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Par Claire Villemant . Les nids d’abeilles solitaires et sociales O utre l’Abeille domestique, plus de 25 000 espèces d’abeilles, appartenant à une dizaine de fa- milles, collectent du pollen et du nec- tar qu’elles emmagasinent pour nourrir leur progéniture. La plupart sont solitaires et creusent leur nid dans le sol. D’autres l’installent dans des arbres creux ou dans des galeries qu’elles forent dans le bois mort, quelques-unes les façonnent avec de la résine ou de la boue mélangée de cailloux. À l’intérieur du nid, les pa- rois des cellules sont faites de sécré- tions de cire ou construites avec des fragments de feuilles, des pétales ou Insectes 13 n°137 - 2005 (2) Après Les nids d’Hyménoptères de la collection historique du Muséum national d’histoire naturelle (Insectes n° 135) et Les nids de guêpes soli- taires et sociales (Insectes n° 136), Claire Villemant nous invite à explo- rer, dans leur variété, les modes de nidification des abeilles solitaires et sociales. De la galerie souterraine à la ruche… Une abeille coupeuse de feuilles ramenant dans son nid un morceau de limbe de buddleia Cliché D. Jones à www.mybitoftheplanet.com Entrée d’un nid de Trigona fulviventris (Mélipones) - Cliché M. Breed à www.animalbehavioronline.com Plusieurs familles enfin (Halictidés, Mégachilidés, Anthophoridés, Apidés) renferment des espèces cleptopara- sites ou abeilles-coucous, qui ne construisent pas de nid et utilisent celui d’autres espèces pour le déve- loppement de leurs larves. de la résine. Chaque cellule renferme un bloc de pollen sur lequel se déve- loppe une larve. Au sein d’une même famille, les modes de nidification sont souvent très variés. Certaines es- pèces ont une vie communautaire, plusieurs femelles vivent alors dans le même nid, chacune fabriquant et approvisionnant ses propres cellules où elle dépose ses œufs. Quelques représentants des Halictidés et Anthophoridés et de nombreux Apidés ont une vie sociale mais seules les sociétés les plus élaborées (Abeille domestique, Mélipones) for- ment des colonies pérennes.

Une abeille coupeuse de feuilles ramenant Les nids d ... · L’importance de la colonie varie beaucoup d’une espèce de bourdon à l’autre (entre 100 et 600 individus). Bombus

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Par Claire Villemant .

Les nids d’abeilles solitaires et sociales

O utre l’Abeille domestique, plusde 25 000 espèces d’abeilles,

appartenant à une dizaine de fa-milles, collectent du pollen et du nec-tar qu’elles emmagasinent pournourrir leur progéniture. La plupartsont solitaires et creusent leur niddans le sol. D’autres l’installent dansdes arbres creux ou dans des galeriesqu’elles forent dans le bois mort,quelques-unes les façonnent avec dela résine ou de la boue mélangée decailloux. À l’intérieur du nid, les pa-rois des cellules sont faites de sécré-tions de cire ou construites avec desfragments de feuilles, des pétales ou

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Après Les nids d’Hyménoptères de la collection historique du Muséumnational d’histoire naturelle (Insectes n° 135) et Les nids de guêpes soli-taires et sociales (Insectes n° 136), Claire Villemant nous invite à explo-rer, dans leur variété, les modes de nidification des abeilles solitaires etsociales. De la galerie souterraine à la ruche…

Une abeille coupeuse de feuilles ramenantdans son nid un morceau de limbe de buddleiaCliché D. Jones à www.mybitoftheplanet.com

Entrée d’un nid de Trigona fulviventris(Mélipones) - Cliché M. Breed à www.animalbehavioronline.com

Plusieurs familles enfin (Halictidés,Mégachilidés, Anthophoridés, Apidés)renferment des espèces cleptopara-sites ou abeilles-coucous, qui neconstruisent pas de nid et utilisentcelui d’autres espèces pour le déve-loppement de leurs larves.

de la résine. Chaque cellule renfermeun bloc de pollen sur lequel se déve-loppe une larve. Au sein d’une mêmefamille, les modes de nidificationsont souvent très variés. Certaines es-pèces ont une vie communautaire,plusieurs femelles vivent alors dansle même nid, chacune fabriquant etapprovisionnant ses propres cellulesoù elle dépose ses œufs. Quelquesreprésentants des Halictidés etAnthophoridés et de nombreuxApidés ont une vie sociale maisseules les sociétés les plus élaborées(Abeille domestique, Mélipones) for-ment des colonies pérennes.

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■ Les mégachiles ou abeilles cou-peuses de feuilles nidifient dansdes terriers ou dans d’anciennesgaleries d’insectes xylophages. Lagalerie, cylindrique, est remplie decellules en forme de tonneletsfaites de rondelles de feuillesfraîches que les femelles décou-pent à l’aide de leurs larges mandi-bules à bord tranchant. Ces décou-pages circulaires sur le bord desfeuilles (de rosiers notamment)sont bien connus des jardiniers.Chaque espèce recherche desfeuilles de végétaux particuliers :Megachile versicolor préfère ainsiles rosiers et les prunelliers tandisque M. analis découpe surtout lesfeuilles de bouleau et de chêne.

Les Chalicodomes ou Abeilles ma-çonnes façonnent leur nid, souventréunis en colonies plus ou moinsnombreuses, contre un mur ou unrocher. Ils sont faits d’un mortiercomposé d'un mélange de sable,d'argile et de petits cailloux humi-difié par du nectar et de la salive.Les cellules cylindriques sont remplies de pollen et de nectarpuis refermées dès qu’un œuf a été déposé. L'ensemble est ensuiterecouvert d’un crépi plus dense,formant une masse de terre extrê-mement dure. En Europe, le nid de Chalicodoma parietina, laMégachile des murailles, a la tailleet la forme d’un d’œuf de poulecoupé en deux.

Chez les osmies, les cellules dunid sont, selon les espèces, faitesde terre gâchée, de fragments defeuilles ou de pétales mastiqués.Elles sont façonnées dans diversescavités du sol ou de rochers, dansdes tiges creuses ou même dansdes coquilles d’escargot vides. Auprintemps, l'Osmie tridentée,Osmia tridentata, construit ses cel-lules en ligne dans les tiges deronce creuses à l'aide d'argile ma-laxée avec de la salive. Commed’autres espèces façonnant un nidlinéaire, la femelle pond des œufsfécondés (qui donneront des fe-melles) au fond du nid et des œufs

■ Les Colletidés creusent leur niddans le sol. Colletes cunicularius,qui vole très tôt au printemps, re-cherche exclusivement le pollen etle nectar des fleurs des saules. Ellecreuse son nid dans les sols sa-blonneux meubles et se sert de sacourte langue pour façonner descellules dont des parois trèsminces ressemblent à de la cello-phane. Cette abeille, jadis com-mune, est très menacée par la dis-parition de ses sites de nidification.

■ Les Andrenidés et les Halictidésfont dans le sol des nids très simplesformés d’une galerie ramifiée à l’ex-trémité en plusieurs branches termi-nées par une cellule, qu’elles appro-visionnent avec du “pain d’abeille”(boulettes de pollen mêlé de miel).Andrena vaga (Andrenidé) commeDasypoda hirtipes (Halictidé) sont

Colletes cunicularius à la sortie de son nid (en haut). En bas à gauche, moulage de la galerieprincipale et à droite entrée de nid. - Clichés N. Vereecken

des espèces grégaires qui nidifienten “bourgades” dans les sols sablon-neux. L’entrée de la galerie, qui estentourée d’un petit monticule desable, s’enfonce de 20 à 60 cm dansle sol. Dans le nid de Dasypoda hir-tipes, le pain d’abeille repose sur troispetits pieds, ce qui évite probable-ment un moisissement prématuré.Certains Lasioglossum (Halictidés),qui creusent leurs nids dans des solsplus argileux, entourent l’entréed’une cheminée de quelques centi-mètres de haut.

■ Les Mégachilidés sont, parmiles abeilles solitaires, celles quiproduisent les constructions lesplus élaborées. On reconnaît lesfemelles à leur brosse à pollen(scopa), située à la face ventrale del’abdomen et non sur les pattespostérieures.

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non fécondés (mâles) près de lasortie. Les mâles se développantplus vite que les femelles, ils lais-sent ainsi la voie libre à leurssœurs quand celles-ci quittent lenid à leur tour.

Les anthidies cotonnières commeAnthidium punctatum façonnentleurs cellules dans une cavité du solà l’aide de poils de végétaux qu’ellesraclent avec les mandibules et rap-portent au nid sous forme de bou-lette. Chaque cellule ressemble àun tampon d’ouate creux. Lorsquetoutes les cellules sont approvision-nées et refermées, l’Anthidie ponc-tuée cache l’entrée de son nid àl’aide de morceaux de bois et de pe-tits cailloux. D’autres espècesconstruisent leur nid avec de la ré-sine sur un tronc, une pierre ou unrocher. Le nid d’A. strigatum com-

L’Osmie rousse, Osmia rufa, est l’une desabeilles solitaires les plus communes sur-tout en zone urbanisée. Elle installe son niddans toutes sortes de cavités (bambou,galeries de xylophages, serrures…). Ellenidifie volontiers dans des nids artificielsfaits de tiges de bambou coupées ou deblocs de bois percés de trous. Pour l’attirerdans les jardins et améliorer la pollinisationdes plantes à fruits, on commercialise desnids faits de tubes en matière plastiquetapissés de carton dont le diamètre luiconvient parfaitement.

prend ainsi une dizaine de cellulesovoïdes disposées en plusieurs ran-gées régulières. Chacune se terminepar un petit tube qui sert de chemi-née d’aération à la larve. De petitsfragments d’écorce incorporés à larésine donnent aux cellules une cou-leur qui les confond avec le substrat.

Trachusa byssina nidifie en groupedans les sols sableux. Chaque fe-melle creuse une galerie dans le solqu’elle étaye à l’aide de rouleaux defeuilles faits de bandes qu’elle dé-coupe généralement sur les bou-leaux. Puis elle transporte de la ré-sine et l’utilise pour tapisserl’intérieur des cellules et façonnerles cloisons de séparation.

■ La plupart des Antophoridés ni-dicoles creusent leur nid dans lesol. Certains, comme Anthophora

plagiata, prolongent leur galeriepar une cheminée de boue à lamanière des guêpes du genreOdynerus (Euméninés). Les xylo-copes ou abeilles charpentièressont de robustes espèces au corpsnoir violacé. Elles sont appelées ca-bridans en région méditerra-néenne. Les femelles creusentdans le bois mort une galeriequ’elles divisent en une dizaine de

Andrène vague - Cliché N. Vereecken“Bourgade” d’Andrène vague sur terrain sableuxCliché N. Vereecken

Osmie rousse sur nid artificiel en tiges de bambou - Cliché Y. BarbierVue interne d’un nid d’Osmie Cliché Ch. Larcher/OPIE

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cellules par des cloisons de sciureagglutinée avec de la salive. Les xy-locopes n'attaquent jamais le boisen bon état. L'espèce la plus com-mune en France, le Xylocope violetXylocopa violacea, est l'une desplus grosses abeilles d'Europe.

■ Les Apidés produisent toutes dela cire qui sert à la construction

des cellules du nid ou des alvéolesde la ruche. Sécrétée par desglandes cirières abdominales,celle-ci sort sur la face ventrale desfemelles sous forme de lamellesqui sont triturées à l’aide des man-dibules en forme de cuillère. LesApidés sociaux sont représentésen Europe par l’Abeille domes-tique et les bourdons (Apinés) et,

en région tropicale, par les méli-pones (Méliponinés) et diversesespèces d’Apinés. En Amérique duSud, les Mayas et les Aztèques éle-vaient des mélipones dans despots de terre cuite pour leur miel.

Les Bourdons sont des abeilles tra-pues dont la fourrure et les avan-tages de la vie en société leur per-mettent de vivre dans les régionsau climat rigoureux. Leurs colo-nies sont annuelles. Seules les fe-melles fécondées survivent et pas-sent l’hiver dans un abri. Auprintemps la fondatrice rechercheune cavité (souvent un nid de ron-geur abandonné) qu’elle tapisse demousse et de poils. Elle entasse dupollen mélangé de miel dans unecoupelle de cire où elle dépose sespremiers œufs avant de la refer-mer. Une autre cellule remplie demiel sert de réserve de nourriture.La reine se consacre ensuite à laponte et aux soins à sa progénitureet les ouvrières assurent l'approvi-sionnement et l’entretien du nid,constitué d’un ensemble de cou-pelles de cire contenant soit plu-sieurs larves soit une réserve demiel. L’importance de la colonievarie beaucoup d’une espèce debourdon à l’autre (entre 100 et600 individus). Bombus hortorumest l'une des 35 espèces françaises.

L’Abeille domestique, Apis melli-fera, vit en colonies permanentesatteignant jusqu’à 50 000 indivi-dus. Les espèces du genre Apissont les seules à fabriquer des gâ-teaux de cire pure disposés enrayons verticaux réguliers et com-posés d’alvéoles hexagonales oùsont placés couvain et provisionsde miel. À l’état sauvage lesabeilles construisent leur nid dansdes arbres creux. Ils se composentde rayons de cire suspendus sansenveloppe de protection et formésde deux couches de plusieurs cen-taines d’alvéoles ouvertes vers l'ex-térieur. Dans ses ruches, l'apicul-teur installe des plaques de ciregaufrée tendues sur des cadresque les ouvrières adoptent sponta-

Xylocope (Xylocopa sp.) s’apprêtant à rentrer dans son nid creusé dans une branche morte(Malaisie) - Cliché D. Behrens

Pour en savoir plus

• Bellmann H., 1999. Guide des abeilles,bourdons, guêpes et fourmis d’Europe.Delachaux et Niestlé, Paris, 336 p.

• Michener C.D., 2000. Bees of the world.John Hopkins University Press,Baltimore, 913 p.

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nément pour y construire des al-véoles de part et d'autre.

■ Les mélipones, sont appelées enanglais stingless bees car elles sontincapables de piquer. Leur dard estatrophié mais elles défendent vi-goureusement leur nid en mor-dant leur adversaire. Les colonies,qui renferment entre 500 et 4 000individus selon les espèces, sontgénéralement installées dans descavités ou des troncs creux dontl’entrée est souvent rétrécie parune cheminée en entonnoir faited’un mélange de cire et de propolis(mélange de gomme collectée surles bourgeons et de résine). La sor-tie est gardée par des ouvrières quirégurgitent parfois un mélangepoisseux qu’elles lâchent sur leursassaillants. La structure du nid,bien que plus complexe, se rap-proche de celle des bourdons. Ilcomprend des cellules ovoïdesdans lesquelles sont stockés le mielet le pollen et des cellules d’élevageregroupées ou non en rayons etprotégées par un manchon (involu-crum). Les colonies de méliponessont pérennes et donnent nais-sance à de nouvelles colonies paressaimage. Mais contrairement àl’Abeille domestique, des ouvrièresquittent la colonie mère pourconstruire un nouveau nid avantl’arrivée de la jeune reine. r

Nombre approximatif d’espècesdécrites dans chacune des principales familles d’abeillesColletidés : 2 000 (100 en Europe)Andrenidés : 2 000 (200 en Europe)Halictidés : 3 500 (160 en Europe)Mégachilidés : 6 000 (230 en Europe)Anthophoridés : 6 000 (200 en Europe)Apidés : 1 000 (70 en Europe)

Nid de bourdons - Cliché S. Carré/INRA

Sphecodes albilabris, abeille-coucou de Colletes cunicularius et de Melitturga clavicornis Cliché N. Vereecken

Larve de Dasypoda hirtipes (Hym. Melittidé) dans sa loge. Cette abeille creuse ses nids dansdes sols sableux. Une galerie principale mène à plusieurs galeries latérales au bout desquellessont construites de 2 à 4 cellules. Chaque cellule contient un pain de pollen au-dessus duquelest déposé un œuf. - Cliché D. Michez et M. Gosselin