36

UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

UltimaRap_v2 9/09/01 9:43 Page 1

Page 2: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Lorsque nous nous sommes retrouvés, enfévrier 95, sur le ponton du petit port depêche de Puerto Natales, au fin fond de laPatagonie chilienne, nous n’imaginions pas

que cette balade entre copains allait engendrer, cinqans plus tard, une des plus importantes expéditionsspéléo jamais organisée.

Cette année-là, l’idée était très simple : affréterun bateau afin de vérifier l’existence de karst dans delointaines îles de la province Ultima Esperanza.

La concrétisation s’est avérée plus compliquéemais, finalement, après plusieurs jours de navigationmouvementée sur un minuscule bateau de pêcheaménagé à la hâte, le calcaire tant convoité estatteint. Comble de frustration, nous n’aurons le plai-sir d’y user nos bottes que pendant quelques heures !Météo et fonds propres ne nous autorisent pasdavantage. Suffisamment cependant pour y décou-vrir des paysages à couper le souffle, de véritables« glaciers de marbre », criblés d’une multitude d’entrées de gouffres…

En 1997, une « vraie » expédition voit le jour. Dequatre, nous passons à dix spéléologues et les résul-tats ne se font pas attendre. La Perte de l’Avenir,entre autres, révèle la beauté sauvage d’une cavernehors du commun et confirme un potentiel unique aumonde. Budget et météo toujours, nous ne pouvonsque scruter à la jumelle notre deuxième objectif, leskarts inexplorés de Madre de Dios. L’envoûtementest total et l’idée fait son chemin. Mais les problèmesrestent les mêmes : il faut du monde, du temps et de l’argent !

Deux années de préparation acharnée serontnécessaires pour réunir le financement, former uneéquipe (vingt-cinq personnes) et surtout… trouverun bateau!

L’intérêt du sujet aidant, nous obtenons laconfiance et le soutien de la Fédération française deSpéléologie, du président de la République qui nousaccorde son haut patronage, du ministère de laJeunesse et des Sports. Le Grand prix Rolex forEnterprise enfonce le cou, la National GeographicSociety nous gratifie d’une subvention et… d’unphotographe! * D’autres sociétés privées, commePetzl, nous fournissent du matériel, mais ce n’est tou-jours pas suffisant ! À quelques jours du départ, un esomme importante nous manque, et une radio s’enfait l’écho. Dans sa voiture, Gabriel Saramite a uncoup de cœur et appelle aussitôt : ce sera le mécènedécisif et… fidèle.

C’est ainsi que nous atteignons, ce 30 janvier2000, après plusieurs jours de navigation, le pied desfalaises de Madre de Dios. À la suite de quelques ten-tatives infructueuses d’accéder au plateau, noussommes contraints de changer de mouillage : ce seradésormais une baie du seño Soplador. Du bateau,qui fait office de camp de base, des raids sont menéstous azimuts. La complémentarité de l’équipe faitmerveille. Nous progressons en Bombard, pour l’ex-

ploration des grottes marines, défiant même l’océanPacifique lors de la seule journée de grand beauaccordée par les dieux de la météo patagone. À piedaussi et surtout, à la recherche du meilleur itinérairelors des premières prospections, puis afin d’implan-ter un camp d’altitude proche des objectifs. Toujoursdans des conditions météo à nulles autres semblableset que l’on peut résumer par : les quatre saisons enune seule journée, voire en une petite heure…

En clair, pluie, vent, grêle, soleil, calme plat, tem-pête à toute heure du jour ou de la nuit. Mais aussiun spectacle permanent d’arcs en ciel exubérants, delumières irréelles, de paysages d’avant l’homme, uneambiance quasi surnaturelle qui ne laisse personneindifférent…

Pendant plus d’un mois et demi, les équipes vontse succéder dans une trentaine de cavernes plutôttechniquement difficiles, toujours très dangereuses àcause des risques de crue soudaine. Au total, près de10 000 m de galeries souterraines inconnues ont étéexplorées et topographiées. La Perte du Futur estdevenue, avec moins 376 mètres, la plus profondecaverne connue au Chili et la seconde d’Amériquedu Sud. Les initiés pourront sourire de ces chiffres,très loin des records mondiaux, mais l’objectif del’expédition était ailleurs. Découvrir, explorer, susci-ter des vocations, peu importe les cotes, que vive l’ex-plo, la spéléo, l’aventure… et l’amitié au sein deséquipes !

L’exploration des archipels patagons est loind’être terminée… ❂

* Article paru dans National Geographic de juin 2001,traduit en 16 langues.

Ultima Patagonia 2000

L’aventure totale…

JEAN-FRANÇOIS

PERNETTE

UltimaRap_v2-FR 9/09/01 14:38 Page 2

Page 3: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Association Centre Terre 33760 Escoussans 3

RÉDACTION :FABIEN HOBLÉA(synthèse), PIERRE DECONINCK,JACQUES DURAND, LUC-HENRI FAGE, STÉPHANE JAILLET, DOMINIQUELEGOUPIL, RICHARD MAIRE, JEAN-FRANÇOISPERNETTE, MICHEL PHILIPS, YVES PRUNIER, JACQUES SAUTEREAUDE CHAFFEET LES MEMBRESDE L’ÉQUIPEULTIMA PATAGONIA

Edité par l’association Centre Terre, 33760 Escoussans

http://speleo.com/ultima

ULTIMA PATAGONIA2000Expédition nationale de la fédération française despéléologie en Patagonie chilienneSous le haut patronage de Monsieur le président de la République, Monsieur Jacques Chirac.

JANVIER-FÉVRIER 2000

Situés à l’extrémité du continent sud-américain, face aux tempêtes des CinquantièmesHurlants, les archipels quasiment inexplorés d’Ultima Esperanza, en Patagonie chilienne,comptent parmi les lieux les plus inhospitaliers et les plus somptueux du globe. Dans l’île deMadre de Dios, appelée ainsi par les navigateurs espagnols lors du troisième périple suivant

celui de Magellan, nous avons exploré, en janvier-février 2000, une partie de l’île calcaire et décou-vert les rivières souterraines et les cavernes les plus australes du globe dans un univers minéral etvégétal vierge de toute influence humaine.

À l’aube de l’an 2000, cette expédition spéléologique et géographique, renoue ainsi avec lesgrandes expéditions géographiques du XIXe et du début du XXe siècle. Atteindre ces îles, les explorerpar des raids terrestres et côtiers, descendre dans les gouffres, plonger les résurgences sous-marines,rechercher dans les grottes littorales les restes des anciens Alakaluf, étudier les roches et le relief kars-tique ainsi que la forêt magellanique primaire, tel a été le défi de cette expédition forte de vingt-cinqpersonnes dont huit scientifiques. La découverte majeure est celle d’un musée de formes naturelles,unique au monde, qui fait de cette région austère et reculée un des derniers grands patrimoinesnaturels de l’humanité portés tout récemment à la connaissance du public.

Six jours de navigation ont été nécessaires pour rallier l’objectif à partir de Puerto Montt situémille deux cents kilomètres plus au nord. Sur le Puerto Natales Primero, bateau de 34 m, disposant d’unéquipage de neuf personnes, nous avions chargé quatre canots pneumatiques et toute l’intendancenécessaire : vivres, matériels scientifiques, cinématographique et d’exploration.

Deux missions de reconnaissance ont rendu possible la réalisation de l’expédition UltimaPatagonia 2000.

En 1995, l’île Diego de Almagro a été atteinte après 5 jours de navigation depuis Puerto Natalesavec la Katita, un bateau de pêche de 14 m! Une seule demi-journée de clémence météorologiquenous a permis de constater l’exceptionnelle beauté karstique de ces îles, tout comme la présence demultiples gouffres, mais aussi l’hostilité de l’environnement.

En 1997, une expédition plus importante permettait de découvrir la perte de l’Avenir, sur Diegode Almagro, et de reconnaître par mer, 150 km plus au nord, la grande île calcaire de Madre de Dios.

L’expédition 2000 a confirmé l’énorme potentiel d’exploration de Madre de Dios avec la décou-verte de deux cavités majeures, les plus importantes du Chili : la perte du Futur (–376 m) et la pertedu Temps (2500 mètres de développement). Au total, c’est plusieurs kilomètres de « premières », quiont été explorés et topographiés dans des conditions délicates en raison des crues soudaines.

La grande compétence technique de l’équipe, son expérience des expéditions lointaines, maisaussi un équipage à la hauteur des difficultés techniques et une météorologie qui aurait pu être pire,ont permis le succès de cette expédition. ❂

UltimaRap_v2-FR 9/09/01 14:42 Page 3

Page 4: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Ultima Patagonia 2000

Samedi 29 janvier, 7 h 30. Luc-Henris’époumone dans les coursives : Tarltonen vue ! En quelques secondes, toutel’équipe est sur le pont, malgré la pluie

cinglante, pour contempler la terre promise.Tarlton, c’est l’antichambre de Madre de Dios, safigure de proue, une île incroyable, comme sur-gie d’un décor de cinéma, avec des aiguilles decalcaire de mille mètres de hauteur, qui jaillissentde l’océan et transpercent les nuages pour noussouhaiter la bienvenue.

Mais après 8 jours de préparatifs au port dePuerto Montt et une semaine de navigationentrecoupée d’escales, les étendues désertes deslapiés géants se feront encore attendre, car pourl’heure, il faut s’arrêter dans l’île de Guarello, surlaquelle est établie une importante carrière demarbre en pleine activité. Étrange sensation quede débarquer dans ces locaux dignes d’une baselunaire, et d’écouter la musique douce distilléepar des haut-parleurs, le front collé aux grandesbaies vitrées de la salle réfectoire octogonale,bulle de confort battue par les éléments qui sesont déchaînés depuis notre arrivée. Dans ce lieuperdu au milieu d’un désert pluvieux et venteux,à 250 kilomètres et deux jours de bateau de lapremière habitation, une cinquantaine d’em-ployés travaillent dur six mois d’affilée avantd’être relevés pour l’autre moitié de l’année.

La carrière ne fonctionne plus à plein régi-me. Il y a de la place pour nous et la tentation est

grande d’établir notre camp de base dans cehavre si accueillant. Mais les carriers de Guarello,aussi hospitaliers soient-ils, n’ont pas la voix (ni laplastique!) des sirènes d’Ulysse, et en guise desirènes, les seules qui nous soient offertes surcette île sont celles qui rythment les horaires detravail et les tirs de mines de la carrière.

Premier raid à terre : le ton est donné

Aussi préférons-nous reprendre le plus vitepossible la mer à la recherche d’un mouillageplus conforme à l’idée que nous nous faisonsd’une expédition aventureuse immergée en plei-ne nature… Le choix de l’emplacement est avanttout dicté par la nécessité de mettre notre navireà l’abri des tempêtes venues du Pacifique. La côteorientale de Madre de Dios s’impose donc. Il fautde plus trouver une crique ou un fond de fjordsuffisamment profonds pour accueillir avec unebonne marge de sécurité nos 3,5 mètres de tirantd’eau.

Enfin, et ce n’est pas la moindre des exi-gences, il faut que ce mouillage soit stratégique-ment situé par rapport à nos objectifs d’explora-tion, repérés sur photographies aériennes. SiMadre de Dios est une grande île, seule sa partieoccidentale, très découpée par de nombreuxfjords (les seños en espagnol), est karstique, ce quireprésente une bande d’environ 25 kilomètres delong sur 10 de large en moyenne.

4

Chronologie de l’expédition▲ Remontée du puits de 70 m, baptisé Al Tiro («à fond lacaisse » en argo) de laPerte du Futur(–376 m).Photo Bernard Tourte.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 4

Page 5: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Association Centre Terre 33760 Escoussans

Plus de 200 kilomètres carrés de karst viergede toute incursion spéléologique ! Parmi lesobjectifs, la perte d’un lac fait rêver RichardMaire. Ce sera le but de la première reconnais-sance terrestre, lancée dès le 30 janvier.

Si la perte du lac convoité se révèle finale-ment impénétrable, le déroulement et le bilan decette première reconnaissance terrestre donnentun fidèle aperçu de ce que seront les explora-tions à l’intérieur de l’île : dans un cadre gran-diose où l’espace se dilate d’autant plus que lesapproches ne sont jamais simples (fortes et raidesdénivelées, relief « en montagnes russes », lapiaztrès crevassé et forêt magellanique impénétrablese liguent pour nous ralentir), une multitude degrands puits perforant la masse calcaire, et depertes au contact grès-calcaire, perchées en alti-tude ou concentrant les eaux de bassins lacustres,attendent les spéléologues qui devront composeravec la météo pour les explorer sans se faire pié-ger, et en ménageant leurs forces pour le trajet deretour…

Explorations autour de l’anse de la Baleine

Face aux difficultés d’accès de l’intérieur del’île, il est décidé de commencer par s’attaqueraux entrées côtières. Une reconnaissance enBombard pendant notre escale à Guarello a per-mis de choisir une anse parsemée d’îlots au piedde la face la plus escarpée d’un des sommets cal-caires majeurs de Madre de Dios, face laissantvoir quelques trous noirs à faible hauteur, etmême une belle exsurgence qui cascade jusqu’àla mer. Cette anse, qui abrite les restes d’uneimposante baleine, sera donc notre premierpoint de mouillage en terrain « sauvage ». Lenavire solidement ancré à l’aube du 31 janvier,les explorations peuvent commencer le jourmême, sous une pluie diluvienne qui n’a pascessé depuis la veille, mais sans grand vent.

Une première équipe tente de gravir la facepour franchir la crête et repérer les possibilitésd’accès vers l’intérieur de l’île depuis ce mouilla-

5

Tableau 1 : Cavités de Madre de Dios explorées dans le secteur du seño Eleuterio nord.

Nom Alt. Dev. tot. Déniv. ParticularitéCueva Manana n° 1 & 2 145 m 775 m 70 m résurgenceLa voie hispanique ± 50 m 239 m 10 m résurgence perchée temporaire, atteinte en artif.Cueva Ayayema 20 m 145 m 7 m sépulture AlakalufRésurgence des Lobos 0 m 250 m –49 m tout en siphon, suite…Grand porche des Lobos 30 m 80 m –25 m colonie d’otariesSurgencia del Fin del Seno 0 m 95 m –13 m 85 m en siphon, arrêt sur rien…Petit porche perché 15 m 4 m traces de feu, osCanyon-perte du condor 120 m 120 m –30 m reconnu du haut, suite…Total développement 1708 m

▲ Prospection sur lelapiaz au-dessus de la

grotte de Cassis. À Madre de Dios le mot

de Darwin, – l’archipelde Patagonie

ressemble à unemontagne immergée

dans la mer – prendtoute sa saveur. Photo

Luc-Henri Fage.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 5

Page 6: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

ge. Elle y parvient au prix d’un crapahut acroba-tique pour s’apercevoir au sommet que le redes-cente sur l’autre versant est encore plus problé-matique. De toute évidence, cette voie d’accès estencore plus malcommode que la première.

Une seconde équipe part pour une recon-naissance en direction d’un porche sur faille,d’une quinzaine de mètres de haut et de cinqmètres de large. Sans doute un exutoire fossile,aujourd’hui perché une centaine de mètres au-dessus de la baie. Un raide talus forestier permetde gagner le pied d’une verticale d’une cinquan-taine de mètres qui en défend l’accès. Mais l’es-calade paraît faisable en artificielle sur un rochercorrect. Reste à déterminer l’itinéraire le plusefficace. Faut-il attaquer droit dans la faille sousle porche ou bien dans les dalles sur le côté? Laréponse ne tarde pas à s’imposer d’elle-même,lorsqu’un flot de deux mètres cube par secondese met soudain à jaillir de ce porche que l’onavait bien imprudemment relégué au rang desfossiles ! L’impressionnante cataracte nous sug-gère délicatement de tenter notre chance par lecôté… Au retour, une autre exsurgence, plusbasse et débitant plus d’un mètre cube par secon-de est également découverte, malheureusementimpénétrable.

6 Ultima Patagonia 2000

Cueva Mañana I et IIMADRE DE DIOS - CHILI

GPS : S 11° 11’ 11’’ • W 140° 11’ 11’’ • ALT. 111 MTOPO ULTIMA PATAGONIA 2000

DESSIN STÉPHANE JAILLET

Cueva Mañana IDÉV. 210 M

Cueva Mañana IIDÉV. 565 M

Une troisième équipe atteint pour sa partl’exsurgence repérée depuis le navire. Elle aussiest perchée dans la paroi, au contact calcaires-grès et l’itinéraire d’accès, fin et “chaud”, passedans une pente boisée très raide entrecoupée debarres rocheuses. Cette fois, l’eau sort deconduits pénétrables. L’entrée par l’exsurgencepermet de suivre une jolie galerie active que l’onquitte par un puits remontant de 10 m pourprendre pied dans un conduit supérieur sec tré-pané à ses deux extrémités par le recul de la falai-se (cf. topo 1). L’extrémité aval débouche sur unporche en forme de crâne bien visible du bateau,et l’amont ressort dans un couloir pierreux trèspentu qu’il faut traverser et remonter pour accé-der par un porche supérieur à la suite de la cavi-té, constituée d’un joli réseau sur fracture s’en-fonçant dans la montagne. On y retrouve rapide-ment la rivière souterraine que l’on suit versl’amont jusqu’à une zone de puits remontants aupied desquels la rivière arrive par un siphon. Unméandre affluent très raide est égalementremonté sur quelques hectomètres. Cette pre-mière cavité, explorée et topographiée en deuxjours sur près de 800 m de développement, estbaptisée Cueva Mañana. Un joli hors d’œuvre,agrémenté de 240 mètres supplémentaires

cascade

galerie fossile

ch +12

FA

LA

IS

E

FA

LA

IS

E

imp.

imp.

R7plan d’eau

cascade Bibite

cascadeBibite

siphon

siphon

siphon

escalade

0 100 m

méandre

mousse de crue au plafond

arivée eau

P6 colm.galets grèsP+ ?

P+ ?

+70 m

siphon

siphon

falaise

ch.

ch.

P

fistuleuse

porcheporche

porche

entrée

cascade20 m

trémie

porche

P5

falaise

ch.

imp.

siphon

imp.

P + 6 mcolmatégalets grès

escalade

ch.

trémie

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 6

Page 7: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

explorés dans le porche sur faille de nouveau àsec, atteint le lendemain de la reconnaissancepar les spéléos-grimpeurs qui sont venus à bout,par « la Voie Hispanique », des cinquante mètresde dalle verticale en quelques heures d’escaladeau perforateur. Arrêt sur fracture remontantedans une galerie active au débit assagi, mais où ilne ferait pas bon se trouver nez à nez avec lesdeux mètres cubes seconde de la veille…

Après deux jours dans cette baie, l’expédi-tion semble enfin lancée, les premiers hecto-mètres de topo commencent à défiler (cf.tableau 1). C’est alors que la nouvelle tombecomme une douche froide : notre bateau prendl’eau. Une voie d’eau, latente depuis plusieursjours, s’est aggravée au point d’inonder la caleoù sont stockés vivres et matériels. Les pompesne suffisent plus à la contenir. Il faut nous repliervers Guarello et réparer à quai avec l’assistancede la carrière. Le transfert se fait sous une pluiebattante et un ciel plus bas que terre. Nous n’au-rions pu faire grand-chose de toute façon avec untemps pareil…

Association Centre Terre 33760 Escoussans

Tableau 2 : Cavités de Madre de Dios explorées dans le système supposé du secteur monte Roberto/monte Soublette.Nom (s) Alt. Dev. tot. Déniv. ParticularitésPerte Roberto n°1 ± 450 m 40 m –20 m perte contact grès/calcairesPerte Roberto n°2 ou Perte des Oublis 440 m 465 m 175 m perte contact grès/calcairesPerte Roberto n°3 ±450 m 120 m –45 m idemPerte Roberto n°4 ou Perte du Futur 460 m 760 m –376 m idem, record profondeur du Chili, 2e des Andes, siphonPerte du Temps 140 m 2 650 m ±198 m la plus longue cavitéPozo de la Luz 200 m ” ” aven sur réseau du TempsPozo Union 200 m ” ” aven sur réseau du TempsSumidero Cochinero 120 m 196 m 116 m 350 m au NO Perte TempsSima Pantaleon ±200 m 219 m –170 m gouffrePozo Same 220 m 50 m –50 m aven cannelé près P. UnionPozo grande del lago Desconocido ou P110 ±200 m 160 m –110 m aven de 110 m entre lac et résurgence sur PacifiquePerte perdue ? 400 m –50 m grande pertePerte 2 du col de la Perte perdue 420 m 40 m –25 m arrêt sur rien, à suivre…Total développement 5 100 m

7

Progression dans larivière de Cueva

Mañana. Photo SergeCaillault.

siphon siphon

imp.

ch. ?

6 colm.alets grès

+70 m

ch.ch.

siphon

imp.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 7

Page 8: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

8 Ultima Patagonia 2000

Explorations à partir de Guarello

Jeudi 3 février, Guarello : contre toute atten-te, il fait « beau »! Entendez qu’il ne pleut plus,que le vent est tombé et que la couverture nua-geuse n’est plus aussi homogène. C’est l’efferves-cence sur le bateau. On ne peut laisser passer unejournée comme celle-là.

Les 4 canots pneumatiques sont rapidementremplis. Deux équipes, repartent vers le secteurreconnu le premier jour, l’une à la grosse pertedécouverte par El Professor Richard Maire dans ladépression sous le mont Soublette, qui est équi-pée hors crue jusqu’à –15 m. L’autre sur le replatgréseux sous le Monte Roberto, où une premièreperte est descendue jusqu’à –75 m avec arrêt surrien dans un gouffre actif de type alpin à puits-méandres. Une troisième équipe part explorer lesud de la côte de Guarello et y découvre un énor-me porche de 30 x 30 m colmaté par un gigan-tesque remplissage. Elle pousse ensuite jusqu’àTarlton où elle repère une grotte-exsurgencequ’elle ne peut atteindre car elle perce sonZodiac en essayant d’accoster. La dernière équi-pe va plonger une émergence siphonnante repé-rée non loin du premier mouillage. L’approches’effectue sous l’œil intrigué d’otaries. La galerienoyée qui s’ouvre dans le lit même de la rivière-émergence en crachant un fort courant d’eau

douce sera donc l’émergence des Lobos, du nomespagnol de ces animaux sympathiques (cf. récitd’exploration par M. Philips p. ££). Au retour,cette équipe, accompagnée de l’archéologueDominique Legoupil, atteint une petite entréeperchée une vingtaine de mètres au-dessus del’eau (dont un ressaut de 8 m en escalade). Cetteentrée anodine, permet, après un passage bas etétroit, de déboucher dans une vaste salle sur frac-ture où les explorateurs découvrent avec émotionune sépulture humaine avec un squelettepresque complet. Ainsi les Indiens Alakaluf onteux aussi utilisé les cavernes lorsqu’ils en avaientà disposition.

Le crâne du squelette sera retrouvé dans lasépulture fouillée les jours suivants (cf. bilanarchéologique ci-dessous), tandis que cette cavi-té, baptisée cueva Ayayema du nom d’une « divi-nité » Alakaluf associée à la mort, sera exploréesur 150 m de galeries labyrinthiques (cf. topo 2).

Après 4 jours de réparations à Guarello, lePuerto Natales est transféré vers un nouveaumouillage sur Madre de Dios. Nous avons choisile fond du seño Soplador, bien abrité des tem-pêtes marines et finalement meilleur camp debase pour l’accès aux nombreux gouffres des sec-teurs Soublette et Roberto, dont les explorationsmenées depuis Guarello ont révélé l’intéressantpotentiel.

Tableau 4 : Cavités explorées sur l’île de Guarello.Nom (s) Alt. Dev. tot. Déniv. ParticularitésCueva del Éclipse 10 à 30 m 200 m 20 m env. un même réseau tronçonné en 6 cavités par érosionPerte glaciaire 50 m 80 m 30 m grande perte glaciaire fossile avec épais remplissageTotal développement 280 m

▲ Le Puerto NatalesPrimero à l’ancre dansle seño de l’Anse de labaleine. La couleur del’eau signale lesrésurgences karstiques.Photo Pierre Deconinck.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 8

Page 9: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

9Association Centre Terre 33760 Escoussans

Explorations à partir du seño Soplador :

Du 7 au 16 février, nous vivons les heures lesplus fastes et les plus intenses de l’expédition.Depuis le mouillage du seño Soplador, l’activitése concentre sur trois pôles :

❂ La perte du TempsL’entrée a été découverte par Richard Maire

au pied du Monte Soublette dès le premier jourde reconnaissance. Elle se révèle comme la cavi-té majeure du secteur. Fortement exposée auxcrues (débit moyen de 200 litres par seconde,mais variable de quelques dizaines de litres à plu-sieurs mètres cube par seconde), elle nécessitel’installation d’un camp de surface dans un bos-quet d’arbres non loin de l’entrée, afin d’éviterles pertes de temps (!) en marche d’approche etde surveiller l’évolution du débit en continu.

Certains passeront 10 nuits d’affilée dans cecampement sommaire sous tente, sans pouvoir nise laver ni se sécher. Heureusement, les arbresralentissaient efficacement la vitesse de ventsdont les rafales pouvaient dépasser les 100 km/h,et la température de l’air, toujours fraîche (3 à10 °C en journée), ne descendait que très rare-ment en dessous de 0°C la nuit. Les bourrasquesde grêle et de grésil étaient cependant fré-quentes. Dans ces conditions, le matériel a jouéun rôle déterminant : tant les vêtements de pro-tection que le matériel de bivouac (réchauds,tentes, duvets…) et les vivres de survie (mais leProfesseur avait aussi monté du foie gras !) sesont révélés d’une appréciable efficacité.

La Perte du Temps a ainsi pu être exploréeen une dizaine de sorties sur plus de 2 500 mètresde développement et 200 mètres de dénivelée.La rivière de surface se précipite par une cascadede 10 m dans une doline en baquet d’où les eauxse précipitent dans un magnifique canyon sou-terrain d’une trentaine de mètres de hauteur quise parcourt tout en mains courantes et mêmeparfois en opposition dans sa partie la plus étroi-te, à plus de 20 mètres au-dessus de l’actifbouillonnant.

Un pur moment de bonheur spéléologique,renforcé par le fait qu’au bout de quelques cen-taines de mètres, un large aven de quarantemètres permet de ressortir au jour, au termed’une traversée inoubliable (cf. topo p. 10-11).Mais le réseau se poursuit en profondeur, où il

devient plus complexe, avec des galeriesaffluentes, des niveaux semi-actifs, des siphons.La morphologie des galeries se diversifie. Auxgaleries en canyon s’ajoutent les conduits tubu-laires tapissés de coups de gouge, propres et étin-celants sous l’effet des crues récurrentes.

Depuis la surface, plusieurs grands avens sontdescendus à l’aplomb ou à proximité du réseausouterrain. Certains donnent directement dansle système qui compte rapidement 3 entrées. Lesentrées supérieures s’ouvrent à 200 m d’altitude,l’entrée inférieure à 140 m (cf. tableau 2).

Le fond du réseau, siphonnant, est trèsproche du niveau marin. Il se dirige droit vers lenord-nord-ouest en direction d’une grosse émer-gence de fond de baie, qui sera atteinte au coursd’un mémorable raid éclair à pied depuis le cam-pement terrestre.

Malheureusement, la large rivière-émergen-ce sort d’un fouillis végétal apparemment impé-nétrable. Entre la perte et l’émergence, un grospuits de 110 mètres est descendu, le Pozo grandedel lago Desconocido, malheureusement sanssuite évidente.

Tableau 3 : Cavités de Madre de Dios explorées dans les seños Soplador et Azul et sur la façade pacifique.Nom (s) Alt. Dev. tot. Déniv. ParticularitésCueva de la Cruz 12 m 228 m 30 m sépulture Alakaluf à peintures, christianisée.Cueva Pinguino 40 m 140 m 20 m petite résurgence seño SopladorCaleta n°1 del seño Azul 0 m 60 m 10 mCueva del seño Azul 10 m 125 m 46 m mains en blanc et traces de doigts sur paroi, salleconcrétionnéeGrande grotte du seño Azul 10 m 80 m 15 m grand porche avant le PacifiqueGrotte de Cassis 10 m 100 m 10 m ambiance calanques…Grotte du crâne de lobos 0 m 250 m 0 m crâne d’otarie, traces de foyers et de passageGrotte de la plage 0 m 60 m 0 mPorche de la Baleine 8 m 270 m 18 m gros volume : 270 000 m3!Total développement 1313 m

▲ Descente dans unegalerie fortement inclinéeà la Perte du Futur.Photo Bernard Tourte.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:44 Page 9

Page 10: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

10

▲ Dérivation « hors crue » dans les puits de la Perte du Futur. Photo Bernard Tourte.

❂ Les pertes du Monte RobertoSur le replat gréseux du Monte

Roberto, vers 450 mètres d’altitude, unesérie de pertes à développement plus verti-cal est explorée (cf. tableau 2). La pertedes Oublis (cf. topo p. 12) conduit lesexplorateurs jusqu’à –175 m dans desméandres et puits actifs dont certains sontde vrais « pièges à rat » (sic) où il faut savoirrenoncer en s’arrêtant sur rien… ou plutôtsur la certitude qu’en crue, c’est la fin, cequi n’est somme toute pas rien!

La perte du Futur est une cavité magni-fique de bout en bout (cf. topo p. 13). L’entréeest un énorme aven complexe avec archesrocheuses, qui recueille en cascade les eaux deplusieurs torrents. Le fond du puits d’entrée s’at-teint par une très belle descente d’une cinquan-taine de mètres dont quarante mètres d’un jet.

La galerie active plonge ensuite vers les pro-fondeurs, d’abord en plan incliné accidenté dequelques ressauts et cascades, avec au sol unméga-éboulis de blocs de grès et de troncsd’arbres, puis le profil se verticalise de plus enplus : canyon de toute beauté, suivi d’une enfila-de de grands puits (photo) dont un P 70 final(photo) qui permet de prendre pied dans le col-lecteur qui suit des galeries tantôt basses etencombrées de galets (gare à la crue!!!) tantôten trait de scie sur fracture. Le terme de l’explo-ration est constitué d’un magnifique siphon,plongeable, à la cote –376 m, profondeur qui faitde cette cavité la plus profonde du Chili. Cedrain plonge en direction du bassin de la pertedu Temps, dont il doit constituer un affluentimportant.

Ainsi se dessine un système hydrologique sou-terrain drainé du sud vers le nord dont lesmaillons connus seraient les pertes du MonteRoberto à l’amont, la perte du Temps au milieu,la perte du lago Desconocido et la résurgence dela grande baie à l’aval.

Entrée 1dolineperte active

Entrée 1dolineperte active

Entrée 2

siphon

P16salle

P9

P10

P30

P30

cascades

cascades

lac

C10

fossile « as de cœur »

siphon

Canyon du Temps

obstruction galets

« condu

boyau

canyon souterra

in

P30

C10

100 m0

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 10

Page 11: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

11Association Centre Terre 33760 Escoussans

La deuxième entrée de la Perte du Temps

s’ouvre dans une doline de

verdure. Photo Luc-Henri Fage.

Perte du TempsMADRE DE DIOS - CHILI

GPS : S 11° 11’ 11’’ • W 140° 11’ 11’’ • ALT. 111 MTOPO ULTIMA PATAGONIA 2000

DESSIN STÉPHANE JAILLET

Entrée 2

Entrée 4

Entrée 4

siphon

siphon

siphon

siphon

siphon

E3

C3

pente d’argile

méandre surcreusé

siphons

« conduite forcée »

boyau

siphons

lac-siphon

siphon

siphons

siphon

actif

affluentimportant

R4

fossile

fossile

affluent

méandresucreusé

eau sortantd’un

remplissaged’argile

pente argileuseremontante

troncs

P30

siphon

canyon souterra

in

P30

arche

siphonsiphon

siphon

R2R3-E5

R3

100 m0

fossiles sup.

passage bas

E5

P10

R4R3

colm.

R5

P10

bruit eau

ancienne voûtemouillante

varves glaciairesanciennes +galets coincés

conduite forcée très inclinée, Ø 1 m

perteentreblocs

500 l/s

Salle Maria-Francesca

Salle Maria-Francesca

concrétionsrougeâtres profilées

Rivière Oubliée

Delta de

la Boue

Delta de la Boue

SalleAlakaluf

SalleAlakaluf

Pozo de la Luz

Pozo de la Luz

Pozo de la Uñion

Pozo de la Uñion

P90

P90

P70

P70

P40

Entrée 3

Entrée 3

salle

E5

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 11

Page 12: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

❂ Reconnaissances côtièresLe troisième pôle d’explorations développé

depuis le mouillage du seño Soplador est consti-tué par les reconnaissances et explorations decavités côtières entre le seño Soplador et lePacifique, le long du seño Azul, qui sépare la par-tie sud de Madre de Dios de l’île Tarlton. Denombreuses petites grottes sont ainsi découvertes(cf. tableau 3), dont certaines valent par leurintérêt archéologique. La cueva de la Cruz (cf.topo 6) révèle ainsi une nouvelle sépultureAlakaluf avec ossuaire, sans doute remaniée et

« christianisée » par des pêcheurs chi-lotes qui ont planté une croix à l’entréede la cavité, visible depuis le fjord. Cettesépulture livre de nombreux objets etbijoux en coquillage et même des pein-tures pariétales réalisées notamment auxpigments rouges semblables à ceux issusdes boules d’argile de la cueva Ayayema.D’autres cavernes s’ouvrant par de beauxporches en bord de fjord ont conservé des foyers.

Si beaucoup de ces grottes font office d’émer-gence temporaire, aucune ne renferme un exu-toire majeur pérenne à la mesure des quantitésd’eau précipitées sur cet immense karst. À partl’émergence sous-marine des Lobos, finalementplongée jusqu’à –49 m, nous n’avons pas trouvéde grosses sorties d’eau pérenne sur la côte orien-tale de l’île. Les sources principales devraientdonc se trouver côté Pacifique, à l’image de l’ex-surgence de la grande baie nord malheureuse-ment impénétrable.

Une première incursion lors d’une éclaircieavec un seul canot au débouché du seño Azuldans le Pacifique a montré le caractère hardi etengagé d’un tel raid. Prometteur aussi car déjàcette courte sortie a permis de repérer quelquesporches.

Mais est-il raisonnable de vouloir s’engager leplus loin possible sur la façade Pacifique de l’île,battue par une houle incessante qui déferle surune ligne de brisants et de récifs postés quelquescentaines de mètres en avant du rivage? Ce der-nier est très découpé et il faudrait pouvoir péné-trer dans les nombreuses baies pour examiner deprès les éventuelles cavités et sorties d’eau.Croiser au large avec le Puerto Natales ne serviraitdonc à rien, et de toute façon, notre navire esttrop mal en point pour s’y aventurer, car ses« plaies » se sont rouvertes et il prend à nouveaul’eau par la cale. Les pompes fonctionnent jouret nuit, au grand dam des explorateurs fatigués.

Pacific expressMardi 15 février : un miracle comme il n’en

arrive que sept jours par an dans ce coin dePatagonie maritime. Pas un nuage dans le ciel,pas un souffle de vent ! De quoi oser les rêves lesplus fous.

Tandis qu’une équipe part faire l’ascensiondu Monte Roberto pour avoir une vue d’en-

12 Ultima Patagonia 2000

Perte des OublisPERTE N° 2 DU MONT ROBERTO

MADRE DE DIOS - CHILIGPS : S 11° 11’ 11’’ • W 140° 11’ 11’’ • ALT. 111 M

TOPO ULTIMA PATAGONIA 2000DESSIN STÉPHANE JAILLET

Entrée : perte active

grès

Grande galeriedéclive

Puits-pertes d’entrée

trémie

R2,5

P350

P5

–37 m

–37 m

–90 m

–175 m

–175 m

méandre fossile

faille

imp.

entrée

P100Puits del’Oubli

P100Puits del’Oubli

lucarne

P12

P4

P4

P5

P9

?

P9

Diaclase des Rats

Diaclase des R

ats

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 12

Page 13: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

13Association Centre Terre 33760 Escoussans

Perte du FuturPERTE N° 4 DU MONT ROBERTO

MADRE DE DIOS - CHILIGPS : S 11° 11’ 11’’ • W 140° 11’ 11’’ • ALT. 111 M

TOPO ULTIMA PATAGONIA 2000DESSIN STÉPHANE JAILLET

▲ Descente du puits de 35 m à l’entrée de la perte du Futur.Photo Enrique Ogando.

Puits-pertesd’entrée

_0

rès

R2,5

P5

C15

C10

C7Canyon

P70Puits Altiro

P70Puits Altiro

siphon

siphon

siphon

siphon

siphon

siphon terminal

siphon terminal

Galerie basse active

Galerie basse active

Canyon

erie

P35

Canyon

Canyon

R3R5

R4R6C7C10

C15shunt

ressauts

–376 m

–376 m

contactgrèscalcaire

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 13

Page 14: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

semble du karst, les deux Bombards sont équipéspour un raid de reconnaissance de la côte paci-fique de l’île. Dix équipiers sont volontaires pourune aventure hors du commun. La navigationpar grand beau temps est un pur régal. Les fjordsdeviennent des miroirs où se reflètent les hautesmurailles calcaires qui les enserrent. Seuls, lessillages des canots agitent l’onde, décomposant lereflet des sommets environnants en un kaléido-scope de touches blanches, vertes et bleues, tan-dis que manchots, otaries et autres oiseaux demer s’ébattent autour de nous en toute quiétude.

Au bout du seño Azul, la houle commence àse faire sentir, les lignes de rivage se font plusfuyantes, le paysage s’évase devant la proue deplus en plus ballottée, jusqu’à s’effacer au détourd’un creux, laissant un horizon vide de terres.Place au Pacifique, ici bien mal nommé.

Après avoir franchi la pointe sud de Madre deDios, défendue par des falaises de 300 m de hau-teur, cap au nord, avec la houle de travers quipousse à la côte. Il faut louvoyer entre des récifsfrangeants coupants comme des rasoirs, à peinevisibles à fleur d’eau dans les creux de la houledont l’amplitude dépasse les deux mètres. Enremontant la côte ouest, un paysage encore plusfabuleux que tout ce que nous avons vu provoqueles exclamations des navigateurs. La houle sebrise avec fracas au pied de grandioses falaisescalcaires percées de vastes porches, malheureuse-ment pour la plupart inaccessibles…

D’immenses arches rocheuses jetées surl’océan servent d’arcs-boutants à ces parois for-midables. Le seul espoir réside dans ces baies etleurs plages de sables repérées sur photosaériennes. Les canots atteignent rapidement lapremière, dominée par un cirque rocheux percéd’un porche d’où semble sortir un cours d’eau,pour ce qu’en laisse entrevoir la gigantesquedune bordière dont la taille donne une idée de laforce des vents et des tempêtes par mauvaistemps.

Malheureusement, même par grand beautemps, pas moyen d’aborder sur cette plage où la

ligne de rouleaux est continue,où les vagues se gonflent encore àl’approche du rivage, pour se fra-casser implacablement avec uneviolence telle qu’une petite falaisede sable défend qui plus est l’ac-cès à la plage. Pas moyen dedébarquer et encore moins derembarquer dans de telles condi-tions !

Les canots s’apprêtent àrebrousser chemin lorsqu’unporche gigantesque est repérédans la falaise qui barre la plageau nord de la baie. Cela ne coûterien d’aller voir. Telle l’énormegueule d’un monstre marin, unporche béant d’au moins 70 m dehaut et 50 m de large s’ouvre àquelques mètres au-dessus d’unreplat rocheux battu par unehoule un peu moins violente quedans l’axe de la plage. Ce porche

laisse voir une énorme galerie qui s’enfonce dansla montagne.

Tentant le tout pour le tout, deux équipiers sefont débarquer « à la commando » sur le replatrocheux, et explorent 200 m de grosses galeriestubulaires de 20 à 30 m de diamètre dont la suitese perd en hauteur sous forme d’une gigantesqueconduite très fortement inclinée (cf. topo 7).

Dans la zone d’entrée, à 100 m de la mer, lesquelette d’une grande baleine gît sur un sol argi-leux constellé de cercles végétaux qui poussent àl’aplomb des cascatelles tombées du plafond. Leporche de la Baleine est un microcosme danslequel il aurait été intéressant de pouvoir s’éter-niser. Mais la journée s’avançant, une prudenteretraite s’impose alors que la mer semble forcir.Le trajet retour est ponctué d’une panne demoteur pour l’un des canots qui serait allé s’écra-ser sur les récifs sans le secours du secondBombard qui le prend in extremis en remorque.Escorté par de bienveillants dauphins, le convoiregagne l’abri des seños et fait escale dans unecrique idyllique où s’ouvrent des cavernes à ves-tiges archéologiques dont l’exploration termine-ra en beauté cette mémorable journée.

Retour à la case départ et baroud d’honneur

Le lendemain, la grisaille et la pluie sont reve-nues. Retour à la normale. Retour aussi à la casedépart, à savoir la carrière de Guarello pour lePuerto Natales dont les voies d’eau ne s’arrangentpas.

Nous profitons de ce séjour forcé surGuarello pour explorer et étudier une intéres-sante rivière mi-souterraine mi-aérienne, quenous baptisons la cueva del Éclipse (cf. tableau4). À quelques hectomètres des baraquements,un des tronçons souterrains de cette rivière a étébarré pour créer un captage d’eau potable pourla carrière.

Guarello a été notre premier mouillage ànotre arrivée sur zone, ce sera aussi le dernier.Devant l’ampleur de la voie d’eau, la marine chi-

14 Ultima Patagonia 2000

▲ Marbre sculpté par lacorrosion karstique surMadre de Dios. PhotoRichard Maire.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 14

Page 15: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

lienne nous interdit de quitter le quai avant uneexpertise. Elle dépêche pour cela une vedetterapide depuis Puerto Natales, port situé norma-lement à 2 jours de navigation de Guarello. En 24h, la vedette effectue le trajet. Après avoir tentéde colmater la brèche en plongée avec de la rési-ne, et même de couler une dalle de ciment dansla cale, il faut se rendre à l’évidence, notre bateauprend toujours l’eau et menace de sombrer…Nous sommes le 18 février et notre moral aussiest en train de sombrer. Les experts nous accor-dent 24 h pour voir si les colmatages font effet.Sans quoi il faudra gagner sans délai PuertoNatales sous escorte de la vedette.

Le 19 février, second miracle météorolo-gique : une nouvelle journée de grand beautemps, que nous mettons à profit pour faire uneincursion dans le nord de l’île, dont l’explorationaurait dû occuper la dernière semaine de février.

Deux canots sont dépêchés sur les lieux,accompagnés de volatiles marins qui viennentprendre la béquée dans nos mains en plein vol.Pendant qu’archéologues et géologues inspec-tent les parties basses, géographes et spéléo-

logues gravissent un long et raide versant demontagne qui les mène à un col. Le panoramaest d’une farouche beauté. Derrière, les sommetsenglacés de la Cordillère des Andes, devant, unnouveau bassin intérieur occupé par un immen-se lac, alimenté par des torrents et de hautes cas-cades irisées d’arcs-en-ciel. Ce sont sans doute lespremiers êtres humains à contempler ce paysage.Au-dessus de leurs têtes, 2 grands condors tour-noient et se rapprochent, curieux de voir cesdrôles de bipèdes oranges qui dévalent la pentevers le lac, longent ses berges jusqu’à son extré-mité orientale d’où sort une belle rivière.

La suivre vers l’aval n’est pas une sinécure enraison de la forêt-galerie extrêmement touffue.La rivière s’agite de rapides avant de disparaîtrepar une impressionnante cascade dans ce quenous étions venus chercher : une perte magni-fique, se prolongeant par un canyon souterrainplein de promesses.

Un beau point de suspension pour la pro-chaine expédition, car il y en aura forcémentd’autres. Nous n’avons fait qu’effleurer le sujet,et quel sujet ! ❂

15Association Centre Terre 33760 Escoussans

Ça bombe en Bombard!Un moyen d’exploration stratégiquedans les archipels patagons : les prospec-tions côtières en canots pneumatiques.

D’APRÈS LE COMPTE RENDUDE JACQUES SAUTEREAU DE CHAFFE

Dans ce contexte insulaire, le recours auxcanots pneumatiques (deux Bombardset deux Zodiacs équipés de moteurshors-bord de 40 à 50 cv) s’est avéré

déterminant pour l’acheminement des équipesde spéléos à terre ainsi que pour la prospectionspéléologique, archéologique, biologique, géolo-gique et géographique le long des côtes.

Deux difficultés majeures ont cependant étérencontrées : la navigation par mauvais temps etle mouillage des bateaux pneumatiques, sur desrochers acérés par la corrosion, véritables poi-gnards et lames de rasoirs, à fleur d’eau, quasiinvisibles, qui ont fatalement endommagé lesboudins et les fonds de bateau.

À ces difficultés propres aux conditionslocales s’ajoutaient les inévitables pannes et ava-ries qui pouvaient avoir des conséquences gravesdans un tel contexte : pannes d’alimentation, decarburation, de moteur, de lanceur, voire pannesd’essence.

Pour toutes ces raisons, il était fortementrecommandé de partir en convoi de deuxbateaux dans les zones reculées et inconnues(notamment sur le Pacifique), et il devait tou-jours y avoir une radio chargée dans un bidonétanche à bord.

Les prospections ont ainsi concerné essen-tiellement la côte sud-est de Madre de Dios ainsi

qu’une bonne partie des côtes de Guarello et deTarlton.

Au total, près de 140 km de côtes ont étéreconnus le long des seños (seño Eleuterio, señoSoplador, seño Azul…), plus 20 km sur la côteouest de Madre de Dios côté Pacifique. Plusd’une cinquantaine d’entrées de cavités y ont étérepérées, plus d’une dizaine pénétrées et explo-rées, les plus importantes topographiées (lesautres relevées sur croquis). La majorité de cesentrées a cependant livré accès à des cavitésmodestes, très fracturées et broyées, encombréesde pierrailles, obstruées par des éboulis à traverslesquels l’eau sourd. Mais ces cavités ne sont pasà négliger en raison des possibilités de découver-te archéologique, et parce que parmi elles setrouvent quelques « perles » plus importantes etd’exploration bien sympathique dans un décorde calanques. ❂

▲ Grand bleuexceptionnel : le tempsidéal pour allerprospecter la côtepacifique en bombard.Au fond, les aiguilles del’île Tarlton. Photo Luc-Henri Fage.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 15

Page 16: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

16 Ultima Patagonia 2000

Un patrimoine naturel et culturel unique au monde

Premier bilan des explorations spéléolo-giques et des observations endokars-tiques : en 15 jours effectifs d’explora-tions en février 2000, trente cavités ont

été découvertes et topographiées sur Madre deDios et deux sur Guarello, soit 32 cavitésexplorées pour un total de 6,4 km topo-graphiés et 8,4 km explorés. 350 mont été reconnus en plongéedans deux émergences sous-marines pour une profondeurmaximale de –49 m. La cavitévisitée offrant le plus petitdéveloppement est, avec 4mètres d’extension, un petitporche perché renfermantdes vestiges archéologiquessur le bord du seño Eleuterio.Le développement le plusimportant a été rencontré dans laperte du Temps : 2150 m topogra-phiés + 500 m non topo = 2650 m.

La profondeur maximum a été atteinte dansla perte du Futur : –376 m, record du Chili etdeuxième plus profonde cavité connue dans lesAndes derrière la Sima de Milpo (Pérou,–402 m). Pour mémoire, rappelons que 1,1 kmde galeries avait été exploré en 1997 sur Diego de

Almagro (914 m topographiés) dont le siphonde la résurgence de l’Avenir (Philips, 1997), cequi porte à 7,3 km le total topographié et environ9,5 km explorés dans les calcaires et marbres desarchipels de Patagonie chilienne. Et l’impression

(sans aucun doute bonne) de n’avoir faitqu’effleurer le sujet, tant le potentiel est

vaste au regard de ce que nous avonspu atteindre.

La grande cavité type desarchipels patagons présente unprofil et une morphologieproches des gouffres alpins,avec la particularité d’être ali-mentée dès l’entrée par despertes de torrents ou petites

rivières formées en amont surdes terrains imperméables. En

dehors des pertes alimentées pardes circulations de surface, le

lapiaz recèle une infinité d’avens, maispeu conduisent de façon pénétrable aux

drains collecteurs en raison du contexte tecto-nique compressif qui referme vers 20/30 m deprofondeur la plupart des fissures karstifiées etpénétrables en surface (phénomène particuliè-rement démoralisant et preneur de temps enprospection). Par contre, les gros avens circu-

▲ Les « Comètes deroche » : lorsque la pluieet le vent s’associentpour profiler les crètesrésiduelles derrière desblocs erratiquesinsolubles. PhotoRichard Maire.

Martin-pêcheur venuse poser en curieux surune amarre du PuertoNatales… Photo Luc-Henri Fage

UltimaRap_v2 9/09/01 9:45 Page 16

Page 17: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

17Association Centre Terre 33760 Escoussans

laires (ou semi-circulaires sur faille) sont intéres-sants, représentant sans doute d’anciens puitssouterrains trépanés par l’érosion de surface. Ilsdépassent fréquemment les 50 m de profondeurpour atteindre 100/110 m de hauteur et ils sem-blent jalonner des écoulements collecteurs enprofondeur, dans lesquels ils retombent parfoisdirectement (cf. les autres entrées de la Perte dutemps). La fracturation joue aussi un grand rôledans la morphologie des galeries et des puits(photos). Les écoulements façonnent de longuesfractures en hauts canyons rectilignes à marmiteset petites vagues d’érosion attestant de la rapidi-té de circulation des eaux (perte du Temps).Que la karstification utilise un joint de strate, etla galerie devient une belle « conduite forcée »,toujours sculptée de petites vagues d’érosion, oùdominent les dépôts grossiers, notamment lesgalets allochtones rougeâtres. La zone de trans-fert vertical conjugue galeries à sections angu-leuses, fortement inclinées sur fractures, canyonsrectilignes, tronçons à puits-méandres, grandspuits pas toujours verticaux (en raison des nom-breuses failles obliques). Dans la zone de trans-fert à plus faible pente se rencontrent les« conduites forcées », parfois anastomosées ouprésentant des boucles semi-actives, mais quipeuvent sans transition laisser place à de nou-veaux tronçons en canyon sur fracture verticale(fond de la perte du Futur). Les siphons sontnombreux dans ce contexte, ainsi que les trémiesde blocs. Dans les grandes cavités, tous les sec-teurs atteints, y compris au début des zones detransfert à faible pente, portent les stigmates decirculations d’eau à forte énergie.

En revanche, dans les cavités littorales plusmodestes, le plus souvent associées à la fonctionémergence (mais certaines ont pu aussi jouer enpertes juxta-glaciaires dans le passé) de nom-breux colmatages argileux ont été rencontrés,bloquant parfois la progression vers l’amont.

Le concrétionnement est peu abondant maisil existe, représenté par des croûtes de calcite, depetites stalactites, fistuleuses et stalagmites.

La distinction de plusieurs générations deconduits n’est pas chose aisée et nous manquonsde données pour nous prononcer sur l’âge desréseaux rencontrés. Sont-ils forcément« jeunes », hérités des dernières périodes gla-ciaires ? Sont-ils polyphasés ? Dans les zonesd’émergence en parois de bord de mer, plusieursétages de galeries à proximité de la falaise ont puêtre explorés dans la Cueva Mañana, mais ils seconnectaient tous à l’actif vers l’amont.

Dans la Cueva del Eclipse, le conduit souter-rain, relativement sinueux, est recoupé et tron-çonné en plusieurs points par le canyon de sur-face plus rectiligne, mais sec, montrant l’antério-rité de la forme souterraine sur la forme de sur-face et au moins deux générations de morpho-genèse : la genèse de la forme de surface pour-rait mettre en cause un pergélisol profond, cequi pose question dans ce contexte hyper-océa-nique où les conditions climatiques actuelles,quoique rigoureuses, ne sont pas favorables auxgrands froids. ❂

▲ Prospection sur le secteur de Soublette. Photo Pierre Deconinck.▼ Une équipe traverse la forêt primaire de Nothofagus pour atteindre l’entrée n°2 de laPerte du Temps. Photo Javier Lusareta.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 17

Page 18: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

De belles mais rares plongées en siphonsdans un site très prometteur.

D’APRÈS LE COMPTE RENDU DE MICHEL PHILIPS

Bien que l’expédition ait concentré l’es-sentiel de ses efforts sur la découvertegéographique et sur la recherche et l’ex-ploration de cavités à l’intérieur du mas-

sif, plusieurs plongées souterraines ont permisd’explorer des résurgences noyées situées auniveau de la mer :

❂ Le siphon LobosCe siphon a été découvert le 31 janvier par

une équipe partie en Zodiac à la recherche deporches en bord de mer. La résurgence est signa-lée de façon évidente par une sortie d’eau doucedébouchant par une importante rivière dans l’an-se située à l’ouest au fond du seño Eleuterio.L’essentiel du débit (plusieurs mètres cube parseconde) sort au fond même du lit de la rivière.

Un peu plus haut dans le talweg, une colonied’otaries occupe le fond de la petite grotte quisert de trop-plein en crue. La rencontre de ceslobos fournit un nom tout trouvé pour le siphon.

Le 3 février, une équipe remonte à nouveaule seño Eleuterio. Michel Philips est le plongeurde pointe du jour. Le débit est aussi fort que lorsde la découverte, mais en passant par la plus gros-

se entrée, dans le lit de la rivière et en s’accro-chant au fond, le passage est pénétrable. Ledépart est une diaclase inclinée de moins d’unmètre de large, encombrée de gros blocs. Aubout d’une vingtaine de mètres, à la profondeurde 6 m, la diaclase s’élargit un peu et le courantdevient maîtrisable. La progression continue enpente douce au-dessus des gros blocs qui jon-chent le fond de la galerie. L’exploration se ter-mine ce jour en fin de fil d’Ariane au bout de 95m à 39 m de profondeur dans une galerie de 3 mde large pour 6 m de haut. La température del’eau est à 6°C. La galerie continue presque àplat, droit dans la direction N350°, suivie depuisl’entrée. Cette direction conduit droit vers laperte du lac supérieur (que les premiers explora-teurs appelleront le lac des Condors).

Deux jours plus tard, Javier Lusarreta pour-suit l’exploration du siphon des Lobos sur unevingtaine de mètres, butant sur un cran de des-cente qui l’emmènerait en deçà des 45 m de pro-fondeur fixés comme limite du jour. Le courant àbeaucoup diminué grâce à un temps peu plu-vieux la veille. Le temps de transfert du réseau estmanifestement très court, ce qui conforte l’idéed’une liaison avec la perte lacustre située au-des-sus, à environ 2,5 km de la résurgence.

La plongée suivante ne sera entreprise quedeux semaines plus tard, le 19 février. Une équi-pe plongée, film et photo retourne au fond du

18 Ultima Patagonia 2000

▲ Les cavités exploréesse terminent toutes sursiphon. L’avenirappartient auxplongeurs. PhotoBernard Tourte.

Des plongeurs qui se mouillent

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 18

Page 19: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

seño sous un grand soleil sans un souffle de vent.L’étiage est lui aussi exceptionnel. Michel Philipsest le plongeur de pointe, équipé pour une plon-gée longue et profonde avec relais de progres-sion, oxygène pour les paliers et surtout giletchauffant. Le plongeur s’enfonce dans la diacla-se sans problème grâce à la diminution du cou-rant. À 115 m, le terminus de Javier Lusarreta estdépassé, le cran de descente franchi. Suit unelégère remontée jusqu’à –44 m à 145 m de l’en-trée, où la galerie change subitement de section.Le passage est sous une voûte basse de 1 m dehaut pour 2 m de large. Derrière, la galerie conti-nue en pente très faible pour arriver au point basà –49 m à 160 m de l’entrée. De cet endroit partune galerie inférieure avec un courant qui se diri-ge vers la sortie. Il doit s’agir d’un des boyauxinférieurs visibles dans le lit de la rivière et dansla diaclase d’entrée. La galerie continue à l’hori-zontale et bute presque aussitôt sur une paroi. Lasuite est en haut, en revenant un peu en arrière.Une remontée à la verticale entre de gros blocsformant un passage étroit débouche au-dessus decette trémie dans une vaste salle à 34 m de pro-fondeur et 200 m de l’entrée. Le puits-remontantcontinue vers le haut, mais il est temps de couperle fil et de penser au retour avec ses paliers.Séances photos avec Carsten Peter, et cinémaavec Jeff Barthod, concluent cette dernière plon-gée dans cette belle rivière souterraine qui gardeencore une grande partie de ses secrets.

❂ Le siphon EleuterioDeux jours après la découverte du siphon

Lobos, Alan Warild avait repéré une autre sortied’eau importante dans la branche orientale duseño Eleuterio. Une source se jette dans unerivière juste au niveau de l’embouchure au fonddu seño. Plusieurs passages immergés et émergésconstituent autant de « fenêtres » qui permettentde traverser une paroi de calcaire décollée de lafalaise. Derrière se cache une petite salle danslaquelle débouche un beau siphon aux eauxclaires. Là encore, nos prospections sur le massifne nous ont pas permis de revenir sur le siteavant le 19 février. Mais ce jour-là, au retour de laplongée du siphon Lobos, une plongée de recon-

naissance est décidée au pas-sage. Alan Warild s’immergeseul et revient au bord duplan d’eau 20 mn plus tard,après avoir parcouru 85 mavec un point bas à –13 m ets’être arrêté dans une vasteet belle galerie de 2 mètressur 3, qui continue allégre-ment vers l’intérieur du mas-sif. Un objectif de premierplan pour les plongeurs desprochaines expéditions !

❂ Les autres siphons du massif

L’exploration de cavitésà l’intérieur de l’île Madrede Dios nous a permis dedécouvrir plusieurs autressiphons intéressants.

M a l h e u r e u s e m e n t ,aucun n’a pu être plongéfaute de temps en regard dela logistique nécessaire pouramener le matériel depuis lacôte. La perte du Futur setermine ainsi à –376 m surun siphon qui semble tout àfait plongeable. La perte duTemps possède égalementplusieurs siphons, dont certains ont été court-cir-cuités par des galeries fossiles. D’autres sont vrai-ment dangereux (pertes vers l’aval avec un cou-rant très violent) mais certains attendent placide-ment leur premier plongeur…

En conclusion, il est établi que Madre de Diosrecèle de nombreux siphons en fond de trou ouen bord de mer, avec des volumes souvent confor-tables, et donc un potentiel intéressant pour lesspéléo-plongeurs conscients de n’avoir fait qu’ef-fleurer le sujet. Les conditions d’exploration deces siphons restent fortement dépendantes del’évolution à court terme des conditions météo-rologiques dans un contexte climatique marquépar une très forte pluviosité. ❂

19Association Centre Terre 33760 Escoussans

▲ Michel Philips enplongée dans le siphondes Lobos. Photo-grammes extraits du filmde Luc-Henri Fage« l’expédition UltimaPatagonia ». Imagessous-marines JeffBarthod.

Siphon des LobosMADRE DE DIOS - CHILI

GPS : S 11° 11’ 11’’ • W 140° 11’ 11’’ • ALT. 111 M

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 19

Page 20: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Une météo souvent plus clémente queprévu dans un contexte climatique extrê-mement rude.

Les conditions climatiques constituaientla principale composante du défi decette expédition. Une région connuepour recevoir d’après les données dont

nous disposions, plus de 6 m d’eau par an (7 foisplus qu’à Lyon!) et exposée à des vents violentset constants (les fameux « Cinquantièmes hur-lants ») dont les rafales dépassaient courammentles 120 km/h.

Qu’avons-nous réellement rencontré? Certes,une météo dont la norme est un temps pluvieuxet venteux. Mais les tempêtes ont été (heureuse-ment) exceptionnelles et sans commune mesureavec celles subies trois ans plus tôt à Diego deAlmagro. Il est vrai que le mois de février estréputé pour être le plus clément de l’année danscette région. On peut y rencontrer des journéesde grand beau (ciel dégagé sans vent durant 24h) et nous en avons connu deux sans un nuagedans le ciel, plus quelques autres franchementensoleillées. La température sur le lapiaz pouvaitalors dépasser les 15°C, soit 8 à 10°C de plus quela température habituelle en journée. Les tempé-ratures ne descendaient jamais très bas, été aus-tral et climat océanique obligent, mais on a eu0°C la nuit en « altitude » (c’est-à-dire au-dessusde 300 m…) et des précipitations sous forme degrésil ou de grêle s’abattaient assez souvent et vio-lemment parfois jusqu’au niveau de la mer.Lorsque la pluie ou la grêle, le brouillard, le froidrelatif (4°C) et le vent se conjuguaient, mieux

valait ne pas trop s’attarder sur le lapiaz.Heureusement, compte tenu de la latitude et dela saison, nous bénéficions de longs jours de plusde 15 heures.

Au-delà de l’observation directe au jour lejour, nous avons pu récupérer des donnéesmétéorologiques permettant une approchescientifique du climat. En effet, la base deGuarello dispose d’une station météo perfection-née qui enregistre et archive différents para-mètres. Nous avons pu ainsi récupérer surfichiers informatiques des chroniques journa-lières de températures, précipitations et vents surla dernière décennie, ainsi que les paramètressuivants enregistrés à pas horaire pour toute ladurée de l’expédition (janvier-février 2000) :

20 Ultima Patagonia 2000

Climat patagon

Escalade de la VoieHispanique, pouratteindre un grandporche perché présuméfossile…

et le lendemain, le« fossile » débite environ2 m3/s… Photos Jean-François Pernette.

▲▲▲

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 20

Page 21: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

température (aussi mini-maxi journaliers), préci-pitations, pression barométrique, humidité, vites-se du vent, vitesse des rafales, direction du vent,température au vent (la température réelle doitêtre minorée en fonction de la vitesse du ventpour ses effets physiologiques). Tout ceci nouspermettra après dépouillement de mieuxconnaître le climat local et de le corréler auxobservations hydrométriques.

❂ Observations et mesures hydromé-triques et hydrochimiquesD’APRÈS LES COMPTES RENDUS DESTÉPHANE JAILLET ET FABIEN HOBLÉA

Concernant l’évolution des débits, des obser-vations visuelles ont été consignées lors de l’ex-ploration des grands réseaux, qu’il n’a malheu-reusement pas été possible d’appareiller pourdes mesures précises, étant dans l’impossibilitéde savoir si nous pourrions venir récupérer lesenregistreurs. Le caractère remarquable est icil’extrême variabilité des débits d’une heure àl’autre dans la journée en raison d’une pluviositéquasi journalière irrégulièrement distribuée dansle temps et quant à son intensité. Certainsporches perchés que l’on croyait fossiles à pre-mière vue se mettaient en charge après de fortesprécipitations, passant de zéro à plus d’un mètrecube seconde en quelques minutes ! Même scé-nario sous terre, mais nous avons veillé à ne pasnous mettre trop souvent en situation de l’obser-ver…

Dans la perte du Futur, la première explora-tion s’est faite au plancher de galerie, accompa-gnée d’un ruisselet de quelques litres par secon-de insignifiant dans le vaste conduit de la zoned’entrée. Le lendemain, les explorateurs de laseconde pointe ont dû tout rééquiper hors cruecar un furieux torrent de plusieurs centaines delitres par seconde s’engouffrait dès l’entrée dansla cavité, et de nombreuses cascades étaient appa-rues dans les plafonds. Quant à la galerie du fond

au-delà de –300 m, elle n’est explorable qu’enétiage et toute crue y serait mortelle pour le spé-léo attardé (photo). Même scénario dans lesactifs de la perte du Temps (photo). D’où lanécessité de faire des explos relativement courtes(8/10 h en moyenne) dès que l’on devait par-courir des galeries exposées aux crues.

L’équipe scientifique avait à sa dispositiondeux prototypes de Luirographes, appareilsinventés et fournis par Laurent Morel, servant àmesurer les variations de pression et de tempéra-ture dans les eaux des rivières souterraines et dessiphons, afin d’en tirer des informations sur lerégime hydrologique et les niveaux de mise encharge, ainsi que le temps de réaction des cavités,en relations avec les paramètres météorologiquesextérieurs obtenus à pas horaire. Un Luiro-graphe a pu être installé et laissé du 3 au 17février 2000 dans la rivière souterraine de laCueva del Éclipse à proximité de la base deGuarello. L’enregistrement est en cours dedépouillement…

De plus, de nombreux prélèvements d’eauont été effectués en différents points des systèmeskarstiques (zone d’introduction, de transits verti-cal et horizontal, émergences) pour analyses phy-sico-chimiques. Des mesu-res de conductivité et detempératures complètentces prélèvements.

Les écoulements desurface sur le lapiaz n’ontpas été oubliés. Afin demieux comprendre les mo-dalités du ruissellement etses effets morphogéniquessi particuliers en Pata-gonie, une expérience surun micro bassin-versant aété mise en place. Il s’agitde la zone de drainaged’une petite perte en systè-me unaire (pas de terrainsinsolubles impliqués), surune zone karstique nue àrigoles et à escaliers delapiaz caractéristiques surle flanc oriental du MonteRoberto. Les travaux sui-vants y ont été menés :– topographie tridimen-sionnelle du bassin versantet des chenaux princi-paux ;– caractérisation des pen-tes et de la densité du drainage.– suivi des précipitations, de la température del’air et de la vitesse du vent ;– prélèvements réguliers d’échantillons d’eau ;– réalisation d’un traçage à la fluorescéine pourla détermination des vitesses de transit de l’eaude l’amont vers l’aval du bassin.

Le dépouillement et l’interprétation desrésultats devraient permettre de montrer l’origi-nalité de la structure et du fonctionnement decette zone superficielle du karst. ❂

21Association Centre Terre 33760 Escoussans

La météo évolue à une vitesseexceptionnelle, d’où laprudence indispensablelors de l’exploration decavités actives.Photo Fabien Hobléa.

▲ 2 m3/s se précipitentdans la Perte du Temps,

décuplant son débit« habituel ».

Photo Serge Caillault.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 21

Page 22: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

D’APRÈS LES COMPTES RENDUS DEPIERRE DECONINCK ET RICHARD MAIRE, AVECLA COLLABORATION DE CHRISTIAN VANDERBERGH

❂ La floreÀ basse altitude et dans les endroits abrités du

vent, pousse une forêt vierge et primaire, diffici-lement pénétrable, qui constitue une des rares

forêts originelles encore obser-vable sur la planète. Il s’agitd’une forêt à hêtres primitifs del’Antarctique (Nothofagusantarctica). Ces arbres impo-sants sont entièrement recou-verts par d’épais amas demousses. La forêt peut croîtredirectement sur la roche calcai-re et sur un enchevêtrement detroncs morts recouverts dedébris et d’humus pouvantdépasser plusieurs mètresd’épaisseur. On peut la qualifierde forêt « hors sol » car elleprend sa substance dans l’atmo-sphère confinée et humide desmousses qui dispense du gazcarbonique tandis que lesracines vont chercher les élé-ments minéraux dans les fis-sures du marbre. D’autres forêtsà Nothofagus poussent dansl’eau des zones marécageuses etdes tourbières sur les rochesimperméables. Cette forêthyper-humide, proche de celle

des hautes montagnes tropicales (Nouvelle-Guinée, Ruwenzori), abrite des colonies d’oi-seaux comme les colibris, ainsi que des arbris-seaux à fleurs délicates (Fuchsias). Dans lesendroits abrités, les arbres centenaires, de bellevenue, croulent sous le poids des mousses. Aucontraire, dans les lieux exposés aux vents dunord-ouest, les Nothofagus ont été miniaturiséspar le vent. Ces bonsaïs naturels prennent alors

des morphologies remarquables : troncs ram-pants, croissance en tire-bouchon, troncs usés endemi-lune au contact de la roche. Un phénomè-ne encore jamais vu a été observé : un tronc ram-pant épousant le creux d’une cannelure qu’il alui-même creusé dans le calcaire par dissolutionbiochimique (respiration ou algues associées).Cette dissolution biochimique peut égalementrésulter d’un phénomène de groupe, le bosquetd’arbres s’enfonçant littéralement sur place enapprofondissant une doline aux flancs subverti-caux. Le houppier des arbres, aplati par le vent,ne dépasse pas le sommet de la doline. Les arbrescréent ainsi un biotope abrité qui permet leurcroissance et leur survie dans le calcaire battu parles vents.

Pour ce qui concerne les investigations sur lafaune, elles ont poursuivi deux objectifs princi-paux : dresser un inventaire de la faune rencon-trée et étudier sa répartition, ses lieux de vie (bio-topes) ainsi que ses origines (Antarctique ouAmérique du Sud?)

❂ La faunePour ce qui concerne les investigations sur la

faune, les archipels patagons de part leur isole-ment géographique et le peu de données existantprésentent un certain intérêt pour l’étude dumonde vivant (systématique, biogéographie).Nous avons tenté durant cette expédition demieux connaître la faune qui peuple ces archi-pels en prospectant différents biotopes et princi-palement le milieu cavernicole. L’île de Madrede Dios offre des terrains variés : lapiaz, grottes,grès, forêt magellanique, mousse, marécage,rivière, retenue d’eau… L’ensemble des récolteseffectuées a été transmis à différents spécialistespour étude : Muséums de Paris, Turin, Genève etdes Universités Paris 6 (Jussieu), Bordeaux etLyon I…

Au vu des premières observations de terrainet en laboratoire, on peut dresser un bilan préli-minaire de la campagne biologique :

❂ En grottesNotre principal objectif était de mettre en évi-

dence la présence d’une faune souterraine.Dans la perte du Temps une équipe a vu au

premier siphon en bas du puits de 30 mètres, dela faune qu’elle n’a pu identifier. Il peut s’agir,avec les crues importantes qui règnent dans cettecavité et la proximité de la surface, d’hôtes exté-rieurs entraînés accidentellement par les flotstumultueux.

La cueva Ayayema est une cavité peu activemais néanmoins très humide et présente d’abon-dants dépôts d’argile. La seule faune trouvée estun cadavre de colibri, un opilion et quelquesaraignées.

Dans la perte de l’Oubli et la cueva Mañana,un certain nombre d’arachnides de l’ordre des

22 Ultima Patagonia 2000

Reconnaissance flori-faunistique

▲ Progression dans laforêt magique desNothofagus couverts demousses et lichens. PhotoJavier Lusarreta.

▲ Rencontre avec lesloups de mer.Photo Serge Caillault.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 22

Page 23: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

aranéides a été observé. Dans la perte de l’Oubli,on les trouve depuis la première zone sombre jus-qu’à environ –120 m. Une araignée du groupedes Théridions est à l’étude. Elle signale sa pré-sence par les réseaux de fils de soie qu’elle tissedans les anfractuosités des parois en partie proté-gées des crues.

Dans la cueva Mañana ces araignées se trou-vaient à l’abri du courant d’air d’une petite cas-cade située à 800 mètres de l’entrée. La décou-verte de cocons à cet endroit semble montrer uncertain tropisme pour ce milieu. Il offre desconditions particulières d’humidité et d’obscuri-té qui rappellent ce que l’on observe avec lesMeta dans notre pays. Mais le passage à la loupebinoculaire révèle la présence d’yeux. Il peuts’agir dans le meilleur des cas de troglophilesvoire de lucifuges.

Dans cette même cavité horizontale nousavons trouvé le seul hôte qui semble vraiment tro-globie. Il s’agit là aussi d’un arachnide, mais del’ordre des acariens, de taille très petite(± 1 mm), dépigmenté et dont les premièresobservations à la binoculaire montrent uneanophtalmie. Une étude approfondie est encours.

Un prélèvement de sable et d’argile a étéeffectué dans une partie active. Son séchage suivid’un tri minutieux à la loupe n’a pas révélé demicrofaune.

Toute la richesse de la faune cavernicolesemble se résumer dans ces arachnides ! Cettepauvreté en invertébrés est sans aucun doute liéeaux crues dévastatrices qui rendent les lieuximpropres à l’établissement permanent de la vie.Dans ces conditions les cavités sont lessivées et laplupart des animaux sont emportés et broyés.

Néanmoins, on peut espérer que de nou-velles visites dans les cavités de Madre de Diosviendront enrichir cette courte liste. Une pros-

pection des siphons et la pose de pièges, qui n’apu être mise en place par manque de temps,devraient apporter de nouveaux résultats.

❂ En surfaceHeureusement le milieu épigé est sans com-

paraison plus riche par sa diversité mais limitéquantitativement. À l’image des oiseaux, on trou-ve une grande variété d’espèces mais jamais engrand nombre. La liste de la faune terrestre estvariée : sangsue, mollusques, opilions, araignées,myriapodes, crustacés, insectes, batraciens, etc…

Les mousses sont largement représentées surles îles. Elles constituent un biotope particuliersusceptible d’accueillir une riche faune d’inver-tébrés. Il fut possible de capturer à plusieursreprises quelques insectes, crustacés… Cesmousses denses et serrées forment un niddouillet et protégé des hostilités extérieures quirendent sa prospection délicate.

S’il n’existe pas sur les îles de grands mammi-fères tels que ceux rencontrés sur le continent àces latitudes : vigogne, ours, renard, puma oumême lapin, de petits mammifères ont pu êtreaperçus ou détectés.

Ainsi, au bivouac de Soublette, proche de laperte du Temps, après 10 jours d’un camp de 10personnes ayant donc généré de nombreuxdébris alimentaires, aucun insecte ou autre ani-mal n’ont pointé leur nez à part une espèce derongeur. Une photo devrait permettre d’identi-fier l’unique hôte indigène de ce camp.

Des excréments, parfois de la taille de ceuxd’un petit chien, essentiellement composés demousse, ont été trouvés à divers endroits. Ilspourraient appartenir à un ragondin connu desarchipels.

Chez les insectes on note de très spectacu-laires coléoptères de la famille des lucanes :Chiasognathus granti, aux couleurs métalliques

23Association Centre Terre 33760 Escoussans

▲ Progression sur la« moquette », une

prairie rase sur unsubstrat de grès, creusée

de micro-marécagesriches en faune. PhotoJean-François Pernette.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 23

Page 24: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

et aux mandibules démesurées, volant à larecherche des femelles. Les coléoptères sontl’ordre le mieux représenté dans nos récoltes :longicornes Lamuen proches de nosPogonochaerus, des carabiques, geotrupides, can-tharides et quelques espèces de curculionides.

Mais la majorité des espèces semble encoreen diapose. La découverte, enfouis dans la terre,de coléoptères ou autres larves d’insectes endor-mis sous les pierres ou les bois, semble indiquerune éclosion plus tardive de la faune. Mars ouavril (?) sont peut-être une période de plus gran-de activité.

L’observation d’une chenille de Saturnide(Lepidoptère Saturnide) montre un corps dontchaque segment est armé de fortes épines barbe-lées couronnées d’un faisceau de poils urticants.Ceux ci peuvent se révéler suffisamment dange-reux et très allergènes pour l’homme.

Dans ce milieu hostile on s’étonne de décou-vrir une fragile libellule qui profite d’une accal-mie climatique pour dégourdir ses deux pairesd’ailes !

Lors de notre voyage vers Madre de Dios, unevisite aux Indiens Alakaluf de Puerto Eden, île deWellington, a permis de trouver un crapaud(Amphibien Anoures Bufonides : Bufo Variegata).Cette observation par 49°S permet d’étendre l’ai-re de répartition de cette espèce. Peut-être mêmes’agit-il du batracien répertorié le plus austral del’Amérique du sud!

Pour les oiseaux, on dénombre un large éven-tail d’espèces différentes : cormorans, canards,oies, mouettes, pétrels, goélands, foulques,grèbes, échassiers, aigrettes, martins-pêcheurs,albatros, sternes, rapaces (Bubo magellanicus),hirondelles, colibris, perroquets…

Dans le milieu marin nous avons pu admirerles gros lions de mer (otaries), des dauphins, plu-sieurs espèces de phoques… et goûter au plaisirde naviguer à leurs côtés. Les restes de cadavresde baleines échouées se retrouvent parfois sur lesberges de petites criques voire dans de grandsporches situés sur la côte de l’océan pacifique.Plusieurs loutres ont été aperçues avant de dispa-raître dans les eaux. Il existe deux espèces decette région.

Nous avons largement apprécié les produitsde la mer que sont les centollas (araignées demer) et les « oursinades » arrosées au vin blanc!On note dans les oursins la présence d’un crabe(Pinnother) qui y vit en symbiose. Sur le bord desseños, de nombreuses colonies de grandesmoules, malheureusement rendues toxiques parla présence d’une algue rouge, forment despièges redoutables pour les bateaux pneuma-tiques.

Dans les eaux douces d’une petite rivièrenous avons pu capturer un petit poisson com-mun (Alevius).

Cette première approche de la faune desarchipels patagons montre une faune variée qui asu s’adapter aux conditions particulières de celieu géographique unique. Le climat hostile etl’isolement géographique sont des facteursimportants quant à la pauvreté relative de lafaune. Parallèlement, ces facteurs limitants pour-raient être à l’origine d’un endémisme et d’uneoriginalité qui compenseraient cette faible popu-lation.

Il faut une prospection attentive pour s’aper-cevoir que la plupart de la faune vit cachée pourse protéger des vents et pluies violents. On a puremarquer que celle ci était plus apte à sortir lesjours d’accalmies.

L’analyse du matériel récolté permettra uneapproche de l’évolution et du dynamisme de cer-taines lignées sur ces terres d’origine gondwa-nienne : mouvement ou maintien des espèces,apports récents, etc…

Le constat de la rareté de la faune cavernico-le peut trouver en partie une explication dans :– les fortes crues qui emportent tout, rendantune dense vie souterraine impossible ;– la faible densité de la faune épigée qui ne favo-rise pas leur venue sous terre (la faune souterrai-ne trouve en général ses origines dans la fauneextérieure) ;– le couvert végétal qui n’est pas toujours favo-rable ;– nous n’avons pas tout vu. Il faut y retourner !

Il n’est pas exclu, compte tenu des observa-tions faites sur les Arachnides, que d’autresgroupes d’invertébrés aient réussi à coloniser desmilieux souterrains moins exposés aux crues queceux explorés pendant l’expédition. ❂

24 Ultima Patagonia 2000

▼ P Photo PierreDeconinck.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 24

Page 25: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

D’APRÈS LE COMPTE RENDUDE DOMINIQUE LEGOUPIL

En raison de sa difficulté d’accès, aucunereconnaissance archéologique n’avaitjusqu’à présent été effectuée dans l’îleMadre de Dios. Cette région fait partie

du vaste territoire traditionnellement occupé parles nomades marins du centre des archipels dePatagonie, les Alakaluf qui, au début du siècle,parcouraient encore les archipels à bord de frêlescanots d’écorce à la recherche de mammifèresmarins, des oiseaux de mer et des coquillages quiconstituaient leur principale nourriture(EMPERAIRE, 1955 ; LEGOUPIL, 1998). Ce groupede chasseurs-cueilleurs est aujourd’hui en voied’extinction et seule subsiste une poignée d’indi-vidus pour la plupart regroupés dans le petitposte de Puerto Eden sur l’île Wellington, à 150km au nord de Madre de Dios, où nous avons eul’occasion de les y rencontrer lors d’une brèveescale. Avant notre visite, on pouvait se deman-der si l’archipel de Madre de Dios avait réelle-ment été exploité par les Indiens, en dépit de saposition marginale sur les bords du Pacifique etde conditions climatiques particulièrement diffi-ciles. Malgré la brièveté de l’expédition, destraces incontestables de présence indigène ontété repérées (deux sépultures et diverses tracesd’habitation), essentiellement dans les grottes.Les gisements en grotte les plus remarquablessont :

❂ La Cueva AyayemaPOSITION GPS : 50° 2 1’ 840 S ; 75° 20’ 565 O

Cette grotte, où l’on a découvert les pre-mières traces des Indiens, se trouve sur la côteouest du seño Eleuterio, et s’ouvre en hauteurdans une faille d’accès peu aisé située à 20 m au-dessus du niveau actuel de la mer. Nous l’avonsainsi nommée en référence à un personnagemythique alakaluf souvent lié à la mort. On accè-de à la grotte par une étroiture qui ouvre sur unepetite salle semi-obscure dans laquelle arriventdeux galeries. Le long de la paroi nord de la salle,coincée sous le plafond très bas, on apercevaitune mandibule humaine très forte et concrétion-née, ainsi que les restes du squelette d’un indivi-du adulte en grande partie recouvert d’éboulis.En raison des mauvaises conditions de conserva-tion (des infiltrations d’eau gouttaient notam-ment sur certains os), nous avons entrepris unerapide fouille de sauvetage destinée à sauvegar-der les principales informations archéologiquesde cette sépulture. La disposition des élémentsdu squelette montre que le corps n’a pas été sim-plement déposé ici et recouvert d’éboulis, maisqu’il a été l’objet d’un remaniement post mor-tem, largement postérieur à la décomposition

des chairs et des ligaments.L’ensemble des os était disperséle long de la paroi et aucuneconnexion anatomique naturellen’a pu être observée. La mandi-bule elle-même se trouvait à deuxmètres du crâne qui avait glisséavec plusieurs os (sacrum,fémur, tibia…) dans un recoinprofond de plusieurs mètres cor-respondant à la fracture d’en-trée et obturé par le glisse-ment en oblique de deuxgrosses dalles qu’il a fallu déga-ger pour accéder aux os. Ilest probable que le corpsavait été initialementdéposé dans une petiteniche située un peu enhauteur et où a été retrou-vée une phalange. Vue l’exi-guïté de cette niche, il devait setrouver en position traditionnellerepliée. Il aurait ensuite roulé au basde la pente après décomposition et peut-être sousl’action d’animaux comme les oiseaux dont nousavons retrouvé de nombreuses traces dans la grot-te. Enfin, dans une dernière étape, des éboulissont venus recouvrir les ossements, apportés endeux phases distinctes : tout d’abord les grandes

25Association Centre Terre 33760 Escoussans

▲ Le crâne de la cueva Ayayema.Photo Luc-Henri Fage.

Un premier bilan archéologique très positif

Cueva AyayemaMADRE DE DIOS - CHILI

GPS : S 50°21’ 840 • W 75° 20’ 565 • ALT. 10 MTOPO ULTIMA PATAGONIA 2000

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 25

Page 26: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

dalles venues obstruer le fond de la fracture, puisdes plaquettes plus petites recouvrant peu à peule reste des ossements. Une partie seulement desos a pu être collectée au cours du bref laps detemps dont nous disposions. Il s’agit essentielle-ment des os dispersés le long de la paroi directe-ment sous les éboulis. Une fouille plus approfon-die, notamment de la petite couche de sédimentsous-jacente en bord de paroi et du fond de lafracture, inaccessible manuellement, pourraitpermettre de découvrir le reste des éléments dusquelette. Néanmoins, le sauvetage effectué apermis d’ores et déjà de collecter les principalespièces anthropologiques : le crâne, la mandibuleet au moins un exemplaire de chacun des oslongs. En l’absence d’éléments culturels permet-tant d’évaluer l’ancienneté de cette sépulture,des analyses C14 seront nécessaires afin d’enconnaître la datation. Le fort concrétionnementde certains os, et en particulier de la mandibule,n’est pas forcément un signe de grande antiquitécar le concrétionnement peut avoir été rapide

dans ces conditions. Par contre, on a retrouvé,au-dessus de la couche d’ossements humains, undépôt stratifié d’os de poissons pilés présent unpeu partout dans l’entrée de la grotte et quipourrait correspondre à des rejets de digestiondûs aux oiseaux. Ce dépôt postérieur à la sépul-ture, témoigne d’un enfouissement relativementancien des éléments du squelette humain.Quelques dizaines de mètres plus loin, dans lagalerie principale, totalement obscure, de laCueva Ayayema, ont été trouvées des marquesd’extraction d’argile. Depuis l’entrée de la grot-te, des traces de passage étaient du reste visiblessur le sol avant que nous ne nous y aventurions,ainsi qu’une empreinte de patte de chien. Lazone exploitée représentait un cercle d’environ 2m de diamètre correspondant à un petit dépôt dedécantation naturelle asséché dans un point baset surcreusé de la galerie, non loin au-dessus desniveaux d’inondation actuels rencontrés plusloin dans cette galerie descendante alors tapisséed’argile humide, voire liquide au sol. On distin-

guait nettement deux petites cuvettes d’où avaitété extraite l’argile. Tout autour, une quinzainede boules façonnées avaient été abandonnées surplace. Il est exclu que les indigènes aient cherchéà récolter ce matériau pour façonner des poteriescar cette technique est restée inconnue ou entout cas inutilisée par l’ensemble des Indienscanoeros (en canot) des archipels jusqu’à leurextinction. Il est par contre possible qu’il ait servide liant dans la composition de pâtes colorantes,notamment de colorant rouge à base d’hématite(oxyde de fer) très largement utilisé par eux àdes fins décoratives et peut-être fonctionnelles(manches de harpons, canots d’écorce, pagaies…et éléments de sépultures). Mais le lien entre lasépulture et cette « carrière » souterraine est trèsdouteux. L’exploitation de l’argile pourrait êtreplus récente que le dépôt des ossements si l’onconsidère l’absence de tout sédiment (et notam-ment de la couche à poissons) sur la zone argi-leuse travaillée. Mais cette absence pourrait aussiavoir une explication stationnelle (zone de lacavité à l’abri de la sédimentation actuelle et horsde portée des oiseaux). Si des hommes sontvenus dans cette grotte tardivement pour cher-cher de l’argile, passant nécessairement à côté dela sépulture, n’auraient-ils pas alors participé,volontairement ou non, au glissement des ébou-lis qui ont recouvert les ossements?

❂ La sépulture de la Cueva de la CruzPOSITION GPS : 50° 19’ 958 S ; 75° 22’ 893 O

La grotte a été ainsi nommée car une croix debois visible de l’extérieur était plantée dans unpetit muret de pierre bordant la sépulture. Lacroix (et peut-être l’accumulation de pierres) aété manifestement surajoutée récemment pardes pêcheurs, les seuls à fréquenter occasionnel-lement la zone. La grotte est d’un accès plusouvert et plus facile que la précédente. Elle setrouve à une douzaine de mètres au-dessus duniveau de la mer, sur la côte sud-ouest du señoSoplador. les ossements se trouvaient à l’entréede la grotte, en pleine lumière. Ils étaient regrou-pés en deux ossuaires distants d’environ unmètre disposés sur deux minuscules plates-formes en escalier, la plus basse surplombantdirectement le cône d’éboulis qui descend vers lamer et où avaient roulé quelques os. Les osse-ments représentent une sépulture collectivecontenant un minimum de quatre individus dontun adolescent. Ils étaient regroupés en deux taschacun très mélangés (peut-être même unmélange existait-il entre les deux groupes, ce quedevrait révéler l’étude anthropologique).Aucune connexion naturelle n’était décelable etil s’agit encore une fois d’une sépulture résultantd’un remaniement post-décomposition, cette foisclairement intentionnel, qui témoigne pour lapremière fois de pratiques funéraires secondaireschez les Indiens canoeros. Le relevé des ossementsapparents (sans fouille sous-jacente) a été effec-tué en raison de la menace que représentait lavisite récente dont témoignait la croix et surtoutla disparition de tous les crânes, sans doutes pré-levés comme curiosités. Ce rapide sauvetage nousa permis de constater que les os avaient bien été

26 Ultima Patagonia 2000

▲ Une partie desossements de la cueva dela Cruz avant leurétude. Photo Jean-François Pernette.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 26

Page 27: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

disposés ici conformément à des pratiques indi-gènes et qu’ils n’avaient été que peu remaniéspar les pêcheurs. Le sédiment des deux zones dedépôt ainsi que quelques blocs rocheux étaientocrés, pratique mortuaire presque universelle.On a également retrouvé dispersés dans les deuxossuaires des éléments de parures : coquilles depatelles ou de fissurelles (nos « chapeaux chi-nois ») polies, percées, ocrées, perles tubulairestaillées sur os d’oiseaux accompagnées degrandes moules (cholgas et chorros). Trois frag-ments de perches en bois étaient tombés dans lapente, devant la grotte, et de nombreux petitsfragments de bois et d’écorce, présentant destraces de coloration, montraient qu’une légèrestructure de bois avait sans doute recouvert lasépulture. Des pratiques funéraires similaires ontété occasionnellement signalées dans les archi-pels par des navigateurs : notamment une minihutte recouvrant un corps fut observée par desnavigateurs français au XVIIe siècle dans le détroitde Magellan. Deux autres éléments au caractèrerituel fort marquaient cette sépulture : un foyersur lequel reposait l’ossuaire amont, et des tracesde peintures rupestres ocrées décorant le pla-fond de la grotte au-dessus des deux dépôts. Cespeintures (quelques lignes et des points),quoique très dégradées, sont pratiquement lespremières traces de peintures pariétales décou-vertes chez les Indiens des archipels, à l’excep-tion de légères traces ocrées découvertes il y aquelques années par Dominique Legoupil dansun petit abri sous roche proche de PuertoNatales. Il est difficile de connaître exactementl’âge de cette sépulture, sans doute quelquessiècles seulement étant donné l’état de conserva-tion des bois et des écorces. Mais une analyse C14effectuée prochainement sur les charbonsrecueillis dans le foyer devrait permettre de fixerplus précisément cette datation…

Toutes ces découvertes sont d’un grand inté-rêt anthropologique pour la connaissance desIndiens des archipels en raison de la rareté desrestes humains jusqu’alors découverts dans cetterégion. La plupart des collections existantes sont

très fragmentaires et proviennent de pillagesanciens et à l’origine incertaine. Pour la premiè-re fois sans doute, on dispose d’une collectiond’au moins cinq individus appartenant incontes-tablement au groupe des archipels. Des analysesd’ADN pourraient ainsi présenter un grand inté-rêt dans la recherche de l’origine de cette popu-lation maritime et de ses relations génétiquesavec les autres Indiens d’Amérique, sujet souventcontroversé. Elles pourraient également per-mettre de mieux comprendre le fonctionnementdes pratiques funéraires des indigènes de larégion de Madre de Dios, notamment en mon-trant d’éventuelles relations familiales entre lesdifférents individus de la sépulture de la Cruz, et

même entre ceux-ci et l’individudécouvert dans la grotted’Ayayema.

En marge de ces découvertesprincipales, la présence d’indi-gènes est également attestée jus-qu’à une époque récente parquelques traces d’occupationtelles que des accumulations dedéchets alimentaires dans desabris sous roche du seño Azul,des restes d’armatures de huttesen branchages traditionnelles,traces des derniers Alakaluf àavoir fréquenté la zone et enfinune petite cabane en tôle et boisconstruite sur un îlot en face dela carrière de Guarello par le der-nier Alakaluf qui vivait ici dansles années 1950/60, troquant sapêche à la carrière. ❂

27Association Centre Terre 33760 Escoussans

Cueva de la CruzMADRE DE DIOS - CHILI

GPS : S 50° 19’ 958 • W 75° 22’ 893 • ALT. 6 MTOPO ULTIMA PATAGONIA 2000

▲ Entrée de cavitépropice à une utilisationpar les Alakalufs. PhotoJean-François Pernette.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 27

Page 28: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

D’APRÈS LE COMPTE RENDU DE FABIEN HOBLÉA

Il peut paraître incongru d’étudier les rela-tions homme/karst dans une île inhabitée.Deux raisons justifient cependant une tellepréoccupation : la découverte de nombreux

vestiges de fréquentation humaine dans lesgrottes côtières, et la présence d’une importantecarrière sur l’île karstique de Guarello. Quelsétaient et quels sont les rapports de ces groupeshumains très différents avec le milieu karstique etles cavités ?

- Avant même que les spéléologues ne s’y inté-ressent, ces grottes n’ont pas laissé les rares visi-teurs de Madre de Dios indifférents. Des Alakalufau personnel de la carrière en passant par lespêcheurs chilotes, ces visiteurs occasionnels ontlaissé des traces plus ou moins volontaires deleurs incursions dans les cavités en bord de fjord :bâton fiché à l’entrée et visible depuis le seño,traces de mains mondmilcheuses sur les parois…La découverte de nombreux vestiges et témoinsd’une fréquentation humaine diachronique desgrottes littorales apporte de nouvelles preuves del’universalité de certains usages et comporte-ments en relation avec les grottes : grottes sépul-tures (avec peintures pariétales) et grottes mines(extraction des remplissages) pour les Alakaluf ;grottes sanctuarisées par les pêcheurs chilotes etles personnels miniers de passage : ossuaire

Alakaluf christianisé à la Cueva de La Cruz, etune nième reproduction de la grotte de Lourdesdans la paroi calcaire à l’entrée de la base deGuarello, sans doute la plus australe de la planè-te !

- La carrière de Guarello exploite depuis plusde 50 ans le calcaire très pur de l’île pour lesbesoins d’une entreprise sidérurgique(Huachipato) qui s’en sert de fondant dans seshauts-fourneaux. Au cours de nos escales forcéesà la base minière, nous avons ainsi pu observerles différentes phases de l’exploitation : extrac-tion par minage dans un cratère bien circonscrit,évacuation par tapis roulant dans un tunnel jus-qu’au quai d’amarrage des minéraliers. Nousavons aussi pu visiter les infrastructures tech-niques et d’hébergement et nous rendre comptede l’attention particulière de la direction et dupersonnel pour respecter le mieux possible l’en-vironnement, priorité n° 2 après la sécurité parrapport aux accidents du travail. Par son systèmed’exploitation en cratère et d’évacuation souter-raine des matériaux, l’installation n’a qu’unfaible impact paysager et écologique. Un naviga-teur non averti passant près de Guarello sur leseño Eleuterio n’a que peu d’indices pour recon-naître une carrière. Mise à part l’inévitable cana-lisation d’égout d’eaux usées domestiques vitediluées dans la mer, nous n’avons observé aucunrejet suspect de produits industriels dans les eauxde la petite baie qui accueille les infrastructures,ni du côté du quai minéralier. En dehors d’unepetite aire de sédimentation des poussières decalcaire lessivées par la pluie depuis le quai miné-ralier, les eaux et fonds marins du seño autour dela carrière ne semblent en rien « sinistrés ».

La mine dépend du karst pour son alimenta-tion en eau potable, en partie tirée d’un captagedans la Cueva del Éclipse, cavité active avec desparties recoupées par l’érosion de surface, dontun tronçon a été barré par un petit barrage enbois permettant la constitution d’un réservoircapté par tuyauterie à environ 800 m des bâti-ments miniers. L’exploration plus en amont desautres maillons de ce réseau a permis de retrou-ver des vestiges d’anciens ouvrages de régulationdes débits du cours d’eau capté, datant vraisem-blablement du milieu du siècle, aujourd’hui rui-nés et non fonctionnels.

Si la carrière semble être un établissementmodèle en matière de respect de l’environne-ment, si les personnels ont fait preuve d’intérêt etde sympathie pour nos préoccupations spéléolo-giques, il faut tout de même savoir que la pros-pection dans un rayon d’un km autour du cratè-re d’extraction est rendue dangereuse par les tirsde mines pouvant occasionner des projections deblocs. Des sirènes avertissent de l’imminenced’une explosion et il vaut mieux alors avoir trou-vé un abri, une grotte faisant parfaitement l’af-faire ! ❂

28 Ultima Patagonia 2000

L’homme et le karst

▼ Dominique Legoupilvient juste d’extraire lecrâne d’un ancienAlakaluf, contemporainde Magellan (XVIe).Cueva Ayayema. Photo Pierre Deconinck.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 28

Page 29: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

D’APRÈS LES COMPTES DES DOCTEURSJACQUES DURAND ET YVES PRUNIER

L’expédition Ultima Patagonia s’est biendéroulée sur le plan médical. En effet, sil’on considère le nombre important departicipants, soit 34 personnes dont 9

membres d’équipage, et les conditions extrêmesdes archipels, nous n’avons pas eu à déplorer depathologie grave. Il faut une fois de plus souli-gner l’extrême prudence de l’équipe spéléo enexploration. En proportion, le nombre de soinsdispensés est plus important pour des patholo-gies liées au mode de vie sur un navire où l’acti-vité a été intense. En effet, nous étions souventoccupés à bord par des travaux inhérents à lamanipulation de notre matériel d’expédition.Ainsi, le chargement et le déchargement, leconditionnement de nos différents matériels ontété source de coupures aux mains (parfois avecsutures), de lésions de dermo-friction sur lesmembres. Dans les mêmes conditions, nousavons été amenés à pratiquer des soins de cettenature sur une partie de l’équipage (mécani-ciens, capitaine). L’équipe médicale était compo-sée de deux médecins. Elle a installé l’infirmeriedans sa propre cabine où elle disposait d’un sacmédical de montagne permettant de réaliser dessoins de toute nature à l’exception d’une réani-mation cardio-respiratoire longue ; d’une troussede pharmacie de soins courants en conditionne-ment fixe ; de deux petites trousses de soins quel’on répartissait dans les équipes d’exploration

(camp avancé et/ou bateaux pneumatiques) ;d’une civière du Spéléo Secours Français mise àdisposition des expéditions, plus un ensembled’attelles d’immobilisation (Ked, Gonflables).Grâce aux moyens de radiocommunication, unealerte pouvait être transmise dans de bonnesconditions. Le plus souvent, la faible gravité desaccidents a permis de différer les soins dequelques heures. Les deux médecins ont réper-torié 50 actes médicaux avec une grande diversi-té de causes, ce qui traduit une parfaite activitéde « médecine générale ».

Contrairement à ce que l’on pourrait croire,la traumatologie n’a pas été la seule occupationdes praticiens. Paradoxalement, l’activité médica-le a été intense à terre au début de l’expéditionavant de quitter Puerto Montt, car l’épidémie degrippe française a suivi d’abord les membres dela préexpédition (7 personnes), puis a frappé60% des membres de l’expédition juste avant ledépart ou pendant la navigation vers Madre deDios, infligeant 24 à 48 h d’alitement avec deforts symptômes grippaux nécessitant des traite-ments ad hoc. D’autres pathologies infectieusesont été rencontrées : bronchite, laryngite, otite,dermite axillaire. Signalons quelques troublesdigestifs : deux intoxications alimentaires à bordde l’avion d’Air France et deux gastro-entérites(fruits de mer?)

Le mal de mer a été traité sur la grande majo-rité des personnes, équipage compris. On peutsouligner la grande dépendance psychologiquedu phénomène, ce qui a permis à certains l’abs-

29Association Centre Terre 33760 Escoussans

▲ Le karst lissé par levent et la pluie vibresous la lumièrechangeant de laPatagonie. Photo Luc-Henri Fage.

Bilan médical

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 29

Page 30: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

tention de tout traitement. À l’opposé, certainsont dû se coucher durant toute la traversée dugolfe de Penas où le roulis était maximum.Néanmoins, la médication antinaupathique(contre le mal de mer) a été largement distri-buée. L’utilisation de ces médicaments restaitlibre. Deux types de médicaments étaient offerts :un dispositif transdermique («patch ») à efficaci-té prolongée sur plusieurs jours et une médica-tion orale (comprimés) dont l’efficacité optimaleétait d’une journée avec des effets bénéfiquessensibles au minimum une heure après l’inges-tion. En traumatologie, il faut souligner les mul-tiples petites plaies des mains et membres infé-rieurs liées à toutes activités, pas forcément sur leterrain ainsi, que des tendinites, déchirures mus-culaires (dont une à la cuisse lors d’un match defootball en salle contre les mineurs deGuarello !), brûlures (cordage, eau bouillante).En dehors du traitement propre, le problèmeétait de faire comprendre aux blessés qu’il étaitnécessaire de réduire leur activité pour per-mettre une cicatrisation rapide et de bonne qua-lité. Mais il est difficile de faire tenir tranquilleune personne passionnée dans de telles circons-tances. Des souffrances auditives et des troublesdu sommeil liés au fonctionnement du bateau(bruits et vibrations des moteurs et pompes,notamment la nuit) se sont autogérés sans l’aided’aucune thérapie, chacun prenant sur soi.Malgré l’inconfort de notre vie à bord, en raisonde la promiscuité et des nuisances sonores per-manentes, nous n’avons pas relevé de désordrede nature psychologique apparent. Le dépouille-ment des questionnaires d’enquêtes psycholo-giques remplis régulièrement par 10 volontairesdevrait confirmer ou infirmer ce premierconstat. Les tests ont été proposés par l’INSERMauquel ils ont été remis au retour. Les question-naires étaient de différents types, répondant tous

à des standards éprouvés et banalisés en psycho-logie, et il fallait une bonne demi-heure pour yrépondre, le plus au calme possible. Certainesquestions ayant paru très « décalées » et saugre-nues dans le contexte d’une expédition en milieudésertique (ce qui rendait le test peu crédibleaux yeux de certains volontaires qui étaient ducoup peu enclins à y répondre sérieusement), untest spécifique à la spéléo sportive est déjà encours de conception… En exploration, nousavons eu seulement à regretter deux accidents degravité moyenne : une brûlure au pied et unecontusion traumatique de pied, et trois accidentsde gravité légère : deux coupures et une élonga-tion musculaire de l’épaule. La brûlure est surve-nue au camp avancé de l’expédition, suite au ren-versement d’une bouilloire pleine d’eau chaudevers 23 h sur un pied seulement chaussé detongues. Cette brûlure au 2e degré a concerné3% de surface corporelle. Devant l’absence decomplication infectieuse, l’évacuation du campn’a pas été immédiate. La contusion traumatiqued’un pied est survenue sous terre lors d’uneexploration dans la perte du Temps. Un blocinstable s’est détaché d’une prise pour se fracas-ser sur le spéléo dont le réflexe de recul lui a per-mis d’éviter d’être touché sur des parties plussupérieures du corps. Le spéléo a pu sortir parses propres moyens. L’évacuation vers le bateauau mouillage a été immédiate pour éviter lescomplications œdémateuses tardives. La descen-te s’est effectuée sans bracardage, le blessé des-cendant à son rythme en s’appuyant sur unebéquille de fortune, mettant 5 h pour effectuer letrajet du camp au navire, au lieu des deux heureshabituelles. Les suites des soins ont consisté enune simple limitation de l’activité avec la possibi-lité de médications orales symptomatiques. ❂

30 Ultima Patagonia 2000

▲ Mesures physico-chimiques des eaux depluie. Photo FabienHobléa.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 30

Page 31: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

D’APRÈS LES COMPTES RENDUS DE RICHARDMAIRE, STÉPHANE JAILLET ET FABIEN HOBLÉA

«Qui a vu les paysages de l’archipel deUltima Esperanza ne les oublierajamais… Qui a vu le déluge despluies australes, qui s’est courbé

sous l’assaut du vent s’en souviendra longtemps,qui a franchi la barrière végétale de la forêt pour-rie et glauque, a marché dans les tourbières géla-tineuses, a parcouru les fantastiques lapiaz enconservera le souvenir, indéfiniment.

Tout dans cet archipel est dément, démesuré,avec en plus le mystère de la terra incognita et lesouvenir des Alakaluf disparus. Trilogie de l’ar-chipel patagon, les canaux, la forêt, le climat,tout est lié. L’ambiance des archipels est sinistrea écrit José Emperaire, c’est vrai, et pourtant lesrares instants de lumière, de soleil, révèlent unpays d’une beauté fantastique, et donnent le cou-rage d’attendre l’éclaircie suivante. »

Ainsi s’exprimait « le Baron » JacquesSautereau de Chaffe au retour de l’expédition de1997 à Diego de Almagro (in Spéléo n° 26, p. 11).Des phrases qui ont gardé tout leur sens pourexprimer ce que nous avons vu, vécu et ressentisur Madre de Dios.

Dans ces îles, l’ambiance paysagère joue surles contrastes :

- contrastes minéraux, entre les marbresblancs et les roches brunes du socle qui occupentla partie orientale de l’île, ainsi que les filons(dykes) de roches rousses injectées à travers lecalcaire, zébrant le lapiaz parfois sur des kilo-mètres. Les trois géologues chiliens de l’expédi-tion s’en sont donnés à cœur joie, arpentant lesîles et prélevant des centaines d’échantillons,parfois au moyen d’un carottier dont le moteurtroublait la quiétude de ces lieux déserts enrésonnant étrangement dans la montagne. Il leurarrivait fréquemment de revenir de leur sortiechargés de 50 à 60 kg de cailloux… chacun!

- Les sautes de temps sont également unacteur clef du grand théâtre patagon, puisqu’onpeut connaître les quatre saisons en une minute,comme aime aussi à le répéter le Baron. Aversede pluie, puis de grêle ou de grésil, rafales devents, brouillard, puis accalmie, éclaircie, rayonde soleil, arc-en-ciel, froid chaud-froid peuvent sesuccéder à un train d’enfer. Un ciel clair peut seboucher et laisser place à la tempête en moinsd’un quart d’heure! Les contrastes de débit desrivières et résurgences (avec mise en charge derésurgences temporaires) sont le corollairehydrologique de ces caprices météorologiques etcontribuent à faire varier le paysage d’un jour àl’autre.

- Contrastes aussi entre les espaces couvertsde végétation et les étendues dénudées, sans tran-sition, le vent se chargeant de trancher au cor-deau.

- Contrastes morphologiques encore et sur-tout, entre ces formidables parois et le miroirhorizontal des fjords, entre les sommets calcairesétincelants, exempts de tout écoulement de sur-face, et les dépressions glaciaires façonnées dansles grès, zones humides parcourues de rivières,occupées par des lacs, tourbières et marécages.

Comme sur Diego de Almagro (MAIRE, 1997,MAIRE et al., 1999), les calcaires et marbres deMadre de Dios ont révélé des modelés karstiquesuniques au monde que les géomorphologues del’équipe ont pris le temps d’observer et d’étu-dier : méga-lapiaz à cannelures géantes et esca-liers, karren denses et profonds (jusqu’à 30 m!),constituant un réseau de véritables crevasses don-nant l’impression de progresser sur des « glaciersde marbre », surfaces polies par des nappes d’eauplaquées par les vents, « fusées » hydro-éoliennes(JAILLET et HOBLÉA, 2000), tables de lapiaz sousbloc erratique de roche insoluble, inclinées faceau vent dominant (cf. photo). Outre l’apprécia-tion directe de la tranche de roche dissoutedepuis la déglaciation – qui se chiffre en mètre(s)– les formes observées et mesurées ont permis demettre en évidence le rôle du vent qui, en orien-tant le travail de l’eau, intervient directementdans le façonnement de certains modelés de dis-solution. Ce phénomène semble à ce jour uniqueau monde. Sur le littoral, l’altitude des encochesde dissolution marine a pu être mesurée, mon-trant un soulèvement isostasique de Madre deDios de l’ordre de 4 m, soit trois fois moins queDiego de Almagro.

Ce musée de formes, aussi rare dans songenre qu’esthétique, inscrit dans un environne-ment très typé et encore mal connu, mérited’être révélé et signalé comme richesse patrimo-niale d’intérêt mondial. ❂

31Association Centre Terre 33760 Escoussans

Des paysages uniques au monde

▼ Témoignant de laviolence du vent, cebélier de calcaire est unesorte de cheminée des féesinclinées. Le calcaire aété protégé par unopercule de rochevolcanique.Photo Yves Prunier

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 31

Page 32: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

COLLECTIF, 1999, L’expédition Ultima Patagonia,projet édité en trois langues. Centre terre, 8pages.

COLLECTIF, 2001,Compte rendu de l’expéditionUltima Patagonia, Spelunca, FFS, à paraître.

EMPERAIRE J., 1955 : Les nomades de la mer. NRF,Gallimard, 281 p.

FAGE L.-H., 1997 : L’expédition Ultima Esperanzaou les karsts de l’extrême… Spéléo n° 26,avril/juin 1997. p. 8-10.

Fage L.-H., 1998 : Ultima Esperanza, expédition àl’envers du monde, Terre Sauvage, n° 133,octobre, p. 76-87.

JAILLET S. et HOBLÉA F., 2000 : Une morphologieoriginale liée au vent : les fusées ou crêteséoliennes de lapiaz de l’île Madre de Dios

(archipel Ultima Esperanza - Patagonie -Chili). Actes de la 10e Rencontre d’Octobre.S-C Paris/CAF. p. 73-76

LEGOUPIL D., 1998 : Aux confins de l’Amériqueaustrale : les Indiens de Patagonie.Archeologia, octobre 1998.

LEGOUPIL D., 2000 : Spéléo chez les Alakaluf.Ultima Patagonia 2000 : bilan archéo. Spéléon° 34. Mai 2000. p. 13-14.

LISON Céline, 2001 - De Bordeaux à la Patagonie.L’ivresse des profondeurs, National GeographicFrance, juin, p. 20-25

LISON Céline, 2001 - Le cimetière des Alakalufs,National Geographic France, juin, Geographica.

LISON Céline, 2001 - France Info explore lesgouffres patagoniens, National GeographicFrance, juin, En coulisse.

MAIRE R., 1997 : Des veines de marbre sous latempête… Spéléo n° 26, avril/juin 1997. p. 11-13

MAIRE R. et l’équipe Ultima Espéranza, 1999 : Les« glaciers de marbre » de Patagonie, Chili : un karstsubpolaire de la zone australe. Compte rendu del’expédition.

MARBACH G., 2000 : Ile de Madre de Dios : legrand sud. Expédition française dans la Pa-tagonie chilienne. Spéléo n° 34. Mai 2000. p.10-12.

PERNETTE et al, actes UIS 1997.PETER Carsten, 2001 - Deep into the land of Ex-

tremes. Probing Chile’s wild coast, NationalGeographic, june, p. 2-19.

PETER Carsten, 2001 - Dans la terre des Extrêmes.À la découverte de la côte sauvage du Chili,National Geographic France, juin, p. 2-19.

PHILIPS, 1997 : La résurgence de l’Avenir : le pre-mier siphon de Patagonie et du Chili. Spéléon° 26, avril/juin 1997. p. 14

Àla suite des reconnaissances de 1995 et1997, l’expédition Ultima Patagonia2000 a permis de confirmer et révélerla valeur patrimoniale exceptionnelle

des « glaciers de marbre » et des îles karstiques dePatagonie chilienne. Si ce patrimoine paysager,géologique et géomorphologique, écologique etarchéologique n’apparaît guère menacé du faitdu caractère ponctuel de l’exploitation minièreactuelle sur Guarello et du contexte climatiquepeu propice au tourisme de masse, il convient designaler sa relative fragilité en raison de sonadaptation à des conditions environnementalestrès dures.

Un des objectifs de cette expédition scienti-fique et sportive était de mettre en évidence desindicateurs de cette valeur patrimoniale et d’enrapporter des témoignages en images (photogra-phies, films) afin qu’elle soit portée à connais-

sance des autorités chiliennes, de la communau-té scientifique et du grand public.

Un film long métrage, L’expédition UltimaPatagonia, diffusé sur France 2 en février 2001, unarticle consistant dans le magazine NationalGeographic (édition américaine) en juin 2001 sontle fruit de ces efforts en direction du grandpublic, auxquels s’ajoute récemment un reporta-ge pour l’émission télévisée Ushuaïa Nature,impliquant la participation de trois membres denotre expédition pour un voyage éclair sur Diegode Almagro en janvier 2001.

Ce nouveau voyage préfigure, nous l’espé-rons, d’autres expéditions importantes. Il y a lamatière et l’envie. Gageons que les volontairesseront encore une fois nombreux pour tentercette aventure exceptionnelle, un des grandsdéfis de la spéléo du XXIe siècle. ❂

32 Ultima Patagonia 2000

Nous reviendrons !

Bibliographie

▼ Le bivouac de la Perte du Temps installédouillettement dans unbouquet de Nothofagus.Photo Luc-Henri Fage.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:46 Page 32

Page 33: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

33Association Centre Terre 33760 Escoussans

FRANCE

• Jeff Barthod, cadreur,Serge Caillault, spéléo,• Pierre Deconinck, spéléo, biologiste,Jacques Durand, médecin, spéléo,• Luc-Henri Fage, cinéaste, spéléo,• Fabien Hobléa, géomorphologue,spéléo,• Stéphane Jaillet, géomorphologue,spéléo,• Dominique Legoupil, archéologueCNRS,• Richard Maire, géomorphologueCNRS, spéléo,• Georges Marbach, spéléo,• Patrick Mauroy, ingénieur du son,

• Jean-François Pernette, chefd’expédition, spéléo,• Michel Philips, plongeur, spéléo,• Yves Prunier, médecin, spéléo,• Jacques Sautereau de Chaffe, spéléo,Jérôme Tainguy, spéléo,• Bernard Tourte, spéléo.

CHILI

Paul Duhart, géologue, Sernageomin,Rodrigo Alejandro Fernandez et• Juan-Pablo Lacassie, géologues,Université du Chili,

ESPAGNE

• Javier Lusarreta, plongeur, spéléo,

• Enrique Ogando Lastra, spéléo.

CANADA

Pierre Bergeron, spéléo.

AUSTRALIE

• Alan Warild, plongeur, spéléo.

ALLEMAGNE

• Carsten Peter, photographe duNational Geographic.

Ainsi que l’équipage du Puerto NatalesPrimero, et son capitaine, Patricio.

Membres de l’expédition Ultima Patagonia 2000

Alan

Le BaronJean-François

Patricio Richard

StéphaneMichel

Dominique

Fabien

Buldo

Pierre

Javier Luc-Henri

Enrique

Carsten

YvesPatrick

Jeff

Jo

UltimaRap_v2-FR 9/09/01 14:40 Page 33

Page 34: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

L’expédition nationale de la Fédérationfrançaise de Spéléologie, UltimaPatagonia 2000, organisée par l’associa-tion Centre Terre, a obtenu :

– le parrainage du président de la Répu-blique, Monsieur Jacques Chirac ;

– le grand prix Rolex à l’esprit d’entreprisedans la catégorie exploration (au nom de Jean-François Pernette) ;

– le soutien de National Geographic ;– le soutien des sociétés Saramite TP, FIT et

APIL (Bordeaux) ;– le soutien de la société Petzl (Grenoble) ;

– le soutien du ministè-re de la Jeunesse et desSports ;

– le soutien de laFédération française deSpéléologie, co-organisatri-ce du projet ;

Il n’est pas possible dansle cadre de cet article deciter la longue liste des per-sonnes, institutions et entre-prises à remercier. Cetteliste complète figure dans lepré-rapport de l’expédition.Toutefois, nous tenons àremercier ici bien sincère-ment nos principaux spon-sors et soutiens cités ci-des-

sus, ainsi que ceux plus particulièrement connusdu milieu spéléologique :

– M. Pascal Vautier, président de la Fédé-ration française de spéléologie (1999-2000) et M.Bernard Jodelet (alors directeur technique natio-nal) ;

– Les commissions de la Fédération françaisede spéléologie : CREI (commission des relationset des expéditions internationales), commissionscientifique, Spéléo secours français, École fran-çaise de spéléologie ;

– Les comités départementaux de spéléologiede la Savoie, de la Drôme, de Paris ;

– Le Groupe spéléologique Minos, l’associa-tion scientifique GEO-KARST Lorraine, l’associa-tion Recherche et Profondeur ;

– La presse : Europe 1 (Yves Calvi), France 2(Christine Lentz), Sud-Ouest Dimanche, Le Dau-phiné Libéré, Média Vidéo Compagnie (Reims),

– Les sociétés Expé, Béal, Canots Bombards,Omnipresse, Spéléo Magazine ;

– les vignobles Ducourt et Pasquet, l’établis-sement Garino-Ortega ;

– La ville de Bar-le-Duc, la direction dépar-tementale de la Jeunesse et des Sports de laMeuse ;

– Tous nos amis spéléologues ou non, quinous ont fait l’honneur de nous aider toujours

bénévolement, parfois financièrement, en parti-culier Pierre-Marie Cortella, Martine Courrèges,Laurent Morel, Gabriel Nessans, Louisa Pomet,François Raffin, Jorge Radic, Christine Vivien.Ultima Patagonia 2000 remercie également lesmembres des expéditions de reconnaissancesans qui l’expédition 2000 n’aurait pu avoirlieu :

EXPÉDITION 1995Michel Letrône • Richard Maire • Jean-FrançoisPernette • Jacques Sautereau de Chaffe et lesmembres de l’équipage (capitaine Edgardo).

EXPÉDITION 1997Stéphanie Billioud • Jacques Durand • Luc-HenriFage • Jacques Féniès • Richard Maire • Jean-François Pernette • Michel Philips • JacquesSautereau de Chaffe • Jérôme Tainguy • MarcTainturier et les membres de l’équipage (capitai-ne Conrado Alvarez, Sergio Aceovis).

Ainsi que l’équipage du Puerto NatalesPrimero (expédition 2000), capitaine Patricio.

34 Ultima Patagonia 2000

▲ Sous la bâche dubivouac, près de la Perte du Temps. Photo Luc-Henri Fage.

Remerciements

D’a

près

la c

arte

mar

ine e

t les

pho

tos a

érien

nes p

ublié

es p

ar le

Ser

vice

Hyd

rogr

aphi

que e

t Océ

anog

raph

ique

du

Chili

(199

5).

UltimaRap_v2 9/09/01 9:47 Page 34

Page 35: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

35Association Centre Terre 33760 Escoussans

Itinéraire de l’expédition etsituation des îles calcaires

les plus australes du monde.Dessin Luc-Henri Fage.

UltimaRap_v2 9/09/01 9:47 Page 35

Page 36: UltimaRap v2 9/09/01 9:43 Page 1 - Centre Terre · 2006. 4. 26. · marbre en pleine activité. Étrange sensation que de débarquer dans ces locaux dignes d’une base lunaire, et

Phot

o Pi

erre

Ber

gero

n

UltimaRap_v2 9/09/01 9:47 Page 36