettant de la musique. Il se crée une complicité, une tendresse qui devient parfois agressive mais c’est pour provoquer une réponse « vraie » : le modèle me répond avec son visage « regarde ce que je te donne, prends-le ! »... en 1 millième de seconde. Il faut capter ce moment dans le regard, les lèvres, les mains, car il est unique.

Quelle est la séance photo dont vous gardez le meilleur souvenir ?

En tant que maquilleur, Grace Jones, il y a 18/19 ans. En tant que photographe, presque toutes sont mémorables : Monica Bellucci, tou-jours, Soyoko, Iman Bowie magique et hors du temps, Karen Mulder, Naomi Campbell...

Quel photographe choisiriez-vous pour votre portrait ?

Mon meilleur ami Steven Klein et personne d’autre !

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