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Un champ sémantique: La dénomination des animaux domestiquesAuthor(s): Georges MouninSource: La Linguistique, Vol. 1, Fasc. 1 (1965), pp. 31-54Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248036 .
Accessed: 14/06/2014 13:36
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UN CHAMP SIEMANTIQUE : LA DfNOMINATION
DES ANIMAUX DOMESTIQUES
par GEORGES MOUNIN
Toute structuration du lexique part de l'idge saussurienne
que le mot n'est pas une unite isolde. Ii faut done d6couvrir l'ensemble a l'interieur duquel tels mots s'intigreraient comme des elements li6s par des relations, dont le r6seau constituerait la structure de l'ensemble. Depuis Trier, cet ensemble hypo- th6tique est nomm6 champ.
Le premier problkme est celui de son contenu : quels cri- teres permettront de le d6limiter ? Jusqu'ici les linguistes ont op6r6 par r 6frence
' un (c champ conceptuel , (terme de Trier). La psychologie permet
' Saussure d'apparenter les mots
craindre, avoir peur, redouter, pour en d'limiter les valeurs les unes par rapport aux autres1. La philosophie fournit 'a Trier le concept de < sphere [ou cercle : Bezirk] s6mantique de l'enten- dement ,2. La gdographie fournit '
Haugen le concept de points cardinaux3. Sa propre sociologie fournit
' Mator6 le champ notionnel d'art en 1765, etc.4.
Insister sur le fait que les champs semantiques ne sont pas d6finis par une procedure spicifiquement linguistique n'est pas la meme chose que refuser tout recours au sens en matinre d'analyse linguistique. Ii se peut que cet appui pris sur les
champs conceptuels soit indispensable. Mieux vaut bien voir
1. SAUSSURE, Cours de linguistique gCndrale, Paris, Payot, 5e dd., 1960, p. 160. 2. J. TRIER, Der deutsche Wortschatz im Sinnbezirk des Verstandes, Heidelberg,
1931. 3. E. HAUGEN, The Semantic of Icelandic Direction, dans Word, 7-1 (1951),
pp. 1-14. 4. G. MATOR1, La mdthode en lexicologie, Paris, Didier, 1953.
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TABLEAU
I
Le
champ
derivationnel
Nom sp6cifique Femelle Jeune
Parturition Gardien specifique Derivation adjectivale
Local d'6levage
Ane anesse anon anier
Cheval chevalin
mulassier
bovin
?
porcin
bouverie
porcherie
cochonnier
chenil
? lapinibre
poulailler
?
Mulet mule muletier
Bceuf bouvier
Chevre ch'vre chevreau chevreter chevrier
Pore porcelet pourceau porcher
Cochon cochonnet cochonner
Chat chatte chaton chatonner
Chien chienne chiot chienner
Lapin lapine lapereau lapiner
Poule poule poulet
Canard cane
caneton
N.B.
Le
? indique
les
d6rivations
non
productives
ou peu
productives
dont
on
peut
se demander
si elles
sont
pergues
g6ndralement.
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LA DENOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 33
alors ce qu'on fait, ne jamais oublier le point de depart non
linguistique de cette structuration du lexique : quand on r6unit les signifiants cheval, hongre, etalon, jument, poulain, dans un
champ, on le fait uniquement sur la foi de l'experience non linguistique qu'on possede des relations biologiques entre les signifi6s correspondants5.
Mais comme la linguistique structurale fonde ses analyses sur la recherche de critbres formels, on a l6gitimement tent6 de constituer (ou de verifier) tel ou tel champ par des proce- dures de cette nature. C'etait celles de Saussure6 pour 6tablir les (( rapports associatifs ) du type enseigner, enseignant, ensei- gnement; la constitution de ce que Dubois nomme des < s6ries 6tymologiques ))7. On en voit le rendement par le tableau I (p. 32), dans lequel ont ite inclus par hypothese tous les mots frangais qui figurent dans les editions courantes des diction- naires contemporains, c'est-a-dire le vocabulaire actif et passif d'un Frangais moyennement cultiv6 concernant les animaux domestiques admis comme tels sans discussion.
Guiraud ayant decrit sous le nom de champs morpho- s6mantiques une realite linguistique tout autre, un tel champ pourrait (non sans ddbats terminologiques) etre nomm6 morpho-lexical, ou 6tymologique : il rassemble bien les unites lexicales apparentees
' la fois par leur forme et par leur sens, par leurs signifiants et leurs signifies. Mais il serait mieux dit
ddrivationnel. Il ne nous apprend, sur la structuration du lexique, que des choses connues : celles qu'enseigne l'6tude des mots motives saussuriens. Or, structurer le lexique, pour tous ceux qui s'y sont efforces, c'est surtout - au-dela - d6couvrir les relations qui existent entre signifies de termes immotiv6s. Les series derivationnelles, dans un champ, ne peuvent tre qu'une esquisse, une presomption ; ou un moyen de verification.
La structuration linguistique veritable du champ des ani- maux domestiques serait donc celle qui remplirait peut-etre
5. Seul L. J. PRIETO, dans ses Principes de noologie, La Haye, Mouton, 1964, propose une th6orie d'ensemble pour l'analyse structurale des signifies.
6. SAUSSURE, Cours, p. 173. 7. J. DUBOIS, Le vocabulaire politique et social en France de 1869 d 1872, Paris,
Larousse, 1963, p. 41.
LA LINGUISTIQUE, I 3
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les cases vides du tableau I, et qui, sans aucun doute, en 6ten- drait la superficie, mais avec des termes obtenus a partir d'autres procedures linguistiques formelles. Toutefois, meme avant de reconstituer la structure interne de ce champ seman-
tique - dont I'existence nous est sugger6e maintenant par un
champ d6rivationnel - nous devons nous interroger sur le droit que nous avons de poser son existence linguistique. Dubois, pourtant le plus attentif a n'introduire aucune op6- ration non linguistique dans la structuration de ses champs, doit se faire donner par une autre science les frontieres et le contenu de son lexique politique et social. Son champ, dit-il, ( se d6finit par la fonction [semantique] spicifique qu'il remplit dans le systdme de la communication constitu6 par la langue ). C'est ( celui qui traduit immidiatement les rapports 6conomiques, sociaux et politiques entre les diverses classes de la societe [...]. II apparait d'autant plus homogene qu'il correspond a une fonction [simantique] plus nettement caracterisee; or, est-il un lexique plus d6fini que celui qui rend compte de la structure
globale de la socit6. ? )). Mais comment d6cider, par une pro- c6dure formelle, si un terme appartient ou n'appartient pas au
lexique qui traduit immidiatement les rapports sociaux; ou au lexique des animaux domestiques ?
En se donnant un corpus, comme Trier et Dubois, on semble
operer linguistiquement. Mais la presence de tels ou tels termes dans le corpus atteste qu'ils sont usit6s rbellement dans les valeurs ou les significations qu'on va 6tablir; elle ne suffit
pas seule a justifier leur inclusion dans un champ donne. En effet d'une part, sauf si on prel6ve un corpus au hasard dans la langue pour en faire un 6chantillon representatif - ce qui n'est le cas ni chez Trier, ni chez Dubois - on choisit le corpus d'aprbs des criteres conceptuels : ensemble de textes theolo-
giques, ou politiques, considgre's comme tels a priori en dehors de tous critbres linguistiques formels. Une fois constitu6 ce
corpus, d'autre part, on exclut de l'analyse, par une deuxieme
operation purement conceptuelle, tous les termes qui sont
jug6s ne pas faire partie du champ 6tudi6. Pour la determination du champ des animaux domestiques,
8. ID., ibid., p. 1.
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LA DENOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 85
un corpus choisi au hasard a toutes les chances d'etre A la fois immense et toujours incomplet : pendant soixante jours, le
corpus constitu6 par toutes les conversations quotidiennes auxquelles a participe l'auteur, et toutes ses lectures ordinaires, a fait apparaitre les seules occurrences suivantes : animaux exotiques, mulet, chien, poule, chevre, poulet, mouton, cochon, essaim, hongre, boeuf, taureau.
Aussi, pour obtenir ici un corpus de controle utilisable, on a, par une d6cision statistiquement et linguistiquement arbitraire, mais conceptuellement justifiable, choisi de consi- d6rer les occurrences des termes du champ dans six volumes de la collection <c Que sais-je ? ) adoptie, pour son caractbre de
grande vulgarisation, comme limite possible entre langue commune et langue technique : Animaux domestiques (Th6- venin), Le cheval (R. Amiot), Le peuple des abeilles (Mathis), Sociatgs animales, socie'tgs humaines (Chauchard), Les noms des
plantes (Gibassier et Guyot), Origine des plantes cultivies
(A.-L. Guyot). Dans ce corpus d'environ 200 000 mots de texte, la frequence
des termes 6voquant la ddnomination du champ (domestique, domestiqug, domestication, domestiquer, domesticateur, domesti- cable, domesticabilite, domesticitg) passe de 196 occurrences chez Th6venin ' 5 chez Chauchard, 4 chez Mathis, 3 chez Amiot, 2 chez Guyot, 0 chez Gibassier. Ceci confirme l'obser- vation capitale faite par G. Gougenheim en ce qui concerne la constitution d'un corpus : < Un mot concret n'a pas de fr6- quence par lui-mame )9. On entend par 1 que des corpus 6normes
peuvent ne pas enregistrer certains mots fort communs si on n'a pas cherch6 A mettre des locuteurs dans les situations non
linguistiques oiU ces mots peuvent tre employds. Ce qui signifie qu'un corpus ayant pour objectif une enqu te lexicale sp'cifique ne pourra jamais 8tre choisi au hasard, mais devra toujours etre constitu6 h partir d'une decision conceptuelle, non linguis- tique : oralement, provoquer les sujets de la conversation, les thkmes traitis, les centres d'inti~rt; par 6crit, selectionner des textes par sujets, thbmes ou centres d'intiret definis concep- tuellement.
9. G. GOUGENHEIM, Les enseignements de la statistique du vocabulaire, dans I8tudes de Linguistique appliqude, n. 2, Paris, Didier, 1963, p. 8.
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Outre l'emploi d'un corpus, et pour introduire encore plus de rigueur formelle - de nature linguistique - dans la struc- turation d'un lexique, Dubois a preconis6 le recours a deux autres procedures : mettre en 6vidence (et toujours dans le cadre de la phrase) des relations d'opposition lexicale ou d'iden- tit6 lexicale entre termes du champ ; donc des relations appa- remment distributionnelles de type apparemment formel, dont on puisse deduire des relations lexicales, ou s6mantiques. Si, par exemple, dans un nombre important de contextes le
syntagme lexicalis6 animaux domestiques s'oppose (au sens logique du terme cependant, non au sens linguistique) au
syntagme animaux sauvages, on sera certain que les valeurs
(saussuriennes) des deux syntagmes sont lides s6mantiquement, se delimitent r6ciproquement. Ces relations se manifestent-elles avec une frequence suffisante pour etre caracteristiques ? Pour le champ qui nous occupe, chez Thivenin, sur 196 contextes
oh parait I'un des huit termes de la s rie 6tymologique animal
domestique, 57 manifestent l'opposition domestique/sauvage - dont 25 dans le cadre de la phrase, et le reste dans le cadre des phrases voisines. Chez Chauchard, 2 oppositions sur 5 occurrences; chez Mathis, 1 opposition sur 4 occurrences; chez Amiot, 2 oppositions sur 3 occurrences; chez Guyot, 1 opposition sur 2 occurrences. L'opposition domestique/sauvage est donc reelle, attest6e. Mais, rep6tons-le, cette opposition n'est pas de nature linguistique formelle. Ni la commutation, ni l'analyse distributionnelle ne donnent rien, appliquies a des contextes comme ceux-ci : (( Le 31 octobre, les bataillons ouvriers et ceux de la bourgeoisie se rangbrent en ennemis sur la place de Greve ) ; ou bien : (( On peut recueillir des ossements d'animaux dont la condition domestique se rivele par l'6tat de leur squelette et surtout par ses caracteres qui ne sont pas ceux des especes indigenes sauvages. ) L'opposition recherchee, et mise en evidence, est de nature logique. Elle est manifest6e tant6t par une coordination; tant6t par une n6gation; tantat par un terme adversatif; tant6t par un terme impliquant semantiquement I'antonymie : < domestique... redevenu sau-
vage ). Le seul veritable 6l6ment formel ici, qui donne une
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validit6 linguistique relative a la procedure, c'est l'emploi de contextes reels.
Cette procedure aboutit d'ailleurs h mettre en 6vidence d'autres oppositions, comme domestique/apprivoise', sauvage/ap- privoise, domestique/gibier, sauvage/marron, domestique/accli- mate, domestique/semi-domestique, domestique/demi-sauvage, do-
mestique/semi-captif; elle rivele aussi des identitis ou quasi- identit's : domestique e captif, esclave, familier, soumis, favori, auxiliaire, compagnon de l'homme, serviteur de l'homme, dresse, docile - toutes interessantes parce qu'elles montrent bien que la procedure en question met en 6vidence des relations entre valeurs saussuriennes des termes, sans pouvoir en manifester toute la signification. Saussure avait bien signal6 lui-meme la difficult6 : c La valeur, prise dans son aspect conceptuel, est sans doute un 6l1ment de la signification, et il est tres diffi- cile de savoir comment celle-ci s'en distingue tout en 6tant sous sa dependance 40O. (Le d6veloppement qui suit dans le Cours tache d'6claircir la notion de valeur, non celle de signification.) Les contextes que l'on confronte ainsi peuvent manifester que domestique, apprivoise, sauvage, acclimate-, sont en distribution
complementaire en tant que diterminants des termes animal ou espece, et forment un systeme lexical (aprks qu'on ait exclu de cette distribution, toutefois, par une decision d'ordre non linguistique, d'autres determinants du terme animal comme actuel, voisin, different, pr6dateur, etc., que livrent des contextes du meme corpus). Mais les contextes ne peuvent pas, par une procedure linguistique formelle, nous fournir la struc- ture du ( systeme simantique a qui lierait les signifies des signifiants, ni en quoi ils different exactement les uns des autres. Les contextes nous livrent des emplois des termes, par une extension scientifique de la mithode empirique au
moyen de laquelle les dictionnaires completent par des cita- tions l'acquisition du sens d'un terme. Ces m~mes contextes sont impuissants a fournir a l'analyse formelle les ( traits semantiquement pertinents a des signifies (s'il en existe de tels), grace auxquels on pourrait construire une structure
s6mantique.
10. SAUSSURE, Cours, p. 158. E. BUYSSENS a cherch6 une solution t ce probl6me dans Le structuralisme et l'arbitraire du signe, Studii si cercetdri lingvistice, 3, 1960 (vol. XI), pp. 403-416.
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$*
Ces traits sont manifest6s exclusivement par des contextes trbs particuliers, fabriqu6s exprbs : les a d6finitions )). Mais les d6finitions des termes ne sont pas les produits de procedures lin. guistiques; ce sont les produits de proc6dures logiques. ( Pour connaitre une chose, dit Leibniz, il faut considerer tous les r6qui- sits de cette chose, c'est-A-dire ce qui suffit A la distinguer de toute autre chose. Et c'est cc qu'on appelle Difinition u). C'est la definition en comprehension des logiciens, I'6nonc6 des carac- thres ou traits distinctifs du concept. Le lexicographe jusqu'ici done a toujours fait consciemment peu ou prou de linguistique, et - la plupart du temps sans le savoir - autant de logique.
Quels traits s6mantiquement pertinents vont nous livrer les dictionnaires, concernant le mot domestique ? Littr6 6crit : (( En parlant des animaux, il se dit par opposition a sauvage. n Le trait pertinent serait ici /non-sauvage/. La d6finition du Larousse (1924 on 1962) propose un autre trait : a Se dit d'un animal apprivois6. ) Le Quillet 1957, un autre, encore diff6rent : a Se dit des animaux qui vivent dans la demeure de l'homme. a Le Robert combine deux des traits pr6cedents (/aupres de
l'homme/, /apprivois6/), avec deux traits nouveaux (/aider on
distraire/, /depuis longtemps/) : a Se dit des animaux qui vivent aupres de l'homme, pour l'aider on le distraire, et dont
l'espece est depuis longtemps apprivois6e. ) Si on adopte le crit're du Littr6, tout ce qui n'est pas sau-
vage sera domestique (A condition qu'on ait d'abord une dffinition du trait /sauvage/. (( Qui vit dans les bois, dans les d6serts ), dit Littr6). Animaux de la ferme, familiers de la maison, animaux de cirque, de zoo sont domestiques. Selon celui du Larousse, on devra inclure aussi beaucoup d'animaux de
cirque et quelques-uns de zoo, bien des animaux dits familiers en libert6 (pie, perroquet, lionceau, singe, etc.), qu'on hisite ordinairement A nommer domestiques ; mais en exclure d'autres, manifestement domestiques, qu'on ne dira pas apprivois6s : le lapin, par exemple. Le trait d finitoire /apprivoise/ se rivele en effet, dans la realit6 non linguistique et dans l'usage linguis- tique, riche en gradations - depuis les animaux qui tolerent
11. L. COUTURAT, La logique de Leibniz, Paris, Alcan, 1901, p. 181.
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la presence de l'homme sans fuir, jusqu'h ceux qui se laissent
approcher, toucher, nourrir, etc.; depuis ceux dont l'homme peut obtenir at la voix les comportements les plus divers, jusqu'A ceux qui s'y montrent totalement insensibles (beaucoup d'oiseaux chanteurs, lapins, etc.) depuis ceux a qui on peut laisser une libert6 totale (chien, pigeon, poule, etc.) jusqu'a ceux qu'on peut dresser a mille activitis, mais qu'on ne peut garder qu'en captivit6 (du lion au canari). Le critere du Quillet, tir' de l'6tymologie du mot, pose autant de problemes : tous les animaux dits de luxe ou d'agr6ment, d'usage tres ancien, ceux dont le commerce se developpe sous le nom d'animaux d'appartement (souris blanches, tortues, cobayes, hams- ters, etc.), sont s6lectionnes par ce critere, pele-mele avec les animaux de la ferme. La d6finition
' quatre traits du
Robert, 6limine certains de ces problkmes, mais en pose d'autres du meme ordre. Ceci mbne a constater, dans l'activit6 lexico- logique, un conflit entre linguistique et logique : les dffinitions (logiques) ne coincident pas toujours, ni meme souvent, avec les usages (linguistiques). La chose a 6t6 constat6e par les terminologistes, dans le domaine, pourtant plus discipline en theorie, des sciences et des techniques : (( I1 est important, 6crit Holmstrom, de rappeler aussi que la simple existence d'un dictionnaire normalise n'oblige ni les auteurs A employer, ni les traducteurs a traduire, ni les lecteurs a comprendre les termes suivant les significations qui s'y trouvent d6finies. Le mieux que puisse faire un tel dictionnaire, indirectement et au bout d'un certain temps, c'est de les influencer dans cette direction. C'est cette influence, quoique A long terme, qui jus- tifie seule l'effort de normalisation [lexicographique] ))12,
Les ddfinitions proprement scientifiques - que les dic- tionnaires ripercutent avec plus ou moins de retard et surtout de fiddlit6 - contiennent-elles des traits distinctifs de l'animal domestique, une enumeration plus rigoureuse, qui permette une dilimitation nette du champ ? Celle de Geoffroy Saint- Hilaire (1856) degagerait les traits suivants : 1. La presence dans la demeure de l'homme ou a proximit6
(trait d6finitoire 6tymologique un peu 4largi).
12. J. E. HOLMSTROM, The Multilingual Terminology Project, dans Bulletin of the Provisional International Computation Center, n. 8 (1-1960), pp. 1-16.
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2. Le fait que Panimal est nourri par I'homme. 3. Le fait que l'animal se reproduit dans cette situation. 4. Le fait que cette relation entre l'animal et I'homme est
habituelle. Celle de Cornevin (1891) reprend le premier et le troi-
sieme trait ci-dessus, auxquels elle ajoute : 5. Le fait que l'animal donne g l'homme ses produits et ses
services.
Bien que leur logique soit plus serree, ces traits distinctifs ne permettraient pas encore de delimiter le champ des animaux dits domestiques d'une maniere univoque. Certains traits
(/demeure de l'homme/, /nourri par I'homme/) ne sont que les
consequences d'un autre (/reproduction au pouvoir de
I'homme/) ; mais le sont-ils toujours ? Le trait /nourri par l'homme/ inclurait aujourd'hui la mouche du vinaigre et tous les microbes en bouillons de culture, ainsi que le trait /produits et services/. Mais le trait /reproduction au pouvoir de l'homme/ (omis par le Robert) exclut r1'l[phant domestique. Le trait relatif aux produits et services inclurait bien des animaux
sauvages (gibier, bates a fourrure). Et quels services rendent les animaux d'agrement ? A supposer meme que ces criteres soient tous valides, le problhme reste de fixer si l'animal est
domestique quand il satisfait a ces cinq criteres a la fois, comme voudraient le suggerer les definitions, ou s'il y a des
gradations dans la domesticit6 des animaux, comme le suggere l'usage linguistique assez fluctuant.
On a developp6 cette discussion non par une digression dans le domaine de la zoologie, mais pour illustrer le fait que la tota- lit des relations existantes et pergues dans le monde de l'expe- rience non linguistique est loin d' tre parfaitement lexicalisie. D'une part, parce qu'elles evoluent plus vite que le lexique : la vieille d6nomination n6e d'une opposition /domus/ r /silva/ survit, sans pouvoir couvrir l'rtendue des nouvelles relations entre I'homme et I'animal, depuis plus de deux millinaires : d6veloppement scientifique des jardins zoologiques, extension de l'elevage industriel (jusqu'a 'autruche, au vison), pratique de l'insemination artificielle qui rend possibles des reproductions en captivit6 reputies impossibles pendant des si'cles. (C'est ainsi qu'est n6, dans les cages de Vincennes, le tigron). La
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notion de captivit6 elle-mame a sa propre evolution, depuis les
cages exigues jusqu'aux sites artificiels des jardins zoologiques modernes, et meme jusqu'aux reserves naturelles. D'autre
part, l'arbitraire du signe couvre des faits largement diffirents, qui sont distingues parce que le locuteur sait toujours la situa- tion a laquelle se refbre le signe, quand il parle de mouche domestique ou d'6lephant domestique, de moineau familier
ou de poney familier, d'ecureuil apprivois6 ou d'agneau appri- vois6, etc.
En r6sum', le concept (( animaux domestiques ) se r6vble comme une sorte de concept empirique, dont la structure
logique complexe est le produit d'une longue histoire, et qui ne coincide rigoureusement, dans l'usage linguistique, ni avec l'ensemble des animaux definis par les cinq critres 6noncis ci-dessus reunis, ni avec l'ensemble des animaux dffinis par un ou plusieurs de ces cinq critbres pris s6parbment.
Pour d'limiter (car nous n'avons pas encore depass6 ce stade de l'analyse) le champ des animaux domestiques par une derniere procedure logique formelle, a defaut des procedures linguistiques formelles qui se sont montries inop6rantes, il reste une solution : recourir a la definition du concept en exten- sion, puisque sa d6finition en comprehension se r6vele impuis- sante a dessiner la frontiere du champ. Reprenant notre corpus, nous decrirons ce concept par une 6numbration exhaustive de tous les animaux qui y sont dits domestiques :l'Ane, le cheval, le bceuf, etc. Cette proc6dure ne nous livrera pourtant pas non plus de solution nette, parce que les usages varient selon les criteres definitoires acceptis, d'un auteur g l'autre. Pour Thivenin, a c6t6 de la ch'vre, du mouton, du porc, etc., la
gazelle et l'antilope, le chacal et le furet, la loutre, la civette, le cobaye, le vison, la moufette ou skunks, le faisan, le cygne et le cormoran, I'autruche et la carpe, la truite, le bombyx et I'abeille et la drosophile, I'huitre et la moule ont it6 ou sont des animaux domestiques; aucun des animaux incapables de se
reproduire quand ils sont au pouvoir de l'homme n'est inclus dans son ouvrage, ni l'hlphant, ni le guepard, ni le faucon de chasse par exemple. Pour Mathis, l'abeille n'est absolument pas
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42 GEORGES MOUNIN
domestique, ( parce qu'elle n'a pas subi la moindre d6g6neres- cence de ses aptitudes naturelles dans la lutte pour la vie ) (ce qui introduit un autre trait d6finitoire de l'animal domes- tique sous-jacent chez divers auteurs : l'incapacit6 de revenir a la vie sauvage). Elle est simplement h6bergie, prote6ge, exploit6e par l'homme. Chez Chauchard, pour qui le problbme dans son ensemble est celui du << pouvoir d'agir consid6rable- ment sur les animaux en les amenant a notre contact ) [tous les animaux qui subissent cette action sont dits par lui huma-
nis6s )], (( le minimum de rapport est obtenu pour les animaux les plus 6loign6s comme les abeilles dont nous modifions les conditions de vie sans avoir avec elles des rapports sociaux vrais )).
(Le cas d'apiculture, aviculture, pisciculture, ostrgiculture et mytiliculture fait transition linguistique formelle avec les emplois de ( domestique ) dans le regne v6g6tal, emplois qu'on ne pourrait done pas 6carter du champ s6mantique au moyen de criteres linguistiques formels : A.-L. Guyot manifeste les oppo- sitions ( domestication de l'el6ment v6g6tal/espbces sauvages A, et I'identit6 plantes cultivies/domestication du monde v6getal b. Si l'opposition-type est a cultiv6/sauvage ) ou a cultiv6/spontan6 a, on trouve cependant dans les Flores des d6nominations telles que sorbier domestique, et prunier domestique.)
La definition en extension ne nous livre done un champ s6mantique bien d6limit6 des animaux domestiques que si nous d6cidons de faire coincider les notions de corpus et d'idio- lecte, chose possible seulement si l'on restreint I'6tude d'un tel
champ A un seul auteur dont l'ceuvre est finie (d'oi l'int6rat possible de la procedure quant au lexique d'un ecrivain mort). En fait, au terme de l'enqu te, on aboutit a la conclusion que la notion de champ simantique, qui fait image, n'est pas une notion linguistique ; elle est d'origine et de nature conceptuelle empirique.
Ce concept ( animaux domestiques ) n'a pas 6t6 choisi ici intentionnellement pour d6montrer l'impossibilit6 d'accepter le point de vue de Trier, pour qui le lexique entier d'une langue doit se structurer de proche en proche par juxtaposition de champs linguistiques contigus, eux-m~mes constitu6s d'une mosalque de termes, sans recouvrement ni lacunes. (En fait, on a choisi ce champ A cause de quelques exemples sugg6r6s
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LA DANOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 43
par Hjelmslev et Cantineau, dans leurs analyses sur la structuo ration s6mantique.) Mais l'analyse illustre ce qu'il y a de non
satisfaisant dans les vues de Trier. Les memes pierres peuvent etre appelees A figurer dans plusieurs mosalques : si l'on devait etudier le champ conceptuel (( animaux utiles/animaux nui- sibles ) ou le champ (( mammifbres ), les memes unites lexicales se verraient distributes selon des constructions diff6rentes. D'autre part, le champ conceptuel peut n'6tre pas recouvert totalement par des dinominations lexicalis"es : bien des ani- maux qui sont encore sauvages (perdrix, faisans, liMvres, truites, etc.) sont cependant manipul6s par l'homme aujourd'hui, litt6ralement Blev6s, plus ou moins sous surveillance, dans des r6serves, souvent nourris indirectement on directement, cap- tur6s, transport6s et transplant6s selon des techniques que le mot domestication, ni le mot 6levage, ni mgme le mot acclimata- tion ne d6finissent ad6quatement. A supposer cependant qu'on accepte le terme acclimatg pour cet ensemble faudra-t-il inclure le couple acclimate/indigene dans le champ domestique/sauvage ; on le traiter comme un champ distinct ? On voit ici combien la vari6t6 des points de vue sur le monde de l'exp6rience non
linguistique (c'est-a-dire, en dernibre analyse, la complexit6 toujours en mouvement de la praxis humaine) suggbre, au lieu de la notion de champs juxtapos6s, celle de champs souvent superpos6s aussi, selon des hi6rarchies conceptuelles qui ne seront pas toujours aussi faciles A structurer que celles de la
biologic. Les avatars du mot champ sont peut-6tre a cet 6gard un bel exemple de conditionnement de notre vision du monde par le langage : si Trier n'avait pas nomm6 champs les r6alit6s s6mantiques indiscutables qu'il explorait - ce qui sugg6rait des d6veloppements m6taphoriques d'un certain type - mais systemes, peut- tre n'aurait-il pas 6t6 conduit h soutenir que ces systbmes devaient s'organiser par juxtaposition jusqu'd recouvrir sans chevauchements ni lacunes la totalit6 de la
sphere conceptuelle (autre surface m6taphorique) qui sous-tend le lexique d'une langue ?
Si la notion de champ a pu int6resser les linguistes, et se montrer productive en linguistique, c'est peut-6tre parce qu'elle recouvre en partie la notion linguistique de systbme lexical, et (ce qui est probablement diff6rent) de systhme s6mantique, notions desquelles il aurait fallu partir, et auxquelles
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il aurait toujours fallu rester fiddle, pour v6rifier si les regles qui permettent de construire un systeme vocalique, ou conso-
nantique, ou morphologique, permettent aussi de mettre en 6vidence une structuration s6mantique du lexique.
Puisqu'il semble impossible de d6limiter formellement le champ simantique au d6part de la recherche, il reste a veri- fier si la chose ne serait pas possible au terme de cette recherche. Appliquant rigoureusement la notion de systeme (au sens linguistique du mot), on essaiera de construire de tels systemes, et de verifier si le champ simantique ne pourrait pas etre scientifiquement defini et delimit6 a poste- riori comme un ensemble de ces systemes s'mantiques lies entre eux.
Prenons a titre d'hypothese la definition en extension d'une
partie non discutie du champ s6mantique (( animaux domes- tiques ) : les animaux de la ferme, de la d nomination desquels on a construit ci-dessus le champ derivationnel. Un premier systeme au sens propre peut etre le paradigme constitue pour tous les noms qui commutent avec aine dans I'rnonc6 defini- toire suivant : L'ane est un animal domestique parce que son espece se reproduit habituellement, depuis longtemps, sous la domination de l'homme. ) On remarquera que la procedure est double : la logique fournit la definition, la linguistique fournit la commutation.
Une demi-douzaine d'autres systemes de meme nature peu- vent tre digages par tous les termes qui peuvent commuter dans les definitions suivantes, lesquelles sont constitudes par I'introduction d'un nouveau trait distinctif ou definitoire (un requisit leibnizien). L'ensemble est ici constitu6 sur la base de
requisits exclusivement biologiques : 1. A(m) est le male de I'espece A; 2. A(e) est la femelle de A; 3. A(j) est le petit de A(e) et de A; 4. A(n) est la
portte de A(e);
5. A(p) designe la parturition chez A(e); 6. A(c) d6signe le cri specifique de A; 7. A(1) designe le local specifique oii sont abritis les A.
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On obtient ainsi le tableau II (p. 46). Il y a ici structuration v6ritable, en ce sens que les para-
digmes degag6s constituent bien des systemes, et que ces
systemes peuvent etre mis tous en correlation les uns avec les autres (au sens que le mot poss'de en phonologie : relation entre deux s6ries de termes dont l'une est distincte de l'autre uniquement par l'adjonction d'un seul trait [ici : simanti-
quement] pertinent). Par exemple :
cheval, taureau, bouc, bdlier, coq, etc. ; poulain, veau, agneau, chevreau, poulet, etc.
Cette correlation peut s'exprimer aussi par la proportion- nalit6 des rapports entre termes de chaque serie (exactement comme on dit que /p/ est ' /b/, ce que /f/ est A /v/, ce que /t/ est a /d/, etc., en frangais). Ainsi :
/p/ : /b/ /f/ : /v/ anesse : ne jument : cheval
veau : vache chiot : chienne chatonner : chaton veler : veau
clapir : lapin jargonner : jars, etc.
Cette premiere esquisse de structuration remplit bon nombre de cases laiss6es vides par la structuration dgrivationnelle, et
l'6tend sensiblement. Mais le tableau toutefois reste incomplet. Certaines cases vides s'expliquent par la biologie elle-mame, c'est-a-dire par rif4rence 'a la structuration de l'expirience non linguistique : serie tres incomplete pour le mulet, qui est un hybride sterile; absence d'un terme specifique quand la port6e ne compte qu'un jeune; terme commun, couvee, pour les oiseaux. Toutefois, la lacune concernant la parturition de
l'Ane attire l'attention. De plus certaines especes ont deux termes distincts, un pour l'individu en g6neral, et un pour le mile
(cheval/ftalon, porc/verrat, mouton/belier...), tandis que d'autres confondent sous la meme d6nomination l'individu quelconque et le mile (chat, chien, canard...) ou la femelle (oie, pintade). (Ici, c'est la linguistique diachronique seule qui pourrait expli- quer comment les denominations d'aujourd'hui, c'est-a-dire les signifiants des signifies consideres, manifestent ' travers ces anomalies taxonomiques les traces soit de systemes de signifies, soit de systemes de signifiants tres anterieurs.) Tous ces faits
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TABLEAU
II
Le
champ
zoologique
Nom sp6cifique
MAle Male Femelle Jeune
Parturition Portle Gardien sp~cifique
Local d'qlevage
Cri
sp6cifique
Ane ane anesse anon anier braire
Cheval 6talon jument poulain pouliner ecurie hennir
Mulet mulet mule muletier
ecurie
Bceuf taureau vache veau veler bouvier bouverie
itable vacherie mugir meugler beugler
Ch
vre bouc chevre chevreau chevreter chevrier itable bcler
chevroter
Mouton belier brebis agneau agneler berger bergerie
b ler
verrat truie porcelet cochonnet cochonner cochonn~e
porcher toit soue
porcherie cochonnier grogner
chat chatte chaton chatonner
portte miauler
chien chienne chiot
chienner portee chenil niche aboyer
lapin lapine lapereau lapiner porte nich-e lapinibre clapier clapir couiner
coq poule poulet couvee
poulailler glousser caqueter
canard cane
caneton couvee pou- ailler cancaner nasiller
N. B. -
Les
termes
en italique
s'ajoutent
a ceux
du tableau
I.
Porc Cochon
Chat
Chien
Lapin
Poule
Canard
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LA DENOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 47
suggerent que la biologie meme empirique n'est pas le seul
principe ici de la structuration du lexique. En fait, une autre structuration de l'exp6rience non linguis.
tique fournit d'autres traits simantiquement pertinents, qui interfbrent avec les premiers : structuration qu'on peut nommer, largement, zootechnique. C'est dans la mesure oih la langue frangaise a besoin (ou bien a eu besoin dans le passe, et garde encore la trace de ce besoin) de distinguer des realites non
linguistiques dans ce champ d'activit6, qu'elle les a dinommees.
D6ji, pour toutes les especes animales, c'est quand le mile et la femelle ainsi que le jeune sont morphologiquement dis. tincts aux yeux d'une pratique humaine qu'ils appellent des denominations distinctes - fait aussi frequent pour le gibier ou les animaux familiers meme nuisibles que pour les animaux
domestiques : ainsi les series sanglier-laie-marcassin, ou bien rat-rate-raton. Au contraire, nous n'avons rien de tel pour l'hirondelle ou le moineau femelle ou male, pourtant tout aussi familiers au moins : nous ne les distinguons pas morphologi- quement, peut- tre seulement parce que nous ne les 6levons ni ne les utilisons (pour certaines espbces, quand il a fallu
distinguer ce moment de la capture oih I'oiseau ne posshde pas encore son plumage d6finitif, mais est suffisamment d6velopp6 pour gtre arrach6U l'6levage maternel, on a cri6 le terme oiseau niais). C'est la meme chose pour la parturition (pouliner, v6ler, etc.) ; pour la dknomination du travailleur specifiquement attach6 a la garde ou la conduite de la bate (bouvier, muletier, berger, etc.). Le local d'6levage entre dans le champ lui aussi, formeUement d'abord a cause de la frequence des correlations d'rivationnelles (bergerie, porcherie, poulailler, colombier, lapi- nitre, etc.), et parce qu'il offre des correlations non moins nettes en dehors de la serie derivationnelle :
porcherie toit
soue :porc curie : cheval 6table : vache
Ce sont aussi des realites zootechniques, et non plus biolo-
giques, qui commandent l'apparition de traits semantique- ment pertinents lies ' d'autres dinominations distinctes : mAle chatr6 (hongre, bceuf, mouton [?], chapon, lapin et chat coupes ou taillies); jeune nouveau-n6 (poussin # poulet;
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agnelet # agneau) ; jeune mile ou jeune femelle sexuellement diff6rencids mais non adultes (taurillon, bouvillon, gienisse # veau ; canette # caneton ; poulette, cochet ou coquelet # poulet; chevrette # chevreau; agnelle # agneau).
D'autres fois, les traits semantiquement pertinents semblent
provenir d'autres champs conceptuels encore : la commercia- lisation de produits d'ilevage par exemple. C'est parce qu'ils nomment des articles de vente bien distincts que les syntagmes vache amouillante, jument pleine, ou poussin d'un jour sont devenus des realites semantiques distinctes, et meme des
syntagmes lexicalises stables. La chose est aussi visible dans un quatrieme champ concep-
tuel : celui de la denomination des viandes. Ce sont les realites non linguistiques de la boucherie qui commandent ici l'usage : du chevreau, par exemple, parce qu'on ne consomme (en France) que la viande du jeune ; de l'agneau de lait, du cochon de lait, du veau de lait - outre du mouton, du pore et du veau - parce que la boucherie les distingue ' la vente. En beaucoup de
regions meme entre de l'agneau et du mouton, on specifie : de l'agneau gris, du broutard (agneau sevre, apres le premier mois, mais de moins d'un an), avec deux denominations rigou- reusement synonymes - arbitraire du signe - I'une se ref6rant A la couleur de la viande, entre blanc et rouge; l'autre au pre- mier piturage apres sevrage.
Enfin c'est encore un autre champ conceptuel, celui de la cuisine, qui pousse plus loin parfois la specification de la d no- mination des viandes : A c6t" de poulet, terme devenu gendrique sans reference A l'age, on aura poulette, poularde, poule (au riz), coq (au vin).
L'examen des denominations des sous-ensembles que la
langue franqaise a constitu6s dans l'ensemble c animaux domes-
tiques ) amine A des conclusions qui vont dans le meme sens.
L'6levage traditionnel distingue le cheptel et la basse-cour, mais le premier terme, issu d'un concept juridique, quoique tr's ancien, reste attach' au domaine 6conomique et juridique autant qu'a la langue commune. Le cheptel englobe le gros betail et le menu ou petit betail; la basse-cour, avec la volaille, inclut les lapins. Troupeau reste (avec troupe, assez limit6),
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LA DENOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 49
le terme g6ndrique passe-partout pour designer le groupe concret d'animaux de meme espece - exception faite pour meute, rest6 technique (voir tableau III, pp. 50-51).
*
Malgr6 les difficult's et les impasses qui viennent d'etre 6voquies, tenter de diceler la v6ritable structuration du lexique n'est pas un exercice inutile. Vouloir prouver que la linguis- tique est une science une, et que les lois structurales qui fonc- tionnent en phonologie, morphologie ou syntaxe, peuvent etre applicables au lexique (ou
' la semantique) ne serait
blamable que si, par esprit de systeme, on affirmait a priori que ces lois doivent tre applicables ; et surtout si, pour y par- venir, on infligeait
' la r6alit6 des faits linguistiques toutes les distorsions necessaires pour faire cadrer la structuration seman- tique avec un dogme pos6 d'avance. Si, au contraire, on d6couvre un jour qu'entre la linguistique formelle d'une part, et la seman- tique de l'autre, il existe un foss6 theorique infranchissable, et tel que la linguistique ne peut pas etre dite une science une, la science du langage dans son ensemble n'aura rien perdu, elle aura progresse.
Tenter de diceler la veritable structuration du lexique, et celle des signifies d'une langue, est donc une entreprise raison- nable; et raisonnable aussi parce que tout, depuis l'apprentis- sage du lexique par l'enfant jusqu'a l'analyse saussurienne des valeurs, nous suggere que les mots ne sont pas des unites isolees. Mais on peut se demander lbgitimement si les tenta- tives structuralistes connues jusqu'ici ont abouti
' fournir des resultats aussi solidement acquis que dans les autres domaines linguistiques - et repondre que la structuration du lexique, et moins encore celle de la simantique, n'ont pas livr6 leur secret.
On a cherch6 ici ' v6rifier si le lexique d'une langue posshde une structuration discernable dans la mesure ou il decalquerait une structuration d'un autre ordre, introduite par la praxis humaine dans l'exp6rience qu'elle se fait du monde non linguis- tique. Le lexique alors ne serait pas structurable en vertu de ses propridtis strictement linguistiques, pour des raisons propres a la linguistique (sauf dans la zone rarement complete
LA LINGUISTIQUE, I 4
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TABLE
Le champ sgmantique
spomque Ane Cheval Mulet Boeuf Ch6vre Mouton Porc/Cochon Chien sp~cifique
MAle Ane dtalon mulet taureau bouc belier verrat chien
MAle chMtr. HONGRE B(EUF MOUTON
Femelle Anesse jument mule vache ch6vre brebis truie chienne
porcelet Jeune Anon poulain veau chevreau agneau cochonnet chiot
pourceau (*)
Nouveau- AGNELET
Jeune TAURILLON mAle BOUVILLON
Jeune femelle POULICHE GIENISSE AGNELLE
(couve) cochonn6e portge
Parturition pouliner v~ler chevreter agneler cochonner chien- ner
bouverie toit, soue chenil Local dcurle deurie dcurie dtable table bergerie porherie NICHE
d'6levage vacherie cochonnier (*)
mugir Cri brafre hennr meugl ber bdler grogner aboyer
spdcifique beugler chevroter ber rogner aboer
Groupe d'animaux TROUPEAU OU TROUPE MEUTE semblables
collectif I bovins CAPRINS OVINS porcins
Noml GOS B1ITAIL MENU B1TAIL collectif II
Nom CHEPTEL collectif III
Dbrivation adjectivale chevalin mulassier bovin CAPRIN oVIN porcin CANIN
Gardien Anier 6dalonnier muletier bouvier chevrier berger porcher spdcifique
MOUTON AGNEAU PORC, COCHON
Viande DU CHEEVAL DU EU CHEVREAU DE LAIT COCHON AGNEAU GRIS DE LAIT
BROUTARD
* Toutes les fois qu'une case comporte plusieurs termes, I'analyse en traits s6mantiquement pertinents devrait Atre pouss6e au-delA du pr6sent tableau, par exemple : porcherie (caractbre industriel), cochonnter (mdridionalisme), etc.
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LA DENOMINATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES 51
AU III
des animaux domestiques
Chat Lapin Canard Dindon Oie Pigeon Pintade Poule
chat lapin canard dindon jars pigeon coq CHAT f COUPA
CO LAPIN TALL chapon
chatte lapine cane dinde oie pigeonne pintade poule
chaton lapereau caneton dindonneau oison plgeonneau pintadeau pintadon poulet
POUSSIN
COCHET COQUELET
CANETTE POULETRE POULARDE
por porte couvde couvde couvde couvde courve
couv6e port~e nich6e
chatonner lapiner
clapier pigeonnier oulaill lapinibre colombier po er
miauler apir ananer glousser jargonner roucouler criailler glousser miaule couiner nasiller cacarder caqueter
TROUPEAU OU TROUPE VOLE TROUPEAU VOLUE TROUPE
VOLAILLE
BASSE-COUR
COLOMBIN
DU LAPIN DU CANARD DE LA DINDE DE
L'OIE DU PIGEON DE LA PINTADE DU POULET
NOTA. - En romain, les termes provenant du tableau I (champ d6rivationnel). En italique, les termes provenant du tableau II (champ obtenu par des traits zoologiques). En CAPITALES, les termes obtenus A partir des traits zootechniques divers.
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52 GEORGES MOUNIN
des series derivationnelles), mais uniquement parce qu'il serait le reflet plus ou moins exact d'une autre, ou de beaucoup d'autres structures non linguistiques.
Cette hypothese seduisante - au fond, c'est toujours la vieille idle leibnizienne de l'Alphabet des pens6es humaines - offre indiscutablement une m'thode pour organiser des classi- fications simantiques, au moins dans certaines parties peut- tre 6tendues d'un lexique. Mais ces classifications reposent tou-
jours, comme dans le champ simantique analys6 plus haut, sur des criteres non linguistiques, sur des traits semantiquement pertinents (que Leibniz appelait aussi les elements simples, ou les veritis simples), fournis par une analyse extra-linguis- tique de l'expirience. J.-C. Gardin, qui a beaucoup travaill6 sur ce type de classification par analyse conceptuelle, conclut
justement que ( l'orientation des recherches et, par consequent, la manibre de diffirencier les observations ne sont pas en effet les memes, selon que l'on traite de reactions chimiques, de recettes de cuisine, ou de philosophie. Sans doute les demarches de l'esprit sont-elles voisines d'une 6tude a l'autre ; mais l'orga- nisation du champ experimental, en quelque maniere, par le vocabulaire, varie dans de si vastes mesures qu'il parait derai- sonnable de la vouloir ramener partout a un meme moule )13. Pour chaque systeme s6mantique, il faudra faire une recherche
empirique diff6rente, parce que les traits s6mantiquement perti- nents manifestent chaque fois des relations non linguistiques diff6rentes.
L'obstacle ultime a cette proc6dure n'est peut-8tre pas celui
qu'6voque en passant R. S. Wells14. Apres avoir sous-estim6 les possibilit6s d'analyse du contenu s6mantique correspondant au latin tabul, au moyen de traits s6mantiquement pertinents (analyse que les Am6ricains nomment g6n6ralement compo- nentielle), il se demande si tous les contenus s6mantiques sont ou seront r6duisibles a des systhmes de paradigmes du type de ceux qu'on a construits ci-dessus pour hongre, jument, poulain, pouliner, hennir, etc. (et de ceux qui permettent a B. Pottier de construire le systhme du champ s6mantique siege : chaise, fauteuil, tabouret, canape, pouf, etc., a partir de six traits
13. ALLARD, ELZIJRE, GARDIN et HouRs, Analyse conceptuelle du Coran, II : Commentaire, La Haye, Mouton, 1963, p. 18.
14. Proceedings of the VIIIth I.C.L., Oslo, Oslo Univ. Press, 1958, p. 616.
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definitoires pertinents'5). Le perfectionnement des dictionnaires, auquel on travaille inlassablement, et duquel on peut attendre une amelioration 6norme par rapport aux outils archaiques qu'on baptise actuellement dictionnaires, - rdpond
' R. S. Wells de maniere empirique mais relativement optimiste16.
L'obstacle A toute structuration complbte du lexique qui soit plus proprement linguistique vient probablement de
l'arbitraire du signe, ou de ce qu'on pourrait mieux nommer ici
l'arbitraire de la lexicalisation. L'hypothese d'un parall6lisme un peu rigoureux entre structuration de l'expdrience non
linguistique et structuration du lexique repose sur l'intuition que toute realit6 non linguistique relativement stable et rela- tivement fr6quente doit finir par etre lexicalisie, - ce que confirment en gros les etudes sur les rapports entre frequence et cofit, dans le cadre du principe d'6conomie17. Mais "a moins d'affirmer que la civilisation italienne est totalement diff&- rente de la frangaise en fait de zootechnie, puisque leurs voca- bulaires sont trbs diffrents, comment comprendre qu'en face de pouliner, v4ler, cochonner, agneler, chevreter, chatonner, etc., l'italien se soit content6 de figliare, c'est-a-dire ait pref6r6 l'economie paradigmatique, alors que le frangais choisit l'in- verse ? (Bien qu'appartenant a une zone de langue peut-etre plus littiraire, l'exemple de troupeau en face de gregge, mandra, armento, branco, etc., pose le m8me probleme.) Chaque fois certes, des 6tudes diachroniques expliqueront ces divergences par des faits de linguistique interne, ou externe. Mais l'expli- cation ne supprime pas l'existence de la divergence, qui attire
l'attention sur le fait qu'il n'y a pas de parallelisme nkcessaire entre structure de l'exp6rience non linguistique, et sa lexica- lisation.
Malgr6 les apparences donc, c'est-a-dire malgr6 le grand nombre d'essais tentes ces temps-ci, peut-etre n'a-t-on pas beaucoup progress6 theoriquement depuis que Meillet, opposant
15. B. POTTIER, Recherches sur l'analyse simantique en linguistique et en traduction micanique, sbrie A, II, Publications de la Facult6 de Lettres de Nancy, 1963, pp. 11-18.
16. Voir notamment le numero special de I'I.J.A.L., On Lexicography, consacr6 A la Conf6rence Nationale sur la Lexicographie, tenue A Indiana University, nov. 1961.
17. Voir, par exemple, MARTINET, Alements de linguistique gdndrale, Paris, A. Colin, 1960, pp. 190-199.
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le vocabulaire A la phonologie et A la grammaire, 6crivait : ( Au contraire, les mots ne constituent pas un systeme; tout au plus forment-ils de petits groupes'5. On a certes beaucoup et bien travaille
' percer le secret de ces petits groupes, mais dans
bien des directions (structuration lexicale) semantique, logique, statistique, distributionnelle, informationnelle) dont on n'aper- 9oit pas encore vraiment l'unit6.
Facult6 des Lettres et Sciences Humaines, Aix-en-Provence.
18. A. MEILLET, Linguistique historique et linguistique gdndrale, t. I, Paris, Champion, p. 84.
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