10
Le passé éclaire le présent www.historia.fr MAI 2015 - N° 821 ALL 7,20 €/BEL 6,50 €/CAN 9,99 $ CAN/DOM/S 6,70 €/ESP 6,70 €/GR 6,70 €/ITA 6,70 €/PORT-CONT 6,70 €/LUX 6,70 €/MAR 60 DH/MAY 8,10 €/CH 11 FS/TOM/A 1570 XPF/TOM/S 880 XPF/TUN 6,80 TND :HIKPKG=\UZ\UY:?a@s@c@l@a"; M 05067 - 821 - F: 5,70 E - RD

Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Napoléon a rêvé de transformer Paris en une capitale modernisée et agrandie. Le récit de cette métamorphose, accomplie en moins de quinze ans, est à lire dans ce dossier impérial.

Citation preview

Page 1: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

Le passé éclaire le présentwww.historia.fr MAI 2015 - N° 821

NAPO

LÉON

QUA

ND P

ARIS

DOM

INAI

T LE

MON

DEM

AI 2

015

– N° 8

21 –

5,70

ALL 7

,20 €/

BEL 6

,50 €/

CAN

9,99 $

CAN

/DOM

/S 6,

70 €/

ESP

6,70 €

/GR

6,70 €

/ITA

6,70 €

/POR

T-CON

T 6,70

€/LU

X 6,70

€/MA

R 60

DH/

MAY

8,10 €

/CH

11 FS

/TOM

/A 15

70 XP

F/TO

M/S

880 X

PF/T

UN 6,

80 TN

D

3’:HIKPKG=\UZ\UY:?a@s@c@l@a";

M 05

067 -

821 -

F: 5,

70 E

- RD

MAI

201

5 –

821

– 5,

70 €

DO

SSIE

R : U

N G

RAN

D B

ÂTIS

SEUR

NO

MM

É N

APO

LÉO

N, Q

UAN

D P

ARIS

DO

MIN

AIT

LE M

ON

DE

- LE

NO

UVEA

U M

UND

ANEU

M D

E M

ON

S

Page 2: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

4 HISTORIA MAI 2015

CONTRIBUTEURS

SOM

MAI

RED

R

Gu

illa

um

e D

iam

ant-

Ber

ger

Nap

oléo

n : P

atri

ce M

auri

n-B

erth

ier/

Ser

vic

e de

pre

sse

de C

arn

aval

et - T

uil

erie

s : p

hot

o R

MN

- Dan

iel A

rnau

det/

Her

vé L

ewan

dow

ski

Dav

y A

ucl

ert

Mar

ie-A

mél

ie J

ourn

el/D

evin

eO

liv

ier

Clé

men

t

DR

DR

DR

DR

Pau

l Rou

stea

u

D.R

.

Gil

Lef

auco

nn

ier

DR

6 ActualitésLe retour des rescapés des camps de la mort

10 À l’afficheExposition, cinéma, théâtre…

18 L’art de l’HistoireTitien : Un Vénitien aux couleurs orientales

54 Ces jours-làLes trois jours méconnus de la capitulation nazie

60 PortraitGeneviève de Gaulle-Anthonioz« Nièce de », résistante de la pre-mière heure, elle a toujours refusé les passe-droits et a milité, sa vie durant, pour les plus pauvres.

66 Les hauts lieux de la préhistoireLe Moustier

68 L’inédit du moisLes pigeongrammes du siège de Paris

Rémi KaufferHistorien, membre du comité éditorial d’Historia, il retrace la capitulation en trois actes des armées nazies (p. 54).

Denis LefebvreHistorien, il nous fait découvrir en avant-pre-mière le Mundaneum de Mons, en Belgique, ce Google du papier (p. 82).

Joëlle ChevéFidèle collaboratrice d’Historia, elle revisite la ville du luxe (p. 48) et présente (p. 50) l’exposition du musée Carnavalet.

Véronique DumasJournaliste, elle brosse le portrait de Geneviève de Gaulle-Anthonioz (p. 60), résistante de la première heure panthéonisée en mai.

Agnès Colas des FrancsAprès les victoires et la gloire, le prestige des arts. Paris rayonne, comme le raconte (p. 44) cette histo-rienne éprise de la capitale.

Charles-Éloi VialL’Europe, soumise, prête allégeance aux Tuileries. Un tour de force napoléo-nien conté par ce spécialiste de l’Empire (p. 40).

Chantal PrévotResponsable des biblio-thèques de la Fondation Napoléon, elle évoque une capitale pharaonique (p. 34) et gastronomique (p. 47).

Jean-Philippe GarricLa genèse et l’héritage du « Grand Paris » – ce rêve impérial inachevé – sont relatés (p. 30) par cet architecte et historien.

Charlotte DuvetteHistorienne de l’art, elle a inspecté les fondations du ministère des Relations extérieures, actuel musée d’Orsay (p. 27).

Thierry SarmantCommissaire de l’exposi-tion « Napoléon et Paris » au musée Carnavalet, il replace la Ville Lumière au centre du monde (p. 22).

10

6anniversaire70e70e

anniversaire70e70e

Page 3: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

MAI 2015 HISTORIA 5

Ru

e de

s A

rch

ives

/PV

DE

Mu

nd

aneu

m - F

rédé

ric

Rae

ven

s

DossierNapoléon et ParisIl a défait les armées adverses, renversé les trônes et conquis les grandes villes européennes. Son objectif pour Paris ? Transformer la cité médiévale en une capitale mondiale et la rebâtir encore plus belle, encore plus moderne… encore plus impériale !

// 22 Le centre du monde// 28 Les grands travaux

// 30 Le bâtisseur du « Grand Paris »

// 40 Les têtes couronnées se bousculent aux Tuileries !

// 44 Un exceptionnel rayonnement culturel

// 48 La Ville Lumière devient la cité du luxe

// 50 Une exposition « capitale » à Carnavalet !

69 Un mot, une expressionUne formule laconique

70 Pas si bête !Le murex, l’escargot des empereurs

72 À tableLes quenelles de Lyon

75 Un illustre inconnuRoland Garros

76 MythologieRomulus et Remus

82 ReportageLe Mundaneum de MonsCentre d’archivage, cet « Internet de papier » est né à Bruxelles au XIXe siècle par la volonté de deux humanistes. Il vient de faire peau neuve à Mons, cette année capitale européenne de la culture.

90 Livres

96 Mots croisés

98 Les couacs de l’HistoireUn canard aux obsèques de JFK

82

5420

anniversaire70e70e

Page 4: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

6 HISTORIA MAI 2015

ACTUALITÉS Par Georgette Elgey, conseillère éditoriale d’Historia, et Rémi Kauffer, membre du Comité éditorial d’Historia

Peu avant sa mort, en 1992, un proche collaborateur du général de Gaulle, René Brouillet, évoquait sa tris-tesse le 8 mai 1945 : « C’était le jour de la victoire, mais nous venions de

découvrir l’horreur des camps de concentra-tion. Elle nous obsédait. » En quelques mots, tout est dit : prise de conscience de l’entre-prise génocidaire nazie et effroi devant un tel degré d’inhumanité. Découverte des vic-times aussi. Ou, plus exactement, de celles, juifs ou résistants, qui ont survécu à l’enfer.

C’était il y a tout juste soixante-dix ans. Le retour des déportés fut vécu d’une manière totalement différente de celle qu’on imagine aujourd’hui, du fait des diverses reconstruc-tions intervenues dans l’intervalle.Au début de 1945, la France et ses 40 millions d’habitants est d’abord un pays sans hommes. Plus de deux millions de Français sont encore en Allemagne, qu’il s’agisse des déportés encore vivants (moins de 40 000 sur un total de 140 000), des prisonniers de guerre (1,2 mil-lion), des 700 000 travailleurs dans les usines allemandes, (soit volontaires, soit requis de force au titre du service du travail obliga-toire, le STO, instauré deux ans plus tôt par le régime de Vichy). Sans compter les réfugiés ballottés et les jeunes engagés au sein de l’ar-mée : 137 000 anciens maquisards servent par exemple dans les rangs de la Ire armée fran-çaise du général de Lattre, bientôt témoin de la capitulation nazie (voir p. 54-59).

Compassion, ferveur… ou rejet. La popu-lation française ploie alors sous le fardeau des difficultés quotidiennes. Lutter chaque jour pour se nourrir, se vêtir, se chauffer ne prédispose pas forcément à se pencher sur le sort d’autrui. L’accueil des réfugiés prend des formes variées. Compassion mêlée de ferveur patriotique dans certains cas (on s’émeut à les voir dans un tel état de misère), et, simultanément, rejet teinté de gêne et de honte : on trouve qu’ils encombrent, que les autorités devraient les cacher ; certains considèrent anormal qu’on les fasse passer avant les autres ; d’autres avancent même qu’ils n’ont pas été si mal traités que ça. La preuve : ils sont revenus !

Après leur libération, les déportés transitent souvent par l’hôtel Lutetia, à Paris. Un sas entre l’enfer et une difficile réadaptation à la vie.

LE RETOUR DES RESCAPÉS DES CAMPS DE LA MORT

AF

P P

HO

TO

1945

ATTERRISSAGE.� Certains miraculés – encore revêtus de leur uniforme de prisonnier – regagnent la France par la voie des airs (ici au Bourget, en avril). La majorité des rapatriements se fera par la route et le rail.

Page 5: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

MAI 2015 HISTORIA 7

ACTUALITÉS

REPÈRES

27janvier1945 Auschwitz est libéré. Mauthausen ne le sera que le 5 mai.

Mai1945 Plus de 900 000 Français retournent dans l’Hexagone.

Avril1954 Instauration par la loi d’une Journée nationale du souvenir de la déportation.

Janvier1956 Le documentaire d’Alain Resnais Nuit et Brouillard remporte le prix Jean-Vigo.

Tous victimes, et tous Français ! À l’époque, l’image dominante est celle du déporté politique, héros ou héroïne de la Résistance. Bien que fondamentale, la dimension antisémite du nazisme n’est pas perçue de manière claire, les déportés juifs disparaissant en quelque sorte derrière leurs frères et sœurs de misère résistants. Dans la France de 1945, réunifiée dans l’enthou-siasme de la Libération, un juif français se veut d’abord un Français de confession israé-lite. Pour cette raison, on ne fait pas de dis-tinction entre déportés raciaux et déportés politiques. Tous étant des Français victimes du nazisme, établir une différence entre eux paraît inconcevable. Pis, cela reviendrait à chausser les bottes des criminels hitlé-riens et de leurs complices de Vichy, qui ne voulaient pas que les juifs français restent des Français comme les autres. Quant aux déportés juifs d’origine étrangère, la per-ception qu’on s’en fait semble plus floue. À vrai dire, on en parle peu, ou pas : la France de 1945 est avant tout une France tricolore. Nul n’en a conscience, mais un conflit des mémoires commence dès ce moment entre la mémoire résistante de la déportation – qui va prédominer jusqu’aux années 1970 – et la mémoire juive de la Shoah, qui pren-dra le dessus par la suite. Si l’on demande aujourd’hui à un lycéen qui furent les vic-times de la déportation, il répondra sans hésiter : les Juifs. Mais son homologue de 1945 aurait répliqué : les résistants.Ajoutez à cela un premier enjeu de mémoire immédiate. Le camp d’Auschwitz a été libéré le 27 janvier 1945, mais il n’est guère question de cet événement dans la presse française

avant avril. Celle-ci demeure soumise à la censure. Or le gouvernement ne souhaite pas que soient diffusés des témoignages ou des photos sur cette gigantesque usine de la mort. Une première raison à cela : Auschwitz a été libéré par l’Armée rouge, et on subodore que les images diffusées par Moscou relèvent de la propagande (seuls l’Humanité et les quo-tidiens sympathisants, comme Libération, en feront état). Autre motif : on craint que

anniversaire70e

Gu

illa

um

e D

iam

ant-

Ber

ger

x 3

DR

2015

70e

TRANSMETTRE. De g. à dr. : Maurice Cling, Bertrand Herz et Raymond Huard : déportés raciaux ou résistants, ils témoignent, dans le cadre de l’exposition « Lutetia, 1945 », de leur passage par le palace parisien.

« Lutetia, 1945.  Le retour des déportés ». Cette exposition itinérante est à découvrir à Paris en avril et mai. Plus d’informations sur :http://lutetia.info

Page 6: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

DOSSIER

20 HISTORIA MAI 2015

Un grand bâtisseur nommé Napoléon

QUAND PARIS DOMINAIT LE

MONDE

Page 7: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

Nap

oléo

n : P

atri

ce M

auri

n-B

erth

ier/

Ser

vic

e de

pre

sse

de C

arn

aval

et - T

uil

erie

s : p

hot

o R

MN

- Dan

iel A

rnau

det/

Her

vé L

ewan

dow

ski

MAI 2015 HISTORIA 21

Le rêve de Napoléon ? Transformer Paris en écrin

somptueux de l’Empire, éblouissant de beauté et de

faste. À une époque où l’Europe rayonne sur le monde, la

Ville Lumière devient le point de rendez-vous incontour-

nable des « puissants » assujettis à l’Empereur. Dans

ces premières années du XIXe siècle, tous les chemins

mènent à Paris : qu’ils soient politiques, diplomatiques,

culturels ou commerciaux. Le grand bâtisseur entend

faire de sa capitale un modèle du genre en termes de

modernité et de qualité de vie. La cité médiévale a vécu.

Assainir, embellir, agrandir. La nouvelle Rome est en

marche. Les chantiers y sont légion, et cela bien avant

les travaux du baron Haussmann : « Depuis la place de

la Bastille jusques et y compris la place Louis-XV, les

pierres de taille occupent le terrain des boulevards, de

telle manière que trois voitures peuvent rarement pas-

ser de front, et que deux s’y trouvent embarrassées »,

relate le préfet de police Pasquier. Au fil de nos pages,

qui accompagnent l’exposition du musée Carnavalet

« Napoléon et Paris. Rêves d’une capitale », vous allez

découvrir des documents exceptionnels, dont certains

proviennent de son Cabinet des arts graphiques, habi-

tuellement fermé au public. Un privilège… et un voyage.

Éric PincasRédacteur en chef

Th

om

as

Sa

lva

Page 8: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

DOSSIER NAPOLÉON ET PARIS

30 HISTORIA MAI 2015

L’auteur

Architecte, spécialiste de l’époque moderne, il enseigne à l’École

nationale supérieure d’architec-

ture de Paris-Belleville.

Par Jean-Philippe Garric

Le bâtisseur du « Grand Paris »

DR

Page 9: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

MAI 2015 HISTORIA 31

Les changements qui i n t e r v i e n n e n t e n moins de quinze ans sont considérables : la première grande voie

parisienne rectiligne (la rue de Rivoli), des monuments aussi marquants pour le paysage de la capitale que l’église de la Madeleine, la Bourse, le palais Bourbon, l’arc de triomphe de l’Étoile, ou encore plusieurs kilomètres de quais sur les bords de la Seine, et même le premier système d’égout et d’adduction d’eau moderne.

Propagande de pierreÀ cette époque, la commu-

nication politique dispose de canaux beaucoup moins nom-breux qu’aujourd’hui : au len-demain de la Révolution, la construction de monuments et l’aménagement d’espaces publics demeurent les princi-paux moyens d’expression du pouvoir. C’est, par conséquent, un domaine qui prête à contro-verse. L’opinion publique s’en préoccupe et, dès 1749, Voltaire lui-même réclame (dans son ouvrage Des embellissements

Par Jean-Philippe Garric

L’Empereur, soucieux de léguer à la postérité une capitale agrandie et modernisée,

ne lésine pas sur la dépense : 130 millions de francs investis

en dix ans !

Le bâtisseur du « Grand Paris »

VISIONNAIRE Les orientations artistiques et urba-nistiques voulues par l’Empereur sont magnifiées sur les plafonds de la salle Denon, au Louvre (commandés en 1862 au peintre Ch. Müller). Le conquérant de l’Europe a voulu marquer l’entrée de la cité dans une ère nouvelle.

Jean

-Bap

tist

e W

oloc

h/

Mu

sée

Car

nav

alet

Pet

it P

alai

s /

Rog

er-V

ioll

et

Page 10: Un grand bâtisseur nommé Napoléon. Quand Paris dominait le monde

LES COUACS DE L’HISTOIRE Par Joëlle Chevé

98 HISTORIA MAI 2015

Aux journalistes qui le rencontreront, le militaire invoquera le froid, l’attente, le stress – et, curieusement, aucun reproche ne lui sera fait…

Le vendredi 22 novembre 1963, Keith Clark, considéré comme le plus talentueux clairon de l’armée américaine, est chez lui lorsqu’il apprend l’assas-

sinat de John Kennedy. Aucun doute dans son esprit : ce sera lui qui exé-cutera la sonnerie aux morts (appe-lée Taps en américain et jouée depuis 1874) lors des funérailles du pré-sident. Aussitôt, il fait rafraîchir sa coupe de cheveux et repasser son uni-forme. Il ne se soucie pas de répéter les mesures de cet air qu’il a tant de fois exécuté à la perfection.De son côté, Jackie Kennedy a orga-nisé les obsèques de son mari avec un souci de dignité et de grandeur qui ne lui a fait négliger aucun détail. Sauf la convocation dudit clairon, qui n’apprend que le mardi 25 novembre à 2 h 30 du matin qu’il doit se tenir prêt dès 12 h 15 dans le cimetière d’Ar-lington. Exécution ! Le temps est gla-cial. Sinistre. À l’image du peuple

amé ricain pleurant son président. Lorsque le cercueil, recouvert de la bannière étoilée, fait son entrée dans le cimetière, il est 15 heures passées. Keith Clarke, en simple uniforme – les militaires n’ont pas reçu l’ordre de revêtir leurs manteaux –, a les doigts et les lèvres glacés, autant de froid que d’appréhension.Les longues heures d’attente lui ont fait prendre conscience de sa redou-table mission. Contrairement aux joueurs de cornemuse, qui accom-pagnent le cortège funéraire, il sera seul le moment venu, et ce, devant les plus grands de ce monde, rois, reines, présidents et autres personnalités venus rendre un dernier hommage

au charismatique trente-cinquième prési dent des États-Unis.Le sergent Clark en est là de ses sombres réflexions quand éclatent soudain les salves de canon saluant l’arrivée du cercueil. Enfer et damna-tion ! Pour tout arranger, le voilà sourd ! Le silence tombe sur l’assis-tance tandis que l’on descend lente-ment la bière dans sa dernière demeure et que s’élèvent les pre-mières notes de la sonnerie aux morts. À la sixième, un canard déchire la solennelle et dramatique harmonie ! Sans broncher, Clark achève ce qui, pour lui, d’un honneur est devenu un supplice. Aux journa-listes qui l’interrogeront par la suite et tout au long de sa vie – il meurt en 2002 –, il invoquera le froid, l’attente, le stress – et, curieusement, aucun reproche ne lui sera fait.Il est vrai que, lors de ces obsèques mémorables, toute l’attention du public est concentrée sur Jackie Kennedy. Les images de la veuve en grand deuil et du petit John John saluant la dépouille de son père, relayées par les télévisions du monde entier, ont soulevé une telle admira-tion que le couac, entendu lui aussi par des milliards d’individus, loin d’être considéré comme une incon-gruité entachant la cérémonie, lui a ajouté un supplément d’humanité. Ainsi conclut l’écrivain James L. Swanson : « Cette fausse note est en quelque sorte le symbole de ce que signifiait ce week-end pour le peuple américain. C’est comme un cri humain. C’est comme si le joueur de clairon pleurait. C’était une fin par-faite pour ces quatre jours » ! L

Quinze jours avant l’assassinat, le sergent Clark jouait à la perfection. Mais devant le cercueil du président, ce n’est plus du tout la même musique.

Un canard aux obsèques de JFK