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UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE UFR SCIENCES DES ORGANISATIONS
DRM – UMR CNRS N° 7088 – DAUPHINE RECHERCHES EN MANAGEMENT CREPA – Centre de Recherche en Management & Organisation
N° attribué par la bibliothèque
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
THÈSE
pour l’obtention du titre de
DOCTEUR ès SCIENCES DE GESTION (Arrêté du 07 août 2006)
Présentée et soutenue publiquement par
Loïc PLÉ
LA COORDINATION D'UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : LE CAS DE LA BANQUE DE DÉTAIL
Tome 1 : Document principal
JURY
Directeur de thèse : Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université de Paris-Dauphine Rapporteurs : Éric LAMARQUE Professeur à l’Université de Bordeaux-IV Véronique des GARETS Professeur à l’Université de Tours Suffragants : Michel KALIKA Professeur à l’Université de Paris-Dauphine
Olivier ASSELIN Directeur Régional, Banque Scalbert Dupont
le 23 novembre 2006
L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
Remerciements
I
REMERCIEMENTS
Rétrospectivement, la réalisation d’un travail doctoral a ceci de paradoxal qu’il
débouche sur un aboutissement temporaire. Aboutissement, car la soutenance marque la fin
d’un cycle dont tout individu ne ressort à l’identique de ce qu’il était en y pénétrant.
Temporaire, car participant d’une dynamique de recherche, il ne peut prétendre ni à
l’exhaustivité, ni à conclure définitivement toute discussion sur le propos qu’il défend (bien
au contraire !).
Tout au long de cette période, le doctorant se construit à la fois en tant que chercheur,
mais aussi en tant que personne. Les contacts et les relations noués influencent, consciemment
ou inconsciemment, et à des degrés variables, son évolution, ses schémas de pensée, ses
centres d’intérêt, etc. Il s’agit donc d’un processus de maturation intellectuelle personnel,
indéniablement encastré dans un réseau relationnel. L’étendue de ce réseau est vaste, mais je
m’efforcerai de n’omettre personne dans les lignes qui suivent.
En premier lieu, mon directeur de thèse, Président de l’Université Paris-Dauphine, le
Professeur Bernard de Montmorillon. L’enseignement qu’il m’a dispensé en DEA, sa
considération vis-à-vis de ses étudiants, ses méthodes pédagogiques, son perpétuel esprit
critique, déterminèrent ma décision de poursuivre sur la voie doctorale sous sa direction. Pour
son suivi, ses conseils, sa patience, sa compréhension, son soutien permanent face aux
multiples et nombreuses difficultés, ses remarques constructives, je tiens à le remercier
chaleureusement et respectueusement.
J’ai eu la chance dans les premiers mois de ma thèse de rencontrer le Professeur
Lamarque. Ses remarques et conseils avisés m’ont permis de m’ouvrir sur plusieurs pans des
Sciences de Gestion, et de stimuler ma curiosité intellectuelle. Je lui suis donc très
reconnaissant d’avoir accepté de participer à ce jury en tant que rapporteur. Je tiens également
à exprimer ma profonde gratitude au Professeur des Garets pour avoir accepté d’endosser
cette lourde responsabilité.
Les membres du CREPA, mon laboratoire de recherche, furent d’une aide précieuse.
Je souhaite adresser de vifs remerciements au Professeur Romelaer, pour le temps qu’il m’a
accordé à de multiples reprises afin de discuter de mes travaux et des difficultés auxquelles
j’étais confronté. Ses conseils pour les surmonter s’avérèrent toujours judicieux. Quant au
Professeur Kalika, son écoute et sa lecture critiques ont, en pointant de manière constructive
Remerciements
II
les failles de ma recherche, été à l’origine de remises en cause, d’interrogations et
d’approfondissements qui ont contribué à enrichir ce document. Je suis à la fois heureux, et
très honoré de le compter parmi les membres de mon jury.
Nombreux sont également les docteurs et doctorants qui m’ont aidé à m’orienter vers
la lumière alors que l’obscurité me paraissait insondable, et la tâche insurmontable. Il est
toujours rassurant, encourageant et motivant de constater que d’autres rencontrent les mêmes
difficultés, et parviennent à les surmonter. Isabelle Lefebvre, Olivier Joffre, Xavier Lepers,
Fatma Jaziri, Nabila Boukef, Julie Tixier, Gaël le Boulch, Stéphanie Dameron sont au premier
plan de ceux-là. Ce ne sont certainement pas les seuls, mais que les autres me pardonnent, car
la liste est longue, preuve de la vigueur du laboratoire.
Les séminaires EDOGEST, de l’école doctorale, furent également une mine de savoir
et de stimulation. Leur variété représenta longtemps pour moi une bouffée d’oxygène,
permettant de m’extraire du flot de mon travail personnel pour m’intéresser à des recherches
totalement distinctes. Merci à leurs différents animateurs, et à l’ensemble des personnes qui y
présentèrent, que je ne peux malheureusement remercier individuellement ici.
J’ai en outre bénéficié de l’immense opportunité d’assister aux séminaires du CEFAG,
organisés par la FNEGE. Ce fut exceptionnel à tout point de vue. Professionnellement et
intellectuellement, l’enrichissement fut indescriptible. Humainement, l’expérience fut
certainement la meilleure de mes années de thèse. Les professeurs présents y brillèrent par
leur connaissance, mais aussi et surtout leur humilité, courtoisie et accessibilité. Mes pensées
vont particulièrement vers Raymond-Alain Thiétart, Pierre Batteau et Bernard Forgues, sans
oublier l’ensemble de ceux qui nous ont fait profiter leur savoir au cours de ces trois
séminaires. Quant aux doctorants présents, ce fut un plaisir de partager avec eux ces trois
semaines, et bien plus : Anne Bartel-Radic, Manuel Cartier, Corentin Curchod, Philippe
Drago, Sandrine Emin, Sandrine Hollet, Aude Hubrecht, Olivier Joffre, Xavier Lecocq, Tessa
Melkonian, Lars Meyer-Waarden, Angélique Rodhain, Fabienne Villesèque, Annabel
Salerno, Samuel Sponem, Déborah Wallet-Wodka.
Je tiens aussi à associer à ces remerciements plusieurs collègues, certains étant
devenus des amis au fil du temps, et dont la relecture me fut des plus précieuses : François
Deltour, Caroline Roussel, Jacques Angot, Denis Lapert.
L’accès au terrain est une étape essentielle pour toute thèse en gestion, mais n’en est
pas pour autant la plus aisée. Si les contraintes d’anonymat nous empêchent de citer toutes les
Remerciements
III
personnes qui nous ont permis cet accès aux données, elles n’en sont pas pour autant oubliées,
et je les associe cordialement à ces remerciements. Parmi elles, Olivier Asselin, Directeur
Régional à la Banque Scalbert Dupont, fut d’une aide extrêmement précieuse, et le compter
comme membre de mon jury constitue un plaisir et un honneur.
Merci également à l’ensemble de mes collègues de l’IESEG, pour leur soutien et leur
grande compréhension durant cette dernière année, et plus encore ces derniers mois.
En dehors du sérail universitaire et professionnel, ma famille et mes amis m’ont
largement soutenu... et supporté, littéralement ! A mon père, ma mère, mes grands-parents,
auxquels je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû expliquer le cheminement de la thèse
et les difficultés de sa réalisation, sans compter la nature de mon sujet... Merci !
Enfin, mon épouse, Anne-Sophie, fut une extraordinaire source de soutien moral et de
réconfort, sans laquelle je n’aurais pu aller au bout, et notre petite fille, Lilou, fut sans aucun
doute l’ultime moteur de ma motivation à mener à son terme ce périple doctoral.
Sommaire
IV
SOMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................ 1
PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE ........................................................................................... 11
CHAPITRE PREMIER :DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL..................................................... 13
SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL........................14 SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL. ...................................................................................................41
CHAPITRE DEUXIÈME :PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE ................................................................................................................. 71
SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL. .............................................72 SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS BANQUE GÉNÉRALE DU NORD (BGN) .................................................................................................................................99
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE................................................................. 143
DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DE LA PROBLÉMATIQUE ................................................................. 144
CHAPITRE TROISIÈME :LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE......................................................................................................................................................................................................................................................... 146
SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT. .............................................................. 147 SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.............................................168 SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT ................................................................................................................192
CHAPITRE QUATRIÈME :LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT.......................................................................................................................... 219
SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE. .............................................................................................................220 SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE ............................ 245
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE................................................................. 260
Sommaire
V
TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS............................ 261
CHAPITRE CINQUIÈME :POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE...................................................................... 263
SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE ............................................................................................................................... 264 SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES............................................286 SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES...................................................299
CHAPITRE SIXIÈME :ÉTUDES DE CAS....................................................................... 309 SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE (BCR) ................................ 310 SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER NATIONAL (EFN)..........................362 SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE.................................................413
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................. 438
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................... 444
Introduction générale
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« Chercher, c’est laisser votre curiosité vous aiguiller
sur des voies qui se révéleront plus tard intéressantes
ou non. C’est douter. C’est aussi savoir à l’avance que
ce que l’on sait déjà ne suffira probablement pas pour
comprendre, et qu’il va falloir apprendre autre chose,
s’intéresser à d’autres voies de recherches, à d’autres
approches spécialisées, à d’autres techniques, à
d’autres outils mathématiques... Lorsque j’aurai
trouvé, je saurai alors que ce que je savais hier a été
nécessaire mais aussi insuffisant pour que je puisse en
tirer des conclusions qui éclairent les choses sous un
jour nouveau » (Évry Schatzman, 1992 : 16)
nne a travaillé tard pour préparer une réunion importante. A
22 heures, elle décide d'aller sur le site Internet de son
opérateur de téléphonie mobile pour consulter le détail de ses
communications, car sa dernière facture lui semble élevée. Elle constate alors qu'elle ne peut
y accéder via Internet.
Le lendemain matin, elle appelle le service clients pour demander une facture
détaillée. Le téléconseiller propose de la lui envoyer par courrier et voyant que sa
consommation dépasse de beaucoup son forfait, lui suggère de modifier son abonnement.
Anne souhaite y réfléchir, d'autant qu'elle envisage également de changer son mobile.
Dans l'après-midi, Anne passe devant la boutique d'un revendeur. Elle rentre se
renseigner, et décide finalement d’acheter un nouveau mobile et de prendre un abonnement
plus adapté. Malheureusement, le revendeur n'a pas accès aux informations concernant son
abonnement et ne peut procéder à la modification de son contrat. Il contacte le centre
d’appels de l’opérateur pour essayer de les obtenir, mais le téléconseiller qui traite sa
demande lui explique qu’il ne peut rien faire pour lui. Si Anne tient vraiment à effectuer ces
Introduction générale
2
changements, elle doit tout d’abord elle-même recontacter le centre d’appels, afin de faire
procéder dans un premier temps à l’évolution de son contrat, puis revenir en magasin pour
changer son appareil.
Excédée, Anne rentre chez elle et envoie un e-mail à son opérateur pour exprimer son
mécontentement. Deux jours plus tard, elle n'a toujours aucune réponse ».
OBJECTIFS ET PROBLÉMATIQUE DE NOTRE RECHERCHE.
Bien que fictif, cet exemple, adapté de Collart et Lejeune (2001), est le reflet condensé
de quelques uns des avantages et inconvénients induits par une stratégie dite « multicanale1 ».
Ce type de stratégie renvoie, de manière succincte, à l’utilisation par une entreprise de
plusieurs canaux dans la gestion de ses contacts avec ses clients actuels et potentiels, canaux
qui sont autant d’interfaces assurant l’échange entre l’organisation et lesdits clients. Ils
peuvent prendre des formes aussi variées que celles de points de vente physiques, centres
d’appels, sites Internet, etc.
L’intérêt que vouent les entreprises au multicanal est justement étroitement lié à la
diffusion rapide de l’utilisation d’Internet, et aux économies apparemment prodigieuses
promises par ce nouveau média (Grewal et al., 2002 ; Sharma et Krishnan, 2002). Certains
auteurs le considèrent même comme à la fois l’élément déclencheur et le fer de lance des
stratégies multicanales (Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004), même s’il est plus
vraisemblable qu’il soit surtout le catalyseur et l’accélérateur de transformations qui lui
précédaient2.
De par sa nature, l’émergence du multicanal affecte fortement l’activité de distribution
d’une firme. Une stratégie de distribution multicanale permet à une entreprise de multiplier
les possibilités de contacts avec sa clientèle actuelle et potentielle, dans le but d’accroître ses
ventes et d’améliorer la qualité de la relation avec ses clients, tout en diminuant ses coûts
globaux de distribution (Stone et al., 2002). Le client, pour sa part, voit s’amoindrir, sinon
disparaître, certaines barrières (géographiques, temporelles, etc.), ce qui lui facilite l’accès
aux services de son prestataire (Badot et Navarre, 2002).
1 Le terme « multicanal » est un néologisme issu de la littérature, et qui se voit régulièrement décliné soit comme adjectif, soit comme substantif. L’utilisant comme tels, nous parlerons dans ce document du multicanal, de réseaux de distribution multicanaux, de stratégies multicanales, etc. 2 Par exemple, les entreprises de Vente Par Correspondance (VPC) ont commencé à utiliser plusieurs canaux avant l’avènement d’Internet (Vanheems, 1995)
Introduction générale
3
Mais pareille stratégie n’est pas dénuée de risques, dont la nature et l’intensité varient
selon les entreprises : « Les problématiques liées à la distribution sont de plusieurs ordres et
se posent différemment selon que l’entreprise existe ou qu’elle se crée. Il s’agit en effet soit
d’un canal de distribution complémentaire, soit d’un canal nouveau. Pour les entreprises
existantes, la question de la substitution ou de la complémentarité par rapport aux circuits
existants se pose » (Kalika, 2000 : 10). Ainsi, le risque de cannibalisation est patent, en ce que
les nouveaux canaux peuvent détruire la valeur des ressources financières précédemment
investies dans les canaux existants, et réduire de ce fait la rentabilité de l’entreprise, dans
l’hypothèse où les clients se détourneraient massivement des canaux existants au profit des
nouveaux canaux (Vanheems, 1995). L’émergence de conflits, ou encore l’absence de
coordination entre les canaux, constituent autant d’obstacles supplémentaires à la réussite
d’une stratégie multicanale. Obstacles que, à l’évidence, l’opérateur téléphonique d’Anne n’a
pas encore surmontés, à l’instar d’un nombre croissant d’entreprises, quel que soit leur secteur
d’appartenance (Montoya-Weiss et al., 2003).
Parmi ces secteurs où le multicanal est devenu la règle, ou presque, il en est un
particulièrement remarquable, au sens étymologique du terme : la banque de détail.
Historiquement marqué par l’existence d’un réseau physique par lequel transitaient toutes les
opérations, ce secteur a connu maintes évolutions découlant de l’innovation technique.
D’abord, au niveau des activités dites de back-office (n’ayant pas de liens directs avec le
client) à la fin des années 1960 et durant la décennie 1970, puis de plus en plus dans celles de
front-office (en contact avec le client), au cours des années 1980 et 1990. La révolution
numérique en cours depuis la fin de la décennie 1990 a pour sa part impacté ces deux activités
à la fois, ainsi que les échanges entre les personnels travaillant en back et en front-office (de
Fournas, 1998 ; Lallé, 1991 ; Zollinger et Lamarque, 2004).
De ces transformations, celle affectant la distribution des produits et services bancaires
est probablement la plus profonde (Badoc, 1997, 2004a). Elle n’est pas forcément récente,
puisque les premiers services bancaires à distance par minitel furent lancés en France en 1982
par le Crédit Mutuel de Bretagne (Lafitte, 1996). Mais ces services sont longtemps restés
assez basiques (essentiellement, de la consultation de comptes, ou de la réalisation de
virements), particulièrement coûteux pour le client, et relativement peu ergonomiques.
L’arrivée d’Internet, et plus largement la révolution technique dans le domaine des
technologies de l’information et des communications (TIC), a bouleversé la donne, ouvrant la
Introduction générale
4
voie à une palette plus étendue de services, plus simples et plus conviviaux d’utilisation. Elle
a aussi favorisé l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs bancaires et extra-bancaires,
nationaux et extranationaux, et suscité une polémique autour de la survie à terme des acteurs
historiques du marché. Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, plusieurs
analystes prévoyaient ainsi que le pouvoir, dans le secteur des services financiers de détail,
passerait rapidement entre les mains d’entrants innovants, offrant une interface bancaire
attractive, efficace et centrée sur le client (Hensmans et al., 2001). Leurs affirmations
s’appuyaient principalement sur les réussites d’établissements anglo-saxons dépourvus de
réseau d’agences comme First Direct ou Egg3.
En France, les acteurs du secteur se sont d’emblée positionnés dans une perspective
couplant réseau historique d’agences et nouveaux canaux, les agences restant néanmoins le
point d’ancrage de la relation. Plus exactement, confrontées à la double pression de l’arrivée
de ces nouveaux acteurs sur leur marché, et de la demande de leur clientèle qui réclamait plus
de souplesse dans l’accès aux services, les banques de détail françaises ont commencé à
développer des stratégies et organisations distributives multicanales. Et se sont dès lors
trouvées face aux problèmes que nous avons cités précédemment : risque de cannibalisation,
possibilités de conflits, et problèmes de coordination entre les canaux.
Avec un peu de recul, il s’avère qu’à ce jour, l’effet majeur des canaux de banque à
distance4 sur les points de vente fut d’en modifier le rôle, ceux-ci se voyant progressivement
recentrés sur des activités à plus forte valeur ajoutée comme le conseil et la vente (des Garets,
2005). La logique de complémentarité a semble-t-il pris le pas sur celle de substitution que
beaucoup redoutaient initialement (Bendana, 2004 ; Black et al., 2002). L’attachement des
clients à l’agence, notamment, reste très fort5. Subsistent en revanche les risques de conflit et
les problèmes de coordination entre les canaux, qui soulèvent de nombreuses questions et
défis tant managériaux que théoriques.
3 La réussite de ces établissements se fonde largement sur des problèmes structurels de la banque de détail anglo-saxonne, comme le montrent Larréché et al. (1997) dans le cas de la First Direct. 4 Nous regroupons sous cette bannière de banque à distance l’ensemble des outils qui permettent de réaliser des opérations bancaires en dehors de l’agence, soit : les centres d’appels entrants et sortants, les serveurs vocaux interactifs, le site Internet, les DAB / GAB (Distributeurs et Guichets Automatiques) situés en dehors des agences et non dépendants de leurs horaires d’ouverture, les services accessibles par télévision interactive, les services sur téléphone mobile. 5 Une étude réalisée par le Global Market Institute montrent que 74% des clients des banques françaises estiment primordial un contact privilégié avec son banquier, tandis que 57% redoutent qu’Internet devienne le seul moyen de communication avec sa banque (Newsletter de l’Atelier Groupe BNP-Paribas, édition du 18 10 2005)
Introduction générale
5
Sur un plan managérial, l’apprentissage par essais-erreurs semble la règle : « d’un
point de vue pratique, on assiste plutôt à de multiples essais, une sorte de bricolage dont les
résultats déterminent l’avenir. De ce point de vue, nous pouvons considérer que nous sommes
en pleine période d’apprentissage et les solutions qui émergeront ne sont pas encore
clairement identifiées» (Bénavent et Gardes, 2006 : 31).
Sur un plan théorique, bien que leur nombre aille croissant, les publications
académiques qui traitent des réseaux de distribution multicanaux restent encore relativement
peu abondantes. Et si il existe un accord relatif sur les caractéristiques générales de ces
réseaux, aucune définition ne fait consensus. De nombreux auteurs formulent leur définition à
partir de la nature des canaux qui constituent le réseau, plutôt que de caractériser le réseau en
tant que tel. L’absence d’un référentiel commun est ainsi susceptible de poser des problèmes
de comparabilité entre les recherches. En outre, sont généralement étudiés l’influence du
multicanal sur le comportement du consommateur (Burke, 2002 ; Lang et Colgate, 2003), sur
la relation entre le client et l’entreprise prestataire de service (Payne et Frow, 2004), ou enfin,
les avantages ou inconvénients issus d’une stratégie de distribution multicanale (Sharma et
Krishnan, 2002). Ces travaux mobilisent différentes perspectives. Une grande partie s’ancre
en marketing, comme Vanheems (1995) qui analyse les conséquences de la mise en place de
nouveaux canaux sur le comportement du consommateur, et en tire des recommandations
quant à l’organisation des canaux les uns par rapport aux autres. D’autres se positionnent en
systèmes d’informations, à l’instar de Bendana (2004 ; 2006) qui mobilise notamment les
travaux sur la substitution relative des médias pour montrer à quel point il est crucial pour les
banques de détail de combiner canaux traditionnels et canaux de banque à distance.
Cependant, ces recherches n’ont pas pour objet central l’étude de l’organisation et du
fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal. Elles n’apportent donc que des
éléments de réponse épars sur ce qui reste peu ou prou une « boîte noire ». Or, nombreux sont
les auteurs qui soulignent le besoin d’approfondissement des connaissances sur ces sujets,
sans toutefois s’y atteler véritablement eux-mêmes (e.g. Frazier, 1999 ; Nunes et Cespedes,
2003 ; Peterson et Balasubramanian, 2002).
Nous sommes donc confrontés à un problème managérial que nous situons dans un
contexte sectoriel particulier, auquel la littérature semble n’apporter qu’un nombre restreint de
réponses. Le premier objectif de cette thèse est ainsi de contribuer à lever un coin du
voile qui abrite cette boîte noire dans le cadre de la banque de détail, afin de tenter
d’apporter des réponses à ces questionnements managériaux et théoriques.
Introduction générale
6
N’étant pas en mesure de trouver dans la littérature, de recherches nous permettant
d’élaborer un cadre conceptuel ancré théoriquement en lien direct avec cette visée, nous avons
décidé d’aller au contact du terrain. Pour cela, nous avons réalisé une étude de cas
exploratoire sur les interrelations entre les canaux d’une banque de détail, procédant selon une
démarche proche de la Grounded Theory (Strauss et Corbin, 1998). Une telle démarche
participe schématiquement de l’idée que les données sont porteuses de théories aux destinées
desquelles préside le chercheur dans un processus d’explicitation de sens. Dans le cas présent,
l’analyse de ces données a conduit à plusieurs résultats, dont l’un a tout particulièrement
retenu notre attention : l’influence que semble jouer le client sur la coordination entre les
canaux.
Ce résultat nous a surpris, car si l’origine des difficultés entre les canaux est bien
souvent plus de nature humaine que technique (Lamarque et Maymo, 2005), les acteurs
considérés dans l’analyse sont les seuls employés qui font partie de l’organisation. Pourtant,
notre étude exploratoire nous a laissé présager que le client qui utilise plusieurs canaux est en
capacité d’influencer la perception de son conseiller à l’égard des autres canaux, en fonction
du retour d’expérience qu’il lui transmet. Cela se traduit chez certains conseillers par une
modification de leur comportement vis-à-vis de ces autres canaux, reflétée par une
détérioration de la qualité et une diminution de la quantité des échanges.
De cette étude exploratoire a donc germé l’idée que le client, bien que a priori acteur
extérieur à l’organisation, peut être légitimement réintégré dans l’analyse de la coordination
multicanale, du fait de l’influence qu’il paraît exercer sur certains des employés avec lesquels
il est en contact. A ce stade de notre réflexion, nous avons alors formulé la question de
recherche qui suit :
Dans quelle mesure le client peut-il influencer les interrelations entre les canaux
qui composent un réseau de distribution multicanal ?
Répondre à cette question appelle tout d’abord sa traduction théorique pour la
reformuler en tant que problématique précise de recherche (Chevrier, 1992). Après cette étape
marquée par un raisonnement inductif, nous avons donc entrepris un retour sur la littérature,
au cœur duquel furent placées deux catégories de travaux : l’une portant sur la participation
du client dans les activités de service, l’autre, sur la coordination intra-organisationnelle, entre
lesquelles nous nous sommes efforcés de tisser des liens.
Introduction générale
7
Les services se distinguent des biens matériels par leur intangibilité, leur hétérogénéité
(tous les services n’offrent pas le même niveau de qualité), leur périssabilité (il est impossible
de constituer des stocks de service), et la simultanéité de leur production et de leur
consommation (Eiglier et Langeard, 1987 ; Grönroos, 2001). Cette dernière pose la contrainte
de la présence du client au moment de la production du service6, à laquelle il prend une part
plus ou moins active. Certains travaux considèrent ainsi le client comme un « employé
partiel » de l’entreprise, transposant des techniques de management des employés pour gérer
efficacement sa participation (Bowen, 1986 ; Kelley et al., 1990). En d’autres termes,
l’entreprise de services est un « lieu de coordination de compétences pour le service de la
clientèle » (Montmorillon et Pitol-Belin, 1995 : 15), mais avec l’aide de cette même clientèle.
Néanmoins, en dépit des avancées multiples de la connaissance en ce domaine, Bowen
et Hallowell (2002) reprennent le constat dressé dix-sept ans auparavant par Peters et
Waterman (1985), dans leur ouvrage A la recherche de l’Excellence : « Aucune des théories
managériales actuelles ne nous aide beaucoup à expliquer le rôle du client dans l’entreprise
qui brille par son excellence7 ». Bowen et Hallowell remarquent que cette citation recèle
encore actuellement une part de vérité plus forte qu’elle ne devrait. Ceci est d’autant plus
surprenant, ajoutent-ils, que les entreprises de services contribuent à la création d’environ
75% du produit national brut des pays développés. Aussi, même si les travaux sur les
organisations de service intègrent de manière croissante le client dans leur réflexion, la tâche
reste immense à leurs yeux. Cela surprend d’autant plus que les entreprises désirent toujours
plus ardemment se centrer sur leurs clients (Gauzente, 2000, 2001 ; Jaworski et Kohli, 1993).
L’analyse de la littérature sur la coordination intra-organisationnelle nous fait partager
leur constat. Originellement fondée sur l’étude des organisations industrielles, un très large
pan de ces travaux n’abordent le client que comme simple récipiendaire de la production de
l’entreprise (Danet, 1981). Ce n’est pourtant pas faute d’appels répétés plaidant pour sa prise
en compte, dont certains émis par des auteurs de référence (Barnard, 1948 ; Bowen et Jones,
1986 ; Lefton et Rosengren, 1966 ; Parsons, 1956…). Or, qu’il s’agisse de l’étude du design
organisationnel (Mintzberg, 1979, 1980 ; Thompson, 1967 ; Van de Ven et al., 1976) ou de
celle des processus sociaux entre les acteurs (Gittell, 2000a, 2001, 2002a, b), sous-jacents à la
6 Encore appelée « servuction » (Eiglier et Langeard, 1987). 7 “No existing management theory helps much in explaining the role of the customer in the prototypical excellent company” (cité par Bowen et Hallowell, 2002 : 70).
Introduction générale
8
coordination, le client est quasi-systématiquement exclu de la réflexion (Joffre et
Montmorillon, 2001)
Nous faisons donc face à un besoin d’approfondissement théorique maintes fois
souligné, mais semble-t-il trop rarement mené. Un second objectif de cette thèse est donc de
participer à la mise en lumière et à l’explicitation du rôle du client dans la coordination
intra-organisationnelle. Le multicanal représente, dans cet esprit, un contexte
particulièrement adéquat du fait des interactions existant entre le client, d’un côté, et plusieurs
employés qui sont amenés à se coordonner pour lui offrir un service de qualité, de l’autre.
Ce qui nous amène à formuler notre problématique comme suit :
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés
en contact dans un réseau de distribution multicanal8 ?
Cette problématique s’avère compatible avec nos deux objectifs, puisque pour remplir
le second, il convient de passer par le premier, i.e. d’analyser la coordination du réseau de
distribution multicanal. Au demeurant, ces objectifs sont complémentaires, puisqu’une
meilleure connaissance du rôle qu’est susceptible de jouer le client dans la coordination entre
les employés des canaux devrait logiquement contribuer à améliorer le fonctionnement du
réseau dans son ensemble.
La confrontation de cette problématique avec la réalité empirique passe par la
réalisation de deux études de cas complétant l’étude exploratoire, menées au sein de deux
banques différentes. L’ensemble de ce travail mobilise donc une méthodologie qualitative.
RESTITUTION DU PROCESSUS DE RECHERCHE.
La restitution d’une recherche correspond à une rationalisation ex-post de la part du
chercheur (Schatzman, 1992), dont le principe est de relater linéairement un travail dont le
processus est marqué par des allers et retours entre la théorie et le terrain, des coups d’arrêts et
des accélérations, etc. Donc de relater linéairement un processus naturellement et
fondamentalement récursif. Cela revient, le plus souvent, à donner un aspect de structuration
a priori de l’objet de recherche (Allard-Poesi et Maréchal, 1999). 8 L’influence du client s’entendant ici au sens de Rosengren (1967), i.e. un pouvoir non légitimé, ne résidant pas dans la structure organisationnelle.
Introduction générale
9
Or, nous nous inscrivons dans un positionnement épistémologique interprétativiste.
Notre problématique ne procède pas de cette structuration a priori, mais d’une construction
progressive forgée sur l’interprétation du sens que donnent les acteurs rencontrés à leur réalité
(Giordano, 2003). Dès lors, nous avons opté pour une restitution que nous jugeons la plus
congruente possible avec notre positionnement, et dont l’apparente linéarité repose dans le
rôle clé joué par notre étude exploratoire. Nous espérons que cela permettra au lecteur de
suivre l’évolution de notre réflexion au fur et à mesure de notre recherche, et de comprendre
de manière détaillée comment nous en sommes arrivé à formuler notre problématique.
Par conséquent, ce document se divise en trois parties, chacune comportant deux
chapitres, dont le schéma 1 ci-après est une représentation visuelle.
La première partie retrace le cheminement dont émane la question de recherche. Elle
s’ouvre sur une revue de littérature sur le multicanal, au cours de laquelle nous avançons
notamment une définition d’un réseau de distribution multicanal. Le contenu de ce premier
chapitre, mettant en exergue l’absence de travaux sur l’organisation de ce type de réseau,
induit le second chapitre. Celui-ci débute par un exposé des transformations du secteur de la
banque de détail, principalement du point de vue de la distribution. Il se prolonge par la
présentation de l’étude de cas exploratoire et de ses résultats. Cette première partie s’achève
sur la formulation de la question de recherche.
Retour sur la littérature et construction concomitante de la problématique et des
propositions de recherche sont la substance de la seconde partie. Le troisième chapitre est
dédié à la littérature sur la participation client, à l’issue duquel nous proposons quatre rôles
que le client est susceptible de jouer, lesquels se construisent à travers les interactions entre le
client et les employés prestataires du service. Le quatrième chapitre s’inscrit dans la
continuité du troisième. Après un état de l’art sur les mécanismes et le processus de
coordination, nous suggérons que la mobilisation de ces quatre rôles permet d’expliquer
l’influence que le client peut avoir sur la coordination intra-organisationnelle. Ce chapitre,
ainsi que la seconde partie, se clôt par la formulation de la problématique, et de cinq
propositions de recherche.
La troisième partie, enfin, débute par le cinquième chapitre, consacré à la
justification du positionnement épistémologique et de la méthodologie de recueil et d’analyse
de données. Le sixième chapitre est voué à l’analyse des deux dernières études de cas, et à
l’interprétation des résultats obtenus.
Introduction générale
10
Schéma 1 : Canevas explicatif de la recherche
Chapitre 1 : Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
■ Proposition d’une définition du réseau de distribution multicanal ■ Proposition de trois types de complémentarité entre les canaux ■ Constat des insuffisances de la connaissance existante
Introduction Générale ■ Présentation synthétique de la recherche et de son processus ■ Énoncé de la problématique
Chapitre 2 : Présentation du secteur et étude de cas exploratoire ■ État des transformations du secteur de la banque de détail ■ Vérification empirique des trois types de complémentarité ■ Mise en évidence de l’influence du client sur le fonctionnement du réseau
Conclusion Générale ■ Synthèse des réponses apportées à la problématique et aux propositions ■ Apports théoriques et managériaux ■ Limites et voies de recherche futures
Chapitre 3 : Le client, acteur de la vie organisationnelle ■ Présentation du contenu et des déterminants de la participation client ■ Proposition d’une définition de la participation ■ Proposition de quatre rôles construits dans les interactions client-employé
Chapitre 4 : La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
■ Présentation des travaux sur les mécanismes et le processus de coordination ■ Proposition de l’intégration du client comme acteur influençant la coordination
Formulation de la question de recherche
Formulation de la problématique et des propositions de recherche
Chapitre 5 : Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche ■ Positionnement épistémologique interprétativiste ■ Réalisation d’études de cas ■ Analyse des données à l’aide de Nvivo 7
Chapitre 6 : Études de cas ■ Vérification empirique de l’influence du client sur les mécanismes et le processus de
coordination ■ Impacts de la structure et de la stratégie ■ Dynamique historique de la coordination
Introduction à la Première Partie
11
PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE
Le questionnement initial de ce travail doctoral a pour objet un faisceau
d’interrogations liées au fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal dans le secteur
de la banque de détail. Si de telles interrogations légitiment l’origine d’une recherche (Allard-
Poesi et Maréchal, 1999), elles n’en constituent pour autant ni une question de recherche, ni
moins encore une problématique. S’extraire du contexte bancaire pour poser un regard
théorique sur son objet de recherche constitue une première étape en ce sens.
A ce stade, ledit objet de recherche peut être considéré comme étant le réseau de
distribution multicanal. Dès lors, défricher l’état de l’art pour découvrir ce qu’abrite cette
locution nous paraît nécessaire. Nous débutons donc cette première partie, au cours de
laquelle nous mobilisons successivement matériel théorique et empirique, par un chapitre de
revue de littérature sur le multicanal. Nous définissons à cette occasion ce que nous entendons
par cette expression de réseau de distribution multicanal, et en précisons les caractéristiques
principales, avantages et inconvénients.
La littérature ne semblant pas en mesure de répondre à certaines des questions que
nous nous posions originellement, et en générant de nouvelles, notre parti fut d’aller sur le
terrain pour avoir une vision plus concrète de cet objet de recherche. S’ensuit donc, dans un
deuxième chapitre, une recontextualisation du multicanal dans la banque de détail, à la suite
de laquelle nous livrons les résultats d’une étude de cas exploratoire. Ceux-ci nous permettent
de pallier certaines des insuffisances de la littérature constatées dans le chapitre premier, et de
préciser d’après cette démarche abductive la question de recherche de cette thèse.
Le schéma 2 (page suivante) s’efforce de résumer notre cheminement à travers les
deux chapitres qui composent cette première partie.
Introduction à la Première Partie
12
Schéma 2 : Du questionnement initial à la question de recherche
Analyse des résultats
Étude de cas exploratoire dans une banque de détail - Compréhension et connaissance empirique de l’objet de recherche
(Chapitre 2)
Influence ? Client Interrelations entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal
Conclusion de la première partie
Fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal bancaire ? - Complémentarités et substitution des canaux ?
- Gestion d’une relation client multicanale ? - Gestion des liens entre les canaux ? etc.
Proposition d’une définition d’un réseau de distribution multicanal -Compréhension et connaissance théorique de l’objet de recherche
(Chapitre 1)
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
13
CHAPITRE PREMIER : DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU
DE DISTRIBUTION MULTICANAL
Ce premier chapitre participe d’une démarche explicative basée tant sur la description
que sur l’analyse. Nous cherchons en effet à y expliquer ce qu’est le multicanal, et plus
précisément, un réseau de distribution multicanal. La première section du chapitre est ainsi
tendue vers cet objectif de proposition d’une définition d’un réseau de distribution multicanal.
Cette première section nous permet également de constater l’absence relative de
travaux sur la distribution multicanale, et en particulier sur l’organisation de tels réseaux. Dès
lors, la seconde section est tournée vers l’analyse de leurs conditions de développement.
Notre but est alors de comprendre les raisons de leur utilisation croissante, et de mettre en
évidence leurs avantages et de leurs limites, tant pour les entreprises que pour leurs clients.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
14
SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION
MULTICANAL.
Littéralement, un réseau de distribution multicanal comporte « plusieurs canaux ».
Cette ébauche de définition, a priori simple, sinon simpliste, engendre un ensemble de
questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre ici, telles : qu’est-ce qu’un canal de
distribution ? À quoi sert-il ? À partir de quand pouvons-nous dire que nous sommes en
présence d’un réseau de distribution multicanal ?... Ainsi, avant de nous engager dans une
réflexion autour des caractéristiques de la distribution multicanale (I.2, I.3), puis de proposer
notre propre définition d’un réseau de distribution multicanal (I.4), rappelons-nous ce qu’est
un canal de distribution, dont nous montrons que la littérature reconnaît deux acceptions (I.1).
I.1 LE CANAL DE DISTRIBUTION : DEUX PERSPECTIVES
COMPLÉMENTAIRES.
La notion de canal de distribution fait montre d’une étonnante dualité, que nous
retrouvons tant dans la littérature académique, que dans le langage commun. Étonnante, car il
semblerait pourtant que les auteurs en partagent assez largement les définitions couramment
admises (I.1.1). C’est toutefois l’utilisation du terme même de canal qui est susceptible de
poser une difficulté. Il s’agit alors d’un problème linguistique et / ou contextuel (I.1.2). Ainsi,
puisque nous nous intéressons dans cette recherche à la gestion d’un réseau de plusieurs
canaux de distribution, nous paraît-il impératif de déterminer exactement ce à quoi nous nous
référons. Ceci permettra de renforcer la problématique étudiée, et de la partager avec le
lecteur sur la base d’un référentiel commun (I.1.3). Cette démarche répond ainsi au constat de
Peterson et Balasubramanian, lorsqu’ils notent que :
« Parce que des termes tels que « canal de distribution9 », « activité marketing »,
« approche marketing », et « technique marketing » sont des abstractions qui ont été utilisées
de façon changeante et non discriminée dans la littérature, ils sont devenus flous » (2002 :
11).
9 « Marketing channel » dans l’édition originale.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
15
I.1.1 Une perspective « verticale » du canal de distribution.
I.1.1.a) Caractéristiques générale du canal.
Pour Jallais (1997), un canal de distribution représente « le chemin parcouru par un
produit, lorsqu’il quitte le secteur de production pour atteindre le consommateur final, ce
chemin étant jalonné d’intermédiaires remplissant diverses fonctions » ( : 256). Le canal n’est
dans ce cas que le sous-ensemble d’un circuit de distribution, le circuit correspondant à la
totalité des canaux utilisés pour distribuer soit une catégorie, soit un ensemble de biens et
services donnés (op . cit.). Cette distinction entre le canal et le circuit, nous apprend-il, est une
finesse, une précision linguistique introduite par des auteurs français : les auteurs anglo-
saxons ne s’en soucient guère, qui utilisent la locution « marketing channels ». Celle-ci peut
toutefois être à l’origine de confusions (Dubois et Jolibert, 1999 : 533). Par exemple, lorsque
Lambin (1998) écrit : « un circuit de distribution peut se définir comme étant une structure
formée par les partenaires intervenant dans le processus de l’échange concurrentiel en vue
de mettre les biens et services à la disposition des consommateurs ou utilisateurs industriels.
Ces partenaires sont les producteurs, les intermédiaires, et les consommateurs-acheteurs »
( : 502), il reflète parfaitement les propos de Jallais sur le canal.
Si l’on suit Stern et al. (1996), les canaux de distribution (« marketing channels »)
peuvent être considérés comme des « ensembles d’organisations interdépendantes impliquées
dans le processus de mise à disposition d’un produit ou d’un service pour la consommation
ou l’usage » ( : 1). Ils précisent immédiatement que si un canal permet de satisfaire la
demande, en fournissant conjointement un bien au bon moment, au bon endroit, en quantité et
qualité suffisantes et à un bon prix, il la stimule également, via différentes activités
promotionnelles menées par ses unités. Ils approfondissent alors leur définition initiale,
spécifiant que le canal est un « réseau orchestré qui crée de la valeur pour les utilisateurs
finaux en générant des utilités de forme, de possession, de temps et de place » ( : 2). Filser
(2000), pour sa part, considère le canal de distribution comme « l’ensemble des institutions
qui supportent les flux physiques et les flux d’informations permettant l’achat des produits
par l’acheteur final » ( : 55). Bien que proche des auteurs précités, Filser complète leur
définition en intégrant l’aspect dynamique du canal, notamment caractérisé par l’échange
d’informations entre les parties pour faciliter l’achat du client final. Nous retiendrons enfin la
définition du système de distribution, donnée par O’Shaughnessy (1988) : c’est « le réseau de
personnes, d’institutions ou d’agences impliqué dans le flux d’un produit vers un client,
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
16
associés aux services informationnels, financiers, promotionnels et autres pour rendre le
produit commode, et attractif à acheter et à racheter10 ».
Il est à noter que des définitions de Jallais, d’une part, et de Stern et al., Filser et
O’Shaughnessy d’autre part, pourrait naître une confusion quant à l’objet de leurs recherches
respectives. En effet, si celui-là paraît accorder une place supérieure au cheminement que va
suivre le bien (ou service) avant de parvenir au consommateur final, ceux-ci renvoient plus
explicitement aux entreprises qui vont s’occuper d’assurer ce cheminement de l’entreprise
productive aux consommateurs et /ou utilisateurs. Nous pourrions donc supposer que leurs
travaux relèvent de logiques différentes, et que de cette potentielle distinction pourrait
émerger la seconde acception sus-mentionnée. Cependant, cette remarque ne résiste pas à la
lecture de ces écrits, dont les approches retenues pour présenter le canal de distribution ne
laissent finalement subsister aucun doute quant à une vision identique du canal de
distribution.
I.1.1.b) Les membres du canal.
Par delà les courants théoriques mobilisés pour se livrer à l’analyse des canaux de
distribution, toutes les approches, qu’elles se réclament du modèle comportemental ou du
modèle économique (Filser, 1989) comportent une constante intrinsèquement liée à leur objet
de recherche, donc aux précédentes définitions : sont membres du canal qu’elles composent
toutes les organisations, ou entreprises, incluses dans la chaîne partant du producteur jusqu’au
client final, utilisateur du bien ou service. Ainsi, le canal est composé non seulement du
producteur, mais aussi et surtout de tous les intermédiaires qui le séparent du consommateur
final (e.g. Ingene et Parry, 2000). De ce fait, toute étude sur les canaux de distribution va soit
s’intéresser au canal en tant que système, donc à l’ensemble des firmes autour desquelles il est
organisé, soit à un niveau particulier du canal, c'est-à-dire au comportement d’une firme qui
en fait partie et à ses relations aux autres firmes avec lesquelles elle interagit (Stern et al.,
1996). Le niveau d’analyse est, dans cette perspective, presque exclusivement inter-
organisationnel11 (sauf dans le cas où l’entreprise est verticalement intégrée).
Nous nous situons alors dans une perspective que nous qualifions de verticale du canal
de distribution, qu’illustre la figure 1-1.
10 Cité par Easingwood et Storey, 1996 : 224. 11 Quelques exemples des nombreuses recherches sur les relations inter-organisationnelles dans le canal de distribution : Buvik et John, 2000 ; Ingene et Parry, 2000 ; Weiss et Kurland, 1997.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
17
Figure 1-1 : La conception verticale du canal de distribution
Telle est donc l’acception rencontrée dans la littérature du canal de distribution,
rejoignant en cela une des définitions couramment usitées du canal, et qui reprend l’idée de
circulation, de traversée pour aller d’un point à un autre : c’est un conduit12. A ce point de la
réflexion, il paraît alors curieux de parler de dualité, tant cette conception semble remporter
une large majorité dans la communauté scientifique.
I.1.2 Une conception « horizontale » du canal de
distribution.
En dépit de la rigueur apparente des définitions précédentes, il nous semble qu’existe
une certaine ambiguïté dans l’utilisation même du terme de canal de distribution (ou de
marketing channel, selon que l’on considère la littérature francophone ou anglo-saxonne).
Pour l’illustrer le plus clairement possible, nous reprendrons les auteurs cités supra.
Dans un premier temps, considérons les travaux de Stern et al. (op.cit.). Leur
définition renvoie expressément à « un ensemble d’organisations interdépendantes ». Or, ils
évoquent dans les lignes qui suivent (Stern et al., 1996: 2-3) les superstores (grands
magasins) comme étant des canaux de distribution. Ceci est tout à fait surprenant : si l’on
prend à la lettre leur définition, ces grands magasins ne constituent en fait qu’un élément du
canal, et non un canal à eux seuls. De la même façon, Jallais regroupe les hypermarchés, les
grands magasins, les détaillants électroménagers indépendants, et des magasins possédés en 12 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, édition 1999
Producteur
Groupe de grossistes
Grossiste
Détaillant
Consommateur
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
18
propre sous cette même appellation de canaux de distribution (Jallais, 1997 : 265). Filser
(1989) avait déjà relevé cette ambivalence : « Les descriptions des systèmes de distribution se
fondent sur une dichotomie commode qui distingue les canaux de distribution et les formes de
vente au détail. Ce clivage entre la dimension verticale du canal et l’interface entre le canal
et le consommateur se retrouve également dans les travaux à caractère analytique qui tentent
d’expliquer le fonctionnement des canaux de distribution » ( : 151). Dans ce cas, le canal est
donc, comme le dit Filser, « l’interface entre le canal13 et le consommateur ». Mais quelle
peut être l’origine d’une telle équivoque ?
En fait, la langue française (et il en va de même en langue anglaise) nuance le mot
« canal ». La locution « par le canal de » veut dire « par l’intermédiaire de, par l’entremise
de14 », proche de la notion d’interface à laquelle renvoie Filser. Ainsi, l’on peut dire que le
canal en tant que signifié se voit attribuer deux signifiants différents : un ensemble
d’organisations interdépendantes d’une part, et une interface d’autre part. Ces deux signifiants
renvoient à une distinction patente de la littérature, qui d’un côté parle du canal de
distribution, comme ensemble d’institutions, et d’un autre, des canaux de distribution, comme
interfaces15 entre l’entreprise chargée de distribuer le produit ou service, et le client final
(distinction dont nous nous faisons d’ailleurs l’écho à travers les titres de chacun de nos deux
schémas).
Ces différences nous ont donc amené à proposer deux conceptions du canal de
distribution : l’une verticale, présentée supra, l’autre horizontale, matérialisée par la figure
1-2.
13 Bien évidemment considéré dans sa conception « verticale ». 14 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, édition 1999 15 L’interface peut elle aussi s’appréhender doublement. En informatique, c’est le dispositif (matériel et logiciel) grâce auquel s’effectuent les échanges d’information entre deux systèmes. Dans une perspective plus étendue, c’est la limite commune à deux systèmes. Le canal de distribution comme interface intègre les deux visions. En effet, d’un côté, il permettra (entre autres) les échanges d’informations entre les organisations qui composent le canal et le client final. Mais il constitue également bel et bien la limite commune aux deux systèmes suivants : le canal de distribution (pris en tant qu’“ensemble d’organisations interdépendantes”), et les clients finaux.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
19
Figure 1-2 : La conception horizontale des canaux de distribution
Cette figure appelle quatre remarques. Tout d’abord, nous n’y avons volontairement
fait apparaître qu’un nombre limité d’interfaces, afin de ne pas l’encombrer. Par exemple,
nous nous sommes limités à une appellation simple du type point de vente, alors qu’il
conviendrait de distinguer les points de vente en franchise, possédés en propre, etc… Pour la
même raison, nous n’y indiquons pas l’ensemble des échanges possibles entre les canaux (le
point de vente peut être relié au site Internet, et vice versa, ou au centre d’appels, etc.).
Ensuite, nous avons réduit le schéma à l’ensemble constitué par les interfaces elles-mêmes et
la relation qu’elles entretiennent avec le client final16. Mais en amont de ces interfaces se
trouvent bien sûr les autres organisations du canal (dans sa première acception). Enfin, seules
certaines des interfaces possibles sont représentées : les représentants, les services de
télévision interactive ou de téléphonie mobile, les distributeurs automatiques... sont autant de
possibilités d’entrer en contact avec le consommateur final pour lui vendre des biens ou des
services, que nous n’avons pas indiquées, pour ne pas complexifier la figure outre mesure.
L’ambiguïté est donc non seulement linguistique, mais également contextuelle : il
convient de situer le cadre d’étude retenu lorsque l’on parle de canal de distribution. Est-ce
l’ensemble de ces organisations interdépendantes, ou l’interface ? Cela dépend alors de la
problématique étudiée.
I.1.3 Notre recherche : le canal pris comme formule de
distribution.
La distinction précédente entre les perspectives verticale et horizontale du canal de
distribution nous parait représenter un point de départ obligé de la réflexion sur la notion de
« multicanal ». Cette réflexion débute par une interrogation managériale, spécifique à un 16 Ce client final pouvant être bien évidemment un particulier (B-to-C) ou une entreprise (B-to-B).
Point de vente Site Internet Catalogue Centres d’appels
Consommateur / utilisateur
ENTREPRISE DISTRIBUTRICE
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
20
secteur, dans lequel les canaux de distribution que sont par exemple agences, centres d’appels
et autres sites Internet sont des points de contacts entre le client et l’entreprise. Nous nous
situons donc ici dans ce que nous avons appelé la perspective horizontale des canaux de
distribution, puisque le canal représente une interface entre le client et l’entreprise chargée de
lui vendre un bien ou un service. Il s’agit alors de ce que Filser (1989) appelle une « forme de
vente au détail », ou encore une « technologie de vente au détail » ( : 151), synonyme du
« format » ou de la « formule de vente » sur laquelle a travaillé Vanheems (1995).
Telle est donc notre conception du canal de distribution dans le cadre de cette
recherche. En conséquence, à partir de ce moment, les expressions : canal de distribution,
format de vente (au détail), interface (entre le client et l’entreprise), formule de vente, seront
utilisées de façon interchangeable.
Et notre intérêt se portera dès maintenant sur le développement et l’existence de
plusieurs interfaces servant à délivrer un service à un client particulier17 (B-to-C). La suite de
cette section visera à approfondir ce phénomène, qualifié de multicanal.
I.2 LE MULTICANAL : PRÉSENTATION ET CARACTÉRISTIQUES
GÉNÉRALES.
L’objectif de la première section de ce chapitre est de fournir au lecteur une définition
d’un réseau de distribution multicanal. Nous nous basons pour cela sur la littérature existante
qui, bien que peu abondante (I.2.1), nous permet de distinguer certaines des caractéristiques
d’un réseau de ce type (I.2.3) à partir des définitions qu’elle met à notre disposition (I.2.2).
I.2.1 Un constat : une littérature encore peu fournie.
Les recherches sur la distribution reposant sur plusieurs canaux de distribution restent
encore très peu nombreuses, ce qui peut surprendre pour au moins deux raisons.
La première est d’origine académique. Ces dernières années ont vu se multiplier les
appels à plus de recherches sur le développement de ce mode de distribution. Dans son état de
l’art sur les canaux de distribution, dans lequel il expose les domaines vers lesquels les
recherches futures sur ce thème devraient se tourner (tant dans une perspective verticale
qu’horizontale), Frazier (1999) indique que « l’utilisation de multiples canaux de distribution
est en train de devenir la règle plutôt que l’exception » ( : 232). Dans le même temps, il
17 Par opposition à un client entreprise.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
21
s’étonne également que « de telles possibilités [de recherche] restent largement inexplorées »
(ibid.), tandis qu’il avait déjà cherché à attirer l’attention sur ce point quelques années
auparavant (Frazier et Shervani, 1992). Ce constat se retrouve chez Peterson et Balasubramian
(2002), dans leur article introductif du Journal of Retailing sur la vente au détail au 21ème
siècle : « relativement peu de recherches empiriques ont été conduites sur la vente de détail
dans un environnement multicanal, et l’on rapporte encore moins de recherches
conceptuelles dans la littérature » ( : 15). Quant à Easingwood et Coelho (2003), ils
regrettent que « le design des stratégies basées sur des canaux multiples ait été quelque peu
négligé dans la littérature existante sur les canaux de distribution » ( : 32). Enfin Geyskens et
al. (2002) prennent acte de ce que « la recherche académique se caractérise par l’accent mis
sur un unique et conventionnel canal, alors que l’utilisation combinée de canaux multiples, y
compris l’utilisation d’un canal Internet, n’a pas encore reçu l’attention qui lui est due »
( : 102).
Cette absence est d’autant plus singulière que tous ces auteurs s’accordent à
reconnaître l’importance de ces phénomènes de multiplication des canaux dans le quotidien
des entreprises. D’où la seconde raison de notre étonnement de ne pas voir un nombre plus
conséquent de recherches sur la distribution par l’intermédiaire de plusieurs canaux de
distribution. Il est en effet aisé de constater que de plus en plus de sociétés18 mettent au cœur
de leur stratégie de distribution différents canaux par lesquels elles commercialisent leurs
biens et services aux acheteurs finaux, ce à quoi l’avènement d’Internet19 a grandement
contribué (Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004).
Une première explication à cette existence limitée de recherches sur ce mode de
distribution pourrait être la nouveauté apparente20 de la distribution multicanale, liée à
l’apparition et à la pénétration d’Internet, et aux délais de publication dans certaines revues
scientifiques21.
La politique éditoriale des revues spécialisées susceptibles de publier les résultats de
travaux sur le multicanal, ou plus largement l’absence d’intérêt dans la communauté des 18 Pour n’en citer que quelques unes tirées de divers secteurs : la FNAC, la SNCF, la Société Générale, La Redoute, Microsoft, etc… 19 Et plus généralement, la véritable explosion du recours aux Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC). 20 Apparente, car le multicanal n’est pas un phénomène nouveau. Par exemple, les sociétés de vente par correspondance (VPC) qui ont bâti des réseaux de points de vente complétant leur catalogue ont depuis très longtemps une stratégie multicanale. 21 Des revues de référence comme le Journal of Marketing ou le Journal of Business Review ont des délais de publication pouvant atteindre 3 ou 4 ans.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
22
chercheurs en gestion, peut en constituer une seconde. La relégation des travaux sur les
canaux de distribution au troisième (et dernier) niveau des priorités de recherche du
Marketing Science Institute n’a, par exemple, qu’un caractère faiblement incitatif à poursuivre
des travaux dans cette direction22. Mais ce ne sont là que pures conjectures, et force nous est
d’avouer que nous ignorons pourquoi ce sujet, source de tant de potentialités de recherches,
n’est encore qu’embryonnaire.
I.2.2 Revue chronologique des définitions du multicanal
Le tableau 1-1 présente chronologiquement différentes définitions utilisées dans la
littérature pour désigner le multicanal. Cette présentation offre l’avantage de faciliter leur
mise en perspective, et de faire apparaître les caractéristiques principales du multicanal, que
nous commenterons subséquemment.
Tableau 1-1 : Présentation chronologique des définitions du multicanal dans la littérature23
AUTEURS EXPRESSION UTILISÉE DÉFINITION
Cespedes et Corey, 1990 :
67
Multiple channels management (gestion de canaux multiples)
«[Il s’agit pour les producteurs d’] augmenter les canaux directs de vente avec des canaux de distribution
indirects pour atteindre des segments différents de manière plus efficiente et efficace ».
Moriarty et Moran, 1990 :
146
Hybrid marketing systems (systèmes
marketing hybrides)
« Les managers cherchant à couper dans les coûts et à accroître la couverture du marché, les entreprises ont
ajouté des nouveaux canaux à ceux existants. Ils utilisent tant la vente directe que les distributeurs, les
ventes au détail que le courrier, le courrier que les ventes directes. Comme ils ajoutent des canaux et des méthodes de communication, les managers créent des
systèmes marketing hybrides ».
Collart et Lejeune,
200124 Multicanal
« Le multicanal consiste à offrir les voies les plus rentables pour distribuer, au sens large, les produits et services aux clients. L’entreprise va chercher à adapter
ses canaux de distribution aux besoins spécifiques de ses différents segments de clientèle, de façon à proposer la bonne offre au bon client au bon moment via le bon
canal. Cette approche permet la couverture optimale du
22 http://www.msi.org/msi/rp0204.cfm#Third 23 Ce tableau ne prétend aucunement à l’exhaustivité, mais à donner au lecteur une représentation claire de ce dont nous traitons ici. 24 La contribution de ces auteurs est parue pour la première fois dans Les Echos, l’Art du management, du 18 avril 2001. La source que nous avons utilisée, pour notre part, est électronique, et réside à cette adresse : http://www.pricewaterhousecoopers.com.ua/extweb/ncsurvres.nsf/docid/C9D512F514DD612680256BC7004BC8E4. Ce qui explique que nous ne précisons pas le numéro de page (et nous ne le préciserons pas pour la même raison lorsque nous mobiliserons à nouveau cet article), contrairement aux autres références citées.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
23
marché : le bon équilibre entre volume et rentabilité ».
Anderson, 2001 : 8
Multichannel (multicanal) et clicks and mortar (le click et
le béton)
« [...] modèle de gestion qui combine des canaux en ligne avec des canaux traditionnels off line, le « click and mortar » combine l’avantage de développer la
conscience des clients quant à l’existence des produits et services de votre entreprise, tout en leur offrant un accès plus important à ceux-ci, dans le cadre d’une
gestion renforcée des stocks et des opérations ».
Tang et Xing, 2001 : 331
Multichannel retailers (distributeurs multicanaux)
« [Ce sont] ceux qui combinent des magasins physiques25, des catalogues, des sites Web, ou d’autres
méthodes de vente au détail »
Stone et al., 2002 : 40
Multichannel customer management (gestion multicanale du client)
« L’utilisation de plus d’un canal ou média pour gérer les clients d’une manière cohérente et coordonnée à travers l’ensemble des canaux ou média utilisés ».
Grewal et al., 2002 : 302
Multichannel orientation (orientation
multicanale)
« Une combinaison de magasins traditionnels, de catalogues, ou de ventes directes et d’Internet ».
Nicholson et al., 2002 : 131-
132
(Innovative) Multichannel marketing
strategies (stratégies marketing multicanal
(innovantes))
« [Elles] cherchent à cibler les consommateurs via à la fois des moyens physiques et électroniques, comme autant de multiples chemins vers l’achat. C’est la
prétendue approche « bricks et clicks » ».
Easingwood et Coelho, 2003:
35
Multiple channels (canaux multiples)
« L’utilisation de plus d’un canal pour rendre les produits de l’entreprise disponibles aux
consommateurs »
Montoya-Weiss et al., 2003 : 448
Multichannel environment
(environnement multicanal)
« Dans un environnement multicanal, les fournisseurs de service ont la possibilité d’atteindre les clients en utilisant un mix de formats de canaux, incluant des bureaux, des sites Web en ligne, du courrier et des
kiosques ». Coelho et
Easingwood, 2003: 23
Multiple channel strategy (stratégie de
canaux multiples)
« [Elle] est employée quand une firme rend un produit disponible au marché à travers deux canaux de
distribution ou plus ».
I.2.3 Caractéristiques d’un réseau de distribution
multicanal.
Plusieurs caractéristiques du multicanal émergent des définitions présentées dans le
tableau 1-1. En premier lieu, nombreuses sont celles qui affichent l’importance des objectifs
attribués à un réseau de distribution multicanal, tout comme leur diversité. Ensuite, certaines
s’opposent entre elles (e.g. « canaux en ligne » et « canaux traditionnels », chez Anderson, ;
« physiques » et « électroniques », chez Nicholson et al.). D’autres ont des contours assez
troubles, qui méritent d’être précisés (e.g. « l’utilisation de plus d’un canal », chez
Easingwood et Coelho ; ou « une combinaison [de canaux] », chez Grewal et al.).
25 « Bricks and Mortar »
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
24
Après discussion de ces éléments, nous conclurons par une explication de leur
transposition et nécessaire adaptation à notre recherche, en raison des origines managériales et
sectorielles de celle-ci.
I.2.3.a) Une multiplicité d’objectifs26.
La plupart des définitions précitées intègrent explicitement les objectifs afférents à un
réseau de distribution multicanal : « atteindre des segments différents de manière plus
efficiente et efficace » (Cespedes et Corey, 1990), « couverture optimale du marché » (Collart
et Lejeune, 2001), « gestion renforcée des stocks et des opérations » (Anderson, 2001),
« cibler les consommateurs » (Nicholson et al., 2002)... Le multicanal se voit assigner des
objectifs financiers (il doit permettre d’assurer un certain volume de ventes et être rentable),
marketing (rendre le produit disponible à un nombre croissant de clients, communiquer sur
l’existence du produit), et opérationnels (assurer un service de meilleure qualité aux clients)
qui peuvent très vite en complexifier grandement la gestion. Le multicanal a également pour
but d’assurer une continuité des contacts et de la relation avec les clients sur le long terme, de
par la multiplication des interactions entre ces derniers et l’entreprise. En cela, il se situe dans
la lignée de travaux sur la gestion de la relation client27 (Payne et Frow, 2004).
Pour conclure sur ce point, nous ne pouvons nous empêcher de noter qu’est entretenu
un certain vague sur la distinction, parfois subtile, entre les objectifs de distribution et de
communication du multicanal (Frazier, 1999 : 236). En effet, que dire d’un site Internet qui ne
réalise aucune vente, mais informe de manière détaillée les clients sur les produits de manière
à ce qu’ils puissent les acheter en magasin ? Est-ce de la distribution, ou de la
communication ? Ou encore, un mix des deux ?
La raison tient en ce que l’on ne considère pas, en pareil cas, le site Internet28 comme
une entité isolée, mais comme un élément d’un ensemble distributif plus vaste au sein duquel
le client chemine pour réaliser son achat (Gulati et Garino, 2000). Nous retrouvons alors cette
notion de « chemins vers l’achat » (Nicholson et al., 2002), ce développement de la prise de
26 Nous restons volontairement succincts sur les objectifs assignés à un réseau de distribution multicanal, puisque nous les détaillerons dans les sections ultérieures de ce chapitre. 27 Customer Relationship Management, ou CRM. 28 Nous nous sommes volontairement limité à l’exemple d’Internet, qui est le plus courant dans la littérature (Gulati et Garino, 2000 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000 ; 2004, etc.)
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
25
conscience de l’existence des produits et services de l’entreprise (Anderson, 2001), ou encore
de distribution, « au sens large » 29 (Collart et Lejeune, 2001).
De la même manière, Stone et al. (2002) relèvent cette difficulté de distinguer entre
canaux de distribution et de communication, en raison des complémentarités très fortes
existant entre les deux, et des possibilités pour une entreprise d’utiliser un canal de
communication comme canal de distribution dès lors que celui-là comporte une potentialité
d’interaction entre le client et l’entreprise. C’est le cas, par exemple, d’Office Depot, qui
renvoie vers ses magasins à partir de son site Internet30, mais dont les magasins assurent aussi
la promotion du site (Gulati et Garino, 2000), ou encore de la FNAC31. Ainsi, il est vrai que
certains canaux sont nettement orientés vers la distribution, tandis que d’autres relèvent plus
de la gestion de la relation et de la fidélisation des clients. En ce qui nous concerne, nous
avons opté pour l’appellation la plus couramment usitée dans la littérature académique et
managériale, en retenant celle de canaux de distribution, même si nous sommes conscients
des différentes réalités qui peuvent se cacher derrière les multiples canaux existants.
I.2.3.b) Multicanal = plusieurs canaux ?
Il convient tout d’abord de préciser que nous n’avons retenu précédemment que les
définitions explicites de la notion de multicanal. En effet, plusieurs contributions sur ce thème
en adoptent une définition implicite, renvoyant à une acception simple et évidente : qui dit
multicanal, dit plusieurs canaux de distribution (e.g. Nunes et Cespedes, 2003 ; Payne et
Frow, 2004 ; Peterson et Balasubramanian, 2002 ; Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Wiertz et
al., 2004). Cette acception est d’ailleurs prégnante dans l’ensemble des définitions précitées,
ce qui paraît normal du fait de l’étymologie même de ce terme. Elle n’est cependant pas
exempte de critiques, puisque silencieuse sur des questions telles que le nombre de canaux,
leur type, ou leur agencement32.
I.2.3.b.(1) Quid du nombre de canaux. Easingwood et Coelho (2003) battent en brèche cette idée selon laquelle multicanal
serait un simple synonyme de l’expression « plusieurs canaux ». Cherchant à établir une
29 Nous concédons aisément que cette expression laisse libre cours à l’interprétation imaginative du lecteur... 30 Sur lequel il est aussi possible de procéder à des achats. 31 Interview de Jan Löning, PDG de Fnac Direct, accordée au Journal du Net daté du 03/06/2004 : http://www.journaldunet.com/dossiers/fnac/it_loning.shtml 32 Notre ambition n’est pas d’apporter une réponse aux trois limites mises en évidence, mais de les souligner afin d’encourager à plus ample réflexion.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
26
typologie des entreprises dont les ventes reposent sur un réseau de distribution multicanal, ils
expliquent qu’une telle définition est potentiellement fallacieuse. En effet, si elle est
avantageuse de par sa simplicité, elle confond des entreprises dont les mix distributifs peuvent
n’avoir que peu de choses en commun. En particulier, en considérant comme ils le font le
volume de ventes réalisées par chaque canal, comment distinguer, selon cette définition, une
entreprise réalisant 95% de ses ventes par ses magasins et 5% sur Internet, d’une autre qui en
réaliserait 50% sur Internet, 25% par catalogue, 10% par téléphone, et 15% en magasins ? De
même, comparer une entreprise qui n’aurait que deux canaux, à une autre qui en utiliserait
trois ou quatre poserait des problèmes de fiabilité comparative.
Pour cette raison, ces deux auteurs posent des limites33, relativement arbitraires même
si plus ou moins empiriquement fondées, pour classer les entreprises selon leur typologie, et
concluent qu’« il n’y a pas de règle de classification idéale, et les limites les plus
appropriées34 seront dépendantes des spécificités de chaque recherche » (Easingwood et
Coelho, 2003 : 44).
I.2.3.b.(2) Quid du type de canal ? Un canal de distribution peut être concrètement un point de vente, un site Internet, un
centre d’appels, un catalogue de vente par correspondance, etc. Si nous prenons comme point
de départ le simple postulat que le multicanal renvoie à l’utilisation de plusieurs canaux, la
recherche peut rapidement se heurter à un problème majeur, qui est celui de la mobilisation
des travaux antérieurs. En effet, derrière le concept de multicanal, se cachent une multitude de
combinaisons possibles : parle-t-on ici de sites Web ajoutés à un réseau de point de vente
(Burke, 2002 ; Nicholson et al., 2002 ; Zettelmeyer, 2000), qu’il s’agit là d’un catalogue et de
points de vente (Vanheems, 1995), d’un centre d’appels complétant un réseau de points de
vente (Wiertz et al., 2004), d’une combinaison de canaux électroniques (O'Connor, 2001), ou
ailleurs d’un agencement encore différent (Easingwood et Storey, 1996).
Des questions mettant en cause la comparabilité de tels travaux se font donc
rapidement jour : le comportement du consommateur observé face à une configuration de
canaux sera-t-il identique dans une autre ? Les règles permettant le bon fonctionnement de
l’ensemble du réseau multicanal seront-elles transposables par-delà ces configurations ? En
quoi, et jusqu’à quel point, les caractéristiques propres à chaque canal (méthodes de vente,
33 Limites qui portent sur le volume de ventes réalisé par chaque canal, puisque c’est le critère retenu pour leur typologie. 34 Sous-entendu : pour dresser une typologie.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
27
mode de contact avec le client, coût du canal...) peuvent-elles influencer l’ensemble formé ?...
Autant d’interrogations que la littérature semble n’avoir pas abordées à ce jour35.
I.2.3.b.(3) Quid de l’agencement des canaux ? Enfin, ramener le multicanal à la simple idée de l’existence de plusieurs canaux de
distribution, sans poser la question de leur intégration, n’est pas sans risque. Cela peut inciter
à accumuler le nombre de canaux mis à la disposition de la clientèle, pour améliorer le
volume de vente tout en réduisant les coûts de distribution, mais sans envisager toutes les
implications financières, marketing ou organisationnelles de ces transformations.
Par exemple, les banques anglo-saxonnes avaient placé d’importants espoirs dans le
développement de nouveaux canaux, mais les avantages attendus ne se sont guère concrétisés,
car les coûts de leur réseau d’agences et de ces nouveaux canaux se superposèrent, sans que
les seconds ne permettent les économies substantielles attendues (Mizrahi, 2000). En cause,
un positionnement inadéquat. Alors que le but premier était de les faire utiliser par la clientèle
de masse, afin de libérer du temps dans les agences pour améliorer la qualité de service
délivré aux clients haut de gamme, ce sont ces derniers qui se sont massivement tournés vers
ces canaux. Ne leur étant pas initialement destinés, ils se sont avérés insuffisants tant en
termes de fonctionnalités, que de richesse d’offres et de services. Résoudre ce problème est
d’autant plus crucial que la perception que le client a de la qualité du service fourni par
chacun des canaux de distribution a très probablement un impact sur sa satisfaction générale
vis-à-vis de l’entreprise (Montoya-Weiss et al., 2003).
Or, de nombreux auteurs ont souligné les risques organisationnels inhérents à une
organisation multicanale (tableau 1-2 page suivante).
35 Ce qui est à peine surprenant, les réflexions sur le multicanal étant en pleine phase d’émersion.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
28
Tableau 1-2 : Extraits de recherches évoquant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal
AUTEUR(S) EXTRAIT(S)
Moriarty et Moran, 1990
« L’apparition de nouveaux canaux et méthodes soulève inévitablement des problèmes de conflit et de contrôle » ( : 147)
« Une fois qu’un système hybride est mis en place, son fonctionnement sans heurts dépend non seulement de la gestion des conflits, mais aussi de la coordination entre les canaux et entre chaque activité de vente à l’intérieur de chacun d’eux » ( : 153)
Collart et Lejeune, 2001
« Rapidement, les entreprises se sont rendu compte que ces canaux ne peuvent fonctionner seuls [...]. L’intégration des différents canaux entre eux s’est donc
imposée rapidement »
« La mise en œuvre d’une stratégie multi-canal est avant tout une problématique d’intégration des infrastructures techniques [...] »
Peterson et Balasubraman
ian, 2002
« Plutôt que d’essayer de gérer chaque canal indépendamment des autres, et de maximiser ses profits vis-à-vis des autres canaux, une firme devrait gérer tous ses
canaux simultanément, avec l’objectif de maximiser la profitabilité totale de l’entreprise à travers tous les canaux » ( : 15).
Stone et al., 2002
« L’intégration multicanale requiert un nouveau modèle organisationnel – un modèle qui adapte les individus, les processus et la technologie pour qu’ils soient en
phase avec cette approche coordonnée du management des canaux » ( : 46)
Montoya-Weiss et al.,
2003
« Les activités online ne peuvent pas être considérées isolément, parce qu’elles prennent place dans le contexte plus large des activités marketing conduites
simultanément dans les canaux traditionnels » ( : 448)
« Il est important de réfléchir aux effets transversaux des canaux alternatifs sur l’ensemble du fournisseur de service. [...] Bien que chaque canal soit en mesure
d’offrir une proposition de valeur unique, nos résultats suggèrent que la coordination entre tous les canaux peut engendrer la satisfaction globale du client
dans un environnement relationnel et multicanal de service » ( : 456).
Nunes et Cespedes,
2003
« Mettre en place la stratégie choisie pour faire face au client libéré de ses entraves requerra des changements substantiels – et pas seulement dans votre manière
d’interagir avec vos clients, vos partenaires et vos intermédiaires. Vos transactions internes – entre les différentes unités fonctionnelles et commerciales dans votre
propre organisation – devront également changer » ( : 104).
Wiertz et al., 2004
« [...] la question de la manière dont peut être assurée la coopération de plusieurs canaux reste virtuellement non abordée par la littérature en marketing (des
services) » (: 425).
Payne et Frow, 2004
« Les canaux doivent être considérés dans le contexte de toute l’interaction durant toute la durée du cycle de vie de la relation client, pas seulement en termes
d’activités de vente » ( : 531)
« Développer une stratégie de management intégré des canaux soulève les questions suivantes : [...] s’assurer que les communications et les services que reçoit le client à
travers les différents canaux sont coordonnés et cohérents, taillés sur mesure, et prennent en compte les précédentes interactions avec l’entreprise » ( : 535).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
29
Ces travaux, plus que d’encourager à la découverte d’un mode d’organisation optimal,
dont d’aucuns reconnaissent d’ailleurs qu’il n’est qu’un idéal illusoire (Payne et Frow, 2004),
remarquent fréquemment l’impératif d’intégration et de coordination des canaux. Certains
vont plus loin, et proposent des ébauches de solution et pistes de réflexion plus avancées
(Cespedes et Corey, 1990 ; Moriarty et Moran, 1990 ; Nunes et Cespedes, 2003 ; Wiertz et
al., 2004), tout en soulignant l’ampleur du travail qu’il reste à faire dans ce domaine.
I.2.3.c) Nature des canaux de distribution.
D’après le tableau 1-1 précédent, il semblerait que le multicanal puisse renvoyer à
quatre catégories de canaux : directs, indirects, online ou offline, que nous opposons deux à
deux.
I.2.3.c.(1) Canaux directs versus canaux indirects. Une analyse chronologique des travaux sur le multicanal semble laisser apparaître que
cette distinction est la première à avoir vu le jour36, comme le montrent les définitions de
Cespedes et Corey (1990), ou de Moriarty et Moran (1990). Bien que les travaux qui s’y
rapportent n’utilisent pas systématiquement l’expression multicanal, ils comportent toujours
l’idée de l’utilisation de plusieurs canaux par une entreprise, lesquels ont en ce cas des statuts
juridiques très différents (Cliquet, 2002).
Les canaux directs appartiennent à l’entreprise qui souhaite assurer elle-même la
distribution de ses biens ou services : le producteur s’adresse directement au consommateur.
Dans pareille situation, l’on se trouve dans une perspective intra-organisationnelle, et
l’entreprise a le contrôle des canaux qu’elle utilise (Zeithaml et Bitner, 2003 : 383).
Les canaux indirects, à l’inverse, sont des intermédiaires (franchisés, agents,
courtiers...) chargés de vendre les biens ou les services, et peuvent parfois se trouver en
situation de concurrence avec les canaux directs. Le niveau d’analyse change alors
fondamentalement, puisque devenant inter-organisationnel.
Les travaux de Cespedes et Corey (1990) et de Moriarty et Moran (1990) s’inscrivent
dans cette combinaison de l’intra et de l’inter-organisationnel. S’appuyant sur des exemples
concrets (IBM, Honeywell...), ils partent du constat de la croissance du recours à des réseaux
36 Ce qui paraît peu étonnant au regard des caractéristiques de la seconde opposition, online versus offline, reposant sur le progrès technique (Internet, notamment).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
30
multicanaux, proches de ce que Cliquet (2002) appelle aussi « réseaux mixtes37 », afin
d’accéder à une clientèle de plus en plus importante. Si cette mixité peut comporter des
avantages sur le déploiement de canaux strictement directs ou strictement indirects (Cliquet,
2002), elle n’en est pas moins source de problèmes organisationnels profonds. Un exemple :
la nécessité d’une « double organisation » (Cliquet, 2002 : 70), coûteuse : « l’une [pour les
canaux directs] fondée sur un système de contrôle classique, l’autre [pour les canaux
indirects] reposant sur la persuasion » (ibid.). Un autre : l’existence de conflits entre ces
deux catégories de canaux, susceptibles d’entrer en concurrence, réclamant la création de
dispositifs organisationnels ou commerciaux pour les éviter.
En conséquence, un réseau de distribution multicanal est, dans cette logique, un
ensemble d’organisations qui sont en situation d’interdépendance, certaines appartenant
directement à l’entreprise productrice des biens et services vendus, d’autres étant liés
contractuellement (franchise, agents...) au producteur pour lequel elles commercialisent les
produits auprès des consommateurs finaux.
I.2.3.c.(2) Canaux online versus canaux offline. D’autres définitions, plus récentes, mettent en avant une seconde distinction entre les
catégories de canaux utilisés. Ainsi, dans son acception la plus courante, le multicanal
renvoie-t-il à l’utilisation par une entreprise d’un ensemble de canaux qui se différencient par
une composante physique d’un côté, c'est à dire le réseau de points de vente (par exemple, les
agences pour la banque de détail), et une composante qualifiée de « virtuelle », de l’autre, que
représentent Internet, les centres d’appels, les catalogues de vente par correspondance, les
services fournis via un téléphone mobile, etc. Physique et virtuel, « online » et « offline »,
« click and mortar » (e.g. Pottruck et Pierce, 2000), « bricks and clicks » (e.g. Gulati et
Garino, 2000 ; Sharma et Krishnan, 2002 ; Willcoks et Plant, 2001), sont autant d’appellations
différentes d’un même phénomène : la combinaison de plusieurs canaux pour entrer en
contact et vendre des biens et / ou services aux clients existants ou potentiels via plusieurs
médias. L’entreprise dispose donc de plusieurs options, que Payne et Frow (2004) classent
selon un « continuum des formes de contact avec le client, allant du physique (comme la
37 Précisons que Cliquet limite ce concept de « réseau mixte » à la combinaison de succursales et de franchises, deux formes de distribution juridiquement distinctes.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
31
rencontre en face-à-face avec un vendeur de l’entreprise) au virtuel (comme l’e-commerce ou
une transaction réalisée par un téléphone mobile de 3ème génération38) » ( : 530).
Cette typologie s’oppose à la précédente en ce sens que le couplage de canaux online à
des réseaux physiques (offline) existants implique le plus souvent qu’une même entreprise
peut détenir ces deux types de canaux. Ainsi, une entreprise ayant déjà à sa disposition un
réseau de points de vente, peut-elle décider de mettre en place un site Web à partir duquel elle
va réaliser des ventes, comme c’est par exemple le cas d’Office Dépôt (Gulati et Garino,
2000). Nous sommes alors dans une logique purement intra-organisationnelle, qui ne va pas
sans poser de souci de coordination entre les canaux (Nunes et Cespedes, 2003 ; Tang et
Xing, 2001 ; Vanheems, 1995).
I.2.3.c.(3) Des typologies non exclusives. Enfin, ces deux typologies, directs versus indirects, online versus offline, ne sont pas
nécessairement exclusives l’une de l’autre : une même entreprise peut très bien avoir à la fois
des canaux directs et indirects, qui peuvent être soit online, soit offline, comme Levi’s39. Cette
entreprise avait développé en 1998 un site Internet dont elle avait internalisé la gestion, avec
pour objectif de s’adresser directement à ses consommateurs (canal direct online) pour leur
proposer ses produits. Mais parallèlement, ceux-ci étaient toujours vendus par d’autres
canaux : un réseau de points de vente, dont certains lui appartenaient directement (canal direct
offline), et dont d’autres étaient tenus par des franchisés (canal indirect offline) ; par des
vépécistes disposant d’un site Web (canal indirect online) ; par des grandes surfaces et des
chaînes spécialisées dans l’habillement (canal indirect offline). Nous avons donc un
dénominateur commun, que résume cette équation : multicanal = plusieurs canaux de
distribution, mais dont la nature juridique peut différer (directs versus indirects), de même que
le support qui va être utilisé pour prendre contact avec les clients et / ou réaliser la vente40
(online / offline).
38 La troisième génération de téléphone mobile, qui fait suite au GSM (première génération) et au GPRS (seconde génération), est également appelée UMTS. En cours de développement en France et en Europe, elle doit permettre à l’utilisateur d’accéder à l’Internet haut débit depuis son téléphone mobile, sous réserve de compatibilité de son appareil avec ce service. 39 http://www.computerworld.com/industrytopics/manufacturing/story/0,10801,51004,00.html. 40 Ces situations sont potentiellement conflictuelles, comme le montre le résultat de l’expérience chez Levi’s. Dès 1999, soit un an plus tard, cette entreprise fut dans l’obligation d’arrêter ses ventes en ligne, et son site Web renvoya vers ceux de ses distributeurs, comme Macy’s. Ces derniers avaient en effet décidé de boycotter la marque puisque, outre la concurrence de son site Web vis-à-vis des points de vente de ses traditionnels distributeurs, Levi’s leur avait également interdit de vendre ses produits en ligne.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
32
I.2.3.d) Quid de notre recherche ?
Nous cheminons vers notre propre définition d’un réseau de distribution multicanal,
laquelle reprendra en les adaptant les éléments présentés supra. Les origines sectorielles et
managériales de notre recherche, évoquées au cours de notre introduction générale, nous
incitent à suivre Strauss et Corbin (1998), lorsqu’ils expliquent qu’il est généralement très
difficile, voire impossible, de calquer des concepts issus d’une recherche sur une autre, et que
l’adaptation contextuelle41 est nécessaire pour renforcer la qualité du travail.
I.2.3.d.(1) Le nombre et le type de canaux. La difficulté d’accéder aux données nécessaires à l’élaboration d’une règle de
répartition des ventes ou du nombre de contacts par canal, par exemple, nous contraindra à
nous limiter à l’équation généralement admise dans la littérature : multicanal = plusieurs
canaux, au sens d’interfaces entre l’entreprise et le client final.
Quant à la prise en compte du type de canal, nous ne pouvons que nous aligner sur la
littérature existante, qui s’attache au multicanal indépendamment des catégories de canaux
étudiées. C’est pour cette raison que nous considérons depuis le départ que les recherches sur
ce thème sont comparables entre elles, bien qu’aucune certitude ne soit acquise sur ce point
comme nous l’avons souligné.
I.2.3.d.(2) La nature des canaux. Du fait de notre enracinement sectoriel, la suite de notre propos écartera délibérément
la distinction entre canaux directs et indirects. Nous ne traiterons pas, par exemple, de
problèmes liés à l’existence simultanée de franchises et de succursales, mais nous
cantonnerons à l’étude de la combinaison de canaux de distribution directs online et offline.
I.3 DIFFÉRENCIATION ET COMPLÉMENTARITÉ FONCTIONNELLES DES
CANAUX DE DISTRIBUTION.
Nous avons mentionné que l’un des risques patents du multicanal est d’adjoindre de
nouveaux canaux à l’existant, sans approfondir la réflexion autour de l’ensemble. En lieu et
place d’un supplément de valeur ajoutée pour les clients et l’entreprise, peuvent s’accumuler
les coûts liés à la création de canaux qui s’empilent les uns sur les autres. Ceci met en
41 Par adaptation contextuelle, nous entendons ici adaptation à la recherche nouvelle mobilisant les travaux antérieurs.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
33
évidence la nécessaire complémentarité des canaux entre eux, laquelle peut être notamment
atteinte par une affectation différenciée des tâches.
Cette répartition des tâches entre les canaux a fait l’objet de maintes réflexions dans la
littérature qui étudie le canal dans une perspective verticale. Elle indique que sous
l’appellation générique de distribution, se cache un ensemble de fonctions relevant de cette
activité (I.3.1). Nous postulons ici que cette idée de fonctions peut être reprise et appliquée
aux canaux de distribution comme formules de vente42 (I.3.2), ce qui viendra enrichir la
définition du réseau de distribution multicanal que nous proposons ensuite.
I.3.1 Les fonctions du canal de distribution.
Bien que nous considérions le canal au sens de formule de vente, d’interface entre le
client et l’entreprise, nous faisons ici un détour par la littérature plus traditionnelle des canaux
de distribution, qui recense les travaux s’attachant à déterminer ce que sont les fonctions d’un
canal de distribution. Ces analyses portent donc sur le canal selon une logique verticale, et
font l’objet d’une présentation succincte, que nous commentons ensuite.
I.3.1.a) Typologies des fonctions des canaux de distribution.
Le tableau 1-3 résume quelques unes des typologies des canaux de distribution dans le
cadre de ce que nous avons qualifié la perspective verticale des canaux de distribution. Nous y
avons ajouté, lorsque nécessaire, quelques remarques spécifiques à chacune d’entre elles.
Tableau 1-3 : Typologies des canaux de distribution dans une perspective verticale
AUTEURS FONCTIONS REMARQUES
Avril, 1964 –Jallais, 199743
Fonctions spatiales : transport, allotissement44, et fractionnement
Fonctions temporelles : stockage, financement de la production
Fonctions commerciales : assortiment, communication (aval-amont et vice-versa), et service
La présentation d’Avril comprend les deux
premières fonctions, auxquelles Jallais
ajoute les fonctions commerciales.
42 A nouveau, une remarque s’impose sur les termes employés dans la littérature : si des auteurs comme Dubois et Jolibert (1999) parlent des « fonctions de la distribution » ( : 525), Filser (1989), pour sa part, évoque « les fonctions des canaux de distribution » ( : 104). Ces auteurs traitent cependant de la même chose. 43 Nous présentons les travaux d’Avril à partir de celle qu’en fait Jallais (1997). 44 Organisation de l’entreposage de lots de produits en fonction de leur destination.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
34
Dubois et Jolibert, 1992,
1999
Fonctions classiques - Achat aux producteurs
des produits demandés par la clientèle
- Acheminement des marchandises des lieux de
production aux lieux de consommation
- Fractionnement des quantités importantes
livrées par le producteur en lots plus réduits
conformes aux attentes du consommateur
- Assortiment dans un lieu donné
- Allotissement consistant à regrouper des lots
dispersés de produits - Mise à la disposition et
présentation matérielle des produits aux points de
vente - Vente aux
consommateurs - Service après-
vente,…….
Fonctions modernes - Distribution physique des
produits ou logistique45 grâce aux conteneurs, à l’usage de palettes, de
matériels automatiques de manutention, à
l’implantation des magasins, des entrepôts… - Techniques de
fractionnement, de groupage, et de
conditionnement (packs, films, protecteurs, nouvelles formes d’emballage mieux adaptées au libre-service). - Nouvelles méthodes de vente (généralisation du
libre-service, de la vente par téléphone, commerce
électronique,…) - Moyens d’étude et d’action commerciales (utilisation par les intermédiaires d’études
de marchés, de panels, d’études d’implantation…) - Techniques de gestion et d’exploitation du magasin
Pour Dubois et Jolibert, les fonctions modernes ne remplacent pas les
fonctions traditionnelles, mais les
complètent : « les fonctions modernes de
la distribution se situent dans le
prolongement des fonctions
traditionnelles. Elles ne remettent pas celles-ci en cause mais exigent
du distributeur l’introduction d’un
nouveau savoir-faire aux plans technique et commercial » (: 529)
Stern et al., 1996
Tenue de l’inventaire Génération de la demande (vente)
Distribution physique Service après-vente
Crédit aux consommateurs
Stern et al. considèrent que producteurs,
grossistes, détaillants et tous les autres
membres du canal existent pour accomplir
au moins une de ces fonctions génériques
Kotler et Dubois, 1998
Recueil d’information Promotion
Négociation Prise de commande
Financement Prise de risque
Distribution physique Facturation
Transfert de propriété
Selon Kotler et Dubois, le problème n’est pas de savoir s’il faut ou
non remplir ces fonctions (car elles doivent l’être, dans tous les cas), mais
plutôt de savoir quel membre du canal va les
remplir
45 La logistique prend une place grandissante dans la recherche en distribution, comme le prouve notamment l’ouvrage issu d’un séminaire organisé par la FNEGE (Fabbe-Costes N., Colin J., Paché G. (coord.), Faire de la recherche en logistique et distribution, chapitre 2, pp 55-89, Vuibert-Fnege, Paris).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
35
I.3.1.b) Vers une complémentarité fonctionnelle des acteurs du canal.
Ces typologies, dont la quasi-totalité semble plus particulièrement applicable aux
biens matériels qu’aux services46, soulèvent une interrogation portant sur le caractère exclusif
ou non des fonctions présentées. En d’autres termes : à chaque membre du canal, une fonction
spécifique, que lui seul pourra remplir ? Il s’agirait alors d’une véritable spécialisation
fonctionnelle des canaux de distribution. Cela va dans le sens, par exemple, de Kotler et
Dubois (1999), qui nous disent que la question est de savoir qui, parmi les composantes du
canal, va remplir ces fonctions. Ils prônent une spécialisation des acteurs selon des critères
d’efficacité et d’efficience économique. A l’inverse, Stern et al. (1996) laissent penser que
toutes les composantes du canal peuvent remplir différentes fonctions, et qu’il peut y avoir
redondance : deux membres du canal peuvent accomplir la même fonction. Tenir un
inventaire, par exemple, peut relever autant des missions du grossiste que du détaillant. De
même en va-t-il de la prise de risque, ou de certaines des fonctions spatiales ou commerciales.
Très schématiquement, deux options sont donc possibles. D’un côté, une spécialisation
des acteurs du canal sur certaines fonctions que celui qui les prend en charge est en mesure de
remplir de manière plus efficiente et plus efficace que les autres organisations du canal. Il
s’agit alors d’une différenciation fonctionnelle entre les organisations du canal. De l’autre,
plusieurs membres assurent les mêmes fonctions, dans une redondance qui peut n’être
qu’apparente, puisque ces fonctions peuvent correspondre à différentes étapes du
cheminement suivi par le produit le long du canal. Dans les deux cas, l’objectif est d’assurer
la complémentarité entre les membres du canal, au niveau des fonctions dont ils sont chargés.
I.3.2 Une application aux formules de vente.
Notre but n’est pas par la suite de proposer une typologie des fonctions des canaux
pris en tant que formules de vente. L’introduction de cette notion de fonction vise en fait à
suggérer l’existence de différenciations et de complémentarités fonctionnelles, idée que nous
nous proposons d’appliquer à la perspective horizontale des canaux de distribution.
46 L’acheminement de marchandises, l’assortiment, les techniques d’allotissement, etc. semblent peu appropriées à des activités dont l’une des caractéristiques premières est d’être intangibles (e.g. Eiglier et Langeard, 1987)
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
36
I.3.2.a) Préférences fonctionnelles des clients.
Pour reprendre Kotler et Dubois (1998), il faut identifier qui va remplir les différentes
fonctions entre les organisations en présence, lesquelles sont, transposées à notre champ de
recherche, les différentes formules de vente mises à la disposition du client. Ceci est renforcé
par Moriarty et Moran, qui expliquent que ce n’est pas le canal, mais les « tâches marketing »
remplies par le canal qui sont au cœur de la réflexion (1990 : 148). Frazier (1999) ajoute que
« les fonctions d’un canal reflètent les tâches qui doivent être réalisées au sein d’un canal de
distribution » 47 ( : 235).
Identifier les fonctions assurées par des canaux de distribution revient dès lors à
distinguer clairement les tâches relatives de chacun d’entre eux les uns par rapport aux autres.
Autrement dit, les fonctions d’une formule de vente peuvent se retrouver par une
différenciation de ces rôles, et cette différenciation fonctionnelle permettra de positionner
chaque canal par rapport aux autres. Nous entendons donc par fonction, tout rôle que le canal
peut remplir afin de délivrer un produit (bien ou service) au client.
Il semble raisonnable d’imaginer que tous les formats de vente ne remplissent pas
toujours les mêmes fonctions (i.e. les mêmes tâches ou rôles) aux yeux du client. Ainsi,
Nunes et Cespedes (2003) font référence aux résultats d’une étude menée par Forrester
Research, selon laquelle près de la moitié des clients trouvent maintenant de l’information par
le biais d’un canal, puis « lui font défection dès lors qu’il s’agit de faire changer l’argent de
mains [...] Ils savent qu’ils ont plusieurs options de canaux, et qu’à différents moments de
leur processus d’achat, ils seront mieux servis par l’un ou par l’autre» ( : 98 et 99).
Ceci conforte les propos de Stone et al. (2002), qui relèvent que « différents canaux
peuvent être utilisés au mieux pour des tâches différentes, [...] et peuvent être utilisés de
façon différenciée » ( : 40), puis que « [...] plusieurs clients utilisent des canaux multiples à
travers le cycle d’achat ; certains canaux sont utilisés pour effectuer des recherches, tandis
que d’autres sont utilisés pour acheter ou pour obtenir un service. Si une entreprise décide
d’adopter une stratégie multicanale, elle doit se demander si tous ses canaux doivent offrir le
même éventail de produits et services, et si tous les canaux doivent supporter toutes les
fonctionnalités » (op.cit. : 44).
47 Nous adaptons les propos de Frazier à notre problématique, puisqu’ils sont originellement tenus relativement à la perspective verticale des canaux de distribution.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
37
Dans la même veine, Badot et Navarre (2002) évoquent « la double fonction de source
d’information et de canal de distribution » ( : 7) d’Internet, dont ils montrent la « multi-
affectation » (ibid. : 8) au long du processus d’achat48 : le recours à Internet intervient (ou est
susceptible de se produire) à des phases aussi diverses que l’identification du besoin, la
recherche d’informations, l’évaluation des attributs du produit ou service, la décision d’achat,
ou l’achat. D’après Burke (2002 : 418), les clients affichent toutefois des préférences à l’égard
d’un canal particulier selon la phase dudit processus. Par exemple, Internet est privilégié pour
une recherche d’informations sur le produit, ou pour comparer et évaluer les alternatives, et
les magasins, pour acheter et payer le produit, ou ramener des produits dont ils sont
insatisfaits (Anderson et al., 1997 ; Bendana, 2002 ; Burke, 2002).
Ce scénario relève du « click and mortar » : Internet n’est pas le seul canal de
distribution ou d’information dont use le consommateur, mais n’est qu’un des canaux mis à sa
disposition, et qui vient compléter d’autres canaux (centres d’appels, points de vente,
catalogue...). Il met en scène un canal (Internet), qui s’est vu attribuer des fonctions
spécifiques (information, communication, vente...) qui sont autant de services auxquels le
client peut accéder selon ses besoins.
Ces travaux mettent deux éléments en évidence. Le premier nous remet en présence de
notre précédente interrogation quant à la différenciation ou non des fonctions entre les canaux
afin d’assurer leur complémentarité (Anderson et al., 1997 ; Stone et al., 2002). Le second lui
apporte un élément de réponse : cette complémentarité entre les canaux est étroitement liée à
l’utilisation de ces canaux par les consommateurs. Plus exactement, cette complémentarité
trouve sa source dans la perception que les consommateurs ont de la capacité ou non d’un
canal à remplir l’une ou l’autre des fonctions qu’il est supposé remplir, puisque cette fonction
lui a été affectée. Cela appuie le besoin de différencier fonctionnellement les canaux entre eux
de manière objective (cf. ci-dessous), mais aussi de s’assurer que cette différenciation
fonctionnelle débouche sur une complémentarité fonctionnelle, complémentarité qui trouvera
sa raison d’être tout au long du processus de décision et d’achat du consommateur. Dès cet
instant, des redondances fonctionnelles entre plusieurs formules de vente peuvent s’expliquer
par la volonté de l’entreprise d’offrir un maximum de choix à ses clients, pour capter le
marché le plus large possible en répondant à la fragmentation des perceptions49.
48 Les auteurs s’intéressent à l’utilisation d’Internet au long du processus de décision et d’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion. 49 L’une des raisons expliquant la croissance des stratégies de distribution multicanales (cf. p 41).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
38
I.3.2.b) Différenciation et complémentarité fonctionnelles objectives, contextualisées et perçues.
De ce qui précède, nous pouvons déduire que les différences et complémentarités
existant entre les canaux sont notamment liées :
Ø A la nature même de la formule de vente : qui permet ou non d’assurer tel
ou tel rôle (de par ses caractéristiques techniques, son emplacement
géographique, le segment de clientèle auquel elle s’adresse (e.g. Moriarty et
Moran, 1990…). Ce que nous appellerons différenciation et complémentarité
fonctionnelles objectives, ou réelles, associées au canal.
Ø A la contextualisation de la demande du client : selon par exemple le lieu,
le moment, ou le type de produit (Belvaux, 2003 ; Lal et Sarvary, 1999 ;
Payne et Frow, 2004) le client percevra différemment ces différenciations et
complémentarités (Burke, 2002: 427). Nous les qualifions de différenciation
et complémentarité fonctionnelles contextualisées. En pareilles circonstances,
différenciation et complémentarité résultent par exemple de l’existence de
conditions d’utilisation différentes des canaux, qui facilitent la consommation
du client.
Ø A la perception de ces différenciations et complémentarités par le client :
si le contexte peut influencer cette perception, nous insistons plutôt ici sur des
caractéristiques propres au client, telles son âge, son niveau d’éducation, sa
capacité à utiliser certains canaux, etc. Ce sont les différenciation et
complémentarité fonctionnelles perçues. Cette distinction perceptuelle de la
part des clients a été montrée par Vanheems (1995), qui compare les
bénéfices et coûts perçus que des clients associent à deux formules de vente,
le magasin et le catalogue ( : 282-296).
Cette décomposition va dans le sens de Vanheems, pour qui « l’acheteur fait évoluer
les fonctions associées à chaque formule de vente. Il agit en contournant les « désutilités »
qu’il associe à l’une ou l’autre des formules à un niveau spécifique de son processus d’achat.
Il accroît le bénéfice qu’il retire de son processus d’achat, en fréquentant les deux formules
de distribution pour l’achat d’un même produit » ( : 119).
Les fonctions qu’un canal de distribution peut remplir sont donc dépendantes de leurs
caractéristiques intrinsèques, du contexte dans lequel se situe la demande du client, mais aussi
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
39
(et peut-être surtout) de la perception des clients quant à la capacité des canaux à assurer ces
fonctions. Il est ainsi possible d’envisager une spécialisation relative des canaux les uns par
rapport aux autres à partir de ces trois dimensions. Par exemple, si les clients jugent qu’un site
Internet n’est pas suffisamment sécurisé pour réaliser un achat, ils n’achèteront pas via ce
canal (Curran et Meuter, 2005). Autrement dit, la fonction vente, bien qu’existante du fait des
caractéristiques (techniques, notamment) du canal Internet, ne sera pas utilisée par les
consommateurs des produits d’une entreprise, qui pourrait même la faire disparaître, faisant
ainsi évoluer ce que nous pourrions appeler « l’éventail fonctionnel du canal »50 (l’ensemble
des fonctions qu’un canal de distribution peut proposer aux clients de l’entreprise).
En ce sens, le recours à plusieurs canaux permet non seulement de combiner leurs
avantages entre eux, mais aussi de limiter les inconvénients propres à chaque canal,
inconvénients difficilement surmontables avec une stratégie « monocanale ».
I.4 LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : UNE DÉFINITION.
Jusqu’à ce stade, nous nous sommes efforcés de mettre en exergue différents éléments
caractéristiques d’un réseau de distribution multicanal, afin de pouvoir en proposer notre
propre définition. Nous les rappelons brièvement :
Ø Un ensemble d’organisations (plusieurs canaux).
Ø Un contact direct avec le client.
Ø Des organisations interdépendantes.
Ø Des statuts juridiques hétérogènes (directs versus indirects).
Ø Des supports hétérogènes (online versus offline).
Ø Des organisations différenciées et complémentaires entre elles.
Ø Des objectifs d’ordre financier, marketing, et opérationnel.
50 C’est ce qui s’est produit pour le site Internet de Décathlon : originellement conçu pour (entre autres fonctions) réaliser des ventes, sa relative non-utilisation par les clients pour réaliser des achats a mené à la disparition de cette fonction vente, pour ne laisser qu’une fonction d’information (Journal du Net, éditions du 07 janvier et du 19 juin 2003).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
40
En organisant ces éléments, nous sommes en mesure de définir le réseau de
distribution multicanal comme suit (Encadré 1) :
Encadré 1 : Définition d’un réseau de distribution multicanal dans le cadre de cette recherche
Un réseau de distribution multicanal est un ensemble d’organisations en contact
direct avec le client (les canaux), qui sont en situation d’interdépendance, plus ou moins
marquée en fonction de l’existence ou non de différenciations et complémentarités
fonctionnelles entre les canaux qui le composent. Certains de ces canaux peuvent
appartenir directement à l’entreprise productrice des biens et services vendus, tandis
que d’autres lui sont liés contractuellement (franchise, agents...) pour commercialiser
des produits et services (les mêmes ou non) auprès des clients existants ou potentiels.
Chacune de ces organisations peut être présente online et/ou offline, et remplit un
certain nombre de fonctions complémentaires entre elles et entre les canaux, visant à
assurer rentablement une qualité de service optimale aux clients de l’entreprise.
Nous rappelons que l’origine de notre recherche et son champ d’application font que
nos propos porteront sur le cas d’un réseau de distribution multicanal dont les canaux
appartiennent tous directement à l’entreprise productrice, qu’ils soient online ou offline.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
41
SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT
D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL.
A la suite de cette première section, conclue par l’exposé de notre définition d’un
réseau de distribution multicanal, de nombreuses questions se soulèvent. Parmi elles : pour
quelles raisons de tels réseaux se développent-ils ? Quels avantages, et quels inconvénients,
présentent-ils, pour les entreprises ou pour leurs clients ? etc.
En effet, de multiples industries sont affectées par ces transformations. La banque de
détail, bien sûr, est comme nous l’avons déjà écrit au cœur d’une révolution distributive sans
précédent, conséquence directe de l’introduction de nouveaux canaux de distribution par
lesquels les clients peuvent entrer en relation ou en contact51 avec leur banque. Mais d’autres
secteurs, tels la distribution de voyages (Louvieris et al., 2003), de journaux (Geyskens et al.,
2002), ou de quantité d’autres biens ou services traversent la même phase de changements52.
La sous-section II.1 est consacrée aux raisons de la croissance de ces stratégies basées
sur l’utilisation de multiples canaux pour toucher la clientèle existante ou potentielle, et
distribuer des produits ou services53. Dans un second temps, nous nous penchons sur les
avantages (II.2) et les risques (II.3) inhérents à la mise en place d’une telle stratégie.
II.1 PRINCIPES DU DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX DE DISTRIBUTION
MULTICANAUX.
Nous identifions six facteurs apparemment non indépendants les uns des autres54, dont
la concomitance peut être considérée à l’origine du développement des nouveaux canaux de
distribution et, par conséquent, des stratégies de distribution multicanale. Ces six facteurs, que
nous développons ci-après, sont succinctement présentés dans la figure 1-3.
51 Nous reviendrons ultérieurement sur la distinction entre ces deux concepts. 52 Ainsi que le prouve le succès d’entreprises ayant opté pour une distribution multicanale, telle la Fnac avec Fnac.com (Journal du Net, 09/12/2004, http://www.journaldunet.com/0412/041209fnac.shtml), Banque AGF... 53 Notre souci dans cette première partie est, rappelons-le, d’étudier le multicanal sans distinction sectorielle, dans un souci de généralisation de nos propos. 54 Non-indépendance que nous ne pouvons que supputer, puisque ne disposant pas de résultats de recherches s’attachant à analyser les éventuelles interrelations entre ces six facteurs. Pour cette raison, nous ne faisons pas apparaître d’éventuels liens entre ces derniers sur la figure 1-3.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
42
Figure 1-3 : Les six facteurs explicatifs du développement des réseaux de distribution multicanaux
II.1.1 L’innovation technique.
Elle semble au premier rang des facteurs explicatifs du développement de ces réseaux
(Burke, 2002 ; Frazier, 1999 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004 ; Willcoks et Plant,
2001), puisque l’une de leurs caractéristiques est de distinguer entre canaux offline et online.
Or, il est évident que ces derniers ne pouvaient se développer sans qu’intervienne, a minima,
le progrès technique. Ordinateur personnel, téléphone portable aux fonctionnalités toujours
plus riches, réseau sans fil, télévision interactive par satellite, bornes interactives toujours plus
performantes... Autant de supports pour des services à distance qui, sans l’explosion
DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX DE
DISTRIBUTION MULTICANAUX
INNOVATION TECHNIQUE
(développement de nouveaux supports)
RÉVOLUTION CONCURRENTIELLE
(vers le « click and mortar »)
LES CLIENTS : COMMODITÉ ET
CONTRÔLE (affranchissement des
barrières)
FRAGMENTATION DES MARCHÉS (incompatibilité
croissante des segments)
ÉVOLUTION DES FORMULES DE DISTRIBUTION (cycles de vie des formules de vente)
MIMÉTISME STRATÉGIQUE ET
CULTUREL (intra et intersectoriel)
Burke, 2002 ; Frazier, 1999 ; Prahalad et Ramaswamy,
2000, 2004 ; Willcoks et Plant, 2001
Gulati et Garino, 2000 ; Pottruck et Pierce, 2000 ; Sharma et Krishnan, 2002
Bendana, 2004 ; Gauzente, 2000 ; Jaworski et Kohli, 1993 ; Kalika, 2000a ; Prahalad et
Ramaswamy, 2004 ; Rival, 2005
Anderson et al., 1997 ; Vanheems, 1995 ; Zeithaml et
Bitner, 2003
Anderson et al., 1997 ; Vanheems, 1995
Burke, 2002 ; Nunes et Cespedes, 2003 ; Sharma et Krishnan, 2002 ; Sharma et Tzokas, 2002 ; Stone et al.,
2002
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
43
d’Internet, n’auraient pu voir le jour. Leur interconnexion permanente est assurée par des
systèmes d’informations qui assurent transfert et partage des informations en temps réel.
II.1.2 Une révolution concurrentielle.
L’abolition (ou quasi-abolition) des barrières géographiques découlant de l’avènement
d’Internet a favorisé la naissance et le développement d’entreprises ne commercialisant leurs
produits et services qu’en ligne (Pottruck et Pierce, 2000), à l’instar d’Amazon. Ces dernières
se posent en alternatives aux entreprises « en briques et en béton » existantes, i.e. disposant de
réseaux de points de vente physiques dans lesquels doivent se déplacer les clients (Sharma et
Krishnan, 2002). Devant le succès (relatif) de cette stratégie, et afin de répondre aux
exigences nouvelles de la clientèle qu’elle révélait, les entreprises en place durent s’adapter :
« L’éclatante séparation qui distinguait les ‘‘.com’’ des entreprises déjà présentes s’estompe
rapidement. Les entreprises reconnaissent que le succès dans la nouvelle économie ira à
celles qui pourront exécuter des stratégies ‘‘click-and-mortar’’ qui font le lien entre les
mondes physique et virtuel » (Gulati et Garino, 2000 : 107).
Outre Internet, la création de centres d’appels55 utilisant des technologies de gestion de
la relation client de plus en plus poussées participe également de ce mouvement de
renforcement de la concurrence, à l’instar des différentes innovations techniques citées supra.
II.1.3 Les clients à la recherche de commodité et de
contrôle.
La demande des clients pour toujours plus de commodité alimente fortement le
développement du multicanal (Anderson et al., 1997 ; Burke, 2002 ; Stone et al., 2002). La
possibilité de s’informer, de passer une commande, ou d’effectuer un achat depuis son
ordinateur, son téléphone mobile... affranchit les consommateurs des barrières géographiques
et horaires. Ils apprécient également la possibilité de trouver une information sur Internet,
pour ensuite se rendre dans un magasin et contrôler le produit (caractéristiques techniques,
qualité d’une prestation...), et finalement l’acheter sur Internet, via un site affichant un rabais
conséquent sur le prix initial (Nunes et Cespedes, 2003).
Les clients trouvent dans le multicanal une réponse à leur désir de contrôler (ou
d’avoir la sensation de contrôler) la relation avec une entreprise (Sharma et Krishnan, 2002 ;
55 Encore appelés centres de relations clients, ou centres d’interactions clients (« Customer interaction centers », Weirtz et al., 2004 : 424).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
44
Sharma et Tzokas, 2002). Ainsi, une étude récente (2004) indique que 57% des
consommateurs américains abandonnent leur achat en cours de route sur Internet56, ne se
sentant aucunement obligés d’aller au bout d’un processus qu’ils auraient peut être mené à
son terme en magasin, sous la pression d’un vendeur.
II.1.4 La fragmentation des marchés.
La tendance à la personnalisation accroît la fragmentation de marchés dont les
différents segments, aux attentes parfois incompatibles57 (Zeithaml et Bitner, 2003), ne
peuvent désormais plus que difficilement être touchés par un seul format de distribution : « La
diversité croissante des attentes des consommateurs milite ‘’en faveur d’une segmentation
croissante des marchés, débouchant sur une plus grande variété des concepts de
distribution’’ » 58 (Vanheems, 1995 : 16).
Anderson et al. (1997) abondent en son sens : « De plus, avec [...] la fragmentation
des segments de clientèle, les approches recourant à des canaux multiples sont souvent la
seule manière de couvrir la totalité du marché. Différents consommateurs, aux
comportements d’achat différents, vont chercher les canaux qui servent leurs besoins au
mieux » ( : 64).
II.1.5 Évolution des marchés et des cycles de vie des
formules de distribution59.
Une fois une formule parvenue à maturité, les distributeurs sont obligés d’en adopter
de nouvelles pour satisfaire de nouveaux segments du marché. Cette diversification, selon
Filser (1989), est la meilleure réponse au raccourcissement du cycle de vie des formules de
vente. Elle peut aussi dépendre du cycle de vie des produits commercialisés par l’entreprise
(Vanheems, 1995 : 17 ; Anderson et al., 1997), et de la façon dont les consommateurs
abordent ledit produit au long de ce cycle, ce que Vanheems (1995) résume ainsi : « La
56 Résultats diffusés par le Journal du Net du 23/11/2004 : http://www.journaldunet.com/cc/04_ecommerce/ecom_compachat_us.shtml 57 Un « technophobe » a peu de chances d’acheter un voyage sur Internet, contrairement à un « technophile ». Choisir de distribuer ses produits via l’un ou l’autre des canaux (agence ou Internet, par exemple) reviendra donc inévitablement à se couper de l’un ou l’autre de ces segments, ce qui ne sera pas le cas avec une distribution multicanale. 58 Vanheems cite elle-même l’article de Ducrocq C. (1991), « Principes d’évolution des formules de distribution », Revue Française de Marketing, 135, 5. 59 Ce titre est une adaptation de celui de Vanheems, 1995 : 16 (« Encombrement des marchés et cycle de vie des formules de distribution et des produits »).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
45
proposition d’un nouveau format de vente correspond alors au souci du praticien de
s’adapter aux évolutions de ce que veut le consommateur et à la manière dont il le veut »
( : 17).
Autrement dit, si un consommateur potentiel souhaite pouvoir accéder de chez lui, en
pleine nuit, à un catalogue de voyage pour planifier ses prochaines vacances, il faut lui
proposer cette possibilité en mettant cette offre sur Internet, et en lui fournissant toutes les
informations nécessaires à la préparation de son séjour (Rival, 2005).
Pour affronter cette évolution, Anderson et al. (1997 : 64) conseillent de se placer sur
plusieurs canaux, tout en limitant les investissements pour chacun d’entre eux. Si cette option
peut sembler indécise et peu rationnelle, ils précisent que c’est la plus appropriée dans un
environnement turbulent, qui va rendre plus difficile la détermination du canal le plus
approprié. Procéder par incrémentation, en éliminant successivement les canaux les moins
performants, et en se renforçant progressivement sur ceux les plus valorisés par la clientèle,
constitue donc à leurs yeux le choix adéquat.
II.1.6 Un mimétisme stratégique et culturel.
Confrontées aux cinq facteurs précédents, les entreprises se sont massivement tournées
vers des stratégies basées sur ce que Kalika (2000a) appelle le e-management, c’est-à-dire
« l’intégration dans l’ensemble des processus de management, c’est-à-dire, la finalisation,
l’organisation, l’animation, le contrôle, des impacts des nouvelles technologies de
l’information et de la communication (NTIC) » ( : 3). Une des conséquences apparentes de ce
changement fut la forte croissance de réseaux de distribution multicanaux dans des secteurs
aussi variés que le tourisme (Rival, 2005), la banque de détail (Bendana, 2004), ou la
publication de journaux (Geyskens et al., 2002). Par ailleurs, la multiplicité des avantages
potentiels découlant de telles stratégies (cf. p. 47) n’eut pas pour effet de freiner la volonté et
le désir de les déployer.
En outre, la remise en perspective du contexte historique dans lequel sont intervenues
ces transformations est indispensable à leur compréhension (Gauzente, 2001). Lequel
contexte se caractérise tout d’abord par un effet de mode à la fin de la décennie 1990 et au
début de l’année 2000. Les marchés financiers valorisaient alors systématiquement toute
annonce concernant la mise en place d’un nouveau canal de vente via Internet60. En
60 Ce que nous rappelle Pierre-Antoine Delhommais dans son article intitulé « Du krach des tulipes à la bulle Internet » paru dans Le Monde du 06 Juillet 2002.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
46
conséquence, l’amélioration de la valorisation boursière d’une entreprise passait presque
automatiquement par une initiative allant en ce sens. C’est d’ailleurs un des résultats de
Geyskens et al. (2002), qui montrent que l’addition d’un canal de distribution par Internet a
une influence positive sur le cours de bourse de l’entreprise.
Mais au-delà de cet effet de mode qui a largement favorisé, sinon exacerbé, les effets
de mimétisme stratégique, une transformation culturelle plus profonde s’est progressivement
diffusée et installée. La multiplication des canaux s’est ainsi également inscrite dans le cadre
d’une prise de conscience de l’importance de l’orientation client, ou orientation marché,
correspondant schématiquement à la mise en place d’une organisation centrée sur le client61
(Gauzente, 2000 ; Jaworski et Kohli, 1993 ; Kohli et Jaworski, 1990). Un des corollaires de
cette prise de conscience fut alors de considérer les canaux de distribution comme un moyen
de placer le client au cœur de l’entreprise (Prahalad et Ramaswamy, 2004).
II.2 LES AVANTAGES D’UNE STRATÉGIE DE DISTRIBUTION
MULTICANALE.
L’objectif d’une entreprise adoptant une stratégie multicanale n’est autre que de
combiner les avantages relatifs de chacune des formules de vente, tout en s’affranchissant des
inconvénients intrinsèques à chacune d’elles, de par la complémentarité qu’elle souhaite
instaurer entre ses canaux. En quelque sorte, il s’agit des leviers du développement d’une
stratégie de distribution multicanale.
Ces avantages (de même pour les inconvénients) sont relativement simples à identifier,
par canal (e.g. Sharma et Krishnan, 2002). Il en va différemment lorsque l’on additionne les
canaux entre eux, certains effets positifs pouvant s’annuler entre les canaux. La littérature
nous offre des pistes de réflexion, même si les recherches empiriques sont encore rares. Par
conséquent, une majorité des contributions mobilisées dans cette section sont essentiellement
théoriques (e.g. Grewal et al., 2002) ou managériales (e.g. Collart et Lejeune, 2001).
Certains travaux peuvent même troubler la réflexion, en ce sens qu’ils se concentrent
soit sur l’étude d’un canal en particulier (le plus souvent, Internet), soit sur l’ajout d’un canal
(encore une fois, Internet) à un autre, en se penchant essentiellement sur les avantages propres
à ce nouveau canal, sans forcément se concentrer sur les avantages du couple ainsi formé (à
l’instar de Geyskens et al., 2002). Il convient donc d’être extrêmement attentif à la façon
61 Nous ne nous attardons pas ici sur cette notion, que nous développons ultérieurement (p 250).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
47
d’exposer ces avantages (et risques), en gardant à l’esprit que notre intérêt premier va à la
combinaison des canaux.
Ces réserves et remarques émises, nous nous intéressons dans un premier temps aux
avantages qui peuvent découler d’un réseau de distribution multicanal pour une entreprise
(II.2.1), puis nous interrogeons sur ses conséquences positives pour le client (II.2.2).
II.2.1 Que peut retirer une entreprise d’une telle
stratégie ?
Le tableau 1-4 synthétise les différents avantages du multicanal pour l’entreprise, que
nous allons passer en revue.
Tableau 1-4 : Les avantages du multicanal : le point de vue de l’entreprise
DU CÔTÉ DE L’OFFRE DU CÔTÉ DE LA DEMANDE Accroissement de la demande Baisse des coûts de distribution
Avantage-coût de chaque canal
Économies d’échelle
Économies d’envergure
Amélioration de la satisfaction globale
du client
Approfondissement de la relation client / entreprise Transversalité, flexibilité et partage des
ressources Accroissement des prix proposés
II.2.1.a) Côté offre : une amélioration de l’efficience.
Baisse des coûts de distribution, économies d’échelle et d’envergure, partage des
ressources, flexibilité... sont autant de vecteurs d’amélioration de l’efficience, définie comme
« le niveau de ressources utilisé pour obtenir une valeur donnée » (Johnson et al., 2002).
II.2.1.a.(1) Une baisse potentielle des coûts de distribution Une des motivations premières de l’introduction de nouveaux canaux est de diminuer
les coûts de distribution, par une action sur l’un de ces trois leviers62.
62 Une autre possibilité est d’agir sur les coûts de transaction, puisque la mise en place d’un site Internet peut permettre une réduction ex-ante des coûts de transaction par un contournement des intermédiaires (Geyskens et al., 2002 : 104). Nous n’en parlons pas à dessein, puisque nous avons explicitement évacué les problématiques inter-organisationnelles de notre réflexion.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
48
(i) Miser sur les avantages de coûts relatifs des
canaux.
Chaque canal se caractérise par une structure de coûts plus ou moins avantageuse pour
l’entreprise, en fonction de son degré d’automatisation, de la répartition frais fixes / frais
variables, etc. Une analyse comparative des coûts de distribution relatifs à certains canaux,
comme celle affichée dans le tableau 1-5, montre que le coût global peut être réduit jusqu’à
98% pour certains services.
Tableau 1-5 : Exemples de réduction du coût de distribution entre un réseau physique et Internet
TRANSACTION COÛT EN POINT
DE VENTE PHYSIQUE
COÛT SUR INTERNET
RÉDUCTION DE COÛT
Vente de logiciels 15 dollars 0,2 dollars 98,7%
Transaction bancaire 1 à 4 dollars 0,13 dollars De 87 à 96,7%
Vente d’un billet d’avion 8 dollars 1 dollar 87,5%
Paiement de factures 2 dollars 0,65 dollars 67,5%
Source : Sharma et Krishnan, 2002 : 319
L’intérêt de ces chiffres reste cependant limité. Ce tableau n’effectue qu’une
comparaison rapide entre deux canaux, tandis qu’une stratégie multicanale implique par
définition de conserver les deux catégories de canaux, et non de faire passer, par exemple,
l’ensemble des ventes réalisées en magasins sur Internet. Qui plus est, de récentes études
menées sur l’évolution du coût de distribution en fonction du nombre de canaux utilisés
laissent dubitatifs quant à la réalité de cette baisse de coût63, que nous préférons donc qualifier
de potentielle. La rareté de ces travaux ne peut cependant ôter tout doute sur les véritables
conséquences de la multiplication des canaux sur le coût global de distribution. Nous nous
bornerons donc à indiquer que l’association de plusieurs canaux pour diminuer le coût de
distribution global de l’entreprise reste pure conjecture.
La réalisation de ces économies dans le coût de distribution est enfin étroitement
dépendante du comportement des consommateurs. Si ces derniers considèrent que le canal qui
maximise le plus leur utilité est celui dont le coût de distribution est le plus élevé pour
l’entreprise, les économies attendues ne se concrétiseront pas, à moins que l’entreprise ne 63 cf. p 58 du présent document.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
49
parvienne à modifier la perception de ses clients quant à la valeur que leur apportent les
différents canaux64.
(ii) Réaliser des économies d’échelle.
Grewal et al. (2002 : 308) défendent l’idée qu’Internet peut permettre de réduire les
coûts de distribution dans les points de vente. De leur point de vue, il est possible de
remplacer des vendeurs à temps plein par des vendeurs à temps partiel dans les magasins,
lesquels coûtent moins cher et permettent d’accroître la flexibilité (en ajustant par exemple le
nombre de vendeurs selon la période de l’année ou même selon l’heure de la journée65). Ils
reconnaissent que cette solution réduirait le nombre de vendeurs professionnels, dotés de la
formation professionnelle adéquate, dans le magasin, ce qui risquerait de faire perdre des
ventes et causer une baisse significative de la qualité du service fourni aux clients. Mais alors
« arrive l’Internet » (ibid.). Source d’informations sur les produits, et élargissant la base de
clients potentiels (cf. infra), Internet peut provoquer une élévation de la productivité des
vendeurs en magasins. D’où l’idée avancée par Grewal et al. (2002) de la possibilité
d’accroître les volumes globaux de ventes à moindre coût.
(iii) Réaliser des économies d’envergure.
Easingwood et Coelho (2003) ont étudié la stratégie de 62 institutions financières
Outre-manche pour vérifier si l’une des raisons d’être du multicanal était la recherche
d’économies d’envergure66. Ils en arrivent à une conclusion contre intuitive intéressante : les
entreprises étudiées ne sont pas focalisées sur la réalisation d’économies d’envergure pour
développer leur stratégie multicanale. Ou plus exactement, ce n’est qu’à partir du moment où
ces entreprises réalisent au moins 15% de leurs ventes par plus d’un canal que la recherche
d’économies d’envergure devient une préoccupation importante. Ces résultats doivent
cependant être maniés prudemment pour au moins trois raisons :
64 Par exemple, une société d’assurance peut tenter de commercialiser ses produits sur Internet, afin de diminuer les coûts afférents au maintien de son réseau de points de vente. Si les clients considèrent qu’Internet n’est pas assez sûr (protection de leurs données personnelles), ou ne leur apporte pas toutes les informations dont ils ont besoin, ils continueront à se rendre chez leur agent d’assurance. 65 Ces auteurs américains fondent leur raisonnement sur un droit du travail plus souple qu’en France, où une telle organisation pourrait s’avérer beaucoup plus complexe à mettre en œuvre. 66 Pour rappel, des économies positives d'envergure existent lorsque le coût de production (ici, de distribution) d'un ensemble de biens ou de services est inférieur à la somme des coûts de production (distribution) de chaque produit pris isolément.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
50
Ø La détermination de ce seuil de 15% est relativement arbitraire, comme
l’admettent les auteurs eux-mêmes.
Ø L’étude ne porte que sur un seul secteur d’activité, ce qui pose un problème
de généralisation.
Ø Enfin, Internet n’est à aucun moment considéré comme canal de distribution
dans l’étude (il n’est pas même mentionné), ce qui peut sembler totalement
incompréhensible67.
II.2.1.a.(2) Transversalité, flexibilité et partage des ressources.
Proposer aux clients de nouveaux modes d’accès aux produits passe par une refonte
importante des processus de l’entreprise, pour en améliorer l’efficacité (Stone et al., 2002).
Un système d’information commun aux différents canaux et le développement d’une
organisation transversale (Kalika, 2000b ; Kalika et al., 2000) à l’ensemble des canaux paraît
être une condition sine qua non de réussite, car permettant à chaque canal de disposer des
mêmes données sur les prix, les produits, les clients... L’interconnexion entre les canaux grâce
à un système de communication favorisant les échanges est lui aussi indispensable (Badoc,
2004a, b), et permet d’améliorer la flexibilité de l’entreprise dans sa réponse à la demande du
client. Comme l’illustre l’exemple de notre chapitre introductif, des dissonances entre les
canaux sur l’un ou l’autre de ces points peuvent avoir de graves conséquences sur la
satisfaction du client.
II.2.1.b) Côté demande : toujours plus.
II.2.1.b.(1) Accroître la demande. La préférence des clients à l’égard d’un canal variant selon des facteurs tels que leur
âge, leur niveau social, la contextualisation de leur demande, etc. (cf. p 38), il en ressort que le
multicanal enrichit les méthodes de segmentation connues. De ce fait, le recours à plusieurs
canaux de distribution permet de toucher des segments nouveaux et différents, donc une
population de clients potentiels plus vaste (Anderson et al., 1997 ; Stone et al., 2002).
Combiner canaux à distance et canaux traditionnels élargit aussi géographiquement le marché
potentiel auquel l’entreprise a accès (Grewal et al., 2002 : 308), à un coût moindre que s’il
avait fallu étendre un réseau de points de vente. Enfin, cela peut procurer un avantage
67 Une possible explication est la date de réalisation de leur phase empirique, qui n’est malheureusement pas indiquée dans leur contribution.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
51
concurrentiel assurant un flux de clients nouveaux qui auparavant s’adressait aux concurrents
de l’entreprise (Geyskens et al., 2002), pour peu qu’une telle combinaison réponde à leurs
attentes.
Toutefois, les résultats de l’étude empirique d’Easingwood et Storey (1996) mettent à
mal cette hypothèse, lesquels montrent qu’il n’y a pas d’association entre l’intensité du mix
distributif d’une entreprise, c’est à dire le nombre total de canaux qu’elle utilise pour
distribuer ses produits et services, et l’accroissement des opportunités de ventes68. Ce résultat
peut néanmoins trouver une explication dans certaines des limites de leur recherche69, et l’on
peut supposer que le multicanal permet bel et bien une extension de la couverture de marché.
II.2.1.b.(2) Améliorer la satisfaction globale du client pour approfondir la relation client / entreprise.
Le multicanal participe à une amélioration de l’expérience de consommation du client
(Badot et Navarre, 2002 ; Burke, 2002), et est susceptible d’accroître la valeur du bien ou
service consommé aux yeux de celui-ci70, donc sa satisfaction vis-à-vis de l’entreprise. La
simple existence du multicanal est donc un facteur potentiel d’amélioration de la satisfaction
du client de par les avantages non-économiques qu’il peut en retirer71.
De plus, la satisfaction générale du client vis-à-vis de l’entreprise est aussi fonction de
sa satisfaction à l’égard du service fourni par chacun des canaux de l’entreprise, autrement dit,
de la qualité de service perçue offerte par chaque canal72 (Montoya-Weiss et al., 2003 : 455).
Puisque semble exister une relation positive entre qualité de la prestation et volonté du
client de poursuivre la relation et d’acheter à nouveau à l’entreprise (e.g. Grönroos, 2001 :
128 ; Hart et Johnson, 1999), le multicanal peut signifier une relation de long terme entre le
client et son fournisseur, lequel devrait voir sa profitabilité s’accroître (Reichheld, 1999).
68 « Enhanced future opportunities », incluant : « better company image, new markets, enhanced new products capability ». 69 L’inclusion d’items aussi divers pour mesurer ce concept est susceptible d’expliquer leur impossibilité à valider leur hypothèse, ce que les auteurs laissent d’ailleurs entendre, mais ils soulignent dans le même temps que l’explication peut reposer dans l’absence de propositions innovantes des entreprises à leurs clients, ce qui limiterait l’accès à ces nouveaux marchés potentiels. Précisons encore que Easingwood et Storey n’incluent pas Internet dans leur recherche. 70 Nous ne faisons qu’effleurer le concept de valeur perçue par le client, car il sera repris plus en détail lorsque nous nous pencherons sur les avantages du multicanal pour le client. 71 Il va sans dire que cette condition est insuffisante pour assurer la satisfaction du client, puisque la simple distribution multicanale ne garantit en rien si le bien ou service consommé est de mauvaise qualité. 72 Malheureusement, les modalités de la combinaison de ces perceptions restent inconnues : y a t il additivité des perceptions ? Ou multiplication ? Ou encore, sont-elles dotées de pondérations différentes dans l’évaluation générale de la prestation, ce qui laisserait penser que la défaillance d’un canal pourrait être compensée par une performance particulièrement remarquable d’un autre ?
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
52
Dans cette veine, Easingwood et Storey (1996 : 238) démontrent empiriquement qu’un réseau
de distribution multicanal induit une augmentation des ventes de l’entreprise73, ainsi d’ailleurs
qu’une profitabilité supérieure à celle résultant de l’utilisation d’un canal unique. De même,
Geyskens et al. (2002) relèvent que les ventes dans les magasins de Barnes and Noble,
libraire américain, ont fortement augmenté après la mise en place du site Internet, « car cela a
accru l’intérêt de ses clients pour les livres » ( : 103).
II.2.1.b.(3) Accroître les prix proposés. Lal et Sarvary (1999) montrent que lorsqu’il y a une proportion suffisamment
importante d’acheteurs par Internet, et que les attributs non digitaux74 du produit sont
relativement peu nombreux, les entreprises peuvent en profiter pour relever leurs prix sur
Internet. Geyskens et al. (2002) soulignent aussi que les clients peuvent devenir plus fidèles
en achetant sur Internet que dans les magasins physiques, ce qui donne l’opportunité aux
firmes de relever leurs prix, les clients fidèles ayant une élasticité prix moins forte.
Enfin, une étude comparant les politiques de prix entre des vendeurs de DVD utilisant
plusieurs canaux, et leurs concurrents purement en ligne a mis en évidence un écart positif
important (14%) entre les sites Internet des détaillants multicanaux, et ceux de leurs
concurrents (Tang et Xing, 2001), laissant à nouveau supposer que le multicanal peut avoir
tendance à accroître le prix demandé à l’acheteur.
Nous tenons toutefois à nuancer les résultats de ces recherches, qui comportent une
limite majeure qui n’est pourtant que rarement évoquée. Menées alors qu’Internet et les
stratégies multicanales n’étaient encore qu’embryonnaires, elles ne prennent pas en
considération la dimension processuelle d’un double apprentissage que vivent consommateurs
et entreprises. Les premiers, à mesure qu’ils utilisent les canaux mis à leur disposition,
apprennent à les utiliser pour maximiser leur utilité, notamment en faisant jouer la
concurrence sur laquelle ils ont de plus en plus d’informations. Cela induit une nécessaire
adaptation de la part des entreprises, confrontées à des concurrents qui eux aussi adoptent des
stratégies multicanales et proposent une transparence accrue aux consommateurs, ce qui peut
déboucher sur des baisses de prix selon les mécanismes classiques de concurrence (Bienaymé,
1998).
73 Ayant souligné supra que ladite étude montrait que le multicanal n’impliquait pas l’extension de la couverture du marché, nous sommes en droit d’en déduire que l’augmentation des ventes observée par les auteurs résulte de ventes supplémentaires aux clients existants. 74 Attributs nécessitant une inspection physique de la part de l’acheteur pour en évaluer la qualité (Lal et Sarvary, 1999 : 485).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
53
II.2.2 Un gain de valeur délivré aux clients.
Lorsque cela est possible, les clients préfèrent avoir le choix entre différents canaux de
distribution (Burke, 2002). Ce choix du mode de contact avec l’entreprise est supposé
renforcer les avantages intangibles du produit (Collart et Lejeune, 2001). Autrement dit,
l’instauration de canaux supplémentaires à un canal déjà existant peut avoir un impact sur la
perception de la valeur de l’offre par le client, comme nous l’avons d’ailleurs fait remarquer
supra. D’où cette formule qui résume l’ensemble des avantages que peut retirer le client d’un
réseau de distribution multicanal : obtenir plus de valeur (figure 1-4).
Figure 1-4 : Multicanal et gain de valeur pour le client
II.2.2.a) La valeur perçue : une définition.
Les clients perçoivent la valeur d’une offre de quatre manières différentes (Zeithaml,
1988) :
Ø La valeur correspond à un prix bas ;
Ø La valeur correspond à tout ce que je veux dans un service : sont mis en avant
l’ensemble des avantages que le client retire du service, au prix duquel il
attache une importance moindre ;
+ +
RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL
Accroissement des bénéfices perçus : § Nouvelle expérience
§ Praticité
Réduction des sacrifices perçus :
§ Informations
§ Coûts de transaction
VALEUR CLIENT
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
54
Ø La valeur est la qualité reçue pour le prix payé : dans ce cas, la valeur perçue
est un compromis entre ce que le client paie pour obtenir le service, et la
qualité qu’il reçoit ;
Ø La valeur est ce que le client reçoit en échange de ce qu’il a donné : sont dans
ce cas intégrés par le client l’ensemble des avantages qu’il retire du service,
de même que la totalité des sacrifices (financiers, intellectuels, en temps...)
que l’obtention du service a impliquée.
Nous retiendrons pour la suite de cette discussion la dernière définition citée, qui
correspond à ce que Lovelock appelle « la valeur nette » (Lovelock, 2001 : 258), car elle
présente l’avantage d’intégrer l’ensemble des éléments positifs et négatifs susceptibles
d’intervenir dans l’évaluation de la qualité du service.
II.2.2.b) Multicanal et valeur perçue.
Keeney (1999) s’est livré à une étude dans laquelle il aspirait à identifier la valeur du
commerce sur Internet pour le consommateur, c’est-à-dire la valeur attribuée à « l’achat et la
vente de produits et services sur Internet » ( : 533). L’intérêt de ses propos réside pour nous
dans leur transposition à d’autres canaux de distribution que l’Internet.
Il reconnaît que le commerce sur Internet en lui-même ne propose pas une valeur
particulière, « puisque ce n’est pas un produit que l’on achète, mais un moyen d’acheter des
produits » (ibid.). Mais il n’est pas contradictoire de lui associer ce qu’il appelle une
« proposition de valeur », établie comme « la valeur nette des avantages et des coûts à la fois
du produit et des processus de découverte, commande et réception du produit » (ibid.). En
d’autres termes, l’évaluation d’un achat par un consommateur combine sa perception de la
qualité dudit produit, et celle de l’expérience de consommation liée au canal de distribution
utilisé pour se le procurer, que ce canal soit un point de vente, un site Internet, un centre
d’appel, des services de télévision interactive, etc.
Le multicanal est donc susceptible d’avoir un impact, positif ou négatif, sur
l’expérience globale de consommation du client, donc de modifier la valeur perçue associée à
l’acte de consommation, ce qui va dans le sens des travaux de Burke (2002).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
55
II.2.2.b.(1) Multicanal et accroissement des bénéfices perçus.
(i) Vivre une nouvelle expérience de consommation.
Coupler différents canaux de distribution au cours d’un processus de décision et
d’achat est susceptible d’enrichir l’expérience de consommation qui en résulte (Prahalad et
Ramaswamy, 2004 : 41). Les résultats de Badot et Navarre (2002) sont à ce titre révélateurs.
S’intéressant à un processus d’achat au cours duquel le consommateur couple Internet et
concessions automobiles pour trouver un véhicule, ces auteurs montrent que les clients
affectent à Internet une fonction de « levier de recherche d’expérience »75 ( : 10), structurée
autour de :
Ø Une expérience d’achat hédoniste : « la recherche et l’acquisition d’une
voiture neuve cherchent à satisfaire un plaisir à orientation d’abord
personnelle » ( : 10) ;
Ø Une expérience d’achat ludique : « le caractère ludique du processus d’achat
se matérialise en véritable chasse au trésor, en enquête policière, en
spéculation boursière » ( : 11) ;
Ø Une expérience d’achat défiante : « recherche de renversement du rapport de
force des offreurs aux consommateurs », Internet étant alors perçu comme
« moyen de reprendre le pouvoir » ( : 11).
En utilisant les multiples canaux à sa disposition, le consommateur co-crée cette
expérience avec l’entreprise, et d’après Prahalad et Ramaswamy (2003 : 14), c’est cette co-
création qui est à l’origine de la valeur qu’il en retire.
(ii) Liberté et praticité76.
Offrir au client la liberté de se procurer le produit qu’il désire, où il le souhaite, quand
il le décide et de la façon dont il le décide (e.g. Collart et Lejeune, 2001), telle pourrait être
résumée en quelques mots la philosophie du multicanal. L’abolition de différentes barrières
place la liberté du client au cœur du dispositif (Sharma et Krishnan, 2002).
75 Dont Badot et Navarre disent qu’il s’agit d’une fonction latente. 76 Nous décrivons ici une situation idéale pour le client : il va sans dire que la liberté et la praticité de la consommation peuvent varier selon la stratégie propre à chaque entreprise, le nombre de canaux qu’elle utilise, et les fonctions affectées à chacun d’eux. Par exemple, l’entreprise de VPC étudiée par Nicholson et al. (2002) « fermait » son site à 23h, heure à partir de laquelle les clients ne pouvaient plus passer commande !
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
56
Liberté temporelle, tout d’abord : le client n’est plus borné par les horaires d’ouverture
des points de vente, et peut procéder à son achat à toute heure du jour et de la nuit. Liberté
géographique, ensuite : il n’a plus obligation de se déplacer dans le point de vente. Liberté
médiatique, enfin : le client peut choisir le média qui convient le mieux à ses attentes, à ses
besoins, ou avec lequel il a le plus d’affinités.
II.2.2.b.(2) Multicanal et réduction des risques et sacrifices perçus.
(i) Multiplication des sources d’informations.
Qui dit plus de canaux de distribution, dit plus de sources d’informations pour le
client : informations sur les caractéristiques du produit, son prix, sa disponibilité, les délais de
livraison, etc. (Badot et Navarre, 2002 ; Grewal et al., 2002 ; Nunes et Cespedes, 2003…).
Ces sources sont aussi potentiellement complémentaires entre elles : le client considérant qu’il
est insuffisamment informé par le catalogue, téléphonera au centre d’appel, ou se rendra
éventuellement en point de vente, pour combler les lacunes du premier média utilisé. Dans ce
cas, comme nous l’avions déjà fait remarquer, la complémentarité de fait existant entre les
canaux est concrétisée par l’action du client.
De cette manière, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et ses clients,
traditionnellement en faveur de celle-ci, s’amoindrit. Le client a la possibilité d’accéder
facilement aux informations lui permettant de poser et d’ordonner ses critères de décision
avant de conclure son achat (Grewal et al., 2002), à condition qu’il soit doté du matériel ou
des compétences nécessaires.
En définitive, l’enrichissement de son niveau de connaissance sur le produit rend le
client plus apte à comparer avec les offres concurrentes77 et à faire un choix plus rationnel78.
Cette sensation de contrôle que cela lui procure diminue mécaniquement son niveau de risque
perçu avant l’achat (Lovelock, 2001).
77 Pour autant qu’il dispose des mêmes informations sur celles-ci. 78 Sous-entendu, plus rationnel que si il n’avait pas disposé de ces informations. Il s’agit d’une rationalité limitée, ou procédurale, qui postule que l’individu décideur opte, non pour « des décisions optimales pour un monde imaginaire simplifié », mais pour « des décisions qui sont « assez bonnes » ou adéquates (satisficing) pour un monde perçu plus proche du monde réel » (Simon, 1991 : 30-31).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
57
(ii) Diminution des coûts de transaction.
Le consommateur souhaitant maximiser son utilité différencie l’utilisation des canaux
de distribution mis à sa disposition en fonction des avantages relatifs qu’ils lui proposent
(Nicholson et al., 2002). La relativité de ces avantages porte tant sur les canaux (e.g. tel canal
présente un avantage de coût sur tel autre) que sur la situation dans laquelle se trouve le
consommateur. En d’autres termes, un canal sera préféré à un autre dès lors que le contexte de
la demande du client permettra à ce dernier d’en retirer des avantages qui n’auront pour autre
but que de maximiser son utilité relative, dépendante des contraintes de coût financier,
intellectuel, psychologique ou encore de temps qui existent au moment où le consommateur
doit faire son choix entre les canaux79.
La réduction des coûts de transaction rendue possible par un réseau de distribution
multicanal relève de cette logique. En fonction des circonstances dans lesquelles il se trouve,
le client privilégiera l’utilisation d’Internet pour s’informer, et par voie de conséquence
diminuer les coûts de recherche (Burke, 2002 : 427). Il se déplacera ensuite en magasin pour
vérifier la qualité réelle du produit, et ce d’autant plus qu’il comporte des attributs digitaux
(Lal et Sarvary, 1999), et passera sa commande via une plate-forme téléphonique, si cette
dernière lui permet de s’assurer immédiatement de la disponibilité du produit, tout en lui
assurant un prix moins élevé qu’en magasin.
Le multicanal permet, au moins en théorie, une réduction des coûts de transaction à la
fois ex-ante (pré-achat et achat) et ex-post (post-achat). Ex-ante, car la recherche
d’informations est facilitée, de même que la comparaison entre les différents concurrents80.
Ex-post, car le client a le choix entre différents canaux pour obtenir de l’aide en cas de
problème, ou pour faire remonter une information concernant son utilisation du produit.
II.3 RISQUES ET INCONVÉNIENTS INHÉRENTS À CETTE STRATÉGIE.
Le multicanal n’est pas « un long fleuve tranquille ». Ses avantages sont
contrebalancés par des risques dont se doit de tenir compte toute firme désireuse de
s’aventurer sur le chemin d’une telle stratégie, dont le client, au demeurant, ne tirera pas
nécessairement profit. Ces risques sont relativement peu abordés par la littérature, et de
manière assez succincte.
79 Ceci renvoie à la notion de différenciation et complémentarité contextualisées dont nous avons parlé supra. 80 On se place dans un jeu où les concurrents ont tous ou presque opté pour une distribution multicanale. Dans le cas contraire, le choix du consommateur se retrouve restreint, à moins d’accroître ses coûts de recherche.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
58
Suivant la même trame que précédemment, nous présentons tout d’abord quels écueils
l’entreprise doit éviter pour naviguer en relative quiétude (II.3.1), puis les inconvénients que
la mise en place d’un réseau multicanal peut entraîner pour le client (II.3.2).
II.3.1 Risques pour l’entreprise.
Le tableau 1-6 s’efforce de recenser les risques qu’encourt toute entreprise désireuse
de suivre une stratégie multicanale.
Tableau 1-6 : Risques associés à une stratégie de distribution multicanale
DU CÔTÉ DE L’OFFRE DU CÔTÉ DE LA DEMANDE Augmentation des coûts de distribution Surabondance quantitative des informations
Diminution de la qualité des informations Conflits et cannibalisation intra-organisationnels
Inadéquation canal proposé / segment visé
Transfert comportemental81 de la clientèle
Diminution des résultats commerciaux
Transformation de la relation
Démotivation du personnel sur les canaux existants
Moindre fidélité des clients
II.3.1.a) Du côté de l’offre.
II.3.1.a.(1) Une possible augmentation des coûts de distribution
La diminution du coût global de distribution, espoir sur lequel reposent généralement
les stratégies multicanales, n’est pas une évidence, comme nous l’avons déjà noté supra.
Rien ne prouve en effet que les coûts engendrés par un nouveau canal (a fortiori, par
plusieurs) ne viennent pas se surajouter à ceux liés aux canaux existants, puisque :
Ø La création et le développement du canal, sa promotion vis-à-vis des clients
qui doivent être conscients de son existence, le temps d’apprentissage de
l’utilisation de ce canal par les clients (Geyskens et al., 2002 : 104) ;
Ø L’émergence de doublons, en fonction du mode d’organisation retenu
(Easingwood et Storey, 1996 : 324) ;
81 Emprunté à Vanheems, 1995
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
59
Ø Le mode de gestion des canaux, et la réflexion préalable à leur articulation
(Coelho et Easingwood, 2003 : 24 ; Moriarty et Moran, 1990)...
... sont autant de facteurs susceptibles de renchérir le coût de distribution global.
Il peut également augmenter du fait de la nécessité d’instaurer des procédures de
contrôle pour limiter d’éventuels phénomènes de cannibalisation intra-organisationnelle.
Tout lancement d’un nouveau canal de distribution induit des coûts fixes qui doivent
être répartis sur un grand nombre de clients et / ou d’opérations pour espérer rendre la
nouvelle entité rentable. On peut finalement en imaginer une décroissance temporelle, en
forme de U inversé. Une fois amortis les investissements initiaux de création et de
développement, et passé le temps d’adaptation des clients à l’utilisation du (ou des)
nouveau(x) canal (aux), phases pendant lesquelles il est susceptible de s’accroître82, il pourrait
être raisonnable d’envisager que le coût global de distribution décroisse. Mais rien n’est
moins sûr, puisque des augmentations de coût à moyen / long terme ont été rapportées aux
États-Unis dans les secteurs bancaire (Frei et al., 1997 ; Myers et al., 2004) et aérien (Myers
et al., op.cit.), découlant directement du développement de nouveaux canaux. Nous y
reviendrons lorsque nous exposerons le cas spécifique de la banque de détail, dans le second
chapitre.
II.3.1.a.(2) Des risques organisationnels patents. Si les canaux s’adressent à des segments de clientèle identiques, ou si les rôles relatifs
de chaque canal n’ont pas été clairement prédéfinis, le risque est grand d’assister à une
cannibalisation entre les canaux (Frazier, 1999 : 232 ;Tang et Xing, 2001).
Autrement dit, des canaux destinés à être complémentaires entre eux, afin de
bénéficier des avantages issus d’une stratégie de distribution multicanale, peuvent se retrouver
dans une situation de concurrence interne se traduisant par exemple par :
Ø La résistance des canaux existants, qui cherchent à conserver leurs clients
(Cespedes et Corey, 1990 ; Stone et al., 2002). Il y a une probabilité forte de
voir émerger des conflits entre les canaux, puisque « plus d’unités marketing
sont en concurrence pour les clients et les revenus » (Moriarty et Moran,
1990 : 147) ;
82 Toutes choses égales par ailleurs (pas de désinvestissement dans un canal au profit du nouveau, par exemple)
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
60
Ø La démotivation du personnel travaillant sur les canaux à coûts et à niveaux
de services élevés, dont les clients risquent de s’orienter vers des canaux à
moindre coût (Easingwood et Storey, 1996 : 324 ; Rich, 2002).
Ces phénomènes de résistance et de démotivation portent en eux un très fort risque de
faire échouer la stratégie de distribution multicanale. Il est donc indispensable de s’y préparer,
en les intégrant en amont du projet de développement de nouveaux canaux. Or, ceci est loin
d’être toujours le cas :
« Un thème commun qui a émergé de nos interviews est que le management des
canaux et les processus de décision afférents sont ‘non scientifiques d’une façon
embarrassante’, particulièrement lorsque comparés à d’autres domaines. Comme l’a exprimé
un manager : ‘ La décision du canal reste un processus particulièrement ad hoc. Si nous
lançons un produit, il sera plus ou moins vendu dans le réseau existant... Nous ne faisons pas
attention au management des canaux de la même manière que nous faisons attention aux
autres éléments du mix... Nous passons des semaines ou même des mois à débattre du prix.
C’est un problème très important car cela a des implications très fortes sur les résultats...
Nous ne lancerions pas un mauvais produit... Nous passerions par des recherches
qualitatives, voire même quantitatives... Mais nous n’accordons pas la même quantité de
temps ni d’argent au management des canaux ’ » (Coelho et Easingwood, 2003 : 24).
D’autres auteurs ont également pointé cette absence, ou insuffisance de réflexion
organisationnelle amont de la gestion des canaux de distribution :
« En fait, la plupart des entreprises décident d’ajouter de nouveaux canaux et
méthodes sans avoir une vision claire et réaliste de l’architecture ultime « prête à aller sur le
marché ». Ces décisions sont généralement prises séparément et indépendamment - et souvent
rapidement aussi. De ce fait, les entreprises se retrouvent à trébucher sur leurs systèmes
hybrides qui ont été faits rapidement et se chevauchent » (Moriarty et Moran, 1990 : 147).
II.3.1.a.(3) Le risque de surpondération du système d’information sur l’organisation et la stratégie.
Les systèmes d’information sont généralement au cœur de tout projet de
développement de réseaux multicanaux, ce qui peut sembler comme allant de soi étant
données la facilité et la rapidité de transfert d’informations qu’ils permettent (Kalika et al.,
2000), et la nature des canaux qui composent de tels réseaux (Prahalad et Ramaswamy, 2004).
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
61
En outre, nous avons indiqué antérieurement que le multicanal pouvait, d’une certaine
manière, être affilié aux travaux sur la gestion de la relation client et le marketing relationnel
(Collart & Lejeune, 2001 ; Payne et Frow, 2004). Or, Grönroos (2001), et surtout Beckett
(2004) expliquent qu’une branche de ces travaux repose sur la mise en avant prépondérante
des technologies de l’information et de la communication, ce que Beckett qualifie de
« perspective managériale » ( : 45) du marketing relationnel. Passent alors au second plan les
implications stratégiques et organisationnelles des choix faits en matière de système
d’information, tombant dans les travers du e-management vis-à-vis desquels Kalika (2000)
met en garde : « Le e-management recouvre à l’évidence ce que l’on appelle le e-business,
c’est-à-dire les stratégies de commercialisation via Internet, mais aussi, et on l’oublie trop
souvent, les implications organisationnelles de ces stratégies en termes de structure, de
gestion des ressources humaines, de système d’information et plus généralement de
fonctionnement d’entreprise » ( : 3).
Or, l’observation de pratiques d’entreprise peut laisser penser que ce risque de
déterminisme technique de la gestion d’un réseau de distribution multicanal est réel83. Nous ne
nous inscrivons toutefois pas dans cette veine. Pour cette raison, il convient de préciser dès
maintenant que, sans dénier l’importance évidente du système d’information dans un réseau
de distribution multicanal, nous le considérons comme un outil de support de son
fonctionnement. Sans le placer au cœur de la réflexion, nous fixons prioritairement notre
attention sur les transformations organisationnelles qui l’accompagnent.
II.3.1.b) Les risques au niveau de la demande.
Les recherches appréhendant le comportement multicanal du client, bien qu’encore
relativement peu nombreuses (Nicholson et al., 2002), émergent progressivement. Mais là
encore, nous devons nous défier d’une confusion qui pourrait aisément nous abuser : les
multiples travaux sur le comportement du consommateur sur Internet ne sont pas des travaux
sur son comportement multicanal, Internet n’étant qu’un canal parmi d’autres. 83 Nous renvoyons essentiellement le lecteur à des articles tirés de la presse managériale, et qui mettent en exergue la prédominance du système technique sur le reste de l’organisation dans le management et la coordination d’un réseau de distribution multicanal. Par exemples : 01 Informatique n° 1470 (10 octobre 2003), p 14 ; Les Echos.net, supplément aux Echos du 21/01/2002, pp 2-3 ; « Darty.com fait un pas supplémentaire dans le multicanal », Journal du Net daté du 23/03/2004 : http://www.journaldunet.com/0403/040323darty.shtml ; « Le Crédit Lyonnais mise sur le multicanal dans sa relation client », Journal du Net daté du 01/02/2005 ; http://www.journaldunet.com/0502/050201creditlyonnais.shtml ; ou encore, le supplément au numéro 606 de Banquemagazine (1999), dédié aux canaux de distribution, et où la part belle est faite au système d’information (e.g. les articles de Stern & Gervaise, Bollendorf, ou Michelin & Riou). Enfin, une citation édifiante d’un responsable marketing de BNP-Paribas, rencontré en 2001 : « De toute façon, que voulez-vous qu’il y ait d’autre [sous-entendu : que l’informatique] pour coordonner tous ces canaux ? Moi, je ne vois pas ».
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
62
II.3.1.b.(1) Quantité et qualité des informations. L’abondance d’informations mises à la disposition du client est potentiellement
nuisible, en l’absence par exemple d’un socle commun d’informations permettant de s’assurer
que les informations fournies par un canal ne vont pas à l’encontre de celles fournies par un
autre canal.
Par ailleurs, les canaux ont des structures de coût différentes, sur lesquelles jouent des
entreprises pour mettre en place des tarifications différenciées pour des offres a priori
identiques, ou amener le consommateur à favoriser l’utilisation d’un canal sur un autre. Or, il
y a un risque de confusion de la clientèle si elle se retrouve face à des offres apparemment
semblables, mais somme toute différentes en termes de prix ou de niveau de services
(Easingwood et Storey, 1996).
Enfin, la perception qu’a le client de la qualité de l’information peut varier selon le
canal par lequel il l’obtient. De cette manière, « la qualité de l’information digitale peut être
pauvre, particulièrement si les clients ont l’habitude de se reposer sur des interactions
physiques ou sociales pour évaluer la qualité du produit » (Burke, 2002 : 412).
II.3.1.b.(2) Des résultats commerciaux remis en question. Une des conclusions de l’étude menée par Easingwood et Storey (1996) est que la
mise en place de canaux multiples n’est pas systématiquement associée à un gain de nouveaux
marchés, « alors que c’est l’un des objectifs de base pour l’ajout de nouveaux canaux »
( : 23). Ce phénomène peut s’expliquer simplement par le fait que les consommateurs peuvent
être enclins à changer de canal pour réaliser leurs achats, sans que cela ne se concrétise par de
nouvelles ventes : il s’agit d’une « translation de canal »84 pour Geyskens et al. (2002 : 104),
ou d’un « transfert comportemental », d’intensité variable, pour Vanheems (1995 : 121). Ce
fut le cas pour Barnes & Nobles qui a, dans un premier temps, déconnecté sa librairie en ligne
des autres canaux. Bilan : le site Web draina la clientèle de ses propres magasins, sans réussir
à attirer d’autres clients85 (Collart et Lejeune, 2001). On peut même aller jusqu’à envisager
une diminution des ventes totales, si les consommateurs modifient leur comportement et
achètent moins par le nouveau canal que par l’ancien86 (Geyskens et al., 2002 : 104). Frazier,
84 Il s’agit de l’expression utilisée dans la traduction française de l’article de Geyskens et al., in Recherche et Applications en Marketing (2003), Vol. 18, n° 2 : 101-128. 85 Ce qui entraîna une refonte de l’organisation, pour aboutir aux résultats positifs dont se font écho Geyskens et al. (2002), dont nous parlons p 51. 86 Les résultats empiriques de Vanheems (1995) semblent montrer que cela n’est cependant pas le cas.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
63
enfin, note que les effets à long terme de l’ajout de nouveaux canaux de distribution restent
encore incertains (Frazier, 1999 : 232).
II.3.1.b.(3) Une inadéquation entre le canal et le segment visé.
Cette idée d’inadéquation entre le canal et le segment visé se base sur une observation
de Mizrahi (2000) que nous avons déjà rapidement utilisée, à propos des banques de détail
anglo-saxonnes. L’auteur explique que ces dernières avaient fondé d’importants espoirs vis-à-
vis des nouveaux canaux de distribution, dont la mission était de fournir des services à faible
valeur ajoutée à « la clientèle de masse », de façon à ce que les agences libèrent du temps
pour proposer des services personnalisés à la clientèle haut de gamme.
Las, la direction générale de ces établissements avait négligé un élément : pour
pouvoir utiliser ces nouveaux canaux, les clients doivent disposer de l’équipement adéquat
(e.g. un ordinateur pour accéder à Internet), des compétences nécessaires (e.g. savoir
comment utiliser un distributeur automatique pour accéder à ses comptes) et doivent accepter
d’utiliser ces canaux, qui induisent de profondes transformations dans leur relation à leur
banque (cf. ci-après). Or, la clientèle de masse s’est détournée de ces canaux, vers lesquels
s’est au contraire tournée la clientèle haut de gamme. S’ensuivirent :
Ø Une désaffection des agences par la clientèle haut de gamme, qui pouvait
réaliser ses opérations courantes sur Internet sans se déplacer ;
Ø Une insatisfaction de ce même segment de clientèle, qui considéra comme
insuffisantes et peu sophistiquées les offres de services mises à leur
disposition via les nouveaux canaux ;
Ø Une non diminution de la fréquentation des agences par la clientèle de masse,
où elle continua à se rendre pour des opérations à faible valeur ajoutée.
II.3.1.c) Un risque de transformation des modalités de l’échange.
Les propos de cette section s’appliquent dans les conditions particulières qui suivent :
Ø A un canal existant, est ajouté au moins un autre canal ;
Ø Au sein de ce canal existant, les clients disposent d’un interlocuteur privilégié
avec lequel ils ont noué une relation de service au sens de Gutek et al. (2002),
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
64
c’est-à-dire que le client « a affaire à quelqu’un qu’il connaît
personnellement et qu’il s’attend à voir à nouveau dans le futur » ( : 133).
II.3.1.c.(1) Relation vs rencontre de service. Gutek et al. (2002) opposent cette « relation de service » à la « rencontre de service »,
dans laquelle « la personne qui fournit le service est un étranger, et le client et lui ne
connaissent pratiquement rien l’un de l’autre » (ibid.). En fait, « les clients ne s’attendent pas
à être servis à nouveau par cet employé », et « ils peuvent même interagir [dans le cadre
d’une rencontre de service] avec une machine, comme un distributeur automatique, ou
Internet, plutôt qu’avec une personne » (ibid.). Gutek et al. appellent ce trio « le modèle C-O-
P » (Customer-Organization-Provider). Il ne s’agit rien moins que d’une analyse des liens
entre les trois entités de ce que Bitner (1995) nomme « le triangle des services », représenté
par la figure 1-5. Ces trois entités sont l’employé, l’entreprise en tant qu’organisation à
laquelle il appartient, et le client. L’employé, « agent prestataire » du service (Gadrey, 1994),
est considéré comme le fournisseur du service au client. Il est pour cela soutenu par son
entreprise, « organisation prestataire » (ibid.), qui met à sa disposition un ensemble de
moyens lui permettant de tenir les promesses qu’elle a faites au client par le biais de la
communication externe.
Figure 1-5 : Le modèle C-O-P
Source : Adapté de Bitner, 1995 ; Gutek et al., 2002
A une relation de service peut se substituer une rencontre de service, sous réserve d’un
diagnostic précis des attentes des clients : la substituabilité n’est possible ni en tout temps,
tout lieu, pour tout service, ni pour tout client (Tableau 1-7).
Marketing interne Rencontre de service
Client Employé
Entreprise
Relation de service
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
65
Tableau 1-7 : Quand proposer une relation ou une rencontre de service ?
QUAND PROPOSER UNE RELATION DE SERVICE ?
QUAND PROPOSER UNE RENCONTRE DE SERVICE ?
Les clients s’attendent à interagir avec « leur » propre fournisseur à chaque fois.
Les clients ne s’attendent pas à interagir avec la même personne à chaque fois.
Les clients peuvent être satisfaits en recevant le service par n’importe quel employé disponible. Les clients tirent avantage de contacts fréquents
avec le même employé. La disponibilité et la praticité87 sont des éléments importants pour le client.
Le coût n’est pas une priorité importante pour les clients. Les clients sont sensibles au coût.
Source : Adapté de Gutek et al., 2002 : 137.
II.3.1.c.(2) Le multicanal au confluent de la rencontre et de la relation ?
Si le principe de base propre à toute stratégie multicanale est celui de la
complémentarité des canaux, celle-ci compte de multiples facettes (cf. p 38), et les points de
vue des entreprises et des clients peuvent différer. Les premières tendent de plus en plus à
« orienter » (sinon contraindre) le client vers le canal le moins coûteux pour elles en fonction
du service auquel il veut accéder (Myers et al., 2004). Autrement dit, elles remplacent le plus
souvent, sous couvert d’économie, une relation par une rencontre de service. Or, ces décisions
ne sont pas forcément optimales, et doivent être mises en regard de leurs effets sur la
satisfaction globale du client, comme le suggèrent Montoya-Weiss et al. (2003).
En outre, les entreprises s’efforcent également de personnaliser au maximum ces
rencontres, par exemple en appelant le client par son nom88. Elles créent alors des « pseudo-
relations », qui sont des rencontres aux allures de relations (Gutek et al., 2002). Il y a une
tentative de personnalisation du service, mais qui n’est le plus souvent basée que sur des
données statistiques globales des consommateurs : la personnalisation n’est qu’apparente, et
tout le monde est traité de façon identique.
De cette manière, nous expliquent Gutek et al., les entreprises tentent d’établir une
relation entre le client et l’entreprise, mais « [elles] ne comprennent souvent pas que les
87 Nous avons traduit « Convenience » par praticité, même si commodité eût convenu, les deux termes étant synonymes. 88 L’article de Gutek et al. (2002) nous fournit une multitude d’autres exemples de tentatives de personnalisation des rencontres.
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
66
relations existent entre les clients et les employés, et non entre les clients et une
organisation » ( : 140), entre lesquels ne peuvent se former que des liens, forts ou faibles.
Dans le cadre du multicanal interviennent plusieurs employés, dont nous avons postulé
plus haut que l’un d’entre eux entretient une réelle relation avec le client. Du fait de cette
volonté de personnalisation des rencontres de la part de l’entreprise prestataire, les autres
employés qui interagissent avec le client développent donc avec lui des pseudo-relations.
D’où la figure 1-6, qui adapte le modèle C-O-P à une situation multicanale.
Figure 1-6 : Le modèle C-O-P dans le cas d’une entreprise utilisant plusieurs canaux89
II.3.1.c.(3) Le risque d’une moindre fidélité. Ce remplacement de la relation par des pseudo-relations peut « ne pas permettre aux
employés et aux clients de développer des rapports entre eux, et peut éroder l’attachement
89 Deux remarques sur ce schéma : premièrement, nous nous sommes volontairement limités à 3 canaux ; deuxièmement, nous n’avons volontairement pas fait apparaître les liens entre les canaux, car ils supposeraient selon cette représentation l’existence de liens entre les employés, ce qui n’est pas toujours le cas comme le relèvent Gutek et al. (2002).
Relation de service
Marketing interne Rencontre de service
Client Employés
Entreprise
E3C3
E2C2
E1C1
E1C1 Employé 1 du Canal 1 – Fournisseur privilégié
E3C3 et E2C2 Employés 2 et 3 des canaux 2 et 3
Pseudo-relations
Légende
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
67
émotionnel que les clients développent vis-à-vis des fournisseurs de service90, qui se crée à
travers les interactions continues qu’ils ont avec les employés de contact » (Yen et Gwinner,
2003 : 484). L’une des conséquences obtenues va à l’encontre d’un des objectifs du
multicanal, puisqu’une telle substitution se traduit généralement par une diminution de la
fidélité des clients, et de leur volonté de recommander l’entreprise à d’autres clients potentiels
(Gutek et al., 2000). Et cela ne saurait être contrebalancé par des mesures prises
unilatéralement par l’entreprise, comme des rabais ou des services supplémentaires (Gwinner
et al., 1998). Au final, une mauvaise estimation des conditions dans lesquelles une rencontre
ou une pseudo-relation peut se substituer à une relation de service peut donc remettre en
question tout ou partie de la stratégie distributive de l’entreprise, et faire échouer toute velléité
de faire passer les clients d’un canal à un autre.
II.3.2 Inconvénients pour le client.
La figure 1-7 récapitule les principaux inconvénients du multicanal pour le client.
Notons, là encore, que la littérature est peu diserte sur ce point.
Figure 1-7 : Les inconvénients associés à un réseau de distribution multicanal pour le client
90 D’après le contexte de la phrase, les fournisseurs de service (« service providers ») sont ici les entreprises qui vendent le service, et non les employés en contact, comme dans le modèle COP, où le P de « Provider » renvoie explicitement à ces employés.
_
RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL
Apprentissage de nouvelles formules de vente
Liberté de choix restreinte
Moindre pouvoir de marché
_ _
VALEUR CLIENT
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
68
II.3.2.a) Un moindre pouvoir de marché.
Tang et Xing (2001 : 329) ont découvert que le pouvoir de marché des consommateurs
pour amener les distributeurs à pratiquer un prix unique est moins important lorsqu’ils font
face à des distributeurs multicanaux que lorsqu’ils ont en face d’eux des distributeurs
uniquement online. Ceci laisse supposer que les détaillants dotés d’un réseau de distribution
multicanal peuvent vendre leurs produits plus cher que les distributeurs monocanal sur
Internet.
II.3.2.b) L’apprentissage des nouvelles formules de vente.
Faire face à une nouvelle formule de vente peut correspondre à deux situations
différentes pour un client qui souhaite acheter un produit à une firme F :
Ø Le client ne connaît pas du tout la formule de vente que F met à sa
disposition. Il n’y a jamais recouru, que ce soit lors d’interactions antérieures
avec F ou une autre entreprise, et son apprentissage est total. C’est par
exemple le cas d’un individu qui n’a jamais utilisé Internet, ou n’y a jamais
rien acheté, et désire le faire. Il doit alors apprendre à se servir d’Internet, et
comprendre comment réaliser son achat sur le site. Il peut pour cela se baser
par exemple sur les explications fournies sur le site de F, ou demander à des
proches ayant déjà vécu cette expérience de le guider.
Ø Le client a déjà utilisé cette formule de vente dans le cadre d’un ou plusieurs
achats. Mais c’est la première fois qu’il l’utilise pour acheter des produits de
F. Son apprentissage sera alors partiel, puisqu’il pourra raisonner et agir en
fonction de son expérience antérieure, tout en adaptant son comportement aux
caractéristiques propres du canal tel que l’a conçu F. Pour reprendre le cas
précédent, le client qui a déjà acheté sur Internet connaîtra la procédure à
suivre pour réaliser son achat. Toutefois, si les sites diffèrent dans leur
présentation, dans leur mode d’accès au contenu du « panier », ou dans le
processus de commande, le client devra faire un effort pour comprendre en
quoi cette expérience se distingue des précédentes, et comment il doit agir
pour que l’achat se déroule au mieux.
L’apprentissage d’un nouveau canal réclame donc un investissement de la part du
client : en temps, financier, psychologique, intellectuel, etc. Ce sont autant d’éléments qui
sont susceptibles d’influencer le choix du canal qu’il utilisera, pour autant qu’il puisse le faire
Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal
69
librement. Et dans les deux cas, F a le pouvoir d’influencer le client dans son choix de canal91
(Myers et al., 2004).
II.3.2.c) Plus de choix apparents pour une liberté moindre ?
Qui dit multicanal, dit plusieurs canaux de distribution que le client peut utiliser pour
entrer en contact avec une entreprise, s’informer sur ses produits et les lui acheter. En
apparence, le choix est donc plus vaste pour le client, qui peut selon ses préférences, se rendre
dans un point de vente, aller sur Internet, recourir au téléphone, etc. En apparence, car pour
bénéficier des avantages coûts relatifs des canaux, les firmes sont amenées à diriger le client
vers un canal plutôt que vers un autre, voire à le contraindre à utiliser l’un plutôt que l’autre :
« Nous parlons depuis le début du design des canaux comme d’un exercice de création
de chemins pour les clients. Certaines entreprises sont même capables de pousser cela à
l’extrême, en leur déniant la possibilité de faire leurs courses sans aucune entrave92. En lui
proposant des avantages très motivants, voire aucun autre choix que celui d’utiliser un
chemin désigné, elles peuvent retenir le client captif, au moins dans la mesure où cette
personne souhaite acheter les produits ou services de cette société » (Nunes et Cespedes,
2003 : 100).
La banque de détail est révélatrice de cet état de fait, comme nous le verrons dans le
second chapitre. En pareil cas, la liberté de choix supposément induite par l’existence de
plusieurs canaux est finalement réduite par la volonté de l’entreprise. Or, cette liberté de choix
peut s’assimiler, pour le client, à une sensation de contrôle de l’échange, laquelle est un
facteur de sa satisfaction : plus ce sentiment de contrôle est fort, et plus le client est satisfait
(Bateson, 1985). Le restreindre peut donc diminuer sa satisfaction, et la valeur que le client
perçoit retirer de l’échange.
91 Ces éléments, qui renvoient à la notion de participation du client à la production du service, sont repris et largement discutés dans notre troisième chapitre. 92 « [...] essentially denying the customer any unfettered shopping ».
Chapitre Premier – Définition, stratégie et organisation d’un réseau de distribution multicanal
70
EN CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER… Le multicanal, un objet de recherche encore méconnu
Notre projet de recherche vise initialement à comprendre la dynamique du
fonctionnement et de l’organisation de réseaux de distribution qui mobilisent plusieurs canaux
de distribution. Or, nous n’avons pu que constater que le multicanal était l’un des parents
pauvres de la littérature académique, tant au plan de l’analyse théorique que des études
empiriques. Parmi les insuffisances notables que nous avons identifiées, nous retiendrons :
Ø Des recherches quantitativement restreintes, tant sur un plan théorique
qu’empirique ;
Ø Une difficile comparabilité entre les différentes publications ;
Ø Une apparente absence de travaux sur l’organisation de réseaux de
distribution multicanaux, en dépit d’appels récurrents émis par différents
auteurs.
La découverte progressive de ces lacunes a donc orienté le plan retenu pour ce premier
chapitre. Dans un premier temps, nous avons jugé primordial de définir ce que nous
entendions par réseau de distribution multicanal. En progressant vers cette définition, nous
avons tenté de mettre en évidence des principes de son fonctionnement. C’est ainsi que, en
partant d’une possible spécialisation relative des canaux, nous avons développé une réflexion
qui a débouché sur la proposition de trois types de différenciations et complémentarités des
canaux de distribution (objectives, contextualisées, et perçues).
Dans un second temps, nous nous sommes interrogés sur les raisons du développement
de ces réseaux à canaux multiples, ainsi que sur leurs avantages et limites. A cette occasion,
nous avons expliqué que si les systèmes d’information étaient incontournables dans toute
organisation multicanale, nous ancrions moins notre travail dans ce champ de connaissance
que dans les implications organisationnelles qui leur sont sous-jacentes.
De cette manière, à défaut d’aboutir à un état de l’art portant sur l’organisation
multicanale dont initialement nous souhaitions faire le soubassement de notre réflexion
théorique, nous avons été contraint de revoir à la fois les objectifs de ce premier chapitre,
mais surtout d’aller rapidement étudier sur le terrain l’organisation d’un réseau de distribution
multicanal. Cette première approche du terrain sera présentée dans le second chapitre.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
71
CHAPITRE DEUXIÈME : PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE
Une recherche exploratoire est appropriée « en l’absence de théories mobilisables,
comme première étape d’une reconfiguration des connaissances dans un domaine »
(Wacheux, 1996 : 53). Comme notre premier chapitre a cherché à le montrer, nous nous
trouvons dans cette situation quant à l’analyse du mode de fonctionnement des organisations
de distribution multicanales. Hors les avantages et limites de ces organisations, pour
l’identification desquelles les recherches ne semblent cependant pas légion (et moins encore
les travaux empiriques), relativement peu de choses sont connues à leur sujet. La réalisation
d’une étude exploratoire s’impose donc, et constitue à notre sens une étape nécessaire dans la
construction de notre objet de recherche.
Néanmoins, nous avons déjà mentionné à maintes reprises l’ancrage sectoriel de notre
objet de recherche, qui trouve son origine dans la banque de détail. La première section de ce
chapitre se voit donc consacrée à la présentation de ce secteur, qui est tout naturellement
remis dans le contexte du développement des nouveaux canaux de distribution. Cet exposé
sectoriel sera ponctuellement enrichi de citations extraites d’entretiens menés durant une
première phase d’approche du terrain.
Par conséquent, tant les conditions de réalisation de notre étude exploratoire, que les
résultats de celle-ci, qui enrichissent notre compréhension des modalités de développement et
de fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal, sont exposés dans la seconde
section. Nous concluons en montrant l’importance de cette phase intermédiaire dans la
détermination de notre question de recherche.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
72
SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL.
La banque de détail, en France comme dans le reste du monde, connaît depuis de
nombreuses années une très forte évolution de ses métiers, dont les répercussions sont
apparentes aux niveaux stratégique, organisationnel et opérationnel. Cette évolution trouve
essentiellement son origine dans les profondes transformations de l’environnement dans
lequel se meuvent les établissements bancaires93 (I.1). Elle se traduit notamment par un
bouleversement des stratégies et des organisations distributives, dont la remise en question est
presque permanente depuis une dizaine d’années (I.2).
I.1 LES MUTATIONS ENVIRONNEMENTALES.
Identifier et imputer à un seul facteur l'ensemble des mutations qui ont affecté
l'environnement et l'activité bancaires ces dernières années est mission impossible. Elles sont
en effet les conséquences d'une combinaison d'éléments, appartenant tant à l’évolution de la
réglementation (I.1.1), qu’à la dynamique concurrentielle (I.1.2), aux changements de
comportements des consommateurs (I.1.3), ou à l’innovation technologique (I.1.4).
I.1.1 Les évolutions réglementaires.
Le secteur bancaire français a été historiquement marqué par de grandes lois qui en ont
défini l’orientation. Nous en citerons quelques unes parmi les plus importantes : mise sous
tutelle des banques par le gouvernement de Vichy les 13 et 14 juin 1941 ; fin du
cloisonnement entre banques de dépôt et banques d’affaires94, et abolition de l’autorisation
préalable pour l’ouverture de nouveaux guichets, par les lois Debré de 1966 et 1967;
obligation du paiement des salaires par chèque ou virement en 1971 ; grande vague de
nationalisations avec la loi du 11 février 1982 ; édiction d’un cadre juridique unique pour
exercer l’ensemble des activités bancaires, et reconnaissance explicite de la vocation
universelle des établissements de crédits, par la loi bancaire du 24 janvier 1984.
93 Nous passerons rapidement en revue ces transformations, et renvoyons le lecteur souhaitant se documenter plus avant sur ce sujet vers : Badoc, 1997, 2004a ; Badoc et al., 2000 ; Bendana, 2004 ; Bonin, 1997 ; De Coussergues, 1996 ; De Fournas, 1998 ; Plihon, 1998 ; Simon, 1994 ; Thiveaud, 1997 ; Zollinger et Lamarque, 1999, 2004. 94 A l’époque, les banques de dépôts étaient autorisées à collecter des dépôts à vue, mais ne pouvaient détenir de participations industrielles ; les banques d'affaires, à l'inverse, étaient autorisées à prendre des participations industrielles, mais n’avaient pas le droit de collecter les dépôts à vue (lois votées au lendemain de la seconde guerre mondiale, instaurant également une troisième catégorie de banque : les établissements de crédit spécialisés (Bonin, 1997).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
73
Cette dernière poursuit le double objectif de créer les conditions d’une concurrence
normale, et de favoriser la modernisation de la profession par la banalisation, la
déspécialisation et le décloisonnement accrus des activités bancaires. Désirant pour cela
favoriser l'universalité des institutions financières, elle donne une définition, non des banques,
mais de ce qu'elle appelle les établissements de crédits, dont la conception est commune à
l'ensemble des pays de l'Union Européenne (Plihon, 1998). En résulte une concurrence
nettement plus vive que celle à laquelle étaient accoutumés les acteurs du secteur,
simultanément confrontés à deux phénomènes supplémentaires : la désintermédiation95 et
l’instauration de normes prudentielles96. Cette intensité concurrentielle franchit de nouveaux
paliers avec la suppression de l’encadrement du crédit (1er janvier 1987), et du contrôle des
changes (1989). Dans le même temps, sous l'impulsion des changements politiques, se
déroule une première vague de privatisations (1986-1987), à laquelle deux autres succéderont
(1993-1994, puis 1997-1998). Synonymes d'importantes restructurations, elles entraînent une
forte baisse du nombre des établissements de crédit.
D’autres textes importants, en particulier des transpositions de directives européennes
désireuses d’harmoniser les législations nationales entre elles (Cassou, 1995 ; Plihon, 1998),
suivirent les précédents, parmi lesquels nous en retenons deux. Le premier, entré en vigueur
au 1er janvier 2001, constitue le Code monétaire et financier. Il restructure largement le cadre
législatif de l’exercice de la profession, dont il devient la référence. Ce Code se vit enfin
substantiellement modifié par la loi de sécurité financière du 1er août 200397.
En dépit d’un souci d’assouplissement des règles de concurrence, ces lois laissent
toutefois subsister des distorsions que les établissements qui n’en bénéficient pas ressentent
comme d’inacceptables privilèges. Par exemple, le monopole de la distribution de certains
produits spécifiques, comme le livret A ou le livret bleu. Considérés comme des produits
d’appel par excellence, le livret A est le monopole de la Poste et des Caisses d’Épargne,
95 La désintermédiation signifie qu’entreprises et particuliers peuvent dorénavant accéder directement au marché monétaire pour s'y financer ou y placer leurs liquidités, la banque cessant donc d'être l'intermédiaire obligé, provoquant de facto une baisse significative des taux de marge (différence entre les taux de collecte et ceux de la distribution des crédits) 96 L’accès à de nouvelles activités est tout autant source potentielle de croissance, que de risques supplémentaires. Les autorités françaises et européennes sont donc amenées à déterminer des ratios quantitatifs et des règles qualitatives adaptés au caractère multiple des risques pris suite à la diversification des activités des établissements de crédit (Caudamine et Montier, 1998). Ces normes prudentielles sont en pleine discussion, et de nouveaux ratios de solvabilité basés sur les travaux dits de Bâle II doivent être mis en place en 2007. 97 Pour plus d’informations sur ces derniers textes, voir par exemple le rapport annuel 2004 du CECEI (Comité des Établissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement)
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
74
tandis que le livret bleu, du Crédit Mutuel98. Un autre exemple de distorsion de concurrence
touche à la nature juridique des intervenants99.
I.1.2 Une dynamique concurrentielle renouvelée.
I.1.2.a) L’évolution de la concurrence intra-sectorielle.
Au cours de ces dernières années, d’importants mouvements ont rebattu les cartes du
jeu concurrentiel dans le secteur de la banque de détail. Le rapport annuel 2004 du CECEI
(Comité des Établissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement) pointe ainsi une
forte diminution du nombre d’établissements de crédits depuis 1994 (Tableau 2-1). Selon ce
même rapport, celle-ci s’explique par une recherche d’économies d’échelle, des modifications
juridiques, ou simplement un arrêt de l’activité de la part d’un certain nombre
d’établissements. Le premier facteur mérite que nous nous y arrêtions un instant.
Tableau 2-1 : Évolution du nombre des établissements de crédit
Source : Rapport annuel 2004 du CECEI : 118
Dans les années 1980 et au début des années 1990, le débat fait rage autour l’impératif
pour les banques françaises d’atteindre une taille critique qui leur permettrait de résister à la
concurrence internationale, et de faire les investissements nécessaires au développement de
leur activité (Lambert, 1997). S’y ajoute parallèlement la volonté d’amélioration de la
productivité et du produit net bancaire grâce à une rationalisation des moyens. Tout ceci
entraîne de nombreux regroupements, en particulier entre des établissements appartenant aux
98 Des recours sont encore menés actuellement pour que soit mis fin à la distribution monopolistique du livret A par BNP-Paribas, CA SA, ,le groupe Banque Populaire, et la Société Générale (Les Echos du 16 janvier 2006). 99 Du fait de leur statut, les banques mutualistes sont à l’abri d’opérations hostiles de rachat, et l’existence de véhicules côtés (CASA pour le Crédit Agricole, par exemple) ne change pas fondamentalement cette situation (ce qui ne les empêche pas, en revanche, d’acquérir des concurrents, comme ce fut le cas avec le Crédit Lyonnais). Un autre problème fut longtemps posé par le statut de la Poste, dont la transformation récente en Banque Postale n’a levé qu’une partie des ambigüités.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
75
mêmes réseaux (Caisses d’Épargne, Caisses de Crédit Agricole, de Crédit Mutuel, etc.) ou
exerçant les mêmes activités (sociétés de crédit-bail immobilier ou mobilier,...).
D’importantes opérations de fusions-acquisitions entre des acteurs historiques du secteur
accentuent encore la concentration du secteur100. D’après le rapport annuel 2004 du CECEI, la
situation est désormais la suivante en France : « Depuis l’opération d’adossement du Crédit
Lyonnais auprès de Crédit agricole SA, initiée fin 2002, le nombre de groupes offrant une
gamme complète de services (hors La Poste) sur l’ensemble du territoire métropolitain a été
ramené à six. Les six principaux groupes bancaires concentrent désormais plus de 80% des
crédits et 90% des dépôts, et le groupe Crédit Agricole dépasse le seuil des 25% de parts de
marché dans ces deux catégories ».
I.1.2.b) Une concurrence extra-sectorielle et internationale
La banque de détail française a pendant longtemps été protégée par plusieurs barrières
à l’entrée. La réglementation, tout d’abord, que nous avons évoquée ; le coût du réseau
physique, ensuite ; puis l’existence d’économies de gamme ou d’envergure (De Coussergues,
1996) ; et enfin, le rapport des français à l’argent, frein à leur engagement (Michaud et
Desbiolles, 1998). Leur effritement a permis l’émergence ou l’introduction de nouveaux
acteurs, bancaires et non bancaires, nationaux et étrangers. En parallèle, un mouvement de
spécialisation des acteurs bancaires sur certaines activités a fait évoluer le principe de la
banque universelle, concourant à l’arrivée d’acteurs d’autres secteurs (Lamarque, 1997)
Nous commencerons par traiter des concurrents non bancaires français, et en premier
lieu, des compagnies d’assurance. Les relations que ces dernières entretiennent depuis de
nombreuses années avec les établissements de crédit sont progressivement devenues de plus
en plus concurrentielles, sous le double effet de la déréglementation et des transformations
technologiques. Ces dernières ont considérablement accéléré la redistribution de la donne au
cours des cinq dernières années, permettant à une compagnie d’assurance comme AGF de
créer ex nihilo sa banque en ligne, qui s’appuie sur la force de son réseau physique d’agents.
De même pour Axa qui, en rachetant Banque Directe à BNP-Paribas en 2002, a développé
une offre de produits et services bancaires qui se veut de plus en plus agressive101. Notons que
les établissements de crédit ont concomitamment mis au point une offre de produits
d’assurance en concurrence frontale avec les compagnies traditionnelles.
100 Voir en annexe 1, les principales opérations de concentration intervenues dans le secteur bancaire français. 101 Voir le Journal du Net du 26 octobre 2004 : http://www.journaldunet.com/0410/041026axabanque.shtml
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
76
Les groupes de grande distribution constituent le second pôle de cette concurrence non
bancaire nationale. Le plus souvent, ils ont donné naissance à des filiales détenues à 100%, ou
passé des partenariats avec des établissements financiers spécialisés. Leur stratégie, de plus en
plus offensive, est essentiellement axée autour de cartes privatives102, auxquelles sont attachés
de multiples services, ainsi qu’une réserve de crédit permanent.
Cette nouvelle concurrence est aussi marquée par la création de la Banque Postale,
effective depuis le 1er janvier 2006, dénoncée par les établissements de crédit via la FBF103
(Fédération Bancaire Française).
Les banques françaises comptent également un nombre non négligeable de concurrents
étrangers, dont le rapport 2004 du CECEI, cité supra, dresse un état des lieux à fin 2004. A
cette période, la France comptait 248 établissements de crédit sous contrôle étranger104, le plus
grand nombre ayant une origine communautaire. Même si existent des disparités selon les
segments, leur volume d’activité global reste relativement limité105, de même que le nombre
de leurs guichets permanents106.
Concluons enfin sur l’émergence d’un nouveau type de concurrents, dont les
cassandres avaient prédit qu’ils élimineraient à terme les établissements traditionnels. Les
banques en ligne, encore appelées pure players, de nationalité française (par exemple, Banque
Directe) ou non (comme Egg) n’ont finalement pas été en mesure de remplacer leurs
concurrents dès lors que ces derniers eurent adjoint à leur réseau d’agences des canaux
d’accès à distance (Badoc et al., 2000 ; Bénavent et Gardes, 2006 ; de Perthuis, 2002 ;
Geiben, 2002). La liste des projets ayant échoué en la matière, dressée par le CECEI dans son
rapport annuel 2004 ( : 130), est à ce titre édifiante.
102 Des groupes comme Auchan, Carrefour, Ikea, la Fnac… ont développé ce genre de cartes. 103 La FBF a publié un livre blanc concernant la banque postale, librement accessible à l’adresse suivante : http://www.fbf.fr/Web/internet/content_presse.nsf/0/1805dade671a2768c1256ffc00277912?OpenDocument 104 Du fait de la concentration qu’a connue le secteur en France, les banques commerciales étrangères sont maintenant supérieures en nombre aux établissements nationaux. 105 L’ensemble des banques sous contrôle étranger représentait 9,9 % du total de bilan de l’ensemble des établissements de crédit présents en France à fin 2004, contre 12,6 % en 2001, 11,5 % en 2002, 10,3 % en 2003 (Rapport annuel 2004 du CECEI). 106 En 2004, le nombre des guichets permanents exploités par des banques sous contrôle étranger était de 1 647, contre 1 717 en 2003 (Rapport annuel 2004 du CECEI).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
77
I.1.3 Des clients plus exigeants.
Sous l’influence des lois Debré (1966-1967) et de celle instaurant le paiement des
salaire par chèque ou virement (1971), le taux de bancarisation des particuliers (nombre
d’individus détenteurs d’un compte bancaire rapporté à la population totale) est passé de 35 à
70% entre 1960 et 1975. Aujourd'hui à 98% d’après la FBF, il cache d’importantes disparités,
dont la multibancarisation d’une part importante de clients, surtout parmi les plus aisés, cible
la plus intéressante pour les banques107.
Par ailleurs, l’élévation du niveau de formation moyen a accru les compétences de la
clientèle, et lui a permis de se familiariser avec certaines techniques bancaires, de même que
l’apprentissage réalisé par un recours accru aux dites techniques. Une autre conséquence de
cette progression de la connaissance générale des services bancaires tient en ce que le client
est maintenant plus à même d'évaluer la qualité du service qui lui est fourni, car il dispose de
standards qui lui servent de référentiels. De plus, avec l’évolution du rapport des Français vis-
à-vis de l’argent, qui a quitté le domaine du tabou, le caractère presque sacré du banquier et la
crainte qui en résultait se sont nettement amoindris (Zollinger et Lamarque, 2004).
Multibancarisé et mieux informé, le consommateur n'hésite plus à faire jouer la
concurrence sur des produits et services qui se banalisent. Les banques se voient donc dans
l'obligation de revoir leur politique de communication externe (publicité et promotion), et
surtout l'ensemble de la relation client, recourant massivement à des techniques de marketing
qu’elles maîtrisent maintenant, après les avoir longtemps délaissées (Badoc, 2004a ; De
Fournas, 1998 ; Zollinger et Lamarque, 1999).
Enfin, pour ces consommateurs, le temps est devenu une valeur de première
importance dans la vie quotidienne (Lemaitre, 1997). Leur but est donc d’optimiser la durée
des contacts qu’ils ont avec leur banque, sans toutefois que la qualité en soit affectée.
L’introduction et l’apprentissage de nouvelles technologies vise à répondre à ces désirs, en
offrant des possibilités d’accès nouvelles aux services bancaires. Les établissements de crédit
doivent dès lors assurer la compatibilité entre leurs exigences de croissance et de rentabilité,
et les exigences du client d'entretenir une relation plus conviviale, plus rapide et plus souple.
107 Résultats d’une enquête réalisée par Accenture en 2002, dont les résultats sont consultables à cette adresse : http://www.accenture.com/Countries/France/About_Accenture/Newsroom/203ban.htm
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
78
I.1.4 L’innovation technologique.
Les activités de back office (invisibles aux yeux des clients) sont les premières
concernées par le progrès technique, dès les années 1960 (De Fournas, 1998 ; Lallé, 1991).
De nombreuses opérations sont alors automatisées, de manière à en accroître
considérablement la productivité (par exemple, la saisie des chèques avec la création de la
bande magnétique en bas de ceux-ci). Ces tâches administratives évoluent encore avec
l’introduction du poste de travail en agence, permettant une décentralisation de la saisie
d’informations clients. Puis, la mise à disposition du client de moyens télématiques (Minitel,
services audiotel par téléphone), et dans un second temps informatiques (ordinateurs
personnels connectés à Internet) marque une troisième rupture (Badoc et al., 2000). Cette
arrivée progressive de nouveaux canaux s’est faite peu à peu suivant un phénomène de
substitution relative, que Bendana (2004) explique à l’aune de la théorie de la richesse des
médias. L’introduction progressive de technologies de plus en plus avancées explique en
outre les gains de productivité dans la banque de détail, qu’une étude réalisée par Mc Kinsey
estime à 5,5% par an entre 1994 et 2000 (Négiar et Blanco, 2002).
Nous avons évoqué plus haut l’utilisation par les banques de techniques marketing de
plus en plus poussées. Là encore, il s’agit du fruit d’un recours croissant aux nouvelles
technologies, qui rendent possibles l’exploitation de vastes bases de données pour maximiser
la valeur de chaque client. Ce phénomène est décrit et analysé par Badoc et al. (2000), qui en
retracent les évolutions. Ces auteurs dessinent en même temps les contours de ce qu’ils
appellent le « e-marketing bancaire », dont ils mettent en avant l’importance de la dimension
distributive, elle aussi révolutionnée par les nouvelles technologies : Internet, guichets
automatiques toujours plus perfectionnés, téléphones mobiles, etc. Le recours à l’informatique
pour améliorer la gestion de la relation client grâce à l’utilisation de nouveaux canaux de
distribution, tout en réduisant les coûts est un des éléments centraux de la stratégie
d’investissements des banques de détail françaises (de Chambure, 2005 ; Munos, 2003a).
I.2 LA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DE LA STRATÉGIE ET DE
L’ORGANISATION DISTRIBUTIVES.
Les transformations que nous venons d’exposer représentent pour les banques de
colossaux défis en termes d’adaptation, d’accompagnement, et de pro-activité. En particulier,
résister à la poussée de la concurrence, facilitée par les évolutions réglementaires, s’adapter
aux demandes et profils de comportements nouveaux de leurs clients, et digérer la révolution
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
79
technique au cœur de laquelle elles se trouvent a eu, et continue d’avoir, de profondes
répercussions sur leur politique tarifaire, leur stratégie de distribution, ou leur structure
organisationnelle (e.g. Bendana, 2004 ; Chorafas, 1999 ; De Fournas, 1998 ; Simon, 1994 ;
Zollinger et Lamarque, 1999, 2004).
Nous nous concentrons ici sur la distribution, dont nous nous attachons à montrer la
portée stratégique (I.2.1). L’introduction de nouveaux canaux a modifié cette activité en
profondeur, et ont été fixés d’ambitieux objectifs découlant des avantages qui vont avec toute
organisation de distribution multicanale (I.2.2). Ceux-ci ne doivent toutefois pas faire oublier
les limites d’une telle organisation (I.2.3). Enfin, nous nous penchons sur la traduction
opérationnelle de la mise en place d’un réseau de distribution multicanal bancaire (I.2.4).
Pour traiter de ces éléments, nous nous appuyons, outre la littérature sectorielle, sur
des extraits d’entretiens menées dans une phase de prise de contact avec le terrain avec en
corollaire l’objectif d’améliorer notre connaissance sectorielle108. Ces entretiens, au nombre de
5, furent répartis dans 4 établissements, auprès desquels nous nous sommes engagés à ne pas
communiquer leurs noms. Nous les nommons donc simplement Banque 1, 2, 3 et 4109.
I.2.1 L’importance stratégique de la distribution.
Nous nous accordons avec Badoc (2004a) lorsqu’il indique que « l’élaboration d’une
politique de distribution constitue probablement la décision la plus lourde pour la banque »
( : 224). L’auteur justifie ses propos en expliquant que cette stratégie est déterminée par des
facteurs aussi divers et interreliés que le coût financier, les conséquences sociales des
décisions qui s’y rapportent, la réglementation, l’adéquation du système informatique, la
politique de sécurisation des transactions, la cohérence avec la politique commerciale,…
L’importance stratégique de ces décisions transparaît également dans les travaux de
Lamarque (1998 ; 2000). Les résultats de son étude empirique montrent que, avec la gestion
des risques, l’architecture du réseau de distribution est une compétence distinctive, qui par
conséquent permet la construction durable d’un avantage concurrentiel. Son analyse est
d’autant plus intéressante qu’elle a été menée en deux vagues, à intervalle de quatre années
(1995, puis 1999), la seconde confirmant et enrichissant les résultats de la première. Ses
conclusions éclairent les résultats d’une enquête menée par la Commission Bancaire, publiés 108 Nous donnons plus d’informations sur cette première phase de prise de contact p. 280 et suivantes. 109 Comme cela est précisé dans le chapitre 5 où est exposé le processus de la recherche, les entretiens menés dans les banques 1 et 4 n’ont pu être enregistrés, mais ont fait l’objet d’une prise de note intensive. Les verbatims concernés sont donc occasionnellement des reconstitutions des propos tenus par nos interlocuteurs.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
80
en 2004110. Ladite enquête montre que la majorité des grandes banques françaises et
européennes n’externalisent pas (ou très peu) leurs centres d’appels, qui sont devenus des
pièces maîtresses de leurs réseaux de distribution. Ces établissements préfèrent en conserver
la maîtrise, de peur de voir une partie de la relation client leur échapper.
Ce caractère stratégique explique par ailleurs l’échec des tentatives d’introduction sur
le marché français des banques purement en ligne, auxquelles nous nous sommes déjà
brièvement référés. L’espoir de ces dernières était que la seule dimension coût pouvait leur
permettre de disposer d’un avantage concurrentiel. En effet, leur fonctionnement n’intégrait
pas les coûts fixes considérables liés à l’existence et à l’entretien d’un réseau physique
d’agences, ce dont elles profitaient pour proposer des prix inférieurs à leurs concurrents
traditionnels. Mais des études mettent en évidence le besoin de doser judicieusement entre
relation physique et relation humanisée, pour chaque métier et chaque segment de clientèle
(Lamarque, 1996).Et dans ce cas, la tarification avantageuse proposée par les nouveaux
entrants ne peut rivaliser avec la culture du dialogue et de l’échange physique (de Perthuis,
2002 ; Simon, 2002) Voilà résumée simplement, mais très concrètement, la raison première
du revers encaissé par les pure players, et à nouveau illustré le caractère stratégique du réseau
de distribution. Dans ce cas, le couplage entre réseau historique, et développement de
nouveaux canaux a joué à plein son effet de barrière à l’entrée, laquelle semblait pourtant
vouée à disparaître grâce à l’introduction des nouvelles technologies, et notamment Internet.
Depuis lors, bien que l’engouement relativement irrationnel autour des nouvelles
technologies soit retombé comme un soufflé avec l’éclatement de la « bulle Internet »
(Delhommais, 2002), la banque de détail a lancé une véritable réflexion autour du
développement d’architectures multicanales. Au réseau historique d’agences, qui s’était
progressivement enrichi tout d’abord des distributeurs et guichets automatiques, puis durant
les années 1980 du Minitel et des services automatisées par téléphone (Badoc et al., 2000 ; De
Fournas, 1998), se sont donc greffés de nouveaux services de banque à distance : Internet,
téléphonie mobile, télévision interactive, centres d’appels. Les plus grands établissements
bancaires se sont lancés au début de la décennie 2000 dans des plans d’investissements
massifs pour refondre leur réseau de distribution en y intégrant ces nouveaux canaux. A titre
d’exemples, le Crédit Lyonnais a consacré 122 millions d’euros à la mise en place d’un
système de distribution multicanal, tandis que la Société Générale a mis sur la table 260
110 « L’externalisation des activités bancaires en France et en Europe », Bulletin de la Commission Bancaire, N° 31, novembre 2004.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
81
millions d’euros dans le cadre de son projet 4D (Dispositif de Distribution multicanal pour la
banque de Détail de Demain)111. L’importance stratégique de ces décisions nous a d’ailleurs
posé problème pour accéder au terrain, nous y reviendrons.
I.2.2 Les objectifs du développement du multicanal dans
la banque de détail…
Nous venons à l’instant de quitter l’un des objectifs initiaux de la mise en place d’un
réseau de distribution multicanal dans la banque de détail : résister aux nouveaux entrants qui
menaçaient de réussir à contourner la barrière du réseau physique pour s’implanter sur le
marché national.
Les autres objectifs se ramènent à la volonté des banques de profiter des avantages
propres à tout réseau de distribution multicanal, présentés dans notre premier chapitre. Nous
les rappelons en quelques mots112.
Tout d’abord, diminuer le coût global de distribution, le coût de réalisation d’une
opération par téléphone ou sur Internet pouvant être de 95% moindre que celui de la même
opération réalisée en agence (Sharma et Krishnan, 2002). Par-delà ces avantages-coûts relatifs
des canaux, cette baisse peut aussi résulter d’économies d’échelle ou d’envergure propres à
leur combinaison. Celles-ci sont rendues possibles par une mise en commun de ressources
(informatiques, interface...) qui deviennent transversales au lieu d’être affectées à un seul et
unique canal. Il ressort de l’étude empirique réalisée par Bénavent et Gardes (2006) que cette
question de la maîtrise des coûts de distribution est une véritable obsession pour l’ensemble
du secteur, et qu’il s’agit « du moteur principal qui oriente les décisions » ( : 28).
Accroître la satisfaction des clients à l’égard de leur banque vient en second. Le
multicanal procure aux clients des avantages qu’ils valorisent fortement. En premier lieu, la
souplesse : ils ne sont plus dépendants ni des horaires, ni de l’emplacement géographique de
leur agence, et peuvent dès qu’ils le souhaitent réaliser la quasi-totalité de leurs opérations
courantes chez eux, ou à un GAB. Second avantage, une qualité de service supérieure, comme
la rapidité du décrochage et du traitement des appels par un centre de relations clients.
Troisième objectif, fidéliser et approfondir la relation client (Munos, 2003b). D’une
part en effet, l’accroissement de satisfaction que provoque le multicanal est supposé 111 Montants étalés sur 5 ans – Les Echos du 22 novembre 2000 pour le Crédit Lyonnais, et du 18 décembre 2000 pour la Société Générale. 112 Les propos qui suivent sont basés sur Plé, 2005.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
82
engendrer une fidélité plus forte du client vis-à-vis de son établissement bancaire. D’autre
part, la multiplication induite des contacts entre le client et sa banque offre la possibilité de
modéliser plus précisément son comportement pour lui faire des offres commerciales toujours
plus adaptées à ses besoins... accroissant dès lors sa satisfaction.
S’ensuit la volonté d’augmenter la demande globale adressée à l’entreprise. Rappelons
que les résultats d’Easingwood et Storey (1996) montrent qu’un réseau de distribution
multicanal dans la banque induit une augmentation des ventes de l’entreprise, et une
profitabilité supérieure à celle de l’utilisation d’un canal unique.
Enfin, un autre des présupposés forts du développement du multicanal dans la banque
de détail est de libérer du temps commercial pour les conseillers des agences (Munos, 2003a).
Ces derniers, déchargés de la gestion de tâches à faible valeur ajoutée (demandes de virement,
commandes de chéquiers, soldes...), peuvent alors se concentrer sur des missions de conseil à
forte valeur ajoutée, tout en adoptant une démarche commerciale pro-active. Cette dernière
préoccupation n’est pas indépendante de l’objectif de réduction de coût précité.
Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1
« La logique est très simple, en fait. On libère les commerciaux du temps que leur prenaient
toutes ces petites opérations, et ça leur en prenait beaucoup, et on leur dit : ‘maintenant, vous
exploitez ce temps pour faire du commercial’. Comme ça, ils peuvent contacter leurs clients,
leur proposer des produits, les recevoir tranquillement, etc. »
I.2.3 … Ne doivent pas en occulter les limites.
Ces limites renvoient aux risques que porte tout réseau de distribution multicanal. De
ce fait, nous procéderons comme précédemment, et les présenterons de manière courte, sans
perdre de vue l’adaptation de nos propos au secteur.
Même si il s’agit de leur objectif prioritaire, la baisse de coût que visent les banques de
détail en développant un réseau de distribution multicanal n’est pas acquise. En effet,
l’empilement des canaux sans réelle logique d’ensemble, dans l’espoir de bénéficier
uniquement des avantages-coûts relatifs de chacun d’eux, renchérira fort probablement le coût
total. Il sera de même si les clients n’utilisent pas tous les services du nouveau canal, en
continuant par exemple à privilégier l’agence pour faire des retraits ou des virements, ou
obtenir des relevés de compte, alors que la banque a investi dans un site Internet et un réseau
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
83
de GAB pour réaliser ces mêmes opérations à moindre coût. Plusieurs enquêtes nord-
américaines donnent corps à ces hypothèses.
Par exemple, une étude menée par le cabinet Mc Kinsey révèle que dans la banque de
détail américaine, l’utilisation d’Internet et des distributeurs automatiques ont fait reculer le
coût moyen des transactions (consultation des soldes et historiques de comptes, retraits, etc.)
de près de 15% en 15 ans. Mais sur la même période, leurs volumes ont doublé : du fait de la
commodité et facilité de réalisation de ces opérations, induites par les nouveaux canaux, les
clients les réalisent beaucoup plus souvent que lorsqu’ils devaient faire la queue en agence.
Au final, servir chaque client coûte globalement plus cher (Myers et al., 2004). Jonathan
Witter, responsable de la distribution de Wachovia, l’une des plus grandes banques
américaines, reconnaît lui-même, dans un récent entretien accordé à la revue Banking
Strategies, cette augmentation des coûts dans son entreprise, qui va totalement à l’encontre
des espérances placées dans ces nouveaux canaux113. Un de nos interlocuteurs affichait
également son scepticisme à l’égard de la réalité de cette diminution de coût.
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Vous savez, cette réduction de coût, elle n’est pas si évidente que cela. Il ne faut pas oublier
de prendre en compte le coût global. Et quand on calcule ce coût global, donc les coûts de
développement du site Internet, du call-center, et autres comme le Wap sur lequel on travaille
actuellement, les économies, on les cherche ».
La réaction des clients constitue un autre des risques notables auquel est confronté le
multicanal : ils peuvent ne pas être satisfaits par les services offerts par les nouveaux canaux,
ou par le changement des habitudes induits par leur simple existence. Nous y reviendrons plus
loin, de même que sur les réticences internes au changement.
Ces dernières sont également très fortes dans la banque de détail. Le personnel
travaillant en agence, seul dépositaire de la relation client avant l’introduction des nouveaux
canaux, peut entraver le bon fonctionnement de l’ensemble en n’incitant pas les clients à les
utiliser. Ces réticences sont d’autant plus vigoureuses que les conseillers du réseau
considèrent que ces outils mis à la disposition des clients cannibalisent une partie de la
demande, compliquant l’atteinte de leurs objectifs commerciaux.
113 http://www.bai.org/bankingstrategies/2005-jan-feb/rationalize/. Les raisons données par Jonathan Witter sont identiques à celles données dans l’étude réalisée par Mc Kinsey.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
84
Le temps commercial que doivent libérer ces nouveaux canaux au profit des agences
ne va pas non plus de soi. Tout d’abord, il est très difficile à mesurer réellement, du fait de
l’enrichissement permanent des tâches des conseillers. Il peut aussi être utilisé par les
employés pour soulager leur travail administratif, au détriment du commercial.
Rappelons pour conclure que ce que nous avons développé dans le premier chapitre, à
savoir que multicanal ne rime pas toujours avec gain de nouveaux marchés (Easingwood et
Storey, 1996), et que la non-harmonisation de l’information à destination du client (comme
des réponses divergentes sur un taux de crédit) peut entraîner ce dernier dans la confusion.
I.2.4 Les traductions opérationnelles du développement
du multicanal bancaire.
Nous avons déjà évoqué les différents canaux qui sont au cœur de la réflexion
multicanale dans la banque de détail : agences, centres d’appels, serveurs vocaux interactifs,
Internet, téléphone mobile, télévision numérique, distributeurs et guichets automatiques (ces
derniers étant de plus en plus fréquemment regroupés sous la bannière LSB, pour Libre-
Service Bancaire, dont la palette de services est de plus en plus étendue) sont les principaux.
Cette liste illustre que se sont greffées de nouvelles interfaces à d’autres plus anciennes. D’où
cette triple interrogation : l’arrivée de ces nouveaux canaux a-t-elle eu des retentissements sur
les canaux classiques ? Quelles furent les conséquences de leur introduction sur la relation
entre la banque et ses clients ? Et enfin, comment réussir à gérer la nouvelle architecture
distributive qui en résulte ?
I.2.4.a) L’impact du développement des nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle.
L’arrivée de nouveaux canaux de distribution devait signifier, nous l’avons déjà relevé
maintes fois, la fin des réseaux d’agences : le « click » était supposé prendre l’ascendant sur le
« brick », qui représente le canal historique de contact avec la clientèle et de distribution. La
réalité s’avère toute différente, puisque force est d’admettre que c’est plutôt à un renouveau
de l’agence et de ses fonctionnalités que nous assistons.
Sur un plan quantitatif, tout d’abord, le nombre de guichets permanents a progressé
depuis l’an 2000, puisque la Banque de France nous informe qu’il est passé de 25 657 à
26 370114. Ce flux cache un second événement, qui est une réorganisation géographique des
114 Cf. annexe 2.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
85
réseaux d’agences, grâce à l’utilisation de techniques de géomarketing permettant un meilleur
maillage du territoire en fonction du potentiel de génération et de croissance du PNB associé à
la zone géographique couverte par le point de vente (Ciret, 1998 ; Moutet, 1998). Ce vaste
redéploiement est primordial, puisque si nous prenons le cas du Crédit Agricole, chaque
nouvelle agence permet de conquérir entre 200 et 300 nouveaux clients chaque année, durant
sept à dix ans115. Dans un esprit proche de visibilité de la marque, les automates bancaires ont
également fait l’objet d’une redistribution géographique (Geiben, 2002). Par ailleurs, les
agences sont également différenciées en fonction de leurs lieux d’implantation, ce qui joue sur
les objectifs qui leur sont fixés.
Responsable de la stratégie clients / canaux, banque 3
« Nous avons commencé à développer des agences de captation de clientèle, qui sont situées
dans des zones de chalandise importantes, telles des centres commerciaux. Là, c’est plutôt de
l’information qu’on donne. Et en parallèle, nous avons nos agences de centre-ville, qui sont
presque exclusivement réservées au conseil, où les clients sont connus et reconnus, et où ils
cherchent un certain standing, un certain confort… »
Outre cette réorganisation géographique, l’apparence et l’organisation interne des
agences sont revues en profondeur pour répondre aux exigences nouvelles induites par la mise
en place des nouveaux canaux, ou de leur utilisation accrue résultant de leur
perfectionnement. L’agence accorde maintenant une large place à l’automatisation.
L’installation d’espaces de libre-service bancaire, généralement situés à l’entrée de l’agence
dans un hall dédié, accessibles en dehors des horaires d’ouverture de celle-ci, en est une
expression concrète s’il en est. Ces guichets automatiques, qui proposent une gamme de
services de plus en plus riches (retraits d’espèces, virement, consultation de compte,
commande de chéquiers, dépôts de chèques ou d’espèces, voire pour certains établissements
commercialisation de produits non bancaires comme des cartes pour téléphone mobiles, ou
l’achat de places de spectacles, etc.), sont dédiés à la réalisation par le client de tâches
répétitives, à faible valeur ajoutée. Cette réorganisation est accompagnée de programmes de
formation afin que les personnes auparavant mobilisées à plein temps par ces opérations
puissent développer une activité d’accueil et de vente de produits simples (cartes bleues, par
115 Chiffres donnés par Alain Strub, directeur des relations avec les caisses régionales chez Crédit Agricole SA, dans un entretien accordé à La Tribune, datée du 06 janvier 2005.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
86
exemple), accompagner les clients dans leur utilisation de ces nouveaux outils, prospecter
téléphoniquement pour le compte des conseillers de clientèle de l’agence, etc.
Parallèlement, le recours croissant aux centres d’appels pour accueillir les clients qui
joignent leur banque par téléphone, qu’il s’agisse de serveurs vocaux interactifs (le client
réalise seul ses opérations) ou non (le client entre en contact avec un téléconseiller) a libéré du
temps commercial en agence pour que les conseillers se concentrent sur les demandes de leurs
clients. D’aucuns estiment que si dans les années 1990, ils passaient environ 30% de leur
temps à des tâches strictement commerciales, contre 70% pour de l’administratif, ce ratio se
situe aujourd'hui aux alentours de 50 à 70% pour les agences les plus en pointe116. Quoiqu’il
en soit, l’influence de ces nouveaux canaux sur le renouvellement organisationnel des agences
est une certitude (Harker et Hunter, 1998).
Ces transformations ne sont toutefois pas exemptes d’embûches. Ainsi, l’installation
des espaces de libre-service représente un danger souligné l’un de nos interlocuteurs :
Directeur des études et du développement, Banque 2.
« Il y a quand même un danger, je pense qu’il ne faut pas non plus se couper complètement
du flux dans les agences, parce que bien souvent, ça permet d’alpaguer des gens, de leur dire
‘ben si vous avez cinq minutes, j’aimerais vous parler de quelque chose’. Certains réseaux
ont mis des murs d’argent à l’extérieur de leurs agences, et finalement, ils se coupent du
trafic, et se rendent compte que ce n’est plus forcément ce qu’il faut faire. Je pense qu’il faut
aussi mettre des bornes, des choses un peu technologiques qui aident le client à faire, mais
dans l’agence, parce que comme ça, si le conseiller de clientèle a vraiment quelque chose à
lui dire, qu’il le reconnaît, qu’il peut le voir, il peut aller le choper… C’est une histoire de
merchandising d’agence ».
Gérer l’impact des nouveaux canaux sur l’existant nécessite également de poser la
question de la complémentarité ou de la substituabilité de ces entités les unes par rapport aux
autres. Dans les pays scandinaves, par exemple, la réponse apportée fut de supprimer des
agences pour les remplacer par les canaux de contacts à distance (Leinonen, 2002). De même
au Royaume-Uni117. Nous savons pour l’avoir écrit plus haut que les banques françaises sont
allées à l’encontre de ce mouvement, faisant par la même occasion preuve d’un remarquable
116 Chiffres communiqués par Joël Nadjar, partner chez Accenture, dans Avenel (2005). 117 La Tribune datée du 17 septembre 2004.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
87
mimétisme stratégique. Tous les établissements installés ont dès le début annoncé maintenir
l’agence au cœur de leur stratégie distributive. Ainsi, Etienne Pfimlin, président du Crédit
Mutuel, déclare que l’agence est et restera « le pivot de la relation banque / client » 118. De
même en va-t-il à la BRED - Banques Populaires, qui développe un système de « réseau de
réseaux » autour de l’agence, qui reste le pilier de la relation client, autour de laquelle
gravitent des canaux alternatifs que le client est libre de contacter119. Enfin, une étude récente
réalisée par Forrester Research renforce la position dominante de l’agence dans cette stratégie,
puisque 61% de trente-trois dirigeants de banques européennes la classent en tête des canaux
de distribution et de vente pour 2007 (Avenel, 2005).
La gestion de cette complémentarité (traitée infra, cf. p 93)est une des raisons pour
lesquelles il est nécessaire d’obtenir l’adhésion du personnel du réseau pour réussir le
lancement des nouveaux canaux. Une seconde est inhérente à la nature de certains de ces
nouveaux canaux. L’accès au site Internet ou au serveur vocal, par exemple, est considéré
comme un service que vend la banque à ses clients. Or, ce service est vendu par les conseillers
de clientèle de l’agence. Leur adhésion à ces nouveaux canaux est donc indispensable, à peine
de menacer le niveau de leur utilisation par la clientèle. Or, cette adhésion n’est pas toujours
acquise vis-à-vis d’outils qu’ils considèrent comme une menace. Ces quelques passages issus
de nos entretiens sont éclairants sur cette situation et les moyens de la contourner.
Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1
« Cela n’a rien à voir avec l’affect du conseiller. Non, rien à voir. On rentre dans un domaine
différent, qui est celui de ses primes, de ses objectifs, etc… De toute façon, c’est nous qui
décidons. On fixe des objectifs, et si il veut toucher ses primes, il doit les atteindre. Donc
l’accès à ces nouveaux outils, il n’a pas le choix, il doit le vendre pour toucher sa prime »
118 Interview accordée à BanqueMagazine, n°634, mars 2002 : 30-33. 119 Extrait du projet Orion de la BRED, adapté par la rédaction dans le supplément au n° 606 de Banquemagazine de septembre 1999 sur les canaux de distribution.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
88
Directeur des études et du développement, Banque 2
« On était plusieurs à penser que ce ne serait pas évident […] qu’il fallait sans doute faire un
accompagnement du changement. […] Au démarrage de notre call-centrer, ça marchait pas
très très bien. Donc on a fait des enquêtes, et on s’est aperçu qu’il y avait un frein
psychologique, finalement, on me pique mon métier… Il y a le fait que moi, je connais bien
mon client, je suis le seul à le connaître, et vous vous le connaissez pas, ce qui n’est pas
vraiment vrai […] et puis il y a le frein face aux nouvelles technologies ».
« Le terrain considère que ces nouveaux canaux, c’est zéro PNB en plus, donc pourquoi
s’embêter à aller promouvoir ce truc, dépenser du temps, de l’argent, de la sueur, etc.. ».
« C’est pas parce que vous avez des canaux à distance que, justement, il faut tout gérer à
distance. Il faut que vos conseillers de clientèle, ils connaissent le contenu de votre site
Internet, qu’ils puissent faire une démonstration à vos clients, etc. Donc on leur dit, utilisez le
site Web, par exemple, pour votre propre situation ».
I.2.4.b) L’impact du développement des nouveaux canaux sur la relation banque / client.
L’ampleur de ces transformations ne va pas sans peser sur les relations entre les
banques et leurs clients, puisque ceux-ci ont à leur disposition une large palette de possibilités
d’entrer en contact avec celles-là. Ils n’en expriment pas moins une réelle volonté de
conserver un point de contact fixe auquel se référer quand ils le souhaitent : l’agence. Ce
comportement valide la stratégie de développement de nouveaux canaux autour de ce point de
vente physique que nous venons de présenter. Quelques chiffres appuient ces propos : 93%
des Européens se déplacent dans leur agence pour entrer en contact avec leur banque, contre
14% qui exploitent les nouveaux canaux dans ce but. Quant à la relation avec leur conseiller,
51% des clients le connaissent depuis plus de 5 ans, et 66% depuis plus de deux ans. Enfin, 93
% des Français refusent la disparition de leur agence120. Les français apprécient également
fortement l’accueil qu’ils ont en agence, puisque 58% des clients s’en déclarent satisfaits, et
38% extrêmement satisfaits121. Ce que l’un de nos interviewés explicite de cette façon.
120 Résultats d’une étude réalisée en 2002 par Novamétrie auprès d’une trentaine de leaders d’opinion français et européens sur l’évolution de l’agence bancaire, et de 1000 clients bancaires particuliers européens. Principaux résultats disponibles sur : http://www.novametrie.com/html/secto_agence-futur01.html 121 Résultats d’une étude réalisée par le Benchmark Group, en mai 2003, auprès de 1187 internautes. Résultats consultables sur http://www.journaldunet.com/0307/030703enquetebanque1.shtml
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
89
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Si le client veut un engagement contractuel, il passe à l’agence. Ça matérialise aussi le
face-à-face, le contrat, etc. L’élément physique dans un monde où le flux financier, c’est de
l’immatériel, c’est quand même vachement important […] Et moi, j’ai quand même
l’impression qu’aujourd'hui on a fantasmé, et que finalement, les clients sont pas mûrs. C’est
peut-être une question de génération » (s’agissant de l’éventualité du remplacement des
agences par les seuls canaux à distance).
Il n’empêche que les clients bancaires apprécient l’existence de ces moyens d’accès à
leur banque, dont ils considèrent qu’ils leur simplifient la vie. Ainsi, 54% des clients estiment
positive la possibilité de joindre un téléconseiller tard le soir122. En revanche, le passage quasi-
obligé par un centre d’appels, qui plus est sur un numéro surtaxé, au lieu de pouvoir joindre
directement leur conseiller durant la journée, semble leur déplaire. Internet, au contraire,
s’attire leurs faveurs, 57% d’entre eux étant très satisfaits des services Web de leur banque123.
Cette relation banque – client dépend par ailleurs de plus en plus du recours à des
techniques de segmentation, dont le but est de déterminer le couple client / canal le plus
efficient (des Garets, 2005). Chorafas (1999) propose par exemple de segmenter la clientèle
en fonction de ses revenus et du temps dont elle dispose. De cette manière, il distingue d’un
côté les clients riches en argent, mais pauvres en temps, et vice-versa. Les premiers n’ont
donc a priori pas le temps de se rendre en agence, alors que leur profil fait d’eux les plus
rémunérateurs pour la banque, puisque nécessitant des services sur-mesure. Cette dernière
doit donc faire montre d’adaptabilité et de souplesse pour s’ajuster à leurs besoins (horaires
d’ouverture de l’agence, déplacements des conseillers à domicile, etc.), allant même jusqu’à
créer des agences spécialisées dans le traitement de leurs demandes (agences patrimoniales).
Les seconds ont aussi droit à des services de qualité, mais dont la nature fait qu’ils sont
fortement automatisables. Suivant une logique de contrôle des coûts, ces clients sont donc
incités à se reporter autant que possible vers les canaux automatisés, sur lesquels ils pourront
réaliser seuls la majorité, sinon la totalité, de leurs opérations (Internet, serveurs vocaux, LSB,
etc.).
122 Étude Benchmark citée. 123 Résultats d’une seconde enquête Novamétrie, réalisée en 2004, et qui indique que seuls 29% des clients sont satisfaits des contacts téléphoniques qu’ils ont avec leur banque. Résultats disponibles sur : www.novametrie.com/html/secto_internetbque01.html
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
90
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Il faut bien segmenter l’offre de banque à distance en fonction des profils. En ce sens qu’il y
a des canaux qui sont faits pour certaines clientèles, et d’autres pour d’autres clientèles. Je
pense que Internet est, et restera sans doute encore pour quelques années, un canal,
notamment pour Internet sur la bourse, à destination d’une clientèle plutôt avertie, plutôt
haut de gamme […] Le petit client qui demande tout le temps la position de son compte, lui
c’est vers le téléphone qu’il faut l’orienter, et là, on a un gain de productivité ».
Mais Bénavent et Gardes (2006) relèvent que « les clients les plus riches et les mieux
éduqués ont une préférence pour les canaux automatiques et à distance que les plus modestes
n’ont pas et ne peuvent avoir car ils ne sont pas forcément équipés » ( : 29). Ce constat va
dans le sens de celui de Mizrahi (2000), dont nous avons fait mention dans notre premier
chapitre (cf. p. 27). De ce fait, ajoutent Bénavent et Gardes, « l’ajustement économique se
heurte à un ajustement d’usage » (ibid.). Ainsi, la réussite de ce modèle réside notamment
dans la capacité de la banque à orienter les clients vers le canal qui leur est théoriquement
destiné dans cette logique d’efficience.
Cette orientation en fonction des objectifs des établissements bancaires, en tête
desquels la réduction des coûts, amène Munos (2003a) à dire que les clients ont, ou auront à
terme moins de choix dans le mode de contact. Elle cite comme raisons invoquées par les
dirigeants rencontrés durant son étude empirique : la volonté de mieux utiliser et répartir
l’expertise du personnel en contact dans les agences et les centres d’appels ; l’amélioration de
l’entreprise en augmentant l’externalisation sur le clients ; la rentabilisation de l’ensemble des
canaux à distance ; la diminution du lien de dépendance des clients vis-à-vis d’un point de
vente dont les heures d’ouverture doivent être dédiées au traitement d’opérations à forte
valeur ajoutée… Dans le même ordre d’idée, De Perthuis (2002) relève que les acteurs qui
retirent les meilleurs résultats d’une stratégie de distribution multicanale, en termes de coûts,
sont ceux qui parviennent à faire réaliser la plus grande part des opérations par leurs clients.
Cette orientation vers un canal plutôt que vers un autre, les banques tentent de
l’organiser non seulement d’après les critères de segmentation sus-évoqués, mais aussi en se
basant sur le niveau de complexité des opérations. Lorsque cela répond aux objectifs de coûts
fixés par la banque, il s’agit d’assurer la migration des clients vers un canal plutôt que vers un
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
91
autre124 (Munos, 2003a). Afin d’atteindre ce but, chaque canal utilisé de manière non-
conforme à ce que souhaiterait la banque joue un rôle de prescription qui vise à réorienter le
client vers le « bon » canal pour une opération ultérieure, c'est à dire adéquat au niveau de
complexité de cette opération. Ce qu’illustre la figure 2-1.
Figure 2-1 : La prescription croisée entre les canaux pour atteindre la situation idéale aux yeux de la banque
Source : Adapté de Munos (2003a) : 13-14
La figure 2-1 peut laisser penser que toutes les banques sont à la recherche de cette
même situation. Cela n’est pas forcément éloigné de la vérité, mais toutes n’emploient pas
cependant les mêmes méthodes pour amener les clients à passer d’un canal à un autre. La 124 Ce que Vanheems (1995) appelle la « translation de canal ».
Situation initiale Le client utilise presque toujours le canal qu’il
souhaite, mais en cas de recours à un canal inadapté
à la complexité de son opération, il se voit
réorienté vers un autre canal pour sa prochaine
opération de même nature
Situation désirée par la banque
Le client n’a pas le choix : en fonction du niveau de
complexité de chaque opération est affecté un
canal, et le client est obligé d’utiliser le canal adéquat si il veut que soit réalisée
son opération
Le canal de distribution utilisé par le client correspond à la volonté de la firme
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
92
fermeture de l’accès à un canal, notamment, peut n’être pas officialisée, mais avancer à pas
feutrés. Ainsi, certains établissements bancaires recourent à l’arme de la tarification pour
dissuader des clients de passer par un canal particulier, quand d’autres indiquent
explicitement l’impossibilité d’utiliser un canal. En voici deux exemples concrets.
Dans le courant de l’année 2000, les agences du Crédit Mutuel affichaient à leur entrée
que des opérations de guichet comme le retrait d’espèces seraient dorénavant exclusivement
réalisées dans les espaces de libre-service. Les clients ne disposant pas de carte en avaient une
temporaire mise à leur disposition, fournie par le chargé d’accueil de l’agence, afin de réaliser
cette opération. A l’inverse, BNP-Paribas permet à ses clients de retirer de l’argent au guichet
de leur banque, mais cette opération est payante (5€) dès lors que ce service peut être obtenu
au DAB de l’agence concernée125. En d’autres termes, le client ne souhaitant pas payer pour
obtenir ce service se voit contraint de prendre une carte bancaire afin d’effectuer son retrait,
même si la banque laisse en apparence le choix du canal. De sorte que, si il y a un véritable
mimétisme stratégique quant à la place centrale de l’agence dans les dispositifs multicanaux,
la situation diverge quant à la manière de guider les clients dans la jungle multicanale.
Certains optent pour des stratégies agressives là où d’autres affichent plus de souplesse.
Responsable marketing particuliers et professionnels, banque 1
« Non, ici ils n’ont pas le choix. Les appels vers les agences arrivent automatiquement dans
un centre d’appels, et les clients ne peuvent pas avoir leur conseiller au téléphone en
appelant. Mais par contre, le client peut décider du canal qu’il souhaite utiliser pour réaliser
des opérations comme le retrait d’espèces, la commande de chéquier, etc. Si il vient au
guichet pour cela, on le servira. Mais bien sûr, ce ne sera pas gratuit ».
Responsable de la stratégie clients / canaux, banque 3
« Le principe, c’est que tous les clients ont accès à tous les canaux. Mais on essaie de les
amener à passer par d’autres moyens que l’agence, comme le téléphone ou les DAB, pour
réaliser des petites opérations qui nous coûtent assez cher, et ne rapportent pas grand-
chose ».
125 Source : Plaquette des conditions et tarifs des produits et services pour les particuliers de BNP-Paribas, janvier 2006.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
93
En complément, il convient de noter qu’une large frange des clients s’adresse
spontanément à l’un ou l’autre des canaux en fonction du caractère impliquant de leur
demande (Robinet, 2004). Mais la difficulté réside dans ce que banque et client ne partagent
pas toujours la même vision de ce qu’est un projet impliquant.
I.2.4.c) La nécessité de la cohérence organisationnelle.
D’un document interne remis par l’une des banques contactées (la banque 4), nous
extrayons cette phrase qui résume parfaitement cet enjeu de cohérence :
« Le modèle de distribution actuel, dit pluricanal, prend déjà en compte les différents canaux
par lesquels le client entre en contact avec notre établissement. Mais ces canaux sont
cloisonnés : ils ne sont pas reliés entre eux. Le multicanal crée les passerelles indispensables
à une action coordonnée. Le dispositif est cohérent et plus efficace ».
Plus loin dans ce document, nous apprenons que ce cloisonnement disparaît grâce à
l’instauration de liens entre les canaux par l’intermédiaire d’un outil spécifique de GRC
(Gestion de la Relation Client). Autrement dit, primauté est nettement donnée au système
d’informations et aux bases de données pour aménager le nouvel ensemble et coordonner les
canaux. Le système d’information, et l’informatique en général, se sont vus dotés d’un rôle
primordial pour établir les ponts entre canaux et réussir à gérer l’ensemble nouvellement
constitué126. Or, si leur besoin est indéniable, se concentrer uniquement sur eux peut faire
oublier de gérer et d’accompagner les changements induits par la nouvelle organisation. Cela
est patent dans les propos tenus par le directeur des études et du développement rapportés plus
haut, lorsqu’il évoque la nécessité d’accompagner le changement, déplorant que son
entreprise ne soit pas à la pointe en ce domaine. D’autres citations renforcent tant ce que nous
avançons sur le primat de l’informatique, que sur la nécessité d’une réflexion plus globale.
Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1
« Ben, pour coordonner tout cela, il y a l’informatique. Que voulez-vous qu’il y ait d’autre ?
Moi je ne vois pas. Avec un bon réseau, vous partagez tout entre les canaux, et vous êtes
tranquille. Après, il faut pas que ça tombe en panne, c’est évident ».
126 Cette situation est criante dans le numéro spécial de Banquemagazine de septembre 1999 consacré aux canaux de distribution.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
94
Directeur des études et du développement, Banque 2
« De toutes façons, vraiment, l’interaction des canaux, on peut la faire que si vous avez la
structure informatique qui va bien et qui le permet ».
L’ampleur des transformations implique de penser à leur mise en place longtemps
avant que cette dernière ne soit effective. La majorité des projets de refonte des infrastructures
informatiques et de déploiement de la banque multicanale annoncée par les établissements
nationaux avait un horizon de 5 ans en moyenne (généralement entre 1999 / 2000 et 2004 /
2005). L’importance stratégique de ces plans, les montants engagés, la durée de leur
réalisation, sont autant de facteurs qui ne les encouragèrent pas à communiquer de manière
détaillée à leur sujet.
Responsable de la communication du projet de banque multicanale, banque 4
« Ce projet est un projet de très grande envergure pour notre groupe. Il implique énormément
de modifications de grande ampleur, une refonte totale de notre stratégie de distribution […]
On marche actuellement sur des œufs, les syndicats font très attention aux changements que
ça peut amener dans les agences, et le réseau ne voit pas toujours ça d’un très bon œil… ».
La gestion de la cohérence du nouvel ensemble a donc pour cœur l’informatique, qui
est mise au service de deux objectifs fondamentaux : assurer la complémentarité au niveau
des services offerts et des opérations réalisées par les différents canaux ; et assurer une
complémentarité au niveau de la qualité de service.
Le premier type de complémentarité (sur le plan des services et des opérations) a déjà
été largement abordé supra, lorsque furent croisés nature des canaux et degré de complexité
des opérations pour déterminer par quel canal le client devait passer. Il ne s’agit rien moins
que de spécialiser les canaux sur des tâches spécifiques adaptées à leur capacité à fournir le
service sans baisse de la qualité, et en accord avec leur structure de coût. Les agences sont
donc spécialisées sur le conseil, tandis que d’autres canaux ont pour mission d’effectuer des
tâches à faible valeur ajoutée susceptibles d’être automatisées facilement, et transférées
totalement ou partiellement sur le client. La prescription croisée que nous avons mentionnée
plus haut participe pleinement de ce mouvement de spécialisation de chaque canal. Bénavent
et Gardes (2006) parlent à ce sujet d’une dichotomie entre enrichissement et allégement. Le
premier consiste à « user d’un canal pour capturer un besoin et le renvoyer vers un cala
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
95
mieux adapté (par exemple, un simulateur de crédit sur le web renvoyant vers l’agence pour
la négociation) […] », alors que le second vise « à dérouter des demandes d’informations
vers des canaux mieux adaptés, c’est-à-dire moins coûteux » ( : 31).
Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1
« Tout dépend de l’objet de la demande du client pour l’agence ou pour les canaux
alternatifs. Pour le service, ce sont les canaux complémentaires qui seront utilisés. Pour
recruter un client, l’agence sera privilégiée, tout comme pour les ventes à plus forte valeur
ajoutée ».
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Ce qui devrait à terme perdurer dans les agences, c’est le conseil à valeur ajoutée,
lorsqu’on vient voir un expert pour un crédit immobilier, pour sa situation patrimoniale, pour
de l’épargne, ainsi de suite, mais pour les petites choses de la vie quotidienne, genre la
consultation du compte, les passages d’ordre de bourse où j’ai pas besoin de conseils sur les
valeurs… Des petites opérations simples comme demander à mon conseiller de clientèle
d’augmenter mon virement sur mon PEL, ça devrait davantage se gérer à distance. Donc
nous, c’est aussi ce qu’on essaie plus ou moins de faire en vendant des canaux à distance
pour réaliser ces petites opérations à distance »
Cette spécialisation n’est pas toujours aisée à réaliser, en raison de ce que les clients ne
sont peut être pas encore tous prêts à s’y contraindre. Mais elle est de toute évidence
nécessaire pour prouver au réseau que, en concordance avec les discours officiels, les canaux
sont réellement complémentaires, et que les agences ne sont pas menacées. Pour cette raison,
il est difficile de proposer des offres spécifiques sur Internet, par exemple, car cela comporte
le risque d’être en porte-à-faux vis-à-vis des agences. Un de nos interlocuteurs notait à ce
sujet que c’est pour cette raison que son établissement ne proposait pas sur son site d’offre
susceptible de contrer celles provenant de pure players, comme ING Direct. Il est
indispensable de ne pas envoyer deux messages contradictoires au personnel du réseau.
Si la spécialisation est de mise, il n’en demeure pas moins que certaines activités se
recoupent entre les canaux. Les centres d’appels, voire pour certains établissements le site
Internet, ont la possibilité de vendre des produits simples comme des cartes bleues, des livrets
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
96
d’épargne de base (comme le livret d’Épargne Populaire), etc. Mais comme à nouveau, le
souci majeur est de rassurer les agences sur leur avenir, et surtout en ce cas sur la partie
variable de leur rémunération, sont édictées des règles strictes de comptabilisation des ventes.
Directeur des études et du développement, Banque 2
« C’est une crainte qui est en train de se lever, parce que de toute façon, nous, on ne
comptabilise pas d’objectifs sur les canaux à distance. Tout ce qui est fait par les canaux à
distance sur les clients des agences est comptabilisé pour les agences ».
Responsable de la stratégie clients / canaux, Banque 3
« Ce que nous faisons ici, en fait, c’est de demander aux canaux à distance de pratiquer du
rebond commercial. Soit ils vendent le produit, soit ils renvoient le client à l’agence, ça
dépend de la nature du produit. Par exemple, pour un prêt à la consommation, le
téléconseiller demandera au client d’aller voir en agence. Mais dans tous les cas, la vente, si
elle intervient, sera affectée aux objectifs du conseiller d’agence correspondant ».
Cette spécialisation et ce renvoi vers l’agence pour des produits plus complexes dans
la majorité des banques, répond aussi à une donnée spécifique au secteur : celle du risque. En
raison de la nature de leur activité, les établissements bancaires sont soumis à une
contraignante réglementation, qui ne peut être dissociée de la stratégie de distribution. Le
conseiller de l’agence est ainsi responsable de la note de risque de son portefeuille de clients,
et la maîtrise d’autant mieux qu’il est formé à l’évaluation de ce risque, et qu’il entretient des
contacts directs et répétés avec ses clients, dont il connaît la situation personnelle.
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Il y a aussi une problématique, dans les banques, qui est embêtante, et qui est une
problématique de risque. Ca fait partie du boulot… Il y a le commercial, mais le métier de
banquier, c’est aussi le métier du risque. Et qu’est-ce qui se passe si les canaux à distance
commencent à vendre du crédit-revolving, alors que moi je considère qu’il n’en faut pas pour
ce client, que sa situation de compte n’est pas bonne, et ainsi de suite ? Donc c’est plus facile
pour les canaux à distance de vendre des petits produits, cartes bancaires, petits produits
d’assurance… que d’aller vendre du crédit, où ça peut être un peu plus délicat ».
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
97
Enfin, tous nos interlocuteurs ont fortement insisté sur l’impérieuse nécessité d’une
cohérence dans la qualité du service offert au client afin d’assurer la complémentarité aux
yeux des clients, donc d’accroître leur satisfaction (Grönroos, 2001 ; Zeithaml et Bitner,
2003). Pour cela, les canaux sont évalués grâce à la mise sur pied d’indicateurs de qualité de
service, certains communs à l’ensemble des canaux (par exemple, la qualité du partage de
l’information entre les canaux), d’autres répondant à la spécificité propre de chaque canal (par
exemple, le nombre de sonneries avant décrochage pour un centre d’appels, ou la vitesse de
chargement des pages du site Internet). Ils sont dans le sillage de Badoc et al. (2000), qui
insistent également sur l’entrelacement de la cohérence organisationnelle des canaux de
distribution et la satisfaction de la clientèle.
Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1
« Si vous voulez que les canaux soient réellement complémentaires, il faut qu’ils offrent un
service de qualité identique à vos clients. Donc nous, notre raisonnement pour mettre en
place cette complémentarité, il est basé sur la qualité de service ».
Directeur des études et du développement, Banque 2
« Il faut avoir de la productivité sur le téléphone, elle est importante. Mais il faut aussi que
ces canaux à distance apportent une qualité de service aussi bonne, si ce n’est meilleure, que
celle des agences. Je sais que nous, on a commencé avec une optique très productiviste, et on
revient dessus…»
Responsable de la stratégie clients / canaux, Banque 3
« Après, la complémentarité entre les canaux, c’est aussi la qualité de service. J’irais même
jusqu’à dire, c’est surtout la qualité de service. Il faut qu’elle soit identique partout, quel que
soit le canal que le client utilise […]. Nous la mesurons donc régulièrement, et nous avons
mis au point des indicateurs de qualité qui sont propres à chaque canal. Cela nous permet
d’assurer un suivi, tout en mettant la pression sur les collaborateurs pour être sûrs qu’ils font
en permanence leur maximum pour le client ».
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
98
Le cadre sectoriel de notre recherche est maintenant planté. Nous allons pouvoir
passer à la présentation de notre première étude de cas, exploratoire, qui nous permettra
d’avancer dans la précision de notre question de recherche.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
99
SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS
BANQUE GÉNÉRALE DU NORD127 (BGN)
Ce qui ressort de la présentation précédente et de sa structure est que les
établissements bancaires ont adopté une démarche apparemment rationnelle de choix et
d’évolution des canaux en fonction de facteurs tels les coûts de distribution ou la qualité de
service délivrée au client. Cette vision est toutefois purement idéaliste, et il en va dans le
secteur bancaire comme dans bien d’autres : le « bricolage » y est de rigueur, comme nous en
avertissent Bénavent et Gardes128 (2006 : 31).
Ces auteurs écrivent cela en 2006, à partir d’entretiens réalisés en 2005. Nous nous
situons, en ce qui concerne l’étude exploratoire qui suit, en 2001. A cette période, les banques
étaient en pleine réflexion et ébauche de leurs projets de banque multicanale, et c’est peu de
dire que ce bricolage était d’ores et déjà de rigueur. Cela transparaît d’ailleurs dans certaines
des citations utilisées plus haut. De plus, toutes les données, primaires ou secondaires, à notre
disposition émanaient d’instances dirigeantes ou d’organismes officiels. Or, comme nous
nous intéressons à l’interface en tant que telle, il était indispensable d’aller voir sur le terrain,
dans les canaux, comment étaient vécues ces transformations, et de quelle manière était
opérationnellement gérée la mise en place des nouvelles organisations distributives. En
d’autres termes, il s’agissait d’aller voir comment se faisait ce bricolage au quotidien,
comment il était vécu par le personnel travaillant sur ces canaux, dans une optique de
construction de notre objet de recherche. En effet, l’absence relative de travaux sur les
organisations de distribution multicanales posait la difficulté de la construction d’une grille de
lecture ex-ante, limite que notre étude exploratoire devait nous permettre de surmonter dans
l’optique de la réalisation d’études de cas ultérieures.
Dans un premier temps, nous procédons à un rapide détour méthodologique. Les
modalités de la collecte et de l’analyse des données de cette étude exploratoire sont exposées
(II.1), dans le but de marquer la différence avec les deux autres études de cas que nous
présenterons ultérieurement. Puis nous passons en revue le cas BGN afin de montrer quels
enseignements il nous a apporté pour la suite de notre recherche (II.2, II.3, II.4, II.5, II.6).
127 Cette banque ayant demandé à rester anonyme, nous substituons donc un pseudonyme à son nom véritable. 128 Ils se font en cela l’écho des extraits d’entretiens rapportés par Coelho et Easingwood (2003) sur le management des canaux, et que nous avons déjà cités dans notre premier chapitre (cf. p 59).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
100
Pour information, le recours au terme « réseau » dans les paragraphes qui suivent
renvoie exclusivement au réseau d’agences, selon l’appellation sectorielle consacrée. Pour
éviter toute ambigüité, nous ajouterons systématiquement le qualificatif « multicanal »
lorsque nous nous référerons au réseau constitué par l’ensemble des canaux.
II.1 COLLECTE ET ANALYSE DES DONNÉES
Le cinquième chapitre de cette thèse est entièrement dédié au positionnement
épistémologique et à la méthodologie de l’ensemble de la recherche. Nous avons toutefois
pris le parti de faire un point rapide sur la méthodologie propre à l’étude exploratoire, à la fois
pour éclairer dès maintenant le lecteur sur les modalités de collecte (II.1.1) et d’analyse
(II.1.2) des données de ce cas, et pour préciser certaines spécificités de cette étude sur
lesquelles nous ne revenons pas dans notre cinquième chapitre.
II.1.1 La collecte des données du cas BGN.
II.1.1.a) L’accès au réel.
Nous avons établi les premiers contacts avec le directeur de l’une des cinq directions
régionales de la BGN, que nous avions déjà eu l’opportunité de rencontrer lors de la
réalisation de notre mémoire de DEA. Un premier entretien de deux heures fut réalisé en
octobre 2000, intégralement enregistré et retranscrit. Nous le rencontrâmes à nouveau en juin
2001, au cours d’une brève entrevue non enregistrée, à l’issue de laquelle il nous donna
l’autorisation de mener des entretiens dans le réseau et sur les deux plates-formes. Il nous
orienta ensuite vers la directrice de la force de vente et la responsable des plates-formes. Au
cours d’un entretien assez rapide (30 minutes environ) et non enregistré à sa demande, la
première détermina avec nous les quatre agences dans lesquelles seraient menés les entretiens,
prenant bien soin de nous préciser que sans l’aval du directeur régional, elle ne nous aurait
jamais laissé faire pour un sujet tel que celui-là.
Après en avoir bénéficié auprès de la directrice de la force de vente, nous avons à
l’inverse cherché à gommer ce parrainage lorsque nous nous sommes adressés aux agences.
Nous voulions absolument éviter que les conseillers ne considèrent notre travail comme une
mission commandée par la direction générale, ce qui aurait risqué de provoquer un certain
blocage dans leurs réponses. En dépit de cette précaution, certains répondants exprimèrent
expressément leurs doutes sur notre indépendance : « ça paraît plus être une mission initiée
par la BGN, sur la plate-forme » (BGN LECL 03).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
101
II.1.1.b) Les méthodes de collecte de données.
L’essentiel des données recueillies le fut au moyen d’entretiens semi-directifs129.
Nous avons également récupéré deux cassettes vidéo, des documents écrits et une
revue de presse destinés à une diffusion interne. Les deux cassettes avaient pour but, l’une
d’introduire la plate-forme sortante au réseau, l’autre, la plate-forme entrante. La première fut
réalisée à l’époque par la remplaçante de la responsable des plates-formes, qui était alors en
congé maternité. A son retour, cette dernière visionna la cassette et décida finalement de ne
pas la diffuser, nous expliquant : « Sachant que ce qu'il y a dessus, vraiment, une fois que
vous avez vu ça, vous vous dites, c'est pas possible de lancer une plate-forme téléphonique
sortante. C'est vraiment le truc, les commerciaux, ils voient tout en noir, ils disent, les clients
vont pas aimer du tout, de toute façon, le client veut parler qu'à moi tout seul ».
En effet, les conseillers du réseau exprimaient dans cette vidéo toutes leurs craintes et
appréhensions vis-à-vis de cette innovation distributive. Le but initialement recherché avec
cet outil de communication interne était en fait de mettre en avant leurs réticences à l’égard de
cette plate-forme, de manière à les faire lever progressivement par les initiateurs du projet.
La seconde cassette avait été réalisée sous l’égide de la responsable des plates-formes,
et présente l’activité de la plate-forme entrante sous la forme de plusieurs mises en situation
de traitement de la demande d’un client par un téléconseiller. Cette mise en situation explique
les situations dans lesquelles le téléconseiller doit renvoyer le client vers son agence. La
cassette inclut également des interventions formelles du directeur marketing et du directeur
général de la banque, qui insistent sur l’importance stratégique de la transformation.
Nous avons également été autorisé à passer une demi-journée d’observation non-
participante sur les deux plates-formes, qui étaient regroupées dans le même bâtiment. Enfin,
nous nous sommes appuyés sur des articles de presse et de revues managériales.
II.1.1.c) Le guide d’entretien.
Ce guide fut bâti à partir d’éléments présentés en première partie de ce chapitre. Plus
exactement, son socle se compose de ces trois sous-sections : l’impact du développement des
nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle ; l’impact de ces nouveaux canaux sur la
relation avec les clients ; la nécessité de la cohérence organisationnelle. Nos questions étaient
129 Les modalités de leur réalisation sont celles décrites dans le cinquième chapitre. La liste des interviewés figure pour sa part en annexe 3.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
102
donc centrées sur ces trois grands thèmes, que nous n’avons toutefois pas repris comme tels
dans notre guide, pour éviter certaines redondances risquant de lasser notre interlocuteur.
En définitive, notre guide d’entretien se divisait comme suit :
Ø Description du parcours professionnel et du travail quotidien de l’interviewé
(notamment de manière à établir l’empathie et à le mettre en confiance).
Ø Introduction des nouveaux canaux : communication interne, changements
annoncés, réactions parmi les conseillers, etc.
Ø Échanges entre les canaux : modes de communication, procédures, etc.
Ø Relations avec les clients : évolution des relations, impact des nouveaux
canaux sur cette évolution, perception de l’évolution future, etc.
Il dut parfois être adapté d’après le poste occupé par le répondant. Sa structure ne
variait pas, mais à titre d’exemple, le thème des relations avec les clients était généralement
plus approfondi avec les conseillers qu’avec les téléconseillers (en cause, la nature des
contacts). Quant aux membres de la direction, n’étant pas en contact direct avec les clients, ils
avouèrent parfois ne pas être en mesure de nous apporter de réponses, et nous apportèrent plus
d’informations sur les deux premiers thèmes.
Les questions du guide n’étaient pas figées, de manière à nous adapter à la situation de
chaque entretien. Notre but premier était que tous les thèmes soient systématiquement
abordés, que ce soit ou non dans l’ordre (adapté en fonction des réponses du répondant).
II.1.1.d) Les canaux étudiés.
Les questions du guide mentionnent « canaux de distribution ». Sous cette appellation
générique, se trouvent tout particulièrement l’agence, les deux plates-formes, et le site Internet
du groupe. En effet, nous avons progressivement exclu les autres canaux pour les raisons
suivantes :
Ø La télévision interactive était trop peu utilisée pour que nos interlocuteurs
soient en capacité de nous apporter des informations à son sujet.
Ø Les DAB / GAB permettaient essentiellement le retrait d’espèces.
Ø L’utilisation du serveur vocal interactif par les clients était transparente pour
les conseillers (hormis en cas de problème dont ils nous firent part).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
103
II.1.2 L’analyse des données du cas BGN130
Comme l’écrivent Charreire et Huault (2001), « le processus d’exploration nécessite
de procéder de manière inductive ou abductive, en allant du particulier à des conjectures plus
générales ». Il se caractérise également par la volonté de créer de la théorie à partir des
données recueillies (Strauss et Corbin, 1998) Pour cette raison, la méthode d’analyse des
données de ce cas diffère en partie de celle exposée dans notre cinquième chapitre. Nous nous
attacherons donc ici à mettre en exergue les particularités de l’analyse de ce cas.
II.1.2.a) Le codage des données.
Les codes sont « des étiquettes qui désignent des unités de signification pour
l’information descriptive ou différentielle compilée au cours d’une étude » (Miles et
Huberman, 2003 : 112). La littérature comportant relativement peu d’informations nous
permettant d’élaborer nos codes a priori, il semble naturel que ceux-ci soient profondément
ancrés dans les données recueillies. Cela renvoie immédiatement à des modes d’analyse
proches de la Grounded Theory, présentée par exemple par Strauss et Corbin (1998). A
l’instar de nombreux autres auteurs (e.g. Gibbs, 2002 ; Langley, 1999), nous nous sommes
néanmoins quelque peu détachés de certains des principes inhérents à cette approche, en ce
sens qu’elle exige par exemple d’entreprendre collecte et analyse de données de manière quasi
simultanée, ce que nous n’avons pas fait.
Dans un premier temps, une lecture flottante des entretiens et documents à notre
disposition nous permit de nous familiariser avec les données, et de commencer à identifier
quelques régularités (Bardin, 1977). Cette lecture flottante se fit sur papier, à l’inverse des
suivantes qui se firent en mobilisant un logiciel d’analyse de données qualitatives : Nvivo 2.
Un des avantages de ce genre d’outil pour un codage inductif repose dans la facilité de
la réorganisation des codes entre eux. A l’inverse, cette même facilité peut mener le chercheur
à l’inflation de codes, dans une logique de description et de connaissance approfondies, à un
point tel que tout réarrangement peut s’avérer problématique. Bien que conscient de ce risque,
c’est pourtant un piège dans lequel nous sommes tombés. Suivant les préconisations de la
première étape de codage de Strauss et Corbin (1998), le codage ouvert, nous avons procédé à
une analyse en profondeur, ligne par ligne, de nos entretiens. Pour nous apercevoir que, après
codage de seulement cinq entretiens, nous nous trouvions déjà devant une liste de plus de 220
130 Nous restons volontairement très succinct sur les notions de codage, dictionnaire des thèmes, fiabilité, etc… au motif que nous les reprendrons de manière plus détaillée dans notre cinquième chapitre.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
104
codes, dont il serait un euphémisme de dire que leur manipulation s’avérait de plus en plus
complexe. 210 étaient répartis sous la forme d’une arborescence131 (30 codes principaux et
leurs « enfants »), tandis que 10 étaient des « codes libres »132.
Ainsi, plutôt que de tenter de tout réorganiser, ce qui risquait d’être très long et source
de multiples erreurs, avons nous fait le point sur les codes existants, pour voir ceux que nous
pouvions conserver, regrouper, ou étions susceptibles de supprimer du fait de leur extériorité
à notre question de recherche, et avons nous commencé à établir une nouvelle liste. Doté de
celle-ci, nous avons donc repris à zéro l’intégralité du codage, pour faire évoluer notre liste au
fur et à mesure, tout en prenant garde à limiter l’inflation du nombre de codes.
II.1.2.b) L’élaboration du dictionnaire des thèmes.
Nous situant dans une logique d’analyse thématique de contenu (Bardin, 2001, 2003),
nous avons ensuite progressivement regroupé ces codes pour qu’ils constituent les propriétés
d’un nombre plus réduit de thèmes, ou « méta-codes » (Miles et Huberman, 2003 : 133). Cette
phase correspond peu ou prou à ce que Miles et Huberman (2003) appellent « la codification
thématique », qui n’est pas sans rappeler le « codage axial » de Strauss et Corbin (1998).
Toutefois, si la rédaction de notre travail implique la linéarité, il convient de préciser que ces
deux étapes de codage et d’élaboration du dictionnaire des thèmes furent extrêmement
imbriquées (de même d’ailleurs que la troisième, de liaison entre les thèmes, même si elle
apparut plus tardivement dans le processus). De cette manière, si généralement les codes
précédèrent les thèmes (agrégation des codes pour aboutir aux thèmes), l’inverse est
également survenu (cf. ci-après l’explication de la construction du thème LÉGITIMITÉ).
Nous avons finalement abouti au dictionnaire des thèmes qui suit (Tableau 2-2).
131 « Tree nodes » dans la terminologie de Nvivo. 132 « Free nodes » dans la terminologie de Nvivo.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
105
Tableau 2-2 : Dictionnaire des thèmes – cas BGN
THÈMES PROPRIÉTÉS CODES DESCRIPTIONS
Externalisation CLT Ext Report d’activités sur le client grâce aux nouveaux canaux
Réaction CLT Réac Perceptions par les employés des réactions des clients face aux nouveaux canaux
CLIENT
Individu CLT Indiv Caractéristiques personnelles du client
CONNAISSANCE Connaissance des autres canaux CONN
Connaissance du travail, des objectifs, des procédures, et de l’utilisation des autres canaux
Stratégique CONT Strat Description de la concurrence, de l’environnement, des conditions socio-économiques
Organisationnel CONT Orga Situation organisationnelle préalable aux nouveaux canaux
CONTEXTE
Individuel CONT Indiv Approche personnelle de la clientèle / Perception personnelle des nouvelles technologies
IMPLANTATION Mise en place des canaux IMPL
Gestion organisationnelle de la mise en place et du développement des nouveaux canaux
INDULGENCE Indulgence à l’égard des collaborateurs
INDU Compréhension et justification des erreurs commises par les collègues travaillant sur un canal différent
Outils INT Out Outils supportant les interrelations entre les canaux
Procédures INT Proc Règles et procédures mises en place pour gérer les interrelations entre les canaux
INTERRELATIONS
Intensité INT Int Perception de l’importance quantitative des interrelations entre les canaux
Recherche LEG Rech Expression de la recherche de légitimité par les nouveaux canaux
Reconnaissance LEG Reco Expression de la reconnaissance de légitimité par le réseau LÉGITIMITÉ
Déni LEG Déni Expression de doutes sur la légitimité des nouveaux canaux
Quantité TRAV Quant
Charge de travail perçue par les employés des canaux replacée dans la dynamique multicanale TRAVAIL
Qualité TRAV Qual Qualité du travail réalisé par les employés des canaux replacée dans la dynamique multicanale
Soit un total de 8 thèmes et 17 codes
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
106
Les quelques exemples qui suivent visent à illustrer la conception de ce dictionnaire :
Ø Le code CONT Strat provient à l’origine d’une multitude de codes décrivant
les conditions socio-économiques, concurrentielles ou le marché dans lequel
évolue la BGN. Puis, la comparaison du contenu de ces multiples codes avec
d’autres travaux (notamment Dameron, 2000) nous a donné l’idée d’intituler
ce thème CONTEXTE, auquel ont ensuite été assignées ses différentes
propriétés (stratégique, organisationnel, individuel). Nous noterons au
passage que Strauss et Corbin (1998) admettent l’utilisation de thèmes / codes
issus de la littérature, même si ils ne le conseillent pas.
Ø Le code INDU, renvoyant à l’indulgence, est un code « in vivo » : il est
directement issu du terrain, cette notion d’indulgence ayant été explicitement
citée par l’un de nos répondants (BGN PFS 2).
Ø Le thème LÉGITIMITÉ a émergé après un incident expliqué plus loin (cf. p
134). Une meilleure connaissance et compréhension des jeux politiques à
l’œuvre dans la banque nous a conduit à le créer, puis à l’éclater selon trois
propriétés différentes.
Ø Le code CLT Réac fut à l’origine de la création du thème CLT, que nous
avons ensuite scindé selon trois propriétés. Ce même code CLT Réac est le
résultat de ce que nous qualifierons un exemple paroxystique tiré du terrain,
qui pour le coup nous a frappé durant la réalisation d’un entretien (BGN MN
2). Alors que nous n’avions pas réellement pris conscience de l’importance de
ces réactions sur le fonctionnement du réseau de distribution multicanal,
l’explication par ce conseiller de la réaction d’un de ses clients face à la mise
en place des nouveaux canaux, et des implications de cette réaction sur son
travail nous a conduit à lire attentivement nos entretiens pour y vérifier son
occurrence et ses modalités d’apparition. Il s’avéra alors que la manifestation
saillante de ce phénomène n’était que le haut de l’iceberg, puisqu’il était
présent dans de nombreux autres entretiens133.
133 Attention : au plan chronologique, nous avons réalisé l’analyse approfondie des entretiens après la réalisation de l’ensemble de ces derniers. Par conséquent, comme nous l’expliquons, cet « exemple paroxystique » nous a surpris durant l’entretien cité. Rien ne dit que nous ne l’aurions pas vu durant l’analyse. Cette précision est d’importance, car la présentation qui en est faite peut faire croire en l’existence d’un biais nous ayant conduit à sur-représenter cette propriété, ce qui d’après nous n’est pas le cas, comme le montrent d’ailleurs les résultats du double codage.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
107
Ø Pour le thème TRAVAIL, nous avons distingué entre la charge et la qualité
en repérant des mots clés dans les passages codés. Ainsi, dès qu’étaient
présentes les notions de gain de temps, de quantité de travail, etc., nous
rapportions cela à la charge de travail, donc à la propriété Quantité. En
revanche, si il s’agissait de valorisation, d’expressions telles « petites
demandes », etc, nous rapportions cela à la Qualité. La distinction fut parfois
rendue plus complexe par l’imbrication de ces propriétés au sein d’une même
phrase par les interviewés, nous obligeant occasionnellement à double-coder
un même passage (Gibbs, 2002).
II.1.2.c) Les relations entre les thèmes.
L’analyse nous laissa peu à peu entrevoir des relations entre les différents thèmes,
voire entre leurs propriétés. La présence ou l’absence de ces relations est cruciale, puisqu’elle
permet d’accroître le sens extrait des données, et de renforcer la qualité de l’analyse (Strauss
et Corbin, 1998).
Pour simplifier le repérage de ces relations, nous avons recouru aux modèles proposés
par Nvivo. Ces modèles permettent des représentations schématiques des liens entre les
variables, qui ne sont autres que les thèmes et leurs propriétés. Ces liens sont apparus soit
directement entre les thèmes, soit au niveau de leurs propriétés. La facilité de représentation
schématique de ces liaisons sous Nvivo nous permit une meilleure compréhension du contenu
des données, et facilita la rédaction ultérieure. La figure 2-2 correspond à l’une de ces
représentations schématiques réalisées sous Nvivo.
Figure 2-2 : Exemple de représentation schématique des relations entre les variables issue de Nvivo.
(6 2) LEG Reconnaissance
(6 3) LEG Déni
(5 3) INT Intensité
(1 2) CLT Réaction(1 3) CLT Individu
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
108
Par exemple, ce schéma nous permet de visualiser l’impact de la propriété individu du
thème client sur la réaction des clients, laquelle va influencer la perception de la légitimité
qu’ont les conseillers des plates-formes : soit reconnaissance, soit déni de légitimité. Enfin,
cette perception de la légitimité, comme nous le montrerons plus loin, module l’intensité des
interrelations entre les canaux.
II.1.2.d) La fiabilité de l’analyse.
La fiabilité de l’analyse sera revue en détail dans le cinquième chapitre. En ce qui
concerne le cas BGN, nous avons fourni notre dictionnaire des thèmes à un collègue
chercheur134, ainsi qu’un total de six entretiens à recoder (quatre issus des agences, et un de
chacune des plates-formes). Le taux de fiabilité inter-codeur atteignit 78%, là où Miles et
Huberman estiment qu’il ne faut pas s’attendre à un taux supérieur à 70 ou 80%.
II.2 PRÉSENTATION DE LA BGN135
La présentation des nouveaux canaux et de leur dynamique de développement (II.2.1)
est précédée d’une rapide introduction sur la BGN (II.2.2). S’ensuivent quelques précisions
sur les différentes catégories de conseillers que nous avons rencontrées (II.2.3), et sur le
contexte particulier de la BGN au moment où nous avons mené notre enquête (II.2.4).
II.2.1 Présentation générale.
La Banque Générale du Nord (BGN) est un établissement régional du Nord de la
France, adossé à un grand groupe national anciennement détenu par l’état, et privatisé à la fin
des années 1990. A cette occasion, son rachat par l’un de ses concurrents nationaux a
débouché sur la constitution de l’un des plus importants groupes bancaires de proximité
français. Sa présence est importante dans les grandes zones industrielles et urbaines, où son
réseau est au service de trois cibles de clientèles : les entreprises (notamment les PME
régionales) ; les professionnels ; et enfin, les particuliers. Nous nous sommes strictement
intéressés aux canaux visant cette dernière catégorie de clientèle.
La BGN est dirigée par une direction de groupe, qui délègue une partie de ses pouvoirs
à cinq directions régionales.
134 Nous tenons à remercier Isabelle Cornu-Lefebvre pour le temps qu’elle nous a accordé. 135 Il s’agit d’une description de l’état de l’entreprise début 2002, l’étude de cas exploratoire s’étant déroulée entre juin 2001 et mars 2002.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
109
II.2.2 Le développement des nouveaux canaux à la BGN.
Dans le contexte de remodelage sectoriel des réseaux distributifs que nous avons
précédemment décrit, la BGN était, durant la période 2001-2002, en pleine réflexion sur
l’évolution de l’architecture de son réseau de distribution. Au début de l’année 2002, celui-ci
comptait six canaux principaux, que présente la figure ci-après.
Figure 2-3 : Les canaux de la BGN en 2002136
Le réseau d’agences, lieu historique du contact avec les clients et de la distribution des
produits et services, compte près de 150 agences au moment de l’étude, et connaît une
véritable cure de jouvence. En sus de l’ouverture de nouvelles agences, les points de vente
plus anciens sont progressivement réaménagés, quand ils ne se voient pas affecter de
nouveaux locaux.
La plate-forme téléphonique sortante débuta son activité courant 1998. Comptant
douze employés, elle émet des appels à destination des clients, et a pour but de venir en
renfort de l’ensemble des agences de la BGN, en pratiquant surtout dans un premier temps des
opérations commerciales spécifiques, comme la vente de produits simples ou la prise de
rendez-vous pour les conseillers agence. Ces opérations sont mises en place de manière
centralisée à partir de listings clients dressés par la direction marketing. Sans toutefois
disparaître, cette centralisation se met progressivement en retrait pour laisser plus de place à
des échanges directs entre conseillers et plate-forme, comme nous le verrons ensuite.
136 A but de clarté, la figure 2-3 ne fait pas apparaître les interrelations entre les canaux, à l’indépendance desquels le lecteur pourrait croire. Ceux-ci n’en sont pas moins reliés entre eux, comme nous l’expliquerons ensuite.
Canaux de distribution de la BGN
Réseau d’agences
Plate-forme téléphonique sortante
Serveur Vocal Interactif
Internet Minitel
Télévision interactive
Plate-forme téléphonique entrante
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
110
Le serveur vocal interactif propose des services téléphoniques automatisés, accessibles
à toute heure par les clients, leur permettant essentiellement de consulter leurs comptes,
commander des chéquiers, ou encore faire opposition à leur carte bleue. Toute communication
avec ce serveur peut également, en fonction de l’horaire où elle est réalisée, être réacheminée
vers la plate-forme entrante, soit à la demande du client, soit en cas d’erreur de sa part dans la
composition de son code secret.
L’usage du site Internet, qui prend progressivement le relais des services minitel, de
moins en moins utilisés par la clientèle, est encore relativement restreint au moment de notre
étude, mais connaît une croissance marquée. Le client peut par exemple y consulter ses
comptes, réaliser des virements, commander des chéquiers, télécharger ses relevés de
comptes, passer des ordres de bourse en bénéficiant d’une tarification préférentielle, ou
encore s’informer sur les produits et services de sa banque. L’offre est peu ou prou identique
sur la télévision interactive, canal toutefois très peu utilisé par les clients. Notons qu’aucun de
ces trois canaux (Internet, Minitel et télévision interactive) n’a d’activité commerciale : le
client ne peut y acheter aucun produit ou service.
La plate-forme entrante fut lancée au milieu de l’année 2000. Elle réceptionne les
appels de clients qui souhaitent passer des ordres de bourse en dehors des heures ou jours
d’ouverture de leur agence, les aide en cas de problèmes rencontrés sur le serveur vocal,
répond à leurs questions sur des produits ou services de la BGN, réalise des opérations
bancaires de base (telles une commande de carte bancaire), ou propose des produits et
services simples à la clientèle (à l’instar de la plate-forme sortante). Contrairement à certains
de ses concurrents, la BGN n’avait pas instauré au moment où nous avons réalisé notre étude
de cas un re-routage automatique des appels des clients vers la plate-forme137. La démarche
d’entrée en relation avec la plate-forme entrante est donc volontaire, et les clients ont pour
cela souscrit à un abonnement mensuel à ce que nous pouvons qualifier de package de
services de banque à distance.
En effet, les nouveaux canaux de la BGN sont commercialisés comme autant de
nouveaux services proposés aux clients, qui s’inscrivent tous dans une logique de
complémentarité vis-à-vis des agences traditionnelles. Et certains d’entre eux sont regroupés
dans ce package (que nous nommerons BAD par la suite), lequel est vendu à la fois par les
agences, mais aussi plus ponctuellement par la plate-forme sortante lors de certaines de ses
137 Pour être exact, une agence-test fut mise en routage automatique durant notre étude. Mais nous avons décidé de ne pas y réaliser d’entretiens en raison de l’absence de recul sur l’événement.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
111
opérations commerciales. Ainsi, tout comme c’est le cas pour la plate-forme entrante, accéder
au site Internet ou à l’interface de télévision interactive implique de souscrire un abonnement
mensuel, qui permet d’avoir un code et un mot de passe pour utiliser ces services. Le serveur
vocal interactif ne nécessite pas d’abonnement, mais chaque appel est facturé à la minute.
Enfin, nous avons délibérément exclu distributeurs et guichets automatiques de cette
description, qui n’offraient à cette époque ni consultation de comptes, commande de
chéquiers, ou possibilité de réaliser des virements, etc., se limitant à la distribution d’espèces.
II.2.3 La répartition du personnel opérationnel en agence.
Dans un souci de commodité, nous utiliserons ultérieurement la dichotomie conseiller
/ téléconseiller, pour contraster entre d’un côté le personnel des agences, et de l’autre, celui
des plates-formes. Mais la réalité est plus complexe, et l’appellation générique de
« conseiller » cache des différences détaillées dans le tableau 2-3.
Conscient de la perte d’information que ce raccourci peut engendrer, et désireux de
l’éviter, nous ne reprendrons cette distinction à notre compte que lorsqu’elle nous permettra
de mettre en évidence des différences entre les trois profils de conseillers.
Tableau 2-3 : les différents postes de conseillers à la BGN
DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES
Chargé de clientèle particulier
Doté d’un portefeuille assez volumineux, de 500 à 600 personnes. Sa clientèle est modeste, avec de faibles revenus, et ne consomme que peu
de produits d’épargne, généralement très simples (livrets d’épargne populaire, Codevi, etc.), ne fait pas d’opérations de bourse
Conseiller de clientèle particulier
Doté d’un portefeuille un peu moins important (300 à 500 clients). Sa clientèle est généralement âgée de 25 à 40 ans, en mesure de réaliser des
projets tels l’acquisition de leur premier, voire second, logement, et consomme quelques produits d’épargne dont la réalisation occasionnelle
d’opérations boursières. Un second niveau de conseiller de clientèle particulier existe, dont la clientèle est un peu plus fortunée (donc besoins
d’épargne plus évolués…).
Conseiller patrimonial Portefeuille très restreint (200 à 250 clients). Il apporte à sa clientèle des
solutions personnalisées, sur-mesure, afin de correspondre à leurs besoins d’épargne, dans la gestion de leur portefeuille boursier, etc.
S’ajoutent à ces trois catégories d’employés en agence, les guichetiers, qui bien qu’en
contact avec les clients ne possèdent pas de portefeuille, et les directeurs d’agence, dont
l’activité inclut la gestion de leur équipe, la responsabilité des résultats de leur point de vente
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
112
(du fait du caractère mutualiste de la BGN), et une activité commerciale généralement tournée
vers les entreprises et les professionnels, dont ils peuvent à l’occasion gérer les comptes
personnels. Nous n’avons pas interrogés les premiers, du fait de l’absence de gestion d’un
portefeuille client. Les directeurs de chaque agence où ont été menés les entretiens, en
revanche, ont également été rencontrés.
II.2.4 Un contexte particulier.
Par-delà les transformations sectorielles qui affectent naturellement la BGN, cette
dernière connaît des transformations internes qui peuvent se décliner selon trois axes :
Ø Racheté par l’un de ses concurrents au moment de sa privatisation, à la fin des
années 90, le groupe auquel est adossé la BGN sort à peine du processus de
fusion. Cela s’est apparemment ressenti sur la charge de travail du personnel,
en raison des orientations stratégiques nouvelles impulsées au groupe, parmi
lesquelles l’accentuation de la volonté de développer la bancassurance.
Ø Dans un double souci de rationalisation des coûts et d’amélioration de la
qualité de service, l’ensemble des systèmes informatiques doit être refondu à
la fin de l’année 2002. Cela génère quelques inquiétudes, mais aussi des
attentes importantes chez les conseillers, qui en ont dénoncé les faiblesses et
lenteurs à de multiples reprises durant les entretiens.
Ø Le groupe dont la BGN fait partie a mis l’accent sur son offre de banque à
distance sur l’ensemble de l’année 2001, se traduisant par une vaste
campagne de publicité nationale (radio, télévision, affichage, etc…), relayée
en agence par de la publicité sur le lieu de vente (PLV). Cette opération fut
accompagnée d’une animation commerciale dans le réseau, avec à la clé pour
les meilleurs vendeurs de BAD des cadeaux, voyages, etc. en sus des plus
traditionnelles primes sur objectifs.
II.3 LE MULTICANAL, VÉRITABLE RÉVOLUTION STRATÉGIQUE ET
ORGANISATIONNELLE POUR LA BGN.
Même si les conseillers comprennent les motivations qui poussent la BGN à
développer de nouveaux canaux (II.3.1), il n’en reste pas moins que les choix stratégiques
passés de l’entreprise font que cela y est perçu comme une véritable révolution, à l’origine de
freins et de réticences au changement (II.3.2) que la direction s’efforce de surmonter (II.3.3).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
113
II.3.1 Objectifs et motivations.
Le mimétisme stratégique sectoriel souligné dans la première partie de ce chapitre
s’applique tout autant à la BGN. Ainsi, économies sur les coûts de distribution, amélioration
de la qualité de service, accroissement de la charge commerciale dans les agences (en
diminuant la charge administrative à faible valeur ajoutée : c’est donc un changement plus
qualitatif que quantitatif de l’activité des conseillers), pression de la concurrence et réponse à
la demande de certains clients sont logiquement des facteurs explicatifs de la mise en place
des nouveaux canaux. S’y ajoute la pression des évolutions de la législation du travail, la loi
sur les 35h ayant alors été récemment appliquée dans l’entreprise (Tableau 2-4).
Parmi ces motivations, la réalisation d’économies est très peu présente. Le directeur
régional et un directeur d’agence y font référence (BGN LECL 5), mais cette justification est
absente des documents de communication interne, qui mettent l’accent sur les avantages que
clients et conseillers retirent de cette nouvelle organisation. Cela tranche avec l’analyse que
nous avons faite du secteur, mais nous conviendrons qu’il s’agit vraisemblablement d’une
stratégie de communication propre à la BGN plutôt que d’une réalité. La réalisation
d’économies apparaît donc comme un objectif peu avouable dans ce contexte.
Tableau 2-4 : Raisons du développement des nouveaux canaux à la BGN
MOTIVATION VERBATIMS CODE
Réaliser des économies
« On a des gens qui viennent au guichet, qui viennent demander leur solde, leur relevé de compte, et ça, on ne veut plus de ça. On ne veut plus de ça parce que c’est trop cher, je veux dire, d’avoir quelqu’un qui est la pour donner ce genre d’informations, alors que bon, vous
pouvez consulter le minitel, Internet… Donc, tout ça va venir parfaitement en renfort des agences » (BGN Siège 1)
CONT Orga
Améliorer la qualité de
service
« on assure une qualité de service auprès de la clientèle, une qualité d’accueil, qui est, on a nos indices de qualité, de 97%, c'est à dire
qu’on perd 3% d’appels seulement, et on répond à 80% des appels en moins de 10 secondes »( BGN Siège 3)
« quand je ne peux pas recevoir, il apprécie, je dirais, le service en
plus de pouvoir appeler le lundi, ou quand je suis occupé, de pouvoir appeler quelqu’un d’autre » (BGN MN 3)
TRAV Qual
Accroître la charge
commerciale en diminuant la
charge administrative
« on essaye, par les canaux, par Pierre et Claire Martin, de libérer du temps commercial pour les conseillers pour éviter que
leur emploi du temps soit utilisé à des tâches pour faire des virements, donner des renseignements quelconques » (BGN MAD 5)
« on donne du temps libre à tous les gens en agence. Enfin, du temps
libre. Du temps retrouvé pour le commercial. A tous les gens en agence » (BGN Siège 3)
TRAV Qual
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
114
Répondre à la concurrence
« [votre client] est, et sera, de plus en plus sollicité par la concurrence, au fur et à mesure que la technologie avance et permet
de le joindre en tout lieu, et à toute heure du jour » (Directeur Général / K7 2)
CONT Strat
Répondre aux demandes de la
clientèle
« […] sur le plan des besoins des consommateurs, qui, plus que jamais, veulent tout, tout de suite, et même pour des services à plus
forte valeur ajoutée » (Directeur Marketing / K7 2)
CONT Strat
S’adapter aux évolutions
législatives du travail
« […] l’effet 35 heures qui est quand même très difficile à absorber au niveau du temps de présence en agence, qui fait qu’on est obligé
de s’adapter d’une manière ou d’une autre » (BGN Siège 1)
« on sent bien qu'avec les 35 heures, si on ne peut pas se délester d'une partie du tout courant là-dessus [les plates-formes], on va
jamais s'en sortir » (BGN MN 2)
CONT Strat
L’objectif d’amélioration de la qualité de service nécessite une précision. Outre
l’amélioration de service global que le multicanal est supposé provoquer pour les clients, la
BGN avait un gros problème découlant d’un choix technique de gestion des appels : si une
des lignes de l’agence n’était pas décrochée (absence de l’interlocuteur, ou ligne occupée),
l’appel était renvoyé sur une autre ligne, et ainsi de suite. Par conséquent, l’appel du client
pouvait faire le tour de l’agence sans que personne ne lui réponde, ce qui se traduisait par un
très important volume de perte d’appels (36 000 appels perdus par an).138
Enfin, fort logiquement mis en avant par la direction, qui les utilise pour justifier de sa
stratégie et de ses choix organisationnels, ces facteurs sont aussi le plus souvent compris et
assimilés par les conseillers, qui les évoquent régulièrement. Mais cette reconnaissance des
enjeux est généralement empreinte de déterminisme, que nous retrouvons jusque dans le
discours du directeur régional qui l’utilise pour justifier du projet de banque multicanale.
Quant aux conseillers et téléconseillers, ils considèrent que s’est enclenché un mouvement de
fond, et sont certains de devoir encore affronter de profonds bouleversements dans leur
activité au cours des années à venir. Ce déterminisme est ancré dans le contexte stratégique
dans lequel baigne la BGN, qu’il soit considéré au plan sociétal, technique ou surtout
concurrentiel.
« Je crois que nous sommes condamnés à le faire, c’est à dire que je pense pas que la banque
puisse dire j’ignore tel ou tel type de canal » (BGN Siège 1).
« Mais c’est le monde actuel… c’est les plates-formes, hein, faudra y passer » (BGN PFE 02).
138 Chiffres communiqués par le directeur régional qui n’a pas été en mesure de nous donner une proportion.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
115
« Je crois que de toutes façons ils auront pas le choix, parce que c’est comme ça partout. A la
MAAF ils ont fait ça aussi, moi je suis assurée là-bas, hé ben ils font pareil, le Crédit
Agricole ils ont fait ça aussi » (BGN LECL 1)
II.3.2 Limites et freins.
Ce n’est pas parce qu’ils comprennent les raisons pour lesquelles la BGN est amenée à
mettre en place de nouveaux canaux que les conseillers acceptent les transformations qui en
découlent sans exprimer de réticences à l’endroit de cette nouvelle stratégie. Notre analyse
sectorielle précédente le laissait présager, qui mettait en évidence tant ces réticences des
conseillers que les réactions négatives des clients comme limites au développement de
réseaux multicanaux.
A la BGN se surajoute un contexte particulier, lié à la stratégie développée par la
banque depuis près de dix ans, et que de nombreux interlocuteurs résument en deux mots : le
« banquier personnel ». Véritable fer de lance de la stratégie, relayée par les multiples
supports de communication interne et externe, cette notion pose que « vous [le client]
disposez toujours du même interlocuteur qui sera toujours disponible pour vous» (extrait d’un
document de communication externe). Ainsi, la création de plates-formes est vécue comme un
véritable traumatisme, sinon une trahison par certains conseillers, qui y voient une remise en
cause de ce qu’ils considèrent être un atout majeur. En effet, contrairement au site Internet, au
minitel ou au serveur interactif, le client peut cette fois rentrer en contact, soit à son initiative
(plate-forme entrante), soit à celle de la banque (plate-forme sortante), avec un interlocuteur
autre que son conseiller139. Pilier du contexte organisationnel et stratégique dans lequel se
déroulent les relations entre les conseillers et les clients avant la mise en place des nouveaux
canaux, cette notion de banquier personnel s’avère donc un important facteur de méfiance et
de résistance vis-à-vis des changements annoncés.
Le tableau 2-5 reprend les freins et limites au développement de nouveaux canaux que
nous avons identifiés à la BGN.
139 Cette situation se produisait avant l’arrivée des centres d’appels, puisque le guichetier avait comme fonction de répondre aux appels téléphoniques. Mais l’appel arrivait toujours dans l’agence, le conseiller connaissait la personne qui répondait à son client, et il savait que l’appel lui serait transféré en cas de besoin. D’une certaine manière, il conservait donc la maîtrise de l’échange. En outre, la quasi-totalité des clients possédaient la ligne directe de leur conseiller.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
116
Tableau 2-5 : Freins et limites au développement des nouveaux canaux à la BGN
FREIN VERBATIMS CODE
« Banquier personnel »
« La mise en place de la plate-forme ne va-t-elle pas ternir l’empreinte du banquier personnel que l’on essaie d’inculquer au
client depuis plusieurs années » (Conseiller, K7 1)
« la notion de banquier personnel, on a mis du temps à la faire accepter, elle est là maintenant, elle est ancrée, et si, je pense qu’on
risque de vouloir revenir en arrière, maintenant avec tous ces circuits, ça va pas être simple » (BGN LECL 3)
CONT Orga
Réactions des clients
« Comment les clients vont-ils réagir, alors qu’ils ont l’habitude de traiter avec nous, de pouvoir rentrer directement en contact avec
nous par téléphone » (Conseiller, K7 1)
« je crois qu’il y a un problème, parce que souvent, je sais qu’ils contactent certains clients, parce que j’ai des clients qui m’appellent
en me disant, “vous m’avez appelé, vous saviez pas ceci”, je dis “c’est pas moi”, donc après nous on doit récupérer certains trucs […]si c’est un homme qui appelle, alors là, ils sont complètement paniqués, et ils m’appellent derrière, en me disant, “attendez, on a
eu un appel, c’était pas vous, c’était qui ? » (BGN MAD 1)
CLT Réac
Perte d’opportunités commerciales
« ils viennent pas forcément vous voir, mais ils vont chercher un papier ou quoi, vous lui faites un bonjour, vous discutez un petit peu,
et puis là des fois vous pouvez récupérer des informations intéressantes pour rebondir derrière, ou les rappeler, ou un qui
m’avait sorti une fois qu’il vendait sa maison, “ha bon, vous êtes en train de la vendre?”, et j’ai fait un placement derrière » (BGN
LECL 1)
« Parce que la vente d’opportunité, je dirais, elle fait encore partie du business au quotidien, et je peux vous dire qu’elle est, que c’est le volume qui repose là dessus. Le volume repose là dessus, parce qu’il y a rien de plus facile que de faire une vente à quelqu’un qui est de
passage. Moi j’ai un chargé d’accueil, le vendredi il me fait 5 ventes, et il m’en fait deux par jour. Le jour où il aura plus
personne, il y a aura plus de caisse, il y aura plus personne pour correspondre, communiquer en direct avec le client, ces ventes là,
comment on les fera? » (BGN MAD 4)
CONT Orga
Qualité du service fourni au client par les nouveaux
canaux
« Mais ce qu’il y a, c’est que moi j’ai peur quand même du reroutage aujourd’hui, parce que moi, quand on m’appelle, je sais
pas qui va répondre à ma place, finalement » (BGN MAD 4)
LEG Déni
Coût du service pour
les clients
« a priori, payer quelques francs pour interroger son compte, ça leur va, mais 28FF par mois, juste pour connaitre le solde, parce
que c’est quand même ce que font la majorité des clients, qui l’utilisent juste pour connaitre les en-cours etc., c’est un petit peu
cher, 28FF, c’est vrai que ça tique un peu » (BGN MAD 2)
CLT Réac
Moindre différenciation concurrentielle
« je vois que je récupère des clients du Crédit Agricole, qui sont mécontents, justement, de ça […] Parce qu’ils n’ont jamais
d’interlocuteur » (BGN MR 1)
CONT Strat
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
117
« nos clients en fait, par apport à d’autres banques qui fonctionnent déjà comme ça, qui n’ont pas un contact très privilégié avec le
conseiller, sont venus chez nous, parce que justement, nous, c’est vraiment, la relation banquier personnel / client, et ça ils
apprécient, parce qu’ils sont pas un numéro, ils ont pas anonymes, on connaît notre client, on l’appelle par son nom, ça ils apprécient
énormément » (BGN MR 2)
Utilité des nouveaux
canaux
« je dis pas que c’est pas intéressant, parce que c’est toujours à prendre, mais dans la masse, je pense que c’est beaucoup, beaucoup
d’énergie pour pas grand chose » (BGN LECL 3)
« sincèrement, je pense qu’aujourd’hui, les chiffres doivent pas être ce qu’on attendait, donc on hésite à les communiquer. C’est le non-dit […] Je veux dire, à eux de dire le contraire, c’est à dire qu’ils nous donnent les chiffres de ventes ou de rendez-vous pris » (BGN
MAD 4)
LEG Déni
Ce tableau exige quelques clarifications complémentaires. Ce que nous appelons
« réactions des clients », tout d’abord, représente les perceptions de ces réactions par les
employés des canaux (conseillers et téléconseillers). Comme le montrent les verbatims, la
période préalable à la mise en place de la plate-forme sortante traduisait une crainte de perte
d’une partie de leur clientèle à cause de ce changement. Et par la suite, après son démarrage,
les conseillers ont remarqué l’effet inverse de celui qui leur était annoncé : au lieu de gagner
du temps, ils ne purent que constater que les clients contactés par la plate-forme réagissaient
négativement, téléphonant à leur conseiller pour savoir qui les avait appelés et pour quelle
raison. Lequel devait donc s’employer à les rassurer et à restaurer la relation de confiance.
La perte d’opportunités commerciales recèle une double crainte de la part des
conseillers. La première, immédiate, est liée à une potentielle diminution de leur
rémunération, dont une part non négligeable est variable, pour deux raisons. Au premier chef,
nombre de nos interlocuteurs en agence nous ont expliqué réaliser un volume relativement
important de ventes (qu’ils ont malheureusement été dans l’incapacité de nous chiffrer) sur
des contacts impromptus, totalement imprévus : passage du client à l’agence, appel pour
réaliser un virement, etc. Tout canal limitant le nombre de contacts avec le client peut donc
entraver l’atteinte de leurs objectifs, de la réalisation desquels dépend une partie de leur
rémunération. Ensuite, les téléconseillers des deux plates-formes ont parmi leurs missions la
vente de produits et services de la banque, ventes que ne réaliseront donc pas les conseillers.
Ces craintes étaient largement relayées par la première cassette vidéo, et les téléconseillers de
la plate-forme entrante en ont eu des échos.
« Il y en a qui ont dit, ils vont nous voler notre travail. Nos résultats » (BGN PFE 02).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
118
La seconde crainte qui se cache derrière cette perte d’opportunités commerciales est
celle du remplacement de leur poste par des téléconseillers. Clairement exprimée par l’un des
conseillers interrogés dans la première cassette vidéo, elle est beaucoup plus sourde chez les
personnes que nous avons rencontrées. En fait, si cette crainte est présente, ils semblent ne pas
vouloir ou pouvoir y croire. Tout d’abord, la direction ne leur donne aucun indice que la
situation pourrait évoluer en ce sens, bien au contraire (cf. p 127). Ensuite, ils semblent
intimement persuadés de la nécessité du contact physique dans la relation bancaire, dont ils ne
pensent qu’il pourra, du moins à court terme, être remplacé par une simple relation
téléphonique, voire à distance au sens large140 (visiophonie, utilisation de l’Internet, etc…).
« Il faut que ça reste dans une certaine limite, hein, si à terme on supprime nos postes… Faut
quand même garder un contact. Pas pour des choses peu importantes, mais quand il y a un
projet ou une étude globale, ou des placements globaux à faire, ou une gestion de patrimoine
etc., je pense qu’il faut que le client, il ait quand même quelqu’un en face » (BGN MN 3)
Ces réticences se sont pour l’essentiel exprimées préalablement à la mise en place des
canaux, reflétant les craintes des conseillers quant à l’impact sur leur travail et leurs relations
avec les clients. Il en est une autre qui s’est faite jour au fur et à mesure de la montée en
puissance de la plate-forme sortante : la perception de la faiblesse des résultats obtenus.
L’organisation retenue pose l’existence d’une seule plate-forme sortante, composée de 12
téléconseillers, au service des 600 conseillers du réseau sur la clientèle de particuliers. La
conséquence de ce différentiel est que chaque conseiller ne voit que peu l’impact de la plate-
forme sur son activité141, doutant dès lors de son efficacité, et même de sa légitimité, comme
le montrent les verbatims du tableau 2-5. L’absence apparente de transparence sur les résultats
obtenus renforce cette perception.
Ces différents freins, et notamment le dernier élément, peuvent contribuer à expliquer
l’inertie que relève la responsable des plates-formes dans le comportement des conseillers.
Cette dernière, cependant, la réduit à des routines qu’ils ont progressivement instaurées dans
l’organisation de leur travail, et par là même dans les relations avec la clientèle. Elle fustige
ainsi à plusieurs reprises leur inertie, ce terme revenant à cinq reprises durant l’entretien, un
paragraphe concentrant à lui seul trois de ces cinq occurrences. 140 Il semble naturel qu’ils tiennent ce discours, afin de défendre leur utilité et leur poste. Mais nous pensons que cela va plus loin, et que par delà la seule valorisation de leur travail, ils ont chevillée au corps la conviction que les clients ne sont absolument pas prêts à abandonner cette relation physique pour l’ensemble de leurs opérations bancaires ou financières. 141 Nous détaillons infra ces liens entre les activités des plates-formes et des conseillers.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
119
« Je note une grosse inertie. C'est-à-dire que quand on est passé dans tout le réseau pour
présenter la plate-forme entrante il y a un an maintenant, avec la responsable de la plate-
forme sortante, on est passé partout, on a fait de la com interne qui était bien faite, je crois,
tout le monde était enthousiaste, on a rencontré des commerciaux qui disaient c'est super,
c'est très bien, c'est... Et après, on se disait, ben on va avoir beaucoup d'appels du client, mais
au final, ça n’a quasiment pas bougé... Alors, après, en déballant, on leur a demandé si ils
avaient expliqué à leurs clients, ... Ben non, pardon, on n'a pas eu le temps, on a oublié, on
avait autre chose à faire… Vous voyez, une grosse inertie… Oui, une grosse inertie » ; « Il
faut qu’on coupe avec d’anciennes pratiques dans le réseau » (BGN Siège 2)
II.3.3 Les solutions.
Comme nous l’avons écrit supra, les nouveaux canaux de distribution de la BGN sont
présentés aux clients et aux conseillers comme une nouvelle offre groupée (package BAD), ce
qui a de profondes implications. En effet, les conseillers doivent être convaincus de ce que ces
canaux n’empièteront ni sur leur activité commerciale, ni sur la relation qu’ils entretiennent
avec leurs clients. Ils doivent également être convaincus de l’utilité de BAD. Dans le cas
contraire, ils sont beaucoup plus réticents à le vendre.
Pour surmonter ces freins, la direction axe son discours sur la complémentarité des
dispositifs commerciaux. Nous avons identifié plusieurs types de complémentarité dans le
premier chapitre, que nous retrouvons à la BGN. Mais l’instauration de la complémentarité
n’est pas le seul recours pour surmonter ces réticences.
II.3.3.a) Une complémentarité basée sur la différenciation fonctionnelle des canaux.
Tant dans les entretiens que dans les supports de communication interne, le message
que souhaite faire passer la direction au réseau est que les plates-formes lui sont
complémentaires, et non concurrentes. Cette complémentarité se traduit concrètement par une
évolution progressive des tâches des conseillers, qui se concentrent sur les tâches à forte
valeur ajoutée, tandis que celles à faible valeur ajoutée, mais indispensables pour les clients,
sont affectées aux plates-formes et aux autres canaux. Il y a donc une véritable différenciation
fonctionnelle des canaux, qui s’instaurait progressivement au moment de l’étude, puisque les
plates-formes étaient encore relativement jeunes et l’organisation non finalisée.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
120
« Le banquier personnel que vous êtes, et le conseiller BAD de la plate-forme travaillent main
dans la main […]. Quand l’un agit, c’est toujours dans l’intérêt et en complément de l’autre.
Pour le client, c’est toujours la BGN qui lui répond et lui donne immédiatement la réponse
quel que soit le canal utilisé » (Directeur Général, K7 2)
« Alors quand on met un distributeur, c’est pour éviter d’avoir un caissier, parce que la
caisse est pas un poste à valeur ajoutée, quand on a Pierre et Claire Martin qui répondent
pour faire des virements etc., tout ça ce sont des trucs, ce sont des services qu’on est obligés
de rendre aux clients, mais qui n’ont aucune valeur ajoutée. Donc, ce qu’on essaie de faire,
enfin si j’ai bien compris ce que la BGN essaie de faire, c’est de soulager un maximum les
commerciaux, pour qu’ils puissent rencontrer plus de clients, puis être plus disponibles pour
la clientèle pour les opérations à valeur ajoutée » (BGN LECL 5)
II.3.3.b) Complémentarités objectives, contextualisées et perçues.
Nos propos et les verbatims précédents renvoient à la notion de différenciation et
complémentarité fonctionnelle objective mise en évidence dans le premier chapitre. A cette
aune, la complémentarité des horaires des plates-formes et des agences, sans parler de
l’Internet, est basée sur des éléments tels que la nature du service fourni (faible valeur ajoutée
vs forte valeur ajoutée), ou les caractéristiques « techniques » des canaux, au sens large (par
exemple, complémentarité des horaires, les plates-formes étant ouvertes à des plages où les
agences sont fermées). Ces différenciations et complémentarités fonctionnelles objectives
sont le résultat direct de décisions prises par la direction de la BGN, qui les utilise pour mettre
en place la nouvelle organisation distributive.
Il s’agit également de différenciations et complémentarités contextualisées, dont le
recensement repose non pas directement sur les évaluations des clients, que nous n’avons pas
interrogés, mais sur celles des conseillers telles qu’elles sont influencées par les clients. En
d’autres termes, les conseillers percevront qu’il y a ou non complémentarité entre les canaux
d’après les réactions de leurs clients, réactions qui dans ce cas sont par exemple liées à la
nature de leur demande, ou au moment où ils la formulent. A ce niveau, conseillers et
téléconseillers expriment bien l’existence d’un objectif qui leur est commun, à savoir la
délivrance aux clients de la meilleure qualité de service possible.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
121
« je pense que c’est bien comme c’est là, c’est bien tant que ça reste complémentaire,
quelqu’un qui peut prendre un client au téléphone, sachant que ça peut être un appel le lundi,
ou un appel urgent pour passer un ordre de bourse le lundi. C’est vrai que c’est embêtant, ça,
moi j’ai déjà eu des cas, où la personne me disait, ben oui, mais le lundi vous travaillez pas,
moi j’avais un ordre de bourse à passer, je fais comment? Donc ça, c’est complémentaire, et
ça permet de nous aider dans notre travail » (BGN MN 3).
« Il y a des clients qui appellent vraiment pour des choses simples, et on peut leur répondre
tout de suite. Donc il y a pas de problème à ce que ce soit quelqu’un d’autre, surtout si c’est
quelqu’un qui a déjà été conseiller » (BGN MR 1).
La même remarque s’applique à ce que nous avons appelé la différenciation et
complémentarité fonctionnelles perçues. Les conseillers se basent toujours sur les réactions de
leurs clients pour évaluer le niveau de complémentarité, mais à partir cette fois des
caractéristiques individuelles de leurs clients (âge, CSP, capacité à utiliser les canaux, etc.).
« Internet, à mon avis, c’est intéressant, et ça a développé BAD. Parce que je le vends plus
facilement, quand j’ai des accros de l’Internet en face de moi. Ou alors, là où ça passe
impeccable, c’est pour les jeunes. Moins de 25 ans, quand c’est gratuit, ils se posent pas 10
fois la question » (BGN LECL 1)
« Il faut savoir que, bon, la plate-forme appelle des clients fortune-patrimoine pour proposer
une carte bleue, ou… Ca fait pas partie de l’approche de ce type de clientèle. Il faut le savoir.
On n’approche pas un client fortune comme un transactionnel » (BGN MN 3).
« Moi j’ai des clients, notamment un très très gros client qui nous reproche d’être fermé le
lundi, hé bien il se refuse à appeler la plate-forme, pourtant je lui ai dit. Il préfère appeler
une autre agence, qui est ouverte le lundi. Ou pas appeler, ou quand je dis appeler, c’est pour
passer des ordres de bourse, on parle d’un client à 20 millions de francs, et pour lui, c’est pas
concevable que le lundi je sois pas accessible » (BGN LECL 3)
Enfin, la perception de cette complémentarité par les conseillers ne dépend pas
uniquement de celles de leurs clients, mais aussi de la manière dont ils évaluent l’impact de
ces nouveaux canaux sur leur travail (transformations qualitatives et quantitatives). Nous
avons évoqué cette perception dans le cadre de la plate-forme sortante. Le plus souvent
négative, elle faisait office de réticence au changement, même si certains conseillers lui
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
122
reconnaissent un avantage dans la possibilité de joindre des clients qu’ils n’arrivent jamais à
contacter. A l’inverse, cette perception est positive vis-à-vis de la plate-forme entrante, qui est
supposée leur permettre d’améliorer considérablement leurs conditions de travail. Ainsi, les
notions de soulagement, libération, ou déchargement vis-à-vis de ce qu’ils appellent la
pollution résultant de la quantité d’appels téléphoniques reçus en agence sont présents dans la
totalité des entretiens réalisés auprès des conseillers. Cette perception est identique pour les
services Internet.
« C’est très difficile d’abord de joindre les clients parce qu’on a quand même à peu près les
mêmes horaires, donc il faut reconnaître que là la plate-forme [sortante] a une marge de
manœuvre qui est beaucoup plus grande que la nôtre, donc ça permet déjà au moins de
contacter le client, même si par la suite, il refuse le rendez-vous, mais déjà au moins de le
contacter, ce qui est pas toujours notre cas » (BGN MAD 2)
« Tous les clients appelaient tous les matins pour passer leurs ordres de bourse, on passait un
temps énorme, là le fait que les ordres soient passés beaucoup plus par BAD, donc beaucoup
plus par la clientèle qui s’occupe elle-même de passer ses propres ordres, bon, ça nous
soulage » (BGN LECL 2).
Ces différentes perceptions de la complémentarité, qu’elles soient objectives,
contextualisées ou perçues, peuvent s’ancrer dans les caractéristiques « objectives » des
canaux que nous avons déjà présentées. En d’autres termes, la direction peut influencer ce
niveau de complémentarité en prenant appui sur les caractéristiques des autres canaux, ou en
instaurant des règles et procédures qui permettent de renforcer le sentiment de
complémentarité, et par voie de fait tenter de contourner d’éventuelles réticences portées par
une perception initiale d’absence de complémentarité (quelle qu’en soit la nature). C’est ce
que nous allons voir.
II.3.3.c) L’instauration de règles commerciales entre les canaux.
Pour éviter que les commerciaux ne se sentent floués de toute opportunité
commerciale, la direction a dès l’implantation de la première plate-forme instauré de
nouvelles règles commerciales. Il s’agissait de répondre à une crainte exprimée par les
conseillers, crainte qui pouvait paraître d’autant plus fondée que chaque plate-forme compte
parmi ses missions la vente de produits simples que les agences ont pour habitude de proposer
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
123
à leurs clients (le site Internet n’est pas concerné, n’ayant pas d’objectif commercial de
vente). La mise en place de la plate-forme sortante a donc coïncidé avec l’instauration de la
règle du report de ventes, qui s’est ensuite étendue à la plate-forme entrante : toute vente
réalisée par l’une des deux plates-formes est d’office affectée au conseiller ayant ce client en
portefeuille142. Cette information est bien passée dans le réseau, puisque la quasi-totalité de
nos interlocuteurs nous en a parlé spontanément. Néanmoins, cette règle a généré un certain
espoir, qui s’est vu déçu au regard des résultats obtenus par la plate-forme pour chaque
conseiller, renforçant d’autant une certaine indifférence, voire un questionnement de la
légitimité de cette plate-forme.
« De toute façon si ils font une vente, normalement ils sont censés nous la donner, enfin nous
le signaler (BGN LECL 4).
« Sur le fond, c’est très bien que la plate-forme appelle les clients, mais ceci dit, il y jamais
beaucoup, beaucoup de résultats, ça c’est clair » (BGN LECL 3)
« J’ai jamais eu de rendez-vous, et j’avoue que mises à part quelques optimisations de plans
d’épargne logement, je dirais que depuis la création de la plate-forme, je crois que ça doit
tenir sur ma main, je crois, en-dessous de 10. Par contre, je sais qu’il y a des CA qui sont très
contents de la plate-forme qui leur prend des rendez-vous, mais personnellement, moi je me
demande à quoi ils servent » (BGN MAD 1).
II.3.3.d) L’efficacité relative des objectifs de vente.
En parallèle, l’existence de ce package procure un moyen de pression à la direction :
ces canaux devenant des produits et services, il est possible d’assigner des objectifs de vente
aux conseillers de clientèle. Objectifs dont dépend une partie de leur rémunération, et de leur
avancement, ce qui ne leur laisse d’autre choix que de le vendre. En d’autres termes, la
manière dont sont présentés ces nouveaux canaux (à l’exclusion de la plate-forme sortante,
qui par définition ne peut en faire partie) induit le développement de leur utilisation par les
clients grâce aux conseillers. Pour la banque, atteindre les économies de coûts promises par
l’utilisation de ces nouveaux canaux par les clients, ou plus exactement, par l’externalisation
auprès des clients d’un certain nombre d’opérations, passe donc par une adhésion du réseau,
laquelle adhésion est alors partiellement contrainte. 142 Le cas du client « hors portefeuille », n’étant pas encore client de la banque, ne posait aucun problème, puisque avant de pouvoir réaliser toute opération avec lui, il était nécessaire de lui ouvrir un compte, ce que seule l’agence est autorisée à faire à la BGN.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
124
Cette contrainte est toutefois relative, car si certains conseillers se cantonnent à leur
objectif sans chercher à le dépasser, d’autres avouent préférer le sacrifier à la réalisation
d’autres objectifs de vente autrement plus significatifs à leurs yeux (produits d’épargne,
crédits, etc.). Ceci était particulièrement vrai au niveau des conseillers patrimoniaux, qui
avançaient comme raison la nature et les exigences particulières de leur clientèle. Celle-ci,
haut de gamme, réclame une attention personnalisée, à leurs yeux en contradiction avec les
actions des deux plates-formes. L’élément qui trouvait le plus grâce à leurs yeux pour
proposer BAD à leurs clients était la possibilité pour ces derniers de réaliser eux-mêmes leurs
ordres de bourse. De cette manière, ils libéraient du temps pour des tâches à plus forte valeur
ajoutée, leurs clients bénéficiant dans le même temps d’un avantage tarifaire non négligeable
(40% de réduction sur le prix pratiqué en agence).
« On devrait pas le dire, mais c’est clair que moi j’avais, je sais plus trop bien, 31 contrats
BAD à faire cette année, une fois que les 31 sont faits, c’est bon, on arrête là, on attend
l’année prochaine » (BGN LECL 1)
« Je suis pas en campagne BAD, personnellement. Non, Je suis en pleine bourre en prêts
immobiliers, j’ai pleins de dossiers, j’ai plein de retard… Et c’est beaucoup plus important,
pour moi » (BGN MN 2)
Ces objectifs ne sont donc pas une panacée, d’autant que son atteinte peut s’avérer en
contradiction avec leur vision de la relation client, à laquelle ils attachent la plus haute
importance. Et si d’aucuns reconnaissent vendre parfois le produit à des clients qui n’en
auraient pas forcément besoin, la majorité indique se fixer des garde-fous, même si d’après
eux, il n’en va pas de même de tous leurs collègues.
« A la fin de l’année on est commissionnés… il faut avoir fini, il faut être bien vu par sa
direction, et mes clients, ils sont bien gentils, je les aime bien, j’ai pas envie de les arnaquer,
mais qu’en même temps, de toute façon, si moi je le fais pas, il y aura quelqu’un d’autre qui
le fera » (BGN LECL 1)
« Je serais incapable de forcer quelqu’un de 80 ans à prendre un contrat BAD, alors que je
sais très bien qu’il va pas s’en servir. Ce serait du vol. mais je devrais pas dire ça, parce que
la banque elle va dire, vous êtes là pour vendre du BAD, et puis c’est tout » (BGN LECL 4)
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
125
Ils sont clairement conscients du risque d’altération de la relation avec leurs clients
dans le cas où ils leur proposeraient des produits inadéquats à leurs besoins. Notons que
certains emploient des termes très forts : ils parlent de vol, d’arnaque, dès lors qu’ils ont le
sentiment que ce produit ne correspondra pas aux besoins de leur client. Mais certains
soulignent également que la présence d’indicateurs de mesure, tels la durée de conservation
d’un produit par la clientèle, limite ce genre de velléités. Enfin, une grande majorité regrette
que la BGN, à l’instar de ses concurrents, accentue la pression commerciale, dont ils
considèrent qu’elle intervient au détriment de l’attention apportée au client. Le verbatim
précédent tiré de BGN LECL 4 n’en est qu’un exemple, que nous complétons par ceux-ci.
« A une période, on a essayé d'aller vers une approche besoin. Mais, il faut toujours concilier
les deux, production et… Mais bon, moi j'ai quand même une clientèle assez spécifique, donc
je travaille plus quand même l'approche besoins, mais en sachant que j'ai un objectif produit,
donc j'essaie de concilier les deux » (BGN MR 1)
« Le langage de la banque, c'est de dire, vous faites une approche besoin en faisant une
approche produits. C'est a dire que je pense qu'il y a eu une évolution sur l'approche
produits » (BGN MAD 1)
II.3.3.e) La communication interne au service de la connaissance des nouveaux canaux.
La communication interne est très régulière sur ces nouveaux canaux, et le contexte de
l’étude l’a rendue plus prégnante encore, puisque la BGN était en pleine campagne de
promotion de ces derniers auprès de ses clients et de ses collaborateurs.
Cette communication interne est surtout importante pour deux raisons. Tout d’abord,
elle permet de rappeler l’existence des nouveaux canaux, de leurs fonctionnalités, et de leur
complémentarité vis-à-vis des agences. Elle favorise donc la prise de conscience par les
conseillers des enjeux de leur développement, et leur rappelle de ce qu’ils sont partiellement
responsables de la quantité de travail administratif qu’ils vont réussir à libérer en vendant
BAD. Ils sont donc responsabilisés vis-à-vis de l’enrichissement de leur travail.
Cette communication sert aussi à renforcer la connaissance que les conseillers ont des
plates-formes, et à améliorer l’image négative qu’ils ont notamment de la plate-forme
sortante. Plusieurs téléconseillers ont souligné l’importance de cette connaissance, admettant
au passage qu’elle était encore trop fragile pour faire évoluer les choses.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
126
« C’est pas toujours bien perçu… ce dont on peut s’apercevoir, c’est que parce que c’est
méconnu, en fait, ils savent pas du tout ce qu’on traite, il y a, au départ, eu la peur qu’on
fasse des opérations à leur place et que ça ne compte pas dans leurs objectifs, sachant qu’ils
ont des objectifs maintenant qui sont très très très lourds, donc ils ont eu un petit peu la
crainte qu’on leur vole leurs clients et leurs objectifs, mais ça maintenant, ils savent que ce
n’est pas le cas… Il y a également la peur de l’inconnu, dans le sens où ils savent pas du tout
comment c’est géré, et jusqu’où on peut aller au niveau des réponses » (BGN PFE 02).
« Ils sont pas toujours au courant des campagnes qui sont en cours, donc parfois ils
s’étonnent » (BGN PFS 3).
L’amélioration de cette connaissance va au-delà de la simple communication interne,
et passe beaucoup par des visites des plates-formes par les conseillers, qui sont alors à même
d’apprécier la qualité des supports mis à la disposition des clients. Cependant, ces visites sont
informelles, organisées au détour d’une journée de formation intervenant sur le site de
localisation géographique des plates-formes. D’un autre côté, cet aspect informel peut être
interprété comme une volonté de désacraliser ces nouveaux canaux, en confirmant le discours
officiel selon lequel ils ne sont que des outils au service des agences, discours maintes fois
relayé dans les documents de communication interne.
« La plate-forme entrante […] est un atout mis à votre disposition pour vous faciliter la tâche
[…] Elle vous aide à atteindre vos objectifs en matière de commissions, et en matière de
produits et services » (Directeur marketing, K7 2).
« [La plate-forme sortante] est également un formidable service marketing à l’écoute de nos
banquiers personnels pour : les aider dans la gestion de leur portefeuille clientèle ;
promouvoir des produits financiers pour le compte du réseau ; leur permettre de se
concentrer sur les actes à valeur ajoutée » (Document interne de présentation de la plate-
forme sortante).
Cette connaissance est fondamentale pour influencer la perception des conseillers vis-
à-vis de ces nouveaux outils. Ainsi, un moyen d’assurer la légitimité de la plate-forme
entrante et de prévenir les craintes des conseillers quant à la manière dont leurs clients
seraient accueillis en appelant la banque a été d’y installer des conseillers issus du réseau,
disposant d’une expérience conséquente dans la gestion de la relation client, et qui étaient
volontaires pour l’intégrer. Les documents diffusés au lancement de cette plate-forme s’en
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
127
sont fait l’écho, présentant le nom et une photographie de chacun des employés retenus, suivis
de la fonction qu’ils occupaient en agence. Au final, l’ensemble des conseillers rencontrés
savaient quelles étaient les compétences de leurs collègues travaillant sur la plate-forme
entrante, et étaient rassurés de la qualité de l’accueil et du traitement de la demande de leurs
clients. Il est possible néanmoins que ce ne soit pas représentatif de tous les conseillers de la
BGN, comme le montre le verbatim tiré de BGN PFE 02, page précédente.
« J'ai mis beaucoup en avant les gens parce que ce sont des commerciaux qui sont connus
dans le réseau, et qui apportaient plus de crédibilité à la plate-forme, donc on s'est dit si, si
ils ne connaissent pas les gens qui sont sur la plate-forme, ils auront un peu peur de nous
envoyer leurs clients. Or tous, tous ceux qu'on a recrutés sont des commerciaux qui sont
connus, qui sont appréciés dans le réseau, et il n'y avait pas de crainte » (BGN Siège 2).
« Ils nous remplacent. Ils me remplacent moi quand je suis pas là. C’est à dire qu’ils
souscrivent les ordres de bourse, ils font toute opération que moi je pourrais faire. Ils peuvent
souscrire des contrats, hein, ils l’ont déjà fait, j’ai reçu des messageries souscription BAD »
(BGN MN 3).
Est aussi ressorti une dernière conséquence de la connaissance réciproque des canaux,
sur la voie de laquelle nous avons été mis par les entretiens de la plate-forme entrante. Issus
du réseau, les trois téléconseillers rencontrés ont régulièrement mis en avant dans leur
discours l’importance et la multiplicité de la charge de travail des conseillers pour expliquer la
non-réalisation de certaines tâches. En quelque sorte, ils sont plus tolérants, plus indulgents
vis-à-vis des erreurs que commettent leurs collègues en agence, parce qu’ils connaissent pour
l’avoir vécue leur réalité quotidienne. Cette indulgence est présente également dans deux des
trois entretiens menés sur la plate-forme sortante, mais différemment : là, c’est le désir de
mieux connaître pour mieux comprendre qui se dégage, ainsi que la reconnaissance de la
supériorité de l’agence sur la plate-forme, le conseiller maîtrisant la relation. Enfin, les
conseillers font peu preuve de cette indulgence, à laquelle seuls cinq d’entre eux font
rapidement référence.
« On est beaucoup plus tolérant, et puis on sait faire la part des choses : ne pas déranger un
collègue pour une bricole » (BGN PFE 1).
« C’est également, je crois obligatoire, que nous nous sachions comment ils fonctionnent,
parce qu’il y a bien des fois où on se dit, mais pourquoi le conseiller a pas fait telle ou telle
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
128
chose, et puis finalement, on sait très bien qu’il manque de temps, il manque de moyens, il a
énormément de choses à gérer en même temps » (BGN PFE 3)
« On l’a eu plusieurs fois, ce type de remarques, par rapport aux rendez-vous qu’ils ont
essayés de prendre, par rapport aux ventes qu’ils ont essayées de faire, bon souvent on a ce
type de remontées, donc je pense qu’ils rencontrent les mêmes problèmes que nous » (BGN
MAD 2).
II.3.3.f) L’affirmation de l’agence comme pivot relationnel.
La BGN, « suiveur réactif » de l’aveu même de son directeur marketing, bénéficia de
l’expérience de ses concurrents lorsque furent lancées les plates-formes. Elle put donc
anticiper les craintes des conseillers en faisant attention de toujours replacer l’agence comme
le point d’ancrage de la relation avec le client. Récurrente dans le discours, cette intention
s’accompagne de gestes forts visant à montrer au réseau que les investissements dans les
nouveaux canaux n’interviennent pas au détriment des agences, et n’impliquent pas leur
disparition ou diminution. Nous pourrions mobiliser plusieurs verbatims pour appuyer nos
propos, mais il nous semble que la meilleure preuve est l’intégration au cœur même d’un
document de communication interne présentant l’ouverture de la plate-forme entrante de
l’information suivante :
« Ouvertures d’agences – La BGN continue activement sa création et sa rénovation de
nouvelles agences » (s’ensuivent les noms de trois nouvelles agences d’après leur
emplacement géographique, avec leur date d’inauguration, puis ceux de deux agences
entièrement rénovées).
II.4 LA GESTION DES INTERRELATIONS ENTRE LES CANAUX DE LA
BGN.
Les interrelations entre les principaux canaux de la BGN sont réduites à la portion
congrue, et se caractérisent par leur nature très mécaniste et procédurale. Elles sont
principalement portées par le système d’information, qui se décline selon différents outils
(II.4.1). Afin d’améliorer l’efficacité générale du dispositif multicanal, la BGN était en train
de tenter de développer les interrelations entre les agences et la plate-forme sortante (II.4.2).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
129
II.4.1 Trois outils au service d’interrelations réduites à la
portion congrue.
Ces outils sont la messagerie interne, l’agenda partagé entre les conseillers et les
plates-formes, et dans une moindre mesure la fiche client, qui récapitule l’ensemble des
informations sur le client à la disposition de la banque.
II.4.1.a) La messagerie interne.
La messagerie interne supporte presque exclusivement des flux d’informations
unidirectionnels. Les téléconseillers des deux plates-formes l’utilisent pour transmettre des
informations à destination des conseillers, dans le respect de procédures préalablement
établies, comme par exemple :
Ø Dans le cas d’un contact procurant une information susceptible de déboucher
sur une vente ultérieure de la part du conseiller, mais sans prise de rendez-
vous.
Ø Dans le cas d’une vente, le téléconseiller en informe le conseiller qui peut
l’ajouter à la réalisation de ses objectifs.
« On leur envoie des messages pour leur dire ce qu'on a fait avec leurs clients. Donc, si c'est
insignifiant, on ne fait rien, mais si on a le soupçon d'avoir trouvé quelque chose, on leur
envoie un message » (BGN PFE 1)
« Oui, nos ventes sont comptabilisées dans les objectifs du commercial, et c'est dans ce cas-là
qu'on lui fait une petite messagerie en disant, nous avons vu votre client […], c'est tout des
messages préenregistrés, donc ça va très vite, il y a juste à remplir le nom du client, le
numéro de compte, et il y a la petite phrase, en bas, veuillez comptabiliser ce résultat » (BGN
PFE 1)
II.4.1.b) L’agenda partagé.
L’utilisation quotidienne de l’agenda partagé nécessite que les conseillers le tiennent à
jour pour que les téléconseillers aient la possibilité de leur prendre des rendez-vous en
fonction de leurs disponibilités. L’agenda électronique a précédé de plusieurs mois
l’apparition des plates-formes, afin que les conseillers prennent l’habitude de son utilisation.
Cela n’a toutefois pas empêché les problèmes, qui semblent s’être rapidement résorbés, et cet
outil est un des piliers de la complémentarité entre les canaux.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
130
« Normalement, les conseillers mettent automatiquement leurs rendez-vous, dans la mesure
du possible, puisque ce qui est arrivé au départ lorsque la plate-forme s’est mis en route,
c’est que les conseillers ne remplissaient pas leur agenda électronique. Donc ça posait
problème puisque nous on travaille exclusivement avec leur agenda. Donc ce qui est arrivé,
c’est qu’ils prenaient leurs rendez-vous, et nous on leur mettait des rendez-vous, ce qui
n’allait pas du tout, mais maintenant, ça s’est bien développé, ils connaissent donc Claire
Martin, ils mettent à jour leur agenda, ça se passe très bien » (BGN PFS 2).
II.4.1.c) La fiche client.
Les informations contenues dans la fiche client proviennent presque exclusivement des
conseillers, qui sont obligés d’y noter un compte-rendu après chaque rendez-vous avec un
client. Elles ne sont pas du tout utilisées par les téléconseillers de la plate-forme sortante, dont
les appels sont très ciblés, et chronométrés. Ils doivent respecter l’argumentaire qui leur est
imposé, et ne pas chercher à développer le contact avec le client. Les téléconseillers de la
plate-forme entrante ont plus de souplesse dans le traitement des appels, et peuvent
éventuellement s’y référer si ils pensent qu’elle contiendra des informations pour apporter au
client la réponse qu’il attend.
Mais dans tous les cas, les procédures établissent que le conseiller de l’agence reste
l’interlocuteur principal du client, et qu’il est seul apte à prendre des décisions importantes
vis-à-vis de ce dernier. Les téléconseillers, qu’ils travaillent sur la plate-forme entrante ou la
plate-forme sortante, n’ont ni le droit, ni la délégation pour résoudre la survenue d’un conflit
avec un client, qu’ils doivent donc orienter vers son conseiller pour trouver une solution.
L’objectif est de toujours affirmer le principe et la primauté du banquier personnel.
« S’ils me parlent d’un PEA, c’est un produit assez complexe, je leur dis que je suis pas en
mesure de répondre à leur question, mais que leur conseiller est là, c’est leur banquier
personnel, que s’ils le souhaitent, on peut prendre un rendez-vous, donc qu’il reste à son
entière disposition » (BGN PFS 3).
II.4.2 Le développement des interrelations entre plate-
forme sortante et agences.
Peu de temps avant le commencement de notre étude, a été mise en place une
campagne intitulée PRV (prise de rendez-vous). Dans ce cadre était donnée aux conseillers
l’opportunité de cibler les clients qu’ils souhaitaient voir contacter par la plate-forme sortante.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
131
A l’évidence, cette campagne avait pour objectif d’améliorer l’image de cette plate-forme,
dont nous avons déjà souligné les doutes à l’origine desquels elle était chez les conseillers.
Elle s’est traduite par la création d’une interface spécifique sur la fiche client informatisée,
grâce à laquelle les conseillers transmettaient aux téléconseillers les coordonnées des clients
qu’ils avaient ciblés au préalable. Ipso facto, les conseillers maîtrisaient l’initiative d’un
contact avec le client dont ils considéraient qu’il leur échappait, avec pour corollaire leur
perception des conséquences négatives sur la relation client dont nous avons parlé supra. Sa
nouveauté ne nous a pas permis d’en appréhender pleinement l’impact sur les conseillers,
chez lesquels nous avons identifié trois attitudes différentes :
Ø Premièrement, l’utilisation de cette nouvelle possibilité, à laquelle a succédé
l’absence d’intérêt en réponse à un manque de résultats.
« La prise de rendez-vous, de toutes façons, ça fait pas très longtemps qu’on peut le faire,
donc dès qu’on a su qu’on pouvait le faire, j’ai envoyé des fiches, j’ai eu zéro retours. Donc,
je m’interroge, zéro retours… » (BGN MAD 1)
Ø Deuxièmement, l’utilisation prolongée dans le temps de cette possibilité,
grâce à des résultats probants aux yeux du conseiller.
« Pour deux commerciaux, quand on a commencé la prise de rendez-vous, il y a eu du
résultat. Et derrière, il y a eu des ventes qui se sont concrétisées […] je trouve que c’est
concluant » (BGN MN 1).
Ø Troisièmement, enfin, une relative indifférence, s’expliquant généralement
par un manque de temps ou des priorités autres.
« Non, j’en ai pas envoyé. Par manque de temps. Je rentre de congés, j’ai trop de boulot, et
j’ai des priorités, tout simplement. Donc on verra ça après » (BGN LECL 4)
Au final, le directeur marketing nous a confié qu’en six mois, cette campagne avait
donné lieu à 14 300 demandes par les conseillers, qui se sont traduits par 8 740 contacts par la
plate-forme, laquelle a ainsi décroché 4 000 rendez-vous (dont 86% pour les particuliers, le
reste se répartissant entre les professionnels et entreprises). D’après lui, les conseillers ont été
satisfaits des résultats, et la campagne était vouée à quitter son caractère temporaire pour être
pérennisée.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
132
II.5 CLIENTS, PROCÉDURES ET CHOIX STRUCTURELS : LES TROIS
PIERRES ANGULAIRES DU FONCTIONNEMENT DU MULTICANAL À LA BGN.
Les conseillers qui travaillent en agence ont pour mission historique de gérer la
relation avec la clientèle. Cela comprend schématiquement deux catégories de tâches. La
première, à forte valeur ajoutée, est le conseil et la vente de produits et services adaptés aux
besoins de la clientèle. Elle repose donc sur une écoute attentive des besoins du client, et une
compréhension de ses attentes pour lui proposer une solution qui se veut personnalisée. La
seconde est à faible valeur ajoutée, et comprend des tâches répétitives, chronophages, et peu
valorisantes : répondre aux demandes de soldes, réaliser des virements, commander des
chéquiers, gérer le service après-vente, etc… Dans le contexte d’accroissement de la pression
commerciale, qui se traduit par une révision annuelle à la hausse de leurs objectifs de vente,
ils désirent donc se libérer de celle-ci au profit de celle-là, et ce, même sil ils reconnaissent
qu’elle est à l’occasion pourvoyeuse de ventes imprévues. A cette fin, la direction met à leur
service des outils, parmi lesquels les deux plates-formes téléphoniques, qu’ils perçoivent très
différemment : dithyrambiques sur la plate-forme entrante, ils sont nettement plus réservés,
voire négatifs sur la plate-forme sortante. L’analyse des facteurs qui influencent ces
perceptions montrent qu’ils sont identiques, mais jouent selon des directions opposées (II.5.1
et II.5.2). Cette analyse débouchera sur l’identification de trois éléments saillants,
soubassements d’une grille de lecture du fonctionnement du réseau de distribution multicanal
de la BGN (II.5.3).
II.5.1 Facteurs influençant la perception de la plate-forme
sortante par les conseillers.
II.5.1.a) Les procédures
Dans l’établissement de la prise de contact, la plate-forme appelle la plupart du temps
leurs clients sans en informer préalablement les conseillers. Cette prise de contact leur
échappe donc, ce qui les satisfaits d’autant moins qu’ils reçoivent ensuite un appel du client.
Ensuite, ils se plaignent fréquemment de l’absence de transfert d’informations, puisqu’ils ne
sont informés qu’en cas de réalisation d’une vente ou de prise de rendez-vous. En revanche,
ils ignorent si un contact a achoppé, et quelle en a été la raison, ce qui serait utile à leur
activité commerciale.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
133
II.5.1.b) Les réactions des clients
Tandis que la plate-forme vise à permettre aux conseillers de gagner du temps,
puisqu’ils n’ont pas à démarcher leurs clients eux-mêmes, c’est généralement l’effet inverse
qui est obtenu, puisqu’ils doivent rassurer ces derniers qui les rappellent pour tenter de
comprendre pourquoi ils ont été contacté par quelqu’un d’autre que « leur banquier
personnel ». De plus, une partie de la clientèle n’apprécie pas ce genre de démarche, préférant
que le contact relève de son initiative, et le fait savoir aux conseillers.
II.5.1.c) Les compétences.
Nous décelons également dans le discours de certains conseillers une crainte de ce que
cette plate-forme ne soit qu’une première étape vers la banalisation de l’activité de banquier, à
laquelle ils attachent une haute estime. Les comparaisons entre les deux plates-formes sont à
cet égard très révélatrices, qui s’ancrent dans les différences de parcours et de tâches des deux
catégories de téléconseillers. L’appellation de banquier est synonyme d’une compétence dont
ne peuvent justifier les téléconseillers de la plate-forme sortante. Cette distinction très nette
est évidente dans les mots utilisés par les conseillers pour désigner les employés de la plate-
forme sortante : ce ne sont que des « télévendeurs » (par opposition aux « téléconseillers » de
la plate-forme entrante). Ce terme est également employé dans les documents de présentation
de la plate-forme. Quant au directeur marketing interviewé dans la première cassette vidéo, il
parle de « télé-opérateurs ». Or, ces métiers sont négativement connotés dans l’esprit des
conseillers, qui font aussitôt le lien avec « les cuisinistes » (comparaison revenue à trois
reprises).
Néanmoins, il semblerait qu’ils blâment moins les compétences des téléconseillers que
la structure à laquelle ils appartiennent, structure qui induit à leurs yeux de faibles résultats.
II.5.1.d) Les résultats obtenus.
Aux yeux des conseillers, la plate-forme introduit une gêne dans les relations avec
leurs clients, gêne doublée par le temps perdu à rassurer leurs clients (résultat qualitatif
négatif), pour un bénéfice individuel des plus maigre (résultat quantitatif). En effet, le choix
structurel retenu à l’implantation de la plate-forme, c’est-à-dire une seule pour l’ensemble de
la BGN, avec un nombre restreint de téléconseillers (6 au moment de notre étude, contre près
de 600 conseillers), fait que mécaniquement, le nombre de ventes réalisé au profit de chaque
conseiller est minime. La procédure de report automatique de la vente ne rencontre donc pas
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
134
le succès escompté. Situation que renforcent encore les positions de défiance ou de rejet dans
lesquelles se réfugient de nombreux clients.
II.5.1.e) Le déni de la légitimité de la plate-forme sortante.
Par conséquent, l’image véhiculée par la plate-forme sortante est particulièrement
négative dans le réseau, même si cela n’est dit qu’à mots couverts. Rares sont ceux qui
expriment ouvertement une opinion négative, mais les discours montrent très nettement que
celle-ci domine. S’ensuit une non-reconnaissance de la légitimité de la plate-forme sortante
par le réseau. Ainsi, nous avons réparti les codes LEG Déni et LEG Reco par plate-forme143, et
les avons opposés entre eux pour chacune des plates-formes. Que ce soit en nombre
d’occurrences ou en nombre de caractères, le déni de légitimité l’emporte sur la
reconnaissance (Tableau 2-6). En outre, la majorité des conseillers reconnaissant la légitimité
de la plate-forme nuancent presque systématiquement ses propos. Et une partie des propos
codés en LEG Reco correspondent à l’expression des attentes par certains conseillers
(notamment, BGN MAD 1, qui concentre le nombre d’occurrences et de caractères le plus
important), attentes qui ont souvent été déçues par les faibles résultats individuels enregistrés.
Tableau 2-6 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme sortante
LEG DÉNI LEG RECO DIFFÉRENCE
Nombre d’entretiens 12 10 2
Nombre de passages 28 20 8
Nombre de caractères 12 562 7 561 5 001
Ce déni de légitimité est ressenti par les téléconseillers travaillant sur la plate-forme
sortante, qui l’assimilent à une remise en question de leur poste. Nous l’avons surtout
directement vérifié lorsque nous avons adressé notre compte-rendu aux trois téléconseillères
interviewées sur la plate-forme sortante. Après lecture, toutes trois demandèrent instamment à
nous rencontrer de nouveau, afin que nous leur précisions le but exact de notre étude, quels
étaient les destinataires de ces résultats, et si le réseau en aurait connaissance (détails que nous
leur avions déjà apportés en préambule de chacun des entretiens). Particulièrement émues,
143 Cf. annexes 4.1 et 4.2
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
135
elle souhaitèrent modifier certains éléments de ces comptes-rendus, qui leur étaient pourtant
strictement personnels. L’une voulut modérer les propos qu’elle avait tenus durant
l’interview, tout en apportant quelques précisions complémentaires. Une seconde nous
demanda de réécrire certains passages de la synthèse qu’elle avait reçue, passages qui
portaient sur l’opinion émise par des conseillers vis-à-vis de la plate-forme en sa présence.
Elle désirait en particulier que soit remplacé le verbatim « ils avaient une mauvaise image de
la plate-forme », par « ils ne savent pas encore en retirer des conclusions positives ».
L’objectif de leur intervention était d’atténuer, sinon de faire disparaître, la moindre
connotation négative de leurs propos. Toutes craignaient véritablement que cette mauvaise
opinion émise par le réseau n’amène la direction à remettre sa stratégie en cause, et donc à
faire disparaître leurs postes. Enfin, il est frappant de constater que les trois téléconseillères
aspiraient toutes à un passage vers l’agence, sur la route de laquelle la plate-forme n’était
qu’une étape.
Ces explications nous fournirent un éclairage nouveau sur les propos tenus par la
responsable des deux plates-formes. Cette dernière, en effet, avait autant que possible tenté de
mettre en avant les bons résultats de cette plate-forme sortante, et l’indéniable
complémentarité existant entre les deux canaux. Elle n’hésitait pas pour cela à mobiliser de la
littérature managériale. A posteriori, il nous paraît que ses propos traduisaient une réelle
recherche de légitimité de cette plate-forme, légitimité qui d’après elle commençait à se
diffuser au sein du réseau.
Par ailleurs, pour lever les craintes des conseillers de voir disparaître leur travail, ou
s’amoindrir la qualité de la relation entretenue avec le client, la plate-forme a d’entrée de jeu
été positionnée comme un outil au service des agences. Cette perspective utilitariste est
prégnante dans maints entretiens, que cet extrait résume parfaitement.
« Moi je vois toujours du côté fonctionnel […] Tant que ça m’est utile, moi je le prends
comme ça […] C’est un outil, qui est complémentaire, et ça permet de nous aider dans notre
travail » (BGN MN 3).
Plus encore qu’une sorte de hiérarchie informelle qui aurait pu s’instaurer entre les
canaux, il s’agit d’une véritable inféodation de cette plate-forme au réseau : ce dernier
considère qu’il pourrait faire sans elle, tandis que la réciproque n’est pas vraie. La réaction de
crainte des téléconseillères que nous avons rencontrées en est une parfaite illustration.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
136
Pour améliorer cette situation, la direction a décidé d’une évolution des procédures, en
accroissant les contacts directs entre les canaux. La perspective utilitariste subsiste, mais vise
à donner plus de pouvoir de décision aux conseillers quant aux clients qui doivent être
contactés par la plate-forme. Paradoxalement, l’accroissement de ce pouvoir des conseillers
sur le choix des clients s’effectue au service de l’assise de la légitimité de cette plate-forme,
puisqu’elle leur fait dorénavant gagner du temps sur leur activité dans le sens qu’ils ont
choisi. Cependant, la nouveauté de cette procédure ne nous a pas permis d’en mesurer
l’impact à long terme sur leur perception.
II.5.2 Facteurs influençant la perception de la plate-forme
entrante par les conseillers.
II.5.2.a) Les procédures.
Les conseillers semblent accueillir favorablement les procédures annoncées par la
direction pour l’instauration du re-routage. La plate-forme n’aura pas pour fonction de faire
barrage au client désireux de parler à son conseiller, mais lui offrira la possibilité de voir sa
demande traitée rapidement par une personne compétente. De plus, si la demande nécessite
son intervention, il sait que la plate-forme lui transmettra l’appel, celle-ci ne faisant pas
barrage, conservant ainsi une maîtrise qui lui échappe totalement dans le cas de la plate-forme
sortante. Quant à la situation présente, elle laisse l’initiative du contact au client, et elle ne
vient donc pas « interférer » dans leur relation avec le client. Au contraire, son existence est
perçue positivement comme une bonne chose, car les clients peuvent y réaliser des opérations
en l’absence de leur conseiller, ou en la fermeture de leur agence.
II.5.2.b) Les réactions des clients
Puisque ces derniers sont pour le moment à l’initiative du contact, ils n’ont pas
tendance à se plaindre de la plate-forme auprès de leur conseiller. La mise en place prochaine
du re-routage risque d’engendrer une levée de boucliers de leur part, que n’appréhendent
toutefois pas les conseillers, en raison des avantages que cela représentera pour eux (libération
du temps commercial, soulagement et limitation de la pollution téléphonique). Une majorité
d’entre ceux qui soulignent ce risque s’empressent d’ajouter que leurs clients devront
s’accoutumer à ce changement, même si ça ne devrait pas leur plaire dans un premier temps.
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
137
La quantité de verbatims codés CLT Réactions pour chacune des deux plates-formes144
renforce cet argument selon lequel ils craignent moins ces réactions que dans le cas de la
plate-forme sortante : leur nombre est bien supérieur dans le cas de la plate-forme sortante (32
occurrences, 12 479 caractères) que dans celui de la plate-forme entrante (19 occurrences, 7
236 caractères). Ce qui ne les empêche pas d’attirer l’attention sur le besoin de garde-fous,
puisqu’ils récupèrent des clients issus d’autres banques au motif de l’existence de plates-
formes entrantes.
Notons pour finir que plusieurs conseillers soulignent connaître d’autres banques dans
les agences desquelles a été instauré le reroutage, ce qui leur a permis d’apprécier le calme de
l’absence de sonneries permanentes, accroissant leur désir de voir cette solution leur être
proposée.
II.5.2.c) Les compétences
La provenance des téléconseillers de la plate-forme entrante, tous originaires du
réseau, est un facteur rassurant souvent avancé par les conseillers. Ils sont sûrs de ce que la
personne que leur client aura au bout du fil sera en mesure de répondre à sa demande. Les
compétences des téléconseillers recrutés pour travailler sur cet outil sont en phase avec
l’image que les conseillers se font du banquier, et cette sorte de réflexe corporatiste accroît la
légitimité qu’ils accordent à la plate-forme entrante.
Cela n’empêche pas toutefois la même vision utilitariste que précédemment, dont est
conscient le personnel de la plate-forme entrante.
« On n’est qu’un service supplémentaire, je dirais, sur la palette des services proposés par la
banque. Eux, ils ont la possibilité d’avoir un conseiller en ligne, c’est un plus, parce que le
leur n’est pas toujours disponible, mais on ne remplacera jamais leur banquier personnel. On
sera toujours, disons, en second plan » (BGN PFE 3).
II.5.2.d) Les résultats obtenus
Les conseillers ne perçoivent pas les résultats des téléconseillers de la plate-forme
entrante à l’aune du volume de ventes qu’ils réalisent, mais de la libération des tâches à faible
valeur ajoutée que leur intervention implique, tout en apportant un service de qualité aux
144Disponible en annexe 4.3
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
138
clients. Cette qualité de service est généralement perçue comme assurée, en raison de la
provenance des téléconseillers.
II.5.2.e) La légitimité reconnue de la plate-forme entrante.
Ce qui précède fait que, au contraire de la plate-forme sortante, la légitimité de la
plate-forme entrante semble admise par les conseillers. Nous avons pour le vérifier réalisé les
mêmes calculs que précédemment, transposés cette fois à la plate-forme entrante (Tableau
2-7).
Tableau 2-7 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme entrante145
LEG RECO LEG DENI DIFFÉRENCE
Nombre d’entretiens 13 5 8
Nombre de passages 34 9 25
Nombre de caractères 10 768 6 405 4 363
Si il ressort qu’en termes de nombres de passages ou d’entretiens, la plate-forme
entrante est véritablement plébiscitée par les conseillers, la différence en nombre de
caractères, beaucoup plus restreinte, peut surprendre. L’explication est simple : un seul des 5
entretiens de LEG Déni concentre à lui-seul 3 191 caractères, soit près de 50% de la totalité146.
II.5.3 Tout est question d’arbitrage pour les conseillers…
En d’autres termes, si par rapport à la plate-forme sortante, la réaction des clients est
au cœur des préoccupations des conseillers, elle passe au second plan dès qu’il s’agit de la
plate-forme entrante. L’arbitrage qu’ils établissent entre d’un côté, la crainte de la réaction de
leurs clients, et de l’autre côté, le gain de temps et l’enrichissement de leur travail qui
découlent de la nouvelle organisation joue nettement en faveur du second plateau de la
balance. Comme nous l’avons déjà noté, l’idée de soulagement revient très fréquemment,
pour désigner le transfert de la charge de travail à faible valeur ajoutée vers des téléconseillers
dédiés. Et, bien plus que pour la sortante, ils justifient fortement l’existence de la plate-forme
145 Nous avons inversé l’ordre entre les codes par rapport au tableau de la plate-forme sortante, afin d’avoir des différences positives. 146 Disponible en annexe 4.2
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
139
entrante par des comparaisons avec des banques concurrentes, et mettent en avant les
avantages que le client pourra en retirer.
Trois éléments émergent donc de l’analyse :
Ø Les clients : les relations de longue date qu’ils entretiennent avec leur
conseiller leur donne un certain pouvoir sur leur interlocuteur, pouvoir
d’autant plus important que la concurrence se fait plus rude. Les réactions des
clients vis-à-vis des nouveaux canaux influence donc les perceptions qu’en
ont les conseillers, et leur comportement à leur endroit. Ajoutons à cela que
les conseillers parlent toujours de « leurs » clients, marquant une
appropriation qui leur est également reconnue par les téléconseillers des deux
plates-formes. Ces derniers parlent « des » clients, en général, mais leur
discours ne révèle pas ce lien affectif exprimé par les conseillers.
Ø Les procédures : il s’agit de l’ensemble des procédures régissant les
interrelations entre les canaux et la gestion des contacts avec les clients.
Ø Les choix structurels : que ce soit l’implantation d’une seule et unique plate-
forme sortante pour l’ensemble de la banque, ou le déploiement de personnel
du réseau sur la plate-forme entrante, ce sont des choix de structure qui ont
été faits par la direction, et qui modifient le comportement des conseillers.
L’intérêt de ces trois pôles, outre leur identification, repose surtout dans l’existence de
liens entre eux. Les choix structurels portent par exemple les procédures, puisque c’est en
fonction des premiers qu’ont été déterminées les secondes, procédures qui sont impactées par
la manière dont les conseillers vont percevoir les réactions de leurs clients. Concrètement,
certains d’entre eux ont ainsi stoppé l’envoi de demandes de prises de rendez-vous à la plate-
forme sortante suite aux réactions négatives de leurs clients. Ils ont donc procédé à un
arbitrage défavorable au respect des procédures à la suite de ces réactions. L’influence
qu’exercent les clients est d’ailleurs ressentie par les téléconseillers de la plate-forme
sortante :
« J’ai l’impression que le réseau juge plus facilement par rapport à ce que les clients ont dit,
alors qu’il faudrait qu’ils viennent ici voir comment ça se déroule et voir comment ça se
passe » (BGN PFS 3).
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
140
En revanche, les conseillers sont prêts à défendre bec et ongles le choix de la plate-
forme entrante, car ils sentent que les compétences du personnel qui s’y trouve correspond
aux besoins des clients, et savent que les procédures mises en place impliquent leur
intervention en cas d’impossibilité pour le conseiller de répondre à la demande du client. Leur
arbitrage se fonde alors sur les choix structurels qui vont les inciter à privilégier les
procédures sur les réactions des clients, comme l’ont montré plusieurs des verbatims
précédemment utilisés.
II.6 CONCLUSION DU CAS BGN.
Pour refermer ce cas BGN, nous pouvons dire qu’il semblerait que la direction a réussi
à éviter que ne se développe un sentiment de cannibalisation entre les canaux. Néanmoins,
cette absence de cannibalisation n’est pas synonyme de perception de la complémentarité,
puisque si dans le premier cas, prévaut l’absence d’un sentiment de menace, dans le second, il
s’agit d’un sentiment d’obtention d’un avantage grâce à la nouvelle organisation. Or, nous
avons montré que les agences ne se sentent pas véritablement menacées par les nouveaux
canaux, sans toutefois leur reconnaître toujours la possibilité d’améliorer la qualité ou de
diminuer la charge de leur travail, en particulier pour la plate-forme sortante. Cela débouche,
comme nous l’avons montré, sur un déni de légitimité de cette plate-forme, déni qui renvoie
souvent à la même interrogation : les ressources employées par cette plate-forme ne
pourraient-elles pas l’être plus efficacement ? Autrement dit, si il y a absence de
cannibalisation dans le déploiement des canaux, nous pouvons supposer que les agences
perçoivent en revanche une cannibalisation par cette plate-forme des ressources qui pourraient
leur être allouées, perception que la direction tente de faire disparaître par des actions et de la
communication sur ces actions.
Ce phénomène est renforcé par la perception qu’ont les conseillers des réactions de
leurs clients. La vision qu’ils ont de la plate-forme, entrante comme sortante, est largement
technique. A l’inverse, les téléconseillers des deux plates-formes ont une approche plus
affective et empathique, comme le montre la récurrence du thème indulgence dans leurs
entretiens. Ils sont plus prompts à se mettre à la place de leurs collègues du réseau, et à les
excuser. Ils prennent également plus de recul vis-à-vis de ce que disent les clients,
contrairement aux conseillers qui leur attachent beaucoup plus d’importance.
Cette importance se traduit également dans le regret qu’expriment les conseillers par
rapport à la perception qu’ils ont de la stratégie de la BGN. Tous ou presque considèrent que,
Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire
141
si le client reste officiellement la priorité, le volume de vente devient prépondérant. A leurs
yeux, une optique produit remplace peu à peu une optique client à laquelle ils s’efforcent
cependant de rester fidèles. Cela n’est néanmoins pas toujours aisé, en raison de la pression
des objectifs, et de la multiplication des modes de contacts entre le client et sa banque. Il est
patent que la BGN est dans une phase de substitution progressive de la relation inter-
individuelle (client / conseiller) au profit d’une relation organisation / individu (banque /
client). Ou, pour reprendre les termes employés dans notre premier chapitre, qu’elle est en
train de substituer à la relation initiale, une accumulation de pseudo-relations.
Conclusion du Chapitre Deuxième
142
EN CONCLUSION DU CHAPITRE DEUXIÈME… Des résultats empiriques au service de l’orientation future
de la revue de littérature
La présentation du secteur de la banque de détail et de ses évolutions, marquées par le
fort développement du multicanal, était une nécessité, du fait de l’origine managériale et
sectorielle de notre objet de recherche. Elle fit donc l’objet de la première section de ce
chapitre, en prenant soin de mêler à la fois données secondaires et primaires pour renforcer la
validité de l’analyse. Dans le magma bouillonnant de ces transformations, nous avons
naturellement insisté sur celles affectant l’organisation de la distribution. Cette mise en
perspective sectorielle nous a permis d’introduire l’étude de cas exploratoire que nous avons
réalisée afin de compléter les insuffisances de la littérature relevées dans le premier chapitre.
Par cette étude exploratoire, nous avons été en mesure d’appréhender plus
concrètement le fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal, et de dégager des
éléments importants de l’analyse, parmi lesquels nous retiendrons principalement :
Ø La vérification empirique de l’existence des trois types de complémentarité
que nous avions proposées dans le premier chapitre ;
Ø La mise en évidence de ce que l’absence de cannibalisation ne signifie pas
nécessairement complémentarité entre les canaux, puisque tout dépend du
niveau de complémentarité et de cannibalisation retenu (au niveau des
résultats ? des ventes ? des ressources ?, etc.) ;
Ø L’apparente influence du client sur le fonctionnement du réseau de
distribution multicanal, en particulier sur les interrelations entre les canaux.
Les résultats issus de l’analyse de ces données sont autant de panneaux d’orientation
sur la voie sinueuse de la poursuite de la revue de littérature. Le dernier résultat, qui met en
avant la place que peut jouer le client entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal,
nous interpelle particulièrement, car totalement inattendu. Sa relecture théorique, outre poser
dessus un éclairage différent, va nous permettre de construire notre problématique et nos
propositions de recherche, qui nous guideront dans le cadre d’études de cas ultérieures.
Conclusion de la Première Partie
143
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
Nous avons débuté ce travail de thèse par une interrogation générale, tirée d’une
analyse sectorielle des évolutions de la banque de détail, à propos du fonctionnement d’un
réseau de distribution multicanal. En point de mire de cette première partie, deux cibles :
Ø Proposer au lecteur une définition, que nous avons faite nôtre, d’un réseau de
distribution multicanal, en la replaçant dans le cadre plus général des raisons
et modalités du développement du recours à ce type de réseau.
Ø En écho aux interrogations soulevées, partir à la découverte du « réel »147
pour apporter de premières réponses, et par-dessus tout permettre de faire
évoluer notre réflexion théorique à partir des résultats obtenus148.
Devant la multiplicité des résultats obtenus, et qui ont été présentés dans la seconde
section du second chapitre, un point saillant a retenu notre attention : l’influence que semble
avoir le client sur les interrelations entre agences et centres d’appels. En reformulant ce
résultat, nous aboutissons à la question de recherche qui suit :
Dans quelle mesure le client peut-il influencer les interrelations entre les canaux
qui composent un réseau de distribution multicanal ?
Néanmoins, cette question de recherche ne nous éclaire pas sur les théories à mobiliser
pour y répondre. Il ne s’agit donc pas, en l’état, d’une problématique de recherche149. Ce sera
le but de notre seconde partie que de remédier à cette absence pour justifier de la formulation
de ladite problématique.
147 Les guillemets s’imposent du fait de notre positionnement interprétativiste. 148 Il ne s’agit pas véritablement de procéder à la manière de Strauss et Corbin (1998), qui génèrent de la théorie à partir de leurs données, mais de donner une orientation théorique nouvelle à notre recherche à partir des résultats obtenus. 149 Nous remercions le professeur de Montmorillon pour ses explications sur la distinction entre question de recherche et problématique de recherche.
Introduction à la Deuxième Partie
144
DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE
DE LA PROBLÉMATIQUE
Ainsi que nous l’avons expliqué, nous devons maintenant traduire théoriquement notre
question de recherche de manière à formuler précisément notre problématique. Cette question
de recherche comporte trois éléments essentiels : le client, les interrelations entre les canaux,
et la manière dont celui-là peut influencer celles-ci.
La revue de la littérature, dont l’orientation est induite par les résultats de l’étude
exploratoire, nous permet de traduire les deux premiers par leurs équivalents théoriques : la
participation client, et la coordination intra-organisationnelle. Cette phase de traduction
(Angot et Milano, 1999) est une étape nécessaire, mais non suffisante, sur le chemin vers la
formulation définitive de la problématique de cette recherche, et des propositions qui
l’accompagnent.
Cela à l’esprit, nous débutons cette seconde partie par une analyse du comportement
productif du client dans le processus de « production » d’un service. Le troisième chapitre a
ainsi pour objectif de présenter ce que la littérature dénomme la participation du client à la
création d’un service, dont nous proposons d’étendre le champ qui est traditionnellement sien.
S’ensuit en quatrième chapitre, un état de l’art sur la coordination intra-organisationnelle,
dont sont présentées deux facettes. L’une se rattache à la dimension structurelle de la
coordination, par l’intermédiaire des travaux en design organisationnel. L’autre, au processus
d’interactions entre individus devant coordonner leurs actions.
A mesure que nous progressons dans ces deux chapitres, nous nous efforçons de
montrer les liens entre ces deux notions de participation client et de coordination intra-
organisationnelle, pour in fine les coupler à la fin du quatrième chapitre. De cette manière,
nous mettons en lumière les éléments théoriques qui nous servent à répondre à notre question
de recherche. Par voie de fait, ce cheminement intellectuel se conclut par l’exposé de notre
problématique et des questions de recherche afférentes (cf. schéma 3 page suivante)
Introduction à la Deuxième Partie
145
Schéma 3 : De la question de recherche à la problématique
Influence ?
(Chapitres 3 et 4)
Participation client
(Chapitre 3)
Coordination intra-organisationnelle
(Chapitre 4)
Traduction théorique
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
Conclusion de la seconde partie
Influence ? Client Interrelations entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal
Conclusion de la première partie
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
146
CHAPITRE TROISIÈME : LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE
Le second chapitre a notamment mis en exergue l’importance du rôle que pouvait
jouer le client sur le fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal. Le but de ce
retour sur la littérature est maintenant de nous permettre de comprendre et d’expliquer ce rôle.
Le champ de connaissances qui nous concerne au premier chef est celui de la
participation du client au processus de production du service, ou « servuction » (Eiglier et
Langeard, 1987). Les services se distinguent en effet des biens matériels par leur intangibilité,
leur hétérogénéité, leur périssabilité, et la simultanéité de leur production et consommation150.
Ce dernier point implique la présence du client au moment de la production du service, à
laquelle il participe d’une façon ou d’une autre, plus ou moins activement.
Or, ce terme de participation couvre une multitude de situations différentes, et son
usage dans la littérature, des réalités multiples. Notre première section entend donc préciser
cette notion de participation, dont nous fournissons notre définition à l’issue du chapitre.
Dans une deuxième section, nous nous interrogeons sur les motivations qui poussent
un client à participer, de même que sur l’influence que peut avoir l’entreprise sur le
comportement participatif du client et son intensité.
Notre troisième section s’emploie à montrer que le client ne joue pas un seul, mais
plusieurs rôles au cours du processus de servuction. En nous appuyant ponctuellement sur
certains des résultats du cas BGN, nous proposons de jeter un éclairage qui nous paraît
novateur sur cette notion de rôle, en en proposant de nouveaux pour le client.
Enfin, avant d’aller plus loin, nous pensons utile de préciser avoir peu à peu dressé le
constat d’une faible quantité de littérature sur la participation dans un cadre multicanal,
laquelle touche alors surtout aux modalités de choix des clients entre plusieurs technologies
de self-service (Curran et Meuter, 2005 ; Meuter et al., 2005). Aussi ce chapitre s’intéresse-t-
il à la participation d’une manière générale même si, dans un souci de cohérence globale, nous
avons tâché de l’ancrer dès que cela était possible et approprié dans un contexte multicanal.
150 Bien que largement admises dans la littérature (e.g.Eiglier et Langeard, 1987 ; Lovelock et Lapert, 1999 ; Zeithaml et Bitner, 2003), ces distinctions entre biens et services font l’objet de récentes remises en question (Bielen et Sempels, 2003 ; Lovelock et Gummesson, 2004).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
147
SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT.
Cette première section est dédiée à la présentation de la notion de participation client
dans les services. Après en avoir constaté et expliqué son évolution récente (I.1), notamment
au plan managérial, nous analysons ce qui en fait sa nature à partir des définitions qu’en
donne la littérature (I.2).
I.1 UNE PARTICIPATION ÉVOLUTIVE.
La vie des entreprises a, ces dernières années, été marquée par l’essor du recours à la
participation client (I.1.1), phénomène pourtant ancien d’externalisation d’une partie de
l’activité généralement assurée en interne (Bendapudi et Leone, 2003). En cause, notamment,
une remise en question du statut du client débouchant sur une vision renouvelée de ce dernier
(I.1.2).
I.1.1 Un accroissement et une mutation de la
participation...
I.1.1.a) Une reconsidération de la participation du client.
Microsoft demande à certains de ses clients de tester des versions de logiciels destinés
à être commercialisés ; La Poste française incite ses clients à écrire les adresses en majuscules
et sans accent sur les enveloppes ; Easycar encourage ses clients à rendre les voitures de
location lavées ; les banques orientent les leurs vers l’utilisation de distributeurs et guichets
automatiques au lieu de se rendre au guichet de leur agence... Ces différents exemples sont
autant d’illustrations d’une tendance croissante du mode de fonctionnement des entreprises de
services, qui de plus en plus font intervenir le client (Bitner et al., 2002 ; Lupieri, 2003) au
cours du processus de « servuction » (Eiglier et Langeard, 1987).
Comme le font remarquer Bendapudi et Leone (2003), « la participation du client en
elle-même n’est pas nouvelle » ( : 14). Ils donnent l’exemple des supermarchés, « modèles de
la co-production par les clients » (ibid.), dans lesquels les clients choisissent, transportent et
emportent les produits, et dont l’existence remonte aux années trente. Le fait que les
entreprises demandent à leurs clients de participer à la production et à la livraison du service
qu’ils souhaitent obtenir n’est donc pas récent. Ce phénomène fut d’ailleurs très tôt relevé par
des auteurs tels Barnard (1948) ou Parsons (1956), précurseurs d’une abondante littérature sur
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
148
le sujet (e.g. Bateson, 1985 ; Bitner et al., 1997 ; Bowen, 1986 ; Fitzsimmons, 1985 ;
Lovelock et Young, 1979 ; Namasivayam, 2003, etc.).
Toutefois, il est plus nouveau de voir les entreprises reconnaître le fait qu’encourager
les clients à participer activement au service constitue la « nouvelle frontière de l’efficacité
compétitive » (Bendapudi et Leone, 2003 : 14). En effet, bien que ses avantages soient depuis
longtemps identifiés, le recours à la participation du client à la production d’un service
semblait jusque récemment faire l’objet d’un traitement assez basique et simple dans l’activité
quotidienne des entreprises. Le passage d’échanges transactionnels classiques à la co-création
de véritables expériences entre les entreprises et leurs clients marque en cela une rupture avec
les pratiques antérieures (Prahalad et Ramaswamy, 2004).
Savoir comment gérer cette participation permet, schématiquement, soit d’améliorer la
productivité de l’entreprise (Bowen et Jones, 1986 ; Lovelock et Young, 1979), ou
d’augmenter le degré de qualité perçue par le client, donc sa satisfaction (Bitner et al., 1997).
C’est dans cet esprit que de nombreux auteurs ont émis (ou, plus rarement, testé) des
propositions de modes de gestion de cette participation (e.g. Bowen, 1986 ; Canziani, 1997 ;
Chervonnaya, 2003 ; Larsson et Bowen, 1989 ; Lovelock et Young, 1979)
I.1.1.b) Une transformation quantitative et qualitative.
L’accroissement de cette participation suit une double tendance. Il est tout d’abord
quantitatif, comme nous l’avons déjà mentionné. Bitner et al. (2002) notent que « les clients
fournissent de plus en plus de leur propre service » ( : 96), essentiellement en raison de la
révolution technologique de ces dernières années. Au cœur de leurs travaux, l’utilisation de
plus en plus massive des technologies de self-service, qui permettent d’externaliser sur le
client une partie plus importante de la servuction. Nous rejoignons alors des problématiques
étroitement liées aux canaux de distribution, puisque ces technologies, interfaces entre
l’entreprise et le client, permettent à ce dernier d’accéder au service qu’il co-crée. Autrement
dit, la création de nouveaux canaux, qui découle en grande partie de l’innovation
technologique (cf. p 42), induit un accroissement de la participation du client. Toutefois n’y
est pas explicitement abordé le sujet de la combinaison de canaux, puisque Bitner et al.
(2002) s’interrogent sur les raisons du développement de ces technologies de self-service et la
manière de les déployer, ainsi que sur les motivations et réticences des clients à les utiliser. En
d’autres termes, il s’agit d’identifier les conditions pouvant mener à un remplacement de
canaux traditionnels impliquant une interaction employé – client par des canaux supprimant
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
149
ladite interaction et reportant la majorité du processus de servuction sur le client. Ces liens
entre multicanal et participation client sont plus explicitement mis en évidence chez Prahalad
et Ramaswamy (2004).
L’accroissement de la participation se veut aussi qualitatif, en ce sens que le client doit
posséder de plus en plus de connaissances, et savoir les mettre en œuvre pour participer
(Danet, 1981). Cet aspect est extrêmement important, puisque de la qualité de sa participation
dépendront par exemple l’amélioration de l’efficacité de l’entreprise, ou de sa propre
satisfaction (Bowers et al., 1990 ; Goodwin, 1988). Dans une relation client – entreprise
caractérisée par l’introduction de nouveaux canaux de distribution, cette dimension prend
toute sa signification. Le client souhaitant y recourir rentre dans un processus d’apprentissage
indispensable à l’optimisation de leur usage, lequel processus sera plus ou moins long en
fonction de la complexité du canal, de son utilisation antérieure par le client (par exemple,
dans le cadre d’une relation avec une autre entreprise), ou encore de la manière dont la firme
va ou non le guider dans cet apprentissage, etc. Ce dont nous avons précédemment évoqué
l’importance et les conséquences pour l’entreprise mettant en place un réseau de distribution
multicanal comme pour ses clients (cf. p. 68).
I.1.2 ...Liés à un renouveau du statut du client.
I.1.2.a) L’approche de Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2004) : du public au joueur.
Dans la lignée de travaux postmodernes (Firat et al., 1995 ; Firat et Venkatesh, 1995),
Prahalad et Ramaswamy considèrent que les clients finaux sont passés au fil des ans d’un
statut de « public passif » à celui de « joueurs actifs » (2000 : 80 ; 2004: 213). Le vocabulaire
employé est lourd de sens. D’un côté, les clients sont vus comme un ensemble agrégé de
personnes n’ayant pas de prise sur l’entreprise (« public passif »). De l’autre, comme des
individus indépendants mais capables de se réunir au sein de communautés, et disposant
personnellement (et collectivement) d’un pouvoir sur l’entreprise et la qualité de la prestation
qu’elle leur délivre (« joueur actif »). Ils font partie du « réseau amélioré » d’où proviennent
les compétences clés de la firme (Prahalad et Ramaswamy, 2000 : 82). Ces auteurs se font en
cela l’écho de Mills et al., qui déjà en 1983 écrivaient que « le client ne [serait] plus
simplement un observateur du produit de ses désirs » ( : 305).
Ce changement est mis sur le compte de l’évolution technologique, et en particulier de
l’Internet, qui tient une place prépondérante dans leur raisonnement. En effet, « en grande
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
150
partie grâce à Internet, les consommateurs se sont de plus en plus engagés dans un dialogue
actif et explicite avec les producteurs de biens et de services » (Prahalad et Ramaswamy,
2000 : 82.) Avec pour pendant un changement du regard que leur portent les entreprises, qui
saisissent tout l’intérêt (mais aussi les risques) que peut induire cette transformation. C’est ce
que montre le tableau 3-1 ci-après.
Tableau 3-1 : Évolution et transformations des consommateurs
CLIENTS = « PUBLIC PASSIF » CLIENTS = « JOUEURS
ACTIFS »
Persuader des groupes de
clients prédéterminés151
Transactions avec des acheteurs individuels
Lier des relations « à vie » avec des
clients individuels
Les clients sont des co-créateurs d’une valeur
unique
Période 1970s – début 80s
Mi- 80s – début 90s Décennie 1990 2000 et plus
Nature de l’échange et
rôle du client
Les clients sont vus comme des acheteurs passifs avec un rôle de consommation prédéterminé par les entreprises. Ils
sont « à l’extérieur de l’entreprise », et sont une cible pour les offres d’échanges des firmes. Les clients sont simplement quelqu’un pour lesquels l’entreprise fait
quelque chose.
Les clients font partie d’un réseau de
compétences élargi. Ils co-créent et co-extraient
de la valeur de l’échange. Ils sont collaborateurs,
co-développeurs et concurrents. Les clients deviennent quelqu’un
avec qui l’entreprise fait quelque chose (créer et
développer des expériences)
Attitude managériale vis-à-vis des clients
Le client est une statistique
moyenne, les groupes de clients sont
prédéterminés par l’entreprise
Le client est une statistique
individuelle dans une transaction.
Le client est une personne. La
confiance et la relation sont
cultivées.
Le client n’est plus seulement un individu qui doit être respecté en tant que tel. Il fait aussi partie d’une structure sociale et culturelle émergente (les communautés de clients),
et du réseau de partenaires de
l’entreprise, au même titre que les fournisseurs,
par exemple. Interactions entreprise /
clients et développe ment des
produits et
L’entreprise mène des études de marché et des recherches pour
créer de nouveaux
On passe de la vente pure à une aide aux clients,
via des départements
spécialisés, des
L’observation des clients permet de subvenir à leurs
besoins. L’entreprise identifie les
Les clients co-créent la valeur, dont les
fondations sont le dialogue, l’accès,
l’évaluation des risques, et la transparence. Ils sont
151 En 1981, Danet écrivait que « les clients servis par les organisations ont été considérés, lorsqu’ils l’étaient, comme des groupes, plutôt que comme des individus » ( : 382).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
151
services produits / services sans
feedback auprès des clients. Les clients sont de
simples récipiendaires de
la qualité des produits de l’entreprise.
centres d’appels, et des
programmes de service client. L’entreprise identifie les problèmes
rencontrés par les clients, puis redessine les produits et
services grâce à ce feedback
solutions grâce aux leaders, et reconfigure les
produits et services en se basant sur sa
compréhension approfondie des
clients
des co-développeurs d’expériences
personnalisées. Les entreprises et les clients leaders sont unis pour éduquer, façonner les
attentes du marché et co-créer l’acceptation pour les produits et services. Ces derniers font partie de l’environnement de
l’expérience dans lequel les clients co-construisent leurs propres expériences
Objectif et sens de la
communication
L’entreprise cherche à avoir un accès à un groupe cible
prédéterminé de consommateurs. Communication
unidirectionnelle : de l’entreprise vers les clients.
L’entreprise recourt aux bases
de données constituées à
partir du feedback des
clients. Communication bidirectionnelle
L’entreprise instaure un marketing
relationnel, et met en avant
l’importance de la confiance dans
les échanges. Communication
et accès bidirectionnels
Dialogue actif avec les clients et les
communautés pour co-former les attentes individuelles, co-
construire des expériences
personnalisées et développer le bouche à
oreille152. Accès et communication
multiniveau (Internet, points de vente physique,
téléphones fixes et mobiles, télévision
interactive...)
Source : Adapté de Bowen, 1986 ; Hoekstra et al., 1999 ; Lengnick-Hall, 1996 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004153
Par delà l’Internet, source d’interactions nouvelles et d’un dialogue réinventé entre les
clients et les entreprises, Prahalad et Ramaswamy insistent sur la multiplication des canaux de
distribution, dont la portée reste encore nettement sous-estimée par les firmes : « Bien que la
grande majorité des professionnels reconnaisse que le changement technologique est en train
de révolutionner les structures de canaux à travers toutes les industries, ils ne paraissent pas
152 Dans leur article de 2000, Prahalad et Ramaswamy emploient l’expression « buzz » qui, littéralement, peut se traduire par « bourdonnement », ou « ce qu’on raconte », renvoyant à des notions telles que le « buzz marketing » ou le marketing viral (Rosen, 2001 ; Stamboli et Briones, 2002). Nous avons préféré le traduire par l’expression « bouche à oreille », dont nous considérions qu’elle retranscrivait le mieux le sens donné par Prahalad et Ramaswamy. 153 La structure et la majorité du tableau sont basées sur les travaux de Prahalad et Ramaswamy, que nous avons enrichis d’éléments issus des travaux des autres auteurs référencés.
+ NIVEAU D’UTILISATION DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
DANS LES ÉCHANGES ENTRE LE CLIENT ET L’ENTREPRISE
_
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
152
réaliser que le choix des canaux à la fois par les clients et les entreprises façonne
fondamentalement la co-création d’expérience » (Prahalad et Ramaswamy, 2004 : 41).
Or, il est impossible de faire l’économie de cette réflexion, en dépit des difficultés que
représente la mise en place d’environnements multicanaux, car à l’heure actuelle, les
structures de canaux traditionnelles constituent des obstacles notables à l’établissement
d’expériences personnalisées (ibid.).
I.1.2.b) Une analyse réductrice.
Bien que stimulante, l’approche de Prahalad et Ramaswamy nous paraît souffrir de
quelques limites importantes.
Tout d’abord, ils semblent restreindre les raisons de l’évolution du statut du client à
l’innovation technologique, ce qui est à nos yeux très réducteur. En premier lieu, les clients
disposent désormais d’un niveau d’éducation supérieur, et de capacité de jugement et
d’évaluation renforcées (Danet, 1981 ; Lovelock et Lapert, 1999). Ils sont donc plus à même
de juger de la qualité des biens et des services qui leur sont vendus, même si ces derniers
restent soumis à des difficultés d’appréciation inhérents à leur nature intangible (Siehl et al.,
1992 ; Zeithaml et Bitner, 2003).
Par ailleurs, les entreprises affichent ostensiblement une orientation client de plus en
plus marquée (Grönroos, 2001 ; Hoekstra et al., 1999 ; Jeantet, 2001 ; Lengnick-Hall, 1996),
ce qui a pour effet de modifier les représentations que le client se fait de lui-même, tout
comme son comportement. Jeantet (2001) le montre parfaitement dans son étude des relations
entre les guichetiers de la Poste française et leurs clients : « Les clients seraient plus pressants
du fait des campagnes de publicité lancées par l’ensemble des entreprises de service (les
clients-rois), et du fait du changement d’attitude des agents (lesquels ne peuvent plus se
comporter comme les fonctionnaires décriés autrefois). Les représentations que le client se
fait de lui-même ont changé, et sa conduite en conséquence » (: 75). Nous rejoignons à
nouveau les préoccupations des auteurs postmodernes sus-cités.
Ils donnent ensuite l’impression d’une passivité totale de la part des clients avant l’an
2000 (plus concrètement, avant l’avènement d’Internet), ce qui n’est pas totalement exact. Par
exemple, l’émergence des mouvements consuméristes révélait dès les années 1970 une
volonté réelle des clients d’agir sur les entreprises (Dubois et Jolibert, 1992).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
153
Enfin, leur analyse ne prend pas en compte les travaux antérieurs sur la participation
du client et ses dimensions. Depuis longtemps reconnue par la littérature (Barnard, 1948 ;
Parsons, 1956 ; Thompson, 1962), cette participation a fait l’objet de deux courants de
recherche opposés (Dabholkar, 2000).
Le premier prend racine dans les travaux de Thompson (1962, 1967), et considère le
client comme une menace pour l’entreprise, dont il amoindrit la productivité, en raison de
l’incertitude que sa participation introduit154 (Chase, 1978, 1981 ; Chase et Tansik, 1983). Dès
lors, mettre en place une organisation efficace et efficiente implique une « désagrégation »
(Chase et Tansik, 1983 : 1039) fine des unités de l’entreprise, de telle sorte que le « cœur
technique »155 (ibid.), c’est à dire les processus de production (op.cit.. : 1038), soit
« découplé » du reste : il faut « séparer physiquement ou sur un plan organisationnel les
activités d’une organisation, et les placer sous des supervisions distinctes » (op.cit.. : 1039).
Le second courant, à l’inverse, reconnaît explicitement les clients comme une source
supplémentaire de productivité (Langeard et al., 1981 ; Lovelock et Young, 1979). Ainsi,
« dans les services, les managers peuvent utiliser des outils marketing pour encourager les
clients à modifier leur comportement afin que les services soient délivrés d’une manière plus
productive et économiquement efficiente » (Lovelock et Young, 1979 : 169). Lovelock et
Young s’appuient sur des exemples concrets d’entreprises qui ont tenté de mobiliser les
compétences de leurs clients pour améliorer la productivité et la rentabilité de certaines
activités de services156. Toutefois, en dépit de cette reconnaissance de l’importance que peut
jouer le client, force est d’admettre que la diffusion de cette idée dans le monde de l’entreprise
reste relativement récente (Bendapudi et Leone, 2003 ; Bitner et al., 2002), ce qui expliquerait
la teneur de l’analyse de Prahalad et Ramaswamy.
I.2 LA NATURE DE LA PARTICIPATION.
La participation du client particulier au processus de production d’un service est donc
de plus en plus importante, les entreprises ayant découvert là un gisement de productivité
encore largement inexploité (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Mais derrière ce terme
générique de participation sur lequel la littérature nous éclaire (I.2.1), se cachent diverses
154 Nous tenterons de montrer dans le chapitre 4 que cette interprétation des travaux de Thompson est peut être un peu rapide, et pourrait mériter plus de nuance. 155 Notion qu’ils empruntent à Thompson (1967 : 11). 156 Stations-service automatisées ; distributeurs automatiques de billets ; utilisation de nouveaux codes postaux…
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
154
intensités participatives (I.2.2). Se confondent même avec lui des notions distinctes, qui
peuvent être considérées comme certaines de ses composantes (I.2.3).
I.2.1 Qu’est-ce que la participation client ?
I.2.1.a) Quelques définitions.
La participation, « action de prendre part à quelque chose, à son résultat » 157, semble
naturellement impliquer une action, ou un ensemble d’actions, de la part du client de
l’entreprise de service. Cela induit de nombreuses questions : dans quelles circonstances cette
action se produit-elle ? Est-elle spontanée de la part du client, ou suscitée par l’entreprise ?
Pourquoi le client participe-t-il ? Doit-il toujours participer de la même façon ?...
Pour le savoir, penchons nous pour commencer sur des définitions de la participation
client que nous livre la littérature (Tableau 3-2). Avant tout, nous tenons à souligner que, en
dépit de son utilisation relativement courante, cette expression n’est que parfois littéralement
définie : il n’est pas rare de rencontrer des travaux qui se limitent à son utilisation contextuelle
et/ou à son sens commun, et qui font à peine référence à ses principales dimensions (e.g.
Fitzsimmons, 1985 ; Bowers et al., 1990). En règle générale, la définition retenue reste
implicite et repose sur un consensus autour des dimensions de la participation, ou plus
exactement sur ses composantes que sont les inputs apportés par le client (Bitner et al., 1997 ;
Goodwin, 1988 ; Lovelock et Young, 1979).
157 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, Édition 2001.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
155
Tableau 3-2 : Revue chronologique de définitions de la « customer participation »
AUTEUR(S) DÉFINITION
Kelley et al., 1990: 315
« Dans le cas de nombreux services, le client se voit demander une contribution en information ou en effort avant que la transaction de service
puisse être consommée »
Dabholkar, 1990 : 484158
« Le degré d’implication du client dans la production et la distribution du service »
File et al., 1992: 6
« « La participation » en tant que construit marketing se réfère aux types et au niveau de comportement dans lequel les clients s’engagent réellement en
fonction de la définition et de la livraison du service (ou de la valeur) qu’ils recherchent »
Cermak et al., 1994159
« La participation se réfère aux comportements du client liés à la spécification et à la distribution d’un service ».
Bettencourt, 1997 : 402
« Le rôle actif du client dans la production ou la distribution d’un service […] Le client est volontaire pour remplir ce rôle »
Rodie et Kleine, 2000 : 111
« La participation du client (CP) est un concept comportemental qui renvoie aux actions et aux ressources fournies par les client pour la production et / ou
la distribution d’un service. La participation du client inclut les inputs mentaux, physiques, et émotionnels des clients ».
Hsieh et al., 2003 : 190
« L’importance des ressources fournies par le client, sous la forme de temps et / ou d’effort, d’informations, et de co-production durant le processus de
production et de distribution du service »
Namasivayam, 2003 : 422
« La participation du client se réfère au rôle du client dans les processus de production, qu’il s’agisse d’un service ou d’un bien tangible »
I.2.1.b) Les composantes de la participation client.
A première vue, la participation implique donc de la part du client une contribution à
deux activités qui incombent généralement à la seule entreprise : la production et la
distribution. Cette contribution peut prendre différents aspects, allant de la communication
d’informations à l’entreprise, pour qu’elle puisse offrir un service correspondant aux attentes
du client, à la réalisation d’efforts qui permettront aux clients d’obtenir ce service (Kelley et
al., 1990). Plus largement, Rodie et Kleine (2000 : 111) parlent de trois catégories d’inputs :
158 Cité par Bendapudi et Leone (2003 : 14). 159 La source n’ayant pu être consultée qu’au format HTML sur une base de données (EBSCO), il nous est malheureusement impossible de préciser la page de cette référence.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
156
Ø Les inputs mentaux : ils incluent l’information donnée par le client à
l’entreprise, et l’effort mental qu’il consent à faire pour obtenir le service
(Mills et al., 1983 ; Mills et Turk, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000). Source
d’informations sur ses propres attentes (Canziani, 1997 ; Siehl et al., 1992), le
client fournit un effort mental ou « travail cognitif » (Rodie et Kleine, 2000 :
112), comme l’effort de structuration de ces informations, ou l’effort de
compréhension des modalités de réalisation du service.
Ø Les inputs physiques : ils « incluent les biens matériels propres du client et
ses efforts physiques » (Rodie et Kleine, 2000 : 112). Les premiers peuvent
aussi bien être tout ou partie du corps du client (e.g. le visage chez une
esthéticienne), ou des biens que le client possède ou dont il a la charge (un
véhicule déposé chez un garagiste) (Lovelock, 1983, 2001 ; Lovelock et
Lapert, 1999 ; Siehl et al., 1992). Le second correspondra aux actions
entreprises par le client au cours de sa participation (Siehl et al., 1992).
Ø Les inputs émotionnels : il s’agit de l’ensemble des émotions éprouvées par
les clients au cours de la production ou de la distribution du service. Ce peut
être, par exemple, la maîtrise (ou non) d’un énervement que provoquerait un
employé incompétent ou désagréable.
A ces trois catégories, nous ajouterons les quatre suivantes :
Ø Les inputs financiers : c’est tout simplement le prix facturé par l’entreprise et
payé par le client (Bitner et al., 1997; Zeithaml et Bitner, 2003). Il implique
que celui-ci décide d’une allocation de ses ressources financières au détriment
d’un autre bien ou service. Ces inputs financiers ne rentrent pas, selon nous,
dans les inputs physiques tels que définis par Rodie et Kleine (2000), qui
correspondent plutôt à des possessions du client sur lesquelles l’entreprise
agit dans le cadre de la prestation de service.
Ø Les « inputs temporels » : la participation prend un temps variable au client
selon le service concerné : il est nécessaire de prévoir plus de temps pour un
soin corporel dans un salon d’esthétique, que pour effectuer un retrait
d’argent à un distributeur automatique. Le temps que le client va accepter de
passer pour obtenir un service est un facteur qui rentre en compte dans son
évaluation du coût du service (Lovelock, 2001 ; Lovelock et Lapert, 1999 ;
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
157
Song et Adams, 1993). Il faut également y inclure le temps éventuellement
passé par le client à comprendre le fonctionnement du service, avant même de
l’obtenir (Mills et Morris, 1986).
Ø Les inputs « comportementaux » : Kelley et al. (1990 ; 1992) transposent au
client la distinction faite par Grönroos entre qualité technique et qualité
fonctionnelle160. Ils supposent ainsi que le client peut agir sur la qualité du
service à la fois par ce qu’il va faire, mais aussi par sa manière d’agir, donc
par sa manière d’apporter des inputs au processus de servuction. Cela renvoie
en particulier à des aspects interpersonnels de la prestation, tels que le respect
ou la courtoisie dont le client fait preuve vis-à-vis de son prestataire ou des
autres clients. Mais bien que proche en apparence des « inputs émotionnels »
de Rodie et Kleine, cette catégorie d’inputs est plus large, puisque pouvant
aussi se rattacher à la rapidité avec laquelle le client fournit les informations
ou les biens demandés par le prestataire de services, ou à la bonne (ou
mauvaise) volonté avec laquelle le client acceptera de participer. En d’autres
termes, il s’agit de ce que nous appelons son « comportement productif »,
essentiel dans le cadre de la servuction pour déterminer la qualité du service,
sur laquelle il est admis qu’il agit (e.g. Kelley et al., 1992). Pour cette raison,
nous proposons de parler des « inputs comportementaux » du client comme
composante de sa participation.
Ø Les inputs relationnels : l’idée de cette catégorie d’inputs provient d’une
réflexion personnelle, basée sur deux constats. Premièrement, nous n’avons
pas trouvé dans la littérature de travaux mentionnant l’importance du contenu
de l’échange entre un client et un prestataire de service sur le contenu d’un
échange ultérieur (immédiat ou différé dans le temps) entre ce client et un
autre prestataire de service (que ce dernier fasse ou non partie de la même
entreprise). Or, la qualité du contenu de l’échange entre le client et son
prestataire rentre dans l’évaluation que fait le client de la qualité globale du
service qui lui est délivré. Les expériences antérieures du client influençant
ses attentes et son comportement futur vis-à-vis d’un prestataire de service
160Pour Grönroos (1984 ; 2001), la qualité d’un service peut se diviser en deux parties. D’un côté, la qualité technique, qui se réfère au résultat du processus de servuction, i.e. au service lui-même au sens de Bancel-Charensol et Jougleux (1998), et de l’autre, la qualité fonctionnelle, c’est-à-dire la façon dont le client reçoit le service, et sa perception de la manière dont le service lui est délivré.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
158
(Grönroos, 2001), il semble logique de penser que le contenu de l’échange
passé aura une influence sur la manière dont le client abordera un échange
futur dans un cadre similaire de consommation (par exemple, avec la même
entreprise, le même employé, ou une autre entreprise appartenant au même
secteur que la précédente). Par exemple, si un client a une mauvaise
expérience, voire plusieurs, avec un chauffeur de taxi, il est probable qu’il
adopte progressivement un a priori négatif à l’égard de l’ensemble des
chauffeurs de taxi, ce qui est susceptible d’altérer le contenu des échanges
(donc la qualité du service) avec ces chauffeurs. Le deuxième élément qui
nous conduit à proposer cette notion d’inputs relationnels repose dans les
résultats de notre étude exploratoire. Nous avons montré que le client
influence la perception que le conseiller a de ses collègues de la plate-forme,
en lui faisant part de son opinion basée ses contacts avec la plate-forme
(contacts contraints ou volontaires, en fonction de la nature de la nature du
centre d’appels). La portée de cette idée d’inputs relationnels est alors
potentiellement très large, puisque dans ce cas, leur mobilisation par le client
(i.e. la transmission d’informations par le client sur l’échange qu’il a eu avec
un employé ou un système technique, à un autre employé) peut être en
mesure d’avoir un impact sur les relations à l’intérieur de l’organisation.
Figure 3-1 : Les composantes de la participation du client au service
PARTICIPATION CLIENT
Inputs mentaux Informations et efforts mentaux
Inputs physiques Biens matériels et efforts physiques
Inputs émotionnels
Émotions
Inputs financiers Prix payé
Inputs temporels
Temps
Inputs comportementaux
Comportements productifs
Inputs relationnels Contenu et qualité
perçue des échanges antérieurs
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
159
La figure 3-1 synthétise ces différentes catégories, qui sont bien sûr non exclusives les
unes des autres. Par exemple, participer à un programme d’amincissement requerra à la fois
du client qu’il exprime son besoin et comprenne le fonctionnement du programme (inputs
mentaux), s’efforce de limiter sa consommation de nourriture en dépit d’éventuelles
sensations de faim (inputs physiques), affronte les phases de découragement par lesquelles il
peut passer au cours du programme (inputs émotionnels), paie l’organisme qui lui établira un
programme de régime personnalisé (inputs financiers), accepte de prendre le temps de
participer aux réunions de suivi imposées par le programme (inputs temporels), au cours
desquels il doit être respectueux des animateurs et des autres clients qui suivent le même
programme (inputs comportementaux). En outre, au cours de ce programme, le client peut
avoir une altercation avec un des animateurs, qui risquera d’avoir des répercussions sur
l’ensemble de son comportement vis-à-vis des autres animateurs (inputs relationnels).
I.2.1.c) La nature des inputs comme source d’arbitrage entre les canaux.
Il convient de remarquer pour conclure qu’un client n’est aucunement tenu de
mobiliser dans toute situation l’ensemble de ces inputs, entre lesquels il peut arbitrer. Ainsi,
un client souhaitant ne pas se déplacer en point de vente pour limiter son effort (input
physique) et éviter de perdre du temps (input temporel) privilégiera de passer par Internet, ou
de téléphoner pour passer une commande, même si cela lui coûte les frais de livraison ou de
connexion (inputs financier). Par conséquent, nous proposons que le choix d’un canal de
distribution peut dépendre de l’arbitrage que le client fera entre la nature des inputs qu’il
consentira à mobiliser, ou sur la base de leur combinaison nécessaire à l’obtention du service.
I.2.2 Différents degrés de participation.
I.2.2.a) Un continuum de la participation.
Le client ne participe pas toujours de la même façon, ni avec la même intensité, au
service qui est lui est fourni. La définition de Dabholkar (1990) dans le tableau 3-2 en est
particulièrement révélatrice, lorsqu’elle parle du degré d’implication du client au service.
La détermination du niveau optimal de participation des clients à un service est
reconnue comme stratégiquement primordiale (Bowen, 1986). Mais ce niveau est également
hautement spécifique à chaque secteur, voire à chaque entreprise en fonction de l’organisation
et de la stratégie adoptées (Bitner et al., 1997 ; Larsson et Bowen, 1989 ; Mills et Morris,
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
160
1986). Aussi ne trouve-t-on pas d’étude fixant une fois pour toute ce niveau optimal, mais
plutôt des continuums de la participation, sur lesquels on peut fixer la « taille du rôle »161 des
clients (Rodie et Kleine, 2000 : 117), i.e. l’importance de leur participation.
Bowen (1986) distingue deux situations : celles où le client « agit seulement comme un
« co-producteur » avec les employés », de celles où il devient « le seul producteur » du
service ( : 378). Cette idée avait déjà été formulée par Fitzsimmons (1985), qui expliquait que
« selon le niveau d’implication du client, on peut envisager un spectre de systèmes de
production et de distribution de services allant du « faites-le-vous-même » à une dépendance
complète vis-à-vis du fournisseur » ( : 61).
D’autres travaux se sont depuis inscrits dans la même lignée. Par exemple, Kelley et
al. (1990 : 328) proposent deux extrêmes de la participation client. D’un côté, si le client est
familier du service, sa participation sera machinale : ses efforts, notamment cognitifs, seront
alors minimes. Bateson (2002) parle dans ce cas de « client expert ». Par contre, si il ne
connaît pas le service (« client novice » d’après Bateson, op.cit.), ou si celui-ci requiert des
efforts mentaux ou physiques importants, alors il sera « absorbé » par sa participation, qui
sera plus intense162. Ceci n’est pas non plus sans rappeler la distinction que posent Meuter et
Bitner (1998) entre trois types de production : la production assurée par l’entreprise, la
production jointe, et la production assurée par le client. Ce dernier type s’avère d’autant plus
fréquent que le développement technique offre des modes de self-service de plus en plus
élaborés (Bateson, 1985, 2002 ; Bitner et al., 2002).
Bitner et al. (1997), puis Zeithaml et Bitner (2003), à la suite de Hubbert (1995), ont
approfondi cette notion de continuum, et identifié trois niveaux de participation (tableau 3-3).
161 « Role size » (Rodie et Kleine, 2000 : 117), qui est « la proportion du service produit et distribué par le client lui-même » (ibid.). 162 Kelley et al. (1990 : 328) parlent respectivement de « mindlessness » (cas où le client est familier du service) et d’« engrossment » (si le client ne connaît pas le service ou si son obtention demande d’importants efforts).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
161
Tableau 3-3 : les 3 niveaux de participation du client selon le niveau de standardisation des services.
FAIBLE NIVEAU DE
PARTICIPATION
NIVEAU DE PARTICIPATION
MODÉRÉ
FORT NIVEAU DE
PARTICIPATION Degré de
standardisation / personnalisation
Les services sont standardisés
Les inputs du client permettent de
personnaliser un service standard
La participation active du client guide
un service qui est personnalisé
Production et distribution du service
Le service est fourni sans tenir compte de
l’achat individuel
La mise à disposition du service requiert
son achat par le client auquel il est destiné
Le service ne peut pas être créé en dehors de
l’achat et de la participation active du
client
Inputs du client
Le paiement peut être le seul input que
l’entreprise requiert du client (en dehors
de sa présence)
Les inputs du client sont nécessaires pour un résultat adéquat,
mais l’entreprise reste seul fournisseur
Les inputs du client sont obligatoires et participent à la co-
création du résultat de la servuction
Exemples Une nuit d’hôtel Une coupe de cheveux
Un programme de formation
personnalisé
Exemples transposés au multicanal bancaire
La consultation de comptes sur Internet
Le traitement d’une demande de crédit
véhicule
La gestion d’un portefeuille patrimonial
Sources : adapté de Bitner et al., 1997 : 194 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 353.
Dans le premier cas, seule la présence du client est requise. Dans le second, il doit
amener des inputs163 pour que l’entreprise puisse créer le service. Enfin, le troisième
correspond à ce qu’elles qualifient de véritable co-création du service entre le client et
l’entreprise : « les clients ont des rôles essentiels dans la production qui, si ils ne sont pas
remplis, affecteront la nature du résultat de la prestation » (Bitner et al., 1997 : 195). Placé
dans le cadre du multicanal, ce continuum peut permettre de mettre en place une stratégie de
distribution selon laquelle à chaque canal, serait assigné un niveau particulier de participation.
De cette manière, il serait possible de proposer (ou d’imposer) aux clients, en fonction du
niveau de participation qu’ils souhaitent atteindre (ou de celui que l’entreprise souhaite les
voir atteindre, nous y reviendrons), le canal correspondant.
Une telle stratégie mériterait toutefois d’être affinée. En effet, cette typologie n’est pas
exempte de critique. En particulier, nous émettons une réserve à son encontre, laquelle réserve
se rapporte à l’utilisation de technologies de self-service par le client (distributeurs
automatiques). En pareille situation, le service est standardisé, et peut être fourni sans tenir
163 Que Zeithaml et Bitner (2003) ramènent à de l’information, des efforts ou des possessions physiques (: 354).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
162
compte de l’achat individuel. Toutefois, ce service ne peut pas être créé en dehors de la
participation active du client, qui doit avoir appris à utiliser le distributeur, et doit enclencher
un certain nombre d’actions qui lui permettront d’obtenir le service qu’il désire. Il est de toute
évidence difficile de placer ce cas de figure dans l’une des cases du tableau 3-3. Une manière
d’affiner cette typologie serait ainsi de distinguer parmi différentes participations considérées
à l’aune de la nature des inputs (financiers, physiques, mentaux...) que doit mobiliser le client.
Cette présentation selon trois niveaux de participation reste proche de Bowen (1986)
ou de Meuter et Bitner (1998). Son intérêt principal est de mettre en avant l’importance de la
personnalisation du service, fortement liée au degré de participation du client. Cette
conclusion recoupe notamment celle de Kelley et al. (1990), puisque d’après eux, « pour
fournir un service personnalisé, il est important que le client ait un fort niveau d’implication
dans le service » ( : 329). L’implication est ici la contribution du client à la production du
service, notamment sous la forme d’efforts ou d’informations, et à laquelle Lovelock (1983)
fait notamment appel pour établir ses classifications des activités de services.
Nous retiendrons enfin la contribution de Chervonnaya (2003), qui s’est également
penchée sur les liens entre le niveau de standardisation / personnalisation du service, et le
degré de participation du client. En croisant le niveau de standardisation avec le « degré de
monopole du producteur sur la connaissance permettant de réaliser un processus de service
particulier » ( : 352), elle propose une typologie à quatre quadrants des processus de services,
qui permet d’établir le degré de participation du client approprié pour chacun de ces
processus. Le degré de participation est dans ce cas assimilé à un ou plusieurs rôles que joue
le client au cours de la servuction164.
I.2.2.b) Le client comme seul producteur ?
Précédemment, nous avons mentionné que la littérature désignait parfois le client
comme quasiment seul producteur du service (e.g. Bowen, 1986 ; Meuter et Bitner, 1998),
dans le cas où ce dernier est face à une technologie de self-service. Cette notion a été a été
reprise et récemment poussée à l’extrême par Namasivayam (2003), qui regrette que « la
plupart de la recherche en management des services voit implicitement le fournisseur du
service comme le « producteur » du service prêt à être consommer par le consommateur » (:
421). D’après lui, cela sous-estime l’importance du rôle de co-producteur que joue le client, et
il propose de voir dans le client le « seul producteur » du service. L’entreprise aura
164 Nous reviendrons ultérieurement, au cours de ce chapitre, sur la notion de rôle joué par le client.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
163
uniquement comme rôle de favoriser ou de faciliter la production du service165, que celle-ci
mobilise uniquement des technologies de self-service ou non.
Nous marquons notre désaccord à l’adresse de cette vision que nous pensons être trop
extrême. Nous reconnaissons l’importance indéniable du client dans le processus de
servuction. Néanmoins, dire à l’instar de Namasivayam que l’entreprise de service ne fait que
mettre à disposition du client un ensemble de composants parmi lesquels ce dernier fait son
choix, et qu’il combine selon sa propre volonté, nous paraît par trop réducteur.
Qui plus est, le client est assimilé à une ressource dans le processus de servuction. Or,
Lorino (1995) avance qu’une ressource ne peut être considérée comme telle que si elle a une
contribution potentielle ou réelle à un processus créateur de valeur : « sans le processus qui la
mobilise, la ressource n’existe pas » (Lorino, 1995 : 66). Autrement dit, comme le client ne
peut pas produire son service en indépendance totale des éléments mis à sa disposition par
l’entreprise, il peut difficilement en être considéré comme le « producteur unique » 166. Pour
cette raison, nous préférons à cette expression celle de « producteur essentiel » de la
prestation.
I.2.2.c) Le niveau de la participation comme source d’arbitrage entre les canaux.
Nous avons proposé que la nature des inputs mobilisés, de même que leur
combinaison, peuvent être une explication de l’arbitrage que peut être amené à faire un client
entre plusieurs canaux (cf. p 159). Par ailleurs, le tableau 3-3 permet de penser que, en
fonction des canaux, le niveau de participation sera différent, comme nous l’avons souligné.
Ainsi, par-delà leur nature, ou leur combinaison, nous pouvons suggérer que la quantité des
inputs, qui détermine le niveau de la participation demandée, intervient également dans
l’arbitrage que réalise un client entre plusieurs canaux de distribution.
165 « This view highlights the role of the consumer as sole “producer” and the service provider as “enabler” or facilitator in the production or assembly of the product » (Namasivayam, 2003 : 421). 166 Pour être complet, il convient de préciser que cette omission peut également provenir de problèmes de traduction d’écrits anglo-saxons. En effet, le producteur du service, ou « provider », correspond à l’employé en contact avec le client, et chargé de réaliser le service. En ce sens, l’on pourrait dire que le seul « provider » du service serait le client, même si d’après nous il s’agit d’une vue de l’esprit beaucoup trop partielle : si les systèmes d’informations ou les matériels techniques mis à la disposition du client pour la production du service sont défaillants, c’est cette dernière en tant que prestataire de services qui en sera tenue pour responsable.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
164
I.2.3 Ce que n’est pas la participation.
Nous refermons cette première section en soulevant quelques interrogations théoriques
quant à la possibilité de considérer la participation comme construit résultat de la
combinaison de différentes notions. La littérature renferme en effet plusieurs concepts qu’il
serait aisé de confondre avec celui de la participation du client, dont ils diffèrent pourtant
conceptuellement (Rodie et Kleine, 2000). Certains pourraient cependant être considérés
comme des composantes de la participation, à l’instar du premier d’entre ceux qui suivent.
I.2.3.a) La participation ne se limite pas au contact.
L’expression « contact client » fut introduite pour la première fois par Chase en 1978,
même si des travaux antérieurs en avaient posé les prémices, ainsi que le rappellent Kellog et
Chase (1995). Elle renvoie alors « à la présence physique du client dans le système » (Chase,
1978 : 138). L’étendue du contact y est définie comme « le pourcentage de temps pendant
lequel le client doit se trouver dans le système, relativement au temps total que cela prend
pour le servir » (ibid.). Ce temps passé dans le système correspond en fait au temps que le
client passe avec l’employé qui doit lui fournir le service. Le contact entre l’employé et le
client n’est pas obligatoirement physique, de face-à-face, mais peut intervenir par le biais de
média de communication (Bitran et Hoech, 1990).
Chase se situe dans la lignée de Thompson (1967), qui préconise que le « cœur
technique » de l’entreprise doit être coupé de l’environnement, donc des clients167. Il émet
l’hypothèse que moins le client passe de temps dans le système de production, plus en sera
accrue l’efficience de l’entreprise (Chase, 1978, 1981). En effet, une telle organisation permet
de limiter l’incertitude inhérente à la présence du client dans le système (op.cit.). Il prend soin
de préciser que cela n’est pas possible pour tout type de service, ce qui l’amène à distinguer
entre les systèmes à fort et ceux à faible contact. Toutefois, Chase est peu disert sur l’intensité
ou la nature des actions que le client doit entreprendre pour participer à la production /
livraison du service durant cette période de contact168. De surcroît, nous abondons dans le sens
de Canziani (1997) lorsqu’elle écrit que Chase ne propose en fait qu’une simple substitution
d’un type de contact à un autre lorsqu’il distingue entre ces deux systèmes. 167 Nous verrons dans le chapitre 4 qu’une autre lecture des travaux de Thompson est envisageable. 168 De cette manière, nous pouvons aller jusqu’à dire qu’un faible niveau de contact ne correspondra pas forcément au faible niveau de participation de Bitner et al. (1997), par exemple. Si le client reste peu en contact, mais donne force informations ou a une activité intense dans le système de servuction pendant un bref délai, il peut bénéficier d’un service standardisé qui, dans la typologie de Bitner et al., correspond à un fort niveau de participation, tandis que le contact tel que défini par Chase aura été de courte durée.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
165
Des travaux plus récents ont tenté d’opérationnaliser cette notion de contact client en
utilisant trois mesures : la durée de la communication entre l’employé et le client ; la valeur
de l’information échangée entre les parties, et la confiance mutuelle entre l’employé et le
client au cours de l’échange (Kellog et Chase, 1995). Il n’en demeure pas moins que Rodie et
Kleine (2000) font observer que le contact reste un concept qui relève de la perspective de
l’entreprise, à l’inverse de la participation qui relève du client, en ce qu’elle « couvre
l’ensemble des inputs du client à la production et livraison du service, et n’est pas contrainte
par les frontières d’une seule rencontre de service » ( : 112). Pour autant, la confusion
survient parfois dans la littérature. Par exemple, l’étude empirique réalisée par Fitzsimmons
(1985) montre qu’il se situe dans une perspective de contact client (tandis qu’il affiche
clairement son intention de parler de participation). Au final, et compte tenu de ce que nous
présenté de la participation jusqu’à maintenant, il paraît raisonnable de dire que le contact
peut être caractérisé comme étant une dimension de la participation du client.
I.2.3.b) La participation ne se limite pas à l’engagement ou l’implication169.
Au quotidien, la participation du client peut être décrite comme une implication, un
engagement du client dans le processus de création du service. La littérature en marketing et
en comportement du consommateur pose une différence entre les deux notions, puisque
définissant l’engagement comme « le niveau d’identification psychologique [du client] avec
le service et avec le fournisseur de service » (Bowers et al., 1990 : 56). Il s’agit donc de ce
que Rodie et Kleine (2000) appellent une « caractéristique dispositionnelle » ( : 112) du
client, qui renvoie à l’idée d’une certaine proximité entre celui-ci et l’entreprise qui lui fournit
le service (Siehl et al., 1992 : 541). L’implication n’est alors qu’un ensemble de
prédispositions qui accompagnent le client au moment de la rencontre de service. A l’opposé,
la participation du client survient à travers son ou ses comportements qui interviennent au
moment de la co-création du service (Rodie et Kleine, 2000). Il n’empêche que leur emploi
est occasionnellement indifférencié dans la littérature, comme dans le cas du contact client (à
titre d’exemples, nous citerons comme tels les travaux de Julian et Ramaseshan, 1994 ; Mills
et Moberg, 1982 ; Song et Adams, 1993).
D’un autre côté, Cermak et al. (1994), tout en reconnaissant que participation et
implication sont deux notions différentes, précisent qu’ont été mises au point plusieurs
169 La langue anglaise utilise le terme « involvement », qui supporte au moins trois traductions : la participation ; l’implication ; l’engagement, qui sont trois concepts distincts dans la littérature (e.g. Cermak et al., 1994).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
166
échelles de l’implication qui la considèrent, au moins partiellement, comme un
comportement. Développant leurs arguments, ils en arrivent à cette conclusion : « il semble
approprié de réserver le terme d’implication pour se référer aux attitudes ou aux états du
client, et d’utiliser la participation pour désigner les comportements relatifs à la spécification
et à l’utilisation d’un service. De cette manière, la participation inclut des aspects pertinents
de l’implication » ( : 92). Autrement dit, à l’instar du contact, l’implication peut être
considérée comme une dimension de la participation.
I.2.3.c) La participation ne se limite pas à la consommation.
L’inséparabilité caractérisant les services renvoie à la simultanéité de leur production,
distribution et consommation. Mais la production, nous nous sommes employés à le montrer,
mobilise des actions et ressources de la part du client, au contraire de la consommation, qui
place le client dans une situation plus passive au cours de laquelle il « bénéficie des avantages
de la production et de la distribution » (Rodie et Kleine, 2000 : 113).
Cette distinction conceptuelle est parfois moins aisée dans la pratique, où peuvent être
intriquées les deux activités. Cela dépend alors de la nature du service et du contexte dans
lequel il intervient (Chervonnaya, 2003 ; Rodie et Kleine, 2000). Comme le notent Rodie et
Kleine (op.cit.), il est aisé de distinguer les actions entreprises par le client pour produire et
obtenir (distribution) son service de la consommation lorsqu’il s’agit de services juridiques,
ou d’un coiffeur. C’est plus difficile si il s’agit d’un service à forte composante expérientielle
comme un safari, par exemple. Ainsi, de même que le contact et l’implication, pouvons nous
avancer que la consommation peut s’analyser comme étant une des composantes de la
participation170.
I.2.3.d) Contact + engagement + consommation = participation ?
Généralement, la littérature s’est attachée à distinguer la participation du contact, de
l’engagement ou de la consommation (Cermak et al., 1994 ; Chervonnaya, 2003 ; Rodie et
Kleine, 2000). En revanche, les liens potentiels entre ces quatre notions restent, à notre
connaissance, inexplorés. En effet, il conviendrait de s’interroger : puisque le contact,
l’engagement et la consommation sont, à en croire les travaux précités, des sous-parties de la
170 Des recherches complémentaires doivent cependant être réalisées pour clarifier ces distinctions entre participation et consommation, en fonction des contextes et de la nature du service (Rodie et Kleine, 2000 : 113).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
167
participation du client, est-il possible d’aller jusqu’à dire que l’addition du contact, de
l’engagement et de la consommation équivaut à la participation ? Et dans ce cas, cette
addition procède-t-elle d’une logique séquentielle ? Ou la participation est-elle plus riche
encore, et transcende cette simple addition ? Notre objectif n’est pas de répondre à cette
question, mais de soulever une interrogation dans l’espoir qu’elle stimulera de futures
recherches dans cette voie.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
168
SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.
Pourquoi le client décide-t-il de participer ? La question mérite d’être posée, puisque
l’on pourrait s’attendre à ce qu’il préfère être servi par l’entreprise, plutôt que de s’investir
dans la production de ce qu’il reçoit, et remplacer partiellement son prestataire. Or, pour que
l’entreprise bénéficie des avantages découlant d’une stratégie multicanale (ou en limite les
inconvénients), il faut que le client adhère à celle-ci. Cela n’est pas assuré à l’avance,
puisqu’une telle stratégie conditionne en règle générale, nous l’avons dit, une modification
qualitative et / ou quantitative de la participation du client.
En outre, s’intéresser à la participation revient le plus souvent à envisager le client
comme un « employé partiel » de l’entreprise (Mills et Morris, 1986). Cette réflexion conduit
Bowen à suggérer que « les stratégies de gestion du comportement du client dans la
production et la distribution d’un service peuvent être tirées des modèles de comportement
des employés » (Bowen, 1986 : 378). Cela débouche sur plusieurs critères influençant le client
à participer ou non au service, qui dans le cas du multicanal par exemple, peuvent permettre à
l’entreprise de faire en sorte que le client comprenne les transformations attendues de sa
participation, les accepte plus facilement, etc…
La difficulté de leur traitement tient en ce que ces critères se rapportent à deux
catégories différentes et interreliées171. La première reprend un ensemble de caractéristiques
spécifiques au client (II.1), qui peuvent être influencées par la seconde que représentent
certaines actions de l’entreprise (II.2), puisqu’elle agit par exemple largement sur la clarté de
la participation. Nous concluons cette section en montrant de quelle manière ce qui précède
peut conduire un client à arbitrer entre différents canaux (II.3)
171 La littérature en identifie une troisième, qui est l’influence potentielle des autres clients sur la participation, même si les relations entre participation client et interactions entre clients sont l’objet de peu de travaux (Parker et Ward, 2000). En quelques mots, si certains clients connaissent mieux l’entreprise ou savent mieux utiliser les services qu’elle propose, ils sont en mesure d’influencer la qualité et le degré de participation des nouveaux clients. Ainsi, Bowers et al. (1990) insistent sur l’importance de définir « le travail des clients » (: 62), afin que ceux qui savent exactement ce qu’ils ont à faire puissent venir en aide aux autres. Par exemple, dans un club de sport, un habitué sera en mesure de renseigner un novice sur le mode d’utilisation des machines de musculation, sur la qualité des professeurs de sport,... Bowers et al. (op.cit.) poursuivent en expliquant que « l’utilisation de clients comme mentors pour d’autres clients permet d’enrichir le contenu des interactions subséquentes avec les employés en contact » ( : 63), phénomène formalisé par Bateson (2002) (clients « experts » vs clients « novices »). Par observation (Mills et Morris, 1986 : 371) et / ou imitation des premiers, les seconds peuvent développer leurs capacité à participer. Le bouche à oreille positif de la part des clients experts permet également d’améliorer la participation des nouveaux clients (File et al., 1992).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
169
II.1 LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION INHÉRENTS AU CLIENT.
A la suite de Bowen (1986), Rodie et Kleine (2000) proposent trois déterminants de la
participation : l’importance de la participation, la capacité, et la volonté du client à participer.
Bitner et al. (2002), dans une étude sur l’adoption des technologies de self-service, intègrent
dans ce qu’ils appellent le niveau de préparation du client172, la capacité, la clarté du rôle, et la
motivation des clients. Lengnick-Hall et al. (2000) mettent en avant trois facteurs essentiels à
la participation : la clarté perçue de la tâche assignée au client, sa capacité ou compétence
technique, et sa motivation. Enfin, Goodwin (1988) insiste sur l’importance de la prise de
conscience de cette participation par les clients.
Nous retenons pour notre part quatre déterminants majeurs : la prise de conscience
(II.1.1) ; la clarté perçue du rôle attribué au client (II.1.2) ; la capacité perçue (II.1.3), et enfin
la volonté du client à participer (II.1.4). Nous excluons temporairement l’importance173 du
champ de notre analyse, dont Rodie et Kleine (2000) soulignent qu’elle est essentiellement
déterminée par l’entreprise, même si elles précisent qu’elle dépend bien évidemment de la
capacité et de la volonté du client à participer. Nous abordons pour finir les liens potentiels
entre ces quatre déterminants (II.1.5).
II.1.1 La prise de conscience.
II.1.1.a) Définition
Tout au long de sa vie et de sa confrontation à des services différents, le client suit un
processus de socialisation centré sur l’apprentissage de rôles spécifiques (Goodwin, 1988 ;
Kelley et al., 1990). Il s’agit pour lui de prendre conscience174, d’apprendre, puis d’internaliser
le ou les rôles qu’il devra adopter au cours des différentes étapes de la production d’un
service, donc la participation qui lui est demandée, et ses modalités de mise en œuvre. Cela
rejoint ce que Kelley et al. appellent « l’identification de rôle », c’est à dire le degré auquel un
individu s’identifie à un rôle spécifique ou à un ensemble de comportements (Kelley et al.,
1990 : 328). Cette identification va entraîner ou faciliter la mise en œuvre de ces
comportements en fonction de la situation dans laquelle se trouve l’individu.
172« Customer readiness », que l’on peut également traduire par « l’empressement du client à participer ». 173 « Role size », Rodie et Kleine, 2000 : 117. Nous reviendrons sur l’importance du rôle lorsque nous spécifierons l’influence de l’entreprise sur la participation (cf. p. 180). 174« Awareness » (Goodwin, 1988 : 72)
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
170
II.1.1.b) Trois niveaux de prise de conscience.
Cette prise de conscience peut s’envisager à trois niveaux. Tout d’abord, le client doit,
tout simplement, être conscient qu’il lui faut participer au service pour l’obtenir, ce que nous
appellerons la prise de conscience de l’existence (ou du besoin) de sa participation. Elle
émerge essentiellement lorsque le client est confronté à une situation nouvelle : nouveau
service, ou changement dans un service existant, par exemple : « L’individu devient conscient
des exigences de rôles quand il ou elle présente un « moi » inapproprié à la situation »
(Goodwin, 1988 : 72). Dans les autres situations (c’est à dire quand son « moi » est approprié
à la situation, pour paraphraser Goodwin) le client sait qu’il doit agir, et de quelle manière il
doit agir. Il a pour cela appris des scripts175 qu’il connaît et mobilise en situation pour se
guider dans les étapes de la servuction impliquant sa participation.
Il lui faut également être conscient des modalités et de l’importance de cette
participation : que doit-il faire, de quelle manière, où doit-il se rendre... ? Le troisième niveau,
enfin, est celui de la prise de conscience des avantages de la participation (Bowen, 1986 :
381) : que peut-il en retirer ?
En d’autres termes, si le client ne prend pas conscience de la nécessité de sa
participation, en saisit mal les dimensions (i.e. quels sont les rôles qu’il doit remplir), ou ne
voit pas les avantages qu’il peut en recueillir, soit il ne participera pas, soit il participera mal,
ce qui risque d’avoir des effets négatifs tant pour lui (e.g. une moindre satisfaction) que pour
l’entreprise (e.g. une moindre productivité). D’où la nécessité pour l’entreprise d’exposer
clairement les modalités de la participation qu’elle attend de la part du client, comme nous le
verrons plus loin.
En dépit de son importance, et de ce qu’elle semble un préalable logique à l’évaluation
par le client de la participation qui lui est demandée, de sa capacité et de sa motivation à
l’assurer, cette prise de conscience a fait l’objet de peu de recherches conceptuelles, et moins
encore empiriques.
175 Un script est « un ensemble de comportements appropriés à une situation et qui accroissent la probabilité d’atteinte de l’objectif. Chaque participant a un rôle à jouer, et le script qu’il utilise est souvent strictement défini » (Solomon et al., 1985 : 101).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
171
II.1.2 La clarté du rôle perçue par le client.
II.1.2.a) Définition et sources de la clarté du rôle perçue par le client
La clarté du rôle176 perçue par le client est « un aspect de la connaissance qui
contribue à la capacité » du client à participer au service (Rodie et Kleine, 2000 : 117 ;
Chervonnaya, 2003 : 361). Le client doit savoir et comprendre ce qu’il a à faire (Bowen,
1986 ; Bitner et al., 2002), « comprendre comment exécuter un rôle » (Rodie et Kleine, 2000 :
117). Elle est donc nécessairement perçue, puisque dépendante de la manière dont le client va
comprendre le rôle que l’entreprise attend qu’il remplisse.
Cette clarté du rôle est très importante : Bitner et al. (1997) montrent par exemple que
plus le niveau de connaissance et de compréhension du rôle attendu est élevé, plus la
propension des clients à participer est forte, confirmant les allégations de Mills et al. (1983).
Rodie et Kleine (2000 : 117-118) identifient quatre sources de ce déterminant de la
participation qui sont propres au client :
Ø La première est l’expérience propre du client avec un fournisseur de services
particulier. Celle-ci lui permet de développer un script facilitant la co-
production du service avec un fournisseur spécifique.
Ø La seconde est l’expérience accumulée par le client dans des contextes
similaires (Bowen, 1986 : 379).
Ø Ensuite, un client qui découvre un contexte de service totalement nouveau
pour lui peut se reposer sur d’éventuelles expériences antérieures dans des
contextes similaires, et…
Ø […] En pareille situation, il pourra également prendre modèle sur le
comportement des autres clients.
II.1.2.b) De l’ombre à la lumière.
A nouveau, la clarté du rôle n’est pas figée, mais s’inscrit dans une dynamique. « Au
cours d’une rencontre de service, les clients redéfinissent leur rôle à mesure qu'ils
accumulent plus d’expérience avec le service et le fournisseur particulier de ce service »
176 Kelley et al. (1990) parlent de « direction motivationnelle » (: 321).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
172
(Goodwin, 1988 : 74). Bateson (2002) le confirme, qui oppose les clients entre eux de par leur
niveau de connaissance et de compréhension (organisation des connaissances) du service.
Un client découvrant un nouveau service soulèvera donc peu à peu le voile qui
obscurcit les modalités de sa participation, qu’il assimilera plus ou moins rapidement.
L’entreprise a dès lors tout intérêt à éclaircir autant que possible le rôle des clients. Il existe
donc d'autres sources de la clarté du rôle pour le client, générées par l'entreprise177, comme
nous le verrons plus loin (cf. p. 182).
II.1.3 La capacité du client à participer au service.
II.1.3.a) La capacité perçue à participer.
Pour Bitner et al. (2002), la capacité du client est « la capacité perçue [par le client] à
réaliser le comportement [attendu ou demandé par l’entreprise] » (: 103). Rodie et Kleine
(2000) étendent cette définition, considérant que « la capacité du client se réfère à la
possession par les clients des ressources nécessaires pour participer au niveau de rôle idéal,
c’est à dire, les niveaux spécifiés par l’entreprise pour atteindre une qualité de service et une
satisfaction optimales. Dans le sens le plus large, la capacité inclut toutes les ressources
pertinentes comme la connaissance, la compétence, l’expérience, l’énergie, l’effort, l’argent
ou le temps » (: 117). Elles sont suivies par Chervonnaya (2003) : « la capacité du client [est]
la capacité de réaliser son rôle » 178 ( : 354).
Cette notion est proche de celle de « compétence client » développée par Canziani
(1997) : c’est « le niveau de correspondance entre les inputs du client (capacité,
connaissance et motivation) et les rôles correspondants des clients dans les systèmes de
production et de distribution des entreprises » ( : 8). Puis cet auteur distingue la compétence
client générique, de la compétence client spécifique : la première « se réfère à l’adéquation
des connaissances, des capacités et des motivations avec les rôles les plus généraux que les
gens tiennent dans les entreprises de service » (ibid.), tandis que la seconde porte plutôt sur
l’adéquation de ces mêmes connaissance, capacité et motivation aux procédures spécifiques
177 Et par les autres clients, comme nous l’avons évoqué antérieurement. 178 La nature tautologique de cette définition a de quoi surprendre le lecteur, puisque nous écrivons que « la capacité [est] la capacité... ». Comme souvent, il s’agit ici d’un point de traduction, plusieurs synonymes étant utilisés dans la littérature anglo-saxonne pour traiter de notions proches, voire identiques. Ainsi, Bitner et al. (2002) parlent de« customer ability », de même pour Rodie et Kleine. Par contre, Chervonnaya (2003) emploie le terme de « customer skill », Prahalad et Ramaswamy de « customer competence », et enfin, Canziani (1997), de « customer competency ».
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
173
utilisées par une seule entreprise (et plus précisément, par un système de production /
distribution spécifique).
Ces trois définitions sont relativement proches, à ceci près que celle de Bitner et al.
(2002) a l’intérêt non négligeable de souligner explicitement que c’est la perception que le
client a de sa (ou ses) propre(s) capacité(s) à participer qui est le plus important, dimension
implicitement présente chez les autres auteurs cités. Bitner et al. se font en cela l’écho de
Goodwin (1988), lorsqu’elle écrit que « les gens qui se sentent impuissants affichent souvent
une performance moindre dans une grande variété de contextes » ( : 74). Dès lors, même si
l’entreprise considère que son client a (ou devrait avoir) les capacités intellectuelles,
financières,... pour participer, sans que cette vision soit partagée par le client, elle se trouvera
rapidement en situation d’échec, à moins d’aider le client à modifier sa propre perception.
Dans le cas d’un self-service, cette capacité se traduit de deux manières (Bitner et al.,
2002). Le client doit disposer des infrastructures ou du matériel nécessaires à l’obtention du
service. Par exemple, pour utiliser un service de banque à domicile via Internet, il doit avoir
un ordinateur, ainsi qu’un abonnement et une connexion Internet. Mais il doit aussi, et c’est la
seconde forme de capacité, se sentir capable d’utiliser la (ou les) technologie(s) qui sous-
tend(ent) le service. Ainsi, même si ce client possède un ordinateur et est doté d’une
connexion à Internet, il n’utilisera peut être pas le service que lui propose sa banque si il se
sent perdu, ne sait pas où se diriger, craint de faire de fausses manipulations…
II.1.3.b) Une capacité dynamique.
Cette notion de compétence, ou de capacité du client, à participer, s’est vue
approfondie par les travaux de Prahalad et Ramaswamy (2000) : « la compétence que les
clients apportent est une fonction de la connaissance et des capacités qu’ils possèdent, de
leur volonté à apprendre et à connaître des expériences, et de leur capacité à s’engager dans
un dialogue actif » ( : 80). Ils dépassent la simple co-production du service par le client, pour
s’engager dans une réflexion plus vaste autour de la co-création de valeur entre l’entreprise et
le client, vue comme « l’avenir de la concurrence » 179 (2004). L’apport de ces auteurs est de
considérer la capacité du client à participer comme fondamentalement dynamique, dont les
possibilités d’évolution sont, en particulier, étroitement liées à l’explosion de l’utilisation
d’Internet. Cet aspect dynamique est également souligné par Chervonnaya (2003). 179 Il ne s’agit rien moins que du titre de leur ouvrage paru en 2004 : Prahalad, C.K et Ramaswamy V. (2004), The Future of Competition, Co-Creating Unique Value with Customers. Boston, Massachussets: Harvard Business School Press.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
174
Le client doit donc être capable de participer à la production / distribution du service,
ce qu’il sera d’autant plus en mesure de faire qu’il disposera de ressources, compétences,
connaissances, en adéquation avec les exigences du prestataire. Sa capacité à participer n’est
en aucun cas figée, et l’entreprise dispose de puissants leviers pour la faire évoluer (cf. p 183).
II.1.4 La volonté du client de participer au service.
II.1.4.a) Une volonté variable selon les clients.
Le dernier déterminant est le désir affiché par le client de participer au service. Ceci
est très important, car tous les clients ne veulent pas forcément participer au service, ou pour
le moins, tous ne souhaitent pas participer forcément de la même façon, ou avec le même
degré d'intensité (Bowers et al., 1990 : 65 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 367). En ligne avec
cela, Bateson (Bateson, 1983 ; 1985) a empiriquement montré d’un côté que certains clients
étaient par nature attirés par des « self-services », c’est-à-dire des services impliquant un fort
niveau de participation, tandis qu’existait à l’opposé une frange de consommateurs que le
self-service n’intéressait pas du tout. A cela, trois explications possibles :
Ø Le client ne perçoit pas, ou mal, les avantages qu’il pourrait retirer de sa
participation.
Ø Le client présente des caractéristiques personnelles (psychologiques,
comportementales...) qui font qu'il n'a pas envie de participer.
Ø Le client considère, par exemple, qu'il n'a pas les capacités nécessaires pour
participer au service, ou que l'importance de la participation qui lui est
demandée est trop élevée.
Ces trois éléments constituent autant de facteurs susceptibles d'influencer le degré de
motivation (ou de volonté) du client, et de faire la lumière sur les différences entre les niveaux
de participation d’un client à un autre, ou pour un même client d’un service à un autre.
II.1.4.b) Moteurs et freins de la volonté à participer.
Rodie et Kleine (2000) font remarquer que : « comme la plupart du temps dans la vie,
en fonction de l'opportunité, les gens/clients participent dans la mesure où leurs bénéfices
sont supérieurs à leurs coûts » (: 118). Elles identifient ainsi trois catégories non exclusives
d'avantages incitant le client à participer, mais qui, en conséquence, représentent autant de
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
175
freins potentiels. A celles-ci nous ajoutons une quatrième, issue de Kelley et al. (1990) : le
degré d'identification du client à son rôle.
II.1.4.b.(1) Maximiser l'efficience du processus. Puisque la participation du client permet un transfert de coût de l’entreprise sur le
client, ce dernier attend de la première qu’elle lui rétrocède tout ou partie de ces économies, et
ce d’autant plus qu’une des dimensions de sa participation est monétaire. Un prix plus faible
est une traduction claire de cette rétrocession, dont l’impact est positif sur la volonté des
clients à participer. Ainsi, Fitzsimmons (1985) a t-il montré que les clients affichaient une
volonté plus importante s'ils étaient récompensés par un prix inférieur pour obtenir le service
auquel on leur demandait de participer.
Mais, comme le fait remarquer Bowen (1986) : « les clients ne sont pas uniquement
conduits par des besoins économiques » (: 381). C'est pour cette raison que des auteurs ont
mis l'accent sur l'existence de coûts non monétaires comme le temps, des efforts physiques,
ou encore des coûts sensoriels180. Dans cette optique, à la suite de ce qu'avait proposé Bowen
(1986), des recherches ont permis de montrer que, notamment dans le cas de l'utilisation de
technologies de self-service, la motivation du client à participer était d'autant plus forte que
celle-ci lui permettait de gagner du temps (Bateson, 1983, 1985 ; Bitner et al., 2002 ; Bowers
et al., 1990). Outre le temps que le client peut gagner, la facilité d'utilisation du service entre
également dans la détermination des coûts non monétaires, puisqu'elle limite les efforts
physiques ou intellectuels du client. Autrement dit, plus un service est facile d'utilisation, et
plus le client sera prêt à participer (Fitzsimmons, 1985 ; Bowers et al., 1990).
II.1.4.b.(2) Maximiser l'efficacité et la qualité du service reçu.
Le second élément susceptible de motiver le client n'est autre que l'amélioration de
l'efficacité et de la qualité du service reçu. Nous avons déjà souligné que certains services ne
peuvent être délivrés que grâce aux inputs qu’apporte le client : des biens matériels lui
appartenant, de l'information, de la communication... En de telles circonstances, si le client
refuse de participer, soit il ne pourra pas disposer du service, soit ce dernier aura un niveau de
qualité déplorable (Rodie et Kleine, 2000). Ainsi, certains clients « participent uniquement
pour réduire la probabilité d'obtenir un service de qualité insuffisante » (ibid.). Nous y
reviendrons plus loin, mais nous pouvons d'ores et déjà préciser que le niveau de participation 180 Nous les avons évoqué au cours de notre discussion sur les composantes de la participation (cf. p 155). Pour une synthèse, voir Lovelock et Lapert, 1999 : 268 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 482-483
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
176
a tendance à augmenter dès lors que les clients pensent qu'ils sont sur le point d'obtenir un
service de qualité non satisfaisante (Kellog et al., 1997). En d'autres termes, les clients seront
d'autant plus prompts à participer qu'ils «percevront que leur participation active améliore la
qualité ou la valeur du service » (Bowers et al., 1990 : 65).
En outre, d'après Kelley et al. (1990), les clients ayant des attentes précises tant quant
aux ressources qu'ils devront mobiliser durant la rencontre de service, que quant à la manière
dont ils devront les mobiliser, participeront certainement plus volontiers que les autres clients
(Bitner et al., 1997 ; Schneider et Bowen, 1995). Notons que ces attentes peuvent être
influencées par l'entreprise, en fonction de la façon dont elle éclaircira les modalités de la
participation du client (cf. p. 180).
Enfin, le client peut être motivé à participer dans l'espoir d'améliorer la qualité future
du service fourni. Nous touchons alors à son comportement de réclamation, c'est-à-dire que
nous sommes dans une perspective particulière par rapport à nos propos antérieurs. La
participation du client se fait ex-post, puisque sa réclamation intervient le plus souvent après
l'obtention du service. Toutefois, cette réclamation implique des efforts (intellectuels, en
temps,...) que le client ne sera prêt à consentir que si il pense que son fournisseur remédiera
réellement aux problèmes (Snellman et Vihtkari, 2003 ; Zeithaml et Bitner, 2003).
II.1.4.b.(3) Des avantages psychologiques. Le client peut retirer plusieurs avantages psychologiques de sa participation, au
caractère fortement incitatif. Ceux-ci sont grandement liés à certaines de ses caractéristiques
personnelles (facteurs attitudinaux, comportementaux ou psychologiques, etc.), mais
constituent à ce jour l’objet de trop peu de recherches, comme le déplorent Bendapudi et
Leone (2003).
Ainsi, un certain attrait pour la nouveauté, ou une possibilité de se divertir tout en
participant peuvent amener les clients à participer (Dabholkar, 1996, 2000). C'est ainsi que
l'on sait que, même en l'absence des avantages précités, certains clients aiment tout
simplement participer au service, car ils apprécient le simple fait de prendre part à sa
production (Bateson, 1985 : 73). Pour ces clients, la volonté de participer transcende même
les catégories de services (Bateson, 1983, 1985 ; Langeard et al., 1981).
Un autre avantage psychologique pouvant amener le client à participer plus activement
à la servuction est le niveau de contrôle perçu par le client. Dans son étude de 1985 sur
différents types de self-service (station-service, banque de détail, fast-food, aéroport, hôtel,
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
177
agence de voyages), Bateson a montré que plus le client avait une forte sensation de contrôle
sur le service, et plus il était motivé à participer. Ces résultats furent renforcés par ceux de
Dabholkar (1996). D'autres recherches menées dans le milieu médical ont aussi mis en
évidence l'importance du niveau de contrôle perçu181. L'amélioration de l'image de soi
résultant de cette indépendance et de ce contrôle perçus peuvent expliquer une plus forte
motivation du client (Fitzsimmons, 1985 : 67).
Il ne faut pas non plus négliger que le client, du fait de sa participation, est
partiellement responsable de la qualité du service qu'il reçoit, et du confort qu'il peut en
retirer. Pour cette raison, Goodwin explique que l’acceptation ou non de cette responsabilité
aura un effet important sur sa volonté de participer au service (Goodwin, 1988 : 74).
II.1.4.b.(4) Le degré d'identification du client à son rôle. Pour Kelley et al. (1990), « le client joue deux rôles uniques [au cours du processus
de servuction] : le rôle traditionnel du client, et le rôle de l'employé partiel » (: 329). En
fonction de son niveau d'identification à l'un ou l'autre de ces rôles, le client aura un
comportement différent, et en particulier, sa volonté de participer ou non au service sera
différente. « Les clients qui s'identifient plus fortement au rôle traditionnel du client seront
moins prêts à modifier leur comportement (ce qui peut être nécessaire pour eux afin de
contribuer efficacement aux ressources de la transaction) » (ibid.).
Ces auteurs envisagent donc le client comme un acteur à double facette, dont le niveau
d’identification à l’un ou l’autre des deux rôles qu’il peut endosser aura un impact sur sa
volonté à participer au processus de servuction.
II.1.4.c) Le caractère processuel de la volonté de participer.
Tout comme la capacité du client à participer, et la clarté de son rôle, la volonté du
client de participer au service n'est pas déterminée une fois pour toutes. En effet, différentes
actions de l'entreprise de services (par le biais de méthodes de socialisation organisationnelle,
Kelley et al., 1990) peuvent l'influencer, comme nous le verrons plus loin.
II.1.5 Des déterminants interdépendants ?
Même si, à notre connaissance, aucune étude empirique ne l'a montré, il semblerait
que prise de conscience, clarté du rôle, capacité, et volonté du client et ne soient pas
181 Langer, Janis et Wolfer, 1975 ; Dennis, 1987, cités in Rodie et Kleine, 2000 : 120.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
178
indépendants les uns des autres. Pour Rodie et Kleine (2000), « des changements dans le mix
des ressources du client (i.e., sa capacité) pourraient modifier sa volonté à participer à
différents aspects du service » (: 118). Goodwin (1988) envisage dans le même sens cette
relation entre capacité et volonté, tout comme ou Kelley et al. (1990). Ce lien est
empiriquement établi chez Kelley et al. (1992), Walker et al. (2002), et Lefebvre et Plé
(2003), qui montrent que la première influence la seconde. Nous avons également noté supra
que clarté et capacité sont étroitement dépendants. En effet, pour reprendre la citation que
nous avions alors employée, la clarté du rôle perçue par le client est « un aspect de la
connaissance qui contribue à la capacité » du client à participer au service (Rodie et Kleine,
2000 : 117 ; Chervonnaya, 2003 : 361).
Cela nous laisse supposer l’existence d’une logique séquentielle entre les déterminants
de la participation inhérents aux clients. C’est ce que représente la figure 3-2 ci-après, basée
sur la littérature précédemment exposée, justifiant l’ordre retenu (prise de conscience, clarté,
capacité et volonté), que nous avons tentée d’enrichir de deux relations complémentaires.
Figure 3-2 : Les potentielles interactions entre les déterminants de la participation client
Prise de conscience
Clarté du rôle du client
Capacité du client à participer
Volonté du client de participer
PARTICIPATION CLIENT
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
179
La séquence initiale : prise de conscience, clarté du rôle, capacité et enfin volonté du
client à participer semble justifiée au regard des références précitées. Il n’en va pas de même
pour la rétroaction entre la volonté et la capacité, ni pour les liens entre prise de conscience et
volonté, puis clarté du rôle et volonté.
Penchons-nous en premier lieu sur la relation rétroactive. Il nous paraît logique de
penser que si le client est volontaire pour participer, il peut être prêt à faire un effort pour
améliorer la qualité de sa participation, dès lors que les bénéfices issus de cette amélioration
lui paraissent supérieurs à l’ensemble des coûts que cela engendre.
Cette rétroaction trouve un appui dans les résultats de Snellman et Vihtkari (2003).
Réalisant une étude sur le comportement de réclamation des clients vis-à-vis de l'utilisation de
technologies de self-service dans le secteur bancaire finlandais, ils notent que le taux de
réclamation des consommateurs utilisant le site Internet de la banque est supérieur à celui des
consommateurs utilisant les services des distributeurs et guichets automatiques, depuis plus
longtemps à la disposition des clients. Selon eux, « cela indique que le processus
d'apprentissage est toujours en cours [pour le site Internet] » (: 228). Autrement dit, le client
se plaint à la fois pour obtenir une amélioration de l'ergonomie du site Internet de la banque,
mais ce faisant, il exprime également sa volonté d'apprendre, son désir d'accroître sa
participation pour utiliser un service dont il perçoit les avantages. On passe ainsi de la volonté
du client à participer, à la volonté du client d'apprendre à participer, c'est-à-dire la volonté du
client d'augmenter sa capacité à participer. Ce que nous illustrons par cette rétroaction entre la
volonté et capacité du client à participer.
Nous proposons ensuite une relation entre la prise de conscience et la volonté de la
participation. Nous faisons référence ici au troisième niveau de prise de conscience de la
participation, qui est celui des avantages que le client peut en retirer. A nouveau, il paraît
logique de penser que si le client est conscient de ceux-ci, il sera d’autant plus motivé à
participer.
La troisième relation que nous avons ajoutée préjuge d’un lien entre la clarté du rôle
du client et sa volonté à participer. Il n’est pas déraisonnable de penser que si le rôle qu’il doit
remplir n’est pas clair à ses yeux, le client sera plus réticent à participer. Il jugera
certainement le risque perçu comme trop important, et souhaitera alors le limiter, voire
l’éliminer, en ne participant pas. Nous supposons par conséquent que plus le client percevra
clairement le rôle qu’il doit remplir, et plus il sera prêt à participer au processus de servuction.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
180
II.2 L’ENTREPRISE, INCITATRICE OU FREIN À LA PARTICIPATION.
Le client intervient à des degrés variables dans la production ou la distribution de
services. Cela signifie donc que « l'organisation doit développer des mécanismes pour gérer
ses clients afin de s'assurer qu'ils adoptent des comportements facilitant la rencontre de
service » (Kelley et al., 1990 : 316). Par conséquent, « les fournisseurs de services doivent
chercher à comprendre dans quelle mesure leurs clients sont prêts et capables d'être plus
impliqués dans le service » (Bowers et al., 1990 : 65). Ce qui veut dire que dès que
l'entreprise n'est pas en mesure de faire cela, elle risque de mettre en place des actions qui, au
lieu d'inciter le client à participer, menacent de le rebuter. Mais l’inverse est vrai également :
comme les entreprises n’ont pas toujours intérêt à ce que les clients participent, il est
nécessaire de cadrer les situations dans lesquelles cette participation peut véritablement servir
à l’entreprise (Bowers et al., 1990).
Comme nous l’avons déjà dit, la littérature considère les clients comme des
« employés partiels » (Mills et Morris, 1986), auxquels peuvent s’appliquer, dans une certaine
mesure, des techniques de gestion jusqu'alors réservées aux employés (e.g. Bowen, 1986 ;
Bowers et al., 1990 ; Kelley et al., 1990 ; Zeithaml et Bitner, 2003).
De cette façon, Kelley et al. (1990) suggèrent de recourir à des méthodes de
socialisation organisationnelle, i.e. « un processus par lequel un individu s'adapte à et en
vient à apprécier les valeurs, normes, et les schémas de comportement requis par une
organisation » (: 316), applicables à tous les individus, et non uniquement aux employés. Dès
lors, ils définissent la socialisation des clients comme « un processus se rapportant au
développement de compétences, de connaissances, et d'attitudes du consommateur, et qui
seront pertinentes sur le marché en général » (: 318). Ils émettent l’idée que ces méthodes de
socialisation organisationnelle seront d'autant plus applicables que les services seront
fortement personnalisés, et dirigés vers des individus ou des possessions intangibles.
Nous allons successivement étudier comment les entreprises font usage de ces
techniques pour éclaircir les modalités de la participation de ses clients (II.2.1) ; fixer
l’importance de cette participation (II.2.2) ; et les aider à développer leur capacité et leur
volonté à participer (II.2.3 et II.2.4).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
181
II.2.1 Éclaircir la participation et ses modalités.
La question se pose en ces termes simples : « les clients comprennent-ils comment ils
sont supposés agir ? » (Bowen, 1986 : 379). Il s’avère que ce n'est pas toujours le cas, même
si le client arrive souvent avec une préconception du rôle et des actions qu'il devra remplir
(Mills et Morris, 1986).
Pour s'en assurer, Bowers et al. (1986 : 62), suivis par Zeithaml et Bitner (2003 : 364),
proposent de « définir le travail du client ». Bowen (1986), lui, conseille d'orienter le client
qui est présent sur le lieu de servuction de deux façons distinctes. La première a pour but de
répondre aux interrogations du client quant à l'endroit où il se trouve, ou sur la façon dont il
peut rejoindre une autre partie de l'organisation : c'est ce qu'il appelle « l'orientation de
place » (: 379). Il qualifie la seconde d’ « orientation fonctionnelle » (ibid.), en ce sens qu’elle
aide le client à répondre à des questions sur le fonctionnement de l'organisation.
L'hypothèse sous-jacente à son raisonnement est que les clients pénètrent le système
de servuction avec différentes questions, différents doutes, et, pour y répondre, ont le choix
entre plusieurs sources d'information (Bowen, 1986). Par exemple, l'expérience accumulée au
fil de l'utilisation de services de l'entreprise (ou d'entreprises similaires) ; la « lisibilité
intrinsèque du système » (paraît-il facilement compréhensible ou non ?) ( : 379) ; ou encore,
ce qu'il appelle les « aides à l'orientation » ( : 379), fournies par l'entreprise de services.
Celles-ci peuvent être des règles de comportement que le client doit suivre dans un hôtel, des
panneaux l'orientant dans un aéroport, une gare, un supermarché… Dans ce dernier cas, il
s'agit d'utiliser des éléments de ce que Bitner (1992) appelle la « servicescape » 182 (Zeithaml
et Bitner, 2003 : 280) pour aider le client à comprendre ce qu'il doit faire, où il doit le faire…
Outre la servicescape, il est aussi possible d'utiliser des programmes formels de
socialisation ; une présentation préalable et réaliste du déroulement du service183 ; de la
« littérature organisationnelle » (Kelley et al., 1990 : 318), comme des brochures fournies à
de nouveaux membres d'un club de sport, décrivant les cours et les services offerts par le club.
Les employés en contact avec le service peuvent également permettre aux clients de mieux
comprendre ce qui est attendu d’eux. Par exemple, une banque comme le Crédit Mutuel a
formé des hôtesses d'accueil chargées d'expliquer à certains clients non munis d'une carte
bleue qu'ils devaient dorénavant utiliser les distributeurs automatiques pour retirer de l'argent,
182 Que Lovelock et Lapert traduisent par le néologisme « serviscène » (Lovelock et Lapert, 1999 : 209). 183 Voir des exemples dans Bowen, 1986 ; ou Mills et Morris, 1986.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
182
le service de caisse ayant disparu du guichet. Enfin, des procédures (par exemple, des files
d'attente) et des règles précises informent également les clients des comportements appropriés
à suivre (Bowen, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000).
II.2.2 Fixer l'importance de la participation.
II.2.2.a) L’importance « qualitative » de la participation.
L’aspect qualitatif de l’importance de la participation que l’entreprise demande au
client vient d’être traité, puisqu’il ne s’agit rien moins que de la manière dont l’entreprise
éclaire le client sur les modalités de cette participation. Nous passons donc immédiatement à
son importance « quantitative ».
II.2.2.b) L’importance « quantitative » de la participation.
Savoir qu’il doit participer, et de quelle manière cette participation va s’effectuer n’est
pas suffisant pour que le client décide de participer ou non au service. L’importance de la
participation que l’entreprise lui demande va aussi fortement influencer sa décision. En effet,
en fonction de l’importance de la participation que l’entreprise exige de lui, donc en fonction
de l’importance du rôle que l’entreprise demande au client, celui-ci sera plus ou moins prêt à
participer, à des degrés variables. Puisque l’on parle ici de « la proportion du service qui est
produite et distribuée par le consommateur lui-même » (Rodie et Kleine, 2000 : 117), nous
revenons à la discussion antérieure sur les degrés de participation du client (p 159).
L’importance de cette participation est très variable d’une industrie à une autre, d’une
entreprise à une autre (Bowen, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000). Par exemple, il y a une très
forte différence entre l’achat d’un billet de train Lille-Paris, et la réservation d’un voyage dans
un hôtel en pension complète pour quinze jours en République Dominicaine.
N’oublions pas, pour finir, que « bien que la taille idéale de la participation soit
conçue par le fournisseur du service par l’intermédiaire du mix du service, ce sont les actions
du client qui déterminent la taille réelle de cette participation » (Rodie et Kleine, 2000 : 121).
Cela peut poser à l’entreprise des problèmes de productivité, ou de qualité de service, d’où
l’importance pour l’entreprise d’essayer de lui fixer certaines limites. C’est d’ailleurs pour
surmonter cette incertitude liée à la participation du client que des auteurs en design
organisationnel préconisent de limiter au maximum la présence du client dans le système
servuctionnel (e.g. Chase, 1978 ; 1981).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
183
II.2.2.c) L’« importance temporelle » de la participation.
L'importance de la participation ne se limite pas, selon nous, à la proportion du service
dont le client est à l'origine. En effet, pour un service donné, la participation du client a un
commencement et une fin, deux limites de ce que nous qualifions d'« importance temporelle »
de la participation. Or, selon que l'on se base du point de vue du client ou de l'entreprise, ce
commencement et/ou cette fin peuvent être différents (Hubbert et al., 1995 ; Mills et Morris,
1986). Il en résulte que l'entreprise doit savoir mettre un terme à la participation du client,
même si ce dernier ne le souhaite pas (Mills et Morris, 1986).
II.2.3 Développer la capacité du client à participer.
Le fournisseur de services peut agir sur plusieurs leviers différents dont le résultat sera
une amélioration des capacités du client à participer.
Tout d'abord, mettre en place un processus de recrutement et de sélection des clients
(Bowen, 1986 ; Mills et Morris, 1986), basé sur une analyse de leur comportement et des
déterminants de ce comportement (Lovelock et Young, 1979). Ainsi, « plus les capacités et la
connaissance que l'entreprise requiert du client pour produire le service sont complexes, et
plus le niveau et la durée de l'inclusion du client [au sein du système de servuction] sont
importants, plus l'on peut s'attendre à ce que l'entreprise utilise de ressources pour
sélectionner les clients possédant a priori les capacités les plus importantes de participer aux
opérations de production » (Mills et Morris, 1986 : 729). Toutefois, ces mêmes auteurs font
remarquer que la mise en place d'une telle sélection n'est pas toujours évidente, car le
prestataire de services ne dispose pas toujours « d'informations fiables et valides sur les
clients potentiels » (ibid.).
C'est pour cette raison qu'ils conseillent de socialiser les clients dès ce qu'ils appellent
« la phase de pré-rencontre », c'est-à-dire de « façonner les capacités de production du
client » avant même qu'il ne pénètre dans le processus de servuction. Mais ils s'attendent à ce
que de tels efforts soient rares de la part des entreprises, et ce pour trois raisons184 :
Ø Les entreprises de services suivent généralement les protocoles marketing
utilisés historiquement dans l'industrie, où la participation du client au
processus de production n'est pas au cœur des préoccupations.
184 Les travaux de Mills et Morris remontent à 1986. Depuis, la situation a changé dans les entreprises, et la littérature récente que nous mobilisons dans ce chapitre tend à montrer que les deux premiers arguments qu’ils avancent sont certainement moins valables aujourd'hui.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
184
Ø Les fournisseurs de services n'ont pas toujours la connaissance nécessaire à la
mise en place de tels processus de sélection.
Ø Enfin, ces efforts peuvent être risqués et peu efficaces dans un environnement
compétitif, puisque si une entreprise supporte les coûts d'amélioration des
capacités du client dans cette phase de pré-rencontre, cela accroît ses coûts de
production. Et si, finalement, le client décide de recourir aux services d'un
autre prestataire, elle aura travaillé pour ses concurrents.
Par conséquent, les solutions privilégiées par les entreprises de services sont le plus
souvent des programmes de formation / apprentissage développés à destination des clients
(Bowen et Jones, 1986 ; Bowers et al., 1990 ; Goodwin, 1988 ; Grönroos, 2001 ; Lovelock et
Young, 1979 ; Zeithaml et Bitner, 2003). Il s'agit de fournir aux clients de l'information et de
la connaissance (Mills et Moberg, 1982), afin d'accroître leurs compétences à participer. Cette
information et cette connaissance peuvent être transmises au client par le biais des mêmes
outils évoqués pour améliorer la clarté de la participation (programmes formels, présentation
préalable et réaliste, littérature organisationnelle...). Elles seront d'autant plus indispensables
que l'entreprise a introduit une nouvelle technologie (Fitzsimmons, 1985).
Par exemple, les fournisseurs d'accès à Internet laissent leurs clients installer eux-
mêmes leur connexion haut débit, mais, partant du principe que tous ne disposeront pas des
connaissances techniques nécessaires, fournissent généralement une documentation papier ou
numérique qui va les guider pas à pas à travers les différentes opérations de cette installation.
En cas de gros problèmes, les clients ont même la possibilité de contacter des opérateurs
travaillant sur des plates-formes téléphoniques, qui pourront les aider185.
Utiliser les employés en contact avec les clients pour qu'ils les forment et les
encouragent à participer correspond d'ailleurs à une autre stratégie possible pour améliorer la
185 Ce cas est toutefois un peu particulier. En effet, le client trouve un support auprès de techniciens qui vont lui permettre d'accomplir son rôle efficacement. Mais, pour avoir ces informations, et cette aide, le client doit payer une communication surtaxée. L'on est donc en droit de se demander si nous sommes en présence, en pareille situation, d'un programme de formation visant à améliorer les compétences techniques du client, ou si il s'agit d'un service supplémentaire facturé au client, et dont on pourrait considérer qu'il sanctionne son absence de compétences. Dans un tel cas, même si le client gagne des compétences techniques supplémentaires, l'entreprise fait d'une pierre deux coups. En effet, elle améliore sa productivité par un transfert de l'activité sur le client, tout en lui facturant la formation qu'elle lui délivre (laquelle formation vise à accroître les compétences du client pour participer, donc pour améliorer encore ultérieurement la productivité de l'entreprise). Ce genre de pratique peut également trouver une seconde explication : l’entreprise souhaite décourager, par un tarif relativement important, le client de faire trop facilement appel à ses services en cas de problème, et l’amener à privilégier des solutions alternatives telles qu’une auto-formation sur Internet, recourir aux services d’amis aux connaissances avancées en informatique, etc… Telle est d’ailleurs la logique des FAQ (Foire aux Questions) disponibles sur de nombreux sites Internet.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
185
compétence des clients : il est impératif que « les employés se trouvant à l'interface autorisent
(en fait, encouragent) le client à plus interagir au cours du processus de transformation »
(Mills et al., 1983 : 305). Reprenons l'exemple du Crédit Mutuel, employé plus haut. Les
hôtesses d'accueil avaient également pour mission d'apprendre aux personnes qui n'avaient
pas l'habitude d'utiliser une carte (en particulier, les personnes âgées) à se servir du
distributeur automatique pour retirer de l'argent, en lieu et place du guichet traditionnel. Le
but de l'entreprise était, in fine, d'amener cette catégorie de clients à acheter une carte, de
façon à ce que, par la suite, ils réalisent leurs opérations de retrait eux-mêmes.
Un tel raisonnement vient appuyer les travaux de Goodwin (1988), pour qui aider le
consommateur d'un service à développer une nouvelle image de lui-même est une étape
importante : dans un premier temps, l'entreprise le convainc qu'il est capable de faire ce que
l'on attend de lui, ce qui, selon Goodwin, va faire émerger (ou conforter) chez lui sa volonté
de participer au service. À ce niveau également, « le personnel en contact peut renforcer le
sentiment de confiance [des clients] par un compliment (...),des indications non verbales
d'approbation (...), ou même en appelant un client « Mme Smith » au lieu de « Jane » »(: 74).
II.2.4 Développer la volonté du client à participer.
Lors de l’étude des déterminants de la participation, la volonté des clients ressortit
nettement comme la fonction d'une série d'avantages (économies financières, économies de
temps, amélioration du contrôle perçu par les clients...). Récompenser le client est donc une
condition importante pour l’inciter à réaliser sa part de « travail »186 au cours de la servuction,
même si ce n’est pas un pré-requis pour tous les clients (Bateson, 1985). Il semblerait
également que l’on puisse envisager une relation négative entre le niveau de risque perçu
associé à la participation, et la volonté du client à participer (Abernathy et Butler, 1993).
Mais même si ces avantages existent objectivement, ils sont inutiles tant que les clients
ne les perçoivent pas. Pour cette raison, Bateson (1985) insiste fortement sur le fait que, au
plan managérial, il est capital que l’entreprise développe187 la conscience de ces avantages
dans l’esprit des clients, notamment par le biais de politiques marketing et de communication
centrées sur les bienfaits qu’ils peuvent retirer d’une participation efficace. Le corollaire est
186 Les guillemets s’imposent puisque, comme le rappelle Jeantet (2002), le client ne « travaille » pas au sens propre du terme, étant donné qu’il n’est pas lié à l’entreprise par un contrat de travail, à l’inverse de l’employé avec lequel il interagit. 187 Bateson parle même de « construire » cette perception des avantages (ibid.).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
186
de mener une réflexion en se mettant à la place du client, en l’associant à la conception ou au
renouvellement de l’offre de services, etc. (Bitner et al., 2002 ; Grönroos, 2001).
L’utilisation de littérature organisationnelle, et par extension de toute méthode de
socialisation organisationnelle est un autre moyen d’accroître la volonté des clients à
participer, conséquemment à l’apprentissage induit par ces méthodes, et à une meilleure
compréhension des tâches que doit remplir l’organisation (Kelley et al., 1990 ; 1992).
L’entreprise peut aussi communiquer sur les avantages relatifs d’une offre de service
sur une autre pour inciter le client à basculer sur une offre sur laquelle elle supporte des coûts
moindres (Fitzsimmons, 1985). Dans le cadre du multicanal, cela revient à mettre en avant le
canal aux coûts relatifs les plus faibles, pour amener les clients à l’utiliser au détriment
d’autres canaux. C’est ce que font les banques, qui insistent sur la flexibilité d’Internet vis-à-
vis de l’agence pour consulter ses comptes, commander un chéquier, ou réaliser un virement,
par exemple. Dès lors, il s’agit d’un exercice de pédagogie auquel les entreprises de service
doivent se livrer, en étant relativement transparents sur leurs processus188. Cette situation est
relativement nouvelle puisque, historiquement, les entreprises ont généralement tenu les
clients dans l’ignorance de leurs processus internes (Fitzsimmons, 1985).
Enfin, le comportement qu’adoptera l’entreprise face au comportement de réclamation
des clients sera déterminant de leur motivation future à participer. Nous avons en effet
considéré supra qu’une réclamation formulée par un client peut être assimilée à un type de
participation de sa part, puisque cela implique pour le client d’agir, de déployer des
ressources, de fournir un effort (mental, physique et / ou émotionnel) de façon à intervenir
(ex-post, le plus souvent) sur la production / distribution du service... ce qui rejoint la
définition de la participation de Rodie et Kleine (2000). Si le client constate par exemple qu’il
a fait l’effort de réclamer (donc, de participer) sans obtenir aucune amélioration de la qualité
du service fourni, sa motivation de participer (directement, cette fois, durant la servuction)
s’en verra très certainement diminuée (Snellman et Vihktari, 2003). De ce fait, de par le
support qu'elle lui apporte, l'entreprise investit le client d'un certain pouvoir et de certaines
responsabilités, et développe « sa conscience et sa compréhension du problème auquel il fait
face » (Thompson et McEwen, 1958 : 28).
188 Le site de Easyjet est, à ce titre, un exemple de pédagogie : le client y est renseigné très précisément sur le niveau de service qu’il recevra, relativement aux compagnies aériennes traditionnelles comme Air France, et il se voit expliquer de manière détaillée les raisons pour lesquelles la compagnie réussit à proposer des tarifs extrêmement bas.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
187
II.3 LES DÉTERMINANTS DU CHOIX DES CANAUX DE DISTRIBUTION D’UN
RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL.
Nous venons de nous pencher sur les déterminants de la participation du client, et les
moyens dont dispose l’entreprise pour les influencer. Notre but est maintenant de proposer de
relier ces éléments au choix d’un canal de distribution. Il s’agit donc de tenter d’établir un lien
entre le multicanal et ces déterminants, lien que nous nous avons jusqu’ici fait
occasionnellement apparaître à titre d’exemples.
Nous avons expliqué qu’un canal de distribution n’est autre qu’une technologie de
vente, interface entre l’entreprise et ses clients, qui permet à ces derniers d’accéder à des
services à la co-création desquels ils participent. Il a aussi été précisé plus haut que le choix
d’un canal de distribution pouvait s’expliquer à partir des inputs associés à la participation qui
lui est demandée pour utiliser cette technologie de vente, qu’il s’agisse de la nature, de la
combinaison, ou de la quantité desdits inputs (cf. p.159 et p.163). Nous prolongeons cette
voie en faisant tout d’abord un détour par le comportement multicanal du consommateur, qui
nous permettra de mettre en évidence que l’importance des déterminants de la participation ne
semble pas prise en compte dans le choix d’un canal (II.3.1). Nous proposons alors d’analyser
cette dynamique à l’aune de ces déterminants (II.3.2).
II.3.1 Le comportement multicanal du consommateur.
Nous pouvons schématiquement classer en trois branches les travaux s’attachant aux
liens entre le client et le multicanal. La première concerne le processus de décision et d’achat
du produit / service au fil de l’utilisation de canaux différents par le client (Badot et Navarre,
2002 ; Burke, 2002). La seconde s’intéresse au processus de choix du canal lui-même (e.g.
Black et al., 2002 ; Nicholson et al., 2002 ; Sharma & Krishnan, 2002 ; Vanheems, 1995). La
troisième étudie pour sa part l’impact d’un réseau de distribution multicanal sur la satisfaction
globale du client (Lang et Colgate, 2003 ; Montoya-Weiss et al., 2003). Cette classification
présente un intérêt qui se veut avant tout didactique, puisque certains travaux sont
transversaux à deux, voire aux trois catégories.
Le tableau 3-4 ci-après synthétise quelques-unes des recherches sur le comportement
multicanal du consommateur dans un ordre chronologique.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
188
Tableau 3-4 : Le comportement multicanal du consommateur
AUTEURS OBJECTIFS MAJEURS PRINCIPAUX RÉSULTATS
Vanheems, 1995189
Analyser les modifications de comportement d’achat des clients face
à la création de formules de vente complétant un dispositif existant
Déterminer les facteurs impactant ce comportement.
En évaluer les conséquences sur le niveau de fidélité du client
Proposition et définition du concept de transfert comportemental
Élaboration d’un modèle explicatif du transfert comportemental
Démonstration d’une relation positive entre le transfert comportemental et la fidélité du client à
l’enseigne
Mathwick et al., 2001
Développer un outil de mesure des différences dans la valeur
expérientielle vécue délivrée par des systèmes de vente multicanaux
La préférence des consommateurs pour Internet vis-à-vis d’autres canaux est associée à
l’efficience perçue de l’expérience vécue et à la disponibilité relative du produit acheté.
Le recours à d’autres canaux (ici, un catalogue) enrichit la valeur de l’expérience vécue sur des
dimensions telles l’amusement ou l’attrait (visuel)
Badot et Navarre,
2002
Explorer l’influence d’Internet et du type de canal sur le comportement
d’achat des consommateurs de véhicules neufs et quasi-neufs
Identifier les « attitudes et comportements des acheteurs à
l’égard d’Internet dans ce processus d’achat » (: 6)
Les consommateurs ont un processus de décision et d’achat multicanal, dans lequel « Internet est enchâssé dans un système complexe de canaux
d’information et de distribution » ( :7).
Scénario « click and mortar » validé
Le multicanal renforce la recherche d’expériences tout au long du processus
Black et al., 2002
Identifier les facteurs qui influencent le choix du canal de distribution pour
des produits / services similaires
Le choix semble dépendre de caractéristiques intrinsèques : au client ; au produit ; au canal ; à l’organisation fournissant le service. De même, les interactions produit / canal, et client / canal
paraissent jouer un rôle important
Nicholson et al., 2002
Étude du processus de sélection des canaux par le consommateur en
fonction de variables situationnelles (cadre physique, cadre social,
perspective temporelle, définition des tâches, états antérieurs du client)
Mise en évidence de l’impact fort que jouent ces variables sur toutes les étapes du processus de
choix, sans toutefois réussir à identifier les relations entre ces variables, ni l’intensité relative
de chacune d’elles
Sharma et Krishnan,
2002
Déterminer si le choix du brick sur le click dépend de la possibilité pour le client d’examiner physiquement le
produit, ou résulte de l’offre de service liée à la présence du vendeur
Le choix est particulièrement influencé par la possibilité de toucher le produit avant achat, le
rôle des vendeurs devant être revu en profondeur
189 La nature des travaux de Vanheems (thèse de doctorat) nous amène à réduire fortement ses conclusions. Nous renvoyons le lecteur au tableau confrontant ses hypothèses à ses principaux résultats ( : 565-570).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
189
Burke, 2002
Étudier le comportement d’achat des consommateurs dans des formules de
vente online et offline
Déterminer comment ces deux catégories de média sont utilisées tout
au long du processus d’achat.
Les canaux sont utilisés dans une logique de complémentarité, en partie dépendante du type de
produit acheté
Les caractéristiques des consommateurs (âge, sexe...) influencent le choix du canal utilisé
La technologie utilisée doit créer de la valeur pour le client
L’entreprise doit aider les clients à utiliser les différents canaux
Lang et Colgate,
2003
Montrer de quelle manière les clients utilisent une combinaison de canaux
basés sur les technologies de l’information pour interagir avec leur
fournisseur de service
Montrer en quoi cette interaction affecte la qualité de la relation entre le
client et son fournisseur
L’inadéquation entre les attentes des clients vis-à-vis des moyens techniques pour interagir avec leur fournisseur et les moyens que celui-ci met à leur
disposition crée un écart positif (les moyens mis à disposition sont trop sophistiqués) ou négatif (moyens pas assez sophistiqués) qui affecte
négativement la perception de la qualité de la relation par les clients.
Positif ou négatif, cet écart peut résulter de trois facteurs imputables à la firme.
Montoya-Weiss et al., 2003
Identifier les déterminants de l’utilisation d’un canal online et son impact sur la satisfaction du client
vis-à-vis de la prestation globale de l’entreprise
Le design et les caractéristiques esthétiques du canal online influencent l’évaluation du
consommateur quant au risque et à la qualité de service offerte par ce canal, ce qui se répercute sur
son niveau d’utilisation de ce canal
La satisfaction globale du client vis-à-vis de l’ensemble de la prestation est déterminée par la qualité de service reçue par chacun des canaux.
Curran et Meuter,
2005
Identifier les déterminants de l’adoption de technologies de self-service par comparaison de trois
technologies
L’adoption varie considérablement entre des technologies fournissant des services identiques
L’attitude à l’égard d’une technologie de self-service influence l’intention d’utilisation du client
La facilité d’utilisation et l’utilité sont primordiales dans l’adoption de la technologie
Meuter et al., 2005
Identifier les déterminants de la décision initiale d’essayer des technologies de self-service
Les caractéristiques de l’innovation et les différences individuelles influencent cette
décision d’essai
Cette influence est médiée par trois dimensions de ce que les auteurs appellent le « customer
readiness » (niveau de préparation et d’empressement à utiliser ces technologies)
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
190
Les travaux cités dans ce tableau montrent que le choix d’un canal par le client
découle le plus souvent de l’évaluation des avantages que le client retire de ce canal (et non
des avantages inhérents à la participation que nécessite le recours à ce canal), certaines de ses
caractéristiques individuelles, ou encore de la qualité de service perçue reçue de chaque canal.
L’influence de la participation du client, fût-elle estimée à partir de la nature ou de la quantité
des inputs qu’elle induit, semble absente de la perspective. Une exception : les travaux de
Meuter et al. (2005) prennent presque explicitement en compte la participation du client, leur
construit de « customer readiness » se décomposant entre la clarté du rôle, la motivation du
client, et sa capacité à utiliser la technologie en question.
II.3.2 Un arbitrage entre canaux influencé par les
déterminants de la participation.
En nous inspirant des résultats obtenus par Meuter et al. (2005), nous émettons donc la
proposition que le choix d’un canal peut s’analyser à partir non seulement de la nature des
inputs ou du niveau de la participation que nécessite le recours à ce canal, mais aussi des
déterminants de cette participation.
En d’autres termes, et pour résumer l’ensemble de nos propos précédents sur cette
notion d’arbitrage, nous proposons que :
Ø L’arbitrage que réalise un client entre différents canaux peut s’analyser à
l’aune de sa participation.
Ø Cette participation peut elle-même être décomposée à partir des inputs qu’elle
implique, que ce soit au niveau de la nature, de la quantité, ou de la
combinaison de ces inputs.
Ø Cette participation doit par ailleurs s’analyser en fonction des facteurs qui
vont la déterminer : le client choisira un canal si il est conscient de la
participation qui lui est demandée pour utiliser ce canal, si il considère que le
rôle qui lui est demandé est clair, si il considère qu’il est capable d’assurer
cette participation (i.e. d’utiliser cette technologie de vente au détail), et / ou
si il désire utiliser cette technologie.
Ø L’entreprise est en mesure d’influencer son arbitrage en recourant à un
ensemble de mesures dites de socialisation organisationnelle.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
191
Ø Cet arbitrage n’est donc pas figé, mais est susceptible d’évoluer en fonction
notamment des techniques de socialisation organisationnelle mises en place
par l’entreprise et des expériences antérieures du client.
Nous reprendrons ultérieurement cette notion d’arbitrage du client, que nous avons
progressivement introduite dans ce chapitre, lorsque nous élaborerons notre grille de lecture
de la coordination d’un réseau de distribution multicanal (chapitre 4).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
192
SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS
D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT
Durant notre discussion précédente, nous avons en certaines occasions mentionné que
le client joue un rôle au cours de la servuction, rôle dont la clarté est l’un des facteurs
déterminants de sa participation. L’objectif affiché de cette section est, après avoir discuté la
notion de rôle du client telle que l’aborde la littérature (III.1), de mettre en évidence un certain
nombre de lacunes des recherches existantes, lacunes dont nous pensons que leur critique peut
déboucher sur une perspective élargie des rôles que joue le client lorsqu’il participe à la
production du service (III.2). Nous proposons dans le même temps de nouveaux rôles pour le
client, que nous replaçons dans le contexte d’un réseau de distribution multicanal.
III.1 DU RÔLE DU CLIENT DANS LA SERVUCTION.
Partant d’une présentation rapide du concept de rôle de façon générale (III.1.1), nous
nous attardons ensuite sur les multiples rôles que la littérature identifie pour un client
participant à la production d’un service (III.1.2).
III.1.1 Présentation de la notion de rôle.
III.1.1.a) Deux approches indissociables.
Comme le rappelle Perrot (2000), l’émergence et le développement du concept de rôle
s’ancrent dans « un foisonnement d’approches et de définitions très différentes, issues de la
sociologie, de la psychologie, et de la psycho-sociologie » (: 113). Il présente deux approches
opposées : fonctionnaliste et interactionniste.
« L’approche fonctionnaliste des rôles s’inspire de la sociologie où les rôles sont
analysés à partir des concepts de structures, de normes sociales, de statuts, de modèles
culturels, etc… [Elle] fait émerger deux notions clés constitutives du rôle : le comportement
de l’individu et les attentes qui pèsent sur lui et influencent son comportement » (Perrot, 2000
: 113 ; 115). A l’inverse, les tenants de l’approche interactionniste « insistent sur les
processus de construction sociale des rôles » (Perrot, 2000 : 115), et combattent l’idée
fonctionnaliste d’enfermement des individus dans les rôles qui leur sont prescrits. Pour eux,
les acteurs cherchent même à échapper au rôle et aux fonctions qui leur sont attribués (Crozier
et Friedberg, 1977).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
193
En dépit de leurs différences, Perrot qualifie ces deux approches d’« indissociables »
( : 117), dont il souligne à la suite de ses auteurs de référence les complémentarités et
convergences.
III.1.1.b) Définition du rôle.
L’existence de ces deux courants, fonctionnaliste et interactionniste, et la multiplicité
des utilisations du concept, de ses définitions, etc. amènent Perrot (2000) à écrire qu’«il est
donc impossible de retenir une définition générale et consensuelle du rôle » 190 ( :117).
Néanmoins, soucieux de concilier ces deux approches, il explique à la suite de
Granovetter (1985) et de Goffman (1973) que « le rôle ne s’impose pas strictement à
l’individu, et se construit dans une mise en scène de ses relations avec autrui » (Perrot, 2000 :
118). Cela l’amène à proposer sa propre définition du rôle : « Activités et comportements
exercés par l’individu au sein de son ensemble interactionnel ». Cette notion d’ensemble
interactionnel provient de celle d’« ensemble de rôle » que Perrot emprunte à Katz et Kahn
(1966), et qui désigne l’ensemble des personnes en relation avec l’individu, au sein duquel
s’insèrent les activités et comportements associés à la position dudit individu dans
l’organisation (Perrot, 2000 : 119).
III.1.2 Un client « multi rôles ».
III.1.2.a) Les rôles du client dans la littérature
Sans prétendre à l’exhaustivité, par définition impossible ne serait-ce que du fait de la
nature processuelle et cumulative de toute recherche, nous nous sommes efforcés de recenser
au sein du tableau 3-5 ci-après un nombre conséquent de travaux sur la participation client, au
sein desquels nous avons repris ou identifié au besoin les rôles joués par le client.
190 Il cite pour cela Neiman et Hughes (1951), qui parlent d’« un fouillis indescriptible de différentes définitions, emplois et implications du concept de rôle ».
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
194
Tableau 3-5 : Revue chronologique de la littérature sur la participation client et les rôles joués par les clients
AUTEUR(S) ANGLE D’ANALYSE
RÔLE DU CLIENT
NATURE DE L’ÉTUDE PRINCIPAUX APPORTS
Lovelock et Young, 1979
Les clients sont une source de productivité
Ressource
Contributeur de productivité
Théorique
A partir de plusieurs exemples, explique que les clients sont source de gains de productivité.
Explique que cela nécessité de faire accepter le principe de cette participation par les clients, et propose des moyens en ce sens.
Whitaker, 1980
En participant, les citoyens influencent
les politiques publiques
Co-producteur Théorique Suggère que les citoyens sont en mesure d’influencer à la fois la formulation des politiques publiques de service, mais aussi leur
exécution de par leurs interactions avec les agents de l’état
Chase, 1981191 La participation est
considérée à l’aune du contact direct entre le client et l’entreprise
Limiteur de productivité Théorique
Suggère que le client est une entrave à la productivité de l’entreprise, en raison de sa présence dans le processus de servuction
Propose une typologie des activités de service d’après le niveau de contact direct
Langeard et al., 1981
Segmenter les clients d’après leur volonté à
participer Ressource Empirique
Montre qu’il est possible de segmenter les clients d’après leur volonté à participer.
Montre que des clients acceptent (ou refusent) de participer quelle que soit la nature du service ou de la participation demandée
Mills et Moberg, 1982
La technologie organisationnelle des
services diffère de celle des biens
Ressource Théorique
Oppose les modes de production des services à ceux des biens. Suggère que la différence principale tient en le rôle joué par le client dans la
servuction. Les clients y apportent de l’information et de l’effort, sources d’incertitude qu’il faut gérer pour réduire ladite incertitude.
191 Cet article de Chase s’inspire fortement d’une de ses précédentes publications parue dans la Harvard Business Review en 1978, mais dont la nature était plus managériale que théorique, d’où notre décision de retenir celui de 1981.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
195
Argote, 1982
La participation client est un des facteurs
influençant la nature des modes de coordination
Ressource Empirique
Montre que la participation du client au service est une source d’incertitude, en fonction de l’importance de laquelle les mécanismes de
coordination seront soit basés sur des plans (faible incertitude), soit basés sur des modes de coordination moins formalisés (forte incertitude)
pour accroître l’efficience
Chase et Tansik, 1983
La participation est considérée à l’aune du contact direct entre le client et l’entreprise
Limiteur de productivité Théorique
Suggère que le client, de par sa présence dans le processus de servuction, va gêner la bonne marche de l’entreprise, et en réduire la productivité.
Propose d’adapter le design organisationnel des entreprises en fonction de l’importance du contact avec le client
Mills et al., 1983
Gérer les clients comme des employés partiels pour améliorer
la productivité
Employé partiel
Contributeur de la productivité
Théorique
Propose d’améliorer la performance et la productivité de l’entreprise en mobilisant le système employé / client, et notamment en incitant le client
à plus participer à la servuction.
Suggère d’utiliser les mêmes techniques de motivation et de gestion de la participation client que celles utilisées pour les employés.
Bateson, 1985 Comprendre les
motivations des clients à utiliser un self-
service
Contributeur de la productivité Empirique
S’intéresse au self-service. Analyse les différences entre les clients préférant réaliser eux-mêmes le service à ceux qui préfèrent être servis.
Met en évidence qu’une frange de clients préfère le self-service, même si l’entreprise ne les y encourage pas par l’offre d’un quelconque avantage. Montre l’importance des notions de « temps nécessaire perçu » et de «
contrôle perçu sur la réalisation du service » pour les clients
Fitzsimmons, 1985
Améliorer la productivité en faisant
participer le client
Ressource
Concurrent
Employé partiel
Empirique
Suggère que le client est une « ressource productive » ( :61), qui peut être mobilisé par le biais de 3 types de stratégies.
Montre l’importance de la prise de conscience des alternatives par les clients (participation vs non-participation) et de leur « éducation » par
l’entreprise
Bowen, 1986 Gérer les clients comme de véritables
Employé partiel
Contributeur de Théorique Souligne les lacunes des théories managériales et organisationnelles vis-
à-vis du client. Soulève trois points essentiels : le client est désirable sur
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
196
ressources humaines la productivité site pour améliorer la productivité et l’efficience ; le climat organisationnel joue sur la satisfaction du client ; l’entreprise doit
apprendre à gérer les rôles du client et faciliter sa participation
Mills et Morris, 1986
Gérer les clients comme des employés
partiels
Employé partiel
Contributeur de la productivité
Théorique
Suggère que le degré d’implication du client dans la servuction dépend à la fois de caractéristiques du service et du client.
Propose une séquence de la participation du client, dont chaque phase implique une gestion particulière par la firme
Bowen et Jones, 1986
Identifier les caractéristiques de
l’échange qui favorisent l’inclusion
ou non du client
Ressource
Employé partiel
Contributeur de la productivité
Théorique
A partir de la théorie des coûts de transaction, propose une typologie de quatre modes de gouvernance des échanges de service, en fonction
desquels le client devra ou non être intégré, et varieront les modes de coordination
Goodwin, 1988
Application des méthodes de socialisation
organisationnelles à la gestion de la
participation client
Contributeur de la qualité du
service et de la productivité de
l’entreprise
Employé partiel
Théorique
Suggère que les techniques de socialisation organisationnelles peuvent permettre d’améliorer la qualité de la participation du client et son
impact sur la productivité de l’entreprise en l’incitant à apprendre de nouvelles procédures, de nouveaux rôles
Suggère que la réussite de la mobilisation de ces techniques variera positivement en fonction de l’implication du client à l’égard de son prestataire, et de la présence d’autres clients durant la rencontre de
service
Larsson et Bowen, 1989
Gérer la participation client en tant que source majeure d’incertitude
Ressource Théorique
Propose de développer des portefeuilles de mécanismes de coordination basés sur les types d'interdépendances induits par l'incertitude générée par la participation du client
Emet des propositions reliant nature des mécanismes, diversité de la demande et interdépendances
Johnston, 1989
Le client participe activement au design,
à la création et à la Ressource Théorique Suggère des sous-rôles du client en tant qu’employé partiel : fournisseur
de service (à lui-même, à d’autres clients, à l’organisation) ; créateur
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
197
distribution du service Employé partiel d’environnement ; formateur de clients ; fournisseur d’information.
Propose des moyens de gestion de la participation du client empruntés à la gestion des employés
Kelley, et al., 1990
Application des méthodes de socialisation
organisationnelles à la gestion de la
participation client
Contributeur de la qualité du
service et de la productivité de
l’entreprise
Employé partiel
Théorique
Suggère que le client contribue à la qualité fonctionnelle et technique du service, au sens de Grönroos (1984)
Suggère que le client peut peser sur la qualité du service, sa propre satisfaction, et la productivité et les réponses émotionnelles des
employés
Bowers et al., 1990
Importance de l’impact des
interactions entre employés en contact et
clients sur la productivité et la
qualité
Employé partiel
Contributeur de la qualité de son
service et de celui d’autres
clients
« Marketeur »
Théorique Suggère de traiter les employés comme des clients, grâce au marketing interne (études sur les besoins de formation des employés), et les clients
comme des employés (formation et récompense).
Kelley et al., 1992
Application des méthodes de socialisation
organisationnelles à la gestion de la
participation client
Contributeur de la qualité du
service et de la productivité de
l’entreprise
Employé partiel
Empirique
Montre l’apport des procédures de socialisation organisationnelle sur la qualité et la quantité de la participation
Démontre que la satisfaction du client est liée à ce que les clients apportent au processus de servuction, et à la manière dont ils participent
File et al., 1992
L’influence de la participation sur le
bouche à oreille et la prescription
Marketeur (prescripteur) Empirique
Montre que quatre dimensions de la participation influencent fortement un bouche à oreille positif et un comportement de prescription de la part
des clients ayant participé
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
198
Song et Adams, 1993
Réussir à se différencier en faisant
participer le client Ressource Théorique
Suggère que la participation est une des possibilités de se différencier, tant pour les services que les biens
Souligne les menaces, mais aussi les opportunités stratégiques qui découlent d’une telle situation, et propose des solutions managériales
pour y faire face
Fodness et al., 1993
Le client peut devenir un concurrent de
l’entreprise Concurrent Théorique
Suggère que le client peut décider, en fonction de ses capacités, de se substituer à l’entreprise pour obtenir le service
Souligne les menaces, mais aussi les opportunités stratégiques qui découlent d’une telle situation, et propose des solutions managériales
pour y faire face
Cermak et al., 1994
La participation a une influence différente de
l’implication sur la qualité perçue et la
satisfaction
Contributeur de la qualité Empirique
Estime que, sur un plan théorique, l’implication du client est une des dimensions de la participation. Montre que le niveau de participation est
positivement relié à la qualité perçue et à la satisfaction, et qu’il est supérieur dans les nouvelles relations (par opposition aux relations
existantes).
Firat et al., 1995
Le client dans une perspective
postmoderne
« Customizer »
Co-producteur Théorique
Analyse le passage d’une vision moderne du consommateur à une vision postmoderne du client, qui personnalise et co-produit des expériences
auxquelles il participe. Le client devient un acteur de sa consommation.
Wikström, 1996
Une des manières de concevoir l’entreprise
orientée client est d’intégrer le client
comme co-producteur
Co-producteur Théorique
Suggère de développer les interactions sociales entre le client et l’entreprise, cette dernière permettant au client d’intervenir aux moments de la conception, de la production et de la consommation, afin de créer
plus de valeur.
Lengnick-Hall, 1996
Une des manières de concevoir l’entreprise
orientée client est
Ressource
Co-producteur Théorique
Suggère que, de par les différents rôles qu’il est susceptible d’endosser durant la relation de service, le client est en mesure d’affecter
positivement ou négativement la qualité du service.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
199
d’intégrer le client en tant que contributeur
de la qualité
Acheteur
Utilisateur
Produit
Contributeur de la qualité
Recommande aux entreprises de maîtriser et de mobiliser ces différents rôles pour disposer d’un avantage compétitif
Kellog et al., 1997
En participant, le client a une incidence
sur sa satisfaction
Contributeur de la qualité
« Marketeur relationnel »
Substitut au leadership
Empirique
Montre que le client adopte un comportement participatif séparable selon quatre phases (préparation, construction de relation, échange
d’information et intervention) afin d’améliorer la qualité de son service. Les trois premières phases influencent positivement sa satisfaction, la
dernière négativement
Propose une chaîne de valeur du service au client, dont sont étudiées les implications managériales
Canziani, 1997
Mobiliser la participation client pour disposer d’un
avantage concurrentiel
« Ressource critique »
Employé partiel Théorique
Évalue les conséquences de la participation du client sur les processus de l’entreprise, tant au niveau des opérations, du marketing, des ressources
humaines et de l’organisation. Estime que la capacité à mobiliser la compétence client est une clé de l’obtention d’un avantage concurrentiel
Bitner et al., 1997
L’intensité de la participation et la nature du rôle du client influence sa
satisfaction
Ressource
Contributeur de la qualité
Concurrent
Empirique Propose une typologie des niveaux de participation du client
Introduit trois rôles spécifiques du client, endossés à l’intérieur de chacun des différents niveaux de participation
Prahalad et Ramaswamy,
2000
L’entreprise doit rallier la compétence
des clients
Co-créateur d’expérience Théorique
Considère l’évolution du statut du client (de public passif à acteur actif)
Suggère que la capacité des entreprises à mobiliser leurs clients dans la co-création d’expériences personnalisées accessibles via des canaux multiples est primordiale à l’obtention d’un avantage concurrentiel
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
200
Lengnick-Hall et al., 2000
Une des manières de concevoir l’entreprise
orientée client est d’intégrer le client en tant que contributeur
de la qualité
Ressource
Co-producteur
Acheteur
Produit
Empirique Montre que les clients influencent nettement, de par les rôles qu’ils jouent, le service qu’ils reçoivent et dont ils font partie (en tant que
résultat d’une prestation à laquelle ils participent).
Parker et Ward, 2000
Les interactions entre les clients influencent
le rôle qu’ils endossent et leur
perception du service
Chercheur d’aide
Assistant proactif
Assistant réactif
Empirique
S’attache aux interactions entre les clients et aux rôles qu’ils jouent dans ces interactions.
Identifie les facteurs motivant les clients à adopter les rôles mis en évidence dans la littérature, et propose un script adapté à chacun de ces
rôles.
Dabholkar, 2000
Revue de littérature sur la participation client dans le cadre
d’un self-service
Employé partiel Théorique
Souligne les implications de la participation sur le design d’un self-service et des modalités de mise en place du service après-vente
correspondant
Dresse des pistes de recherche et d’action futures
Rodie et Kleine, 2000
Revue de la littérature sur la participation
client
Ressource
Employé partiel
Contributeur de la qualité et de la productivité
Théorique Souligne le faible nombre de travaux empiriques sur la participation
client, et à partir de la revue de la littérature, dresse des pistes de recherche futures
Ulwick, 2002
Proposer une nouvelle façon d’intégrer le
client dans le processus
d’innovation
Force de proposition dans
le processus d’innovation
Théorique
Suggère de modifier le mode d’intégration des clients dans le processus d’innovation, en leur demandant quelles sont les fonctionnalités qu’ils
attendent d’un bien ou d’un service. Le choix du support revenant à l’entreprise.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
201
Bateson, 2002
L’efficience de la servuction dépend au
moins partiellement de la participation du
client
Ressource
Employé partiel Théorique
Oppose client expert vs client novice. En fonction du client, suggère des implications différentes sur l’efficience de l’entreprise et la satisfaction
des clients.
Propose d’utiliser les scripts pour aider à faire face aux novices et utiliser les experts
Bitner et al., 2002
L’utilisation des technologies de self-service par les clients
Ressource
Employé partiel Empirique192
Explique les motivations des entreprises qui proposent des technologies de self-service.
Explique quels sont les facteurs incitatifs et dissuasifs à l’utilisation de telles technologies par les clients.
Chervonnaya, 2003
Le client suit un chemin tout au long de la servuction, au cours
duquel se modifient son rôle et les
capacités afférentes
Client « caméléon » =
8 rôles (consommateur
passif ; instructeurs ;
ressource ; co-producteur ;
auditeur ; concurrent ; marketeur ; décideur)
Théorique
Revue de la littérature des différents rôles tenus par le client au cours d’un même processus de servuction
Propose de répartir ces rôles en fonction de deux caractéristiques des processus de servuction (niveau de standardisation, et degré de
monopole du producteur de service sur la connaissance nécessaire à la réalisation d’un processus de service donné). Les rôles endossés par le
client sont donc prédeterminés par la nature du processus.
Hsieh et al., 2003
La participation du client influence la charge de travail
perçue par les employés
Employé partiel Empirique
Montre que la participation du client au service est positivement corrélée à l’importance de la charge de travail perçue par les employés. Plus le client participe, et plus les employés ressentent une charge de travail
(psychologique et physique) importante.
192 Contribution basée sur une recherche empirique dont seuls les résultats généraux sont exposés. Pour la méthodologie et les résultats détaillés, nous renvoyons à Meuter et al., 2005.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
202
Namasivayam, 2003
Le client est le seul producteur du service,
et l’entreprise un facilitateur
Employé transitoire Théorique
Considère le client comme employé transitoire, auquel on peut transposer des techniques de gestion des ressources humaines. En déduit 4 types de travail pour le client, en fonction des exigences du travail et
de la latitude décisionnelle dans le travail.
Gouthier et Schmid, 2003
Les implications stratégiques de la
participation client à l’aune de la ressource-
based view
Ressource
Co-designer
Co-interacteur
Substitut au leadership
Acheteur
Co-marketeur
Théorique
Suggère que les clients, de par les rôles qu’ils endossent, et les relations client sont des ressources importantes pour la firme.
Analyse cela à l’aune de la ressource-based-view, et suggère les potentielles implications stratégiques d’une telle perspective
Bendapudi et Leone, 2003
Le client influence sa propre satisfaction en
participant
Contributeur de la qualité Empirique
Aborde l’impact psychologique de la participation client sur sa satisfaction
Montre, en recourant au biais de self-service, que la satisfaction varie selon que le client participe ou non. Importance du choix laissé au client
de participer ou non sur sa satisfaction finale
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
203
La construction de ce tableau mérite quelques précisions :
Ø Lorsqu’un même auteur avait sous son nom des contributions relativement
proches, nous n’en avons retenu qu’une seule193, en dehors du cas où l’une
était théorique, l’autre empiriquement fondée (e.g. Kelley et al., 1990 ; 1992).
Ø Les rôles des clients tels que nous les indiquons dans ce tableau étaient soit
tous explicitement présents dans l’article cité (par exemple, parmi d’autres,
Chervonnaya, 2003 ; File et al., 1992 ; Lengnick-Hall, 1996), soit implicites
de par les propos du ou des auteurs (e.g. Lovelock et Young, 1979 ; Song et
Adams, 1993).
Ø Enfin, pour éviter d’allonger les dénominations, nous avons simplement
indiqué « contributeur de la qualité », alors que la quasi-totalité des articles
concernés mentionnent que, en pareil cas, le client contribue également à sa
satisfaction (en toute logique, puisque celle-ci est fonction de celle-là194).
III.1.2.b) Les implications des rôles du client
Le fait que le client joue un ou plusieurs rôles a des implications à différents niveaux,
pour la plupart présentées dans le tableau 3-5. Schématiquement, elles portent sur :
Ø La qualité du service rendu, et partant, la satisfaction que le client retire de ce
service : le client, en participant, a ainsi un impact direct sur cette qualité et sa
satisfaction (Bitner et al., 1997 ; Kelley et al., 1992…)
Ø La productivité de l’entreprise : source d’incertitude, le client peut restreindre
la productivité (Chase, 1981), mais peut aussi l’améliorer (Lovelock et
Young, 1979 ; Rodie et Kleine, 2000), si il est bien guidé à travers les étapes
du processus de servuction, grâce à la mobilisation de techniques de
socialisation organisationnelles (Bowen, 1986 ; Kelley et al., 1990).
Ø Les modes de segmentation de la clientèle : sachant que certains clients sont
disposés à participer quel que soit le service, même en l’absence d’avantages
découlant de cette participation, il est possible d’utiliser ce critère comme clé
de segmentation, sur laquelle peuvent être basés la conception et le design
193 Ce qui explique par exemple l’absence de Bateson, 1983, auquel nous avons préféré l’article de 1985, plus largement cité et dont les apports diffèrent peu ; ou encore, la seule présence de Firat et al., 1995, que nous aurions pu compléter par Firat et Venkatesh, 1993 ; 1995. 194 Voir par exemple Zeithaml et Bitner, 2003 : 85.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
204
retenus pour le service (Bateson, 1985 ; Langeard et al., 1981). Peut aussi être
considérée la complémentarité entre les clients, qui n’ont pas les mêmes
compétences ou le même niveau d’expérience avec l’entreprise (Bateson,
2002).
Ø L’innovation : nous avons volontairement restreint le nombre de
contributions portant sur l’intégration du client dans le processus
d’innovation en raison de leur éloignement avec notre problématique. Ces
perspectives de co-développement de l’innovation se développent, tant pour
les biens matériels que les services, surtout depuis les travaux de Von Hippel
(e.g.Thomke et Von Hippel, 2002 ; Von Hippel, 1986). Bien qu’adoptant une
perspective différente sur la position occupée par le client, des auteurs comme
Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2002 ; 2004) ont également proposé de le
considérer comme partie prenante du processus d’innovation par le biais de la
co-création d’expériences.
Ø L’obtention d’un avantage concurrentiel : même si il est évident que
l’amélioration de la qualité perçue et de la productivité sont autant de facteurs
visant à améliorer la situation concurrentielle, certains travaux proposent que
la capacité de la gestion de la participation client est une véritable
compétence clé (Canziani, 1997 ; Prahalad & Ramaswamy, 2000 ; 2004). En
ce sens, la participation client constitue une ressource clé (Gouthier et
Schmid, 2003), dont la maîtrise est un pilier de l’obtention d’un avantage
concurrentiel.
Ø Les modes de coordination : introduisant de par sa présence une incertitude
sur laquelle l’entreprise a peu de prise, la participation du client influence les
modes de coordination sur lesquels s’appuie la servuction (Argote, 1982 ;
Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et Bowen, 1989).
A ceci viennent se greffer nombre de recherches qui examinent l’incidence de la
présence et de la participation du client sur le comportement et les conditions de travail des
employés en contact. Ce sont les travaux sur le stress de rôle, le conflit de rôle, ou l’ambiguïté
de rôle que ressentent les employés en contact, pris en tenaille entre les exigences quelquefois
divergentes du client avec lequel ils interagissent, et celles de leur direction dont ils dépendent
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
205
(Hartline et Ferrell, 1996 ; Parkington et Schneider, 1979 ; Wetzels et al., 1999). Ne portant
pas sur explicitement sur la participation, nous ne les avons pas inclus dans le tableau 3-5.
III.2 PROPOSITION DE NOUVEAUX RÔLES ANCRÉS DANS LES
INTERACTIONS CLIENTS – EMPLOYÉS.
De la revue de littérature qui précède sur l’étude des rôles du client, nous souhaitons
montrer qu’elle pêche par omissions, qui une fois comblées peuvent permettre d’élargir cette
notion de rôle. Nous relevons donc dans un premier temps ce qui à nos yeux constitue des
absences, et par là-même des opportunités nouvelles de développement théorique (III.2.1). Le
prolongement naturel de cette réflexion est de proposer de nouveaux rôles que peut jouer le
client (III.2.2).
III.2.1 Des lacunes dans la littérature.
Nous nous arrêterons sur ce que nous considérons être deux des lacunes principales.
La première est le défaut d’approfondissement des liens entre la participation et la
coordination. La seconde se rapporte à la perspective dans laquelle s’inscrivent ces travaux.
III.2.1.a) La sous-exploration des liens entre participation client et coordination.
Si les relations entre participation du client et coordination ont été abordées dans la
littérature, il n’en reste pas moins qu’elles n’ont fait l’objet que d’un nombre très restreint de
recherches. En l’occurrence, nous en avons identifié trois, citées dans notre tableau, qui se
focalisent sur leur étude : Argote, 1982 ; Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et Bowen, 1989,
dont seule la première a une base empirique, les deux autres étant purement théoriques. Par
conséquent, parmi les recherches sur les implications de la participation, il est clair que cette
catégorie est réduite à la portion congrue, en particulier si on la compare, par exemple, à
celles sur les liens entre la participation et la qualité ou la productivité des services.
Pourtant, si la qualité de la coordination est positivement reliée à l’efficacité et à
l’efficience (Cheng, 1983 ; Georgopoulos et Mann, 1962), il paraît légitime de penser qu’un
approfondissement des retombées de la présence du client sur la coordination est nécessaire.
En effet, nous pouvons supposer que les pistes d’amélioration de la productivité et de
l’efficience liées à cette participation sont loin d’avoir toutes été explorées. Reste néanmoins à
savoir comment procéder à cette analyse. Nous nous pencherons sur cela dans notre quatrième
chapitre. Dans l’attente, continuons à explorer les zones d’ombre qui nous préoccupent.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
206
III.2.1.b) Une approche plutôt fonctionnaliste de la notion de rôle du client.
Les publications mobilisant la théorie des rôles appliquée à la participation des clients
renvoient généralement peu ou prou des références identiques. En particulier, l’une d’entre
elles, très fréquemment citée, est la contribution de Solomon et al. (1985). Ces derniers
abordent, et définissent, le rôle de la manière suivante :
« Une approche en terme de théorie des rôles met l’accent sur la nature des individus
en tant qu’acteurs sociaux qui apprennent des comportements appropriés aux positions qu’ils
occupent dans la société. Bien que les « acteurs » d’un processus de production de service
puissent être des individus très différents dans leur temps libre, ils doivent adopter un
ensemble de comportements relativement standardisés (i.e. lus à partir d’un script commun)
quand ils viennent au travail ou entrent sur une place de marché. En fait, les gens sont
souvent définis par les rôles qu’ils jouent dans le service […] Cette structure implicite n’est
pas réservée qu’au fournisseur du service. Le récipiendaire du service joue également un
rôle. Le rôle du client est composé d’un ensemble de comportements appris, d’un répertoire
de rôles […] L’étude d’un rôle – un ensemble de signaux sociaux qui guident et dirigent le
comportement d’un individu dans un cadre donné – est l’étude de la conduite associée à
certaines positions socialement définies plutôt que celle des individus particuliers qui
occupent ces positions » (Solomon et al., 1985 : 102).
Or, si nous nous rappelons l’une des citations de Perrot : « L’approche fonctionnaliste
des rôles s’inspire de la sociologie où les rôles sont analysés à partir des concepts de
structures, de normes sociales, de statuts, de modèles culturels, etc. » (2000 : 113). Il apparaît
donc que Solomon et al., au regard de leurs écrits195, ont une sensibilité proche du
fonctionnalisme. Cette même perspective est patente dans de nombreux travaux s’attachant à
déterminer les rôles du client participant, comme par exemple Bitner et al.196.(1994), Bitner et
al. (1997), Kelley et al197. (1990 ; 1992), Mills et Morris (1986), Surprenant et Solomon
(1987), Chervonnaya198 (2003)… Ils se situent dans le sillage de ce que Granovetter (1994)
195 Plus précisément, Solomon et al. (1985) analysent la dyade client-employé qui existe dans le cadre de la rencontre de service à l’aune de la théorie des rôles. 196 « Un rôle est un comportement associé à une position socialement définie (Solomon et al., 1985) » (Bitner et al., 1994 : 96). 197 « L’identification de rôle est le degré d’identification d’un client à un rôle, ou ensemble de comportements, spécifique » (Kelley et al., 1990 : 328). 198 « Un rôle est généralement défini comme « un ensemble de schémas comportementaux appris à travers l’expérience et la communication, accomplis par un individu au cours d’une interaction sociale particulière, afin d’atteindre son objectif avec un maximum d’efficacité » (Bateson, 1989) » (Chervonnaya, 2003 : 348).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
207
appelle la conception sur-socialisée de l’action humaine, qui « implique que les gens suivent
automatiquement et inconditionnellement les coutumes, les habitudes ou les normes »
(Granovetter, 1994 : 84), par opposition à une conception sous-socialisée qui omet toute
relation sociale, et ne s’intéresse à l’homme qu’en tant qu’acteur économique rationnel
maximisant son utilité.
III.2.1.c) Quid des interactions sociales ?
La réponse à cette question-titre réside dans nos propos antérieurs. Puisque le rôle du
client a été appréhendé d’après une perspective ancrée dans le fonctionnalisme, il n’est dès
lors pas étonnant de constater la quasi-absence de prise en compte des interactions entre le
client et les employés en contact dans le façonnage desdits rôles. Ç’aurait été lui reconnaître
des degrés de liberté qui, épistémologiquement, lui étaient inaccessibles, voire interdits. Ces
interactions sociales, dans les travaux précités, constituent exclusivement le cadre de
l’exercice du ou des rôles du client, un simple contexte normatif.
Ce n’est d’ailleurs rien moins que ce qu’écrit Czepiel (1990), faisant référence à
plusieurs des travaux précédemment mobilisés199 : « ces études négligent l’aspect social de
l’interaction en faveur de l’étude de l’impact fonctionnel de la présence du client dans
l’organisation – comme lorsque plusieurs des études ci-dessus caractérisent le client comme
un ‘employé partiel’ » (1990 : 17).
Notre objectif est de rompre avec cette conception, en montrant pourquoi il est
important de réintégrer ces relations dans la « fabrication » des rôles du client. Plus encore
que les relations clients / employés, nous allons nous employer à montrer que les échanges
clients / employés, et entre les employés, sont en mesure de façonner certains des rôles du que
jouent les clients.
III.2.2 Le client comme filtre et catalyseur dans les
interactions entre les employés en contact.
Nous avons posé, dans le chapitre premier, que le multicanal correspondait à une
situation d’existence simultanée de multiples canaux avec lesquels le client était en
interaction. Ce dernier est ainsi au cœur du dispositif multicanal (voir la figure 3-3).
Autrement dit, le multicanal correspond à une situation particulière d’un cas général où le
199 Sont cités Schneider (1973, 1980), Lovelock et Young (1979), Bateson (1983), Bowen (1986), et Mills et Morris (1986).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
208
client se trouve en situation d’interaction avec plusieurs employés en contact d’une entreprise,
à cette exception près où le client serait en contact avec le même interlocuteur quel que soit le
canal de distribution. Cependant, cette situation semble difficilement applicable à une
situation de B-to-C, et risquerait de faire disparaître plusieurs des avantages du multicanal
décrits dans le premier chapitre. Bien que conscient de cette possibilité, nous ne la retenons
donc pas dans notre réflexion.
Figure 3-3 : Le client au cœur du dispositif multicanal200
De par sa position, le client est donc en mesure de jouer, d’une certaine manière, un
rôle d’intermédiaire entre ces différents employés. En ce qui nous concerne, nous parlerons
dorénavant du client comme jouant le rôle d’un filtre ou d’un catalyseur201 entre les employés,
dont nous proposons ci-après plusieurs déclinaisons : le client comme filtre informationnel,
puis comme catalyseur interprétationnel et interactionnel, rôles qu’il va construire dans ses
interactions avec les différents employés. Le premier sera construit en liaison directe avec le
multicanal, tandis que les deux autres seront développés à partir du cas plus général
d’interactions entre le client et plusieurs employés en contact, donc transposables au
multicanal dont nous avons précisé qu’il n’était qu’un cas particulier de cette situation. Nous 200 A fin de lisibilité, nous n’avons pas indiqué de potentiels échanges entre les canaux 1 et 3, 2 et 5, etc. susceptibles d’intervenir. 201 Ces termes sont explicités dans les paragraphes qui suivent.
CANAL
5
CANAL
4
CANAL
3
CANAL
2
CANAL
1
CLIENT
Échanges entre le client et les canaux Échanges entre les canaux (formels et informels)
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
209
nous inspirerons en outre des résultats du cas BGN pour introduire un dernier rôle de
catalyseur, que nous qualifierons de perceptuel. Enfin, nous préciserons certaines des
conditions d’exercice de ces rôles.
III.2.2.a) Le client, « filtre informationnel »202.
Le client est une source d’incertitude pour le processus de servuction (Chase, 1981 ;
Chase et Tansik, 1983 ; Mills et Turk, 1986), incertitude que Galbraith (1973) définit comme
« la différence entre la quantité d’information requise pour réaliser une tâche et la quantité
d’information déjà possédée par l’entreprise » ( : 5).
Argote (1982) explique à sa suite que « l’incertitude de l’input [dans une unité
organisationnelle] provient de l’environnement externe avec lequel les différentes unités sont
en contact continu, ce qui a un impact immédiat sur les tâches réalisées par ces unités »
( : 422).
Transposé aux canaux de distribution, cela signifie que les tâches, les actions réalisées
par ces canaux, qu’ils soient considérés indépendamment ou ensemble au sein d’un réseau de
distribution, sont (entre autres) liées aux actions entreprises par les clients pour co-produire le
service qui leur est délivré. Généralement, l’incertitude provenant des clients est mesurée à
l’aune de la diversité de leur demande, ou de leur disposition à participer au service (Larsson
et Bowen, 1989). Mais nous avons montré antérieurement que ces actions incluent aussi la
transmission d’informations du client à l’entreprise. Ces informations peuvent par exemple
concerner la situation personnelle du client (niveau de revenus, situation matrimoniale, âge,...)
ou ses attentes vis-à-vis du service.
Or, il ne semble pas irréaliste d’envisager que le client ne donne pas toujours la même
information à ses interlocuteurs qui travaillent sur des canaux différents203 dans l’entreprise,
que ce soit dans l’expression de ses attentes, dans la qualité de l’information fournie, ou dans
sa quantité, etc. Cela peut se faire soit volontairement, soit involontairement.
Dans le premier cas, le client peut considérer qu’il a tout intérêt à créer une asymétrie
d’information qui jouera en sa faveur pour obtenir un avantage quelconque, comme un
avantage tarifaire. Prenons l’exemple suivant, utilisé dans l’une de nos publications (Plé,
2006) : lors de sa réservation via le centre d’appels d’une chaîne d’hôtels, un client tente
d’obtenir une réduction sur sa nuitée, réduction qui lui est refusée par le téléopérateur qui 202 Propos basés sur Lefebvre et Plé, 2003 ; Plé, 2006. 203 Nous sommes toujours, bien évidemment, dans l’hypothèse où le client utilise plusieurs canaux.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
210
traite sa demande. Lorsque le client se trouve sur le point de payer, à l’hôtel, il feint de ne pas
comprendre le tarif qui lui est appliqué, prétextant qu’on lui avait accordé une réduction de
20% au moment de sa réservation.
Dans le second cas, le client peut involontairement être à l’origine de cette asymétrie
d’information en oubliant tout simplement, et en toute bonne foi, de donner un détail qu’il
avait communiqué à son premier interlocuteur.
De ce fait, et d’une certaine manière, le client joue le rôle de filtre informationnel entre
les employés en contact avec lesquels il interagit, rôle qu’il ne peut construire que dans et par
ses interactions, et qu’il peut parfois déployer dans son propre intérêt pour se construire une
réalité sociale différente de ce qu’elle serait si il était simple émetteur / récepteur
d’information. Cette information porte non seulement sur le client ou l’input matériel qu’il
amène dans le processus de servuction (le cas d’un véhicule chez un garagiste), mais aussi sur
le contenu et / ou le résultat de ses interactions antérieures avec des collègues de l’employé
avec lequel il interagit à l’instant t.
Le terme de filtre est ici utilisé, car le client émet à la fois de l’information qu’il
génère lui-même (sur lui ou son input matériel), mais aussi de l’information qu’il a recueillie
et interprétée lors d’échanges antérieurs, et sur laquelle il peut jouer de manière plus ou moins
consciente (car il peut en tirer profit, ou n’a pas les capacités cognitives nécessaires au
traitement adéquat de cette information pour la transmettre ensuite, par exemple)204.
III.2.2.b) Le client, catalyseur interprétationnel et interactionnel.
Les employés en contact doivent fréquemment composer avec les exigences
potentiellement contradictoires de leur direction et des clients avec lesquels ils interagissent
(e.g. Wetzels et al., 1999). Ils peuvent être amenés, pour satisfaire le client, à contourner des
règles et procédures organisationnelles en inadéquation avec sa demande ou ses attentes.
L’employé est donc au cœur d’une véritable lutte d’influence entre le marteau des contraintes
managériales et l’enclume des desiderata de la clientèle (Eddleston et al., 2002).
Dans une étude portant sur les rôles et comportements des caissiers dans un
supermarché, Rafaeli (1989) cherche notamment à comprendre et expliquer les relations à la
fois entre les différents caissiers, et entre ces employés en contact et les autres membres de
204 Nous nous inspirons de la notion de filtre telle qu’utilisée dans la littérature communication organisationnelle, (Giordano, 2001).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
211
l'organisation, parmi lesquels sont inclus les clients. Il montre tout d’abord que ceux-ci sont
les personnes qui ont l'influence immédiate la plus importante sur les caissiers, en raison de ( :
256-259) :
Ø La proximité physique entre ces deux catégories d’acteurs
Ø La quantité de temps que clients et caissiers passent ensemble
Ø L'importance quantitative et l’immédiateté du feedback que renvoient les
clients aux caissiers
Ø La quantité d'informations que les clients fournissent
Ø Le rôle crucial que les caissiers attribuent aux clients205
A l’inverse, ces caissiers perçoivent l’influence de la direction comme plus légitime,
mais surtout beaucoup plus distante.
Ce qui est très intéressant également est la démonstration empirique par l’auteur de ce
que les clients exercent une pression à la fois directe sur les caissiers, mais aussi indirecte, en
agissant à la fois sur leurs collaborateurs (en l’occurrence, d’autres caissiers, i.e. d’autres
employés en contact) et sur la direction de ces employés en contact (cf. figure 3-4). Cette
pression indirecte au niveau de la direction se traduit par l’intervention du client qui se plaint,
ou adresse ses félicitations à la direction quant à la qualité du service que tel employé lui a
fourni, ce qui peut avoir un impact sur l’évolution professionnelle ou la rémunération de cet
employé. Mais Rafaeli nous explique que les employés en contact sont parfois amenés à
détourner les procédures pour satisfaire leurs clients (cf. ci-après). En pareilles circonstances,
lorsque le client fera part de sa satisfaction à la direction, nous nous retrouvons face à une
situation où le client, de par ce feedback auprès de la direction, entretiendra ce phénomène de
détournement de ces procédures (i.e. incitera indirectement l’employé à continuer à détourner
les procédures).
205 Extrait d’une des citations retranscrites par Rafaeli : « Parce que si les clients nous laissent, où seront nous ? Ce sont eux qui font le magasin. Ce sont eux qui font mon salaire. Sans les clients, le magasin n’existerait jamais » ( : 259)
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
212
Figure 3-4 : Les parties et les dynamiques déterminant le comportement de l’employé en contact : l’influence du client, des co-employés, et de la direction
Source : Rafaeli, 1989 : 254
Ce détournement des règles et procédures prend par exemple forme lorsque les clients
tentent de décourager les caissiers d’interagir avec d’autres caissiers ou avec le management,
dès lors qu’ils considèrent comme une perte de temps (Rafaeli, 1989 : 258), alors que ces
interactions que veut initier le caissier répondent au suivi de règles et procédures fixées par la
direction206.
En d’autres termes, le client tente d’influencer directement et indirectement l’employé
avec lequel il est en contact pour qu’il interprète ou adapte les règles et procédures qu’il
devrait normalement suivre pour honorer le contrat qui le lie à son employeur. Ce qui signifie
que, à travers les interactions qu’il entretient avec le caissier au sein de son ensemble
interactionnel, le client joue un rôle que nous qualifions de « catalyseur interprétationnel »,
rôle qui s’exprime vis-à-vis des règles et procédures organisationnelles. Nous utilisons cette
206 Par exemple, lorsque le caissier a besoin d’une autorisation pour réaliser une opération, ou préfère vérifier une information que lui donne un client sur un produit auprès d’un de ses collègues.
Influence directe Influence indirecte
Clients
Collègues
Direction
Comportement du caissier
-
+
+
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
213
fois-ci le terme de catalyseur207, que le Petit Robert définit ainsi : « Ce qui déclenche une
réaction par sa seule présence ». C’est ce qui se passe ici, puisque c’est l’action ou les propos
du client qui peuvent amener le caissier à suivre ou non ces règles et procédures.
Par ailleurs, il l’influence dans la qualité et la quantité de ses interactions avec ses
collègues, en l’amenant à limiter par exemple la quantité de ses échanges avec eux, ou a
contrario en l’incitant à les accroître (par exemple, pour que le caissier obtienne une
information dont le client a besoin). Nous qualifions ce rôle de « catalyseur interactionnel ».
Du fait de ce que nous avons précisé précédemment sur la singularité du multicanal
vis-à-vis de situations au cours desquelles le client interagit avec plusieurs employés de
l’entreprise, nous pensons qu’il est envisageable de transposer ces deux rôles de catalyseur
interprétationnel et interactionnel au cas d’un réseau de distribution multicanal.
III.2.2.c) Le client, catalyseur perceptuel.
Parmi les résultats du cas BGN, nous avons montré que les clients sont à même de
moduler l’appréciation que portent les conseillers à l’endroit des téléconseillers des plates-
formes. Ils peuvent donc faire évoluer la perception que les premiers ont du travail des
seconds, soit en renforçant leur perception initiale, soit en la modifiant. Cela va d’ailleurs
dans le sens d’un résultat émergent de Wiertz et al. (2004), qui montrent que la perception des
clients vis-à-vis d’un des prestataires de service peut influencer celle qu’en auront les autres
prestataires. D’où l’appellation de « catalyseur perceptuel » que nous assignons à ce rôle joué
par le client.
III.2.3 Implications de ces rôles de filtre et catalyseur.
La manière dont nous avons élaboré ces rôles nous éclaire sur l’impact que peuvent
avoir sur ces derniers tant les déterminants de la participation, que la nature de l’échange ou
des canaux de distribution étudiés. Enfin, leur existence vient en renfort de notre
compréhension de la participation client, de par leur complémentarité à la définition que nous
en proposons à la fin de ce chapitre.
207 Nous exprimons notre vive reconnaissance au Professeur Lamarque pour nous avoir suggéré l’utilisation de ce terme de catalyseur, dont la définition reflète ce que nous souhaitions montrer.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
214
III.2.3.a) Comprendre ces rôles de catalyseur à partir des déterminants et inputs de la participation.
Dans la perspective qui est la nôtre, ces rôles de filtre et de catalyseur que peut être
amené à jouer le client se construisent et interviennent durant ses interactions avec les
employés en contact au moment de la servuction. Ils se situent donc dans le cadre de sa
participation à cette servuction. Or, nous avons vu que les conditions de réalisation ou non de
cette participation, i.e. ses déterminants, sont les suivantes : le client doit être conscient de sa
participation, en comprendre l’importance, être capable de, et vouloir participer.
Nous pouvons alors supposer qu’il existe un lien entre ces déterminants et les rôles de
catalyseur que nous venons de détailler. Nous ne pensons pas, en revanche, que ce lien
s’applique au rôle de filtre informationnel, en raison de la nature de l’objet sur lequel il porte
(l’information émise par le client dans les conditions que nous avons décrites).
Le point de départ de cette supposition a pour origine le cas BGN, où le rôle de
catalyseur perceptuel peut se comprendre à partir de l’expression par le client de son refus du
changement de la participation qu’exige l’entreprise de sa part. Le client exprime en effet une
évaluation négative à l’égard des nouveaux outils, et plus particulièrement de la plate-forme
sortante, car cette dernière induit un changement de sa participation qui ne lui convient pas
(absence de sa volonté de modifier sa participation). Et c’est à travers la perception qu’a son
conseiller (i.e. l’employé en contact principal) de ce refus de participer selon de nouvelles
modalités que s’exerce ce rôle de catalyseur perceptuel.
De même, dans le cas du rôle de catalyseur interprétationnel, le client refuse l’ampleur
de sa participation, dont une expression peut être d’attendre que l’employé en contact ait
obtenu une information par un collègue. A nouveau, c’est parce que l’employé en contact
perçoit ce refus, et le considère comme une menace dans sa relation avec le client, qu’il peut
être amené à interpréter différemment les règles et procédures organisationnelles. Le
déclenchement de ce rôle de catalyseur interprétationnel prend donc source dans la perception
qu’a l’employé en contact d’un des déterminants de la participation du client.
Autrement dit, il est possible de voir ces rôles de catalyseur comme le résultat de la
perception qu’ont les employés en contact des déterminants de la participation (par exemple,
comment l’employé perçoit-il la volonté de participer du client ?) au moment de leurs
interactions avec les clients. Or, la dimension perceptuelle est primordiale dans une
interaction (Cook et al., 2002 ; Czepiel, 1990). En outre, dans un contexte multicanal, nous
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
215
avons expliqué que les clients réalisent un arbitrage entre les canaux, lequel arbitrage
s’effectue notamment à partir non seulement des déterminants, mais aussi des inputs leur
participation (cf. p. 190).
Donc, dans un contexte multicanal, nous pouvons envisager que ces rôles de
catalyseurs sont le résultat de la perception qu’ont les employés en contact de cet arbitrage
mesuré à l’aune des déterminants et des inputs de la participation du client.
III.2.3.b) La modulation de la nature de l’échange sur l’intensité du rôle de filtre ou de catalyseur que joue le client.
Le premier chapitre fut l’occasion de présenter la différence entre relation et rencontre
de service, au sens de Gutek et al. (2002). Pour rappel, la relation existe lorsque le client « a
affaire à quelqu’un qu’il connaît personnellement et qu’il s’attend à voir à nouveau dans le
futur » (Gutek et al., 2002 : 133), tandis que dans le cas de la rencontre, « la personne qui
fournit le service est un étranger, et le client et lui ne connaissent pratiquement rien l’un de
l’autre […] les clients ne s’attendent pas à être servis à nouveau par cet employé », et « ils
peuvent même interagir [dans le cadre d’une rencontre de service] avec une machine, comme
un distributeur automatique, ou Internet, plutôt qu’avec une personne » (ibid.). Il en va à
l’identique de la pseudo-relation.
De cela, nous inférons que l’intensité de la réussite de la mobilisation par le client de
son rôle de filtre informationnel, ou de catalyseur interprétationnel / interactionnel /
perceptuel sera étroitement liée à la nature de l’échange (rencontre, pseudo-relation ou
relation). Dans une relation de service, existe notamment une dimension de confiance entre
les deux acteurs (Eddleston et al., 2002), qui peut par exemple mener l’employé :
Ø À croire plutôt les informations que lui donnent le client que celles qui lui
sont fournies par ses collègues d’autres canaux (filtre informationnel) ;
Ø À privilégier une solution qui satisferait son client au risque de déplaire à sa
direction ou à ces mêmes collègues (catalyseur interprétationnel) ;
Ø À plus facilement contacter ses collègues si il estime que cela sert les intérêts
de son client (catalyseur interactionnel) ;
Ø Ou enfin à modifier sa perception de la qualité du travail de ses collègues
(catalyseur perceptuel). Dans un tel cas, l’intensité des rôle de filtre et de
catalyseur que joue le client serait vraisemblablement élevée.
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
216
Inversement, cette intensité sera vraisemblablement plus faible si l’employé n’a pas ou
peu d’affinité avec le client (cas de la rencontre et pseudo-relation). Il sera moins enclin à se
laisser influencer, déploiera peut être plus d’énergie à vérifier les informations fournies par le
client, s’emploiera à ne pas s’écarter soit des règles et procédures issues de sa direction, soit
des normes issues de son environnement collaboratif (ou s’en écartera le moins possible), ou
ne souhaitera pas faire l’effort de contacter d’autres canaux si le client lui demande.
III.2.3.c) Nature des canaux et rôles des clients.
Avant de conclure ce chapitre, une dernière clarification s’impose. De ce que nous
avons exposé supra, il découle naturellement que le client ne pourra pleinement jouer son rôle
de filtre informationnel ou de catalyseur (fût-il interprétationnel, interactionnel et / ou
perceptuel) que si il dispose de quelqu’un pour l’écouter. En conséquence, ce rôle ne pourra
s’exercer que si l’un des canaux au moins du réseau de distribution multicanal a une
composante humaine, par opposition aux canaux ramenés à une unique interface technique
(technologies de self-service).
III.2.4 La participation client : une définition.
Au regard de ce que nous avons écrit tout au long de ce chapitre, nous pensons être en
mesure de donner notre propre définition de la participation client (Encadré 2).
Encadré 2 : Définition de la participation client dans le cadre de cette recherche
La participation client est un concept comportemental qui renvoie aux actions et
ressources fournies par le client pour la production et / ou la distribution d’un service.
Influençable par la firme prestataire, elle dépend de déterminants propres au client, et
inclut l’apport par celui-ci d’inputs d’intensité variable, non exclusifs les uns des autres :
inputs physiques, mentaux, temporels, émotionnels, financiers, comportementaux, et
relationnels. La mobilisation de l’ensemble de ces inputs intervient dans le cadre de la
dynamique des interactions du client avec l’entreprise, caractérisées par un contenu
social variable selon leur nature et leur support (employé ou technologie de self-service).
Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle
217
De cette manière, cette définition, inspirée en partie de celle fournie par Rodie et
Kleine (2000), replace le terme « comportemental » dans une perspective organisationnelle, et
non seulement marketing208. Ce qu’illustrent les rôles de filtre et de catalyseur que nous avons
proposés, et qu’il est susceptible de jouer (Encadré 2 ci-après).
Tableau 3-6 : Le rôles de filtre et les trois rôles de catalyseur que peut jouer le client
RÔLE DÉFINITION
Filtre informationnel
Rôle joué par le client qui lui permet, volontairement ou non, de créer une asymétrie d’informations en sa faveur entre les employés en contact de
l’organisation prestataire de service à laquelle il s’adresse
Catalyseur interprétationnel
Rôle joué par le client qui lui permet d’influencer un ou plusieurs employés en contact pour qu’il(s) détourne(nt) en sa faveur les règles et procédures instaurées dans l’organisation prestataire de service à laquelle il s’adresse
Catalyseur interactionnel
Rôle joué par le client qui lui permet d’influencer à son avantage les interactions entre les employés en contact de l’organisation prestataire de
service à laquelle il s’adresse, et / ou entre ces employés et leurs supérieurs hiérarchiques
Catalyseur perceptuel
Rôle joué par le client qui lui permet209 d’influencer la perception qu’a l’employé avec lequel il est en contact des compétences des autres
employés en contact avec lequel le client a déjà interagi
208 Dans l’esprit, Rodie et Kleine rapprochent plutôt ce terme de la notion de comportement du consommateur. 209 A l’inverse des précédents, nous utilisons le terme « susceptible » car nous ne supputons pas que le feedback du client a cet objectif que d’altérer l’évaluation que fera l’employé en contact des compétences de ses collègues. Les résultats du cas BGN, dont ce rôle est originaire, ne nous permettent pas de tirer cette conclusion.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
218
EN CONCLUSION DU CHAPITRE TROISIÈME... Le client, un acteur multi-facettes du processus de
servuction auquel il contribue
Au cours du chapitre qui se referme, nous avons introduit la notion de participation du
client au service, que nous avons essayée de replacer régulièrement dans le cadre originel de
notre réflexion sur le multicanal, en dépit de nos difficultés à lui trouver des travaux dédiés.
Nous retiendrons principalement les éléments suivants :
Ø La littérature nous informe sur le contenu de la participation, ainsi que sur les
facteurs endogènes (les déterminants propres au client) et exogènes (les
techniques de socialisation organisationnelle de l’entreprise prestataire) qui la
déterminent.
Ø Le client est susceptible d’endosser des rôles multiples et variés au cours de
sa participation.
Ø Les travaux existants sont pour l’essentiel fondés sur une perspective
fonctionnaliste de la participation, et en négligent donc les aspects sociaux.
En réponse à l’appel de Czepiel (1990), nous avons finalement proposé une vision
élargie de cette participation, qui s’extraie de ce fonctionnalisme.
Cette vision élargie, traduite notamment par la proposition d’une définition de la
participation, postule que le client joue un rôle de filtre et / ou de catalyseur dans les
interactions entre les employés avec lesquels il est en contact au fil de ses échanges avec la
firme prestataire du service. A ce titre, les inputs relationnels que nous proposons de lui
attribuer dans le cadre de sa participation sont en accord avec cette vision.
Celle-ci donne selon nous une nouvelle dimension à la place qu’il prend dans
l’entreprise en tant que co-créateur de son service. Elle permet de dépasser l’étude de sa
simple activité de production, pour prendre en considération l’impact de sa présence et de ses
actions sur les échanges entre les employés en contact impliqués dans la servuction. Le client
s’affirme donc un peu plus en tant qu’acteur de la vie organisationnelle, point de vue que le
quatrième chapitre va s’ingénier à approfondir.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
219
CHAPITRE QUATRIÈME : LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES
TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT
Le troisième chapitre vient d’élargir l’horizon de la participation du client aux
échanges entre les employés en contact avec lesquels il interagit. Du fait des rôles de filtre et
de catalyseur qu’il semble théoriquement apte à jouer, il nous paraît raisonnable de penser
qu’il est en position d’exercer quelque influence sur la coordination entre ces employés. Or, à
notre connaissance, cette influence n’a été qu’effleurée par la littérature.
La coordination peut s’appréhender de deux manières. La première prend racine dans
les travaux sur le design organisationnel, qui mettent notamment l’accent sur les mécanismes
de coordination. La seconde est plutôt portée sur l’étude de la composante sociale de la
coordination, et sur le contenu des interactions entre les individus qui doivent se coordonner
entre eux. La revue de littérature sur ces deux courants, accompagnée d’une définition de la
coordination qui ne sera qu’intermédiaire, compose la première section de ce chapitre.
La seconde la complète utilement, puisqu’elle met en évidence l’absence du client
dans les travaux sur la coordination intra-organisationnelle. A partir de ce constat, nous
proposons de le réintégrer dans une définition de la coordination que nous nous approprions,
pour tenir compte de son influence en utilisant ce que nous avons écrit jusqu’alors. Cela
débouche sur l’exposé de notre problématique et des propositions de recherche qui
l’accompagnent.
L’entame de ce chapitre, enfin, ne peut se faire avant l’apport d’une dernière précision.
A notre connaissance, la coordination dans un cadre multicanal n’a fait l’objet que de très peu
de travaux, comme nous l’avons indiqué dans notre premier chapitre. Et moins encore
paraissent avoir traités de l’influence de la participation du client sur la coordination.
L’essentiel de notre propos, durant ce chapitre, n’est donc que peu connecté à la dimension
désormais contextuelle que représente le multicanal, que nous réintroduirons dans la
formulation de la problématique et des propositions de recherche.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
220
SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE
COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE.
La littérature aborde généralement la coordination sous un angle négatif. Elle
représente en effet un « problème fondamental » (March et Simon, 1964 : 27), un « fardeau »
(op.cit. : 156), ou un « challenge » que doivent impérativement relever les entreprises
(Thompson, 1967 : 158). Ce « problème de la coordination » (Piret, 1998) dépasse d’ailleurs
le cadre purement opérationnel, et prend une dimension conceptuelle lorsque la littérature
l’assimile à des notions telles la coopération ou l’efficacité organisationnelle (Cheng, 1984).
D’où un besoin d’explicitation de la nature de la coordination (I.1).
Relever ce challenge revient, pour une organisation, à déployer des modes de gestion
de l’action collective qui permettront à l’ensemble composé par ses parties de fonctionner de
la manière la plus efficace et efficiente possible. Tel est l’objet de la littérature sur les
mécanismes de coordination que nous passons en revue (I.2). Nous poursuivons par une
critique de ces travaux, en introduisant ce que Gittell (2002a ; 2002b) appelle la
« coordination relationnelle » (I.3).
I.1 COORDINATION ET INTERDÉPENDANCES, LES DEUX FACES D’UNE
MÊME PIÈCE
Comme nous le verrons, qui dit coordination dit inévitablement, d’une façon ou d’une
autre, interdépendances. A une présentation générale de la notion de coordination, au cours de
laquelle sera mis l’accent sur une analyse de ses définitions issues de la littérature (I.1.1)
succède donc un détour par la notion d’interdépendance (I.1.2). Nous concluons en donnant
les premières clés de notre future définition de la coordination (I.1.3).
I.1.1 Introduction à la notion de coordination.
Pourquoi faut-il coordonner ? La réponse à cette question conduit à s’interroger sur la
signification de la coordination, ce que nous faisons par une analyse de définitions de cette
notion. Nous établissons enfin une distinction avec la coopération, concept dont la proximité
provoque parfois la confusion.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
221
I.1.1.a) Origines des besoins de coordination.
Historiquement, plusieurs facteurs ont donné lieu à l’émergence d’un besoin de
coordination au sein des organisations. D’une manière synthétique, la coordination
présuppose trois éléments fondamentaux (Georgopoulos et Mann, 1962 : 270) :
Ø La division du travail entre les membres de l’organisation ;
Ø La différenciation et la spécialisation des rôles et des fonctions entre ces
membres. Cette spécialisation prend deux formes : verticale (nombre de
niveaux hiérarchiques) et horizontale (fonctions et services indépendants) ;
Ø Les interdépendances entre ces membres, rôles et fonctions qui émergent de
ces division et spécialisation du travail.
Les buts notables des deux premiers sont d’accroître la productivité et l’efficience de
la firme, afin que celle-ci en retire in fine un avantage concurrentiel. Ainsi, la coordination est
l’une des activités essentielles des organisations (Kogut et Zander, 1996), dont chacun de ses
présupposés n’est cependant pas exempt d’embûches210. Et les interdépendances qui en
résultent doivent être gérées en vue de mettre l’organisation au service de cet objectif
d’obtention d’un avantage concurrentiel.
Poser la question de la coordination en ces termes justifie d’emblée la nécessité de
s’interroger sur la coordination des canaux d’un réseau de distribution multicanal. Nous avons
en effet expliqué que l’organisation de ces canaux reposait sur des différenciations et
complémentarités fonctionnelles (cf. p 33 et suivantes). Les interdépendances que nous avons
mises en évidence entre les canaux211 impliquent un besoin de coordination, et en conséquence
exigent qu’elle soit précisément définie.
I.1.1.b) De multiples définitions…
Alsène et Pichault (2004) notent que relativement peu d’auteurs se sont risqués à
définir la coordination. Il est vrai que de nombreuses études qui lui sont consacrées n’en
retiennent qu’une définition implicite (e.g. Adler, 1995 ; Argyres, 1999 ; Mintzberg, 1982).
Pour notre part, il nous semble essentiel de procéder comme nous l’avons fait dans nos deux
210 Pour une présentation des avantages et inconvénients liées à ces trois présupposés de la coordination, voir Kalika et al., 2006. 211 Dans les chapitres 1 et 2.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
222
premiers chapitres, en en proposant une définition propre, assise sur la littérature. D’où le
tableau 4-1 ci-après, qui alimentera notre réflexion.
Tableau 4-1 : Quelques définitions de la coordination intra-organisationnelle
AUTEUR(S) DÉFINITION
Georgopoulos et Mann, 1962 : 273
« La coordination représente dans quelle mesure les différentes parties interdépendantes d’une organisation fonctionnent d’après les besoins et les
exigences des autres parties de l’organisation, et du système dans son ensemble »
March et Simon, 1964 : 27
« Le problème de l’arrangement de systèmes de signalisation entre des activités interdépendantes est le problème de la coordination »
Thompson, 1967 : 55
« Dans une situation d’interdépendance, l’action concertée vient par le biais de la coordination »
Van de Ven et al., 1976 : 322
« La coordination signifie l’intégration ou la mise en place de liens entre différentes parties d’une organisation pour accomplir un ensemble collectif
de tâches »
Argote, 1982 : 423 « La coordination implique de faire correspondre les activités des membres
d’une organisation, et sa nécessité provient de la nature interdépendante des activités réalisées par les membres de cette organisation ».
Cheng, 1983 : 156 « La coordination est définie comme le niveau de cohérence et de régularité logique existant entre les activités des membres d’une organisation »
Martinez et Jarillo, 1991 : 431
« la coordination est définie comme le processus d’intégration des activités qui sont dispersées entre des filiales »212
Ching et al., 1992 : 276
« La coordination définit les schémas dynamiques et structurels des relations entre les participants dans une organisation »
Malone et Crowston, 1994 : 90
« La coordination correspond au management des dépendances entre des activités »
Rathnam et al., 1995 : 1900
« La coordination est le ciment qui relie les activités des membres de l’équipe, afin que les activités interdépendantes nécessaires à la résolution
d’un problème s’assemblent pour former un processus de résolution de problème fluide, cohérent et équitable »
Young et al., 1998 : 1215
« La coordination a été définie comme l’activité consciente d’assemblage et de synchronisation de différents efforts dans le travail afin qu’ils
fonctionnement en harmonie pour atteindre les objectifs organisationnels »
Farraj et Sproull, 2000 : 1555
« La coordination se réfère à des interactions situées à l’intérieur d’une équipe, qui visent à gérer les ressources et les dépendances d’expertise »
212 Ces auteurs définissant le processus d’intégration comme le fait « d’accroître le niveau d’interdépendance entre les filiales » (Martinez et Jarillo, 1991 : 430).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
223
Heath et Staudenmayer,
2000 : 156 « Organiser les individus afin que leurs actions soient alignées »
Tsai, 2002 : 180 « La coordination organisationnelle renvoie à l’intégration ou l’établissement de liens entre les différentes parties de l’organisation »
Schermerhorn (Jr.) et al., 2003 : 229
« La coordination est l’ensemble des mécanismes qu’utilise une organisation pour relier les actions de ses unités de manière cohérente »
Alsène et Pichault, 2004 : 273
« Coordonner, c’est répartir les ressources et les tâches, rendre cohérents les actes, et orchestrer les activités ».
Lamarque et Maymo, 2005 : 229
« Coordonner, c’est combiner, agencer, disposer de façon judicieuse des éléments faisant partie d’un tout, afin d’obtenir un ensemble cohérent ou un
résultat »
Kalika et al., 2006 : 281
« La coordination a pour objet d’ajuster les éléments de la structure, aussi bien horizontalement que verticalement. Comme une force vitale, la
coordination maintient ensemble les différentes parties et les différents acteurs de la firme »
I.1.1.c) … Proches du sens commun.
Ces définitions s’inspirent, en l’enrichissant, du sens commun de la coordination, tel
que nous le donne le Petit Robert. Issue du latin ordinatio, qui signifie « mise en ordre », la
coordination y est définie comme « l’agencement des parties d’un tout selon un plan logique,
pour une fin déterminée »213. C’est-à-dire qu’il s’agit de « disposer en combinant des
éléments », ou « d’organiser un ensemble par une combinaison d’éléments ». La coordination
implique donc une action finalisée, orientée vers un ou plusieurs objectifs que l’organisation
peut atteindre en structurant ses composantes (Alsène et Pichault, 2004 ; Georgopoulos et
Mann, 1962 ; Lamarque et Maymo, 2005 ; McNaughton et al., 1999 ; Tsai, 2002 ; Van de
Ven et al., 1976). Elle est d’autant plus nécessaire que la différenciation des tâches est forte
(Lawrence et Lorsch, 1973).
La littérature complète cette acception, en y ajoutant en particulier la notion
d’interdépendance, qui se veut essentielle puisque « si il n’y a pas d’interdépendances, il n’y
a rien à coordonner » (Malone et Crowston, 1994 : 90). Même en l’absence d’une définition
explicite de la coordination, cette idée d’interdépendance est éminemment prégnante (e.g.
213 Remarquons au passage la similitude anthropomorphique de ces définitions avec celle appliquée à un système biologique, donnée dans le Robert : « Combinaison des contractions des muscles en vue d’une action bien ordonnée, cohérente ».
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
224
Mintzberg, 1982). Elle mérite donc d’être approfondie, non sans avoir auparavant apporté une
ultime précision sur la notion de coordination.
I.1.1.d) Coordination et coopération : deux concepts proches et complémentaires, mais distincts214.
Georgopoulos et Mann (1962), ou encore Cheng (1984), relèvent que la coordination
est fréquemment confondue avec d’autres concepts, parmi lesquels la coopération.
Comme nous le rappelle Dameron (2000), « le terme coopération vient de
l'association de la racine operare et du préfixe co, c'est-à-dire travailler ensemble,
conjointement » ( : 8). Selon l'auteur, la coopération est une troisième forme de coordination,
au même titre que le marché ou la hiérarchie. Elle se distingue cependant de ces deux
dernières par son caractère intrinsèquement dynamique, et repose sur la dualité entre deux
logiques de comportement, l'opportunisme et le besoin d'appartenance à un groupe. Si la
coordination renvoie à la manière dont les efforts des acteurs sont régulés, articulés et reliés
les uns aux autres (Georgopoulos et Mann, 1962), alors la coopération est une forme
particulière de coordination. Dameron (2000) parle ainsi de « coordination coopérative » (:
42).
I.1.2 L’interdépendance sur le chemin d’une définition de
la coordination
La centralité apparente de la notion d’interdépendance implique de la préciser pour
progresser vers l’objectif que nous nous sommes fixés d’aboutir à une définition propre de la
coordination.
I.1.2.a) L’interdépendance : présentation générale
L’interdépendance entre différentes unités d’une entreprise, ou « interaction
interfonctionnelle », pour reprendre les propos d’Adler (1995 : 149), est donc une notion
fondamentale de la coordination. A nouveau, elle est généralement comparable au sens
commun. L’interdépendance traduit un état de « dépendance réciproque » selon le Petit
Robert. Entre deux unités d’une entreprise, cela revient à dire que les actions ou activités
214 Nous sommes infiniment reconnaissant envers Stéphanie Dameron pour les remarques qu’elle nous a adressées sur cette distinction entre coordination et coopération.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
225
d’une des unités ne peuvent se réaliser sans l’action ou l’intervention d’une ou plusieurs
autres unités215.
Ceci n’est pas sans rappeler la définition qu’en donnent Van de Ven et al. (1976), pour
qui elle représente « [...] l’importance de la dépendance réciproque entre les membres du
personnel d’une unité pour réaliser leur travail individuel » ( : 324). Ils renvoient cependant
aux interdépendances existant au sein d’une unité, tandis que nous nous intéressons aux
interdépendances entre des unités. Nous ne retiendrons donc pas leur définition.
Nous ne retiendrons pas non plus celle de Cheng (1983), selon lequel « [...]
l’interdépendance est définie comme la mesure dans laquelle la tâche d’une organisation
requière de ses membres qu’ils travaillent ensemble » ( : 156). Trop vague à nos yeux, elle
reste également très discrète sur la notion de réciprocité.
Nous leur préférerons la définition que nous procurent Mc Cann et Ferry (1979) :
« L’interdépendance existe lorsque les actions entreprises par un système référent affectent
les actions ou les résultats d’un autre système référent » ( : 113). Nous la modifions en nous
inspirant de Rispens (2006), pour aboutir à cette version : « l’interdépendance existe lorsque
les actions entreprises par un système référent déterminent, influent ou contrôlent les actions
ou les résultats d’un autre système référent ». Outre sa portée (différentes unités d’une
organisation), elle supporte implicitement la réciprocité, (puisque tout dépend du système
référent initialement considéré), sans exclure celle de pouvoir naturellement attachée à la
notion d’interdépendance216 (Victor et Blackburn, 1987).
I.1.2.b) Les sources d’interdépendance
Un autre intérêt de la définition adaptée de Mc Cann et Ferry est qu’elle distingue en
son sein ce que Wageman (1995) appelle « les sources des interdépendances » ( : 146), dont
elle discerne quatre catégories qui peuvent être étudiées soit indépendamment les unes des
autres (e.g. Thompson, 1967), soit combinées (Van Vijfeijken et al., 2002 ; Wageman, 1995) :
Ø Les inputs nécessaires à la tâche, « comme la distribution des compétences et
des ressources, et la technologie qui définit le travail » (Wageman, 1995 :
146). C’est typiquement le point de vue adopté par Thompson (1967), pour
215 Nous reprenons la définition que donne le Petit Robert du verbe dépendre, d’étymologie latine dependere, signifiant « pendre de », ou « se rattacher à » : « Ne pouvoir se réaliser sans l’action ou l’intervention (d’une personne ou d’une chose) ». 216 Notion expressément présente dans une des définitions que nous donne le Petit Robert de la dépendance : « Être sous l’autorité, la domination, l’emprise ».
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
226
qui le recours à l’une ou l’autre des interdépendances présentées infra est
fonction de la technologie employée.
Ø Les processus mis en place au sein de l’entreprise pour favoriser la
combinaison des inputs afin d’accomplir une tâche dans son ensemble (Shea
& Guzzo, 1987217), i.e. la manière dont le travail est organisé (structure,
procédures de travail, etc.).
Ø La manière dont sont définis et atteints les objectifs (par exemple, mesures
individuelles ou collectives de la performance)
Ø La manière dont est récompensée la performance (individuelle ou globale).
A partir de cette analyse, Wageman (1995) sépare d’un côté les interdépendances liées
à la tâche218, qui se situent au niveau des inputs utilisés et des processus nécessaires à la
réalisation du travail ; et d’un autre côté, les interdépendances de résultat219, ancrées dans les
définitions et mesures des objectifs ou des récompenses. Ce qui rejoint la distinction entre
actions et résultats de la définition que nous avons reprise chez Mc Cann et Ferry.
I.1.2.c) L’intensité des interdépendances
« Supposer qu’une organisation est composée de parties interdépendantes ne revient
pas nécessairement à dire que chaque partie est dépendante de, et supporte, toute autre partie
de manière directe » (Thompson, 1967 : 54). L’interdépendance peut donc exister de manière
indirecte ou directe. Dans le premier cas, les différentes unités travaillent indépendamment
chacune de leur côté, et contribuent à l’ensemble auquel elles appartiennent (cf. tableau 4-2,
« pooled interdependence »). Dans le second, elles sont, d’une manière ou d’une autre, en
contact, et les actions de l’une dépendent partiellement ou totalement des actions de l’autre
(cf. tableau 4-2, les trois autres types d’interdépendance). Nous nous trouvons donc, d’après
les termes de Wageman, en présence d’interdépendances liées à la tâche, et non
d’interdépendances de résultat.
Thompson (1967) postule ainsi qu’existent trois types d’interdépendances (qui
représentent en fait autant de niveaux d’intensité de l’interdépendance), auxquelles Van de
Ven et al. ajoutent une quatrième (1976 : 335). Nous les présentons dans le tableau 4-2.
217 Cité par Van Vijfeijken et al., 2002 : 366. 218 « Task interdependence » 219 « Outcome interdependence »
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
227
Tableau 4-2 : 4 catégories d’interdépendances
INTERDÉPEN-DANCE CARACTÉRISTIQUES ILLUSTRATION
Pooled interdependence220
Chaque partie de l’entreprise lui offre sa propre contribution, laquelle est elle aussi supportée
par l’ensemble auquel elle collabore
Interdépendance séquentielle
Il y a un lien de dépendance directe entre les unités, dont
l’ordre peut être précisé. Mais chaque unité contribuant à
l’ensemble, et inversement, on retrouve aussi, d’une certaine
manière, la « pooled interdependence »
Interdépendance réciproque
Dans cette situation, qui reprend les deux premières, les outputs d’une unité deviennent des inputs pour les autres. Mais
contrairement à l’interdépendance séquentielle,
il y a ici une réciprocité de l’interdépendance
_
I N T E N S I T É D E L’ I N T E R D É P E N D A N C E
+
Interdépendance d’équipe221
Dans cette situation, les membres d’une équipe
transversale à plusieurs unités posent le diagnostic, résolvent le problème, et collaborent en tant que groupe dans le même
temps
Source : à partir de Thompson, 1967 : 54-55 ; Van de Ven et al., 1976 : 334-335
220 Dont une traduction possible est « couplage de communauté » (d’après la traduction de Mintzberg faite par Romelaer, in Mintzberg, 1982 : 39). 221 Nous reprenons l’idée de « Team Work Flow Case », émise par Van de Ven et al., 1976 : 335, mais la transposons à des unités. En effet, ces auteurs reprennent les travaux de Thompson (1967), originellement appliqués aux relations entre les unités, pour les transposer aux relations entre les membres d’une même unité. Nous faisons le cheminement inverse, en postulant l’existence d’une équipe projet transversale à différentes unités, et qui, par exemple en utilisant des outils collaboratifs, travaillera comme envisagé par Van de Ven et al.
Le travail rentre dans l’unité
Le travail sort de l’unité
Le travail rentre
Le travail sort
Le travail rentre
Le travail sort
Le travail rentre
Le travail sort
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
228
Comme l’indique la flèche située à gauche du tableau, cette typologie est construite
dans une perspective cumulative : à chaque stade correspond un degré d’interdépendance plus
élevé. Mais nul besoin de passer par un stade inférieur pour accéder au niveau suivant (la
préexistence d’interdépendance séquentielle n’est aucunement indispensable à l’émergence
d’interdépendances réciproques au sein d’une organisation aux unités interdépendantes).
I.1.3 Une définition intermédiaire de la coordination.
Sur la base des éléments dont nous venons de nous faire l’écho, il nous semble
pertinent et possible de proposer dès maintenant une définition de la coordination, que nous
ferons évoluer ultérieurement.
La coordination s’entendra donc, dès ce point, comme la gestion finalisée des
interdépendances entre des activités qui surviennent lorsque les actions entreprises par un
système référent pour remplir ses objectifs particuliers déterminent, influent ou contrôlent les
actions ou les résultats d’un autre système dans l’atteinte de ses propres objectifs.
De cette manière, nous reconnaissons :
Ø Que la coordination renvoie à l’existence d’interdépendances qu’il convient
de gérer ;
Ø Que la gestion de ces interdépendances participe de l’atteinte d’un objectif
commun aux différents « systèmes référents » (les unités de l’entreprise, donc
en l’occurrence, les canaux de distribution) ;
Ø Que chacun de ces systèmes référents est doté d’objectifs particuliers qui
peuvent dépendre de la réalisation ou non des objectifs d’autres systèmes
référents.
I.2 LA GESTION DES INTERDÉPENDANCES PAR LES MÉCANISMES DE
COORDINATION
Savoir que la coordination est la gestion finalisée d’interdépendances entre des
systèmes référents est une première étape. Une seconde sera maintenant de nous pencher sur
les modalités de la gestion de ces interdépendances, i.e. le recours à des mécanismes de
coordination (I.2.1), dont nous verrons que les travaux qui les présentent se rattachent pour
l’essentiel à l’école de la contingence (I.2.2).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
229
I.2.1 Quels mécanismes de coordination ?
Les mécanismes de coordination sont donc des instruments qui permettent de gérer les
interdépendances afin de générer de la coordination dans une organisation (Cheng, 1984 ;
Rispens, 2006). Nous nous limiterons arbitrairement à la présentation de trois des typologies
les plus fréquemment usitées dans la littérature, tout en gardant à l’esprit que d’autres
chercheurs ont travaillé sur ces questions en se basant généralement sur ces travaux
fondateurs. Le tableau 4-3 rapporte quelques-unes de ces différentes contributions.
Nous replacerons également l’utilisation de ces mécanismes dans le cadre du
développement des technologies de l’information, qui à défaut d’en transformer la nature, en
sont devenus des supports incontournables.
Tableau 4-3 : Quelques typologies des mécanismes de coordination établies dans la littérature
AUTEUR(S) MÉCANISMES DE COORDINATION
March et Simon, 1958222 Coordination par plan Coordination par rétroaction
Georgopoulos et Mann, 1962
Coordination programmée223 Coordination générale224
Thompson, 1967 Standardisation Coordination par plan Coordination par ajustement mutuel
Van de Ven et al., 1976 Mode impersonnel de coordination Mode personnel de coordination Mode « groupal »225 de coordination
Mintzberg, 1982, 1990
Ajustement mutuel Supervision directe Standardisation des procédés de travail Standardisation des résultats Standardisation des qualifications (et du savoir)226 Standardisation des normes
Kalika, 1988
Comité de direction Directeur adjoint Responsable d’un projet Responsable d’une activité particulière
222 Il s’agit de l’édition originale de leur ouvrage, dont nous avons consulté la version française, dont la première édition date de 1964. Mais par souci de respect chronologique, nous indiquons la date de 1958 dans ce tableau. 223 Équivalente à la coordination par plan de March et Simon (1958), d’après Georgopoulos et Mann. 224 Équivalente à la coordination par rétroaction de March et Simon (1958), d’après Georgopoulos et Mann. 225 « Group mode » ( : 323). 226 Romelaer (2002) renomme ce procédé « standardisation des compétences » ( : 8).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
230
Martinez et Jarillo, 1989227
Mécanismes structurels et formels :
• Départementalisation228
• Centralisation (ou décentralisation)
• Formalisation et standardisation
• Contrôle du résultat et du comportement
Mécanismes informels et « plus subtils » :
• Relations latérales
• Communication informelle
• Culture organisationnelle
Ching et al., 1992 Processus de construction de réputation Processus d’allocation de tâches
Adler, 1995229
Non-coordination Standards Programmes et plans Ajustement mutuel Équipes
Nizet et Pichault, 1999 Relations interpersonnelles Programmation Représentation mentale
I.2.1.a) La typologie de March et Simon (1958/1964)
March et Simon (1958) proposent deux modes généraux de coordination : par plan, et
par rétroaction ( : 157). Le premier est « basé sur des réglementations préétablies » : ce sont
par exemple des règles, des procédures organisationnelles, des prévisions, des systèmes
formalisés d’information et de communication. Ce type de mécanisme voit donc son efficacité
maximale en univers certain, lorsqu’il est possible de limiter l’incertitude à sa portion congrue
et de planifier les activités à l’avance.
Si à l’inverse, des divergences se font jour entre situation réelle et situation planifiée,
force est de recourir à ce qu’ils nomment la coordination par rétroaction, qui « implique la
transmission d’une information nouvelle » (ibid.), et qui permettra l’ajustement indispensable
à la survenue de ces déviations.
Précurseurs, Simon et March ont influencé une large majorité de recherches
consacrées à la description et l’analyse des modes de coordination qui cherchent à les
approfondir (Tableau 4-3 ci-dessus).
227 Martinez et Jarillo ont exposé la même typologie dans un article ultérieur (1991). 228 Proche de la différenciation de Lawrence et Lorsch (1973) 229 L’apport principal des travaux de Adler est d’instaurer une dynamique de ces mécanismes de coordination qui sont placés dans une perspective temporelle.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
231
I.2.1.b) L’apport des travaux de Thompson (1967)
Thompson (1967) reprend et enrichit la typologie de March et Simon, et avance trois
types de coordination des activités d’une entreprise.
La standardisation est le premier d’entre eux. Elle implique « la mise en place de
routines ou de règles qui contraignent l’action de chaque unité de telle sorte qu’elle soit
cohérente avec les directions suivies par les autres unités dans le cadre d’une relation
d’interdépendance » ( : 56). Thompson mentionne que ce type de coordination est approprié
dans des situations stables et répétitives.
La seconde reprend la notion de coordination par plan, dont Thompson précise qu’elle
« ne requière pas le même degré de stabilité et de routinisation que celui requis pour la
coordination par standardisation » ( : ibid.). Elle est donc plus applicable à des situations
dynamiques (changement de l’environnement, notamment).
Enfin, la troisième est la coordination par ajustement mutuel, impliquant « la
transmission d’informations nouvelles durant le processus qui est en œuvre » ( : 56). Si la
définition est proche de la coordination par rétroaction, Thompson précise que chez March et
Simon, celle-ci est étroitement liée à une transmission dans le cadre hiérarchique, tandis que
l’ajustement mutuel englobe tant la communication hiérarchique que latérale, ce qui lui donne
un caractère bien moins formel.
I.2.1.c) Les mécanismes de Mintzberg (1982 ; 1990).
La première mouture de la typologie de Mintzberg apparaît dans son célèbre ouvrage
de 1982, Structure et Dynamique des Organisations230. Il y distingue cinq mécanismes,
inspirés des travaux précédents.
Ø L’ajustement mutuel : il « réalise la coordination du travail par simple
communication informelle » (: 19). Il s’agit, pour Mintzberg, du « seul qui
marche dans des circonstances extrêmement difficiles », l’auteur s’inscrivant
là dans les propos tenus par ses prédécesseurs. Il s’en démarque néanmoins
en réduisant ce mécanisme à des échanges strictement informels, ce qui
tranche singulièrement avec les conceptions de March et Simon (ajustement
formel sous contrainte hiérarchique), ou de Thompson (ajustement formel ou
informel).
230 Version originale parue en 1979 sous le titre : The structuring of Organizations : a synthesis of the research.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
232
Ø La supervision directe231 : « mécanisme de coordination par lequel une
personne se trouve investie de la responsabilité du travail des autres » (: 20).
Ø La standardisation des procédés de travail : « le contenu du travail est spécifié
ou programmé » ( : 21).
Ø La standardisation des résultats du travail : spécification ex-ante des résultats
qui doivent être atteints.
Ø La standardisation des qualifications (et du savoir) : elle est effective
« lorsqu’est spécifiée la formation de celui qui exécute le travail » ( : 22)
Nizet et Pichault (1999) relèvent que cette typologie a peu à peu évolué à mesure des
publications de Mintzberg, et montrent comment a germé l’idée d’un sixième mécanisme de
coordination : la coordination par les normes, qui éclot dans son ouvrage de 1990 : « ce sont
les normes, qui dictent le travail, qui sont contrôlées, et, en règle générale, elles sont établies
pour l’organisation dans sa globalité » (Mintzberg, 1990 : 158). Elles sont donc un référentiel
de données ou de croyances communes qui favorise le travail collectif.
Mintzberg (1982) classe ces mécanismes selon un continuum selon la complexité du
travail à coordonner : plus celle-ci s’accroît, plus l’ajustement mutuel laissera la place à la
supervision directe, laquelle la cédera ensuite à la standardisation, pour enfin retourner à
l’ajustement mutuel dans les situations les plus complexes. Il ajoute que les organisations
utilisent généralement plusieurs de ces mécanismes de coordination, qui sont non exclusifs les
uns des autres, bien qu’ils puissent « être considérés comme quelque peu substituables entre
eux » (ibid.).
I.2.1.d) Les technologies de l’information, supports des mécanismes de coordination.
C’est un euphémisme de dire que les technologies de l’information ont eu un impact
considérable sur la coordination des entreprises (Boukef, 2005 ; Kalika, 2000 ; Kalika et al.,
2000). Ainsi, l’utilisation d’un Intranet permet une diffusion instantanée à l’ensemble des
membres de l’organisation. L’e-mail est un outil appréciable dans la coordination
hiérarchique et non-hiérarchique, même si il n’est pas pour autant dépourvu de certaines
limites (Boukef, 2005). Les systèmes d’information permettent également une mise à jour
immédiate des procédures à suivre dans l’entreprise en cas de changement de celles-ci.
231 D’aucuns placent la supervision directe sous la bannière des mécanismes de contrôle (e.g. Gittell, 2000).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
233
Aussi, sans constituer en eux-mêmes des mécanismes de coordination, les outils issus
de la révolution de ces technologies et qui sont de plus en plus diffusés, constituent des
supports à la coordination dont la portée et l’intérêt sont indéniables. Certains auteurs parlent
même à leur propos de « coordination distancielle » (Kalika et al., 2006).
I.2.2 Une perspective contingente de la coordination.
Les travaux sur les mécanismes de coordination se rattachent à l’école de la
contingence, qui cherche à « identifier quelle est la forme structurelle la meilleure pour une
organisation placée dans des conditions spécifiques données » (Mintzberg, 1982 : 26).
Par exemple, March et Simon (1964) expliquent que plus la situation est stable et
prévisible, et plus l’on fera confiance à la coordination par plan. Thompson (1967), de son
côté, relie la nature des interdépendances à un type de coordination. Ainsi, à la « pooled
interderdependence » correspondra comme mécanisme de coordination la standardisation ; les
interdépendances séquentielles sont, elles, mieux coordonnées par les plans ; quant aux
interdépendances réciproques, s’y applique l’ajustement mutuel. Pareillement, chez
Mintzberg (1982), le mécanisme de coordination principalement utilisé dans une organisation
dépend de la configuration de la structure : il s’agira de la supervision directe dans une
structure simple, de l’ajustement mutuel dans une adhocratie,... (Mintzberg, 1982 : 404-405).
De leur côté, Malone et Crowston (1994) ont contribué au développement de tout un
courant de recherche qu’ils intitulent « la théorie de la coordination » 232, qui s’inscrit dans
cette perspective contingente. Leur point de vue est qu’il est nécessaire d’identifier les
interdépendances existant dans l’organisation, pour leur faire correspondre les mécanismes de
coordination correspondants. Par exemple, l’existence d’une interdépendance au niveau des
ressources peut être résolue par des mécanismes tels : premier entrant / premier sortant ; des
décisions managériales ; la priorité des commandes ; les budgets, etc.
D’autres auteurs encore ont étudié l’impact de l’environnement sur le choix de la
structure233. Citons pour mémoire Lawrence et Lorsch (1973), qui montrent que plus un
environnement est instable et complexe, plus sera favorisé le recours à l’ajustement mutuel,
par opposition à un environnement plus stable et moins complexe, où les entreprises
privilégieront la supervision directe et la standardisation. 232 Crowston et al. (2004) dénombrent plus de 280 publications (articles, communications, thèses) basés sur cette « théorie de la coordination ». 233 Passer en revue l’abondante littérature sur la théorie de la contingence structurelle dépassant le champ de notre réflexion, nous renvoyons le lecteur à la synthèse qu’en fait Desreumaux (1998).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
234
Fortement déterministe, cette école n’apporte toutefois pas d’informations sur le
processus même de structuration des organisations (Desreumaux, 1998), en ce qu’elle ne nous
renseigne pas sur le contenu social de la coordination (Gittell, 2002).
I.3 LE PROCESSUS DE COORDINATION : LA « COORDINATION
RELATIONNELLE » (GITTELL, 2000A, B, 2001, 2002A, B, 2004)234.
Nous rejoignons Rispens (2006) qui écrit que les travaux précédents considèrent plutôt
la coordination comme un état que comme un processus. D’autres, en revanche, ont montré
leur intérêt pour les interactions sociales inhérentes à ce qu’il convient dans ce cas d’appeler
le processus de coordination, en particulier les travaux de l’approche sociologique des
théories néo-institutionnelles (Desreumaux, 1998 ; Joffre et Montmorillon, 2001).
Nous nous attarderons spécifiquement en ce qui nous concerne sur les travaux de
Gittell, qui à travers de multiples écrits a développé le concept de coordination relationnelle,
lequel s’intéresse justement au contenu de ce processus de coordination. A la suite d’une
introduction aux fondements de ce concept qui nous permet d’en saisir la portée et ses
évolutions (I.3.1), nous nous livrons à une analyse détaillée de ses dimensions
communicationnelle (I.3.2) et relationnelle (I.3.3), puis de leurs interrelations (I.3.4).
I.3.1 Introduction à la coordination relationnelle.
I.3.1.a) Les fondements de la coordination relationnelle
Dans de récents travaux, Gittell avance le construit de coordination relationnelle pour
expliquer les modalités de la coordination des actions de différents employés conjointement
impliqués dans la fourniture d’un service à un client donné, ce qu’elle intitule la
« coordination relationnelle ». Elle s’emploie dans le même temps à en montrer l’impact sur
la performance organisationnelle. Elle en explique précisément les origines dans son article
paru dans le Journal of Service Research en 2002, où l’on apprend qu’il est inspiré du
croisement de trois pans de la littérature. Nous résumons son propos dans le tableau 4-4.
234 Tout au long de cette partie, il nous arrivera de nous référer simplement à Gittell, sans en préciser l’année. En pareille circonstances, nos propos s’appliqueront à l’ensemble de son œuvre.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
235
Tableau 4-4 : Les origines de la coordination relationnelle
LITTERATURE IDÉES-FORCES AUTEURS235 APPORTS DE
GITTELL
Travaux sur le marketing et la qualité de service internes
Tout le monde doit prendre conscience qu’il a un client dans l’entreprise
La qualité des échanges internes impacte la qualité perçue par le client final
La sélection des employés, les systèmes de rémunération, la formation, les règles et
procédures, les moyens et outils de communication pour servir clients internes
et externes influencent la qualité perçue
Emery et Fredendall,
2002 ; Gremler et al., 1994 ;
Grönroos, 2001 ; Hallowell et Schlesinger,
2000 ; Zeithaml et Bitner, 2003
Les relations entre les différents
employés assurant la production du service peuvent
elles aussi avoir un impact sur la
qualité perçue par le client final
Travaux sur l’efficacité
des groupes
Les relations entre les fournisseurs peuvent avoir une importance sur les résultats que le client peut retirer de leur action collective
La performance du groupe dépend en particulier de la cohésion en son sein, ou
des échanges entre les membres de l’équipe
La nature des relations entre les membres tendra à faciliter ou à gêner les ajustements
de leurs actions interdépendantes
Ancona, 1987 ; Bakeman et Helmreich,
1975 ; Gully et al., 1995 ; Hackman,
1987 ; Seers et al., 1995
Ces travaux peuvent se
transposer aux services, où la coordination impacte les
résultats obtenus par les clients (e.g.
Argote, 1982)
Travaux sur le capital
social organisation
nel
Les relations fournisseur-fournisseur peuvent créer de la valeur pour le client,
valeur encastrée dans les capitaux physique et humain, et dans les liens relationnels et la
communication entre les acteurs
Burt, 1997 ; Granovetter, 1973, 1985 ; Leana et Van Buren, 1999
Pour la même raison que
précédemment, ces travaux peuvent se
transposer aux services
Source : Adapté de Gittell, 2002a
I.3.1.b) Définition de la coordination relationnelle.
Gittell aborde la coordination en reprenant la définition de Malone et Crowston
(1994), c’est-à-dire « la gestion des dépendances entre des activités » ( : 90). Elle la replace
dans le cadre des interactions entre les individus, en s’extrayant des théories du design
organisationnel dont elle note que les mécanismes de coordination qui s’y rattachent « sont
des structures qui soit facilitent l’interaction ou en réduisent le besoin » (2002b : 1423). A
l’inverse, « la coordination relationnelle représente le processus d’interaction lui-même »
(ibid.). La coordination relationnelle examine donc les interactions entre les membres d’une
organisation, dont Gittell note que la littérature les qualifie d’ajustement mutuel (Thompson,
1967 ; Mintzberg, 1982) ou de travail d’équipe (Van de Ven et al., 1976). Pour la raison que
235 La plupart de ces auteurs proviennent de Gittell (2002a), notamment pour les travaux sur l’efficacité des groupes.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
236
nous venons d’évoquer, elle en conteste l’appellation traditionnelle de mécanismes de
coordination, qu’elle désigne par la locution de « coordination relationnelle ».
Relevons au passage que ce processus qu’elle met en avant diffère profondément de
celui que décrivent Georgopoulos et Mann (1962), puis Cheng (1984) : « La coordination
concerne le degré d’articulation fonctionnelle (ou l’unité de l’effort) entre différentes parties
d’une organisation. Le processus de coordination, d’un autre côté, concerne les mécanismes
par le biais desquels les différentes parties composant une organisation sont articulées les
unes avec les autres, comme l’ajustement mutuel, les règles et programmes organisationnels,
et les réunions de groupe pour résoudre les problèmes » (Cheng, 1984 : 832). Dans les termes
de Gittell, ce processus n’est autre que le recours aux traditionnels mécanismes de
coordination (cf. p 228).
Gittell définit finalement la coordination relationnelle comme : « une forme de
coordination basée sur une communication et des relations intensives qui sont supposées être
particulièrement importantes pour atteindre de hauts niveaux de performance dans des
conditions caractérisées par une interdépendance réciproque (Thompson, 1967), un niveau
élevé d’incertitude (Van de Ven et al., 1976 ; Argote, 1982 ; Gittell 2002b), ou de lourdes
contraintes temporelles » (Gittell, 2004 : 3). Elle ajoute que « sous ces conditions, une
coordination efficace devrait être particulièrement dépendante de la qualité de la
communication et des relations entre les participants » (ibid.).
I.3.1.c) Une conceptualisation évolutive.
Cette définition fait apparaître deux dimensions principales : l’une liée à la
communication, l’autre aux relations. Tant leur appellation que leur contenu ont évolué au fil
des publications de Gittell (tableau 4-5). Néanmoins, ces différences de vocable cachent
moins une transformation sémantique fondamentale qu’une réorganisation progressive de ces
dimensions pour parvenir à une mouture peut être plus aboutie (2002a, b ; 2004).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
237
Tableau 4-5 : l’évolution chronologique236 des dimensions de la coordination relationnelle chez Gittell
PUBLICATION DIMENSIONS DE LA COORDINATION RELATIONNELLE
Gittell, 2000a: 518
• Communication : fréquence ; opportunité237 ; aptitude à résoudre les problèmes
• Utilité
• Objectifs partagés
• Connaissance partagée
• Respect mutuel
Gittell, 2001 : 471
• Une composante « communication » : fréquence ; opportunité
• Une composante « relation » : force de l’aptitude à résoudre les problèmes ; aide ; respect mutuel ; objectifs partagés ; connaissance partagée
Gittell, 2002a : 301-302 ; Gittell,
2002b : 1410 ; Gittell, 2004 : 3-4
• Communication : fréquente ; opportune ; précise ; apte à résoudre les problèmes
• Relations : objectifs partagés ; connaissance partagée ; respect mutuel
Rapidement se sont dessinées les deux dimensions principales, i.e. communication et
relation, dont ont progressivement émergé les composantes. L’une d’entre elles, en
particulier, a été doublement remaniée. L’utilité238 (2000), devenue aide239 (2001), s’est
finalement transformée en précision240, et a transité de la composante relationnelle à la
communication.
I.3.2 Les composantes de la dimension communication.
I.3.2.a) La fréquence de la communication (« frequent communication »)
Gittell relève que la fréquence de la communication a déjà fait l’objet de travaux dans
les domaines de l’étude du design organisationnel (Argote, 1982 ; Van de Ven et al., 1976) et
de l’analyse des groupes (Katz et Tushman, 1979 ; Ancona et Caldwell, 1992, cités par 236 La chronologie est basée sur les dates de publication des travaux de l’auteur, mais ne correspond pas nécessairement à la chronologie de l’évolution de sa réflexion, du fait des différences pouvant exister entre les délais de publications des revues académiques. 237 « Timeliness » (identique dans les autres publications) 238 « Helpfullness » 239 « Helping » 240 « Accuracy »
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
238
Gittell, 2001). D’après elle, ils ont accordé une place importante à la fréquence de la
communication entre les participants. Mais, note-t-elle, le rôle de cette communication n’est
pas simplement informationnel, puisqu’elle favorise l’élaboration de liens et de relations à
travers la répétition des échanges et des contacts. Ceci va dans le sens de la théorie des
réseaux sociaux, qui attache également de l’importance à la fréquence des échanges dans la
construction de ce que Granovetter (1973) appelle « les liens forts » 241.
La fréquence de cette communication est estimée subjectivement, puisque Gittell
(2004) explique qu’elle est mesurée à partir des perceptions des acteurs. Elle souligne en
outre (2004) que, indépendamment de la fréquence de communication peuvent aussi exister
des connections ou échanges de « grande qualité »242. C’est ainsi qu’elle met en relief la
nécessaire, mais non suffisante, inclusion de la fréquence de la communication dans la
coordination relationnelle, enrichie des dimensions subséquentes. A l’instar de la fréquence,
ces dimensions sont elles aussi mesurées subjectivement à partir des perceptions des acteurs
interrogés.
I.3.2.b) L’opportunité de la communication (« timely communication »)
La fréquence de la communication entre deux individus n’implique ni la qualité de son
contenu, ni n’en évalue l’opportunité. Or, peuvent en découler des erreurs, des retards dans la
coordination, et par conséquent des répercussions négatives sur la performance
organisationnelle, dont Gittell considère la coordination comme l’un des déterminants. Il n’en
reste pas moins que, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette composante n’a fait l’objet
que d’un nombre très confidentiel de recherches, aux dires de Gittell (2001), qui n’en identifie
que deux reliant positivement l’importance de l’opportunité de la communication sur la
réussite organisationnelle (Orlikowski et Yates, 1991 ; Waller 1999, in Gittell, 2004).
Elle précise enfin que la communication sera opportune si elle intervient dans les
délais impartis pour la réalisation de la tâche commune, donc dans les délais nécessaires aux
parties pour accomplir leur tâche propre en tant que sous-tâche de l’ensemble.
241 Toutefois, la seule fréquence des échanges ne garantit pas la construction de liens forts, comme le note Granovetter lorsqu’il définit la force des liens (1973, traduction française en 2000 : 46-47). 242 Elle utilise pour cela les travaux de Dutton et Heaphy, 2003 (in Gittell, 2004 : 4).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
239
I.3.2.c) La précision de la communication (« accurate communication »)
Il paraît logique de dire que même si deux personnes communiquent énormément, et le
font d’une manière opportune, cela sera d’une faible utilité si le contenu de ces échanges n’est
pas précis, ou n’est pas juste243. Dans ce cas, le risque d’erreur ou de retard s’en voit accru.
Gittell mobilise les recherches de O’Reilly et Roberts (1977), qui plaident, et démontrent
empiriquement que la précision de la communication joue un rôle important dans l’efficacité
de la coordination entre les membres d’un groupe.
I.3.2.d) L’aptitude de la communication à résoudre les problèmes (« problem-solving communication »)
Gittell reste très discrète sur cette composante dans la majorité de ses travaux. Tout
juste peut-on lire que « la résolution de problème a été relativement négligée en tant que
dimension des processus de groupe, bien qu’il ait été exploré sous la perspective des réseaux
sociaux (Stevenson et Gilly, 1993 ; Rubinstein, 2000) » (2001 : 471).
Elle est plus explicite en 2004, lorsqu’elle stipule que les interdépendances débouchent
souvent sur des problèmes qui requièrent un processus de résolution conjointe. Elle note
cependant que la réponse la plus commune à cette interdépendance est le conflit, ainsi que le
reproche ou sa prévention, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la performance
organisationnelle244 (Gittell, 2004 : 5).
I.3.2.e) Les supports de la communication entre acteurs.
Avant de poursuivre sur l’étude des composantes de la dimension relationnelles, nous
souhaitons attirer l’attention du lecteur sur un point concernant la dimension
communicationnelle. Nous n’avons pas trouvé, dans les articles de Gittell, d’information
concernant les supports de cette communication : s’agit-il de face-à-face, d’échanges
téléphoniques ou par e-mail, de mémos ou courriers, etc. ? Nous n’en savons rien. Or, d’après
Daft et Lengel (1986), la richesse de l’information transmise par un média de communication
243 A nouveau, nous nous heurtons à un problème de traduction. En anglais, « accurate » signifie précis, i.e. « dont les détails sont clairs », mais également juste ou exact. Or, ce qui est exact est « conforme à la vérité, à la réalité ». C’est donc exact par opposition à faux, ce qui n’est pas la même chose que précis. Par conséquent, l’expression « accurate communication » employée par Gittell peut soit renvoyer à la précision de la communication (sa clarté), soit à son exactitude (au sens de sa correspondance à la réalité). Le contexte des travaux de Gittell nous a toutefois laissé penser que la première signification était adéquate, ce qui explique la traduction que nous avons finalement retenue. 244 Elle se réfère à Pondy (1967) ; Gladstein (1984) ; ou Donnellon (1994).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
240
dépend de sa nature. Ainsi, la précision de l’information, par exemple, que Gittell mesure à
partir de la perception des acteurs, peut-elle varier en fonction du type de média utilisé. De
même, ce qu’elle appelle opportunité de la communication peut-elle varier selon le média
dont disposent les acteurs pour communiquer. Enfin, nous pouvons également supposer que le
type de média utilisé est susceptible d’avoir un impact sur la dimension relationnelle de la
coordination, que nous allons maintenant aborder, mais à ce propos également, Gittell nous
semble rester silencieuse.
I.3.3 Les composantes de la dimension relationnelle.
Ce sont les éléments de la coordination relationnelle que Gittell a le plus
abondamment documentés au fil de ses publications. Comme précédemment, nous présentons
ses arguments pour justifier de leur présence dans la coordination relationnelle.
I.3.3.a) Les objectifs partagés (« shared goals »)
« La coordination relationnelle repose sur l’existence d’un niveau élevé d’objectifs
partagés entre les participants pour qu’ils puissent réaliser le processus dans lequel ils sont
engagés. Lorsqu’ils partagent un ensemble d’objectifs, ces participants sont reliés par un lien
fort, et peuvent plus facilement aboutir à des conclusions compatibles sur la manière de
réagir à la disponibilité d’une information nouvelle» (Gittell, 2004 : 5).
Ainsi, March et Simon (1964) décrivent-ils les effets potentiellement néfastes en
termes d’intégration de la poursuite par les individus de leurs simples objectifs fonctionnels,
sans référence aux objectifs supérieurs et généraux de l’ensemble du processus auquel ils
prennent part. Et Nauta et Saunders (2001) montrent que par-delà la réalité de la différence du
partage des objectifs, c’est fondamentalement la perception que les acteurs ont de ces
différences d’objectifs (objectifs de l’unité vs objectifs de l’ensemble de l’entreprise) qui
importe. L’importance de la compréhension et de la connaissance de ce différentiel perceptuel
quant au partage des objectifs est majeure, lorsque l’on sait que plus les différences perçues
sont grandes, et plus les conflits entre les unités sont fréquents et graves (op.cit.).
L’innovation de Gittell tient ici dans sa caractérisation des objectifs partagés comme
éléments des relations entre acteurs devant se coordonner durant un processus de production,
et non comme éléments caractérisant la tâche d’acteurs interdépendants (Wageman, 1995).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
241
I.3.3.b) La connaissance partagée (« shared knowledge »)
Une des premières questions qu’il importe de se poser en évoquant cette connaissance
partagée est : sur quoi porte-t-elle ? A cela, Gittell répond que c’est la connaissance que
chacun a de la tâche des autres avec lesquels il doit se coordonner, ainsi que des
correspondances entre lesdites tâches. Plus cette connaissance partagée sera importante, et
plus la coordination s’en verra facilitée.
Le partage de cette connaissance vise à créer un lien fort entre les acteurs, et une
bonne connaissance du contexte dans lequel ils interviennent, sachant de ce fait « qui sera
impacté par tout changement, et donc qui doit savoir quoi, selon quel degré d’urgence »
(Gitell, 2004 : 6). Elle remarque, à la suite de Dougherty (1992), que les participants issus de
différentes fonctions développent souvent des « mondes de pensée » différents, dus à des
écarts de formation, de socialisation et d’expertise. Elle s’appuie en outre sur les théories de
Weick (1993) sur le sensemaking, qui suggère que les membres de ces « mondes de pensée »
distincts peuvent toutefois être reliés ou connectés par le biais d’un esprit collectif, qu’elle
rapproche d’une compréhension mutuelle des processus individuels de travail, ce qui est
susceptible d’améliorer la coordination entre les acteurs.
I.3.3.c) Le respect mutuel (« mutual respect »)
Van Maanen et Barley (1984) ont montré que les membres de groupes distincts ont
souvent des statuts différents, et peuvent être enclins à renforcer leur propre statut en cultivant
activement le manque de respect à l’endroit du travail fourni par les acteurs n’appartenant pas
à leur groupe, mais avec lesquels ils doivent cependant se coordonner. De tels comportements
ne sont pas de nature à faciliter la coordination, qu’ils sont plutôt propices à miner, ce que
Gittell (2004) exprime de la sorte : « le manque de respect est une des sources potentielles de
division entre ceux qui jouent différents rôles dans un processus de travail donné » ( : 6).
En incluant le respect mutuel dans la coordination relationnelle, Gittell s’inscrit par
exemple dans le prolongement de Eisenberg (1990), qui relève que « le respect des uns vis-à-
vis de la compétence des autres peut être essentiel dans le processus d’intégration de tâches
interdépendantes » (Gittell, 2002a : 302).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
242
I.3.4 Les interrelations entre la dimension communication
et la dimension relationnelle.
Pour résumer ce qui précède, nous pouvons dire que ce que Gittell appelle « la théorie
de la coordination relationnelle » pose que la coordination entre plusieurs acteurs en situation
d’interdépendance réciproque, temporellement contraints, ou de forte incertitude est plus
efficacement réalisée grâce à une communication et des relations de bonne qualité245. Mais la
simple existence de ces dimensions n’est pas suffisante pour assurer la coordination. Celle-ci
repose dans les interrelations entre communication et relations.
Dès lors, la coordination relationnelle est un processus d’interactions se renforçant
mutuellement entre la communication et les relations déployées à fin d’intégration de tâches
interdépendantes (Gittell, 2002a). Autrement dit, la nature de la communication, que
caractérisent sa fréquence, son aptitude à solutionner des problèmes, sa précision et son
opportunité, est influencée par les relations existant entre les parties prenantes au processus
qui est l’objet de cette coordination, et ces relations se retrouvent à leur tour influencées par la
nature de la communication entre ces parties. C’est donc l’ensemble de ces éléments et leurs
interrelations qui vont permettre aux acteurs de coordonner efficacement leur travail.
L’analyse des différentes contributions de Gittell nous amène à proposer que deux des
composantes relationnelles, en l’occurrence les objectifs partagés et le respect mutuel,
peuvent être qualifiés de moteurs de la communication, tandis que la connaissance partagée
en sera plutôt un facilitateur. En effet, les objectifs partagés contribuent à ce que les acteurs
s’appliquent à atteindre l’objectif commun plutôt que le seul objectif fonctionnel. Quant à la
réciprocité du respect, elle tend pareillement à renforcer leur volonté d’agir relativement à
tout le processus, grâce à la valorisation de leur tâche par les autres acteurs et inversement.
Enfin, la connaissance partagée les amène à replacer leur tâche dans l’ensemble du processus,
et à faciliter la communication entre les acteurs, par exemple grâce à un vocabulaire commun.
Puis, à son tour, la communication motive et facilite les relations, mais les indications
que l’auteur nous transmet laisse une trop vaste liberté d’interprétation pour pouvoir en
classer les quatre composantes selon cette distinction moteur / facilitateur. Raison pour
laquelle la figure 4-1, que nous avons construite à partir de ses travaux, ne décompose pas la
rétroaction de la communication vers les relations. 245 Sachant que, comme nous l’avons dit antérieurement, la communication sera considérée de bonne qualité si elle permet de résoudre des problèmes communs, est opportune, précise et fréquente ; et les relations, si elles sont basées sur une connaissance partagée, des objectifs partagés, et un respect mutuel.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
243
Figure 4-1 : Représentation des interrelations entre les dimensions de la coordination relationnelle
S’impose une dernière précision quant à ce schéma. Les termes employés pour
qualifier les dimensions et leurs interrelations, c’est-à-dire « moteur » et « facilitateur » ne
sont à l’évidence applicables que dans une situation où objectifs et connaissance sont
partagés, le respect, mutuel, et la communication, fréquente, précise, opportune et apte à
résoudre les problèmes. Dans le cas contraire, i.e. en l’absence d’un partage des objectifs et /
ou de la connaissance, de respect mutuel, et / ou lorsque la communication est peu fréquente,
peu opportune, peu précise et peu apte à résoudre les problèmes, nous parlerons alors plus
volontiers de freins (par opposition à moteur) ou d’entrave (par opposition à facilitateur).
I.4 RELIER LES MÉCANISMES AU PROCESSUS DE COORDINATION.
Généralement, les présentations existant dans la littérature pourraient laisser penser
que se trouvent d’un côté les mécanismes de coordination, et de l’autre, le processus. Or, il ne
semble pas irraisonnable d’envisager leur imbrication. Ainsi, même lorsqu’un mécanisme de
coordination est mis en place de façon très formelle, il peut être lui-même à l’origine d’un
processus de coordination au sein de l’organisation. Ce que d’ailleurs laissent entendre
certaines définitions de la coordination citées supra (cf. p. 221 : Thompson parle d’« action
concertée », Farraj et Sproull « d’interactions situées à l’intérieur d’une équipe », etc.). Par
exemple, la planification hebdomadaire d’une réunion entre différentes équipes de travail
pour prévoir la répartition des tâches durant la semaine à venir engendre des interactions entre
COORDINATION RELATIONNELLE
RELATIONS
Objectifs partagés
Respect mutuel
Connaissance partagée
COMMUNICATION
Fréquence
Opportunité
Précision
Aptitude à résoudre les problèmes
Moteurs (freins)
Facilitateur (entrave)
Moteurs et facilitateurs (freins et entraves)
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
244
les acteurs, interactions qui portent ce processus de coordination. Ce processus peut
s’analyser, comme nous l’avons proposé plus haut, à l’aune des composantes des deux
dimensions de la coordination relationnelle (communication et relation).
Or, la littérature ne nous paraît pas d’une clarté absolue sur ces liens entre mécanismes
et processus. Ainsi, March et Simon (1964), en distinguant la coordination par plan de celle
par rétroaction, laissent planer un doute : la coordination par plan proscrit-elle tout processus
de coordination, qui n’existerait que dans le cadre d’une coordination par rétroaction ? En
effet, dans le cas d’une coordination par plan « la coordination des parties est incorporée au
programme quand il est établi, et le besoin de poursuivre la communication est réduit de
façon correspondante » (March et Simon, 1964 : 158-159). Mintzberg (1982, 1990) entretient
également la confusion en déconnectant l’ajustement mutuel du reste des mécanismes de
coordination. Il se démarque néanmoins en assimilant, nous l’avons dit, l’ajustement mutuel à
des échanges informels, qui par définition sont dissociés des règles et procédures. Si nous
restons sur l’ajustement mutuel aux sens de Simon et March (ajustement formel sous
contrainte hiérarchique), ou de Thompson (ajustement formel ou informel), nous ne pouvons
pas exclure que celui-ci soit prévu par les procédures organisationnelles. Ainsi, un mécanisme
de coordination (une règle à suivre) est-elle dans ce cas à l’origine d’un processus de
coordination.
Dès lors, étudier l’un plutôt que l’autre risque de ne donner qu’une vue parcellaire de
la coordination. Gittell (2000b) a ébauché un mouvement en ce sens, en montrant de quelle
manière deux mécanismes de coordination pouvaient influencer la coordination relationnelle.
Un de nos objectifs, dans cette thèse, est d’analyser tant les mécanismes que les processus de
coordination entre des employés qui sont en contact avec le client. La présence de ce dernier
(le client) nous conduit à nous interroger sur les conséquences éventuelles de sa présence (de
sa participation) sur ces mécanismes et processus.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
245
SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA
COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE :
PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE
Les travaux sur la participation client (chapitre 3) se penchent sur la place du client
dans l’organisation, selon qu’il est considéré comme une ressource productive, un employé
partiel, un consultant, un concurrent, etc. Au regard de l’importance qu’il est susceptible de
prendre dans la servuction, il ne semble pas incongru d’envisager que le client puisse avoir un
impact sur la coordination au sein de l’organisation. Or, nous avons rapidement mentionné
que seul un très petit nombre de recherches s’y est intéressé (cf. p. 205).
Souhaitant contribuer à enrichir ce débat, nous adoptons une démarche en deux étapes.
Nous commençons par faire le point sur le statut accordé au client dans les travaux sur la
coordination intra-organisationnelle (II.1). Puis proposons une manière de conceptualiser son
intégration dans ce champ de connaissance (II.2). A cette occasion, nous formulons notre
problématique, ainsi que les propositions de recherche qui l’accompagnent.
II.1 QUID DU CLIENT DANS LES TRAVAUX SUR LA COORDINATION INTRA-
ORGANISATIONNELLE ?
La littérature organisationnelle tend à laisser le client au bord du chemin, et à rarement
l’intégrer dans ses travaux. Nous constatons pourtant que cela n’est pas faute de multiples
appels, lesquels mentionnent plus ce besoin d’approfondissement qu’ils n’y contribuent
véritablement (II.1.1).
Dans le prolongement, nous nous arrêtons sur deux catégories de travaux qui
proposent chacune à leur façon d’analyser la contribution du client à la coordination intra-
organisationnelle, tout en en pointant les lacunes (II.1.2). Nous concluons cette sous-section
en fournissant au lecteur, à l’instar de ce que nous avons fait supra, notre propre définition de
la coordination (II.1.3).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
246
II.1.1 L’apparente absence du client dans les théories
organisationnelles
L’absence du client des théories organisationnelles, et a fortiori des travaux sur la
coordination, est patent, en dépit de plusieurs tentatives d’intégration. Nous nous risquerons à
un essai d’explication de cet état de fait.
II.1.1.a) Plaidoyers pour la prise en compte du client.
Dès 1966, Lefton et Rosengren relèvent l’absence du client dans les principaux
courants de l’analyse organisationnelle. La divisant en quatre branches246, ils notent qu’elles
sont unifiées par ce qu’elles ne considèrent pas explicitement les clients, ce qui paraît
totalement incongru aux auteurs pour lesquels « les clients des organisations [sont] des
facteurs à part entière qui influencent la structure et le fonctionnement de tels systèmes » ( :
802). Le tableau 4-6 de la page suivante est une tentative de présentation synthétique de leur
critique.
246 Nous n’émettons ici ni accord ni désaccord quant à leur analyse, mais la reprenons simplement pour ce qu’elle apporte au débat sur l’absence de la prise en compte du client dans les théories organisationnelles.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
247
Tableau 4-6 : La critique de Lefton et Rosengren (1966) aux quatre courants de l’analyse organisationnelle
COURANT AUTEURS AFFÉRENTS247 PRÉSENTATION ET CRITIQUE
La bureaucratie organisationnelle248
Blau, 1955 ; Crozier, 1964249 ; Etzioni, 1961 ; Gouldner,
1954 ; Weber
La base de ce courant est le modèle bureaucratique décrit par Weber, qui conçoit la bureaucratie comme une forme
d’autorité légitime, et analyse les bureaucrates opérationnels des organisations plutôt que les clients qu’ils servent250.
La structure communautaire
Belknap et Steinle, 1963 ; Blau et Scott, ; Miller, 1958 ; Perrow,
1963
Cette approche porte sur les processus mobilisés pour rendre les « publics en contact » congruents avec les besoins des organisations, et l’émergence de celles-ci comme produits écologiques et démographiques de leur communauté hôte.
Le client se fond dans la communauté des clients.
L’approche du système social
Parsons, 1953 ; Selznick, 1948, 1953
Ce courant met l’accent sur les relations systémiques entre les organisations et les sous-systèmes institutionnels dont ils font partie. Le niveau d’analyse retenu tend à empêcher de
s’intéresser au rôle du client dans l’organisation
L’interactionnisme symbolique
Bensman et Gerver, 1963 ; Glaser et Strauss, 1965 ; Goffman, 1956
Cette approche mène à concevoir les structures et processus organisationnels comme n’ayant qu’une importance
secondaire, ne fournissant qu’un fond contextuel à l’analyse des processus d’émergence de rôles, d’identité de soi,… Par
définition, le client ne peut donc influencer ces structures
Source : A partir de Lefton et Rosengren, 1966
A leur critique initiale, ils ajoutent que différents auteurs parmi l’un ou l’autre de ces
courants ont relevé la présence du client (à l’instar de Parsons, ou Glaser et Strauss), et
l’importance que celle-ci pouvait avoir, mais aussi suggestives soient-elles, le caractère par
trop descriptif de ces remarques en a empêché la réalisation du potentiel analytique. Lefton et
Rosengren intègrent ensuite le client en utilisant deux dimensions majeures de sa relation à
l’organisation. L’une, temporelle, est la durée pendant laquelle le client sera en contact avec
l’organisation ; l’autre, physique, l’importance de la participation du client251. Établissant une
247 Cités par Lefton et Rosengren (1966). Ils ne sont à ce titre pas repris dans notre bibliographie. Pour alléger la présentation, nous n’avons évoqué que quelques uns des nombreux auteurs mobilisés au sein de chaque courant. 248 Danet (1981) se livre elle aussi à une critique de la théorie bureaucratique, en tentant d’y réintégrer le client. 249 Version anglo-saxonne de l’ouvrage de Michel Crozier, dont la première édition française date de 1963. 250 Thompson (1967) abonde en leur sens : cette théorie « prend note des personnes extérieures [à l’organisation] – la clientèle – mais en annule les effets en dépersonnalisant et en catégorisant les clients » ( : 6) 251 L’expression employée est celle de « biographical space » ( : 805), mais il s’agit bien de cette idée d’importance de la participation du client (« role size ») que nous avons développée dans notre second chapitre : « Certaines organisations peuvent avoir un intérêt dans un aspect limité du client en tant que personne – comme dans le cas d’hôpitaux généraux de court séjour – tandis que d’autres organisations peuvent afficher un intérêt plus grand à l’égard du client pris comme un produit de et un participant à la société – comme dans le cas d’un malade externe d’un service de psychiatrie » (ibid.).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
248
typologie des organisations à partir de la combinaison de ces deux dimensions, ils concluent
en montrant de quelle manière elles sont en mesure d’influencer les structures et dynamiques
organisationnelles, mais ne se concentrent pas spécifiquement sur la coordination.
Danet (1981) dresse un constat similaire. Elle explique avoir volontairement introduit
le mot « client » dans le titre de son article, car il est rare de le trouver employé en pareil
endroit dans la littérature managériale et organisationnelle : « les théoriciens des
organisations ont à peine mentionné le client. Il est vrai que les relations entre les
organisations et leur environnement sont devenues une préoccupation majeure, mais les
clients servis par l’organisation ont été traités, pour autant qu’ils l’aient été, comme des
groupes, plutôt que comme des individus » ( : 382). Le lien est patent entre ces propos et
l’analyse de Prahalad et Ramaswamy (cf. p.149).
Enfin, Bowen et Hallowell (2002) marchent dans les pas de leurs prédécesseurs,
lorsqu’ils dénotent que « il est encore rare de trouver le ‘client’ dans les titres d’articles de
journaux ou dans les index des ouvrages de management » ( : 70). A l’inverse, « cette
conclusion est bien moins vraie dans le cas des théoriciens des organisations de service »
(ibid.). Il n’en reste pas moins que cette remarque vaut majoritairement pour des travaux sur
la gestion de la participation client, laquelle a de facto un impact sur le design organisationnel
qui doit être adapté pour intégrer cet élément malgré tout extérieur252 qu’est le client.
Nonobstant, la littérature n’offre, à notre connaissance, que peu d’analyses des liens entre
cette participation du client et la coordination comme élément fondamental du design
organisationnel (à l’exception notable de Argote, 1982 ; Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et
Bowen, 1989). D’autres publications ne font en revanche que les aborder succinctement ou
implicitement, par exemple via l’analyse du différentiel de productivité résultant de la
présence du client (e.g. Fließ et Kleinaltenkamp, 2004 ; Lovelock et Young, 1979).
II.1.1.b) Un essai d’explication de cette absence : l’interprétation des travaux de Thompson (1967)
« La notion même de prescrire des conditions et des mécanismes pour inclure le client
à l’intérieur des frontières de l’organisation est contraire à la théorie organisationnelle en
vigueur. La littérature met l’accent sur le besoin d’isoler l’organisation du client (Thompson,
1967), et que l’environnement, généralement, impose des contraintes à l’organisation (Pfeffer
et Salancik, 1978) » (Bowen et Jones, 1986 : 439). Ainsi, Thompson, source la plus citée en 252 L’absence de contrat de travail entre le client et l’organisation productrice du service fait que celle-ci aura toujours une maîtrise moindre sur celui-là que sur ses employés (Bowen, 1986 ; Jeantet, 2001).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
249
design organisationnel (Heath et Staudenmayer, 2000) préconiserait-il cet isolement du client
de l’entreprise. Nous nous inscrivons cependant en faux contre cette interprétation, qui peut
selon nous être une explication de l’absence du client dans ce champ de la littérature.
Désireux de réconcilier deux conceptions de l’organisation (système clos vs système
ouvert) en s’inspirant de récents travaux de son époque (ceux de Simon, Cyert, et March),
Thompson définit l’organisation complexe comme « un système ouvert, donc indéterminé et
devant faire face à l’incertitude, mais qui est dans le même temps sujet à des critères de
rationalité et par conséquent a besoin de détermination et de certitude » (op.cit. : 10).
Il suggère dès lors de réduire l’incertitude en diminuant le nombre de variables
susceptibles d’agir sur son « cœur technique », par l’instauration de zones-tampons ( : 20). Il
reconnaît ensuite que le client est une source d’incertitude que, conformément à sa logique, il
peut être nécessaire d’isoler du cœur technique grâce à ces zones-tampons. Mais il ne va pas
jusqu’à proscrire le client de l’organisation. A contrario, « les organisations opérant de
manière intensive avec le client [devraient] chercher à placer leurs frontières autour de ce
client » ( : 43). A titres d’exemple, une université ou un hôpital. Cette inclusion, qui reste
temporaire, du client dans l’organisation, est même selon lui une nécessité : « dans les deux
[exemples], l’organisation incorpore ses clients sur une base temporaire pour réduire la
possibilité de contamination du client par des facteurs externes susceptibles de diminuer ou
réduire à néant l’efficacité des efforts de l’organisation » (op.cit. : 43). L’inclusion ponctuelle
du client dans l’entreprise permet alors d’accroître le contrôle sur celui-ci, et limite l’apport
d’incertitude environnementale au sein du système ouvert qu’est l’organisation253.
II.1.2 Le client, source d’incertitude et d’information
Deux manières de tenir compte du client dans l’étude de la coordination sont
premièrement, de l’envisager en tant que générant de l’incertitude de par sa présence, et
deuxièmement, en tant que source d’information.
II.1.2.a) Le client, source d’incertitude contraignant la coordination intra-organisationnelle.
Le client se voit donc généralement appréhendé comme une source majeure
d’incertitude qu’il convient de prévenir en découplant le cœur technique de l’environnement,
dont le client fait partie. De cette manière, des chercheurs étudient empiriquement (Argote, 253 Il est d’autant plus surprenant que le client n’ait pas été, par la suite, intégré à la réflexion sur le design organisationnel que Thompson évoque cela dans le chapitre qui porte le titre « Organizational Design ».
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
250
1982 ; Rathnam et al. 1995) ou théoriquement (Bowen et Jones, 1989 ; Larsson et Bowen,
1989) les implications de l’incertitude résultant de la présence du client, donc d’une des
modalités de sa participation dans le processus de servuction sur les mécanismes de
coordination.
Argote (1982), en réduisant l’incertitude provenant de l’environnement à celle induite
par la présence du client dans la servuction, montre empiriquement que plus l’incertitude est
forte, et moins les mécanismes programmés de coordination (i.e. des mécanismes qui
permettent de spécifier à l’avance les activités respectives des unités, comme les règles, les
réunions programmées, les plans, etc…) contribuent à la performance organisationnelle.
Rathnam et al. (1995) montrent que l’apparition de ce qu’ils appellent des gaps de
coordination, i.e. des ruptures dans les flux de travail et d’information au sein d’une équipe
traitant la demande d’un client, dépendent au moins en partie de cette même incertitude.
Larsson et Bowen (1989) s’attachent de leur côté à définir l’incertitude issue des
inputs du client comme étant « l’information incomplète que possède l’organisation sur le
contenu, le lieu, le moment et la manière dont l’input du client va être transformé pour
produire le résultat désiré » ( : 217). Cette incertitude, expliquent-ils, est gouvernée par deux
contingences : la propension du client à participer, et la diversité de la demande. Lesquelles
contingences vont, une fois combinées, « créer quatre situations distinctes d’incertitude »,
chacune correspondant à un type particulier d’interdépendance au sein de l’organisation. Ils
relient enfin ces types d’interdépendances à des portefeuilles de mécanismes de coordination.
Bowen et Jones (1989) pour leur part, suggèrent que le management de l’incertitude liée au
client peut se faire par un recours différencié à des mécanismes de gouvernance, selon une
analyse économique de leur efficience en termes de coûts de transaction.
Enfin, et cette remarque peut également s’appliquer au paragraphe qui suit, l’essentiel
de ces travaux a pour objet la coordination entre front et back office, tandis que nous nous
concentrons sur la coordination entre des employés de front-office.
II.1.2.b) L’information client au service de la coordination, la coordination au service du client.
De la qualité de la coordination semble dépendre la performance organisationnelle
(Cheng, 1983, 1984 ; Kalika, 1988). Tout est cependant fonction de la manière dont celle-ci
est évaluée. Si nous la définissons avec Georgopoulos et Mann (1966) comme le niveau de
satisfaction perçue par le client final, alors leurs résultats empiriques laissent penser que la
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
251
qualité perçue, donc une grande partie de la satisfaction perçue, est positivement reliée à la
coordination intra-organisationnelle. Mais la participation client se résume en ce cas à sa seule
présence, et n’influence pas outre mesure la coordination.
Les travaux sur l’orientation marché (ou orientation client) ont également mis en
lumière l’importance de la coordination sur la satisfaction du client (Gauzente, 2000). Le
construit d’orientation marché est défini autour des trois activités suivantes (Kohli et
Jaworski, 1990) : la génération de l’intelligence du marché relative aux besoins actuels et
futurs du client254 ; la dissémination de cette intelligence entre les départements ; et enfin, la
réactivité de l’ensemble de l’organisation face à celle-ci, tant au niveau de la préparation de
plans d’actions que de leur exécution. Cette orientation est avant tout centrée sur un ensemble
de croyances qui accordent une place prioritaire aux intérêts du client, tout en assurant un
développement rentable à long terme de l’entreprise (Kennedy et al., 2003). Indéniablement,
une des bases fondamentales d’une telle orientation est donc l’acquisition d’informations sur
les clients (Gulati et Oldroyd, 2005 ; Slater et Narver, 1994). Ces informations doivent ensuite
être rendues disponibles pour tous dans l’entreprise, et mettre l’accent sur le caractère non
négociable de l’impérieuse nécessité pour tous ses membres de satisfaire les clients externes
est un exercice crucial (Grönroos, 2001). Cela permet de forger le sentiment de travail
collectif, et facilite la coordination de l’ensemble des acteurs organisationnels travaillant dans
cette direction (Kennedy et al., 2003). En retour, cette coordination accroît le degré
d’orientation client de l’entreprise, ainsi que sa performance organisationnelle et la
satisfaction client (Jaworski et Kohli, 1993 ; Kohli et Jaworski, 1990 ; Slater et Narver, 1994).
Les travaux de Gulati et Oldroyd (2005) s’inscrivent pleinement dans cette voie. À
l’instar de Grönroos (2001), ils relèvent que l’accroissement de la proximité avec le client ne
dépend pas uniquement de l’installation de systèmes informatiques plus efficaces de gestion
de la relation client. Bien que reconnaissant leur portée, ils considèrent que se rapprocher des
clients revient à réaliser « un voyage que doit faire l’ensemble de l’organisation » ( : 92). La
condition sine qua non pour s’y engager est en premier lieu d’apprendre tout ce qu’il y à
apprendre sur les clients de l’entreprise, jusque l’information la plus mineure, afin de dresser
un portrait détaillé de leurs besoins passés, présents et futurs. Ces collecte et acquisition
d’informations, de même que leur dissémination, pour reprendre les termes de Jaworski et
Kohli (1990), ne sont pas exemptes d’embûches. Externes : le client doit être disposé à 254 « L’intelligence de marché est un concept plus large que la verbalisation des besoins et préférences des clients en ce qu’il inclut une analyse des facteurs exogènes qui influencent ces besoins et préférences » (Kohli et Jaworski, 1990 : 4).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
252
transmettre des informations qui compléteront les données recueillies sur son comportement
de consommateur (en d’autres termes : doit accepter de participer). Et internes, dont la
moindre n’est pas les résistances des employés à cette ouverture et à ce partage,
potentiellement contraires à leurs intérêts. Ces portraits sont finalement à la base de la
stratégie et des structures organisationnelles de l’entreprise. Graduellement se mettent en
place des types de coordination qu’identifient empiriquement Gulati et Oldroyd255, constituant
la pierre angulaire du périple vers le centrage sur le client.
Autrement dit, à partir de l’un des inputs du client (l’information qu’il donne, soit
directement, soit indirectement de par son comportement de consommateur), l’entreprise
développe différents modes de coordination centrés sur le partage de cette information, qui
sont de plus en plus aboutis, et visent à assurer une qualité de service optimale au client, grâce
à une amélioration des processus internes de l’organisation. Le client est donc présent à la fois
comme input (les informations sur son comportement) et naturellement comme output de la
coordination intra-organisationnelle (la satisfaction qu’il retire de la consommation du bien /
service). Néanmoins, sa dimension participative demeure particulièrement restreinte dans ce
genre d’analyse.
II.1.3 La coordination intra-organisationnelle : une
définition.
A leur instar, nous considérons que les auteurs qui plaident pour une intégration du
client dans la coordination ne semblent pas avoir reçu tout l’écho nécessaire au message qu’ils
souhaitent faire passer. Un moyen les faire résonner différemment peut être de proposer une
définition de la coordination dans laquelle apparaît explicitement le client, afin de lui
reconnaître ce rôle qu’il paraît être en mesure de jouer, rôle que nous nous emploierons
ultérieurement à montrer empiriquement. Dès lors, ce travail doctoral s’appuiera sur la
définition suivante de la coordination (Encadré 3).
255 Au fur et à mesure du temps se succèdent quatre types de coordination, de plus en plus sophistiqués : communautaire ; séquentielle ; symbiotique ; et la plus complète, intégrale.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
253
Encadré 3 : Définition de la coordination dans le cadre de cette recherche
La coordination est la gestion finalisée des interdépendances entre des activités.
Ces interdépendances surviennent lorsque les actions entreprises par un système
référent pour remplir ses objectifs particuliers déterminent, influent ou contrôlent les
actions ou les résultats d’un autre système dans l’atteinte de ses propres objectifs. La
gestion de ces interdépendances, qui peuvent s’inscrire dans un processus social
d’interactions entre acteurs, est réalisée au moyen de mécanismes de coordination. Tant
ces mécanismes que le processus de coordination peuvent être influencés par le client en
tant qu’acteur participant à la création du service que lui délivre l’entreprise, de par sa
mobilisation consciente ou inconsciente de rôles de filtre et/ ou catalyseur au cours de ses
interactions avec les employés en contact de l’entreprise.
La première partie de cette définition est identique à notre définition intermédiaire, sur
laquelle nous avions formulé quelques commentaires qui s’appliquent donc ici (cf. p. 228).
Ajoutons que le fait que cette gestion finalisée d’interdépendances se fasse entre des activités
renvoie au niveau organisationnel de la coordination, tandis que l’expression « système
référent » est suffisamment large pour renvoyer qui à une unité de l’entreprise, qui à un acteur
de cette unité.
Ceci est complété par la précision de ce que le client est susceptible d’intervenir sur
cette coordination, tant au niveau du design, que du processus de coordination, grâce aux
rôles que nous avons proposé de lui attribuer dans le chapitre 3.
II.2 PROPOSITION D’UNE CONCEPTUALISATION DE L’INFLUENCE DU
CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE :
PROBLÉMATIQUE ET PROPOSITIONS DE RECHERCHE
A partir tout ce qui précède, nous allons maintenant formuler la problématique de cette
thèse (II.2.1), ainsi que les propositions de recherche qu’elle sous-tend (II.2.2).
II.2.1 Formulation de la problématique.
La littérature présentée supra nous a permis de montrer que si un nombre confidentiel
de travaux appelle de ses vœux à la prise en compte du client dans les théories
organisationnelles, la réponse tient en un nombre plus restreint encore de recherches qui
tentent cette intégration. Parmi ces derniers, certains s’intéressent plus à son impact sur le
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
254
design organisationnel en introduisant la variable d’incertitude. D’aucuns, en revanche,
s’interrogent sur les conséquences de la diffusion de l’information obtenue auprès de lui, et
aux processus internes de communication qui soutiennent cette diffusion. Enfin, ces deux
courants partagent l’objectif d’améliorer la performance organisationnelle, mesurée par la
capacité de l’organisation de fournir de façon efficiente au client un résultat qui le satisfera.
Il n’en reste pas moins que ces travaux ne s’attachent pas véritablement au client en
tant qu’acteur. Dans le premier cas, cette dimension est évacuée au profit de l’introduction de
l’incertitude, dont ce sont les conséquences sur le design organisationnel qui sont étudiées.
Dans le second, le client est ramené à des statistiques comportementales diffusées à toute
l’organisation. Et si la dimension sociale interne de la coordination y est sous-jacente (dans
les processus de communication et d’échange au sein de l’entreprise), celle inhérente à
l’échange avec le client ne l’est à aucun moment. Or, dès lors qu’un employé (ou plusieurs)
intervient dans la production d’un service (i.e., dès lors qu’il ne s’agit pas d’un self-service,
où le client est seul avec une machine), la participation du client induit l’existence
d’interactions entre lui et ledit employé. Dans un contexte multicanal, ces interactions entre le
client et un employé interviennent dans le cadre d’interdépendances d’intensités variables
entre les employés des différents canaux.
Autrement dit, nous pouvons supposer que les interactions entre le client et un des
employés peuvent avoir un impact sur la coordination entre l’ensemble des employés qui sont
en contact avec le client. D’où cette interrogation : comment ces interactions entre le client et
les employés en contact influencent-elles la coordination entre ceux-ci ? Et puisque ces
interactions prennent place dans le cadre de la participation du client, cela revient dans un
certain sens à se poser la question de la manière dont la participation client influence cette
coordination. Nous rappelons enfin au lecteur que nous considérons, à l’inverse de plusieurs
des recherches précitées, à la fois les mécanismes et les processus de coordination (cf. p. 243).
En revenant sur l’origine première de nos préoccupations (le multicanal), cette
interrogation se voit finalement enrichie d’une dimension contextuelle dont nous ne pouvons
faire l’économie (Encadré 4). Contrairement aux formulations précédentes, il s’agit
véritablement d’une problématique, puisque la question de recherche est formulée de telle
sorte qu’apparaissent les axes théoriques qui nous permettent d’y répondre.
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
255
Encadré 4 : Problématique de cette recherche
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés
en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
L’influence du client s’entendant ici au sens de Rosengren (1967), i.e. un pouvoir non
légitimé, ne résidant pas dans la structure organisationnelle.
II.2.2 Propositions de recherche.
Une réponse possible à cette question peut passer par les rôles de filtre et de catalyseur
construits à la fin du troisième chapitre. Pour rappel, nous avons proposé que le client peut
jouer un rôle de filtre, et trois rôles de catalyseur sur les interactions entre les employés de
l’entreprise : filtre informationnel (asymétrie d’information) ; et catalyseur interprétationnel
(interprétation / détournement des règles), interactionnel (impact sur les interactions entre
employés), et perceptuel (perception des compétences des autres employés).
Mais, du fait de leurs définitions mêmes, dire que c’est parce que le client joue ces
rôles qu’il influence la coordination est quasiment tautologique. De surcroît, ces rôles de filtre
et de catalyseur ne sont pas automatiques : ils ne s’imposent pas au client comme dans la
logique fonctionnaliste traditionnellement utilisée pour l’analyse des rôles.
Il faut donc aller au-delà, et comprendre de quelle manière ces rôles se construisent à
partir des interactions entre le client et les employés. Nous avons tenté une ébauche
d’explication théorique précédemment (cf. p. 214), en postulant que ces rôles se construisent
dans les interactions entre les employés en contact et les clients. Plus exactement, dans ces
interactions, ils résultent de la perception qu’ont les employés de l’arbitrage qu’effectue le
client entre les canaux. Lequel arbitrage, traduit en termes de participation, est fonction des
inputs et des déterminants de cette participation (cf. p 190).
Ce qui jette un éclairage nouveau sur les réactions des clients dans le cas BGN, qui
peuvent s’exprimer à l’aune de leur participation : par exemple, nous pouvons dire que c’est
parce qu’ils refusaient de participer pour obtenir leur service par la plate-forme téléphonique
que les clients avaient des réactions négatives à son égard, réactions qui affectaient ce que
nous avions alors intitulé les interrelations entre les canaux. Dit différemment, les conseillers
percevaient que les clients réalisaient un arbitrage négatif entre les déterminants de la
participation liée à la plate-forme, et celle liée à l’agence ou à Internet, ainsi qu’entre les
inputs qu’exigeait chaque type de participation, et cela influençait les interrelations entre les
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
256
canaux. D’où les propositions de recherche subséquentes, que résume la figure 4-2 qui
constitue notre cadre conceptuel (cf. p. 258).
II.2.2.a) 1ère proposition de recherche : le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact
Nous avons discuté des quatre sources d’interdépendances communément admises
dans la littérature. Il est cependant frappant de constater que celles-ci sont largement centrées
sur l’intérieur de l’entreprise, et que le client est absent de la liste. Or, dans une activité de
service, la présence du client, et sa participation (quel qu’en soit le degré) sont indispensables
à la production du service (Eiglier et Langeard, 1987). Par conséquent, il ne semble pas
illogique de penser que le client soit en situation de générer des interdépendances, variables
en fonction des déterminants de sa participation, et de la congruence de ces déterminants avec
les objectifs de l’entreprise (Hubbert et al., 1995).
II.2.2.b) 2ème proposition : le client influence le recours aux mécanismes de coordination
La littérature (Malone et Crowston, 1994 ; Mintzberg, 1982 ; Thompson, 1967) nous
enseigne que les mécanismes de coordination dépendent notamment de l’existence
d’interdépendances et de leur intensité. Donc, si le client est en mesure d’agir sur cette
existence et cette intensité, il peut alors influencer le recours aux mécanismes de coordination
que feront les employés en contact. Nous postulons que la prise en compte des interactions
sociales entre le client et les employés en contact peut déboucher, en raison de la possibilité
pour le premier de jouer des rôles de filtre et / ou de catalyseur entre les seconds, sur une
moindre contingence que celle qui ressort de la littérature. Le caractère quasi-automatique
habituellement souligné par la littérature de l’application de tel ou tel mécanisme de
coordination ne prend pas en compte ces interactions. Plus que l’utilisation d’un mécanisme
au détriment d’un autre, c’est bien le fait que l’employé en contact recoure ou non au
mécanisme de coordination qu’il est supposé mobiliser qui nous intéresse ici.
II.2.2.c) 3ème proposition : le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.
Gittell (Gittell, 2000a, b, 2001, 2002a, b, 2004) s’est penchée sur les processus de
coordination au sein des activités de services (transport aérien et milieu hospitalier).
Étonnamment, toutefois, elle ne s’intéresse à aucun moment au client, sauf en tant que
réceptacle de la performance organisationnelle mesurée par la qualité du service qui lui est
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
257
délivré. Et lorsqu’elle s’intéresse aux facteurs pesant sur la coordination relationnelle, elle
adopte une position qui reste centrée sur l’organisation. Ainsi, même si elle étudie le contenu
social de la coordination, elle en délaisse d’après nous une partie importante. Nous nous
proposons donc de voir de quelle manière le client, membre du système servuctionnel, peut
influencer le processus de coordination lorsqu’il joue ses différents rôles de filtre.
II.2.2.d) 4ème proposition : La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact.
Cette quatrième proposition est en quelque sorte transversale aux trois premières, et
son fondement explicité à la fin du chapitre troisième (cf. p. 215). Rappelons qu’une relation
schématiquement est un échange entre un individu prestataire d’un service et un client, ces
deux personnes s’attendant à et ayant l’habitude d’interagir à plusieurs reprises. Une pseudo-
relation est basée sur des échanges répétés entre un individu et une organisation prestataire de
service : les employés varient systématiquement, et les individus ne s’attendent pas à interagir
à nouveau ultérieurement (Gutek, 2000 ; Gutek et al., 2000 ; Gutek et al., 2002). Dans le
cadre d’un réseau de distribution multicanal, il arrive que soient mixés relations et pseudo-
relations256. Comme la répétition des échanges entre les acteurs peut renforcer l’influence
potentielle du client sur l’employé (Rafaeli, 1989), il paraît légitime de penser que la nature
de l’échange, selon qu’il s’agit d’une relation ou d’une pseudo-relation jouera sur l’intensité
de l’influence exercée par le client sur le recours aux mécanismes, ou le processus de
coordination.
II.2.2.e) 5ème proposition : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.
Toute recherche comporte une part plus ou moins importante d’intuition, qui fait qu’il
est difficile d’expliquer l’origine de tout ce que le chercheur veut s’employer à trouver
(Langley, 1999). C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons ici, en formulant cette
cinquième proposition. Gittell (2000b) montre que certains mécanismes de coordination
renforcent, tandis que d’autres amoindrissent, la coordination relationnelle. Notre objectif est
d’approfondir ce résultat en prenant en considération l’influence que le client peut avoir sur
ces liens entre mécanismes et processus de coordination. 256 C’est le cas de la banque de détail, bien sûr, mais également de l’assurance, du tourisme (de manière plus limitée), etc., voire de certains services publics (où la distinction public / usager peut néanmoins entraîner des perceptions différentes tant de la part du client que du prestataire de service).
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
258
Figure 4-2 : Cadre conceptuel - Résumé des propositions de recherche
Implicites sur ce schéma, les actions de l’entreprise vis-à-vis du client, et de l’échange
client-employé, via les techniques de socialisation organisationnelles, ne sont pas oubliées, et
seront prises en compte dans l’analyse. Elles sont d’importance, car le cas BGN nous laisse
penser que l’influence du client, à l’instar de sa participation, n’est pas figée. Or, ces
techniques de socialisation organisationnelles en sont des facteurs non négligeables
d’évolution.
INTERDÉPENDANCES
Perception par les employés
Des inputs de la participation client
Des déterminants de la participation
client
Mécanismes de coordination
Processus de coordination
2
3
Nature de l’échange
4
5
1
Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client
259
EN CONCLUSION DU CHAPITRE QUATRIÈME... Le client, un acteur influant sur les mécanismes et le
processus de coordination
Avec le réseau de distribution multicanal et la participation client, la coordination
intra-organisationnelle est la troisième notion clé de ce travail doctoral. Elle a donc
naturellement fait l’objet de ce quatrième chapitre, dont ressortent notamment les points
suivants :
Ø Les interdépendances organisationnelles peuvent être gérées à l’aide de
mécanismes de coordination non exclusifs les uns des autres ;
Ø La gestion de ces interdépendances est caractérisée par un contenu social, que
nous avons nommé processus de coordination, qui peut s’étudier à l’aune des
composantes communicationnelles et relationnelles développées par Gittell
(2001) ;
Ø L’analyse de l’ensemble de la coordination, fût-ce au niveau des mécanismes
qu’à celui du processus de coordination, reste très majoritairement centrée sur
l’intérieur de l’entreprise, occultant la place que peut y tenir le client.
Tentant de replacer cette analyse dans le contexte du multicanal, situation au cours de
laquelle le client est amené à interagir avec plusieurs employés et / ou systèmes techniques de
l’entreprise, nous a ainsi conduit à nous interroger sur la manière d’intégrer le client dans la
coordination intra-organisationnelle. Nous avons finalement proposé de le réintroduire dans la
réflexion par le biais de la perception que les employés en contact ont des modalités de sa
participation (inputs et déterminants). Cela s’est traduit par l’énoncé d’une définition de la
coordination faisant explicitement référence au client et à son rôle potentiel dans cette
coordination.
Nous avons enfin, sur les fondations de cette analyse de la littérature, formulé notre
problématique définitive et nos propositions de recherche.
Conclusion de la Deuxième Partie
260
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
La première partie constituait notre entrée dans ce travail doctoral, dont cette seconde
s’avère être le pivot. Nous l’avons construite autour de deux concepts majeurs, fruits de
l’interprétation théorique de résultats de notre étude exploratoire :
Ø Le premier fut la participation du client à la servuction, sur laquelle la
littérature porte un regard fonctionnaliste. En fut alors avancée une relecture
interactionniste, laquelle a débouché sur la proposition de nouveaux rôles de
filtre et / ou catalyseur que pourrait jouer le client dans le cadre de ses
interactions avec les employés de l’entreprise prestataire.
Ø La coordination intra-organisationnelle fut la seconde clé de voûte de cette
partie. L’abordant à la fois au plan du design organisationnel et des processus
qui lui sont sous-jacents, nous avons constaté que le client était peu présent
dans les travaux la concernant.
De surcroît, l’effort a été mis sur les possibilités de fertilisation théorique entre ces
concepts, avec comme objectif de répondre, dans la mesure de nos moyens, à certaines des
interrogations soulevées par quelques auteurs quant à la place du client dans l’organisation, et
en particulier son impact sur la coordination intra-organisationnelle. Le résultat de cette
réflexion fut la formulation de notre problématique :
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés
en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
De cette problématique, nous avons fait ressortir cinq propositions de recherche. Il
nous reste maintenant à leur apporter des réponses empiriques. Tel sera l’objet de notre
troisième et dernière partie.
Introduction à la Troisième Partie
261
TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS
Doté de notre problématique, nous sommes maintenant en mesure de passer à la phase
empirique de cette recherche. Bien que retracée ici de manière linéaire, cette dernière n’en est
pas moins caractérisée par des allers-retours fréquents entre la théorie et le terrain. En effet, la
confrontation des données recueillies avec notre cadre conceptuel peut mettre en lumière
l’absence ou l’insuffisance de certains concepts, ce qui peut amener à revenir sur la littérature
pour lever les zones d’ombre.
Dans sa retranscription linéaire, cette phase comporte deux étapes, qui sont autant de
chapitres, structurés de la manière suivante.
Le cinquième chapitre répond aux exigences posées par la réalisation de toute
recherche scientifique. En d’autres termes, nous exposons et justifions tout d’abord notre
positionnement épistémologique, pour ensuite clarifier les modalités de recueil et d’analyse de
nos données.
Le sixième chapitre révèle ce que nous avons trouvé sur le terrain à travers deux
études de cas : la Banque Coopérative Régionale (BCR) et l’Établissement Financier
National257 (EFN). La description de chacune de ces deux études de cas, ainsi que la
présentation de l’analyse des résultats, de leur interprétation et leur comparaison sont au cœur
de ce dernier chapitre.
Le schéma 4 ci-après illustre la démarche de cette troisième et ultime partie.
257 Pour des raisons de confidentialité, ces deux établissements bancaires ont préféré conserver l’anonymat.
Introduction à la Troisième Partie
262
Schéma 4 : De la problématique aux résultats de la recherche
Explication et justification - Positionnement interprétativiste
- Réalisation d’études de cas - Méthode d’analyse des données
(Chapitre 5)
Opérationnalisation de la recherche
Étude empirique
Réponses à la problématique et aux propositions de recherche (Chapitre 6)
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
Conclusion de la seconde partie
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
263
CHAPITRE CINQUIÈME : POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA
RECHERCHE
Si la revue de littérature et le travail de construction théorique qui l’accompagne n’est
pas dénuée de complexité, celle-ci prend une tournure différente lors du passage à
l’opérationnalisation de la recherche à laquelle peut difficilement se défausser un travail
doctoral. La difficulté de prendre contact avec le terrain, dont les acteurs sont préoccupés
avant tout par la rapidité et la tangibilité des apports de la recherche, peut parfois être
dissonante des objectifs du chercheur. C’est un aspect qu’il est indispensable d’avoir à
l’esprit, et avec lequel il faut (apprendre à) composer.
Cette intrication n’est pas amoindrie par la nécessaire adéquation entre d’un côté la
manière de mener recueil et analyse de données, et de l’autre le positionnement
épistémologique du chercheur. Cette congruence est l’un des éléments justifiant de la qualité
des résultats. C’est pourquoi la première section de ce cinquième chapitre développe notre
positionnement épistémologique, en en expliquant les fondements et en replaçant
l’architecture de la recherche dans une perspective dynamique.
Dans le prolongement de cette présentation, la seconde section met l’accent sur les
modalités du recueil des données, tandis que la troisième, sur les modalités de l’analyse. En
effet, comme le notent Drucker-Godard et al. (1999), l’explicitation des modes de collecte et
d’analyse des données qualitatives participe de la fiabilité et de la validité de la recherche.
Cette phase est donc un passage indispensable pour donner au lecteur les clés pour apprécier
la qualité des résultats qui lui seront présentés plus loin.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
264
SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET
ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE
Nous avons déjà abordé la question de notre positionnement épistémologique durant la
présentation de notre première étude de cas, soulignant que nous nous réclamions de
l’interprétativisme. Nous explicitons donc ici le choix de cette posture épistémologique (I.1).
Dans un second temps, nous présentons l’architecture générale de la recherche (I.2),
dont la cohérence s’évalue notamment à l’aune de cette posture (Charreire et Huault, 2001).
I.1 UN POSITIONNEMENT INTERPRÉTATIVISTE
L’épistémologie, « science de la connaissance », s’intéresse « à la façon dont
émergent, se structurent et évoluent les connaissances qui forment les sciences » (Batteau et
Thiétart, 2001 : 1). En d’autres termes, une réflexion épistémologique sur la nature de la
connaissance résultant d’une recherche, la démarche mise en œuvre pour y parvenir, et les
modalités de son évaluation est indispensable pour asseoir le caractère scientifique de toute
recherche (Girod-Séville et Perret, 1999 ; Wacheux, 1996). En fonction du paradigme dans
lequel il s’inscrit, le chercheur obtiendra des réponses différentes à ces trois questions,
formalisées par la figure 5-1.
Le positionnement au sein d’un paradigme implique d’être conscient du large éventail
paradigmatique existant (Chalmers, 1987 ; McKelvey, 1999). Les sciences de gestion, pour
leur part, se caractérisent généralement par la mobilisation de l’un ou l’autre de ces trois
paradigmes épistémologiques : positiviste ; interprétativiste ; constructiviste (Girod-Séville et
Perret, 1999). Le premier domine encore nettement les sciences de gestion, en particulier du
fait de la prépondérance de la conception nord-américaine de la recherche (Thiétart, 1999),
même si les deux autres tendent à gagner du terrain (Mir et Watson, 2000).
La discussion entamée à ce stade vise donc, non à les présenter in extenso, mais à
justifier de notre ancrage interprétativiste en confrontant les réponses qu’apportent ces trois
paradigmes aux questions précédentes (I.1.1, I.1.2 et I.1.3).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
265
Figure 5-1 : Trois questions pour préciser son positionnement épistémologique
Source : À partir de Girod-Séville et Perret, 1999 : 14
I.1.1 La question du statut de la connaissance…
I.1.1.a) … Dans les trois paradigmes majeurs
Le paradigme positiviste, qui a pour père fondateur Auguste Comte, est d’abord fondé
sur ce que Le Moigne (1990) appelle le principe ontologique (tableau 5-1) : la science dispose
d’un critère de vérité, et a pour but de « dé-couvrir »258 La Vérité en en décrivant la réalité.
Suivant un principe d’objectivité (Le Moigne, 1990), le positivisme pose l’existence
d’une réalité indépendante de la perception du chercheur, que ce dernier peut chercher à
connaître, mais par laquelle il ne sera pas affecté et qu’il n’affectera pas lui-même . Cette
réalité, d’après le principe de l’univers câblé (Le Moigne, 1990) répond à « ses propres lois,
immuables et quasi-invariables » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 18), basées sur des relations
causales qui existent, fussent-elles déjà mises à jour ou non. La vérité scientifique est donc
universelle, totalement acontextuelle (Evrard et al., 2000), et par voie de conséquence
« indépendante du contexte d’interaction des acteurs » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 18).
258 A l’instar de Giordano (2003 : 20), nous utilisons « dé-couvrir » pour suggérer « à la manière d’enlever une couverture ».
Quelle est la nature de la connaissance produite ?
Comment la connaissance scientifique est-elle engendrée ?
Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?
Vision du monde social par le chercheur ; nature du lien sujet
/ objet ; nature de la réalité
Chemin de la connaissance emprunté
Critères de validité de la connaissance produite
QUESTIONS À SE POSER RÉPONSES À APPORTER
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
266
Tableau 5-1 : Statut de la connaissance et nature de la réalité dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste
Paradigmes
Questions épistémo- logiques
Positivisme Interprétativisme Constructivisme
Quel est le statut de la connaissance ?
Hypothèse ontologique
L’objet de connaissance a une essence propre
Hypothèse phénoménologique
L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme)
ou n’existe pas (constructivisme radical)
La nature de la “réalité”
Indépendance sujet / objet
Hypothèse déterministe
Le monde est fait de nécessités
Dépendance sujet / objet
Hypothèse intentionnaliste
Le mode est fait de possibilités
Source : Girod-Séville et Perret, 1999 : 14-15
Les paradigmes interprétativiste et constructiviste se démarquent en posant
l’impossibilité d’accès à une connaissance objective de la réalité, « jamais indépendante de
l’esprit, de la conscience de celui qui l’observe ou l’expérimente » (Girod-Séville et Perret,
1999 : 19). A l’hypothèse ontologique s’oppose frontalement l’hypothèse
phénoménologique : l’objet étudié et son observateur (le sujet) sont dépendants. Ces remises
en cause des postulats du positivisme impliquent que interprétativistes et constructivistes
appréhendent le monde social à travers des interprétations construites à partir des interactions
contextualisées entre les acteurs. La réalité est donc socialement construite par les actions et
pensées des individus qui y participent en fonction de leurs finalités (Berger et Luckmann,
1966).
I.1.1.b) … Dans notre recherche.
Nous avons de commun avec les interprétativistes et les constructivistes, le partage de
leur hypothèse phénoménologique, par opposition à l’hypothèse ontologique positiviste. Nous
reconnaissons donc le caractère représentatif (au sens de : issu d’une représentation), sinon
construit, d’une réalité qui dans ces circonstances est subjective et contextuelle. Cette
représentation relève de notre travail en tant que chercheur, et notre interdépendance avec la
réalité étudiée fait que nous sommes amenés à co-construire cette représentation avec les
acteurs qui appartiennent à cette réalité, mais en l’interprétant à l’aide de nos filtres théoriques
(Allard-Poesi et Maréchal, 1999). Et par ricochet, nous ne pouvons exclure avoir influencé les
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
267
perceptions de ces acteurs, en dépit des précautions prises pour l’éviter. Enfin, nous sommes à
l’unisson avec l’hypothèse intentionnaliste quant à la vision du monde social.
I.1.2 La question de l’engendrement de la connaissance.
I.1.2.a) … Dans les trois paradigmes majeurs.
S’engager sur l’un ou l’autre des chemins vers la connaissance du tableau 5-2 est
indissociable du statut de la vérité propre au paradigme dans lequel s’inscrit le chercheur.
Ainsi, un chercheur positiviste laisse son intuition sur le bord de la route (Wacheux, 1996),
postulant que, l’univers étant câblé, il est possible de découvrir des lois qui s’imposent aux
acteurs, dont les interactions n’influencent pas la réalité objective qu’il veut mettre au jour et
expliquer. Il s’agit bien de la mettre au jour, puisque « l’idée force de cette vision est que ces
lois existent même si elles ne peuvent pas toutes être découvertes » (Girod-Séville et Perret,
1999 : 23). Ces lois sont basées sur des causalités tant circulaires que multiples (Chalmers,
1987 ; Girod-Séville et Perret, 1999 ; Le Moigne, 1990, 1993).
Tableau 5-2 : Le chemin vers la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste
Paradigmes
Questions épistémo- logiques
Positivisme Interprétativisme Constructivisme
La découverte L’interprétation La construction Comment la connaissance est-elle engendrée ?
Recherche formulée en termes de “pour quelles
causes…”
Recherche formulée en termes de “pour quelles
motivations des acteurs…”
Recherche formulée en termes de “pour quelles
finalités…”
Le chemin de la connaissance scientifique
Statut privilégié de l’explication
Statut privilégié de la compréhension
Statut privilégié de la construction
Source : Girod-Séville et Perret, 1999 : 15
Dans une posture interprétativiste, le chercheur a pour objectif une compréhension
interprétative du sens que les acteurs qu’il observe donnent à la réalité. En d’autres termes,
« tout individu (ordinaire ou savant) est donc sujet interprétant et ses interprétations lui sont
spécifiques car intimement liées à son expérience personnelle du monde. Pour le chercheur,
connaître revient à tenter de comprendre le sens ordinaire que les acteurs attribuent à la
réalité, inconnaissable dans son essence » (Giordano, 2003 : 20). L’interprétativisme est
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
268
étroitement relié à la « sociologie compréhensive » (Wacheux, 1996 : 40) née des travaux de
Max Weber. Ce dernier pose deux niveaux de compréhension (verstehen). Le premier renvoie
au processus d’interprétation par les individus de leur propre vie quotidienne et du monde
dans lequel elle se déroule. Le second met en avant la subjectivité du chercheur : le verstehen
renvoie alors au processus d’interprétation par le chercheur des interprétations du premier
niveau. En d’autres termes, il interprète « les significations subjectives qui fondent le
comportement des individus qu’il étudie » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 23), et est donc
partie intégrante du processus méthodologique qu’il déploie (Giordano, 2003).
Le constructiviste partage cette conception, mais s’en démarque sur deux points
(Girod-Séville et Perret, 1999). En premier lieu, la réalité des acteurs étudiés, dont il nie
l’existence a priori, est en partie construite par la démarche de compréhension du chercheur
(Mir et Watson, 2000). Chaque dalle pavant le chemin de la connaissance produite se
positionne sous ses pieds à mesure qu’il progresse dans son projet de connaissance. Laquelle
notion de projet porte la seconde distinction, celle de la finalité. Le Moigne (1990 ; 1993)
souligne ainsi l’inhérence d’un principe téléologique au constructivisme. Pour l’auteur, le
principe de l’univers construit fait que tout projet de connaissance vise « l’actualisation des
possibles » et « la création de nouveaux possibles par l’action intelligente » (1990).
I.1.2.b) … Dans notre recherche.
Nous nous étions arrêtés, du fait de leur rattachement aux mêmes hypothèses
fondatrices sur le statut de la connaissance, à un positionnement qui pouvait être soit
interprétativiste, soit constructiviste. La différence essentielle entre les deux tient cependant,
nous venons de le voir, dans l’interprétation par le chercheur de la réalité subjective des
acteurs avec lesquels il est en interaction. Interprétation à laquelle nous nous sommes livrés
au fil de notre analyse, afin de comprendre le rôle joué par le client dans la coordination
multicanale. Tout rattachement au constructivisme se trouve dès lors disqualifié de par ce
caractère interprétatif de notre démarche d’engendrement de connaissance.
I.1.3 La question de la valeur de la connaissance.
I.1.3.a) … Dans les trois paradigmes majeurs.
Au regard de leurs différences quant au statut accordé à la réalité et à la connaissance,
et aux démarches mises en œuvre pour l’engendrer, l’existence de critères distincts de
validation de la connaissance entre ces trois paradigmes n’est guère surprenante.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
269
Le positivisme retient trois critères de validité (Tableau 5-3) qui se veulent universels.
Le premier, dont Chalmers (1987) dénonce les limites, est le principe de vérifiabilité, qui
consiste à s’assurer de pouvoir procéder au test empirique de toute assertion. Vient ensuite la
confirmabilité, ou dont Chalmers (op.cit.) dit qu’il s’agit de l’introduction de la logique
probabiliste au secours du principe de vérifiabilité : si l’on ne peut s’assurer que les
généralisations émanant des tests empiriques sont forcément vraies, à tout le moins, il est
possible de dire qu’elles sont probablement vraies. Le troisième critère, celui de réfutabilité
(Popper, 1973) refuse comme le précédent de reconnaître le caractère permanent de la vérité
d’une connaissance ou d’une théorie. Selon Popper, une théorie sera provisoirement vraie du
moment qu’elle n’est pas réfutée. Et ne sera scientifique que si elle est réfutable. En d’autres
termes, une théorie qui reste valable quelles que soient les observations n’est pas scientifique.
Tableau 5-3 : Les critères de validité de la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste
Paradigmes
Questions épistémo- logiques
Positivisme Interprétativisme Constructivisme
Quelle est la valeur de la connaissance ? Les critères de validité
Vérifiabilité
Confirmabilité
Réfutabilité
Idiographie
Empathie (révélatrice de l’expérience vécue par
les acteurs)
Adéquation
Enseignabilité
Source : Adapté de Girod-Séville et Perret, 1999 : 15
Interprétativistes et constructivistes se démarquent naturellement de ces trois critères.
Pour les uns, l’idiographie et l’empathie sont au cœur du processus de validation, tandis
qu’adéquation et enseignabilité guident les autres.
La nature idiographique d’une recherche s’évalue à l’aune de sa capacité à présenter
l’étude en situation d’un phénomène, lequel doit être décrit de manière détaillée, et à fixer son
attention sur les événements singuliers plutôt que de se concentrer sur la recherche de lois
générales et régulières (Girod-Séville et Perret, 1999). Second critère interprétativiste de
validation, l’empathie est puisée dans les travaux de Weber (1971). Littéralement « capacité
de se mettre intuitivement à la place de son prochain, de ressentir la même chose que lui, de
s’identifier à lui », cette empathie est indispensable à l’appréhension et à la compréhension
des réalités sociales observées. Il faut s’efforcer de « rendre compréhensible, sur la base des
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
270
indications qu’on aura autant que possible interprétées intellectuellement ou essayé autant
que possible de revivre approximativement par empathie, le déroulement de l’activité »
(Weber, 1971, 1995259 : 30). Et finalement, « la valeur d’une recherche sera mesurée au
regard de sa dimension empathique, c’est-à-dire de sa capacité à mettre à jour et à travailler
non plus uniquement sur les faits mais sur la façon dont ceux-ci sont interprétés par les
acteurs » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 29).
Les critères de validité du constructivisme sont toujours débattus. Sont mis en avant le
critère d’adéquation (Le Moigne, 1990), et celui d’enseignabilité (Le Moigne, 1995, cité par
Girod-Séville et Perret, 1999). Une connaissance répond au premier si elle convient et peut
être appliquée dans une situation donnée. Second critère, l’enseignabilité proposée par Le
Moigne, de par les termes de reproductibilité, d’intelligibilité et de constructibilité par
lesquels elle s’énonce, semble surtout insister sur la capacité du chercheur à décrire et
expliquer en l’argumentant sa démarche de construction de son projet de connaissances, de
manière à ce qu’elle puisse être reproduite.
I.1.3.b) … Dans notre recherche.
La posture interprétativiste qui est la nôtre nous amène à en respecter les critères
afférents : l’idiographie et l’empathie. Nous avons souligné en plusieurs occasions
l’importance du contexte sur l’étude que nous avons menée. Quant à l’empathie, elle s’est
traduite par notre volonté de maîtriser dans un premier temps les dynamiques du secteur
étudié, les entreprises qui y interviennent, les pratiques distributives en place, etc. Dans un
second temps, nous avons cherché dès nos contacts initiaux à nous faire préciser le
fonctionnement formel des entreprises où nous avons recueilli nos données, et à nous
familiariser rapidement avec les termes employés par nos interlocuteurs principaux, afin
d’avoir un référentiel proche du leur, et à être en mesure de communiquer avec eux sur la base
dudit référentiel.
I.2 PROCESSUS ARCHITECTURAL DE LA RECHERCHE
Le design, ou architecture de la recherche, « est la trame qui permet d’articuler les
différents éléments d’une recherche : problématique, littérature, données, analyse et
résultats » (Royer et Zarlowski, 1999b : 139). Mais renvoyant à l’idée de l’esthétique d’un
259 Nous nous référons à l’ouvrage « Économie et Société », dont la première publication française date de 1971, et dont nous avons consulté la réédition parue en deux tomes en 1995. Les numéros de page indiqués ici renvoient au premier tome de cette édition.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
271
objet (pour le design), ou à la structure ou l’organisation des éléments d’un ensemble
complexe (pour l’architecture), ces termes nous paraissent s’inscrire dans une statique, dont le
pendant est d’exclure la dynamique propre à toute recherche. Leur utilisation peut surprendre
d’autant plus que cette dynamique est, de manière explicite ou implicite, incontestablement
reconnue (Royer et Zarlowski, 1999b).
Pour cette raison, nous préférons utiliser l’expression de processus architectural qui
replace ces différentes composantes dans la dynamique de leurs interactions, intrinsèques à la
démarche de recherche (Schatzman, 1992). Ainsi, après avoir fait part de notre stratégie
d’accès au réel (I.2.1), revenons-nous à l’instar de Dameron (2000) sur le processus qui a
guidé la recherche depuis son origine jusque son aboutissement (I.2.2).
I.2.1 La stratégie d’accès au réel.
Les stratégies d’accès au réel sont multiples, et il en existe certainement autant que de
chercheurs (Eisenhardt, 1989). Très souvent considérées comme étroitement liées au
positionnement épistémologique, dire qu’il y a une relation de cause à effet entre l’un et
l’autre est une simplification abusive (Royer et Zarlowski, 1999b : 144). Il n’en est pas moins
vrai qu’existe un réel besoin de cohérence entre l’un et l’autre (Charreire et Huault, 2001) et
que, comme nous le rappelle Lecocq (2003), c’est « moins le choix d’une méthode que son
application qui détermine la pertinence de l’ensemble du design de recherche » ( : 224).
Pour cette raison, précisons que, si pertinent que cela puisse paraître dans la posture
interprétativiste que nous avons faite nôtre, aborder le terrain dans une logique de table rase
ne correspond pas exactement à la réalité de notre démarche. Nous expliquerons plus tard en
quoi la méthode de l’étude de cas à laquelle nous avons recourue était appropriée aux
objectifs et à la logique de notre recherche.
I.2.1.a) Le mythe de la table rase.
Comme le note Josserand, la question du degré de structuration des modèles avec
lesquels un chercheur peut ou doit arriver sur le terrain prend place sur un continuum : « à une
extrémité du spectre, la tabula-rasa, le chercheur arrive vierge de tous présupposés sur un
nouveau terrain d’investigation ; à l’autre extrémité, le chercheur met en place une démarche
hypothético-déductive, appréhendant le terrain avec un modèle comprenant des hypothèses et
les outils nécessaires pour les tester » ( : 98). Ce premier pôle, radical par nature, n’est qu’un
idéal-type au sens de Weber (1971), qui n’a pas d’existence réelle. Même les plus ardents
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
272
défenseurs de la Grounded Theory, ou théorie enracinée, fondée en 1967 par Glaser et
Strauss, n’ont pas une posture aussi extrême. Voici ce que nous trouvons, par exemple, dans
l’ouvrage de référence de Strauss et Corbin (1998) : « Le chercheur apporte à sa recherche
des connaissances considérables issues de son passé professionnel et de la littérature
concernant la discipline […] La question est de savoir comment les utiliser pour enrichir, et
non contraindre, le développement de la théorie » ( : 48-49). Ils assurent ensuite qu’il n’est
néanmoins pas nécessaire de lire la totalité de la littérature avant de commencer
l’investigation, puisque d’après eux, il est impossible de savoir avant de la débuter quels
problèmes essentiels ou concepts théoriques émergeront. En cela, le désaccord est profond
avec Miles et Huberman (2003), dont le fondement de la démarche tient au développement de
« canevas de recherche préstructurés » ( : 39) qui préexistent à la recherche empirique. Leur
point de vue se justifie à partir du même constat que Strauss et Corbin : tout chercheur arrive
sur le terrain avec des idées directrices, des centres d’intérêt, des outils… La table-rase n’est
donc que cet idéal-type inatteignable. Mais par-dessus tout, le risque est de perdre un temps
précieux à collecter des données qui pourraient déboucher sur des évidences, ou des éléments
déjà présents dans la littérature, limitant considérablement l’attrait de la recherche et de ses
résultats. Enfin, le danger d’être asphyxié par l’abondance de données est réel (Eisenhardt,
1989 ; Miles et Huberman, 2003). Mais Miles et Huberman reconnaissent que« l’ensemble de
la recherche qualitative actuelle se situe entre ces deux extrêmes » ( : 38), et qu’il est dès lors
possible de s’appuyer sur un cadre conceptuel souple qui pourra subir des évolutions au fil de
la recherche.
En ce qui nous concerne, expliquer le point de départ de notre recherche relève du
processus d’ensemble que nous avons suivi au fur et à mesure que nous l’avons mené, que
nous détaillons ultérieurement (cf. p. 277 et suivantes). Nous nous bornerons donc ici à dire
que si, dans une première étape, nous étions très proches de la première extrémité du spectre
(la table rase), nous avons ensuite évolué vers une posture intermédiaire, structurant le recueil
ultérieur de données lors de notre retour sur le terrain.
I.2.1.b) Une méthode qualitative basée sur l’étude de cas.
Le plus fréquemment, à une posture positiviste correspond une démarche quantitative,
et symétriquement, à une posture interprétativiste ou constructiviste, une démarche
qualitative. Mais systématiser un lien entre positionnement épistémologique et méthodes
serait abusif, voire fallacieux, sens dans lequel abonde par exemple Giordano (2003).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
273
Méthodes et / ou données qualitatives peuvent tout aussi bien être utilisées par des tenants du
positivisme, tandis que des constructivistes mobiliseront des méthodes et / ou données
quantitatives (Baumard et Ibert, 1999 ; Mir et Watson, 2000 ; Royer et Zarlowski, 1999b).
Pour autant, les liaisons existent entre méthodes d’un côté, et positionnement épistémologique
de l’autre, mais reposent surtout dans l’application des premières et leur adéquation aux
objectifs de l’étude, et non dans leur simple choix (Charreire et Huault, 2001 ; Lecocq, 2003).
C’est en ayant ceci à l’esprit que nous motivons notre choix de l’emploi de la méthode de
l’étude de cas pour réaliser la phase empirique de notre recherche.
I.2.1.b.(1) Justification du recours à l’étude de cas. Nous commençons par rappeler au lecteur que nous nous situons dans une perspective
de génération de théorie sur un phénomène qui, comme notre revue de littérature visait à le
démontrer, semble avoir fait jusqu’alors l’objet d’un nombre plus que restreint
d’observations. Cet objectif de génération théorique est mis en avant par des auteurs tels
Eisenhardt (1989), Giroux (2003), Miles et Huberman (2003), Wacheux (1996), Yin (2003),
et joue en faveur de l’adéquation entre méthode et objectifs. La richesse des études et des
données qualitatives, qui « permettent des descriptions et des explications riches et
solidement fondées de processus ancrés dans un contexte local » (Miles et Huberman, 2003 :
11), est donc un premier élément plaidant pour leur utilisation dans notre travail.
Du fait de sa dimension qualitative, la méthode de l’étude de cas est souvent associée
au paradigme interprétativiste (Giroux, 2003) ou constructiviste (Josserand, 1998).
Néanmoins, dans son article de référence de 1989, Eisenhardt indique expressément que le
processus qu’elle décrit relève d’une vision positiviste de la recherche, en ce que ce processus
« est dirigé vers le développement de théories et d’hypothèses testables et généralisables à
plusieurs cadres » 260 ( : 546). Cela est cohérent avec notre remarque précédente, et bien qu’en
accord avec cette méthode, notre seul positionnement épistémologique ne peut donc expliquer
ou justifier son adoption. Ce qui nous conduit à nous orienter maintenant vers ses principes et
modalités d’application.
La littérature propose plusieurs définitions de l’étude de cas (e.g. Eisenhardt, 1989 ;
Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996 ; Yin, 2003). Ainsi, pour Yin (2003), dont la définition nous
paraît intégratrice, c’est « une recherche empirique qui enquête sur un phénomène 260 Toutefois, Eisenhardt ne justifie ce positionnement que sur la base de l’objectif de ce processus, et reste silencieuse sur le statut accordé à la réalité étudiée. De plus, comme nous l’avons relevé plus tôt, Weber (1971) indique bien que les méthodes de la sociologie compréhensive (fondement de l’interprétativisme) peuvent fonder des explications causales.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
274
contemporain dans le cadre de son contexte réel, en particulier lorsque les frontières entre
phénomène et contexte ne sont pas clairement établies » ( : 13). Il est clair, au regard de nos
développement antérieurs, que nous respectons le cadre de la première partie de cette
définition : de par sa prise en compte de la temporalité (Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996),
l’étude de cas est adaptée aux études contextuelles. De même en est-il pour la seconde : nous
avons montré en quoi le contexte (le réseau de distribution multicanal) influence le
comportement des acteurs, qui à leur tour ont une incidence sur le fonctionnement de la
structure dans le cadre de laquelle ils agissent.
Véritable « stratégie de recherche » (Yin, 2003 : 3), l’étude de cas peut être comparée
à d’autres méthodes en fonction de la forme de la question de la recherche, du contrôle requis
sur les comportements durant la recherche, ou de l’intérêt qu’elle accorde aux événements
contemporains (Tableau 5-4). La réponse à ces différentes questions permet de justifier le
recours à l’une ou l’autre de ces méthodes.
Tableau 5-4 : Les critères de choix d’une stratégie de recherche
STRATÉGIE
FORMULATION DE LA
QUESTION DE RECHERCHE
CONTRÔLE REQUIS SUR LES
COMPORTEMENTS
CENTRAGE SUR LES
EVENEMENTS CONTEMPORAINS
Expérimentation Comment ? Pourquoi ? Oui Oui
Enquête Qui ?
Quoi ? Où ?
Combien ?
Non Oui
Analyse d’archives Qui ?
Quoi ? Où ?
Combien ?
Non Oui / Non
Étude historique Comment ? Pourquoi ? Non Non
Étude de cas Comment ? Pourquoi ? Non Oui
Source : Yin, 2003 : 5
Cette recherche vise à mettre en évidence les modalités de l’influence du client sur la
coordination intra-organisationnelle (i.e. « comment »), dans le cadre d’un phénomène
contemporain261 qui est celui du développement de réseaux de distribution multicanaux. Qui
plus est, notre contrôle sur le comportement des acteurs rencontrés peut être considéré comme
261 Au sens : que les acteurs présents sur le terrain étudié connaissent au moment de la collecte de données.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
275
nul, contrairement à un protocole d’expérimentation par lequel le chercheur « peut manipuler
directement, précisément et systématiquement le comportement » (Yin, 2003 : 8). Nous
rentrons donc pleinement dans le cadre défini par Yin pour le recours à une étude de cas.
Enfin, pareille étude n’a pas pour obligation de partir d’un cadre très structuré : une
large définition de la question de recherche initiale est certes nécessaire, mais une
spécification a priori des construits de la recherche pas indispensable (Eisenhardt, 1989),
même si tout le monde ne partage pas cet avis (Miles et Huberman, 2003 ; Yin, 2003). Notre
propre démarche, comme nous allons le voir en exposant le processus de la recherche,
comprit deux temps : le premier caractérisé par une formalisation très faible (étude de cas
exploratoire), le second, par le retour sur le terrain avec une grille de lecture plus formalisée.
I.2.1.b.(2) Le choix des cas et de leur nombre. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influencer le nombre de cas. Une polémique a
notamment opposé à ce sujet en 1991 Eisenhardt à Dyer et Wilkins, dans les pages de la revue
Academy of Management Review. Les seconds, répondant à l’article de 1989 de Eisenhardt,
s’appuient sur des recherches débouchant sur des résultats considérables et à la qualité
largement reconnue262. Sur cette base, ils argumentent en faveur d’un cas unique, qui seul
permettra une description, compréhension et analyse en profondeur du phénomène étudié, et
de faire émerger de nouvelles relations théoriques par opposition à l’existant. Eisenhardt leur
adresse une réplique cinglante, soulignant dans un premier temps que nombre d’études basées
sur plusieurs cas ont elles-aussi abouti à des résultats d’une portée impressionnante263. Dans
un second temps, elle critique la manière dont Dyer et Walkins abordent les études auxquelles
ils se réfèrent : « Les auteurs de la critique suggèrent que les études de cas classiques
reposent sur une cas unique développé avec un moindre souci de rigueur méthodologique. Il
s’agit d’une interprétation totalement erronée de ces études. Bien qu’elles puissent se centrer
sur un seul contexte, comme une grande entreprise, ce ne sont pas des cas uniques. Pour
beaucoup, ce sont plutôt des études basées sur des cas multiples, se reposant sur une logique
comparative de réplication et d’extension utilisée pour développer leurs intuitions
théoriques » (Eisenhardt, 1991 : 622). Cette double logique de réplication, c’est-à-dire
l’utilisation de cas individuels pour corroborer de manière indépendante des propositions
spécifiques, et d’extension, qui renvoie à l’utilisation de cas multiples pour développer une
théorie plus élaborée, est selon Eisenhardt le fer de lance de sa méthode. 262 Parmi les études qu’ils citent : Selznick (1949), Whyte (1943) ; Gouldner (1954), etc. 263 Parmi celles-ci : Chandler (1962) ; Lawrence et Lorsch (1967), ou Kanter (1983).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
276
Nous nous sommes ralliés à ses arguments pour mettre en place un dispositif basé sur
des cas multiples au sens de Eisenhardt (1991), ou encastrés264 au sens de Yin (2003 : 42),
dont un avantage est de ne pas exclure la surprise théorique. Cette aproche retient également
plusieurs niveaux d’analyse (Lecocq, 2003), allant de l’ensemble du cas à l’individu, en
passant par les unités organisationnelles. Sous cet angle, chaque sous-élément d’analyse peut
être considéré comme un « mini-cas » (Eisenhardt, 1989 : 545 ; Josserand, 1998). C’est ce
qui se passe dans notre recherche, dont le niveau d’analyse initial est le canal de distribution,
mais dont les interactions se situent à la fois au niveau interindividuel (nous avons
essentiellement analysé les interactions entre les employés des différents canaux, d’un côté, et
entre eux et leurs clients, d’un autre côté) et intra-organisationnel (étude des interactions entre
les canaux de distribution, qui sont autant de sous-unités organisationnelles, et de celles entre
ces canaux et leur hiérarchie au niveau structurel).
Par-delà ces niveaux d’analyse, nous avons également opté pour ce que Yin qualifie de
« design basé sur des cas multiples » (2003 : 39). En l’occurrence, il s’agit en ce qui nous
concerne du nombre d’entreprises étudiées, plus précisément, le nombre d’établissements
bancaires auprès desquels recueillir les données nécessaires à la réalisation de la partie
empirique de ce travail doctoral. Ceci selon une visée réplicative (Eisenhardt, 1989) proche de
celle que Yin (2003) dénomme « réplication littérale » ( : 47), c’est-à-dire une situation où les
cas sont sélectionnés de telle sorte qu’ils donnent des résultats similaires. La logique de
mimétisme sectoriel du développement des canaux de distribution, et l’existence de facteurs
similaires entre les établissements (confiance, relations de long terme, etc.) dans la
construction de relations entre le client et son conseiller (cf. chapitre 2) nous laissaient en
effet supposer une relative proximité des résultats.
Quant au nombre de cas, plusieurs positions s’opposent également. Eisenhardt évoque
arbitrairement le nombre de 4 à 10 cas, notant que « avec moins de 4 cas, il est souvent
difficile de générer de la théorie avec beaucoup de complexité, et son fondement empirique
risque de ne pas être suffisamment convaincant, à moins que le cas n’ait plusieurs mini-cas
qui le composent » (Eisenhardt, 1989 : 545). Glaser et Strauss (1967), puis Strauss et Corbin
(1998) considèrent que le nombre adéquat de cas est atteint dès lors qu’il y a saturation
théorique. Celle-ci correspond à la situation dans laquelle un nouveau cas n’apporte pas
d’information supplémentaire aux précédents, et n’apportera donc rien à la génération de
théorie. Nous sommes d’accord avec Royer et Zarlowski (1999a), ou Eisenhardt (1989), qui 264 « Embedded case studies ».
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
277
leur opposent des considérations pratiques. Pour les premiers, il est difficile d’être certain
qu’il n’y a pas d’information nouvelle, et le choix revient donc au chercheur. Pour la seconde,
il est courant d’arriver sur le terrain avec le nombre de cas planifiés à l’avance, ne serait-ce
que pour des raisons de disponibilités des ressources, et de contraintes de temps.
Pour notre étude, nous avons utilisé trois cas. Le premier, exploratoire, visait à générer
de théorie sur un phénomène mal connu dans la littérature, et à nous permettre de nous
positionner dans cette littérature. Les deux autres avaient pour but de valider et d’enrichir la
théorie préalablement développée. Ce qui nous amène à exposer le processus de notre
recherche.
I.2.2 Le processus de la recherche.
« La présentation du processus de la recherche permet de faire partager au lecteur la
démarche de découverte, […] marquée par des allers-retours entre la théorie et le terrain.
Elle permet ainsi de mieux comprendre le statut des différentes notions que nous avons
présentées » (Dameron, 2000 : 165). Nous adhérons à cette opinion, laquelle vient en écho de
nombre d’auteurs qui mettent en avant le besoin de clarification de la démarche dans la
réalisation d’une étude qualitative (Eisenhardt, 1989 ; Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996 ; Yin,
2003). La présentation de ce processus est donc tout autant celle d’une histoire, que d’une
analyse réflexive sur cette dernière.
I.2.2.a) L’origine de la recherche
Cette présentation commence par un rapide résumé de l’origine de la recherche.
Allard-Poesi et Maréchal (1999) listent plusieurs points de départ potentiels pour un objet de
recherche, parmi lesquels « un problème concret » ( : 49), et « un domaine d’intérêt » ( : 50).
Le nôtre prend sa source à leur intersection. Notre travail a en effet débuté par un intérêt
particulier pour le secteur bancaire, plus exactement, pour la banque de détail265. Au fur et à
mesure de notre lecture de revues managériales et d’approfondissement de notre connaissance
du secteur, nous avons vu remonter un ensemble de problématiques tournant autour des
stratégies et de l’organisation d’un réseau de distribution multicanal. Encore émergentes au
début de l’an 2000, c’est-à-dire lorsque nous avons entamé notre réflexion doctorale, ces
stratégies semblaient être en passe de s’imposer sur les stratégies dites de « pure player » (cf.
chapitre 2). Néanmoins, subsistaient d’importantes questions sur les modes de gestion de
265 Intérêt concrétisé par plusieurs mémoires de DEA sur le sujet.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
278
telles architectures distributives, notamment au plan organisationnel. Faire travailler ensemble
ces différents canaux, et assurer la gestion de l’ensemble paraissait être du domaine de
l’informatique, supposé solutionner la quasi-totalité des problèmes (cf. chapitre 2, section 1).
L’aspect organisationnel, sans être totalement absent, nous paraissait pour le moins négligé.
Ce passage au second plan des questions organisationnelles, au profit des aspects purement
techniques, est d’ailleurs soulevé par Kalika (2000 a).
D’où notre premier choix d’orientation, quelque peu en réaction à l’encontre du
discours ambiant, vers une littérature en opposition avec ces présupposés, et excluant les
systèmes d’information de notre réflexion. Ces derniers ne seraient considérés, dans nos
travaux, que comme des outils certes indispensables dans ce contexte, mais qui n’étaient pas
seuls à permettre le bon fonctionnement de ces réseaux.
I.2.2.b) La recherche de littérature.
Ce premier choix fait, et doté d’une connaissance apparemment solide sur le secteur,
vint la recherche de littérature, qui s’avéra vite complexe. En effet, si l’intérêt du sujet tenait à
sa contextualisation, il en portait aussi une difficulté d’importance. Les articles managériaux
étaient légion, mais il n’en allait pas de même pour les travaux académiques. Hormis de rares
exceptions (Cespedes et Corey, 1990 ; Easingwood et Storey, 1996 ; Hitt et Frei, 1999), les
recherches scientifiques sur le multicanal étaient inexistantes, comme le montrent les
références mobilisées dans notre premier chapitre. Il était donc nécessaire de trouver un autre
point d’ancrage que le simple multicanal, et de se pencher sur des travaux théoriques
permettant d’en expliquer les logiques de fonctionnement. Pour cette raison, nous nous
sommes orientés vers les recherches sur les ressources et compétences clés (e.g. Barney, 1991
; Prahalad et Hamel, 1990 ; Wernerfelt, 1984). Très schématiquement, notre but était de
montrer que les canaux répondaient à une logique de choix de ressources et compétences,
parmi lesquelles certaines pouvaient être considérés comme clés. Puis de tenter de montrer
que les liens entre les canaux, et la cohérence de l’architecture globale pouvaient s’expliquer à
l’aune des liens entre les compétences clés que nous aurions identifiées sur le terrain. Il
s’avéra que, après avoir présenté et évoqué ce point de départ avec plusieurs collègues, cette
orientation posait d’importants problèmes, notamment d’opérationnalisation, et risquait de
nous mener sur une voie de garage. Nous l’abandonnâmes donc après peu ou prou un an de
travail.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
279
I.2.2.c) Une nécessaire maturation.
Pour surmonter ce point de blocage, le choix de l’entrée sur le terrain nous parut donc
incontournable. A ce stade de la rédaction, il nous paraît nécessaire, dans la logique
explicative et de communication qui est la nôtre, d’apporter une précision quant notre état
d’esprit à ce moment de la recherche. De nombreux auteurs expérimentés en méthodologies
qualitatives notent qu’un jeune chercheur peut être perdu face au terrain, face aux données, ou
face à la démarche de recherche qualitative (e.g. Miles et Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996).
C’est peut être d’autant plus le cas en France, patrie de Descartes, dont la force des idées et la
structuration de la démarche ont pénétré l’ensemble du système éducatif, qui se veut
privilégier le raisonnement hypothético-déductif.
Jeune chercheur nous-mêmes à ce moment, il est indéniable que, en dépit de nos
abondantes lectures, des séminaires auxquels nous avons assisté266, et des enseignements qui
nous avaient été préalablement dispensés, le processus d’une démarche qualitative allait à
l’encontre de l’ensemble de nos schémas cognitifs, établis dans cette tradition de
l’hypothético-déductif le plus pur267. Nous manquions totalement de maturité pour nous lancer
dans cette étude, et aller sur le terrain sans une grille d’analyse parfaitement structurée nous
paraissait donc un obstacle insurmontable268. Ce n’est que dans cette interaction même entre la
littérature et le terrain, par le biais des premiers recueils de données, que nous avons été à
même d’appréhender plus correctement la manière dont se structure une grille de lecture d’un
terrain, de développer cette maturité qui nous faisait défaut, et de fixer notre posture
épistémologique interprétativiste, qui n’était jusqu’alors qu’une vague sensibilité. Il n’est
selon nous pas inutile d’indiquer cela dans cette explicitation du processus d’avancement de
notre travail doctoral, tant cela peut permettre de dépasser les doutes et les interrogations
inhérentes à tout processus de recherche, lesquels sont certainement d’autant plus intenses que
le chercheur est inexpérimenté.
Il nous était malgré tout inconcevable, en dépit de l’absence de littérature, d’aller sur
le terrain sans un minimum de structuration. Puisque, dans les écrits managériaux consultés,
revenaient souvent les thèmes de la coordination et de la complémentarité des canaux, nous
les avons intégré dans un premier document très succinct, qui visait à présenter rapidement la
266 L’auteur tient à remercier la FNEGE pour les séminaires CEFAG auxquels il a eu l’honneur, le plaisir et la chance de participer durant l’année 2001, ainsi que l’ensemble des professeurs et les autres doctorants présents. Cette étape fut très importante pour mieux appréhender ce dont il parle ici. 267 Tradition que pourfend continuellement Le Moigne, par exemple, dans ses travaux ou conférences. 268 Nous sommes infiniment redevable au Professeur de Montmorillon de nous y avoir poussé
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
280
teneur de nos travaux, et nos objectifs d’une manière très générale. Une critique au moins que
nous pouvons adresser a posteriori à notre démarche, fut de ne pas avoir suffisamment
approfondi la notion de coordination dès ce moment, pour bâtir le cadre théorique autour de
celle-ci. Sa portée nous paraissait limitée, en ce sens que nous avions le sentiment qu’en nous
engageant dans cette voie, nous n’aurions procédé qu’à une simple réplication d’études
existantes sur la coordination intra-organisationnelle, appliquée au cadre du multicanal.
D’autant que (vanité de jeune chercheur ?), cela ne nous paraissait pas suffisamment
ambitieux, alors que nous souhaitions que nos travaux soient porteurs d’une importante valeur
ajoutée pour notre champ de connaissance.
Nous souhaitons toutefois éviter toute méprise sur la teneur de nos propos : ce n’est
aucunement un mea culpa auquel nous nous livrons ici. Nous cherchons à expliciter dans le
détail, en utilisant les notes que nous avons prises progressivement et régulièrement, les
sensations par lesquelles nous sommes passé au fur et à mesure de ces années de travail
doctoral, et qui, quoi qu’il arrive sont indissociables de notre processus de thèse. Elles
expliquent au moins partiellement les choix que nous avons faits, les raisons pour lesquelles
nous avons mené la recherche de la manière dont nous l’avons conduite269.
I.2.2.d) Les premières tentatives d’accès au terrain.
Le terrain fut donc abordé, avec le premier contact réel en octobre 2000, après
quelques tentatives infructueuses sur lesquelles nous ne revenons pas. Dès ce moment, nous
avons suivi les recommandations de Wacheux (1996) quant à la rédaction d’un journal de
recherche270.
Nos premiers entretiens furent réalisés dans plusieurs établissements, avec en tête ce
double objectif :
Ø La littérature managériale nous avait permis d’accumuler un volume
conséquent de connaissances sur le secteur étudié et sur le phénomène de
développement du multicanal. Nous tenions cependant, suivant un principe de
triangulation des sources de données (Baumard et al., 1999 ; Baumard et
Ibert, 1999 ; Miles et Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996), à recouper ces
informations à la source. Il s’agissait en d’autres termes de coupler des
269 Wacheux (1996) insiste à de multiples reprises sur ces éléments dans son ouvrage, notamment p 232. 270 Une partie de ce journal est reproduite dans l’annexe 5 de ce document
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
281
données primaires aux données secondaires recueillies durant la première
étape de notre travail.
Ø Commencer à nouer des liens et prendre des contacts pour réaliser notre
enquête de terrain.
Entrent dans ce cadre cinq entretiens, menés dans quatre établissements différents,
puisque nous avons rencontré deux fois la même personne dans l’un d’entre eux (Tableau
5-5).
Tableau 5-5 : Les entretiens d’approfondissement de notre connaissance sectorielle et de prise de contact terrain
DATE DURÉE BANQUE INTERLOCUTEUR RESULTAT
14/03/2001 45 min 1 Responsable marketing
particuliers et professionnels
Entretien non enregistré à la demande de l’interlocuteur – prise de note
intensive - Refus de la méthodologie et de l’exposition de la stratégie de
l’entreprise dans un document public
15/03/2001
07/06/2001
2h
1h30 2 Directeur des études et
du développement
Entretiens enregistrés et retranscrits – Acceptation pour mener la recherche au
niveau stratégique, blocage pour accéder aux agences
24/04/2001 2h 3 Responsable de la stratégie clients /
canaux
Entretien enregistré et retranscrit – Acceptation pour mener la recherche au
niveau stratégique, blocage pour accéder aux agences
02/05/2001 1h 4
Responsable de la communication du projet de banque
multicanale
Entretien non enregistré à la demande de l’interlocuteur – prise de note
intensive – Pas de pouvoir de décision, en a référé à ses supérieurs
hiérarchiques, mais nous communique des documents de communication
interne sur le projet – Après plusieurs échanges de mails et appels
téléphoniques, refus de la méthodologie et de l’exposition de la stratégie de
l’entreprise dans un document public
Le premier objectif fut atteint, et ces données primaires exploitées et recoupées avec
les données secondaires que nous possédions. Ces deux ensembles furent utilisés pour la
rédaction de notre description et analyse de la banque de détail et de ses évolutions, qui nous a
servi dans le second chapitre de cette thèse à replacer notre étude de cas exploratoire dans son
contexte sectoriel.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
282
Le second objectif s’avéra nettement plus complexe à remplir, pour deux raisons. La
première tient à la méthodologie que nous avions initialement l’intention de mettre en place.
Proche de la recherche-intervention telle que la définit David (David, 2001a), notre but était
alors de prendre part activement à un projet de développement de banque multicanale pour
étudier les relations de complémentarité et / ou de substitution entre les canaux à la fois aux
niveaux fonctionnel (au siège) et opérationnel (gestion quotidienne dans les canaux
concernés). Or, et c’est la seconde raison, tant les montants investis, que les enjeux
stratégiques et organisationnels inhérents à ces projets271posèrent problème, et les possibilités
d’accès au réel via cette méthodologie se réduisirent vite comme peau de chagrin. En dehors
des refus épistolaires ou téléphoniques essuyés suite à nos demandes écrites de rendez-vous,
nous vîmes se refermer les portes de l’accès à deux acteurs majeurs du secteur après un ou
deux rendez-vous. Ces deux établissements ne souhaitaient pas voir s’afficher leur stratégie
dans une thèse, document public, et les arguments que nous leur opposâmes ne permirent pas
d’infléchir leur position. Si la méthodologie retenue ne semblait pas adéquate, son couplage
au contexte de développement des projets de banque multicanale la rendait quasiment
intenable, comme le témoigne cette citation extraite de l’un de ces cinq entretiens
préalables272 : « Vous pensez bien que votre démarche nous pose problème. Votre thèse, c’est
un document public, tout le monde peut le lire. On ne peut pas prendre le risque de voir
s’afficher toute notre stratégie dans ce genre de document, consultable par n’importe quel
concurrent » (responsable marketing particuliers et professionnels, banque 1).
Dans deux autres établissements, les entretiens étaient réalisables au niveau du siège,
mais pas de l’opérationnel. La gestion interne du projet s’avérait déjà difficile avec les
agences, et notre intervention en tant qu’élément relativement peu contrôlable à leurs yeux
risquait de provoquer des remous nuisibles au bon développement du dispositif multicanal.
271 Voir la première section du chapitre 2. 272 Ces propos ont été reconstruits après l’entretien, du fait du refus de notre interlocuteur d’être enrgistré.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
283
I.2.2.e) L’influence du terrain sur la méthodologie
Puisque l’accès aux canaux nous apparaissait primordial, il était nécessaire de faire
évoluer notre démarche (Baumard et al., 1999). Poursuivant notre apprentissage de la
recherche empirique, nous décidâmes de nous adapter à la situation et aux obstacles
rencontrés en révisant notre stratégie d’accès de deux manières simultanées :
Ø Premièrement, la méthode de recueil de données : puisque l’intégration d’un
projet semblait poser problème, et que récolter des donnés dans les directions
fonctionnelles et au plan opérationnel posait problème, il convenait de choisir
entre les deux. Le choix fut réalisé en faveur de l’opérationnel, qui s’imposait
à nous en raison de notre volonté de travailler sur l’interface entre
l’organisation et le client que constitue le canal.
Ø Deuxièmement, puisque les contacts pris à la tête des entreprises bancaires,
que ce soit dans les directions marketing, projet, développement, etc. avaient
tendance à achopper, nous avons décidé de nous réorienter vers un niveau
plus local. Il nous fallait néanmoins un contact avec une instance
décisionnaire, capable de nous accorder ce que nous souhaitions, c’est-à-dire
la possibilité d’aller dans les canaux pour y mener nos entretiens
(méthodologie peut être moins ambitieuse, mais qui s’avéra plus réaliste).
Nous avons donc recontacté le directeur régional d’une banque locale du nord de la
France, que nous avions déjà rencontré à l’occasion de notre mémoire de DEA, et à la fin de
l’année 2000. Après lui avoir remis un document lui exposant notre démarche, il nous donna
l’autorisation d’accéder au terrain. Sous son parrainage, nous avons ensuite rencontré la
responsable de l’organisation du réseau, avec laquelle furent ciblées les agences dans
lesquelles seraient menées les interviews, puis la responsable de la plate-forme téléphonique.
Entre cette autorisation et la fin de l’étude de cas exploratoire, s’écoulèrent environ dix mois
(de juin 2001 à mars 2002 pour le dernier entretien), consacrés au recueil de données. Au fur
et à mesure de leur collecte, elles firent conjointement l’objet d’une analyse succincte afin
d’améliorer la qualité du recueil sur le fond (quelles données ? quel degré
d’approfondissement de certains éléments ? etc.) et sur la forme (surmonter certains défauts
personnels dans la manière de conduire les entretiens). Nous suivions en cela les
préconisations de Miles et Huberman (1991). Cette analyse au fil de la collecte nous a aussi
permis d’établir progressivement des recoupements entre les entretiens, et d’essayer de
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
284
trouver un nouvel ancrage pour procéder à leur relecture théorique, laquelle avait pour but de
déboucher sur une grille de lecture utilisable pour de futures études de cas.
I.2.2.f) L’élaboration progressive de la grille de lecture.
Cette relecture théorique se fit par tâtonnement, différentes théories nous paraissant
susceptibles de nous aider à donner du sens à nos données afin d’élaborer un cadre d’analyse
propre aux deux études de cas ultérieures. Surpris par le rôle que semblait jouer le client dans
le fonctionnement de l’ensemble, nous avons cherché à approfondir ce thème, ce qui nous a
amené, comme nous l’avons dit, à la littérature sur la participation client. En outre, durant
cette étape de revue de littérature, nous prîmes connaissance des travaux de Gittell, par le
biais de son article du Journal of Service Research en 2002. Là encore, les liens avec nos
propres travaux nous ont semblé patents, même si le client était exclu de son analyse de la
coordination entre employés en contact. Dès lors, nous avons cherché à approfondir ses
travaux pour accorder au client la place qui était la sienne dans nos données, et combiner ce
qu’elle qualifie de « coordination relationnelle » avec la participation client. Cette réflexion
déboucha sur la grille de lecture que nous présentons à la fin de notre revue de littérature.
L’élaboration de cette grille de lecture fut suivie d’un retour sur le terrain. Sur les
recommandations d’un contact personnel, nous entrâmes en relation avec trois responsables
locaux, suivant le même schéma que précédemment. Deux aboutirent, et purent donner lieu
aux deux études de cas qui nous ont servi à vérifier l’applicabilité de notre grille de lecture, et
à l’enrichir.
I.2.2.g) En conclusion : la rationalisation « inspirée » d’un processus abductif.
Ce qui précède a pour objectif d’expliquer autant que faire se peut les différentes
étapes de la recherche, et la construction progressive de l’objet de recherche via la
construction de la grille de lecture de la réalité observée. Il eût été possible, comme nous
l’avons souligné en introduction, de procéder à l’instar de publications rattachées à
l’interprétativisme qui répondent au standard des revues nord-américaines. Ces dernières
notifient dès l’introduction l’objet de leur recherche sous forme d’une problématique, en le
positionnant généralement par rapport aux théories et courants existants. Ce genre de
présentation peut laisser penser à une structuration a priori de l’objet, comme dans une
approche positiviste (Allard-Poesi et Maréchal, 1999 : 43-44).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
285
Notre position s’en distingue, comme le montre la description et l’analyse détaillée
que nous venons de faire de notre processus de recherche. A cela, deux motivations. La
première relève de ce que la mise à disposition du processus par le chercheur est un moyen de
vérifier la démarche mise en œuvre (Dameron, 2000 ; Eisenhardt, 1989, 1991 ; Miles et
Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996).
La seconde s’inscrit dans le cours de la précédente. Cette description du processus
n’est autre qu’une explicitation de la rationalisation dont nous avons fait preuve durant ce
travail, dont Schatzman (1992) dit ceci : « La rationalisation n’est pas, en soi, une pensée ou
un mode opératoire de pensée qui serait rationnel au départ, c’est-à-dire d’emblée soumis à
la raison, suivant un raisonnement ou quelque procédé de ce genre, [mais] la justification a
posteriori des associations libres d’idées qui ont permis d’arriver à une compréhension
nouvelle » ( : 18). D’après Schatzman, le processus de rationalisation conduisant à la
production de connaissances scientifiques se situe donc à la croisée de deux mondes : celui de
la pensée rationnelle, et celui de l’imaginaire.
Le premier peut intervenir de plusieurs manières. En ce qui nous concerne, notre
processus de recherche est fondamentalement abductif (David, 2001b), l’abduction étant ainsi
définie par Koenig (Koenig, 1993) : « l’opération qui n’appartenant pas à la logique, permet
d’échapper à la perception chaotique que l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur
les relations qu’entretiennent effectivement les choses » ( : 7). Mais de manière à tenir compte
du second, le monde imaginaire, nous ajoutons l’inspiration, susceptible d’intervenir à tout
moment du processus de construction de connaissances (Langley, 1999 : 707)). Nous
entendons par là que, aussi détaillée que soit l’explicitation de ce processus, il arrive toujours
un moment où le chercheur n’est pas forcément en mesure d’éclairer une étape, car celle-ci
repose sur l’intuition et l’imagination du chercheur qui cherche à donner du sens à son travail
de mise en relation entre la théorie et ses données (Langley, op.cit.).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
286
SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES
Outre le positionnement épistémologique, la première section a exposé notre stratégie
d’accès au réel, ainsi que le processus sous-jacent à l’ensemble de ce travail doctoral. Nous
allons maintenant mettre l’accent sur la méthodologie de recueil des données des deux études
de cas présentées dans le chapitre 6.
Cette collecte s’est déroulée avec à l’esprit la nécessité d’effectuer des recoupements
permanents entre les données. La manière dont nous avons tâché d’atteindre cet objectif est
donc exposée, et à cette occasion sont rapidement introduites les méthodes de collecte
utilisées (II.1). Nous les détaillons ensuite, en accordant tout d’abord une importance
particulière aux entretiens, du fait de leur statut de principale méthode de recueil de données
dans cette recherche (II.2), auxquels succèdent l’observation et de l’étude documentaire (II.3).
II.1 LA TRIANGULATION, « UN ÉTAT D’ESPRIT »273.
Nous choisissons de traiter de la triangulation dès le début de l’explicitation de notre
collecte de données. En effet, si nous adhérons au point de vue de Miles et Huberman (2003),
pour lesquels « la triangulation n’est pas tant une tactique qu’avant tout un état d’esprit »
( :482), faire part de l’état d’esprit qui a guidé notre collecte avant de parler de cette collecte
elle-même ne semble pas illogique.
La triangulation permet d’accroître la fiabilité de l’information, et peut se faire à partir
de différentes sources de données, méthodes, chercheurs, théories, ou types de données (Miles
et Huberman, 2003274). Notre recherche s’est construite dans ce souci de trianguler à la fois les
méthodes de recueil (II.1.1), les sources (II.1.2) et les types de données (II.1.3).
II.1.1 La triangulation des méthodes de recueil de données
Yin (2003) distingue entre six méthodes de recueil de données (Tableau 5-6), qui
présentent chacune des avantages et inconvénients propres.
273 Miles et Huberman, 2003 : 482 274 Miles et Huberman reprennent les conclusions de Denzin (1978) en ce qui concerne les sources de données, méthodes, chercheurs et théories, et ajoutent le dernier.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
287
Tableau 5-6 : 6 méthodes de recueil de données et leur application à notre recherche
MÉTHODE COMMENTAIRES MOBILISÉE275
Étude documentaire
La mémoire écrite du cas peut provenir soit de l’organisation (documents officiels, lettres, rapports), soit de l’individu, soit encore avoir été produite par des entités
extérieures à l’organisation (e.g. journaux, revues spécialisées). Source essentielle de la chronologie, elle doit être systématiquement rapprochée du discours des acteurs
OUI
Enregistrement des archives
Les archives enregistrées participent au système d’information, mais nécessitent une reconstitution des
données comme la pratiquerait l’acteur NON
Entretien Les entretiens permettent de recueillir des opinions et des
analyses, mais ne peuvent être la seule méthode de recueil. Leur choix et leur forme en constituent le principal
problème
OUI
Observation directe
Méthode qui nécessite un guide de l’observation, et la mise en place d’un dispositif de contrôle de la perturbation créée
par la présence du chercheur. OUI
Observation participante
Permet la présence quotidienne du chercheur sur le terrain, mais implique souvent de masquer le travail en cours. L’enregistrement des données est confronté au même
problème que l’observation directe
NON
Artefacts physiques
Il s’agit d’outils, d’instruments, d’une pièce d’art, ou de toute autre preuve physique. Peu utilisés dans la majorité
des études de cas NON
Sources : Adapté de Yin, 2003 : 86 ; Sargis-Roussel, 2003 : 253
Ø L’analyse documentaire : elle est basée sur des documents de natures
diverses. Tout d’abord, des documents de communication interne. Puis, de
communication externe (publicités sur le lieu de vente, courriers envoyés aux
clients, etc.). Enfin, des documents externes tirés de journaux spécialisés sur
le secteur bancaire276, et de journaux à vocation d’information économique.
Ø Les entretiens : Du fait de notre volonté de comprendre et d’expliquer la
coordination des employés en contact dans un réseau multicanal, avec en
exergue l’influence que peut exercer sur eux leur perception de la
participation du client, les entretiens nous sont naturellement apparus comme
la méthode la plus adéquate pour recueillir nos données.
275 Mobilisation de cette méthode dans le cadre de ce travail doctoral. 276 Revue Banque et BanqueStratégie, pour l’essentiel.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
288
Ø L’observation directe : sans avoir été réellement formalisée, elle s’est
surtout faite « à la volée ». Nous avons profité de chacun de nos passages sur
le terrain, des temps d’attente avant les entretiens, etc. pour noter tout ce qui
nous semblait en mesure d’accroître notre connaissance ou d’améliorer notre
compréhension du phénomène étudié.
Ces trois méthodes seront développées plus en détail dans la suite de cette section.
II.1.2 La triangulation des sources de données.
Selon Miles et Huberman (2003), ces sources peuvent inclure des personnes, des
périodes de temps, des lieux, etc., ce qui appliqué à notre recherche donne ceci :
Ø Les personnes : nous avons interrogé tant des acteurs purement opérationnels
(employés en contact) de niveaux hiérarchiques variés, que d’autres rattachés
à la direction générale (direction du réseau, des centres d’appels, etc.).
Ø Les canaux : les perceptions des employés travaillant sur deux types de
canaux (agences et centres d’appels) ont été recueillies et comparées.
Ø Les périodes de temps : l’étalement dans le temps des entretiens nous a
permis de vérifier la stabilité relative des résultats. De même, l’étude
documentaire s’est étalée sur toute la durée de la recherche.
II.1.3 La triangulation des types de données.
Introduite par Miles et Huberman (2003), ce mode de triangulation recoupe les
précédents, les auteurs désignant par les « types de données », un texte qualitatif, des
enregistrements, des données quantitatives. L’étude documentaire nous a permis d’accéder
tant à des textes qu’à des données quantitatives portant sur le secteur et sur les organisations
étudiées, tandis que l’enregistrement des entretiens nous permettait de conserver le discours
de nos interlocuteurs, lesquels nous ont parfois également communiqué des données chiffrées
sur lesquelles nous nous sommes appuyé pour mener à bien notre analyse.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
289
II.2 LES ENTRETIENS, PRINCIPALE ORIGINE DES DONNÉES PRIMAIRES.
La triangulation cherche à combler une attente de corroboration du chercheur à l’égard
des données qu’il collecte, dont il souhaite ainsi renforcer la fiabilité. Encore faut-il déployer
des méthodes de recueil rigoureuses à fin de comparabilité entre les données. Nos entretiens
étant à l’origine de la majorité de celles-ci, il nous paraît utile de leur consacrer la totalité de
cette sous-section, tandis que la troisième sera vouée aux deux autres méthodes, moins
utilisées et sources de moins de données.
Après avoir rapidement justifié du choix de l’entretien comme méthode principale de
recueil de donnés (II.2.1), et précisé la nature des entretiens menés (II.2.2), nous expliquons la
construction de notre guide d’entretien (II.2.3), et le choix de nos répondants (II.2.4). Enfin,
nous nous attardons sur leur déroulement (II.2.5), pour conclure sur les mesures spécifiques
au renforcement de la validité et de la fiabilité de cette méthode de recueil (II.2.6).
II.2.1 Pourquoi l’entretien ?
Classiquement, l’entretien est la méthode de recueil de données la plus importante
dans la réalisation d’une étude de cas (Yin, 2003). Permettant d’entrer dans l’intimité d’une
organisation en rencontrant les personnes qui la font vivre, et de se sensibiliser aux nuances
du contexte (Demers, 2003 : 175), nous avons également considéré qu’elle était, parmi les six
méthodes cités supra, celle qui s’approchait le plus de la démarche que nous souhaitions
initialement mettre en œuvre277. Enfin, notre positionnement épistémologique ne fut pas neutre
dans notre choix. Si il est certes mobilisable dans une perspective fonctionnaliste, l’entretien
paraît particulièrement approprié dans le cas du positionnement interprétativiste que nous
avons fait nôtre, puisque « l’objectif est de comprendre la réalité organisationnelle telle que
se la représentent les acteurs en leur demandant ce qu’ils en pensent » (Demers, 2003 : 177).
Enfin, moins invasif que d’autres formes plus participatives de recherche, il facilite également
l’accès aux entreprises (Demers, 2003), ce dont nous avons fait l’expérience.
II.2.2 Le type d’entretien utilisé.
« Procédé d’investigation scientifique, utilisant un processus de communication
verbale, pour recueillir des informations, en relation avec le but fixé » (Grawitz, 2001 : 644),
l’entretien peut être soit individuel, soit de groupe (Baumard et al., 1999). Nous n’avons pour
277 Comme nous l’expliquons p 283, notre intention première était d’adopter une démarche proche de la recherche-intervention.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
290
notre part réalisé que des entretiens individuels278. La littérature en répertorie généralement
trois formes : directif, non-directif, ou semi-directifs. Ne souhaitant pas être confiné par les
premiers, ni risquer nous perdre dans les méandres des seconds, il nous a semblé naturel de
nous orienter vers des entretiens semi-directifs, qui offrent à l’acteur de s’exprimer librement,
mais selon des thèmes préalablement définis par le chercheur (Wacheux, 1996).
Grawitz (2001) note qu’un tel type d’entretien peut être soit guidé, soit « centré »
(Merton, Fiske et Kendall, 1990, in Yin, 2003 : 90), bien que la distinction entre les deux soit
ténue (Grawitz, 2001). Néanmoins, Romelaer (2001) établit la différence entre les deux. Sa
présentation est résumée par Lepers (2003) dans le tableau 5-7. Au regard de ces critères,
nous avons réalisé des entretiens semi-directifs centrés, même si nous avons parfois dû nous
adapter à des répondants nécessitant une plus grande directivité (Baumard et al., 1999).
Tableau 5-7 : Distinction entre entretiens guidés et entretiens semi-directifs centrés
CARACTÉRISTIQUES DE L’ENTRETIEN ENTRETIEN GUIDÉ ENTRETIEN SEMI-
DIRECTIF CENTRÉ
Objectif Porte sur des questions précises,
posées à l’interviewé
« Porte sur des thèmes déterminés avant l’entretien. Ces thèmes ne
sont pas communiqués au répondant » (Romelaer, 1999)
Support de l’entretien Le guide d’entretien comprend les
questions posées Le guide de l’interviewer liste
l’ensemble des thèmes
Manière de conduire l’entretien
Précise, d’une part à partir du guide, d’autre part grâce à des
questions afin d’affiner les réponses
Plus souple. Après une entame directive, ce sont les
reformulations et les relances qui permettent d’orienter l’entretien
sur les thèmes du guide de l’interviewer.
Source : Lepers, 2003 : 195
II.2.3 Le guide d’entretien279
Le guide d’un entretien semi-directif centré liste les thèmes définis par l’interviewer,
lesquels peuvent être souplement abordés au gré du discours du répondant. Ils sont pertinents
par rapport à la littérature de recherche, à la problématique, et / ou peuvent provenir de
l’intuition (Romelaer, 2001). Dans cette recherche, l’intuition basée sur les résultats de notre
étude exploratoire nous a conduit progressivement vers la littérature adéquate à la formulation
278 A l’exception de deux d’entre eux, pour lesquels les circonstances ont fait que nous avons eu face à nous deux interlocuteurs. 279 Ou « guide de l’interviewer », Romelaer, 2001.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
291
de la problématique. Trois thèmes sont centraux : la coordination, la perception de la
participation du client par l’interviewé, et les liens entre ces deux thèmes. Néanmoins, pour
les aborder, nous avons décliné le guide de la manière suivante, que nous commentons pour
en expliciter la forme et le contenu au lecteur (Tableau 5-8).
Tableau 5-8 : Guide de l’interviewer commenté
PARTIES DU GUIDE DESCRIPTION COMMENTAIRES
Présentation de
l’interviewer et de la
recherche
« Bonjour. Je m’appelle Loïc Plé, et je réalise une recherche sur le
développement des moyens d’échanges et de contact entre la banque et ses clients, ce sur quoi portera donc notre discussion. Avant de commencer, je tiens à
vous préciser que les propos que vous tiendrez seront strictement
confidentiels280 »
• Pas d’utilisation du terme canal, généralement incompris ou flou pour les interlocuteur – Objectif d’adaptation au vocabulaire de référence des interviewés.
• L’indication du sujet de la recherche n’est pas indispensable (Romelaer, 2001), mais peut néanmoins mettre l’interviewé en confiance (Nils et Rimé, 2003). Nous avons opté pour une brève présentation de l’objectif.
Phrase d’entame
Pas de phrase d’entame à proprement parler
• En rupture avec Romelaer (2001) sur ce point, nous n’avons pas utilisé de phrase d’entame au sens où il l’entend (cf. ci-dessous)
Parcours professionnel et travail quotidien de l’interviewé
• Répondant au besoin d’empathie et de création d’une relation de confiance avec l’interviewé (Demers, 2001), nous préférons débuter l’entretien par une question générale sur son travail
Gestion de l’introduction des nouveaux canaux
• L’étude exploratoire nous a permis de constater que ce thème était une source importante d’information, et constituait une bonne entrée en matière pour aborder les autres, généralement effleurés dans les réponses. Nous l’avons donc repris, en cherchant à approfondir durant l’entretien des points auxquels nous n’aurions pas pensé avant la revue de littérature281
Thèmes et sous-thèmes
du guide
Coordination entre les canaux • Un des thèmes principaux, sinon le principal. Nous avions pour objectif de passer en revue tant le design
280 La littérature recommande une uniformisation du recueil des données, avec une standardisation de la présentation de la recherche aux différents répondants. La pratique est cependant souvent plus complexe (Baumard et al., 1999), et nous avons rarement pu l’exposer telle quelle, nos interviewés posant fréquemment des questions avant le début de l’entretien sur l’objectif de notre visite et l’utilisation future de leurs propos. 281 Par exemple, nous avons cherché à savoir si les clients avaient été impliqués dans le développement et le déploiement des centres d’appels, et le cas échéant, de quelle manière et à quels stades.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
292
(mécanismes et supports de ces mécanismes) de la coordination que son processus ) à partir des dimensions communicationnelles et relationnelles (perception de l’intensité des échanges d’information ou de leur précision)
Gestion des relations / contacts avec les clients
• Le recueil de cette information sur la perception par les répondants de l’état et l’évolution de leurs relations / contacts avec les clients paraît adéquate pour estimer l’importance de l’influence que ces derniers sont susceptibles d’exercer sur eux.
Clôture de l’entretien
Demande de complément d’information (« avez-vous quelque
chose à ajouter ? ») Collecte d’informations
personnelles (âge, formation, etc.) Remerciements
• La fin de l’entretien peut être une occasion d’impliquer différemment le répondant (Grawitz, 2001).
• La collecte d’informations personnelles à son égard vise à laisser l’impression que la considération apportée au début de l’entretien n’était pas une façade
• Cela peut en outre représenter une source d’informations complémentaires que l’interviewé n’a pas osé, pensé ou désiré livrer durant le cadre formel de l’entretien
A ces commentaires sur chaque partie, nous en ajoutons un dernier, plus global. Ce
guide n’est pas sans similitude avec celui de l’étude exploratoire. En effet, nous sommes
partis du principe que puisque celui-ci nous avait permis d’obtenir des données dont l’analyse
avait ensuite orienté notre réflexion, il n’était pas dénué d’intérêt pour la suite de la recherche.
Notamment, il nous permet d’approcher indirectement la perception de la participation client,
à travers des questions sur l’évolution des relations avec les clients et la coordination entre les
canaux. Notre position fut donc moins celle d’une refonte totale, que d’un aménagement et
approfondissement de chaque thème du guide, à l’instar de Sargis-Roussel (2002).
II.2.4 La constitution de l’échantillon.
II.2.4.a) Le nombre de répondants.
Le cœur du problème est de « minimiser la taille de l'échantillon sous contrainte
d’obtenir une confiance satisfaisante des résultats » (Lepers, 2003 : 178). Les études
qualitatives utilisent souvent un critère de saturation théorique (Strauss et Corbin, 1998),
supposée atteinte lorsqu’un entretien supplémentaire n’apporte plus d’information
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
293
complémentaire capable d’enrichir la théorie. La mise en œuvre rigoureuse de ce principe est
difficile, sinon impossible, et c’est sur les épaules du chercheur que repose le choix de l’arrêt
de la collecte dès qu’il estime avoir atteint cette saturation (Royer et Zarlowski, 1999a). Pour
cette raison, nous avons décidé d’interrompre plus tôt le recueil de données dans le cas EFN,
sentant que nous commencions à obtenir des données trop redondantes.
La pratique de constitution d’un échantillon peut également interférer avec ce critère :
il peut arriver que le nombre de répondants soit contraint par le terrain (nombre de personnes
interrogeables à un niveau précis ; volonté de la direction ; etc.). La durée attribuée à l’étude
est également une contrainte non négligeable, de même que le nombre de chercheurs (Miles et
Huberman, 2003).
Nous allons maintenant nous pencher sur le processus et les critères de la sélection des
personnes interrogées282.
II.2.4.b) Le choix des répondants.
Il s’agit d’un choix fait sous au moins trois contraintes : la problématique, la variété, et
l’accessibilité (Demers, 2001 ; Miles et Huberman, 2003 ; Sargis-Roussel, 2000). Portant sur
la coordination d’un réseau de distribution multicanal bancaire, notre étude de terrain a
commencé par la détermination des canaux où seraient menés les entretiens. Nous avons étayé
notre choix grâce aux résultats de l’étude exploratoire et à l’analyse sectorielle, décidant de
nous intéresser principalement à la coordination entre agences et centres d’appels. Dès lors,
nous nous devions d’accéder à des répondants différents sur chaque canal, ainsi qu’à des
acteurs en charge de la gestion de l’ensemble des canaux.
Cet accès a été rendu possible par une concertation réalisée à l’issue d’entretiens avec,
dans l’un des cas, un membre de la direction du réseau, et dans l’autre, deux responsables
régionaux. Nous avons tenté de respecter, dès lors que c’était possible, la contrainte de
diversité entre les répondants (Demers, 2001) : agences réparties sur toute la région, aux
caractéristiques de marché distinctes, comptant des conseillers de formations, d’anciennetés,
et d’âges différents ; niveaux hiérarchiques différents sur les catégories de canaux étudiées,
etc. Sargis-Roussel (2002) complète ce critère de diversité par celui d’homogénéité283 entre les
répondants d’un même site, afin de retirer des données comparables entre les sites284.
282 Le détail des interviewés est précisé en annexe 6. 283 Au niveau des profils et du nombre de répondants 284 Contrairement à Miles et Huberman (2003), qui assimilent un site à un cas, nous faisons une distinction entre
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
294
Enfin, une fois les choix conjointement effectués, nous disposions des coordonnées
des acteurs à contacter pour planifier les entretiens, sans que n’interfèrent en aucune façon les
responsables qui avaient participé à ce choix. Si nous admettons ne pas avoir pleinement
maîtrisé la constitution de l’échantillon, nous pensons avoir assuré une diversité suffisante
entre les répondants, même si notre connaissance partielle des deux banques et de leurs jeux
politiques constitue une limite susceptible d’avoir biaisé cette phase.
II.2.5 La conduite des entretiens.
II.2.5.a) Leur déroulement.
D’après Wacheux (1996), « l’entretien est une situation anormale pour les deux
participants » ( : 205). Ce constat n’est pas totalement exact dans notre situation. D’un côté,
en tant que chercheur qualitatif, il s’agit d’une situation à laquelle nous sommes régulièrement
confronté. Mais surtout, de l’autre côté, la majorité de nos interviewés sont quotidiennement
en situation d’entretien (commercial ou de conseil) avec leurs clients. Pour eux, nos entretiens
se singularisent, outre leur nature, par une inversion des rôles, compte tenu de ce que ce sont
eux qui mènent habituellement l’entretien, alors qu’ils prennent ici la place du répondant.
La réussite de l’entretien repose sur la capacité de l’interviewer d’écouter activement
son interlocuteur, de s’y adapter, et de le mettre en confiance. Le guide d’entretien, explicité
supra, a été élaboré avec l’objectif d’instaurer cette confiance dès la prise de contact initiale,
et de l’entretenir par la suite grâce à une démarche empathique, en nous adaptant par exemple
au vocabulaire de notre interlocuteur, ou aux connaissances qu’il possédait (Nils et Rimé,
2003). Le type d’entretien retenu, relativement flexible, a facilité cette démarche. Ainsi, si
tous les thèmes furent abordés pendant tous les entretiens, il arriva qu’ils soient plus ou moins
développés en fonction de la contribution que pouvait apporter la personne à laquelle nous
faisions face.
Ces précautions comportementales de la part de l’interviewer, si elles peuvent
améliorer la qualité des données recueillies (Baumard et al., 1999), n’en restent pas moins
insuffisantes pour relever les défis et risques inhérents à cette méthode de recueil.
les deux. Ainsi, l’appellation « site » renvoie pour nous à une agence, à un centre d’appels, etc., tandis que l’appellation « cas », à chaque entreprise étudiée.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
295
II.2.5.b) Risques et précautions méthodologiques inhérentes au déroulement des entretiens.
Parmi les risques pouvant miner la qualité de l’entretien et des données qui en
proviennent, nous en retenons quatre auxquels nous avons été confrontés, et que nous avons
cherchés à limiter en prenant les précautions méthodologiques présentes dans le tableau 5-9.
Tableau 5-9 : Risques et précautions méthodologiques correspondantes pour améliorer la qualité de l’entretien
RISQUES DÉFINITIONS PRÉCAUTIONS MÉTHODOLOGIQUES
La fuite (Grawitz,
2001 : 659)
Tentative de dérobade, ou dérobade, de la part de
l’interviewé pour ne pas répondre à la question
(refus de répondre, porte claquée au nez, excuse polie, mensonge…).
• Rassurer le répondant sur l’utilisation de ses propos et son anonymat
• Reformuler la question, soit immédiatement, soit en l’insérant plus tard de façon naturelle dans l’entretien
• Scinder la question en plusieurs sous-questions pour arriver au but de manière détournée
La rationalisation
(Grawitz, 2001)
Justification par l’interviewé de son attitude
par une explication à laquelle il croit, mais ne correspondant pas à la
réalité
• Recouper les propos avec d’autres sources (documents, entretiens antérieurs…)
• Reformuler « naïvement » : donner l’explication que l’on pense correspondre à la réalité, en faisant semblant de ne pas comprendre l’explication de son interlocuteur285
Le parrainage (Baumard et
al., 1999 : 242)
Possibilité d’accéder à un terrain, de contacter des
acteurs, sur la recommandation d’un
membre de l’organisation
• Recourir à des parrains différents • Prouver son statut de chercheur extérieur à
l’organisation286 • Rappeler l’absence de tout mandat ou salaire de
la part de l’organisation
La contamination (Baumard et
al., 1999 : 244)
Risque d’influence directe ou indirecte d’un acteur sur un autre durant le processus de recueil des données. Soit
intragroupe (entre les acteurs interviewés), soit découlant du parrainage
(choix des répondants, etc.)
• Interroger les acteurs d’un même site dans un laps de temps réduit287
• S’assurer de pouvoir intervenir sur le choix des répondants (fixation de critères précis, proposition, etc.)
• Demander au parrain, en cas d’intervention directe auprès des futurs interviewés, de rester vague sur le contenu de l’entretien
285 Cette technique est très risquée, car elle peut braquer l’interviewé et le bloquer dans ses réponses. Il est préférable de l’utiliser de manière asynchrone, par exemple après avoir recoupé les informations, et avoir envoyé le compte-rendu d’entretien pour vérifier si le répondant maintient sa version. 286 Dans le cas d’une thèse, Lepers (2003) conseille de montrer sa carte d’étudiant au début de l’entretien 287 En ce qui nous concerne, nous nous sommes arrangés pour réaliser tous les entretiens d’une même agence sur une ou deux journées, en fonction du nombre d’interlocuteurs et de leur emploi du temps.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
296
Bien que ne garantissant pas la réussite de surmonter ces risques, ces techniques se
sont avérées précieuses dans notre phase de réalisation d’entretiens. Notons que nous aurions
également pu y mentionner l’absence de souvenirs, ou la faible remémoration par les
interviewés relativement à certaines questions, mais ne l’avons pas fait dans la mesure où ce
risque est supposé être limité par notre démarche permanente de triangulation.
II.2.6 Validité et fiabilité méthodologiques de la méthode
de recueil par entretiens.
Enfin, en sus de ces précautions méthodologiques que nous avons assignées à la
conduite des entretiens, il convient de mentionner qu’ont été utilisées trois autres techniques
visant à renforcer la validité et la fiabilité des données issues des entretiens.
La première est l’enregistrement et la retranscription288 de l’intégralité des entretiens,
aucun des interviewés ne s’y étant opposé. Yin (2003 : 92) revient sur les dangers inhérents à
cette démarche, desquels nous étions conscients, notamment celui d’une écoute moins active
de la part de l’interviewer, donc d’un recueil de moindre qualité. Ces enregistrements et
transcriptions sont à l’origine de l’essentiel de l’analyse de données. La seconde est
l’utilisation de notes de synthèse (Miles et Huberman, 2003), dont la plupart prirent la forme
de comptes-rendus envoyés aux interviewés pour validation, modification ou infirmation de
leurs propos. La troisième, enfin, est la tenue d’un journal de recherche (Wacheux, 1996),
compilation de notes prises après chaque contact terrain, résumant la nature du contact, notre
état d’esprit et celui de notre interlocuteur tel que nous le percevions, les conditions de
réalisation de l’entretien, et les éventuels propos tenus après l’arrêt de l’enregistrement.
II.3 LES DEUX AUTRES MÉTHODES DE RECUEIL : OBSERVATION ET
ÉTUDES DOCUMENTAIRES.
En complément ont été mobilisées deux autres méthodes de recueil, source de
moindres quantités de données que les entretiens : de l’observation non participante tout
d’abord, réduite à la portion congrue, et dont nous traitons rapidement (II.3.1) ; puis de
l’étude documentaire, dont l’apport en quantité de données fut nettement supérieur à
l’observation (II.3.2).
288 A propos de la retranscription, nous donnons quelques conseils qui peuvent permettre de gagner du temps en annexe 7, de même que quelques conseils généraux d’utilisation des outils bureautiques permettant de gagner du temps vis-à-vis de certaines tâches répétitives.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
297
II.3.1 L’observation
L’observation se démarque de l’entretien en ce qu’elle permet de « saisir sur le vif
l’expérience des individus au quotidien » (Groleau, 2003 : 213). En cela, elle nous fut utile
dans l’optique de triangulation qui a guidé la collecte de données. Elle fut toutefois réduite ici
à peu de choses, puisque nous avons passé une demi-journée sur un centre d’appels, afin
d’avoir une meilleure connaissance de la manière dont travaillaient les téléconseillers. En
parallèle, nous avons également suivi les conseils de Yin (2003) en mettant à profit les temps
d’attente289 entre les entretiens dans les agences et dans les centres d’appels, pour observer le
comportement de la clientèle et celui des personnels de guichet et des conseillers, ainsi
qu’examiner précisément l’organisation physique des locaux. Notes que nous avons ensuite
pu mettre en regard des propos des interviewés, et même parfois utiliser directement au cours
de l’entretien lorsqu’un élément nous avait interpellé. Cette technique de recueil fut par
ailleurs très utile pour identifier certaines des techniques de socialisation organisationnelle
déployées par les banques sur le lieu de vente, et leur utilisation par les différentes agences.
II.3.2 L’étude documentaire.
L’étude documentaire diffère des deux autres méthodes de recueil en ce qu’elle assure
la collecte de données secondaires. Elle peut renvoyer à l’utilisation de sources d’origines
diverses et présentées sur des supports différents (Yin, 2003). Wacheux (1996) distingue pour
sa part entre sources internes et externes à l’organisation. Le tableau 5-10 recense les
documents qui ont alimenté notre étude documentaire. Les cas auxquels ils se rapportent sont
précisés entre parenthèses.
289 Ceux-ci furent parfois non négligeables, s’élevant jusqu’à une heure dans une agence, et atteignant en moyenne une dizaine de minutes avant chaque entretien.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
298
Tableau 5-10 : Les documents utilisés dans cette recherche
ORIGINE CATÉGORIE NATURE DU DOCUMENT
Organisationnelle interne
• Compte rendu de réunion de groupe transversal aux canaux (BCR290)
• Description des procédures de gestion du multicanal (BCR) • Compte-rendu d’appel téléphonique envoyé par les plates-
formes aux agences (BCR et EFN) • Typologie des clients (BCR) • Statistiques d’activité de la plate-forme (BCR) • Mails d’information sur l’évolution des procédures (BCR) • Supports de présentation de la plate-forme (EFN) • Présentation sur internet des entreprises et de leur organisation
/ stratégie (BCR et EFN)
Interne aux
banques étudiées
Organisationnelle externe291
• Publicité sur le lieu de vente (BCR et EFN) • Courriers envoyés aux clients (EFN)
Externe Journalistique • Journaux professionnels (Revue Banque et BanqueStratégie ;
The Banker) • Journaux d’information économique (Les Echos, La Tribune)
Source : Format adapté de Wacheux, 1996.
Ces sources doivent toujours être replacées dans un contexte historique,
organisationnel, stratégique, et comparées les unes aux autres, et aux données recueillies
autrement pour en saisir la signification (Wacheux, 1996). A ce propos, nous faisons un bref
aparté concernant la littérature traitant de l’étude documentaire. Les quelques références que
nous avons consultées (Baumard et al., 1999 ; Wacheux, 1996 ; Yin, 2003) ne paraissent pas
traiter des documents destinés aux clients. Or, ces derniers nous semblent avoir une puissance
explicative très importante292. Ils nous furent en tout cas très utiles pour relier les propos de
nos interlocuteurs à la stratégie de l’entreprise et à son mode de fonctionnement.
290 Comme nous l’avons dit, BCR et EFN sont des pseudonymes, les deux établissements nous ayant demandé la confidentialité. 291 Cette catégorie renvoie à de la documentation organisationnelle générée à destination des clients de l’entreprise. 292 Sous-entendu : en fonction de la problématique de recherche.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
299
SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES
Nous sommes maintenant en possession de nos données, récoltées suivant le processus
et à l’aide des méthodes précédemment explicitées. Par conséquent, la suite logique est de
procéder à leur analyse, pour enfin leur donner du sens et apporter des réponses aux questions
que nous soulevons. La nature de la recherche et des données recueillies exige à nouveau que
soient décrits et explicités le processus et les méthodes d’analyse retenus et déployés.
Dans une recherche qualitative, le recueil de données accouche d’une masse
considérable de données, dont la réduction est un préalable nécessaire à leur interprétation.
Cette réduction peut être réalisée grâce à l’élaboration d’un dictionnaire des thèmes, qui
permettra le codage des données durant l’analyse de contenu de chaque entretien (III.1). Une
fois cette étape derrière nous, il est alors possible de procéder aux recoupements nécessaires à
fin d’analyse au sein de chacun des deux cas, et entre ceux-ci (III.2).
III.1 LE DICTIONNAIRE DES THÈMES AU SERVICE DE L’ANALYSE DE
CONTENU.
Nos données existent principalement sous forme écrite et discursive, du fait des
méthodes privilégiées pour leur recueil. L’élaboration d’un dictionnaire des thèmes, que nous
explicitons ci-après, est donc particulièrement utile, sinon indispensable, pour les organiser et
en avoir une vision affinée (III.1.2). Première phase du processus analytique, elle est rapport
avec le type d’analyse retenu (III.1.1), dont la mise en œuvre passe notamment par une
activité de codage et de synthèse (III.1.3). Enfin, la fiabilité de ce processus se doit d’être
évaluée (III.1.4).
III.1.1 Une analyse de contenu thématique.
La littérature recense une multitude de possibilités d’analyse des données qualitatives
(Allard-Poesi et al., 1999). Nous avons pour notre part opté en faveur d’une analyse de
contenu, que Bardin (Bardin, 2001) définit comme « un ensemble de techniques d’analyse des
communications » ( : 35). Ce n’est donc pas « un instrument, mais [plutôt] un ensemble
d’outils » (ibid.), parmi lesquels il faut faire son choix en fonction de la nature des données
récoltées et des objectifs de la recherche.
Nous avons choisi de mener, selon les termes de Bardin, une analyse catégorielle
thématique, par opposition à l’analyse catégorielle lexicale (Bardin, 2003). Cette dernière
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
300
s’attache à la structure linguistique, à la richesse et à la nature du vocabulaire utilisé. Elle se
veut d’inspiration quantitative, par le recours notable à des calculs de fréquence (Allard-Poesi
et al., 1999).
L’analyse thématique, pour sa part, a comme unité d’analyse la portion de phrase, la
phrase entière ou un groupe de phrases, ce qui permet d’avoir une compréhension des
perceptions que les acteurs expriment dans leur discours sans scinder les faits ou concepts
qu’ils mobilisent pour cela. Les objectifs de notre recherche, et dans une certaine mesure
notre positionnement interprétativiste, nous ont conduit à adopter cette approche. En effet,
nous nous intéressons à la perception des acteurs interrogés quant à la coordination du réseau
de distribution multicanal auquel ils appartiennent, et plus particulièrement à l’impact de leur
perception de la participation de leurs clients sur cette coordination. Ce choix cadre avec les
recommandations de Allard-Poesi et al.. (1999).
III.1.2 L’élaboration du dictionnaire des thèmes.
Les thèmes peuvent être considérés comme des unités de sens agrégées à un niveau
supérieur à partir de propriétés communes, dans une optique de construction d’ensembles
distincts et, à l’idéal, clairement délimités (Bardin, 2003). Le dictionnaire des thèmes
regroupe donc l’ensemble des thèmes qui sont utiles au traitement des données par codage.
Ces thèmes ne surgissent pas ex nihilo. Ils sont susceptibles d’émerger des données
étudiées, dans le cadre de procédures de recherche proches de la théorie enracinée (Strauss et
Corbin, 1998). Mais ils peuvent aussi provenir du cadre conceptuel mis en place par le
chercheur à l’issue de sa revue de littérature, dont les thèmes sont dans ce cas originaires
(Miles et Huberman, 2003). Dans la démarche abductive qui est la nôtre, nous nous plaçons à
mi-chemin entre ces deux perspectives inductive et déductive (Allard-Poesi, 2003 ; Mbengue
et Vandangeon-Derumez, 1999), situation dont conviennent d’ailleurs aisément Miles et
Huberman (2003).
Notre recherche mobilise les cinq thèmes suivants : Contexte ; coordination ;
participation client ; nature de l’échange ; socialisation organisationnelle. La grande majorité
d’entre eux, de leurs propriétés et des composantes de ces propriétés proviennent de la
littérature293. Ainsi, sur les trente-trois codes qu’ils forment, seuls sept ont une origine
exogène à la littérature. Quatre ont émergé de notre étude exploratoire. Tout d’abord, les trois
293 L’annexe 8 présent le dictionnaire des thèmes, ainsi que l’origine de ces derniers.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
301
propriétés du thème « contexte », comme nous l’avons expliqué dans le second chapitre. Puis,
la composante « indulgence » de la propriété « processus » du thème « coordination », qui a
elle-aussi été déjà explicitée.
Deux ont émergé des études de cas BCR et EFN : la composante « reconnaissance »
de la propriété « processus » du thème « coordination », qui exprime la perception qu’ont les
employés en contact à l’égard du travail fourni par leurs collaborateurs. Puis la propriété
« employés » du thème « socialisation organisationnelle », qui résulte de notre observation de
ce que, en sus des techniques de socialisation organisationnelles instaurées par l’entreprise,
certains employés en développaient de nouvelles, ou déviaient les techniques existantes pour
les mettre en ligne avec leurs besoins dans les relations clients.
Une dernière (les inputs relationnels) résulte enfin d’une construction théorique que
nous avons faite dans notre troisième chapitre, à partir de l’analyse des résultats de cette
même étude exploratoire.
Chaque thème est subdivisé de manière plus ou moins fine selon le degré de précision
que nous permettaient d’atteindre à la fois la littérature et le terrain suivant le processus que
nous venons d’expliciter. Mais aussi, et même surtout, en fonction de son importance dans
notre cadre conceptuel. Ainsi, la finesse des thèmes est corrélée à leur importance pour
répondre à notre problématique et nos propositions de recherche, ce qui justifie du degré de
décomposition des thèmes « coordination » et « participation ». De surcroît, ces thèmes
révèlent une cohérence interne entre le cadre conceptuel et les données recueillies (Lepers,
2003). En effet, le prolongement du cadre théorique par cette « grille catégorielle » de lecture
(Bardin, 2003 :253) nous place dans de bonnes conditions pour améliorer la précision de notre
compréhension des données (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999).
Enfin, les définitions que nous leur avons attribuées viennent également soit de la
littérature, soit de notre interprétation du discours des acteurs ou des documents analysés.
III.1.3 La mise en œuvre de l’analyse.
III.1.3.a) L’analyse durant la collecte de données.
Suivant les conseils de, entre autres auteurs, Miles et Huberman (2003), nous avons
débuté l’analyse durant la collecte de données. Cela nous notamment a permis d’améliorer la
manière dont nous menions les entretiens, en constatant que parfois, certains des thèmes
abordés ne l’avaient pas été suffisamment en profondeur. Nous avons également pu
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
302
commencer à mettre en évidence certaines relations possibles entre les thèmes, qu’il nous
fallait néanmoins explorer plus avant, sans nous arrêter à nos pressentiments initiaux.
Cette première phase d’analyse, concomitante au recueil, s’est faite selon le principe
de lecture flottante prôné par Bardin (2001), et dont elle écrit ceci : « [elle] consiste à se
mettre en contact avec les documents d’analyse, à faire connaissance en laissant venir à soi
des impressions, des orientations […] Petit à petit, la lecture devient plus précise en fonction
d’hypothèses émergentes, de la projection sur le matériel de théories adaptées, de
l’application possible de techniques utilisées sur des matériaux analogues » ( : 126). Réaliser
cette lecture flottante durant le recueil des données ne nous a toutefois pas empêché, bien
évidemment, de nous replonger dans des entretiens antérieurs lorsque nous avions
l’impression que des ressemblances ou divergences entre ceux-ci se faisaient jour. Cela a
donné lieu à une importante prise de notes, dont certaines rédigées directement lors de la
transcription des entretiens, parfois très courtes, et généralement intégrées directement aux
entretiens, au niveau des passages concernés par ces remarques, mais dans une couleur
différente pour les repérer plus facilement et rapidement.
Cette façon de travailler et d’appréhender nos données fut très importante, et nous
rejoignons Lepers (2003) lorsqu’il explique que, dans le cadre de sa recherche, cette phase fut
des plus enrichissantes. En effet, même si ce document retrace de façon linéaire notre
processus de réflexion, son déroulement « réel » se caractérise, comme nous l’avons expliqué,
par un mode de raisonnement abductif. L’évolution même de la revue de littérature et du
cadre conceptuel a été parfois guidée, outre les résultats de notre étude exploratoire, par cette
analyse « au fil de l’eau », de même que le dictionnaire des thèmes.
Les résultats finaux se ressentent de cette première étape, comme le soulignent Miles
et Huberman (2003) : « Dès le début de la collecte des données, l’analyste qualitatif
commence à décider du sens des choses, il note les régularités, les ‘patterns’, les explications,
les configurations possibles, les flux de causalité et les propositions. Le chercheur compétent
garde un esprit ouvert et critique. Il ne s’arrête pas à ces conclusions. Toutefois, elles sont
toujours là, d’abord vagues et informes, puis de plus en plus explicites et enracinées, pour
reprendre l’expression classique de Glaser et Strauss (1967). Les conclusions ‘finales’
peuvent n’apparaître qu’une fois la collecte de données terminée, en fonction du volume de
notes de terrain, des méthodes utilisées pour le codage, le stockage et le recouvrement, du
degré de sophistication du chercheur, et des exigences du commanditaire, mais elles ont
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
303
souvent été pressenties depuis le début, même lorsque le chercheur déclare avoir procédé
‘inductivement’ » ( : 30).
III.1.3.b) La phase de codage.
L’analyse des données se poursuit en disséquant le contenu des diverses documents
(entretiens, notes internes, documents de communication externe, notes personnelles issues de
l’observation, etc.) à l’aide du dictionnaire des thèmes. Cette phase de codage, c’est-à-dire de
« processus d’identification et d’affectation d’un ou plusieurs passages de texte ou d’autres
données (par exemples, des parties d’une image) pour illustrer la même idée théorique ou
descriptive » (Gibbs, 2002 : 58) a elle-aussi démarré durant le recueil. Nous avons donc
commencé à coder les premiers entretiens tandis que nous n’avions pas fini de tous les mener.
Cette façon de faire a également participé de l’enrichissement de notre dictionnaire des
thèmes, comme expliqué précédemment.
Ce codage thématique a débuté avec la version 2 du logiciel d’analyse Nvivo, puis fut
poursuivie à l’aide de la version 7. Ce codage a suivi les préconisation de, notamment,
Deschenaux et Bourdon (2005), et Gibbs (2002). Ainsi, partant du principe que le discours
des acteurs est riche et naturellement porteur de significations ou de concepts différents,
plusieurs extraits de texte ont fait l’objet d’un codage multiple. Pour cette raison, certains de
nos verbatims illustrent parfois des éléments différents lors de la restitution des résultats.
L’un des avantages majeurs de Nvivo 7, outre son ergonomie améliorée, est de
permettre facilement la mise en relation de deux thèmes et / ou de leurs propriétés, et
d’illustrer cette mise en relation par des sections de texte correspondantes. Aussi, à mesure
que nous avons progressé dans nos données, avons-nous pu nous constituer un corpus de
relations particulièrement utile à la compréhension générale de l’ensemble des données, et
améliorant notre capacité à leur donner du sens.
Enfin, pour avoir une vision plus synthétique de chaque entretien, nous avons réalisé
une synthèse d’une à deux pages reprenant les principaux thèmes tels qu’ils étaient abordés
par le guide d’entretien, et non directement par le dictionnaire des thèmes. En effet, la plupart
de ces synthèses a été adressée aux interviewés correspondants pour validation. Or, notre
guide d’entretien abordait indirectement les thèmes de la coordination et de la participation,
comme nous l’avons expliqué plus haut. Nous avons donc cherché à mettre en avant dans ces
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
304
synthèses les thèmes de notre dictionnaire, mais en utilisant une structure respectant celle du
guide d’entretien294.
Le tableau 5-11 récapitule linéairement la mise en œuvre de l’analyse de données.
Tableau 5-11 : Récapitulatif de la mise en œuvre de l’analyse de données
PHASE COMMENTAIRE Lecture flottante –
Analyse « au fil de l’eau » Concomitante au recueil de données et à la transcription des
entretiens
Élaboration du dictionnaire des thèmes Construction abductive, fortement ancrée dans la littérature
Codage des documents Utilisation de Nvivo 2, et surtout Nvivo 7
Synthèse de chaque document 1 à 2 pages à destination des interviewés pour validation
III.1.4 Fiabilité de l’analyse.
Un moyen d’asseoir la fiabilité de l’analyse est de décrire précisément le processus et
les techniques mobilisées pour mener cette analyse (Drucker-Godard et al., 1999), ce que
nous nous sommes efforcé de faire auparavant. Un autre moyen est de s’assurer de la fiabilité
du codage. D’après les travaux de Weber295 (1990), trois critères permettent cela : la stabilité,
la précision, et la reproductibilité (Tableau 5-12).
Tableau 5-12 : Trois critères de la fiabilité du codage
CRITERE DEFINITION
Stabilité Niveau de similarité des résultats du codage lorsque les données sont codées par le codeur à plusieurs reprises
Précision Mesure de la proximité entre le codage d’un texte et un codage standard
Reproductibilité Encore appelée fiabilité inter-codeurs – Niveau de similarité des
résultats du codage lorsque les données sont codées par des chercheurs différents du codeur initial
Source : Adapté de Weber (1990), in Sargis-Roussel (2002)
Si ces trois critères sont utilisables, Weber (1990) explique cependant que la mesure
de la précision est rarement réalisée, en raison de la difficulté d’obtenir un codage standard
294 Un exemple de synthèse d’entretien telle que remise à ces interviewés figure en annexe 9. 295 Présentés par Sargis-Roussel (2002).
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
305
pour un texte donné. Pour cette raison, nous n’avons pas utilisé ce critère, contrairement à
ceux de stabilité et de reproductibilité.
Les taux de stabilité et de reproductibilité se mesurent tous les deux à l’aide de la
même formule (Miles et Huberman, 2003 : 126) :
Pour éviter de recoder de mémoire, nous avons laissé s’écouler entre 1 à 2 mois entre
le codage initial et le second codage. Ce dernier a été réalisé sur la base des 10 premières
pages de plus de la moitié de nos entretiens. Le taux de stabilité que nous avons atteint selon
cette procédure est d’environ 89 %.
En ce qui concerne la fiabilité inter-codeurs, qui permet d’évaluer la reproductibilité
des résultats de la recherche, nous nous sommes inscrits dans la lignée de Miles et Huberman
(2003), qui conseillent que l’échantillonnage doit se faire sur 5 à 10 pages des premières
transcriptions. Nous avons réalisé ce double codage sur les 10 premières pages de la moitié de
nos entretiens296, choisis de manière aléatoire. Le taux de fiabilité inter-codeurs obtenu est
d’environ 83%, là où Miles et Huberman s’attendent à un taux proche de 70%.
III.2 L’ANALYSE INTRA ET INTER-CAS.
La phase d’analyse de contenu est indispensable, car elle a posé les fondements de nos
analyses intra-cas (III.2.1) et inter-cas (III.2.2).
III.2.1 L’analyse intra-cas.
L’utilisation de Nvivo 7 s’est révélée d’une aide précieuse dans la réalisation de cette
analyse intra-cas. Celle-ci correspond en fait à une analyse inter-site, d’après la terminologie
que nous avons retenue précédemment, puisqu’il s’agissait de recouper entre les résultats
obtenus dans chaque agence, chaque plate-forme, les entretiens menés aux sièges, etc.
Nous avons donc pour cela fait usage plusieurs outils de Nvivo 7, qui sont venus
utilement compléter l’activité de codage.
296 Nous remercions Isabelle Cornu-Lefebvre pour nous avoir aidé dans cette tâche.
Nombre d’accords
Nombre total d’accords + Désaccords
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
306
En premier lieu, l’outil « Queries » nous a permis de créer différentes catégories de
matrices. L’avantage de l’utilisation d’un logiciel comme Nvivo dans la création et la
manipulation de matrices est multiple. Tout d’abord, il offre une multiplicité de présentations.
Il est en effet possible d’afficher dans les matrices soit le nombre d’entretiens dans lequel
apparaît un thème particulier, soit le nombre d’occurrence de ce thème sur l’ensemble des
entretiens retenus, etc. Ensuite, l’accès aux verbatims est facilité, puisqu’il suffit de double-
cliquer sur une cellule pour avoir le contenu des verbatims qu’elle contient à disposition. Par
ailleurs, la réorganisation des lignes / colonnes est aisée, de même que le filtre des données (il
est par exemple possible de demander à ce que n’apparaissent que les entretiens d’où le code
recherché est absent) et une option supplémentaire permet de teinter les cases en fonction de
la fréquence d’occurrence du thème. La comparaison entre les entretiens de chaque cas a donc
été facilitée par l’utilisation de cet outil297.
Couplé à cet outil, nous avons recouru à la fonction « Sets » de Nvivo. Cette fonction
nous a permis de créer des ensembles correspondants pour chacun à ce que nous avons appelé
site. De cette manière, nous avons pu à la fois comparer les résultats de chaque entretien du
site à ceux de l’ensemble du site. Nous avons également pu comparer les sites entre eux, avec
toujours une facilité d’accès aux verbatims qui permettait de revenir au matériau de base en
permanence. En effet, les matrices générés par Nvivo 7 comportent, nous l’avons dit, des
indications chiffrées à partir desquelles pourrait être menée l’analyse des données. Il s’agit
alors de faire de l’analyse quantitative de données qualitatives (Bardin, 2001). Cependant, tel
n’était pas là notre objectif premier. Ce repérage quantitatif nous a surtout permis de limiter la
distorsion naturelle liée à notre perception du cas, et à notre intimité avec les données. Par
exemple, alors que nous procédions à l’analyse de contenu des entretiens d’une agence, il
nous a semblé que l’opinion du personnel y travaillant vis-à-vis de la plate-forme entrante
était plus influencée par le client que dans d’autres caisses. Cette analyse quantitative nous a
permis de vérifier qu’il n’en était rien, et que la différence était somme toute minime.
L’analyse quantitative fut donc beaucoup plus un simple guide jalonnant l’analyse qualitative
des données, que sa pierre angulaire.
Les matrices n’ont pas uniquement été bâties autour des codes de notre dictionnaire
des thèmes, ni les sets, des entretiens réalisés. Nous avons repris les relations mises en
évidence au cours de l’analyse de contenu, et les avons également mises sous forme de
matrices et de sets. Au niveau des matrices, tout d’abord, nous avons pu comparer les 297 Nous avons mis en annexe 10 un exemple de matrice utilisé.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
307
entretiens entre eux en fonction des relations qu’ils contenaient. Ensuite, nous avons regroupé
les relations par ensembles (sets) : un ensemble dédié aux relations entre la participation client
et les mécanismes de coordination, un autre, aux relations entre la participation et le processus
de coordination, etc. Par exemple, nous avions donc un set nommé « BCR processus vers
processus », qui nous permettait d’afficher en un seul coup d’œil la totalité des relations
contenues dans le cas BCR qui mettaient en évidence des liens entre les composantes et les
dimensions du processus de coordination. Ces ensembles ont à nouveau servi à composer des
matrices par entretien et par site298. Nous avons donc pu avoir des visions plus globales à la
fois par entretien, et par sets d’entretiens, de ces relations, et nous assurer d’une meilleure
compréhension et connaissance de nos données.
Enfin, nous avons repris l’outil « Modèles » de Nvivo 7, pour construire et représenter
schématiquement de véritables chaînes de causalité et / ou d’associations entre un nombre
plus important de variables (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999), à l’image de ce que
nous avions fait pour l’étude exploratoire (cf. p. 107). Ceci nous a permis de passer outre la
limite de l’outil « Relations », qui ne permet que d’établir des liens entre deux variables
(codes), alors que la réalité s’avère souvent plus complexe.
III.2.2 L’analyse inter-cas.
L’analyse inter-cas diffère assez peu de la manière dont nous avons mené l’analyse
intra-cas. Ceci peut se comprendre par le fait que, pour chaque cas, nous avons au fur et à
mesure comparé les sites entre eux pour aboutir à nos résultats finaux.
Nous avons donc reproduit le même type de matrices, utilisé les relations, les sets et
les modèles de Nvivo pour comparer les cas entre eux de la même façon que nous avions
comparé les entretiens et les sets entre eux dans l’analyse intra-cas. Cette analyse a donc
généré de nouvelles matrices et de nouveaux modèles, dont le changement fondamental par
rapport à l’analyse intra-cas est qu’ils permettaient de comparer le cas BCR au cas EFN.
Enfin, la structure rédactionnelle (un plan similaire) retenue pour chacun des cas vise
également à nous faciliter cette comparaison. Elle a facilité l’élaboration d’une matrice
comparative commentés des résultats entre les deux cas299.
298 L’annexe 11 illustre les propos tenus ici. 299 Disponible en annexe 12.
Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche
308
EN CONCLUSION DU CHAPITRE CINQUIÈME… Des études de cas selon un positionnement interprétativiste
Ce pénultième chapitre a levé le voile sur notre positionnement épistémologique et les
modalités de recueil et d’analyse de nos données. Ses trois aspects majeurs sont les suivants :
Ø Nous avons déployé une stratégie d’accès au réel basée sur le recours à des
études de cas menées suivant une posture interprétativiste ;
Ø Bien que recourant essentiellement aux entretiens, la phase de recueil de
données s’est déroulée en ayant en permanence à l’esprit la nécessité de
trianguler les méthodes, les sources et les types de données ;
Ø La clé de voûte de l’analyse a résidé dans le dictionnaire des thèmes, qui
couplé à l’utilisation du logiciel d’analyse de données Nvivo 7, nous a
permis de construire des matrices comparatives facilitant l’analyse intra et
inter-cas, et de dégager les relations entre les thèmes.
Cette phase d’explicitation de la construction de notre recherche et des méthodes
qu’elle mobilise constituait un préalable indispensable à la présentation des résultats des deux
études de cas, sur la voie desquels nous nous engageons dans le chapitre suivant.
Chapitre Sixième – Études de cas
309
CHAPITRE SIXIÈME : ÉTUDES DE CAS
Le but de ce sixième et ultime chapitre est de restituer les résultats de deux études de
cas réalisées suivant la méthodologie précédemment explicitée. Lesdites études s’inscrivent
dans un projet de recherche dont la problématique et les propositions de recherche sont les
suivantes (Encadré 5) :
Encadré 5 : Rappel de la problématique et des propositions de recherche
PROBLÉMATIQUE
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
PROPOSITIONS DE RECHERCHE
1. Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact
2. Le client influence le recours aux mécanismes de coordination
3. Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.
4. La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact
5. Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.
Les deux premières sections correspondent à la présentation des résultats de chacun
des cas. Nous commençons par ceux de la Banque Coopérative Régionale (BCR), et
poursuivons avec ceux de l’Établissement Financier National (EFN). Notons que la nature de
notre problématique nécessite une analyse dans leur ensemble tant des mécanismes que du
processus de coordination, tout en replaçant au fur et à mesure l’influence du client sur cette
coordination.
Enfin, dans une troisième et dernière section, nous procédons à une comparaison des
résultats entre les deux cas. Cette dernière étape est l’occasion d’une confrontation de nos
résultats avec la théorie, ainsi que d’une analyse des défis sectoriels liés à la distribution dans
la banque de détail.
Chapitre Sixième – Études de cas
310
SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE
(BCR)
L’étude de ce cas suit la trame suivante. Après avoir présenté l’entreprise (I.1), nous
nous attachons à l’analyse des interdépendances entre les canaux (I.2), puis des mécanismes
de coordination qui gèrent ces interdépendances (I.3), avant de passer au processus de
coordination entre les canaux (I.4). Vient ensuite l’étude des liens entre mécanismes et
processus de coordination (I.5). Nous achevons ce cas par une discussion et interprétation des
résultats (I.6).
I.1 PRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE
A une présentation très générale de l’entreprise (I.1.1), succèdent l’explication de la
stratégie et de l’organisation du multicanal à la BCR (I.1.2), la présentation du personnel
opérationnel des différents canaux étudiés (I.1.3), et le contexte de l’instauration du réseau de
distribution multicanal (I.1.4).
I.1.1 Présentation générale de la BCR.
La Banque Coopérative Régionale (BCR) fait partie d’un ensemble plus vaste
d’entités constituantes d’un groupe bancaire national. Elle est présente dans sept départements
répartis sur trois régions du nord de la France, ainsi qu’en Belgique et au Luxembourg. Elle
est caractérisée par une structuration par pôles (bancassurance, entreprises, etc..) autour d’une
caisse fédérale qui est à la tête du réseau.
Ses points de vente, au nombre de 230 environ, comptent plus d’un million de clients,
et sont divisés entre des caisses locales et des bureaux, ces derniers étant des entités plus
petites rattachées aux premières. Les caisses, pour leur part, disposent d’une certaine
autonomie, chacune établissant un compte de résultat et un bilan indépendants. En
péréquation financière, ces caisses reversent par ailleurs une partie de leur résultat à leur
organisme fédéral, dont elles détiennent la totalité du capital. Le capital de ces caisses, enfin,
est lui-même détenu par les sociétaires300 de la BCR.
300 Est considéré comme sociétaire toute personne physique ou morale ayant souscrit au moins quinze parts sociales incessibles et soumises à l’agrément du conseil d’administration.
Chapitre Sixième – Études de cas
311
I.1.2 Le multicanal à la BCR.
Nous passons d’abord en revue les différents canaux de la BCR, à l’organisation
desquels nous nous intéressons rapidement, avant de préciser le caractère stratégique de leur
développement.
I.1.2.a) Les différents canaux utilisés à la BCR.
La nature des canaux utilisés par la BCR ne diffère pas beaucoup de ceux que
proposent leurs concurrents : des points de vente ; un centre d’appels entrants (composé de six
plateaux géographiquement distincts) et sortants (un seul plateau) ; un serveur vocal
interactif ; des distributeurs et guichets automatiques ; un site Internet ; des services de
télévision interactive ; et finalement, des services sur téléphone mobile. Le réseau de
distribution multicanal qu’ils composent est organisé comme suit :
Ø Les points de vente : comprenant les caisses locales et les bureaux, ils sont
naturellement rattachés à la direction du réseau.
Ø Les plates-formes entrantes : assimilées à de grosses caisses locales, elles
dépendent également de la direction du réseau, car « le personnel qui est sur
le plateau est du personnel à profil bancaire. Donc, leur métier c'est la
banque, et il a été considéré effectivement qu'elles seraient mieux en étant
rattachées à la direction du réseau qu'à une direction marketing » (BCR
Siège 01). Elles ont des horaires d’ouverture plus étendus que ceux des points
de vente, et sont ouvertes 6 jours sur 7.
Ø Les activités de banque à distance : incluant le serveur vocal interactif, le
site Internet, le minitel, les services mobiles et plus largement tout ce qui
permet d’échanger à distance, elles sont regroupées au sein de la direction du
marketing et du développement, en charge du marketing stratégique et
opérationnel.
Ø La plate-forme sortante : a contrario, la plate-forme sortante est décrite par
son directeur comme une entité juridique distincte de la BCR, dont elle est
une filiale sous la forme d’une SAS301.
Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes principalement limités à l’analyse
de la coordination entre les points de vente et les deux centres d’appels entrants et sortants, 301 Société par Actions Simplifiée.
Chapitre Sixième – Études de cas
312
pour les raisons que nous avons déjà expliquées et sur lesquelles nous ne reviendrons donc
pas ici. En particulier, à fin de comparabilité entre les cas, l’accent sera surtout mis sur les
liens entre points de vente et centre d’appels entrants302
Cette organisation se veut pensée comme étant « au service des caisses », comme nous
allons le voir.
I.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de la BCR : au service des caisses locales.
Notre deuxième chapitre analyse les raisons du développement du multicanal dans la
banque de détail, auxquelles la BCR ne déroge pas (économies, amélioration de la qualité
globale de service, etc.). En outre, ce changement s’inscrit dans une profonde volonté de la
part de l’établissement d’externaliser une part croissante de l’activité non génératrice de
PNB303 (à faible valeur ajoutée) sur le client. Aussi, à partir de la fin des années 1990 (1998 /
1999), des points de vente de la BCR arrêtèrent de délivrer des espèces à leurs clients, les
orientant vers un distributeur automatique, mettant au besoin à leur disposition une carte
dédiée à cette seule opération. Des employés de la banque avaient alors pour mission de
montrer à ces clients l’utilisation des machines, de les convaincre de leurs avantages, et de
leur vendre une carte qui les rendrait encore plus autonomes par la suite.
Dans ce large cadre d’externalisation sur le client, la banque déploya deux entités
chargées pour l’une, d’émettre des appels téléphoniques, pour l’autre, d’en assurer la
réception. La première, mise sur pied en 1999, se veut un support au développement
commercial de la BCR, puisqu’allégeant le personnel des points de vente de la prise de
rendez-vous, et s’occupant de la gestion d’événements (fin d’un crédit ou plan épargne, etc.).
Elle compte une quinzaine d’employés permanents, et recourt occasionnellement à du
personnel temporaire.
La seconde vit le jour progressivement, entre septembre 2000 et juillet 2003, en
réponse à des études montrant que le taux de pertes d’appels en caisses locales était d’environ
25%. Elle est constituée de six plateaux téléphoniques ouverts 6 jours sur 7, dont les durées
d’ouverture sont supérieures à celles des points de vente. Ces plateaux sont répartis sur les
sept départements où est présente la BCR (à l’inverse du centre d’appels sortants qui ne
compte qu’un seul plateau), sur lesquels travaillent un total de 160 employés. Ce déploiement
302 La banque EFN ne disposant pas réellement, nous y reviendrons, de centre d’appels sortants. 303 PNB : Produit Net Bancaire – l’équivalent du chiffre d’affaires de la banque.
Chapitre Sixième – Études de cas
313
sur les sept départements répond à la préoccupation de tenir compte des différences de
clientèles entre les départements, et d’être donc « au plus proche du terrain » (BCR PFE 01).
Cela n’empêche toutefois que ces six plateaux soient interconnectés afin d’optimiser la
gestion du flux global d’appels304. Au moment de notre étude, ces plateaux traitent 75 à 80%
des demandes de la clientèle, les 20% restants faisant soit l’objet d’un rappel par le conseiller,
soit d’un transfert d’appel de la plate-forme vers le point de vente.
D’emblée, la mission de ces centres d’appels entrants et sortants fut clairement définie
comme celle d’un support vis-à-vis des caisses : « on est un prestataire de services pour le
réseau », qui vise à « simplifier la vie du client et de la caisse » (BCR PFE 01). Ce qu’appuie
le membre de la direction du réseau que nous avons rencontré :
« Il n'y a, chez nous, aucune ambiguïté possible. Tout ce qui est fait est fait au profit de notre
réseau »; « L’objectif est d’alimenter le réseau en rendez-vous » ( BCR Siège 1).
« La première relation, c'est la caisse locale, banque de proximité, hein, ça c'est une volonté
affirmée » (PFE 01).
Dans cette optique de simplification, néanmoins, les caisses conservent une certaine
liberté vis-à-vis de leurs clients. Elles sont en effet habilitées à transmettre un numéro direct à
certains de leurs clients, si elles pensent que cela est nécessaire pour assurer la bonne
continuité de la relation. Consigne est cependant donnée de diffuser ce numéro avec une
parcimonie extrême, pour ne pas recréer les problèmes auxquels la plate-forme entrante
apporte une réponse.
Cette stratégie de mise à disposition des caisses locales des centre d’appels est
également valable pour l’ensemble des autres canaux, le réseau restant indéniablement la
figure de proue distributive de la BCR. Mais cette philosophie que nous pourrions résumer à
« tous pour le réseau » (et pour le client) traduit des réalités organisationnelles différentes
pour chacun des deux centres d’appels vis-à-vis du réseau, comme nous l’avons souligné.
304 En d’autres termes, si un client appelle la plate-forme de Lille alors qu’elle est embouteillée, il voit son appel réorienté de manière totalement transparente vers une autre plate-forme du groupe. Cette solidarité entre les plates-formes permet également de faire plus facilement face à des imprévus en termes de gestion du personnel (absentéisme, etc.).
Chapitre Sixième – Études de cas
314
I.1.3 La répartition du personnel opérationnel.
A l’image de ce que nous avons fait pour l’étude exploratoire, nous utilisons à
nouveau la dichotomie conseiller / téléconseiller pour distinguer entre le personnel en contact
des points de vente et celui des plates-formes, même si la réalité des premiers est plus
complexe. Ainsi, le tableau 6-1 présente les caractéristiques principales des employés que
nous avons rencontrés en points de vente.
Tableau 6-1 : Les différents postes dans les points de vente de la BCR.
DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES
Chargé de relation clientèle
Assure l’accueil physique des clients dans l’agence, réalise des opérations de base, repère et transmet les potentialités commerciales, promeut
l’utilisation des automates et services de banque à distance Objectifs commerciaux sur la vente de produits simples
Pas de portefeuille de clients
Attaché commercial (AC)
Chargé de prospection téléphonique et physique en banque et assurance Gère un portefeuille de clients restreint, car transmet progressivement ses clients recrutés par prospection à un CCP dans un délai d’un an environ
Chargé de clientèle particulier (CCP)
Gère un portefeuille d’environ 400 clients, pour lesquels sont traitées à la fois des activité de banque (prêts, épargne, gestion de compte, etc.…) et
d’assurance (IARD) Doit recevoir l’ensemble des clients de son portefeuille au moins une fois
dans l’année
Responsable de marché particulier
(RMP)
Rattaché au responsable de point de vente, il anime et manage l’équipe de conseillers clientèle particuliers du point de vente
Gère un portefeuille de clients restreint
Responsable de point de vente
Animateur et gestionnaire du point de vente Gère un portefeuille de clients très réduit, essentiellement composé de
professionnels
Les effectifs des plates-formes entrantes sont de leur côté majoritairement issus des
points de vente, à 75% environ. Les 25% restants sont un mélange entre personnel
anciennement affecté à des services centraux administratifs, des nouveaux embauchés ou des
personnes en contrats de qualification. Les personnes qui y travaillent sont donc dotées, pour
la plupart, d’une certaine expérience de la relation client de face-à-face, et connaissent le
fonctionnement d’une caisse locale. Enfin, la plate-forme sortante est composée de
téléprospecteurs d’origines variées, sans connaissance particulière du secteur, et n’ayant pas
travaillé en caisse locale auparavant.
Chapitre Sixième – Études de cas
315
I.1.4 Le contexte du développement du multicanal.
À la mise en place du multicanal, qui s’est étalée sur plusieurs années et dont le
déploiement se poursuit, ont coïncidé les événements suivants :
Ø La BCR a fortement développé son activité assurance, ou plus exactement de
bancassurance, depuis 1998. Cela a entraîné une charge de travail
supplémentaire conséquente pour les employés des points de vente,
notamment sur le plan administratif.
Ø Parallèlement, un nouvel outil informatique a été développé et mis à
disposition des conseillers pour favoriser leur efficacité commerciale.
Ø L’organisation physique des caisses locales a été revue, à l’instar de ce qu’ont
fait les concurrents, de manière à mettre en avant le libre-service bancaire
(distributeurs et guichets automatiques).
Ø Une organisation par marché a été mise en place, en remplacement de
l’ancienne organisation par type d’activité (placements, crédits, risques, etc.),
pour réellement instaurer une relation globale entre conseillers et sociétaires,
avec l’obligation pour ceux-là de rencontrer ceux-ci au moins une fois par an.
Ø Enfin, les caisses locales sont passées d’un traitement de flux des demandes
de sociétaires à une régulation de ces demandes, traduisant la volonté de la
BCR de faire travailler les conseillers sur rendez-vous, d’où notamment la
mise en place de ces centres d’appels.
I.2 L’ANALYSE DES INTERDÉPENDANCES ENTRE LES CANAUX DE LA
BCR.
L’analyse de ces interdépendances se déroule en trois étapes. A une brève description
des outils qui permettent d’assurer ces interdépendances (I.2.1), succède l’analyse de leur
nature et intensité (I.2.2). Enfin, nous nous intéressons aux mécanismes de leur génération,
qui mettent en avant le rôle que joue le client à ce niveau (I.2.3).
Chapitre Sixième – Études de cas
316
I.2.1 Les outils au service des interdépendances.
Avant de nous intéresser à la nature et l’intensité des interdépendances entre les
canaux de la BCR, il nous paraît naturel de préciser les outils que nous avons identifiés
comme en étant les supports. Nous nous limitons ici à leur simple description, les modalités
de leur utilisation étant approfondies tout au long de ce cas. Ces différents outils sont les
suivants :
Ø L’agenda partagé : C’est la pierre angulaire du fonctionnement de
l’ensemble du réseau de distribution multicanal de la BCR. Les deux plates-
formes et les caisses partagent le même agenda, qui reste néanmoins celui du
conseiller, les centres d’appels étant chargés de l’alimenter en rendez-vous.
Cet agenda fonctionne sur la base de codes couleurs différenciés, qui
indiquent notamment si les centres d’appels peuvent ou non prendre des
rendez-vous pour le conseiller. Ce dernier peut aussi s’en servir pour notifier
à la plate-forme entrante qu’il attend un appel du client afin de s’assurer du
transfert de l’appel, en recourant à un code particulier.
Ø La fiche d’information sur la caisse : il s’agit d’un outil dont dispose la
plate-forme, qui l’informe des particularités générales de la caisse (conseillers
présents, fonctions, horaires d’ouverture de la caisse, etc.).
Ø La messagerie : Après l’agenda, il s’agit vraisemblablement de l’outil le plus
important. L’ensemble des informations récoltées par la plate-forme entrante
de la part des clients transite par cette messagerie interne, qui vient alimenter
une boîte de réception Outlook commune à l’ensemble de la caisse, avant que
les messages ne soient répartis dans les boîtes de réception de chaque
conseiller.
Ø Le téléphone : Les échanges téléphoniques entre les canaux sont très
ponctuels, et ne surviennent que dans le cas où un client qui appelle la plate-
forme entrante doit être transféré à la caisse, ou dans des situations qui
nécessitent un transfert d’informations pour un ajustement rapide. Les
conseillers peuvent aussi l’utiliser, mais le font très rarement, si ils souhaitent
faire remonter une information, ou signaler un dysfonctionnement.
Ø Les échanges de face-à-face : Ils sont restreints. Leur survenue intervient
lors de l’organisation de visites du personnel des caisses sur la plate-forme,
Chapitre Sixième – Études de cas
317
du passage en caisse de responsables de plate-forme, ou encore de réunions
communes aux canaux.
Ø Les documents de communication interne : Leur utilisation est de plus en
plus réduite au profit de l’intranet. Nous ne nous attarderons donc pas dessus.
Ø L’intranet : Principal vecteur de la communication interne, l’intranet de la
BCR permet aux canaux d’être informés des évolutions de la banque, de
communiquer des informations sur leur fonctionnement et leurs évolutions,
etc.
I.2.2 Nature et intensité des interdépendances.
Nous avons repris pour analyser ces interdépendances la distinction que fait la
littérature entre interdépendances « pooled » (que nous appellerons dès maintenant les
couplages de communauté305), séquentielles et réciproques. Nous n’avons pas cherché à
mesurer l’importance respective de chaque type d’interdépendance, ce qui aurait nécessité une
méthodologie différente. Cela ne nous a pas pour autant empêché de mettre au jour trois types
d’interdépendances entre les canaux306.
I.2.2.a) Les couplages de communauté.
Nous commencerons par les couplages de communauté. Sans chercher à effectuer de
pondération, comme nous l’avons dit, nous pouvons néanmoins supposer qu’il s’agit du type
d’interdépendance le plus important. En effet, le centre d’appel entrant traite environ 80% des
appels, indépendamment de tout contact avec les caisses, comme nous l’a indiqué le
responsable de l’ensemble des centres d’appels. Quant au centre d’appels sortants, la grande
majorité de ses appels n’aboutit pas sur des rendez-vous, rendant son activité là encore
grandement indépendante des caisses. Les caisses, pour finir, assurent la majeure partie de
leurs missions sans liens avec les plates-formes.
305 Reprenant ainsi la traduction que fait Romelaer dans Mintzberg (1982). 306 L’identification de ces types d’interdépendances s’est faite indirectement par l’activité de codage. Nous avons utilisé la possibilité que nous offrait Nvivo d’annoter le contenu des entretiens codés pour, au fur et à mesure de l’analyse, indiquer la présence d’interdépendance, d’où l’absence d’un thème spécifique dans notre dictionnaire des thèmes.
Chapitre Sixième – Études de cas
318
I.2.2.b) Les interdépendances séquentielles.
Nous avons également identifié des interdépendances de type séquentiel entre les
canaux pris deux à deux. En effet, les caisses sont interdépendantes des centres d’appels
entrants et sortants, lesquels sont totalement indépendants les uns vis-à-vis des autres. Des
interdépendances séquentielles surviennent donc lorsque, par exemple, la plate-forme entrante
transfère l’appel du client sur la caisse, ou envoie à la caisse de l’information que le client a
mis à sa disposition.
Le sens de ces exemples est du type : plate-forme vers caisse, ce qui est apparemment
le plus fréquent. Mais d’autres exemples surviennent également en sens inverse. Ainsi, les
caisses peuvent envoyer à la plate-forme, à travers leur agenda, une information selon laquelle
un client doit les contacter, et que le client doit leur être automatiquement transféré.
I.2.2.c) Les interdépendances réciproques.
Les interdépendances réciproques sont apparemment peu nombreuses. Elles semblent
survenir essentiellement en cas de problèmes ou de dysfonctionnements. En effet, les caisses
n’ont a priori pas de raison de contacter les plates-formes, même si elles en ont la capacité et
l’autorisation. Elles ont pour cela à leur disposition certains des outils listés précédemment,
comme le téléphone ou la messagerie. Ainsi, un conseiller jugeant absconse une information
transmise par un téléconseiller suite à un échange téléphonique avec un client peut recontacter
la plate-forme pour l’éclaircir.
I.2.2.d) Le choix du niveau d’analyse.
Ainsi, il nous a semblé que les interdépendances réciproques étaient moindres que les
deux autres. Mais en réalité, nous pensons que tout va dépendre en fait du niveau d’analyse.
Si l’on se situe au niveau d’un seul contact avec le client, dans ce cas, la décomposition de
l’interdépendance se situe au niveau d’un événement unique. Cette vision correspond à celle
développée par de nombreux auteurs dans la littérature (Thompson, 1967 ; Van de Ven et al.,
1976).
Néanmoins, si l’on considère la relation entre l’entreprise et le client, laquelle passe
par les différents canaux de distribution, la notion d’interdépendance séquentielle est moins
nette. En effet, le conseiller qui se trouve en caisse alimente au fur et à mesure de ses
échanges avec ses clients une fiche client informatisée partagée avec les autres canaux. Cette
information est exploitable, et souvent exploitée, par les téléconseillers de la plate-forme
Chapitre Sixième – Études de cas
319
entrante pour traiter la demande d’un client qui les contacte, résultat de la demande qui
alimente ensuite la connaissance qu’a le conseiller de son client en vue des prochains
contacts. Le changement du niveau d’analyse fait que la frontière est alors ténue entre les trois
types d’interdépendances. A l’extrême, tout pourrait être considéré comme interdépendances
réciproques, si l’on s’intéresse à l’ensemble de la relation, car les canaux entretiennent des
échanges permanents dont l’objectif est de satisfaire le client.
I.2.3 La génération des interdépendances.
Suivant notre cadre conceptuel, nous nous concentrons ici sur le rôle que joue le client
dans la génération de ces interdépendances. Dans un second temps, nous constaterons de
quelle manière la nature et l’historique de l’échange sont susceptibles de moduler cette
influence du client sur la génération d’interdépendances.
I.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances.
I.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes
La création des centres d’appels entrants de la BCR est l’aboutissement d’une
réflexion basée sur un constat : un nombre considérable d’appels perdus par les caisses307.
« Le point de départ de ça, c'était un constat qui était fait où il y avait quand même beaucoup
d'appels qui étaient perdus en caisses locales auparavant, parce qu'on était amené à perdre
environ 25 % des appels, soit un appel sur quatre qui aboutissait pas. Parce que la caisse
était fermée, réduction des horaires, les 35 heures […] parce que les sociétaires appelaient
en dehors des heures d'ouverture, ou appelaient le midi » (BCR PFE 01)
Cette perte très importante, et reconnue par tous, posait d’importants problèmes, tant
économiques, organisationnels, et in fine impactait négativement la satisfaction de l’ensemble
des clients. De ceux qui appelaient, tout d’abord, puisque n’ayant pas de réponse. De ceux
présents en caisse pour un rendez-vous avec leur conseiller, ensuite, le personnel étant en
permanence obligé de couper l’entretien pour répondre à un maximum d’appels, le service
d’accueil téléphonique de la caisse étant débordé. Cette situation était par ailleurs génératrice
d’un niveau important de stress et d’inconfort pour les conseillers.
307 Dès ce moment, la partie révélatrice de ce que nous voulons montrer dans nos verbatims est soulignée. L’impossibilité de les détacher de leur contexte, à but de compréhension, fait que les verbatims sont nécessairement plus longs que ces parties soulignées.
Chapitre Sixième – Études de cas
320
L’importance et la croissance permanente de ce nombre d’appels s’expliquaient par le
désir d’un grand nombre de clients d’avoir des informations sur leurs comptes, de réaliser des
opérations simples en s’assurant qu’elles l’étaient par leur conseiller, etc.
« Quand on était en entretien, on avait le téléphone qui sonnait sans arrêt parce que le
guichet au bout d’un moment est saturé […] donc vous êtes obligé de prendre, et vous êtes
avec un client en train de lui monter un crédit consommation, de lui parler d’assurance vie, et
que vous décrochez, et que bonjour madame, je voudrais savoir si les ASSEDIC ou la CAF
sont arrivés, c’est vrai que c’était très embêtant, c’était tout le temps » (BCR GAMB 01).
« Ce que ça donnait avant, c’est qu’on était un standard. La personne qui se trouvait au
guichet, en l’occurrence, moi je l’ai fait pendant 3 mois, c’était très pénible, c’est à dire
qu’on devait répondre pas mal au téléphone. Face à vous vous avez des clients, de l’autre
côté au bout du fil, vous avez d’autres clients, qui veulent savoir où en sont leurs comptes
bancaires, si ils sont à découvert, pas à découvert, ce qui est passé, c’est des questions
banales, alors qu’il y a le minitel, il y a Internet, il y a le téléphone, ils pouvaient le faire
d’eux-mêmes, mais ils avaient une démarche systématique d’appeler. Ce qui fait qu’on était
pas mal dérangés, nous, conseillers de clientèles, en entretien, et le guichet, c’était infernal,
c’était un véritable standard » (BCR ST MAUR 01).
Les clients généraient donc un nombre considérable d’appels sans valeur ajoutée, qui
venaient polluer le temps de travail des conseillers, dont l’intervention n’était pourtant pas
absolument nécessaire. En d’autres termes, leur comportement productif était en décalage
avec ce que la BCR en attendait pour un fonctionnement optimal. Nous pouvons donc
considérer que ce sont les inputs comportementaux introduits par les clients dans l’obtention
de leur service par leur banque qui sont à l’origine, d’une certaine manière, de la nécessité de
la création de la plate-forme entrante. Or, sans plate-forme, pas d’interdépendances entre
caisses et plate-forme.
Finalement, l’anticipation de ces mêmes inputs comportementaux a également
influencé le choix de la tarification du numéro, qui de par son coût pour les clients permet de
réguler la durée des appels. Cette participation financière (inputs financiers) régule ces
comportements qui étaient anticipés.
Chapitre Sixième – Études de cas
321
« Ils ont effectivement choisi de faire un numéro pas gratuit, un numéro indigo, en disant que
si il était gratuit, les gens appelleraient encore plus, parce que forcément ils payent pas, là ils
payent, donc ils sont un peu plus concernés par les appels, ils essaient de faire court » (BCR
GAMB 03).
De ce fait, nous pouvons dire que les clients sont, initialement, à l’origine des
interdépendances, quelle qu’en soit la nature, entre centres d’appels entrants et caisses. Mais
qu’en est-il dans le quotidien du fonctionnement du réseau de distribution multicanal ?
I.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux.
L’activité des différents canaux n’est possible (comme pour toute activité de service),
que si le client est présent. En d’autres termes, les tâches que doivent accomplir les employés
des canaux n’existent que si le client y prennent part plus ou moins activement308. Par ailleurs,
nous pouvons considérer que le client est un facteur essentiel de la génération des
interdépendances entre les canaux, quelles qu’elles soient. Le discours de nos interviewés est
d’ailleurs révélateur de ce que c’est le client qui est au cœur de leur génération.
« On nous a changé nos serveurs téléphoniques, donc on a changé carrément de numéros de
téléphone, et ce jour là, ça a été le calme plat, c’était fantastique, il y avait pas d’applsl (elle
sourit en disant cela). C’était assez marrant d’ailleurs. Du jour au lendemain, la coupure
était assez impressionnante » (BCR ST MAUR 01)
Ce verbatim donne un exemple de la génération d’une interdépendance type couplage
de communauté par les clients : le renvoi des appels des clients vers la plate-forme fait que les
tâches générées par les appels des clients peuvent être traitées indépendamment des caisses.
Néanmoins, cela induit que les clients doivent accepter les nouvelles modalités de la prise de
contact avec leur banque. Leur refus de ces modalités est alors susceptible de générer des
interdépendances réciproques ou séquentielles, génération qui peut s’expliquer à l’aune de
leur participation, comme le montre le tableau 6-2 ci-dessous qui relie la nature de
l’interdépendance aux déterminants et aux inputs de la participation du client.
308 Dans le cas contraire, la littérature parle uniquement de « potentialités de service » ou de « capacités de service » (Eiglier et Langeard, 1987 : 16).
Chapitre Sixième – Études de cas
322
Tableau 6-2 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles et réciproques dans le cas BCR
INTERDÉPENDANCE VERBATIMS
NATURE DE L’INFLUENCE
DU CLIENT « Le téléphone c’est quand la personne insiste vraiment pour nous avoir » (BCR PORT 01)
« Si un client insiste pour avoir un rendez-vous hors plage, ils le prennent, mais là, ils envoient en même
temps un message » (BCR MAD 02)
Inputs comportementaux
« Les gens ont pas non plus envie de tout raconter à quelqu'un qu'ils connaissent pas » (BCR BOUL 01)
Volonté de participer
« Des fois, le sociétaire, il se dit aussi, je vais pas non plus tout dévoiler au téléphone, parce qu’il y a aussi
beaucoup de gens qui mettent en avant le coût. Le coût de l’appel, 0820, même si il est indiqué, qui
essaient d’abréger au maximum. Parce qu’ils savent que ça coûte cher, quoi » (BCR BOUL 01)
Inputs financiers
Volonté de participer
Séquentielle
« Lorsque le client appelle et qu’il dit, mais il le dit pas toujours, qu’il dit ce qu’il veut et ce qu’il
recherche, on a le message, qui nous dit ce qu’il veut » (BCR GAMB 01)
Volonté de participer
Inputs mentaux
« Une dame qui appelle 3 fois alors qu’on avait un courrier parce que elle nous avait donné l’ordre de faire un virement et elle nous avait pas communiqué la totalité du RIB. Donc on retourne le courrier en disant donnez nous les coordonnées complètes pour envoyer le virement. La plate-forme rappelle pour dire, vous devez appeler, vous, à la société où vous
devez envoyer les fonds, pour savoir le RIB exact où il faut envoyer les fonds. Je dis attendez, on a envoyé un
courrier pour savoir le RIB complet, on va pas téléphoner à la société où il faut envoyer les fonds
pour connaître le RIB » (BCR MAD 04)
Inputs mentaux
Réciproque
« Ça arrive que les caisses nous contactent directement […] ça reste relativement rare, mais ça
arrive à partir du moment où le message est pas forcément pas clair, souvent parce que le client n'a
pas donné assez d'informations. Enfin donc il est pas clair, et il renvoie un nouveau message en demandant
un petit plus d’explications. De temps en temps, ça arrive qu’on prenne le téléphone et qu’on rappelle directement, pour s’en expliquer » (BCR PFE 02)
Inputs mentaux
Dès lors, si le couplage de communauté se veut l’état naturel d’interdépendance, le
client peut modifier cet état de fait, soit en affichant son refus de participer, ce qui renvoie au
Chapitre Sixième – Études de cas
323
déterminant « volonté de participer », soit en ne transmettant pas, volontairement ou non,
l’ensemble des informations nécessaires au traitement de sa demande au téléconseiller qui
réceptionne son appel (inputs mentaux). La qualité des informations qu’il transmet intervient
donc dans la génération d’interdépendances. Il peut aussi être rebuté par d’autres facteurs, tels
le coût de l’appel (inputs financiers), ou enfin être très insistant, voire afficher clairement son
hostilité, à l’égard de son interlocuteur pour que son appel soit transféré auprès de son
conseiller (inputs comportementaux).
Certaines des caractéristiques individuelles des clients, bases de la segmentation (âge,
CSP, etc.), permettent aussi de distinguer entre des clients qui tentent d’influencer la
génération d’interdépendances dans un sens ou un autre. Ainsi, les clients plus âgés et les
clients dits haut de gamme, semblent avoir un comportement qui va dans le sens d’un
remplacement des couplages de communauté par des interdépendances séquentielles (ils
préfèrent avoir l’agence en passant par la plate-forme que d’être obligés de répondre à la
plate-forme). D’autres catégories de clients, enfin, ont un comportement qui renforce le
couplage de communauté, en ce qu’ils préfèrent utiliser la plate-forme. Ceux-ci représentent
apparemment une nette majorité de la clientèle, aux dires des interviewés.
« Ça passait bien, à part une tranche d’âge un peu élevée » (BCR ST MAUR 02)
« Le client qui a un gros portefeuille, il va vouloir que vous le rappeliez rapidement parce
qu’il s’estime, il estime qu’il vous a beaucoup donné, il veut qu’on le privilégie un petit peu,
et de toute façon il faut qu’on le privilégie un petit peu » (BCR GAMB 01)
« C’est une population urbaine, ils rentrent tard le soir, donc ils trouvent que les horaires des
banques, ben c’est leurs horaires à eux de travail » (BCR ST MAUR 01)
Enfin, des clients qui refusent les modalités participatives exigées par cette nouvelle
situation développent même des stratégies de contournement de la plate-forme, afin de
reprendre en main leur relation avec leur conseiller. En pareille situation, nous nous
retrouvons en présence d’un renforcement du couplage de communauté, mais dans un sens
opposé à celui auquel la banque souhaite parvenir, puisque les opérations du client sont alors
réalisées en agence, canal de distribution plus coûteux que le centre d’appels.
Chapitre Sixième – Études de cas
324
« Alors, la déviance du système, c'est des gens qui viennent directement, et puis des gens qui,
par Internet, en disant, ben rappelez-moi, ou j'ai un petit renseignement à vous demander,
est-ce que vous pouvez me rappeler » (BCR BOUL 01).
« Les gens qui habituellement avaient pris le pas de la plate-forme, téléphonaient
systématiquement à la plate-forme […] ben ils ont pris la décision de ne plus téléphoner, et
de venir ici au guichet » (BCR PORT 04).
« Il y en a certains qui sont plus enclins par contre à passer par le mail, parce que là ils
paient pas » (BCR ST MAUR 02).
Ces verbatims expriment l’arbitrage que réalise le client entre les différents types de
participation qui s’offrent à lui, et des inputs qui sont liés à ces participations. D’un côté, le
client est prêt à payer pour appeler la plate-forme (inputs financiers), dont il doit accepter les
modalités de la participation, c'est à dire schématiquement donner les informations
nécessaires au traitement de sa demande au téléconseiller (inputs mentaux). D’un autre côté, il
refuse d’appeler la plate-forme, et préfère se déplacer (inputs physiques) pour faire la même
opération, ou envoie un e-mail qui lui permet d’éviter la dépense qu’aurait induit l’appel à la
plate-forme, mais présuppose qu’il est équipé pour utiliser ce mode de communication
(capacité).
I.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelles.
Pour faire face à ces comportements productifs qui limitent l’efficacité de son
dispositif, la BCR utilise diverses techniques de socialisation organisationnelles.
Tout d’abord, au moment de la bascule des appels sur la plate-forme, les clients ont
reçu des courriers les informant du changement de numéro de téléphone, des horaires de la
plate-forme, etc. Des informations ont aussi été insérées aux relevés de compte.
De plus, une carte plastifiée, au format carte de crédit, résumant toutes les
informations de la plate-forme (numéro de téléphone, horaires, niveau prévisible d’attente en
fonction des jours / heures, demandes qu’elle peut traiter, coût, etc.) est mise à la disposition
des clients dans les caisses. Des affiches et de la publicité sur le lieu de vente (PLV) sont
aussi régulièrement déployées pour rappeler l’existence de la plate-forme, et les avantages
qu’elle apporte aux clients, notamment en termes de disponibilité par rapport aux caisses. La
BCR demande enfin à ses conseillers de faire en permanence œuvre de pédagogie auprès de
Chapitre Sixième – Études de cas
325
leurs clients pour justifier de l’existence de la plate-forme, et de la nécessité de ce qu’ils lui
transmettent les informations dont ils disposent.
« Ben, premièrement, essayez de le mettre dans la peau de si il était en rendez-vous. Lui dire,
voilà, aujourd'hui on a une plate-forme, c'est vrai qu'on nous a pas directement, mais si vous
étiez dans mon bureau avec le téléphone sonne trois fois, je suis sûr que ça va pas vous
plaire... Donc ça, ça passe bien. Et puis, la plage horaire. Si ils veulent appeler le lundi, ils
peuvent appeler le lundi. Si ils veulent appeler en rentrant du boulot, parce que les horaires
d'ouverture sont assez larges, ils peuvent. Et puis, on a une petite carte avec les horaires, qui
est là... Il suffit de le vendre, donc il y a le numéro, et puis les plages horaires, avec en fait, en
rouge, ben, c'est là où il y a le plus de trafic, et puis les gens, ça leur permet d'appeler un peu
plus tranquillement »(BCR BOUL 01).
Le contexte stratégique dans lequel évolue la BCR, que les conseillers sont amenés à
évoquer vis-à-vis des clients qui menacent de clôturer leur compte du fait de la mise en place
de cette plate-forme, peut également être interprété comme une forme de technique de
socialisation organisationnelle. Cela fait en effet prendre conscience aux clients de la
nécessité de s’adapter à cette nouvelle donne, qui risque d’être identique quel que soit
l’établissement bancaire vers lequel il se dirigera.
« D'ailleurs, quand on est un peu curieux, on s'aperçoit que les plates-formes téléphoniques,
au niveau bancaire, on doit pas être les seuls. Je sais pas s'il en a beaucoup qui n'utilisent pas
la plate-forme. Donc, comme argument de fuite, bon... Ou alors, des fois, on peut s'en amuser,
en disant, ben ouais, allez-y, allez en face, vous verrez si leur plate-forme est mieux que la
nôtre, donc les gens sont un peu refroidis » (BCR BOUL 01)
Ce contexte stratégique favorise par ailleurs, selon les conseillers, l’acceptation du
changement par un socle plus large de leur clientèle. Ils l’utilisent également en mettant en
avant les avantages de leur système avec celui retenu par des concurrents, de manière à en
améliorer encore ce taux d’acceptation.
« Il y a toujours un contact avec la BCR et avec une personne physique, et ça, c’est
important. Je crois que le jour où on n’a plus ça, c’est mauvais. C’est mauvais. Parce que
c’est d’ailleurs pour ça, enfin, en partie pour ça, que les Zebank, les, les ING Direct et les
banques directes fonctionnent pas très très bien. Ils ont beau donner des offres et tout ça, ils
n’ont pas forcément quelqu’un en face d’eux » (BCR ST MAUR 01).
Chapitre Sixième – Études de cas
326
« Ils se rendent bien compte que c'est traité au sein de la BCR, par des collaborateurs de chez
nous, qui ont une expérience du réseau, et, à l’heure en fin de compte, où beaucoup de choses
sont délocalisées, c'est pas quelqu'un qui va leur répondre soit d'Irlande, soit du Maroc, mais
c'est bien la BCR, avec des gens qui connaissent les problématiques » (BCR PFE 01).
Enfin, le simple fait d’avoir imposé à ses clients de passer automatiquement par la
plate-forme dès l’instant qu’ils souhaitent rentrer en contact avec leur banque peut également
être considéré comme une forme que nous pouvons qualifier de coercitive de socialisation
organisationnelle.
I.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange.
Notre quatrième proposition de recherche indiquait que la nature de l’échange pouvait
moduler l’influence du client sur l’employé en contact. Or, nous avons constaté que, en plus
de cela, l’historique de l’échange modulait lui aussi cette influence. C’est pourquoi,
dorénavant, nous nous intéresserons aux effets modulateurs tant de la nature que de
l’historique de l’échange.
I.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. Nous avons précédemment utilisé ce verbatim, tiré de BCR BOUL 01 : « Les gens ont
pas non plus envie de tout raconter à quelqu'un qu'ils connaissent pas ». Peu de temps
auparavant, ce même interviewé nous avait déjà confié : « Je dirais que de temps en temps, on
est, après le médecin, on est le deuxième confident de la personne, quoi. Des histoires de
famille, ou des choses ou les gens ont pas trop envie de s'étaler ». Cela montre bien
l’attachement des clients à l’égard de leur conseiller et de la relation qu’ils entretiennent avec
eux. Plus ce sentiment est important, et plus les clients semblent d’ailleurs réticents à accepter
les nouvelles modalités de leur participation, i.e. passer par la plate-forme au lieu d’avoir leur
conseiller directement. Ce qui se traduit par un refus plus appuyé de leur part de donner les
informations aux téléconseillers, ou une insistance particulière pour obtenir leur conseiller.
D’autres verbatims, à l’instar du suivant, illustrent cet état de fait.
« Donc ils nous donneraient volontiers des informations, les clients, parce qu’ils nous
connaissent, et il y a plus de réticence à mon avis à donner des informations à la plate-forme
parce qu’ils savent pas mettre un visage sur la personne qui leur répond » (BCR MAD 01)
Chapitre Sixième – Études de cas
327
Les clients, du fait de la nature de la relation qu’ils entretiennent avec leur banquier,
refusent donc les modalités liées au développement de la pseudo-relation qu’instaure sa
banque. Ce qui, traduit en termes d’interdépendances, s’exprime ainsi : le client génère de
cette manière, ou cherche à générer, des interdépendances séquentielles vs les couplages de
communauté qui semblent économiquement plus favorables à la banque. Ou cherchent à
provoquer des couplages de communauté économiquement défavorables à la banque en
contournant la plate-forme.
I.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. L’historique de l’échange comme modulateur de l’intensité des interdépendances peut
difficilement se détacher de l’influence de cet historique sur le recours aux mécanismes de
coordination, dont nous traiterons plus loin. Ne souhaitant pas dès maintenant trop défricher
le terrain, nous nous bornerons à dire que plus la relation est ancienne, et plus le conseiller de
clientèle a une connaissance fine de son client, ce qui peut l’amener à prendre du recul face à
ses réactions. Cette prise de recul amène généralement le conseiller à adapter différemment
son comportement vis-à-vis de son client, selon que ce dernier affiche une tendance naturelle
à se plaindre ou non.
I.3 L’ANALYSE DES MÉCANISMES DE COORDINATION.
Nous reprenons rapidement l’ensemble des mécanismes de coordination identifiés à la
BCR, dont nous cherchons à préciser l’importance relative (I.3.1). Dans un second temps,
notre attention se porte sur l’influence du client tant sur ces mécanismes, que sur leur
utilisation (I.3.2). Dans un troisième temps, sur l’aspect modulateur de la nature et de
l’historique de l’échange (I.3.3).
I.3.1 L’identification et l’importance relative des
mécanismes.
I.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à la BCR.
Le tableau 6-3 reprend ces différents mécanismes commentés309, et les illustre par un
verbatim.
309 Pour rappel, l’origine des mécanismes retenus est présentée avec le dictionnaire des thèmes en annexe 8.
Chapitre Sixième – Études de cas
328
Tableau 6-3 : Les mécanismes de coordination de la BCR.
MÉCANISME DE COORDINATION VERBATIM COMMENTAIRE
Ajustement mutuel
« Ben c’est eux qui appellent en fait. Ça peut être des motifs tout à fait divers et variés. Le dernier appel que j’ai eu, c’était par exemple
pour mettre à jour les compétences d’un collaborateur, où ça bloquait » (BCR PFE 02)
De nombreuses informations favorisant
l’ajustement mutuel sont disponibles sur l’intranet
(ex : numéros de tél)
Communication interne
« Vis-à-vis du réseau il y a eu quand même toute une démarche de communication
importante d’information générale dans le domaine de l’encadrement » (BCR Siège 02)
« Les agences ont des informations qui leur sont données par le biais de l’intranet » (BCR PFS
02)
L’intranet est un support incontournable. Mais
l’importance de la communication interne
s’est surtout ressentie au moment du lancement
des plates-formes.
Normes « La différence, c’est que la plate-forme
sortante, c’est pas du tout des banquiers [… ] Ils conseillent en rien du tout, c’est pas des
banquiers » (BCR GAMB 04)
Distinction très nette entre plate-forme entrante et plate-forme sortante. Il
semble y avoir un très fort esprit de corps basé sur un partage de valeurs /croyances sur le métier
du banquier
Relations latérales « On va même les voir pour savoir ce qui va, ce qui va moins bien, ce qui peut être amélioré, les
remontées des sociétaires » (BCR PFE 01)
Les relations latérales semblent facilitées, voire préconisées, sur un plan
organisationnel
Standardisation des compétences
« Dans la mesure de leurs possibilités, ils peuvent pas faire de prêt immo, ils sont très
limités, enfin, ils ont pas toutes nos compétences en termes d’activité bancassurance, donc ils
peuvent pas traiter une demande comme nous » (BCR GAMB 03)
Même si les caisses sont pratiquement en mesure de traiter les appels de la
plate-forme, l’inverse n’est pas vrai
Standardisation des procédés
« C’est un souci qu’on traite en fait tout ce qui est opérations de service, sachant bien entendu
qu’il y a des procédures qui sont écrites, qui sont respectées bien sûr, et qui sont à connaître
et à être appliquées par les personnes qui travaillent sur les plates-formes » (BCR PFE
02) « Les messageries, ça peut être soit pour nous prévenir qu'il y a des plages indisponibles, ou que notre agenda est complet, pour essayer de retrouver un autre rendez-vous » (BCR PORT
01)
Les cahiers de procédures sont très denses, et mis à la disposition de chacun
sur l’intranet
Ces procédures recourent aux outils évoqués
précédemment
Standardisation des résultats
« On a plusieurs objectifs : 80% des questions doivent être traitées. C’est un souci qu’on traite
en fait tout ce qui est opérations de service » (BCR PFE 02)
La coordination par les résultats s’effectue
essentiellement en termes de niveau de réponses
Chapitre Sixième – Études de cas
329
aux demandes des clients qui appellent la plate-
forme, ou de volume de prise de rendez-vous
Supervision directe
« Si il y a une information importante à fournir, effectivement, il rend compte au superviseur qui s’occupe du plateau, qui lui selon le cas jugera
de la nécessité ou non de prendre un contact avec la caisse, ou par contact téléphonique, soit
par messagerie » (BCR PFS 02)
Elle est généralement assurée par les directeurs
de caisses ou les superviseurs de centres d’appels, mais peuvent
aussi être, plus rarement, les délégués fédéraux
Transfert de personnel
« Quelqu’un qui a fait que du téléphone et qui ne connaît pas du tout les modalités de
fonctionnement d’une caisse, il aura un langage différent de celui qui vient de la caisse. Il
répondra peut être moins bien, moins précisément aux clients. C’est la logique »
(BCR PORT 02)
Le transfert du personnel joue un rôle très important dans
l’acceptation de la plate-forme entrante par les conseillers du réseau
En support de ces mécanismes, rappelons que la BCR dispose d’une batterie d’outils
qui portent les interdépendances entre les canaux. L’agenda ou la messagerie, par exemple,
constituent ainsi des outils indispensables à la mise en place des procédés tels qu’ils ont été
conçus à la BCR, dans le cadre d’une coordination de type « distancielle »310.
I.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux.
Sans être en mesure de précisément indiquer l’importance relative de ces mécanismes
les uns par rapport aux autres, nos entretiens révèlent que la coordination entre les canaux de
la BCR est très largement portée par les procédés, qui sont le mécanisme de coordination qui
revient le plus. Le transfert de personnel, en ce qu’il concoure à la formation de normes
partagées entre les canaux (entre les caisses et la plate-forme entrante) ou non (entre les
caisses et plate-forme sortante), ressort également très fréquemment. Il paraît clair que
l’embauche sur les centres d’appels entrants de personnels disposant d’une expérience réseau
a nettement favorisé l’acceptation du dispositif chez les conseillers, rassurés du traitement
apporté aux demandes de leurs clients. Les relations latérales, enfin, semblent également assez
nombreuses, et paraissent être le résultat d’une culture du dialogue entre les différents canaux,
qui a débuté dès les préparatifs de création de la plate-forme.
310 D’après l’expression de Kalika et al. (2006).
Chapitre Sixième – Études de cas
330
« Il y a eu un groupe de travail à ce moment là, avec un test, et puis une forte volonté de
l'entreprise de déployer, donc ça s'est fait avec tous les acteurs concernés, le réseau, le
service du personnel, l'organisation » (BCR PFE 01)
I.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de
coordination.
Tous les mécanismes de coordination ne sont pas impactés de la même manière par la
participation du client. Les relations entre nos codes que nous avons faites ressortir de
l’analyse de nos entretiens montrent que les procédés sont essentiellement ceux qui sont
impactés par le client. L’ajustement mutuel l’est également, dans une moindre mesure. C’est
donc l’influence que le client a sur ces mécanismes que nous plaçons au cœur de cette
restitution de résultats.
I.3.2.a) L’anticipation des réactions du client.
Nous exprimons ici ces réactions du client à l’aune des déterminants et inputs de sa
participation. L’anticipation à leur égard intervient à deux niveaux : celui de l’ensemble du
réseau multicanal, tout d’abord, et celui de chacun des canaux.
I.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble.
Nous avons expliqué précédemment en quoi le client est un facteur explicatif fort de la
nécessité de la création de la plate-forme entrante. Ce dernier pouvant être considéré comme
l’origine des interdépendances entre les canaux, il n’est que peu surprenant que ses réactions
et ses besoins aient été anticipés dans la façon de mettre en place les procédés régissant
l’activité et le fonctionnement du réseau de distribution multicanal. Par exemple, le
responsable de la banque à distance de la BCR nous a expliqué ce qui suit, se rapportant à la
refonte de la gestion de cette activité.
« Nous avons été amenés à former la, d'abord à faire une présentation globale de ce qui allait
se passer, mais également à former un certain nombre de personnes, donc les superviseurs,
notamment, sur tout ce qui allait se passer autour de la banque à distance, les réactions déjà
pressenties de la clientèle, les problèmes qui pouvaient se présenter » (BCR Siège 01)
Ce même interlocuteur nous a également fait part des interrogations prises en compte
dans la mise en partage des agendas et des règles de prise de rendez-vous qui en ont découlé.
Chapitre Sixième – Études de cas
331
« L'autre difficulté, c'est que si on fait une action trop importante, sur de trop grosses cibles,
on est coincé, parce qu'on risque d'injecter, d'abord, on ne peut pas injecter des rendez-vous
trop lointains, parce que si c'est des prospects, on va avoir déjà des taux de lapins très
importants, et si c'est de la clientèle, et même dans les deux cas, ils risquent d'oublier. Donc
les rendez-vous doivent être relativement proches, ce qui justifie d'un étalement des appels
téléphoniques, et des actions, par voie de conséquence, pour justement, lisser les prises de
rendez-vous dans le temps, et faire en sorte qu'elles soient absorbables par le réseau, et
acceptables à la fois par la personne qui va devoir recevoir ou aller chez le client, et par le
client lui-même » (BCR Siège 01).
En d’autres termes, la gestion partagée des agendas s’est faite sur la base d’une
anticipation des inputs comportementaux des clients vis à vis des rendez-vous pris (i.e. s’y
rendront-ils ou pas ?).
De même, la création de la plate-forme s’est faite en ayant à l’esprit de soulager les
conseillers des opérations à faible valeur ajoutée en traitant un maximum des demandes des
clients. Pour cela, la BCR a tenté d’anticiper les réactions des clients confrontés à ce
changement organisationnel, et d’élaborer à l’avance les procédés répondant à ces demandes.
Dans ce cadre, un groupe de travail transcanal a été mis sur pied avant la création de la plate-
forme entrante, pour que soient élaborés en accord avec le réseau, qui prend le pouls de la
clientèle, ces procédés.
« J’ai assisté au départ à plusieurs réunions, c’est le groupe qui a été au départ constitué
[avec] les premières caisses qui allaient passer en plate-forme entrante, donc la caisse de W.
à l’époque, plus les caisses qui allaient y passer juste après, et des représentants des services
fédéraux. Donc c’est là où on a établi, en fait, les règles de départ. C’est un tour de table.
Tout a été listé, toutes les choses qui nous sont passées par la tête, ce qui peut être posé
comme questions par le client, comment on fait. Comment on fait, comment on fait, comment
on fait, en fonction de ce qu’il faut apporter comme réponse au client, de la manière dont il
réagirait, etc. Il y a une checklist qui avait été établie, et le téléopérateur l’avait pour
répondre aux clients qui appelaient » (BCR GAMB 04).
Pour finir, les procédés ont aussi été dessinés pour faire face à toute situation « de
crise » : dans l’hypothèse où le client prend la mouche et s’énerve (inputs émotionnels), ou
devient vraiment désagréable à l’égard du téléconseiller parce que ce dernier ne veut pas lui
Chapitre Sixième – Études de cas
332
passer son conseiller (inputs comportementaux), il est prévu que le téléconseiller rentre en
contact avec la caisse pour laisser le conseiller gérer la situation.
« Si vraiment le client devient insistant, ou même malhonnête, là on gère. Là ils nous passent
les personnes, pour calmer le client, parce que si ils ont pas réussi à le faire, ou le client crie
passez moi Mme G., ça arrive de temps en temps, ils laissent tomber » (BCR GAMB 01).
I.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. En contact direct et quotidien avec la clientèle, les conseillers ont vu l’organisation de
leur travail, et donc la gestion des relations avec les clients, considérablement transformée par
l’introduction des plates-formes, en particulier de la plate-forme entrante. Bien que heureux
d’être soulagés de la prise en charge des appels à faible valeur ajoutée, tous n’étaient pas a
priori convaincus de ce que la plate-forme ne serait qu’une source de bienfaits.
« C’est ce que j’ai dit au départ, c'est à dire qu’effectivement, on n’est plus pollué par des
appels qui sont polluants, de toute façon il y a pas d’autre mot, pendant qu’on s’entretient
avec un sociétaire […] je vois pas d’autre côté positif » (BCR GAMB 01).
La nature de la banque, mutualiste, fait que certains considèrent encore plus difficile le
passage à cette organisation multicanale autour d’un centre d’appels entrants. Le slogan de la
banque, par exemple, qui met en avant la notion de contact avec client, est repris par des
clients qui souhaitent montrer qu’il est en contradiction avec la mise en place du centre
d’appels.
« Par rapport même à notre historique, on est quand même une banque mutualiste, les gens
comprennent pas que ce soit pas leur conseiller au bout du fil » (BCR BOUL 01).
Les conseillers ont donc anticipé les réactions de leurs clients, et se sont préparés à y
faire face, en fonction de certaines caractéristiques individuelles de leurs clients (âge, CSP,
etc.), ou de leur perception de leur niveau d’acceptation de ce nouveau système, donc de leur
volonté de participer. Leur marge de manœuvre était néanmoins assez faible pour y répondre,
puisque n’ayant que deux outils à leur disposition : le numéro de téléphone direct de la caisse,
qu’ils ne sont autorisés à donner que de manière tout à fait exceptionnelle, et la pédagogie,
dont nous avons déjà parlé, forme de technique de socialisation organisationnelle.
Chapitre Sixième – Études de cas
333
« Des menaces [de clôture de compte], oui, mais ça, il y en a toujours, des menaces. Il suffit
d’expliquer un petit peu, c’est tout. On n’a pas un système, ça c’est ce que je précise aux
personnes qui râlent et qui peuvent menacer, c’est pas des machines qui répondent, c’est déjà
ça. Il y a pas besoin de faire d’étoile, ou de 1 ou 2 ou 3 pour passer d’un poste à l’autre. Vous
avez un être humain qui est d’abord en face, quand même, qui est compétent, qui est salarié
de la BCR, qui vient du réseau généralement, donc qui connaît quand même le
fonctionnement interne. Donc qui va bien les renseigner, et qui va savoir traiter l’opération.
Parce que beaucoup de personnes pensent que c’est en fait une sous-traitance. Que c’est pas
des banquiers, quoi […] ils ont peur d’un certain manque de confidentialité, ou du moins,
d’un manque de compétences » (BCR GAMB 04).
Des conseillers ont donc directement décidé de donner leur numéro direct à certains de
leurs « gros » clients, afin de leur faire sentir qu’ils étaient privilégiés, et en d’autres termes
n’auraient pas nécessairement à adapter leur participation à la banque, mais que la banque
s’adaptait à eux.
« Bon, moi à l’époque, j’avais un client particulier que j’ai reçu longtemps à l’avance, je l’ai
reçu pour le prévenir, et il a eu le fameux numéro tout de suite, parce que là on savait qu’on
courait à la catastrophe, ça l’a pas empêché de réagir le jour où c’est arrivé. Mais bon, c’est
pour le plaisir de » (BCR GAMB 04).
I.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients.
I.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble
Le groupe de travail transcanal mis en place durant la phase de création de la plate-
forme n’a pas été dissous, et continue à se réunir trimestriellement, en faisant tourner ses
membres. Son objectif est celui d’une amélioration permanente des procédés qui assurent le
bon fonctionnement de l’ensemble, à partir des remarques formulées par les caisses et / ou la
plate-forme sur la base de dysfonctionnements qu’elles ont rencontrés. Le compte-rendu
d’une de ces réunions mentionne par exemple le point suivant :
« Lorsque les agendas de la caisse sont surbookés et qu’un client demande un rendez-vous :
la plate-forme incite parfois le client à passer à la caisse (remarque formulée par le
représentant de la caisse) à la plate-forme préconisera dans ce cas un double appel vers la
caisse pour régler directement le problème qui se pose »
Chapitre Sixième – Études de cas
334
Lorsque l’on recoupe cela avec les propos tenus par de nombreux membres des
caisses, il semble que le client joue un rôle important dans la génération de
dysfonctionnements de cette nature.
« On comprend aussi que la pression du sociétaire fait qu’on prend rendez-vous avec la
personne avec qui on nous a demandé, parce que ça fait une heure qu’on explique, mais que
la personne elle veut pas comprendre que c’est quelqu’un d’autre » (BCR BOUL 01)
« On a des fois des personnes qui appellent à la plate-forme pour prendre des rendez-vous,
bon, les rendez-vous sont pas toujours pris dans les agendas, ou on leur dit de passer à telle
heure et on n’est pas prévenu […] Après, bon, le client il a peut-être pas dit vrai non plus, le
client, peut-être qu’il s’amène, et puis qu’il dit on m’a dit de passer et que c’est pas vrai,
forcément » (BCR PORT 03).
Autrement dit, la génération de ces dysfonctionnements, et donc l’aménagement des
procédés qui en découle, est dans ce cas la résultante des inputs comportementaux du client,
lequel soit force le téléconseiller à prendre un rendez-vous en dehors des plages horaires
indiquées par son homologue de la caisse, soit vient dans la caisse en se disant envoyé par la
plate-forme. Le moyen de contrôle de la caisse à l’égard des déclarations des clients
concernant ce qu’auraient pu leur dire les téléconseillers est alors quasi-inexistant, et le client
peut profiter de cette asymétrie informationnelle.
En réponse, la BCR a décidé de modifier la procédure de coordination, en exigeant
que de telles situations soient gérées par un contact direct entre le point de vente et la plate-
forme par le biais d’une communication téléphonique.
I.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. L’influence des clients sur l’utilisation des mécanismes de coordination par les
conseillers des points de vente se traduit surtout par le développement de stratégies de
contournement des procédés de la part des conseillers. Nous avons assimilé cela à de la
génération de techniques de socialisation organisationnelles qui leur sont propres. Ces
détournements répondent généralement à des exigences de leur clientèle, à laquelle ils tentent
ainsi de proposer des solutions permettant d’améliorer la qualité de leur relation, ou tout au
moins d’éviter sa dégradation. Le tableau 6-4 recense les stratégies de détournement que nous
avons identifiées.
Chapitre Sixième – Études de cas
335
Tableau 6-4 : Les stratégies de détournement des procédés mises en place par les conseillers des caisses de la BCR
STRATÉGIE VERBATIM COMMENTAIRE
Suggérer / proposer d’autres modes de contact
« Ça c’est un travers dans lequel je suis tombé, parce que effectivement, au départ, je disais, vous pouvez
toujours me joindre par mail » (BCR ST MAUR 03) « Je leur conseille le mail parfois, parce que je leur dis, je leur explique le fonctionnement, je leur dis
voilà, vous appelez, le message est traité par un de mes collègues, c’est possible que je l’ai pas tout de
suite. Donc si vous voulez une réponse rapide, dans la journée, vous m’écrivez directement, je l’aurai sur ma
boîte perso » (BCR GAMB 03)
Le mail n’est pas sur la carte de visite, ce qui correspond à une volonté de la banque pour éviter que les
conseillers ne soient pris d’assaut par ce
moyen de communication
Indiquer l’information à
donner à la plate-forme
« Moi, ça m'arrive très fréquemment de dire à la personne, appelez la plate-forme en demandant que je vous rappelle. Et puis on verra après […] on leur dit pas toujours, dites pas ce que vous voulez, mais, de
temps en temps, on est obligé, et puis, les gens ils ont pris le pli, ils disent non, il faut qu'il me rappelle, et
puis voilà» (BCR BOUL 01) « Demain matin, j’ai un rendez-vous avec cette dame, il est marqué : flp, faire le point. Elle s’est pas étalée
sur le truc, elle a pas raconté sa vie […] Flp, les clients, en général, ils connaissent le truc. Ils
appellent, c’est pour faire un point […] C’est quelque chose de classique. Vous voyez, encore une deuxième,
pour faire un point sur le compte... C’est un motif récurrent » (BCR ST MAUR 01)
Il y a un risque d’apprentissage de la part des clients qui
vont savoir comment contourner le
système
Donner le numéro de la caisse
« On avait un flux relativement important, on en a encore un malheureusement relativement important, parce qu’il y a pas mal de gens qui, ça arrive que ce
soit de notre faute également, pour une opération très précise, on a besoin de réponse rapide, on donne
notre numéro direct, le problème, c’est qu’après le client l’utilise pour des choses bénignes » (BCR MAD
01) « Là ça devient un peu problématique, parce que tout
le monde, enfin, tout le monde connaît le numéro d’appel direct, d’accord, on a peut-être trop tendance
à le donner facilement » (BCR PORT 04)
Le client peut abuser de l’avantage tiré d’une situation
semblant nécessiter ce détournement
procédural
Les raisons qui poussent les conseillers à mettre en place ces stratégies sont
généralement le fruit de leur perception de la réaction des clients vis-à-vis du centre d’appels,
réactions dont les perceptions se déclinent de différentes manières : perception de l’absence
de volonté des clients de participer ; perception de la manière dont les clients ont vécu les
échanges avec les téléconseillers (inputs relationnels) etc. Cela ne concerne néanmoins qu’un
Chapitre Sixième – Études de cas
336
nombre restreint de clients, les interviewés prenant toujours soin de préciser que globalement,
tout se passe bien dans la majorité des cas.
Les conseillers ne sont pas les seuls à dévier des procédés sous la pression du client.
Les téléconseillers eux-aussi y dérogent parfois, ce qui est source de dysfonctionnements
entre les canaux, comme l’a montré l’extrait du compte-rendu cité plus haut.
Le tableau 6-5 reprend ces principales raisons, toujours suivant notre grille de lecture
de l’influence de la perception de la participation du client.
Tableau 6-5 : Les raisons poussant les employés en contact de la BCR à détourner les procédés
CAUSE VERBATIM COMMENTAIRE
Volonté
Inputs comportementaux
« En fait, on s'est dit, on va pas biaiser tout de suite le système. On va les laisser utiliser la plate-forme.
Sinon, ça n'avait aucun intérêt. Donc on les a laissés, alors, il y en a qui se sont très très bien
acclimatés, et qui l'utilisent, et puis il y en a qui ont dit, ben c'est ça, ou on retire nos comptes. Donc
bon, après, vous avez pas d'autre solution, souvent, c'est les gros déposants, en plus, donc... Il y a dû y
avoir des aménagements » (BCR BOUL 01)
La perception par les conseillers du refus des
clients de participer selon les modalités
résultant de l’existence de la plate-forme a
mené ces conseillers à ces « aménagements »
Inputs émotionnels
« En général, on a des échos très négatifs, sincèrement, pour être honnête, c’est pas très bien perçu par la clientèle […] Le motif, c’est que c’est impersonnel. Avant, ils appelaient ici en caisse, ils
pouvaient nous joindre directement. Ils nous entendaient, ils étaient contents, ils entendaient une
voix qu’ils connaissaient, ou ils entendaient quelqu’un qu’ils connaissaient » (BCR GAMB 03)
Le mécontentement des clients perçu par les
conseillers peut, selon ceux-ci, impacter sur la qualité de leur relation,
ce qui les incite à privilégier d’autres modes de contact
Inputs relationnels
« La relation, enfin, à mon avis, d’après ce que j’entends de mes clients, elle doit pas être si bonne
que ça. Enfin, les appels sont traités, c’est vrai, mais je pense que ça doit pas toujours bien se
passer » (BCR GAMB 03)
La perception de ce que les contacts avec la
plate-forme sont plus ou moins de bonne
qualité peut conduire le conseiller à développer ou non ces stratégies
A l’inverse, comme nous l’ont expliqué les conseillers, une grande majorité de leurs
clients vivent bien le passage à cette nouvelle organisation. De ce fait, lorsqu’ils constatent
que leurs clients acceptent de passer par la plate-forme, que ces clients leur disent que celle-ci
fait du bon travail et répond à leurs attentes…, les conseillers s’en tiennent-ils aux procédés
officiels.
Chapitre Sixième – Études de cas
337
Ensuite, les verbatims du tableau 6-4 montrent que les conseillers sont conscients de
dévier ces procédures, ainsi que des implications de ce détournement. L’un d’entre eux
reconnaît même avoir planifié ce détournement à l’avance, si jamais les choses tournaient mal
avec ses clients (BCR BOUL 01, cité dans le tableau 6-5).
Avant-dernière précision sur ces stratégies de détournement : les clients apprennent
très vite à les utiliser et à s’en resservir, voire en abusent (phénomène d’apprentissage au
niveau des inputs comportementaux), ce qui peut poser des problèmes, dont sont d’ailleurs
conscients les conseillers interrogés. Celui-ci parle de « travers » (ST MAUR 03), en se
référant à son adresse mail qu’il a abondamment donnée, quand celui-là évoque « les choses
bénignes » (BCR MAD 01) pour lesquelles l’utilise le client qui a eu le numéro direct de la
caisse.
Enfin, la survie de ces déviances procédurales peut être limitée dans le temps. Tout
d’abord, certaines caisses ont tellement communiqué le numéro direct à leurs clients, lesquels
se le sont en plus donnés les uns aux autres, qu’elles sont à nouveau débordées par les appels.
« La caisse réceptionne de nombreux appels de sociétaires qui détiennent le numéro noir311 :
y-a-t-il possibilité d’obtenir un nouveau numéro noir ? à oui, c’est une option que nous
pouvons exceptionnellement envisager et d’ailleurs une étude de France Télécom est en cours
sur l’utilisation des numéros noirs pour joindre les points de vente » (Extrait de compte-rendu
d’une réunion du groupe transcanal).
Ensuite, et le verbatim précédent l’illustre également, la banque a la possibilité de
reprendre la main sur les modes de contact. Notamment, une réflexion sur le reroutage
automatique des e-mails sur les plates-formes entrantes a donné lieu à un test sur une dizaine
de caisses, avant une éventuelle généralisation à la totalité du réseau.
I.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de
l’échange.
I.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur.
Au regard des propos précédents, il est patent que les conseillers s’adaptent aux
réactions de leurs clients en fonction de la nature des liens qu’ils entretiennent avec eux. En
l’espèce, la relation, telle que nous l’avons définie, est susceptible de les amener à modifier
311 Le numéro noir est le numéro direct des caisses.
Chapitre Sixième – Études de cas
338
les procédures dans le sens qui convient à leurs clients, que ce soit en anticipant ou en
s’adaptant à leurs réactions, même si cela risque de se faire au détriment des objectifs initiaux
assignés au projet multicanal de la BCR. Les résultats que nous avons à ce niveau recoupent
ceux de Rafaeli (1989), commentés dans notre revue de littérature. Nous y reviendrons
lorsqu’il s’agira d’interpréter ces résultats.
Mais cette relation s’inscrit également dans une histoire entre le client et le conseiller,
dont l’importance ne doit pas être négligée.
I.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur.
La durée de la relation peut jouer, semble-t-il de deux manières. Elle permet d’avoir
une meilleure connaissance du client, et donc de planifier à l’avance la manière dont il faudra
composer avec ce client dans le cas d’un changement tel que celui de l’instauration d’une
plate-forme d’appels entrants. L’historique de la relation, dans ce cas, permet un
apprentissage de certaines caractéristiques comportementales du client, dont la maîtrise vise à
faciliter l’adaptation, encore que rien ne soit garanti à l’avance. Elle permet aussi une prise de
recul vis-à-vis du comportement du client, ce qui peut aller à l’encontre de ces détournements.
C’est une autre manière d’expliquer ce verbatim, que nous avons déjà utilisé précédemment
dans un contexte différent.
« Bon, moi à l’époque, j’avais un client particulier que j’ai reçu longtemps à l’avance, je l’ai
reçu pour le prévenir, et il a eu le fameux numéro tout de suite, parce que là on savait qu’on
courait à la catastrophe, ça l’a pas empêché de réagir le jour où c’est arrivé. Mais bon, c’est
pour le plaisir de » (BCR GAMB 04).
« De temps en temps quand c’est un sociétaire qu’on connaît, déjà chez nous il est limite, on
se dit qu’au téléphone c’est pareil, c’est pas forcément la plate-forme. […]Donc on le laisse
derrière nous, dans ce cas, on laisse le client râler et puis c'est tout » (BCR BOUL 01)
Mais il arrive également que des conseillers ne s’en tiennent pas strictement aux
procédés lors de ce qu’ils appellent une « entrée en relation », donc avec des nouveaux
clients. Nous avons ainsi deux attachés commerciaux, qui sont donc responsables de
prospection de nouveaux clients, qui nous ont confié donner directement aux clients dont ils
sentent qu’ils recèlent un certain potentiel, leur e-mail ou leur numéro de ligne directe, pour
qu’ils ne soient pas rebutés par cet aspect plate-forme au premier abord. Dans ce cas, le
détournement procédural se fait dans l’optique d’un développement ultérieur de la relation,
Chapitre Sixième – Études de cas
339
avec le risque toutefois d’avoir des clients déçus lorsqu’ils comprendront la nécessité pour
eux de passer par le centre d’appels.
« Les prospects que je vois, si je sens que c’est une affaire chaude, je leur dis voilà mon e-
mail perso […] je laisse le mail, parce qu’ils ont l’impression, chose qu’ils n’auront pas
quand ils appelleront la BCR, ils me joindront directement. Ils m’écriront, c’est moi qui
répondrai. Si ils appellent, ils vont dire voilà, je voudrais un rendez-vous avec M. L., ils
m’auront pas moi, ils auront une personne X qui va prendre un rendez-vous […] si ils ont pas
la réponse assez rapidement, ils vont pas donner suite » (BCR GAMB 03).
D’autre part, un conseiller d’une autre agence a avoué faire de même avec ses
nouveaux clients, pour des raisons similaires.
« Ils peuvent me joindre aussi par mail ou par fax. Mais j’essaie effectivement, par contre, à
chaque entretien, de re-préciser ça, surtout dans une entrée en relation, parce que bon, c’est
quand même important pour le client » (BCR ST MAUR 02).
I.4 L’ANALYSE DU PROCESSUS DE COORDINATION.
Nous avons expliqué que le client peut être considéré comme à l’origine des
interdépendances entre les canaux de distribution. Ainsi, contrairement aux mécanismes qui
peuvent être étudiés en tant que tels, l’analyse du processus de coordination peut difficilement
se différencier de celle de l’influence qu’a le client sur ce processus. C’est donc le premier
point que nous abordons (I.4.1). S’ensuit l’analyse de l’effet modulateur de la nature et de
l’historique de l’échange (I.4.2).
I.4.1 L’influence du client sur le processus de
coordination.
Nous considérons successivement cette influence sur la dimension
communicationnelle, puis relationnelle du processus. Nous finissons par une analyse des liens
au sein de ces dimensions, et entre elles, en soulignant systématiquement la part que peut y
prendre le client.
Chapitre Sixième – Études de cas
340
I.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus.
La dimension communication du processus de coordination est fortement encadrée par
les procédés de travail, comme nous avons pu le voir précédemment. Ainsi, les
communications entre les canaux interviennent le plus souvent dans un cadre procédural. Il
n’empêche que le client est en mesure d’influencer la qualité de cette communication, même
si toutes les composantes de la dimension ne sont pas impactées à l’identique.
I.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes.
Nous n’avons pas identifié, dans nos données, de situations dans lesquelles le client
influençait cette aptitude de la communication à résoudre des problèmes. Mais
l’opérationnalisation de cette dimension n’est pas aisée312, et est par ailleurs étroitement liée à
la précision de l’information, même si elle ne peut se confondre avec elle. C’est, selon nous,
ce qui peut largement expliquer l’absence de relation entre participation client et cette
dimension.
I.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication.
Nous pouvons mettre en évidence que la perception que les employés ont de plusieurs
inputs de la participation du client, ainsi que d’un de ses déterminants, influence la fréquence
de la communication entre les canaux. La figure 6-1, adaptée d’un modèle réalisé avec Nvivo
7, en donne une représentation schématique, tandis que le tableau 6-6 illustre ces liens par des
verbatims.
312 Comme nous le rappelons en annexe 8.
Chapitre Sixième – Études de cas
341
Figure 6-1 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR
Nous avons conservé cette notion d’influence, car le client peut soit accroître, soit
diminuer la fréquence entre les canaux, en fonction par exemple de la qualité de l’information
qu’il va fournir aux téléconseillers, par exemple (inputs mentaux). Il n’est dès lors pas
possible de donner à ces relations une nature positive ou négative, les deux étant possibles.
Par exemple, le fait que le client accepte de donner une information à la plate-forme pour
qu’elle puisse traiter son opération va impacter négativement la fréquence de communication,
tandis que son refus va l’accroître.
INPUTS
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
342
Tableau 6-6 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs comportementaux
« Il arrive de temps en temps, quand on est en entretien, ben vous avez un deuxième message, c’est le sociétaire qui a rappelé, en disant, ils m’ont
pas rappelé » (BCR BOUL 01)
Inputs mentaux « Sachant que si il s’agit d’une opération d’un montant un peu plus
sensible, on lui laisse un message bien sûr […]dans un but commercial. Pour une exploitation derrière, si éventuellement le chargé de clientèle
n’est pas au courant du virement » (BCR PFE 02)
Inputs émotionnels
« Si il y a vraiment un caractère d’urgence, ou quelqu’un qui s’énerve au téléphone, là ils appellent, et ils demandent si on peut pas prendre, parce que ça mousse, et puis il faut éviter ça, quoi, et puis il faut pas, il faut pas
que ça vienne gonfler » (BCR ST MAUR 03)
Volonté « On a moins de personnes à rappeler pour des questions simples. On en
a toujours, mais moins qu’avant. Et en règle générale, quand on les a, c’est que les clients ont pas voulu donner la raison de leur appel » (BCR
MAD 01)
I.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication.
Pour rappel, la communication sera considérée comme opportune si elle parvient à
temps à l’employé en contact chargé de répondre à la demande du client. Nous n’avons pas
trouvé de relation indiquant que le client, de par sa participation, influençait positivement ou
négativement cette opportunité de la communication. Ceci ne nous semble guère surprenant,
puisque le client contacte la banque lorsqu’il a besoin de ses services, donc au moment qui lui
semble opportun.
La transmission de l’information de la plate-forme vers la caisse est immédiate. Un
léger délai peut survenir du fait de l’arrivée de cette information dans une boîte de réception
commune à la caisse, avant d’être répartie dans les boîtes personnelles des conseillers, mais
aucun d’entre eux n’a considéré que la communication ne s’effectuait pas dans les délais
nécessaires au traitement de la demande du client.
I.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication.
L’influence du client sur la précision de la communication paraît être assez forte. C’est
en tout cas la dimension qui de leur discours ressort le plus comme étant impactée par la
Chapitre Sixième – Études de cas
343
participation du client, mais d’une manière somme toute assez simple, comme le montre la
figure 6-2, et qu’illustrent les verbatims du tableau 6-7.
Figure 6-2 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR
Tableau 6-7 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs mentaux « Ça n’a peut-être pas été non plus demandé correctement par le client. Si elle avait dit faire une étude en immobilier, là peut être que ça aurait
tilté » (BCR GAMB 02)
Volonté « C’est très variable, quoi, parce que ça dépend de ce que le client a bien voulu dire. Parfois il y a rien, faut rappeler un client, c’est tout. Parfois,
il y a l’indication du pourquoi » (BCR MAD 01)
Comme le laissent supposer les verbatims ci-dessus, les inputs mentaux sont ici
l’expression de la volonté du client de participer : si il n’acceptait pas, il ne donnerait pas les
informations, ou ne donnerait pas suffisamment de précisions.
Enfin, soulignons que tous les conseillers ne sont pas conscients de cette influence
potentielle du client sur la précision de l’information transmise par la plate-forme.
« Ce qu’il y a, c’est qu’il faut bien prendre les informations, c’est surtout ça qu’il faudrait
dire à la plate-forme, par exemple, quand il y a une personne qui appelle parce que son
compte est en débit, à la limite, elle donne l’info à la plate-forme, il y aura telle et rentrée, la
plate-forme envoie le message, et c’est bon, on n’est pas obligé de rappeler pour entendre
dire la personne oui, il y a ça qui va rentrer » (BCR MAD 04)
INPUT
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
344
I.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus.
Au regard de leurs occurrences relatives, les composantes de la dimension
relationnelle paraissent nettement plus impactées par le client que celles de la dimension
communicationnelle. Nous allons voir de quelle manière.
I.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée.
La connaissance partagée dont il est fait état est la connaissance qu’ont les employés
d’un canal des procédures et du mode de fonctionnement propres à un autre canal. La nature
même de cette connaissance fait donc que nous ne sommes que peu surpris de ne pas avoir
trouvé sur le terrain de preuve d’une influence quelconque du client à ce niveau.
Le niveau de connaissance partagée semble supérieur chez les téléconseillers que chez
les conseillers, du fait de l’origine des téléconseillers, issus des caisses pour la plupart. Ce
partage de connaissance est généralement assuré par la communication interne, mais pas
seulement, et sa mise à jour semble complexe. Nous y reviendrons lorsque nous étudierons les
liens entre mécanismes et processus de coordination.
I.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle La figure 6-3 montre que ce sont à nouveau les inputs comportementaux et la volonté
du client qui permettent d’expliquer en quoi la perception qu’ont les employés en contact de
la participation client peut accroître l’indulgence des uns vis-à-vis des autres. Le tableau 6-8
renforce cette figure par des exemples de verbatims.
Figure 6-3 : Représentation schématique de l’influence du client sur l’indulgence dans le cas BCR
INPUT
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
345
Cette fois-ci, nous avons codifié la relation entre les inputs comportementaux et
l’indulgence par « augmente », car les exemples que nous avions dans le discours des
conseillers montraient nettement que leur perception de ces inputs tendait à accroître leur
indulgence.
Tableau 6-8 : Illustration de l’influence du client sur l’indulgence mutuelle dans le cas BCR
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs comportementaux
« En règle générale, il y a pas de critique à apporter. Parce qu’il faut se les taper aussi, les appels, tous les jours. Les clients sont pas toujours
faciles, loin de là. Ils sont pas toujours aimables » (BCR ST MAUR 03)
Volonté « On m’envoie des messages auxquels je sais très bien que la plate-forme est capable de répondre. Je le constate là dessus, donc je me doute que c’est pas eux qui ont pas su donner la réponse, que c’est le client qui a
pas voulu lui donner la raison de son appel » (BCR MAD 01)
Aussi, dès que les conseillers intègrent dans leur raisonnement le comportement que le
client peut avoir avec la plate-forme, ils sont plus prêts à pardonner ce qui à première vue
pourrait être pris comme des erreurs de la part de la plate-forme.
I.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés. Entre les cinq composantes relationnelles du processus, les objectifs partagés sont
ceux qui sont le moins ressortis. Nous n’avons pas repéré d’influence particulière du client à
ce sujet.
Les trois objectifs partagés que nous avons identifiés peuvent être classés entre :
Ø Des objectifs économiques : Il s’agit de faire baisser les coûts de distribution
en optimisant la productivité de chacun des canaux, grâce à l’organisation
retenue.
Ø Des objectifs commerciaux : L’augmentation du chiffre d’affaires de la BCR
est une des raisons de la mise en place du multicanal. Pour cela, la libération
de temps en agence doit permettre d’accroître le nombre de dossiers traités,
ainsi que la qualité de ces dossiers (développement de ventes croisées). Et les
téléconseillers sont mis à contribution en tentant de faire des propositions
commerciales aux clients lors de leurs appels, propositions qui se traduisent,
lorsque le client accepte, par une prise de rendez-vous en caisse.
Chapitre Sixième – Études de cas
346
Ø Un objectif qualitatif de satisfaction du client : « On travaille avec le même
objectif de la satisfaction finale du client. C'est clair. C'est l'objectif numéro
un, et on a bien le même » (BCR PFE 01).
Nous n’avons pas en revanche identifié de situation de divergence d’objectifs entre les
canaux.
I.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle
Il s’agit de la dimension du processus de coordination sur laquelle le client paraît avoir
l’influence la plus forte. A nouveau, nous utilisons une figure pour représenter graphiquement
les relations d’influence, tandis qu’un tableau les illustre par des verbatims.
Figure 6-4 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas BCR
Un seul déterminant apparaît, comme dans les cas précédents. Nous avons à ce propos
une explication à suggérer. Il semblerait que les conseillers tiennent pour acquis le fait que les
clients n’ont pas de problème particulier pour utiliser la plate-forme, puisque reposant sur un
outil courant : le téléphone. Comme nous l’a dit l’un de nos interviewés : « Après tout, ce
I N P U T S
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
347
n’est que le téléphone » (BCR MAD 03). La notion de capacité à utiliser la plate-forme ne
pose donc pas apparemment à leurs yeux de problèmes. La prise de conscience semble
acquise, et aucun conseiller n’a rapporté de cas où le client lui aurait dit que l’utilisation de la
plate-forme n’était pas simple (clarté de sa participation). D’où l’importance accordée à la
volonté des clients d’utiliser la plate-forme dans leur discours (et certainement d’autant plus
que leur refus de participer est le déterminant qui a le plus de répercussions sur le quotidien
opérationnel des conseillers).
Tableau 6-9 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas BCR
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs comportementaux
« On avait un esprit un peu négatif sur le mode de fonctionnement. On s’est un petit peu corrigés, puisqu’on s’est mis à leur place, c’est vrai qu’il y a beaucoup de sociétaires qui appellent, qui râlent, ils veulent absolument parler à la personne, et ça c’est impossible, ils ont un but,
c’est traiter l’appel, essayer de traiter leur demande » (BCR GAMB 03)
Inputs émotionnels
« Quand vous vous rendez compte, que vous y réfléchissez un peu, vous vous dites, le client a dû râler, il a dû se mettre en colère, donc pour eux c’est pas évident à gérer […] je pense que eux ils comprennent que nous
on a beaucoup de boulot, et puis nous on comprend également que eux, le client est pas content quoi » (BCR MAD 01)
Inputs mentaux « Pour moi, il n’y a pas de problème, et on n’a pas de remarque à ce sujet
là [de la part des clients]. Pour ça, c'est comme nous, c'est répondre correctement au client, lui donner l'information qu'il souhaite, et être poli
avec lui » (BCR PORT 01)
Inputs relationnels « Ils disent j’ai eu un de vos collègues, très sympathique d’ailleurs, mais vous étiez occupé, mais il m’a dit que vous alliez rappeler, et puis il m’a quand même expliqué, donc c’est quand même je pense que globalement,
c’est positif » (BCR MAD 02)
Volonté « On est capable aujourd'hui de répondre au sociétaire, qui lui-même a
dû avoir un temps d'adaptation, parce qu'on l’a quand même coupé d'une relation directe avec son conseiller. Donc il était un peu réticent au
départ » (BCR PFE 01).
Notons aussi que cette reconnaissance apparaît de manière unilatérale, en l’occurrence
des conseillers des caisses vis-à-vis des plates-formes, et prend différentes formes, puisqu’ils
distinguent entre :
Ø Le confort de travail : il s’agit du différentiel de confort de travail existant
entre avant et après l’instauration de la plate-forme entrante. Tous les
conseillers rencontrés, sans exception, le mettent en avant, et ce verbatim
Chapitre Sixième – Études de cas
348
reflète leur état de pensée général : « aujourd'hui, personne ne voudrait
revenir en arrière, même si on râle tous une fois par semaine sur ils ont fait
ci, ils ont fait ça » (BCR GAMB 04). Ce gain en termes de confort de travail
se traduit également par le sentiment de plusieurs conseillers de reprendre la
main sur la relation avec les clients, et donc de regagner du pouvoir vis-à-vis
de leurs demandes : « c’est nous qui décidons du moment où nous aurons
l’entretien téléphonique avec le client, c’est l’essentiel de ce que ça a
modifié » (BCR MAD 02). Ce point est récurrent dans la majorité des
entretiens des conseillers de la BCR.
Ø Les compétences techniques : il s’agit de la qualité de réponse aux questions
des clients, ou de la technicité dont font preuve les téléconseillers de la plate-
forme sortante dans leur activité de démarchage.
Ø Les compétences relationnelles : cela renvoie à la qualité relationnelle de
l’accueil et du traitement des appels par les téléconseillers. Les conseillers
peuvent l’évaluer, notamment, grâce aux remarques positives ou négatives
que leur font leurs clients à ce sujet.
Ø Les résultats obtenus :Au niveau de la plate-forme entrante, cela est peu
dissociable du confort de travail qui découle de son implantation. Cette
reconnaissance est plutôt négative à l’égard de la plate-forme sortante, en
raison du nombre de rendez-vous pris dans les agendas, mais non honorés par
la clientèle.
Cette reconnaissance s’inscrit en outre dans une dynamique. Elle n’est pas figée. Au
départ se mêlent inquiétude face à l’inconnu, et soulagement lié au confort de travail que les
conseillers retirent en agence de l’arrêt de l’incessante sonnerie téléphonique. Elle est ensuite
modifiée, soit positivement, soit négativement selon les conseillers, en fonction de trois
éléments : les réactions de leurs clients ; la quantité d’erreurs commises par la plate-forme
(dans la précision des informations transmises, dans la durée retenue pour les rendez-vous,
etc.) ; et enfin, de la qualité des réponses apportées à leurs clients. Sur ce dernier point, le
transfert de personnel du réseau sur la plate-forme joue un effet très positif. Enfin, rentre en
jeu la notion d’indulgence dont ils peuvent être amenés à faire preuve à l’égard de leurs
collaborateurs des plates-formes.
Chapitre Sixième – Études de cas
349
Par conséquent, cette reconnaissance des agences vis-à-vis de la plate-forme entrante
peut schématiquement se ramener au fruit d’un arbitrage dynamique qu’effectuent les
conseillers entre les avantages qu’ils retirent de cette plate-forme, et de l’autre, les problèmes
qu’elle leur procure.
I.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel. L’influence directe que joue le client sur le respect mutuel semble particulièrement
restreinte. En général, elle ressort comme plutôt liée au partage de connaissance sur le
fonctionnement réciproque des canaux. Nous revenons sur ce point dans la sous-partie qui
suit.
I.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination.
Nous proposons une représentation graphique des liens qui existent à la fois au sein
des dimensions du processus de coordination, mais aussi entre elles, par la figure 6-5 (page
suivante). Pour ne pas encombrer le schéma, nous n’y avons pas indiqué les inputs et
déterminants du client qui en influencent chacune des composantes, leur étude venant d’être
réalisée.
Cette représentation montre que la dimension relationnelle est sur-représentée par
rapport à la dimension communicationnelle dans les liens entre les composantes, et que seule
la précision de la communication a un effet sur un élément de la dimension relationnelle (la
reconnaissance). Nous avons cette fois été en mesure d’indiquer plus précisément la nature de
certaines relations. Ainsi, il est ressorti par exemple que le partage de connaissance entre les
canaux sur leur fonctionnement influençait favorablement l’indulgence mutuelle, ce que nous
avons donc codé par la relation « augmente ». Bien entendu, implicitement, cela signifie que
l’absence de ce partage de connaissance tend à diminuer cette indulgence, comme le laisse
entendre le verbatim que nous avons retenu pour l’illustrer.
Chapitre Sixième – Études de cas
350
Figure 6-5 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR
Le tableau suivant illustre ces relations par des verbatims.
Tableau 6-10 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Connaissance partagée augmente indulgence mutuelle
« On constate que très peu connaissent notre fonctionnement. A la fois les contraintes du métier, les contraintes techniques qui sont liées à notre activité […] Ils savent qu’on prend des rendez-vous, mais dans quelles
conditions, quels moyens on utilise, comment on fonctionne, vraiment très peu les connaissent […] On aurait un climat plus tranquille sur des
situations de dysfonctionnement ou autre, où les caisses n’arrivent pas toujours à discerner quel est le niveau de responsabilité du
dysfonctionnement » (BCR PFS 02)
Connaissance partagée augmente
reconnaissance mutuelle
« C’était des collègues qui venaient du réseau, donc qui connaissaient les produits, ils connaissaient les réclamations, etc, et savaient les gérer.
Donc on était sûr que nos clients seraient bien accueillis, qu'il y avait ce qu'il fallait derrière » (BCR ST MAUR 04)
Dimension relationnelle Dimension communicationnelle
Chapitre Sixième – Études de cas
351
Connaissance partagée augmente
respect mutuel
« De par cette visite, certains collègues ont dit tiens, il faut faire ce qu’ils font […] Donc c’est vrai que j’aurais bien aimé être mis en phase par
rapport à ce métier, et voir comment ils font. Parce que je sais que c’est pas facile pour eux. C’est pas facile pour eux » (BCR BOUL 02)
Reconnaissance influence indulgence
mutuelle
« C’est vrai que de temps en temps, il y a des coquilles. Mais bon, l’un dans l’autre, avec le confort d’entretien qu’on a grâce à la plate-forme,
de pas être dérangé, on se dit que c’est pas bien méchant » (BCR GAMB 02)
Précision influence reconnaissance
mutuelle
« On a un maximum d’infos, en règle générale, c’est quand même pas mal étoffé […] Donc là on a l’avantage quand même de préparer son travail »
(BCR ST MAUR 03)
Enfin, l’existence de ces liens montre que l’influence que joue le client sur le
processus de coordination n’est donc pas seulement directe, mais peut aussi être indirecte.
Ainsi, l’influence du client sur la précision va indirectement impacter la relation entre
précision et reconnaissance. Et la prise de conscience par les conseillers de ce que les clients
ont un impact sur la précision de l’information qui leur est transmise par la plate-forme tend à
accroître leur indulgence à l’égard de certains messages imprécis. Il en va de même pour la
relation entre la reconnaissance et le respect mutuels, celle entre l’indulgence et la
reconnaissance mutuelles, ou entre la précision et l’indulgence.
I.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de
l’échange.
I.4.2.a) La nature de l’échange comme modulateur.
Comme dans le cas des mécanismes, il est patent que la nature de l’échange peut avoir
un impact sur l’influence qu’exerce le client sur le processus de coordination. Ainsi, la raison
pour laquelle les clients refusent de donner des informations à la plate-forme est, nous l’avons
déjà dit, liée à ce qu’ils n’ont pas forcément confiance dans les téléconseillers, car ils ne les
connaissent pas. Cela est source d’imprécision dans la communication entre les canaux, dans
le sens plate-forme vers caisse. De même, leur comportement vis-à-vis des téléconseillers est
différent de celui vis-à-vis de leur conseiller.
« Ça se passe mieux, à mon avis, avec nous, qu’avec la plate-forme. A mon avis, ils doivent
plus se défouler avec la plate-forme. Parce que de toute façon, ils les connaissent pas, alors
que nous, ils nous connaissent » (BCR MAD 01)
Chapitre Sixième – Études de cas
352
L’utilisation de techniques de socialisation, parmi lesquelles surtout des explications
de la part de leur conseiller, en qui ils ont confiance, semble aller dans le sens d’une réduction
de cet état de fait, et donc jouer en faveur d’une amélioration du processus de coordination.
I.4.2.b) L’historique de l’échange comme modulateur.
L’historique de l’échange va jouer un rôle modulateur dans l’appréciation que vont
avoir les conseillers des réactions de leurs clients. En fonction de l’histoire de la relation entre
eux et leurs clients, ils seront amenés à les croire plus ou moins facilement, ce qui peut
impacter différemment le processus de coordination.
« C’est souvent le sociétaire qui va dire, ouais, ils m’ont répondu comme ça, après, c’est la
parole du sociétaire contre la parole de la personne de la plate-forme […] Il y a des
sociétaires qui sont pas polis non plus. Donc de temps en temps quand c’est un sociétaire
qu’on connaît, déjà chez nous il est limite, on se dit qu’au téléphone c’est pareil, c’est pas
forcément la plate-forme » (BCR BOUL 01).
Cet exemple laisse ainsi penser que l’historique de la relation entre le client et son
conseiller amène ce dernier à accorder un crédit variable aux dires de son client. Dans le cas
présent, il remet en question le comportement du client, et se montre plus indulgent à l’égard
de la plate-forme en cas d’information incomplète. Cette connaissance du client peut donc
accroître l’empathie dont font preuve les conseillers à l’égard des téléconseillers, et leur
permet d’en relativiser les erreurs éventuelles.
I.5 L’ANALYSE DES LIENS ENTRE LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS
DE COORDINATION.
Nous commençons par analyser la teneur des liens allant dans le sens processus vers
mécanismes de coordination (I.5.1). Nous poursuivons par l’étude des liens de sens inverse,
nettement plus nombreux (I.5.2).
I.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de
coordination.
Cette analyse sera très rapide, puisque n’est ressortie de nos données qu’une seule
relation de ce sens. Il s’agit du partage de connaissance entre les canaux, qui semble faciliter
l’adaptation des procédés.
Chapitre Sixième – Études de cas
353
Figure 6-6 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas BCR
Cette relation peut paraître logique, car comme nous l’avons montré, la BCR a posé ce
partage de connaissances comme principe de la résolution de problèmes dans le cadre du
développement et du fonctionnement du réseau de distribution multicanal.
« On pourra leur expliquer comment on travaille, et comment on priorise nos appels, et
pourquoi on répond pas tout de suite, il y a des fois, on met 3 jours […] Et je pense que si on
tombe sur des personnes intelligentes, elles vont faire passer le mot, et dire écoutez, on
devrait pas faire ça, parce que de l’autre côté, ils sont pas contents » (BCR GAMB 03)
Néanmoins, ce partage de connaissances ne se fait pas sans support, ce qui nous invite
à nous pencher sur les liens allant des mécanismes vers les processus de coordination.
I.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de
coordination.
Ces relations sont beaucoup plus étoffées en ce sens, puisque nous en comptons sept,
dont six en direction des composantes de la dimension relationnelle du processus. La figure
6-7 représente l’ensemble de ces relations, que nous allons décomposer successivement.
Chapitre Sixième – Études de cas
354
Figure 6-7 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas BCR
I.5.2.a) L’influence des relations latérales.
La figure 6-8 ci-dessous illustre cette influence.
Figure 6-8 : L’influence des relations latérales sur le processus de coordination dans le cas BCR
Chapitre Sixième – Études de cas
355
L’influence des relations latérales sur la connaissance partagée revient fréquemment
dans les entretiens, les conseillers soulignant pour les uns à quel point elles leur ont permis
d’apprendre sur le fonctionnement de la plate-forme, pour les autres, à quel point il leur serait
utile d’en savoir plus à ce propos. Ces derniers indiquent que cela leur permettrait de mieux
comprendre ce qu’ils considèrent habituellement comme des erreurs de la plate-forme. Enfin,
les responsables des centres d’appels que nous avons rencontrés expliquent que dès la phase
de conception de la plate-forme, ces relations latérales ont été privilégiées pour assurer une
sorte de socle commun de connaissances entre les canaux qui en faciliterait le fonctionnement
d’ensemble. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner ce dernier point.
Les relations latérales interviennent sous de multiples formes : soit ce sont des visites
de la part de conseillers du réseau sur les plates-formes ; soit des réunions du groupe de
travail transcanal dont nous avons déjà parlé ; soit des contacts directs entre les employés des
canaux ; soit des visites des superviseurs des plates-formes dans les caisses ; soit enfin de
courtes périodes d’intégration en caisse pour les nouveaux téléconseillers ayant une origine
extérieure. Ces relations sont intervenues très tôt dans le développement de la plate-forme,
chaque caisse recevant en outre la visite d’un superviseur et éventuellement d’un délégué
fédéral avant que ses appels ne soient reroutés pour leur en expliquer le fonctionnement et
répondre à leurs questions. Quant aux visites sur la plate-forme, elles sont appréciées de la
part des conseillers, qui ont confirmé en avoir beaucoup appris sur son fonctionnement, bien
que tous n’y soient pas encore allés.
« Il y a des visites organisées sur les plates-formes, où les gens viennent passer une matinée,
on leur explique le fonctionnement, ils viennent écouter auprès des collaborateurs comment
ça se passe, et ils se rendent compte qui traite leurs appels téléphoniques » (BCR PFE 01)
« Je crois qu’on fait pas assez d’immersion, à la fois eux en caisse locale pour voir comment
on travaille […] et nous on devrait aller en plate-forme téléphonique voir comment eux
travaillent. Parce que moi j’y suis jamais allée personnellement […] et je pense qu’on a peut-
être pas assez d’échanges par rapport à ça, je pense qu’on comprendrait beaucoup plus de
choses » (BCR GAMB 01)
Chapitre Sixième – Études de cas
356
I.5.2.b) L’influence de la communication interne.
La figure 6-9 représente graphiquement cette relation.
Figure 6-9 : L’influence de la communication interne sur le processus de coordination dans le cas BCR
La communication interne (diffusion de documents, d’informations par le biais
d’intranet, etc.) a joué un rôle important dans la phase d’implantation de la plate-forme,
venant en renfort des relations latérales. Depuis, elle est surtout assurée par le biais d’intranet,
qui met à disposition des caisses un nombre considérable d’informations, comme nous
l’avons dit précédemment.
Mais ces informations ne sont que peu consultées. A titre indicatif, nous avons
demandé dans chacune des caisses à nos interviewés si ils utilisaient l’intranet, et si ils
savaient ce que la plate-forme mettait à leur disposition dessus. Dans la totalité des cas, les
réponses furent approximatives, trois d’entre eux s’y rendant durant l’entretien pour découvrir
en même temps que nous les informations présentes. Pourtant, une rubrique dédiée aux
centres d’appels entrants existait, et comportait l’ensemble des procédures que doivent suivre
les téléconseillers, de même que des statistiques de prises d’appels, un rappel de leurs
missions et objectifs, les numéros de téléphone directs des superviseurs, etc… Cela est
d’autant plus surprenant que ces trois personnes considéraient qu’il y avait un déficit
d’information vis-à-vis de ce canal, et qu’ils aimeraient en savoir plus sur son
fonctionnement. L’explication que chacun a fourni de cette méconnaissance de ces
informations fut identique : « nous n’avons pas le temps d’aller regarder tout cela, on a déjà
tellement de travail à côté… ». Cela pose ainsi des problèmes de mise à jour des
connaissances. Un conseiller nous a par exemple cité la mise à jour des adresses clients
comme activité réalisable par les plates-formes entrantes, alors que le responsable de celles-ci
nous avait dit que c’est une activité qu’ils avaient dû arrêter.
Chapitre Sixième – Études de cas
357
I.5.2.c) L’influence du transfert de personnel.
Le transfert de personnel est également une donnée très importante, et qui a été
réfléchie comme telle dès le départ par la direction de la BCR, ainsi que nous l’avons déjà
laissé entendre.
Figure 6-10 : L’influence du transfert de personnel sur les processus de coordination dans le cas BCR
Plus de 75% du personnel d’origine de la plate-forme était issu des caisses, et avait
donc une expérience du terrain et de la relation client. Mécaniquement, cela a accru le niveau
de connaissance partagée parmi les téléconseillers, et facilité l’acceptation des plates-formes
entrantes, ainsi que la reconnaissance de la part de leur collaborateurs en caisse.
Tableau 6-11 : Illustration de l’influence du transfert de personnel sur le processus de coordination dans le cas BCR
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Transfert de personnel influence
reconnaissance mutuelle
« L’avantage d’avoir mis des gens qui étaient des banquiers à la plate-forme entrante, c’est qu’ils sont capables de répondre à des questions
simples, donc ça, ça nous fait gagner du temps » (BCR MAD 01)
Transfert de personnel influence
connaissance partagée
« Les responsables des plates-formes, en général, et moi-même, en fait, et mon prédécesseur, étaient des anciens directeurs d'agence. Donc ça, c'est pour avoir bien en tête la problématique qu'on a en fait avec la relation client en agence. C'est une volonté de l'entreprise. Les responsables des
centres d'appels, à l'exception d'une seule personne, sont des anciens directeurs d'agence » (BCR PFE 01)
I.5.2.d) L’influence des procédés de travail.
Les procédés sont le seul mécanisme dont nous avons repéré qu’ils influençaient une
composante de la dimension communicationnelle du processus : la fréquence. Cette relation
Chapitre Sixième – Études de cas
358
n’est absolument pas étonnante, les échanges entre les canaux étant, nous l’avons mentionné,
largement procéduraux.
Figure 6-11 : L’influence des procédés de travail sur le processus de coordination
Mais les procédés influencent également la reconnaissance et le respect mutuels. La
première, parce que le respect ou non de ces procédés fait que les employés en contact sont
plus ou moins reconnaissants de la qualité du travail fourni par leurs collaborateurs. Mais
également, parce que certains des procédés semblent déconnectés de la réalité aux yeux des
conseillers, qui de ce fait ne comprennent pas la légitimité des décisions de la plate-forme, et
remettent en question l’avantage qu’elle peut représenter (cf. Tableau 6-12). La seconde
relation est pour sa part liée également au respect ou non des procédés.
Tableau 6-12 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas BCR
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Procédés influence fréquence
« La procédure, c’est de faire un deuxième rappel, en indiquant il me semble que vous n’avez pas encore contacté le sociétaire en question,
donc n’oubliez pas de le rappeler le plus vite possible » (BCR PFE 02)
Procédés influence reconnaissance
mutuelle
« Ça, ça fait partie de certains dysfonctionnements, moi ça m’est arrivé pas mal de fois. Votre agenda, vous avez un rendez-vous d’une heure qui
va se transformer en rendez-vous d’une demi-heure pour pouvoir en caser un autre. Ça c’est désagréable » (BCR GAMB 04).
Procédés influence respect mutuel
« C’est pas toujours facile, parce que on a quelque fois des messages qui sont ventilés, mais on respecte pas vraiment le chargé de clientèle […] C’est-à-dire qu’il y a des rendez-vous qui sont pris, bon, un chargé de
clientèle est absent, on prend quand même le rendez-vous ce jour là, mais sur quelqu’un d’autre » (BCR MAD 02)
Chapitre Sixième – Études de cas
359
I.6 INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS.
Nous allons conclure l’étude de ce cas par une discussion sur les résultats que nous
venons de présenter, selon deux axes. Nous revenons dans un premier temps sur les rôles de
filtre et de catalyseur que joue le client dans les liens entre les canaux (I.6.1). Nous
continuons en traitant de ce que nous appelons l’influence duale du client sur la coordination
(I.6.2).
I.6.1 Le client comme filtre et catalyseur.
I.6.1.a) L’identification de ces rôles.
Tout au long de ce cas, nous avons constaté que des clients étaient en position de
générer des asymétries informationnelles en leur faveur entre les membres des canaux. Plus
exactement, ces clients se servaient de leur connaissance et de leur maîtrise de certaines
informations les concernant directement pour contourner le canal que la banque cherchait,
d’une certaine manière, à lui imposer. En d’autres termes, ces clients jouent, ou cherchent à
jouer, ce que nous avons appelé un rôle de filtre informationnel entre les canaux. L’utilisation
de ce rôle, en ce qui concerne le cas BCR, semble tout à fait conscient, et peut même être
construit à l’aide du conseiller.
Cette aide qu’est susceptible d’apporter le conseiller au client n’est toutefois pas
automatique, ni systématique. Elle est prioritairement le pendant de la réaction et des propos
du client vis-à-vis de la plate-forme entrante, réaction et propos qui influencent la perception
qu’a le conseiller à l’égard de ladite plate-forme. Nous retrouvons donc là le rôle de
catalyseur perceptuel que nous avions proposé.
Une conséquence de cette altération de perception du conseiller est qu’il lui arrive de
détourner certains des procédés qu’il est supposé respecter, afin de satisfaire son client. Ce
détournement intervient donc toujours sous l’influence du client, qui joue alors son rôle de
catalyseur interprétationnel.
Enfin, lorsque le client refuse de donner de l’information au téléconseiller, la limite au
maximum, ou mobilise une stratégie d’évitement, il agit naturellement sur les interactions
entre les employés en contact, obligeant par exemple le téléconseiller à prévenir le conseiller
qu’il doit rappeler son client, contact à l’occasion duquel ce téléconseiller peut notifier son
agacement vis-à-vis du conseiller. Le client endosse donc son rôle de catalyseur
interactionnel.
Chapitre Sixième – Études de cas
360
I.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles.
Ces rôles ne semblent donc pas être indépendants les uns des autres, mais interreliés.
Nous pourrions même proposer que le rôle de filtre informationnel et celui de catalyseur
perceptuel précèdent ceux de catalyseur interprétationnel et interactionnel.
L’existence de ces rôles concorde avec une partie des résultats de Rafaeli (1989),
présentés dans notre troisième chapitre. Néanmoins, nous les enrichissons par l’aspect
modulateur de la nature et de l’historique de l’échange que nous avons mis en évidence. Cette
modulation, transversale à la fois aux interdépendances, aux mécanismes et au processus de
coordination, ne peut apparaître chez Rafaeli, qui s’intéresse à ce que nous avons qualifié de
rencontres de service. Nous avons ainsi montré que dans le cas d’une relation, le personnel
aura tendance à fortement écouter le client, dont l’impact des rôles sus-présentés sera alors
élevé.
Ce résultat est toutefois contrebalancé par le fait que nous avons identifié certaines
situations où les téléconseillers semblent accepter de déroger aux procédures pour satisfaire le
client (par exemple, en prenant un rendez-vous plus court que ne prévoit la procédure). Cette
situation confirme alors les résultats de Rafaeli (1989), en ce sens que c’est alors la pression
du contact avec le client qui amène le conseiller à agir de la sorte, mais minore la portée de
notre propre résultat sur l’aspect modulateur de la nature de l’échange (et non sur le rôle de
catalyseur du client, qui s’exerce également dans ce type de situation).
Enfin, l’historique de la relation semble intervenir également, puisque l’employé en
contact pourra par exemple se baser sur la connaissance fine qu’il a du client, développée au
fil de la relation, pour relativiser l’importance qu’il doit accorder à ces mêmes rôles.
I.6.2 L’influence duale du client sur la coordination.
I.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post.
Les résultats précédents montrent que le client n’influence pas seulement la
coordination à partir du moment où existent les entités à coordonner, mais que de par son rôle
de générateur d’interdépendances, il est également pris en considération avant la création de
la plate-forme.
Son influence s’exerce aussi par la suite, après la création et la mise en place de la
plate-forme. Cette influence passe par l’existence des quatre rôles de filtre et catalyseur,
comme nous venons de l’expliquer.
Chapitre Sixième – Études de cas
361
Cette influence ex-ante et ex-post procède d’une dualité entre l’anticipation et
l’adaptation des réactions du client, puisque ces réactions jouent sur le niveau d’acceptation
ou de refus de l’introduction d’un nouveau canal par le personnel en contact du canal existant.
Il est donc nécessaire de les considérer à l’avance, puis de s’y adapter progressivement
ensuite, pour favoriser les chances de succès du changement organisationnel que représente
l’implantation de ce nouveau canal.
I.6.2.b) Une influence globale et locale.
La relecture de la coordination multicanale à l’aune de la participation du client nous
permet aussi de découvrir que l’influence du client se fait à deux niveaux. Une influence
globale, tout d’abord, qui porte sur l’ensemble du réseau de distribution multicanal, en ce que
le client est pris en considération pour « façonner », d’une certaine manière, ce réseau. Cette
influence globale, qui se produit à la fois ex-ante et ex-post (dualité anticipation / adaptation)
intervient donc principalement au niveau du design organisationnel.
Il a également une influence que nous qualifions de locale, au niveau des différents
employés en contact, influence qui se traduit notamment par une déviance des procédés de la
part des employés en contact, et par une altération du processus de coordination. A ce niveau,
son influence semble d’ailleurs plus importante sur la dimension relationnelle que
communicationnelle dudit processus.
Chapitre Sixième – Études de cas
362
SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER
NATIONAL (EFN).
Le plan suivi pour rédiger cette seconde étude de cas sera, dans les grandes lignes,
identique à celui de la BCR. Ainsi, nous débutons avec une présentation de l’entreprise (II.1),
avant d’analyser les interdépendances (II.2) et les mécanismes de coordination de l’EFN
(II.3). Nous prolongeons avec l’étude du processus de coordination (II.4), l’analyse des liens
entre les mécanismes et le processus (II.5), pour conclure sur une rapide interprétation et
discussion des résultats (II.6).
II.1 PRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE
La présentation générale de la banque (II.1.1), puis de la stratégie et de l’organisation
du multicanal (II.1.2), précèdent la présentation du personnel opérationnel des canaux (II.1.3),
avant que nous ne précisions quelques éléments contextuels du développement du multicanal
à l’EFN (II.1.4).
II.1.1 Présentation générale de l’EFN
L’Établissement Financier National (EFN) est un établissement bancaire présent sur
l’ensemble du territoire national français, qui dispose aussi d’une présence internationale.
Il repose sur une assise de peu ou prou 1900 agences, qui détiennent environ 4,5
millions de comptes clients particuliers. Les agences appartiennent au groupe EFN, vis-à-vis
duquel elles n’ont aucune autonomie. Elles sont les relais opérationnels de prises de décisions
stratégiques centralisées, en contact direct avec les clients.
II.1.2 Le développement du multicanal à l’EFN
A une présentation rapide des canaux et de leur organisation, succède l’analyse du
caractère stratégique de leur développement.
II.1.2.a) Les différents canaux utilisés à l’EFN
L’offre multicanale de l’EFN ne diffère pas fondamentalement de celle de la plupart
de ses concurrents. Elle compte ainsi des points de vente ; un centre d’appels entrant
(composé de six plates-formes réparties sur le territoire national) ; un serveur vocal interactif ;
des distributeurs et guichets automatiques ; un site Internet ; des services sur mobile. A ceux-
Chapitre Sixième – Études de cas
363
ci, vient s’ajouter un centre d’appels sortants, mais dont la gestion est externalisée auprès d’un
tiers indépendant, et dont la nature fait que nous ne le prenons pas en compte313. Nous nous
focaliserons donc sur la coordination entre les agences et la plate-forme entrante.
Plusieurs de nos interviewés ont mis l’accent sur trois catégories de canaux, au cœur
de ce réseau, qui sont :
Ø Les points de vente : ce sont l’ensemble des agences du groupe EFN,
réparties sur toute la France.
Ø La plate-forme entrante : tout comme le réseau, elle est une émanation de la
direction des particuliers et professionnels de l’EFN. Mais elle n’est pas
ensuite rattachée hiérarchiquement à la direction du réseau, représentant une
branche distincte dans la structure de l’entreprise. La plate-forme entrante
inclut le serveur vocal interactif, nous y reviendrons. Ses horaires d’ouverture
sont plus étendus que ceux des agences, et les téléconseillers sont accessibles
6 jours sur 7.
Ø Le site Internet : c’est le troisième pilier de l’organisation multicanale de
l’EFN. Il préexistait à l’offre de la plate-forme entrante.
Cette organisation a été pensée selon une logique de complémentarité commerciale,
comme nous allons l’expliquer.
II.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de l’EFN : en complément des agences.
Les objectifs poussant l’EFN à baser son organisation distributive sur le multicanal
sont dans l’ensemble identiques à ceux des autres acteurs du secteur : accroître la productivité
en libérant du temps commercial en agence, améliorer la qualité de service externe et la
satisfaction client, etc., auxquels s’ajoute un désir de modernisation de l’image. L’aspect
« libération de temps commercial » était en particulier un des objectifs prioritaires, la banque
ayant évalué le temps quotidien passé par chaque conseiller au téléphone à 1h ou 1h30,
majoritairement pour répondre à des appels à faible, sinon aucune, valeur ajoutée pour l’EFN.
C’est dans cet esprit que fut prise la décision de rerouter (ou dériver) les appels
entrants de la totalité des agences de l’EFN vers six centres d’appels, aux fonctions
identiques, mais géographiquement distincts. Leur déploiement est intervenu entre 2001 et
313 Puisque nous nous focalisons sur la coordination intra-organisationnelle des canaux
Chapitre Sixième – Études de cas
364
2004, ces six plates-formes étant délibérément implantés en France. Au moment de notre
étude, environ 35 à 37% des agences étaient dérivées, et ce mouvement devait s’étaler jusque
2006.
La volonté de disposer d’un outil technologiquement évolutif, d’après le directeur de
l’un des centres d’appels, a abouti au choix technique suivant : il existe une plate-forme
unique, virtuelle, à laquelle sont interconnectés les six centres d’appels physiques.
Concrètement, lorsqu’une personne (client ou non) compose le numéro d’une agence de
l’EFN, elle arrive sur un serveur à reconnaissance vocale, qui va identifier le cas échéant son
agence de rattachement et le segment auquel elle appartient (par la communication vocale du
numéro de compte et du code confidentiel de l’appelant), et la nature de son besoin. A partir
de ces informations, le client peut alors choisir de réaliser son opération seul sur le serveur, ou
voir son appel transféré vers l’un des six centres d’appels, en fonction de leur disponibilité
relative. L’origine géographique de l’appelant n’ayant aucune incidence sur le renvoi de son
appel, un client du nord de la France pouvant donc voir son appel traité par une plate-forme
située dans le sud. A l’arrivée de l’appel sur son poste, le téléconseiller dispose
automatiquement, si tant est que les informations communiquées par le client sont bonnes, du
dossier client qui en facilite l’identification, et lui permet de personnaliser l’appel.
La mission de la plate-forme est double : il s’agit à la fois de répondre aux demandes
de la clientèle, c’est-à-dire schématiquement soit réaliser des opérations simples, soit prendre
des rendez-vous avec le conseiller, de l’agenda duquel disposent les téléconseillers. Mais
aussi de pratiquer ce qu’ils appellent le « rebond commercial ». Les téléconseillers ont donc
une activité de vente, qui va de produits simples comme des cartes, des assurances sur
moyens de paiement, ou des solutions de banque à distance, à des produits plus élaborés,
comme des prêts personnels ou des crédits permanents. Ils ont pour cela à leur disposition les
mêmes outils d’aides à la décision, de scoring, etc., que ceux dont sont dotés les conseillers en
agence. Ainsi, si cela « ça n’enlève en rien que le canal principal est l’agence » (EFN Siège
01), il n’en reste pas moins que la plate-forme « est une entité commerciale, en complément
des agences » (EFN PFE 01). Il s’agit donc, selon les termes du directeur de plate-forme que
nous avons rencontré, « d’une organisation collégiale tournée vers le client, sans aller pour
autant à l’encontre de la même organisation commerciale en agence ».
Les agences, justement, ont vu leurs numéros de téléphone changés au moment de la
dérivation. Outre le numéro qui renvoie sur la plate-forme, elles sont dotées de nouvelles
lignes, qui « ne doivent jamais être communiquées aux clients » (support de présentation en
Chapitre Sixième – Études de cas
365
agence de la dérivation des appels entrants). A cette règle, une exception : les clients classés
« très haut de gamme » et « moyen haut de gamme » se voient communiquer directement le
numéro direct de leur conseiller, en plus de celui de la plate-forme. Les autres clients du
segment haut de gamme ont, pour leur part, uniquement le numéro de la plate-forme, mais
leur conseiller est autorisé à leur communiquer, de manière tout à fait exceptionnelle, sa ligne
directe si le besoin s’en fait impérativement sentir (risque de départ du client, par exemple).
En effet, dans le même temps a été menée une réflexion stratégique globale autour de
la segmentation de la clientèle, qui se traduit par une réorganisation commerciale autour des
clientèles particuliers et professionnels, dans le but de mettre surtout l’accent sur la clientèle
« représentant le plus fort potentiel de développement » (EFN Siège 01), c’est-à-dire cette
clientèle haut de gamme, fortement contributrice au PNB.
« Les opérations courantes, [nous avons voulu] les canaliser sur la plate-forme téléphonique,
de manière à recentrer l’activité vers le segment de clientèle à plus fort potentiel et diminuer
par définition le temps consacré aux segments les moins porteurs », partant du principe que
« le client à fort potentiel mérite, enfin, a une demande qui est parfois plus élaborée, et qui
demandera plus de temps, et qui demande à ce que le rendez-vous soit plus long, alors que
parfois, une petite demande qui peut être traité d’une manière plus rapide et, sous une forme
binaire, peut être traitée par la plate-forme » (EFN Siège 01)
Par conséquent, le développement de la plate-forme téléphonique s’inscrit dans le
cadre d’une stratégie commerciale globale de l’EFN, avec une volonté très nette de recentrage
sur les segments de clientèle à plus fort potentiel / rentabilité.
II.1.3 La répartition du personnel opérationnel
La distinction conseiller / téléconseiller cache des réalités plus subtiles, que nous
illustrons ci dessous (tableau 6-13 et tableau 6-14).
Chapitre Sixième – Études de cas
366
Tableau 6-13 : Les différents postes dans les points de vente de l’EFN.
DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES
Responsable Accueil et Services
Responsable de l’accueil des clients dans l’agence. Il gère les opérations courantes (encaissement, décaissement, virements, etc.), vend des produits simples (cartes, etc.), doit pratiquer le rebond commercial
Conseillers grand public - Conseiller moyenne gamme -
Conseiller patrimonial -
Conseiller privé
Ces quatre catégories de conseillers ont, sur le fond, des fonctions identiques, en ce qu’elles sont chargées d’un portefeuille client (dont la taille décroît avec la montée en gamme). Donc vente de crédits, produits
d’épargne, etc. dont la nature varie selon le segment de clientèle
Directeur d’agence Avec ou sans portefeuille client, il est le supérieur hiérarchique de tous les
conseillers de l’agence, à l’exception des conseillers privés. Il a une fonction d’animation commerciale et de management d’équipe
Nous avons interrogé majoritairement des conseillers grand public et moyenne
gamme, ainsi qu’un conseiller patrimonial, et le directeur de chacune des agences visitées.
En outre, chaque point de vente fait partie d’une unité commerciale de 4 ou 5 agences,
unité à la tête de laquelle se trouve un responsable qui s’occupe de l’animation commerciale,
de la formation, de l’accompagnement du personnel, du respect des règles et procédures, et
des contrôles de risque. Ce responsable a lui aussi systématiquement été interrogé.
Tableau 6-14 : Les différents postes sur les plates-formes entrantes de l’EFN
DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES
Téléconseiller généraliste Réceptionne les appels de la clientèle bas et moyen de gamme
Téléconseiller spécialiste Réceptionne les appels des clients haut de gamme et gestion privée
Superviseur Gère une équipe d’une dizaine de téléconseillers (8 généralistes, 2
spécialistes) - Veille au bon fonctionnement de son équipe, au respect par celle-ci des objectifs quantitatifs et qualitatifs
Télé-assistant Gestion du travail administratif post-appel (ouverture de comptes, envoi de fax aux agences, envoi de documents aux clients, etc.)
Responsable des télé-assistants Gère l’équipe de 8 télé-assistants présents sur la plate-forme
Planificateur Gère les emplois du temps, les congés, répartition des horaires, etc.
Logisticien Gère le matériel et les systèmes informatiques
Formateur Assure la formation des nouveaux arrivants, formation continue, etc.
Responsable de plate-forme
Responsable de l’activité de l’ensemble de la plate-forme physique, manage les équipes, etc.
Chapitre Sixième – Études de cas
367
Les téléconseillers sont, pour un tiers d’entre eux, issus du réseau, la sélection s’étant
faite sur la base du volontariat. Un second tiers provient des services administratifs, et n’avait
donc pas l’expérience de la relation client en agence. Le troisième tiers, enfin, provient
d’embauches extérieures à l’EFN, dans le but de participer au renouvellement progressif de la
pyramide des âges de l’entreprise.
Rappelons que nous avons interviewé deux téléconseillers généralistes, deux
spécialistes, et le responsable de leur plate-forme.
II.1.4 Le contexte du développement du multicanal
Parallèlement à la mise en place du multicanal, l’EFN instaure les changements
suivants :
Ø Changement de l’outil informatique des conseillers des agences, qui
commençait à être déployé durant notre étude..
Ø Révision de l’agencement des points de vente : un nombre croissant
d’agences devient automatisé, afin que le client réalise lui-même ses
opérations courantes, et que le responsable accueil et services soit libéré de
ces tâches pour se concentrer sur la proposition de produits simples, de la
prise de rendez-vous pour les conseillers, et faciliter son activité de phoning.
Ø Remplacement de la logique existante de traitement de flux des demandes de
clients par une logique de régulation de la demande pour que les conseillers
travaillent essentiellement sur des rendez-vous préparés.
Ø Évolution de la stratégie commerciale, qui se concentre sur les clients à plus
forte valeur ajoutée, dont nous avons déjà parlé plus haut.
II.2 L’ANALYSE DES INTERDÉPENDANCES ENTRE LES CANAUX DE
L’EFN
Nous commençons par décrire les outils qui portent les interdépendances (II.2.1), puis
analysons la nature et intensité de celles-ci (II.2.2). Nous terminons par l’étude de leur
génération, en faisant particulièrement ressortir le rôle qu’y joue le client (II.2.3).
Chapitre Sixième – Études de cas
368
II.2.1 Les outils au service des interdépendances
Nous avons identifié comme outils supports des interdépendances entre les canaux de
l’EFN ceux qui suivent :
Ø L’agenda électronique partagé : Il est primordial dans le fonctionnement du
multicanal de l’EFN. Quelle que soit la localisation géographique de la plate-
forme physique, les téléconseillers qui y travaillent peuvent accéder
instantanément à l’agenda de n’importe quel conseiller de clientèle en France
dont l’agence est dérivée sur la plate-forme. Cet agenda utilise des codes
couleurs différenciés, qui permettent aux conseillers de signaler aux
téléconseillers si ils peuvent ou non prendre des rendez-vous.
Ø Le dossier client partagé : Les téléconseillers ont accès à l’ensemble du
dossier du client, lequel, tenu à jour, contient tout ce qu’a noté le conseiller
sur son client, incluant d’éventuels projets futurs. Les téléconseillers peuvent
l’alimenter en fonction de la nature de l’information demandée ou donnée par
le client, et de l’opération qu’ils ont éventuellement réalisée avec lui. Si
l’opération est complexe (vente d’un crédit, par exemple), ou si l’information
le nécessite, le fax est alors privilégié.
Ø Le fax : Un compte rendu de l’entretien est envoyé par fax aux agences en
fonction des informations qui sont communiquées par le client au
téléconseiller. Pour éviter de surcharger les agences de fax, ces comptes-
rendus sont révisés par le superviseur de la plate-forme, et gérés par une
équipe administrative locale de télé-assistants au sein de chaque plate-forme,
qui va s’assurer du lien avec l’agence314.
Ø Le fichier d’information agences : les téléconseillers ont accès à une base
de données qui regroupe toutes les informations sur les agences dérivées sur
la plate-forme (noms des conseillers, numéros de téléphone externes et
internes, horaires, services de libre-service bancaire proposés par l’agence,
etc.). Cette base est localisée dans l’intranet, et est révisée régulièrement par
les agences en cas de besoin, afin que les plates-formes disposent
d’informations à jour.
314 Au moment où nous avons mené notre enquête terrain, l’EFN réfléchissait à la possibilité de mettre en place un système de messagerie interne entre les caisses et les plates-formes pour remplacer le fax.
Chapitre Sixième – Études de cas
369
Ø Le téléphone : son utilisation est réduite au plus strict minimum. Les
téléconseillers n’appellent les agences qu’en cas d’urgence absolue, si par
exemple ils doivent les informer d’un problème exceptionnel à régler avec le
client. Quant aux conseillers, jamais ils n’appellent les plates-formes. Le
transfert d’appels de la plate-forme vers l’agence est pour sa part rendu
techniquement irréalisable.
Ø Les échanges de face-à-face : Quasiment inexistants, ils ne se produisent que
lorsque des conseillers vont sur visiter une plate-forme pour en apprendre le
fonctionnement.
Ø Les documents de communication interne : Peu de documents concernant
la plate-forme semblent être émis. Néanmoins, nous avons pu nous procurer
deux exemplaires d’un journal de communication interne de 6 pages chacun
environ, visant à informer sur le travail réalisé par la plate-forme. Peu de
conseillers y ont fait référence toutefois, ne se souvenant pas avoir vu ce
genre de documents.
II.2.2 Nature et intensité des interdépendances315.
En nous calquant à nouveau sur la littérature, voici les résultats que nous avons obtenu
dans le cas EFN.
II.2.2.a) Le couplage de communauté
Ce type d’interdépendance semble être le plus important. En effet, près de 90% des
opérations réalisées par la plate-forme se font sans avoir besoin de recourir ou de prévenir à
l’agence (document de communication interne). Quant aux agences, leur activité reste très
majoritairement indépendante des plates-formes.
II.2.2.b) Les interdépendances séquentielles
Les interdépendances séquentielles sont moins fréquentes, et initiées des plates-formes
à destination des agences, comme dans le cas de l’envoi d’un fax demandant au conseiller de
rappeler son client, ou l’informant d’un élément dont leur a fait part un client sur sa situation
personnelle.
315 La remarque que nous avons formulée sur le choix du niveau d’analyse pour étudier la nature et l’intensité des interdépendances s’applique ici également. Nous le rappelons simplement, sans reprendre l’argumentaire.
Chapitre Sixième – Études de cas
370
II.2.2.c) Les interdépendances réciproques
Nous n’avons pratiquement pas identifié de situation illustrant une interdépendance
réciproque entre les canaux étudiés. Les conseillers n’ont normalement pas l’autorisation de
contacter directement la plate-forme par eux-mêmes, et doivent passer par la voie
hiérarchique pour faire remonter un problème. Une téléconseillère nous a toutefois confié que,
très occasionnellement, des fax que la plate-forme avait envoyé à une agence leur revenaient,
bardés de points d’interrogation signifiant l’incompréhension de son récepteur.
II.2.3 La génération des interdépendances
Le client joue un rôle important dans la génération des interdépendances entre les
canaux, comme nous nous employons à le montrer. Nous nous intéressons ensuite au rôle de
la nature et de l’historique de l’échange dans cette génération.
II.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances.
II.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes.
Une des raisons de la création de la plate-forme répond, nous l’avons dit, à la volonté
d’améliorer la qualité de service dans les agences, à la fois vis-à-vis des clients qui appelaient,
que de ceux qui s’y déplaçaient pour un rendez-vous. Pour les premiers, les chiffres parlaient
d’eux-mêmes : le taux d’abandons des appelants était de 40% au moment où fut prise la
décision de créer la plate-forme, comme nous le révèle un document interne. Pour les
seconds, la gêne était considérable en rendez-vous, puisque leur conseiller était régulièrement
coupé pour répondre à des appels. Un des responsables d’unité commerciale nous a d’ailleurs
fait part de cette anecdote révélatrice survenue à l’un de ses conseillers : après cinq ou six
interruptions, le client s’est levé, a quitté le bureau, sans que son interlocuteur ne s’en
aperçoive car il était occupé à répondre au téléphone… Et l’appel suivant fut émis par ce
même client, qui jugeait avoir plus de chance d’obtenir ses informations par ce biais qu’au
cours d’un entretien de visu.
En outre, toujours d’après ce document interne, 60% des appels alors émis par les
clients vers leur agence avaient une connotation administrative, donc non commerciale, donc
non génératrice de valeur ajoutée pour l’entreprise (demandes de soldes, commandes de
chéquier, réclamations sur divers mouvements, etc.). Les conséquences négatives de cette
Chapitre Sixième – Études de cas
371
situation étaient donc de trois ordres : économiques ; moindre satisfaction des clients ; stress
et inconfort de travail pour les conseillers.
En d’autres termes, il était devenu impératif pour l’EFN de mettre fin à ces routines
comportementales de la part de ses clients, et seule une solution de rupture telle celle qui a été
retenue semblait possible et porteuse de résultats. Pour cette raison, il est légitime de
considérer que les inputs comportementaux des clients sont à l’origine de la décision de la
plate-forme entrante, sans laquelle ne se poserait pas la question de ces interdépendances.
« C’est des choses qui pourraient être traitées par un autre biais, mais les clients ont pris une
habitude à travailler de cette manière là, c'est à dire pour un solde, par exemple, appeler.
Avoir leur conseiller. Pour une commande de chéquier, appeler. Avoir leur conseiller. En fait,
ce sont des habitudes, il y avait pas ce type de système, de toute manière, donc forcément, ils
utilisaient les moyens qu’ils avaient à leur disposition, mais aujourd'hui, toutes ces petites
choses qui prennent quand même du temps, hein, vous êtes en rendez-vous, puis vous avez 4
ou 5 appels pendant votre entretien, bon, la personne qui est quand même venue vous voir a
pris sur son temps également, et désire que vous en ayez autant pour elle, donc une
implication complète. Quand vous aviez le téléphone qui sonnait 4 ou 5 fois pendant votre
entretien, c’est vrai que c’est difficile quand vous faites une proposition commerciale de
continuer le fil » (EFN PFE 05).
Ensuite, l’étude des préférences des clients et l’anticipation de leur comportement ont
partiellement guidé les choix techniques retenus.
Les préférences des clients, tout d’abord, ont conduit à privilégier un serveur vocal
aux traditionnels services téléphoniques interactifs nécessitant l’appui des touches du clavier.
« On a souhaité éliminer la reconnaissance par touches, qui bien souvent est un des obstacles
en tout cas mis en avant par l’utilisateur, par le consommateur, par le client, à ne pas utiliser
le service » (EFN PFE 01).
Autrement dit, l’EFN a anticipé la capacité de ses clients à participer, pour s’adapter
aux problèmes que les limites de cette capacité risquaient de faire émerger, et a opté en
conséquence pour un serveur vocal.
Chapitre Sixième – Études de cas
372
II.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux
Au-delà du rôle légitime qu’il est possible d’attribuer aux clients dans la création de la
plate-forme entrante, ceux-ci sont aussi à l’initiative des interdépendances quotidiennes entre
les canaux.
Ils agissent en premier lieu sur les couplages de communauté. D’abord, parce que ce
sont leurs appels qui sont à l’origine de l’activité de la plate-forme entrante, et que leur
dérivation sur ladite plate-forme modifie l’activité des agences.
« Quand on avait des appels téléphoniques, c’était sans arrêt, c’est vrai, c’était des
informations un peu banales on va dire, donc c’est vrai que ça nous a déchargés beaucoup au
niveau des appels entrants, ça c’est une révolution, quand même » (EFN WAT 02)
Mais qui dit action sur les couplages de communauté, ne dit pas nécessairement action
dans le sens qu’attend la banque. Nous voulons dire par là que si la banque souhaite voir ses
clients passer par la plate-forme pour leurs opérations à moindre valeur ajoutée, ces derniers
ne répondent pas toujours présents. Ainsi, nous avons mis à jour des stratégies de
contournement de la part de certains clients, qui s’ingénient à trouver des solutions pour ne
pas avoir à appeler la plate-forme, et rétablir un contact direct avec leur conseiller.
Ces stratégies illustrent d’un arbitrage de la part du client entre les inputs de sa
participation propres à chacun de ces modes de contact. Ainsi, dans certains cas (cf. citation
de EFN BET 04), il arbitre entre l’effort que lui demande la plate-forme dans son utilisation
(inputs mentaux), et celui que lui demande le déplacement en agence (inputs physiques). Dans
d’autres (EFN BOUL 01), ce peut être le refus de payer l’appel (inputs financiers) qui peut
être originaire de son comportement. Ces stratégies montrent également le refus des clients de
participer selon les nouvelles règles édictées par la banque, voire parfois leur incapacité à
participer.
« Le client aime pas ça, et il l’utilise plus, ça arrive, où le client a essayé une fois ou deux, la
plupart du temps, et puis c’est tout, il vient plutôt à l’agence » (EFN BET 04).
« Quand ils ne peuvent pas passer par la porte, ils essaient de passer par la fenêtre, par
exemple, de temps en temps, ici, c’est le centre d’affaires professionnel, et donc il y a un
standard dont le numéro figure dans le bottin, à centre d’affaires professionnel, EFN, donc
certaines personnes hésitent à appeler le 0800 et passent par le centre d’affaires
Chapitre Sixième – Études de cas
373
professionnels […] Ce qui fait que là, on leur dit, vous n’êtes pas à l’agence particuliers, je
ne peux pas vous passer votre interlocuteur, il faut appeler le numéro machin, le 800 etc,
donc bon, certains comprennent mal parce que ils se rendent compte que le centre d’affaires
il est dans la même agence » (EFN BOUL 01)
Ce genre de situation est néfaste pour l’EFN, en ce qu’elle induit à un couplage de
communauté dont le calcul économique lui est défavorable. Nous pouvons donc parler dans
ce cas de coût de coordination généré par le refus du client de passer par la plate-forme, et par
les comportements qui vont de pair avec ce refus316.
Les clients agissent aussi sur les interdépendances séquentielles (Tableau 6-15). Nous
ne sommes en revanche pas en mesure de fournir d’exemple d’interdépendance réciproque
dans le cas de l’EFN mettant clairement en évidence le client.
Tableau 6-15 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles dans le cas BCR
INTERDÉPENDANCE VERBATIMS
NATURE DE L’INFLUENCE
DU CLIENT « Quand on effectue une opération importante avec le
client, l’agence est avertie, le conseiller est averti aussitôt par fax ou par téléphone quand c’est
vraiment un cas urgent » (EFN PFE 02)
Inputs mentaux
Volonté
« J’ai déjà eu l’occasion d’avoir des personnes de plate-forme qui m’ont appelée en direct. Sur une
urgence très très ponctuelle. Ou des clients vraiment très, très énervés. Donc là, ils m’appellent tout de
suite, et moi je rappelle après » (EFN BET 04)
Inputs mentaux
Inputs émotionnels
Séquentielle « Vous avez des gens également qui sont pas du tout
satisfaits de ne pas nous avoir en direct. Donc ils essaient, parce que vous avez des filous, moi j’ai un client, c’est un sacré filou, il a dit à la plate-forme,
dites à Mme D. qu’elle m’appelle tout de suite, parce que j’ai gagné au loto […]bon là, ce monsieur était
directeur, il savait pertinemment comment ça se passait, donc il a trouvé le filon, je dirais, entre
guillemets, pour que je l’appelle » (EFN BET 01)
Volonté
Inputs mentaux
Inputs comportementaux
Caractéristiques
individuelles
316 Bien évidemment, tout dépend de la valeur ajoutée que représente le client : avoir un client qui reste fidèle à son agence parce qu’il a trouvé ce substitut peut être préférable. Mais les clients les plus importants disposant de la ligne directe de leur conseiller, il est possible que la perte dudit client soit économiquement plus profitable.
Chapitre Sixième – Études de cas
374
Ainsi, le degré d’acceptation des clients (volonté) joue sur la génération de ces
interdépendances réciproques. De même que la qualité ou la nature de l’information qu’ils
vont transmettre aux téléconseillers (inputs mentaux), ou à la manière dont ils vont se
comporter en les ayant au téléphone (inputs émotionnels et inputs comportementaux). Ils
peuvent également chercher à contourner la plate-forme au moment où ils établissent le
contact avec le téléconseiller (EFN BET 01).
Enfin, certaines des caractéristiques individuelles du client vont également avoir une
influence sur ces interdépendances, comme dans le cas du client qui tente de se faire passer
pour un gagnant au loto : le conseiller qui nous rapporte cette anecdote a pris soin de préciser
que « il était directeur, donc il savait comment ça se passait ». L’utilisation des critères de
segmentation basés sur la profitabilité du client pour décider de lui donner ou non le numéro
de la plate-forme renforce à l’inverse les couplages de communauté, soit dans le sens de la
plate-forme, soit dans le sens des agences. L’âge des clients influence également leur
comportement, accroissant généralement leurs réticences vis-à-vis de la plate-forme, et
pouvant générer plus d’interdépendances séquentielles.
II.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelle.
Les techniques de socialisation organisationnelle utilisées par l’EFN, qui visent à faire
prendre conscience du changement aux clients, à éclaircir les modalités de leur participation, à
leur permettre d’apprendre à utiliser les nouveaux canaux, ou à les inciter à participer, sont
diverses. Nous regroupons celles que nous avons identifiées sous cinq catégories non-
exclusives, présentées dans le tableau 6-16 qui les illustrent par des verbatims.
Chapitre Sixième – Études de cas
375
Tableau 6-16 : Les cinq modes de socialisation organisationnelle identifiés à l’EFN
MODE DE SOCIALISATION VERBATIMS
Littérature organisationnelle /
Affichage
« Un mailing a été envoyé avec une petite carte où on spécifiait le numéro de la plate-forme, donc le numéro est différent par rapport aux agences, donc chaque agence a un numéro bien spécial, et leur code confidentiel.
Donc ça a été fait comme ça, et puis une lettre » (EFN WAT 02) « On a encore toujours des affichages en permanence, il y a eu des affiches qui ont été apposées, et puis il a été distribué au niveau du guichet ce petit
document à chacun des clients, pour leur rappeler le choix fait » (EFN BOUL 02)
Démonstration « Les jeunes ont plus de facilité, il y a certains clients, il a fallu leur montrer
comment utiliser ce service d’accueil, parce que ils n’arrivaient pas à accéder » (EFN BET 01)
Pédagogie par le personnel en
contact
« Il faut que chaque conseiller, et chaque chargé d’accueil, puisse vendre ces différents canaux, puisse expliquer pourquoi ils sont là, leur utilité »
(EFN WAT 01)
Référence au contexte
stratégique
« De toute façon, d’ailleurs, on le dit nous-mêmes, c’est un peu partout comme ça, on est obligé d’avoir ce genre de chose maintenant » (EFN VIL
02)
Coercition « Tout cela nous a en fait amené l’EFN à se dire : stop. On ne peut plus continuer comme ça. Il faut obliger les clients à faire autrement […] de
toute façon, une clientèle, ça s’éduque » (EFN VIL 01)
Concomitamment à la dérivation des appels de leur agence sur la plate-forme, les
clients reçoivent donc, dans les quelques jours qui précèdent, un courrier les informant de ce
changement, de ses raisons, du nouveau numéro à contacter et des missions de la plate-forme.
En même temps que ce courrier, les clients réceptionnent également une petite carte,
au format carte de crédit, qui les informe là encore du numéro de la plate-forme et ses
missions principales, et leur laisse un espace dédié à l’inscription de son mot de passe pour
accéder aux services du centre d’appels.
Quant aux clients des conseillers patrimoniaux et privés, eux-aussi sont informés du
changement de numéro de leur conseiller, dont ils reçoivent la nouvelle ligne directe. Les
techniques de socialisation organisationnelles sont donc variables en fonction du segment de
clientèle, certains faisant l’objet d’une attention particulière.
La démonstration est également utilisée par certains conseillers dont les clients
affichent des capacités limitées à l’utilisation du serveur vocal. Le client vient alors en agence
Chapitre Sixième – Études de cas
376
avec son code personnel, où il effectue la manipulation en compagnie de son conseiller. Cela
permet par ailleurs d’améliorer la clarté de leur participation à l’égard de ce nouveau service.
Par ailleurs, les conseillers sont sollicités par leur direction pour faire montre de
pédagogie vis-à-vis de leurs clients, en leur expliquant les avantages qu’ils peuvent retirer de
ce changement. Le contexte stratégique leur sert également, garantissant un aspect inéluctable
à la décision, et preuve également d’un certain déterminisme sur l’évolution de leur industrie.
Enfin, nous considérons aussi que l’obligation faite aux clients (sauf aux clients des
segments haut de gamme, à nouveau) de passer par la plate-forme, et la non-possibilité de
transfert d’un appel sur une agence sont aussi des techniques de socialisation
organisationnelle, que nous qualifions de coercitives.
II.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange
II.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. Les clients, attachés à la relation qu’ils entretiennent avec leur conseiller, ont d’autant
plus de mal à accepter les transformations induites par l’apparition de la plate-forme. La
nature de cet échange les amène donc soit à avoir une vision négative de la plate-forme, tout
en l’utilisant contraints et forcés, soit à déployer des stratégies de contournement qui
remettent en cause l’efficacité du système.
« Ce que reprochent les clients, c’est de ne plus avoir le contact direct avec le collaborateur.
Se retrouver sur une plate-forme téléphonique, c’est impersonnel, ils nous font le reproche.
Ils ne savent pas où ils aboutissent. C’est sûr qu’ils ont l’information qu’ils souhaitent avoir,
mais ils n’ont pas l’interlocuteur qu’ils auraient souhaité avoir » (EFN BOUL 01)
La nature de cet échange joue d’autant plus que la modulation qu’elle engendre est
d’une certaine manière entérinée par la stratégie de segmentation de l’EFN, les clients les plus
haut de gamme n’étant pas confrontés à ces changements, sinon en sortent avec l’impression
d’être toujours plus privilégiés, ce qui répond à un des objectifs de la banque.
« Quand on travaille avec une clientèle haut de gamme, le fait d’avoir une plate-forme, c’est
très, très mal perçu par les clients, parce qu’ils aiment bien avoir leur conseiller en direct, ils
ont besoin d’avoir une relation privilégiée » (EFN BET 03).
Chapitre Sixième – Études de cas
377
Enfin, il est apparu que justement, cette stratégie de segmentation faisait que certains
clients bas de gamme ne se sentaient plus nécessairement bien accueillis dans leur agence, et
préféraient, aux dires d’une téléconseillère, la réception qu’ils avaient sur la plate-forme. Dans
ce cas, la nature de la relation joue dans le sens d’un renforcement des couplages de
communauté en direction de la plate-forme, et correspond donc au sens souhaité par l’EFN.
« Certains clients bas de gamme ou moyen de gamme, quand ils vont à leur agence, ne sont
pas non plus bien reçus, donc quand ils appellent l’accueil, ils ont l’impression d’être
écoutés, on répond à leurs demandes, donc c’est vrai qu’à la limite, ils sont moins réticents
au service. Les clients un peu plus haut de gamme, ils aiment bien être servis, reconnus […]
je ne suis pas dans l’agence, tout de suite, ils aiment pas trop le concept » (EFN PFE 02)
II.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. La relation s’inscrit dans un historique qui fait que l’employé en contact a une
connaissance plus ou moins fine de son client. L’impact de cet historique sur les
interdépendances n’est pas ressorti de nos entretiens menés en plate-forme, mais en agence
uniquement.
Cet historique leur permet soit de prendre du recul vis-à-vis des réactions de leurs
clients à propos de la plate-forme, soit pose des problèmes du fait de leur implication devenue
trop importante dans cette relation. Ce rôle modulateur de l’historique sur les
interdépendances ne peut facilement être distingué de celui qu’il joue en regard des
mécanismes et processus de coordination : c’est pourquoi nous ne le développons pas plus ici.
II.3 L’ANALYSE DES MÉCANISMES DE COORDINATION.
Commençant par l’identification des mécanismes de coordination et de leur
importance relative (II.3.1), cette sous-section se poursuit par l’étude de l’influence du client
lesdits mécanismes et sur leur utilisation (II.3.2). Nous concluons par l’aspect modérateur de
la nature et de l’influence de l’échange (II.3.3).
Chapitre Sixième – Études de cas
378
II.3.1 L’identification et l’importance relative des
mécanismes.
II.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à l’EFN
Le tableau 6-17 illustre ces différents mécanismes, que nous commentons. Pour
rappel, ces mécanismes sont supportés par les outils que nous avons identifiés plus haut
comme assurant les interdépendances entre les canaux.
Tableau 6-17 : Les mécanismes de coordination de l’EFN.
MÉCANISME DE COORDINATION VERBATIM COMMENTAIRE
Ajustement mutuel
« Il m’arrive de contacter le responsable de la plate-forme, de manière informelle, avec comme
objectif de faire avancer les choses, de faire évoluer les mentalités, de se caler sur les attentes des uns et des autres, d’évacuer les freins réseau, les freins
plate-forme » (EFN WAT 01)
L’ajustement mutuel est très rare, et n’est pas facilité en raison du
manque d’information disponible. Il s’effectue le plus souvent à des
niveaux hiérarchiques supérieurs
Communication interne
« On a mis en place une communication interne avant, en
amont, [qui] doit continuer encore de s'amplifier au fur et à mesure de la
dérivation de ces agences nouvellement rattachées aux plates-
formes » (EFN PFE 01)
Surtout abondante dans les semaines qui précèdent la mise en
place de la plate-forme, elle semble quasiment inexistante ensuite, la majorité des conseillers déclarant n’avoir aucune information de la
plate-forme
Relations latérales « On a eu l’occasion d’aller rendre visite à la plate-forme pour voir un petit peu comment ça se passait »
(EFN WAT 02)
Ces relations latérales existent prioritairement par les visites des conseillers sur les plates-formes,
dans un cadre très normé. Le groupe de travail semble avoir une existence plus théorique que réelle au niveau local, peu le connaissant,
même au siège régional
Standardisation des procédés
« Certains ne connaissent toujours pas le timing de prise de rendez-vous entre le client qui vient faire un changement d’adresse, et un client qui vient faire un prêt immobilier » (EFN BET 04)
« Chez nous, c'est le mot homogénéisation qui prime. De pratiques, de comportements, de procédures, d'utilisation. Et de discours client » (EFN PFE 01)
Les procédures, qui sont fortement ancrées dans les outils décrits
précédemment, sont très détaillées pour chaque canal, et ne sont pas
diffusées entre les canaux
Chapitre Sixième – Études de cas
379
Standardisation des résultats
« C’est par point que ça fonctionne, faut qu’on ait notre quota par jour, ça fonctionne par trimestre […] chaque produit a un nombre de points qui lui
est rattaché, donc suivant l’importance du produit, ce que ça rapporte à
l’EFN, et on a un pourcentage global à faire par trimestre » (EFN PFE 02)
Cette standardisation s’exprime à la fois en termes d’objectifs
commerciaux quantifiés pour chacun des canaux, mais aussi en termes qualitatifs (e.g. rapidité de décroché pour un téléconseiller ; conservation du produit pour un
conseiller).
Supervision directe
« Régulièrement, je fais remonter, via le responsable de l’unité commerciale, et via le développement commercial, je fais remonter ce type d’information »
(EFN BOULO 02)
Les lignes hiérarchiques sont très marquées, et l’information transite
presque exclusivement entre les canaux par les supérieurs
Transfert de personnel
« Dans la population du personnel présent, il y a 1/3 d’embauches, 1/3 de
personnes qui viennent de centres administratifs, unités d’appui
commerciales, et 1/3 qui viennent du réseau » (EFN Siège 01)
Très peu utilisé (1/3 du personnel de la plate-forme est issu du
réseau), les conseillers interrogés y font peu référence. Surtout utilisé au niveau des responsables et des
superviseurs de plate-forme. Commence à devenir bilatéral
A ce tableau, nous jugeons indispensable l’ajout de deux remarques. La première porte
sur la standardisation des compétences, que nous n’avons pas indiqué parmi les mécanismes
de coordination, ce qui aura peut être surpris le lecteur. En fait, nous aurions pu l’inclure,
mais il nous a paru que nos données ne rentraient pas véritablement dans ce que la littérature
met sous cette appellation. En effet, la stratégie commerciale de l’EFN implique que
conseillers et téléconseillers sont supposés être capables de réaliser exactement les mêmes
opérations, la limite ne résidant pas dans des différentiels de compétences, mais à des
contraintes à la fois juridiques et techniques (dixit le responsable de la plate-forme). Par
conséquent, il nous a paru difficile d’indiquer cette standardisation des compétences en tant
que mécanisme de coordination entre les canaux. Pourtant, les conseillers perçoivent, eux, une
différence entre les postes… Différence que les téléconseillers ne perçoivent pas.
« On fait deux métiers différents. Pour moi, leur premier métier, c’est d’accueillir le client, et
de le renseigner pour, entre guillemets, des choses simples. Pour un prêt immobilier, ils ne
peuvent pas, si, donner des renseignements très succincts, genre documents qu’il faut, etc, ou
comment ça se passe pour un client qui ne sait pas du tout comment ça se passe, mais ils ne
peuvent pas eux faire un prêt immobilier, il faut un certain temps, il faut une certaine
formation, je ne sais pas si ils ont cette formation » (EFN BET 01).
« On est conseiller au même titre que leur conseiller en agence, on peut faire les mêmes
opérations, on est habilité à faire les mêmes choses, sauf certaines choses, bien sûr, par
Chapitre Sixième – Études de cas
380
exemple quand il y a des justificatifs à fournir au conseiller, et que nous on n’a pas au
téléphone, donc on peut pas faire la modification » (EFN PFE 03)
« En fait, c’est pas des opérations qu’on peut faire et des opérations qu’on peut pas faire,
c’est il y a des opérations qu’on peut mener à leur terme, et il y a des opérations qu’on ne
peut pas. Parce que les procédures ne nous y autorisent pas » (EFN PFE 05)
Cette différence peut selon nous s’expliquer par la nature de l’échange que ces deux
catégories d’employés en contact entretiennent avec le client. D’un côté, la pseudo-relation,
sur la plate-forme, privilégie nettement un échange technique ancré dans des procédures
strictes. De l’ordre, même si les procédures sont également strictes pour le conseiller, le fait
qu’il entretienne une vraie relation avec son client l’amène à percevoir cette différence, que
mettent beaucoup moins en avant les téléconseillers. Ces derniers sont certes conscients de
cette différence, mais considèrent être sur un pied d’égalité avec les conseillers au plan
purement technique. La stratégie de l’EFN, sur les segments bas et moyen de gamme (et non
sur les segments haut de gamme, bien sûr), tend à valider leur interprétation.
Une dernière précision à ce sujet : nous ne disons pas que la standardisation des
compétences n’est pas utilisée par l’EFN. Nous disons juste, en l’argumentant, qu’elle ne
nous paraît pas être un mécanisme de coordination au niveau du réseau de distribution
multicanal. A contrario, il est clair que ce mécanisme est utilisé au sein de chacun des canaux
que nous avons étudié, comme le prouve l’existence de différentes catégories de conseillers et
téléconseillers.
Notre deuxième remarque touche aux relations latérales. Le responsable de la plate-
forme nous a parlé d’un groupe de travail transversal à la plate-forme et aux agences, qui était
en fait une équipe projet chargée d’en assurer la mise en place. Il nous a par ailleurs glissé que
ce groupe était devenu « une équipe d’accompagnement sur un fonctionnement qui existe ».
Or, aucun de nos autres interlocuteurs, que ce soit en agence ou au siège social, n’a été en
mesure de nous confirmer l’existence de groupe, dont ils n’avaient apparemment jamais
entendu parler. Ils savaient qu’une structure ad hoc avait géré ce développement, mais ne
disposaient pas d’information complémentaire. Un approfondissement nous a permis de
comprendre que ce groupe était une entité nationale, centralisée, mais sur la fréquence de
réunion duquel nous n’avons pu avoir d’éclaircissement.
Il semblerait plutôt que ces relations latérales ne soient pas assez nombreuses, ce que
déplorent d’ailleurs de nombreux interviewés, qui se plaignent de ne pas savoir suffisamment
Chapitre Sixième – Études de cas
381
ce que font leurs collègues des autres canaux. Quant à l’association des agences à la démarche
de dérivation, elle semble arriver tardivement.
« L'importance du projet, la relative complexité technique d'une part, d'autre part, l'absence
de faits concrets dans le quotidien des acteurs était entre autres une des raisons pour
lesquelles on n’a peut-être pas souhaité les associer trop dans le détail, en tout cas avant le
démarrage du projet. Alors, ils y étaient associés, et c'est toujours le cas, au fur et à mesure
des dérivations d'agences, puisqu'il y a quand même toute une phase préparatoire au
basculement de la dérivation » (EFN PFE 01).
Nous reviendrons sur cela lorsque nous aborderons les liens entre les mécanismes et le
processus de coordination.
II.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux.
N’ayant pas d’outil permettant d’évaluer cette importance relative des mécanismes les
uns par rapport aux autres, nous estimons que deux d’entre eux ressortent particulièrement
dans ce cas EFN : la standardisation des procédés et des résultats, la coordination procédurale
étant certainement la plus importante.
Quant à celle par la standardisation des résultats, elle revient très fréquemment dans
nos entretiens, et semble à l’origine de problèmes de coordination. En effet, ce mécanisme
comporte deux types d’indicateurs : qualitatifs et quantitatifs. C’est la seconde qui pose
problème, puisque basée sur les résultats commerciaux, donc les ventes réalisées par les
canaux.
Il faut savoir que les conseillers de l’EFN ont une part variable de leur rémunération
dépendante de l’atteinte de leurs objectifs, mais aussi de rétrocessions sur les produits vendus.
Or, toute vente faite par la plate-forme à un client vient alimenter le nombre de ventes du
conseiller dont dépend le client, mais la rétrocession revient dans ce cas au téléconseiller, et
non plus au conseiller. En outre, chaque produit sur la plate-forme se voit affecté un certain
nombre de points, chaque téléconseiller devant atteindre un certain nombre tous les trimestres.
Et plus le produit est élaboré, plus le nombre de points rapportés est élevé. Ce qui incite
naturellement les téléconseillers à les privilégier dans leur démarche de « rebond
commercial ». Ce n’est pas du goût des conseillers, dont certains s’interrogent sur la mission
première de la plate-forme. Et ce d’autant plus que le message selon lequel les téléconseillers
Chapitre Sixième – Études de cas
382
auraient une activité commerciale n’était pas bien passée dans le réseau317, ce qui donne à
certains conseillers l’impression que la plate-forme avance à pas feutrés vers une
cannibalisation relative de leur activité. Cette impression peut être renforcée par le fait que le
responsable de la plate-forme se refuse à parler d’objectifs en ce qui concerne ses
téléconseillers, mais de points, qui fonctionnent selon le principe expliqué ci-dessus.
« Même si il y a pas d’objectifs, c’est déguisé. Vous avez des challenges avec les classements
qui sont affichés toutes les semaines, vous avez donc une partie variable, vous devez faire tant
d’objectifs, enfin, tant de ventes, tant de points, puisque c’est quantifié en points, pour arriver
à ça, vous devez prendre tant d’appels, etc., donc il y a pas d’objectifs définis, mais ils sont
là, il faut pas se leurrer » (EFN PFE 04).
« On se rend compte quand même que ces services d’accueil on les booste quand même
également pour faire beaucoup d’affaires. Ils ont également des objectifs […] Et à la base, on
nous l’a pas dit, […] on ne nous a jamais dit que nos collaborateurs auraient des objectifs »
(EFN BET 01)
Nous approfondirons les conséquences de cette situation lorsque nous traiterons des
liens entre mécanismes et processus de coordination (cf. p 401).
II.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de
coordination
L’influence du client sur les mécanismes se fait en deux temps : une phase
d’anticipation des réactions, suivie d’une phase d’adaptation.
II.3.2.a) L’anticipation des réactions du client.
II.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble
Lorsque nous avons traité des interdépendances, nous avons montré dans quelle
mesure les client avaient eu un impact sur leur génération. Leurs réactions furent également
anticipées, comme nous l’avons alors fait remarquer en expliquant les raisons du choix d’un
serveur vocal par opposition à un serveur à touches, afin de faciliter la capacité du client à
accéder au service. 317 Cela est démenti toutefois par des responsables d’unité commerciale. Nous avons également consulté un document de communication interne remontant à 2003 qui fait état des opérations commerciales que sont habilités à réaliser les téléconseillers, et qui a fait l’objet d’une diffusion en agences.
Chapitre Sixième – Études de cas
383
Leur comportement potentiel fut également intégré dans la réflexion autour des
nouveaux numéros attribués aux agences. Tous furent changés, pour éviter que les clients
n’appellent sur les anciens numéros. Ce risque était patent, comme nous l’avons montré en
mettant en lumière les stratégies de contournement de certains clients. Tous, y compris ceux
des conseillers patrimoniaux ou privés, bien que non concernés, pour éviter le risque que les
clients ne retrouvent les nouveaux numéros, faisant ainsi achopper l’opération.
« Tous les numéros étaient dénumérotés. Pour éviter d’avoir des clients qui appellent sur les
anciens numéros, et qui fassent la liste [pour tomber] sur le numéro de la personne qui
pouvait éventuellement répondre » (EFN Siège 01).
De surcroît, les procédures ont dès le départ prévu que, en cas de réactions trop
virulente de la part du client (inputs émotionnels), le téléconseiller avait la possibilité de
joindre le conseiller en double appel, pour lui demander de rappeler son client
immédiatement, le choix technique de l’EFN interdisant, rappelons le, le transfert d’appels de
la plate-forme vers l’agence.
Enfin, la nature du segment auquel appartient le client (donc ses caractéristiques
individuelles) fut également un facteur important de prédétermination des procédés, puisque
en fonction de ce segment, le client est ou non renvoyé sur la plate-forme ou sur le poste de
son conseiller.
II.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. Cette anticipation n’existe qu’au niveau des conseillers, les téléconseillers ne pouvant
bien sûr être concernés, puisque pas encore en place. Bien qu’intéressés par le confort de
travail que leur laissait présager la plate-forme, tous étant « pollués » en agence par les appels
téléphoniques, ils n’en craignaient pas moins les réactions de leurs clients en regard de ce
changement. De même, certains conseillers redoutaient de perdre une partie de cette relation
privilégiée avec leurs clients, lesquels, au détour d’une conversation ou d’un appel
initialement non productif, leur livraient des informations qu’ils réutilisaient un peu plus tard
à but commercial.
« D’un point de vue commercial notamment par rapport aux bons clients, c’était le souci du
fait qu’ils allaient être plus difficiles à joindre […] quelle allait être la réaction des clients
quand ils allaient avoir affaire à une plate-forme et non plus à leur agence préférée. C’est un
petit peu ce souci là sur lequel il a fallu les rassurer » (EFN BET 05)
Chapitre Sixième – Études de cas
384
La différenciation annoncée du traitement réservé aux segments haut de gamme
résolvait en partie ce problème, puisque ceux-ci avaient la ligne directe de leur conseiller,
mais restait limitée à un nombre somme toute restreint de clients. Pour le reste, les conseillers
durent user de pédagogie en amont, en expliquant à l’avance à leurs clients ce qui allait se
passer, pour quelles raisons ce dispositif était mis en place, et les avantages qu’ils en
retireraient.
II.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients.
II.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble
Les dysfonctionnements inhérents à un changement de cette ampleur font
normalement l’objet d’une remontée d’informations entre les canaux, suivant la voie
hiérarchique : le conseiller informe son directeur d’agence, lequel peut soit traiter le problème
en appelant directement la plate-forme concernée, ou le faire remonter auprès de son
responsable d’unité commerciale, qui se chargera lui-même de la transmission avec la plate-
forme. Si le problème est identifié par la plate-forme, le téléconseiller est alors supposé en
aviser son superviseur.
« On fait la réclamation, et puis après, c’est au sup de voir, de transmettre... Voilà. C’est ça.
Nous, notre travail s’arrête à remplir la feuille de déclaration, et puis ensuite on transmet,
c’est tout » (EFN PFE 02).
Comme nous l’avons déjà rapporté, il ne semble pas y avoir de groupe de travail, ni
même de réunions entre différents membres des canaux pour faire un point régulier sur ces
dysfonctionnements, et procéder à des améliorations ou à des rappels de procédures. Ces
enrichissements se font à la marge, ponctuellement, et de manière décentralisée.
II.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. Parmi les problèmes rencontrés, nombreux sont ceux qui touchent aux rendez-vous
pris sur les agendas par les téléconseillers : la durée est parfois non conformes à la nature de
la demande du client ; les précisions indiquées par les conseillers ne sont pas suivies ; ou les
clients ne sont pas affectés au conseiller adéquat. Ces situations à problème semblent le plus
souvent trouver leur origine dans la pression exercée par le client pour obtenir un rendez-vous
dans les conditions qui lui conviennent (inputs comportementaux).
Chapitre Sixième – Études de cas
385
« Bien souvent, la plate-forme […] trouve le directeur d’agence pour assumer le rendez-vous
qui ne peut être affecté à tel ou tel collaborateur, parce que le client veut tel jour à telle heure
et que le collaborateur est déjà occupé, ou que le collaborateur est en congé, ou autre. Et
donc, la plate-forme me remet le client, pour être sûr qu’il ait un rendez-vous à l’heure qu’il
voulait, le jour qu’il voulait » (EFN BOUL 02).
En outre, nous avons appris par le responsable du centre d’appels que les
téléconseillers ne peuvent mettre fin à l’appel, tâche qui incombe au client. Il est donc
possible, même si nos données ne nous permettent pas de l’affirmer, que cette situation puisse
occasionnellement renforcer l’influence que le client a sur le téléconseiller.
La pression des clients réticents à l’utilisation de la plate-forme pousse aussi certains
conseillers à assouplir ponctuellement les procédés qu’ils sont supposés respecter, mettant en
place des stratégies de contournement. Celles-ci sont toutefois particulièrement rares, et ne
sont revenues qu’à trois reprises chez les interviewés.
« Il y a eu quand même quelques tensions, il y a pu y avoir des dérapages sur certains
conseillers qui ont quand même communiqué leur ligne » (EFN WAT 01)
« Au niveau des fax, oui, moi j’informe les clients que j’ai un fax, oui » (EFN WAT 02)
« Malgré tout, de temps en temps, on communique notre numéro de téléphone, quand on a un
dossier en cours avec un client, c’est vrai qu’après finalement, il garde le numéro, il nous
rappelle, mais bon, ça n’a rien à voir par rapport à avant » (EFN VIL 02).
Leurs possibilités de contournement sont toutefois plus que restreintes : la
communication des numéros directs fait l’objet d’un strict encadrement, et les agences ne
disposent pas d’un accès à Internet, donc les conseillers n’ont pas de messageries
professionnelles qu’ils peuvent communiquer à leurs clients.
II.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de
l’échange.
II.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur
Seuls les conseillers font apparemment preuve de déviances par rapport aux procédés,
comportement qui, comme le montrent les résultats précédents, découle directement de la
Chapitre Sixième – Études de cas
386
préexistence de la relation à la plate-forme. La nature de l’échange, i.e. une relation dans ce
cas, a tendance à amplifier la portée de l’influence du client sur le conseiller. Néanmoins, il
n’y a pas de déterminisme net, car d’autres facteurs rentrent en jeu, comme la structure de
contrôle au sein de l’entreprise (vérification de ce que le personnel des agences ne donne pas
le numéro de la ligne directe) et, directement lié à l’échange, l’historique de celui-ci.
II.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur.
L’ancrage de l’échange dans la durée semble jouer, même si son apparition est rare
dans nos entretiens.
« Les collaborateurs sont relativement anciens dans leur poste, puisque la plupart d’entre eux
ont dix ans de fonction avec la même clientèle, donc les relations sont devenues tellement
fines, tellement amicales, que ça crée un problème supplémentaire. D’où, malheureusement,
le défaut de certains de communiquer le nouveau numéro de téléphone, afin que les clients
puissent les avoir en direct » (EFN BOUL 02).
En outre, cette connaissance qu’ont les conseillers des clients a conduit la direction de
l’EFN à ne pas autoriser les téléconseillers à réaliser certaines opérations, non parce qu’ils
n’en ont pas les compétences, mais parce qu’ils n’ont pas le même niveau de connaissance de
la clientèle (contrainte de gestion du risque, qu’une meilleure connaissance du client est
supposée faciliter).
« On connaît pas le client, donc c’est vrai qu’on peut pas, même en ayant un historique, on le
connaît pas. Donc on sait pas, on connaît pas, on sait ce qu’il fait, on sait sa profession, mais
on connaît pas ses habitudes, etc, suffisamment pour pouvoir décider d’une opération. Donc
c’est le conseiller qui gère » (EFN PFE 02).
II.4 L’ANALYSE DU PROCESSUS DE COORDINATION.
Nous commençons par l’analyse de l’influence du client sur le processus de
coordination (II.4.1), pour nous atteler ensuite à la modulation de la nature et de l’historique
de l’échange (II.4.2).
Chapitre Sixième – Études de cas
387
II.4.1 L’influence du client sur le processus de
coordination.
Comme dans le cas BCR, nous nous focalisons premièrement sur la dimension
communicationnelle, puis sur la dimension relationnelle, avant de nous intéresser aux liens
entre les dimensions et composantes de ce processus.
II.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus.
Même si la communication entre les canaux est presque totalement bornée par les
procédures, il n’empêche que le client, en tant que générateur des interdépendances, a un
impact, assez inégal il est vrai, sur certaines des composantes de ces dimensions.
II.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes.
Nous avons été confronté au même problème d’opérationnalisation de cette dimension
que dans le cas BCR, et sa proximité avec la précision de la communication fait que nous
n’avons pas pu identifier de liens entre cette dimension et la participation client.
II.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication
La fréquence de la communication dépend des procédures que sont contraints de
respecter les téléconseillers, puisque cette communication est essentiellement unilatérale, des
plates-formes vers les agences. Mais le client étant à l’origine des interdépendances entre les
canaux, cela nous permet de dire que l’activation de ces procédés dépend de sa participation,
et plus précisément, de ses inputs émotionnels, comportementaux, et mentaux, ainsi que de sa
volonté à participer. Ce dont fournit une représentation la figure 6-12, illustrée par le tableau
6-18.
Chapitre Sixième – Études de cas
388
Figure 6-12 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN
En fonction de la présence ou de l’absence de ces inputs, ou de ce déterminant, la
fréquence de la communication sera plus ou moins élevée. Ainsi, l’énervement d’un client au
téléphone provoquera l’envoi d’un fax, voire un double appel pour demander au conseiller de
recontacter ce client immédiatement.
Tableau 6-18 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs comportementaux
« Ou alors, ils nous appellent. Des fois, ils nous appellent en direct. Un client, très, très urgent, des fois, il faut absolument l’appeler » (EFN VIL 01)
Inputs mentaux « En fonction de la nature de l’information que le client va nous laisser, en fait, on va prévenir l’agence ou pas » (EFN PFE 05)
Inputs émotionnels
« Un client qui fait une réclamation... Alors, ça aussi, client mécontent, pouvez-vous le rappeler... » (EFN VIL 02)
Volonté « Quand le client ne souhaite vraiment pas voir avec nous, dans ce cas là, on laisse le message » (EFN PFE 02)
II.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication.
Nos données ne laissent pas transparaître d’influence du client sur l’opportunité de la
communication. En revanche, la nature de l’outil qui porte cette communication fait qu’elle
est parfois peu opportune, et peut arriver tardivement aux conseillers.
INPUTS
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
389
« Régulièrement, j’ai les fax plus tard, le lendemain ou le soir, pour me dire que le rendez-
vous de telle heure est reporté ou annulé, ça c’est très gênant » (EFN BET 03)
II.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication.
Le client exerce naturellement une certaine emprise sur la précision de la
communication, puisque étant à l’origine de l’information qui va engendrer ladite
communication. Par conséquent, la présence des inputs mentaux et de sa volonté comme
facteurs de sa participation agissant sur la communication ne constituent pas une surprise
(Tableau 6-19 et Figure 6-13)
Figure 6-13 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN
Tableau 6-19 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs mentaux « C’est souvent trop court par rapport à l’objet demandé. Alors après,
est-ce que le client a bien tout expliqué, enfin, là, c’était vraiment un prêt immobilier, c’était sûr » (EFN VIL 02)
Volonté
« On essayait de leur faire comprendre qu’on était là pour les renseigner, maintenant, si il y avait rien à faire, on prenait le message, quand même, et puis on transmettait au conseiller. Sachant que le conseiller n’avait pas
grand chose dans ces cas là : merci de rappeler le client, n’a pas voulu communiquer l’objet, c’est tout, ça s’arrêtait là » (EFN PFE 02)
INPUT
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
390
II.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus.
Si l’on se base sur les occurrences des dimensions, les composantes de la dimension
relationnelle semblent dépendre beaucoup plus de la participation que celles de la dimension
communicationnelle.
II.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée
Le partage d’information et de connaissance est très faible entre les canaux, de l’aveu
même du personnel opérationnel que nous avons rencontré. Quasiment tous nos interviewés,
qu’ils soient conseillers, téléconseillers, directeurs d’agence ou responsables d’unité
commerciale regrettent en effet un manque d’informations sur le fonctionnement et l’activité
de leurs collègues qui travaillent sur l’autre canal. Ils s’accordent pourtant sur ce que cela
contribuerait indéniablement à harmoniser le fonctionnement de l’ensemble.
« Pour certains, ils se demandent si ils sont dans la même entreprise, ils découvrent » (EFN
PFE 01)
« Il y a des moments, on sait pas trop comment de leur côté, ils géreraient le dossier, donc on
a tendance à envoyer le message, ou à diriger le client de telle façon parce que on sait pas
trop comment ils fonctionnent, alors que bon, si on savait un petit peu le mode de
fonctionnement, ça serait peut être un peu plus simple » (EFN PFE 02)
« On n’a pas beaucoup d’informations sur ce qu’ils sont capables de faire. On nous en donne
pas » (EFN BET 01)
Nous avons aussi noté un déficit de partage d’information entre les personnes
travaillant à la direction régionale des professionnels et particuliers, et ceux travaillant sur la
plate-forme locale, les premières pensant que la plate-forme ne vendait que des produits
« basiques », comme des assurances sur moyens de paiement, des accès aux canaux de
banque à distance, etc., alors que les téléconseillers commercialisent également des crédits.
La mise à jour des connaissances partagées est aussi problématique, comme nous le
verrons ultérieurement.
Ce défaut d’un socle commun de connaissance partagée suffisant émanant de
l’entreprise fait que le client peut lui-même contribuer à générer de cette connaissance. Le
souci étant que dans ce cas, ce mécanisme générateur échappe à l’entreprise, et est susceptible
Chapitre Sixième – Études de cas
391
d’avoir des conséquences négatives, car donne aux employés le sentiment que leur entreprise
leur cache des choses. C’est le cas par exemple lorsqu’ils se déplacent en agence au lieu de
renvoyer des documents sur la plate-forme (inputs comportementaux), ou alors lorsque la
plate-forme les envoie sur l’agence pour signer une demande de prêt faite par téléphone.
« J'ai même été surprise parce qu'il m’est arrivé de recevoir des demandes de prêt personnel
faites par les plates-formes téléphoniques » (EFN VIL 02)
II.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle Le thème de l’indulgence mutuelle ressort très peu de nos entretiens, et ne met à aucun
moment le client en avant comme l’influençant positivement ou négativement. A l’inverse,
l’organisation et la stratégie de la banque jouent un rôle fort dans l’indulgence dont les
conseillers font montre à l’égard de la plate-forme. En d’autres termes, aux yeux de certains
conseillers, les erreurs de leurs collègues des plates-formes sont moins de leur fait, que des
choix organisationnels et / ou stratégiques de l’EFN.
Quant aux téléconseillers, ils ressentent que leur image n’est pas idéale auprès de
toutes les agences, loin s’en faut… De leur côté, la plate-forme ne blâme jamais les
conseillers pour les erreurs qu’ils pourraient commettre, notamment dans le remplissage des
agendas. Ils renvoient aussi généralement la responsabilité des problèmes qui surviennent à la
manière dont les choses ont été présentées aux conseillers, les déchargeant d’une partie de
leur responsabilité.
« Vous savez, c’est normal, il faut toujours un petit temps d’adaptation […] Et puis il faut
voir aussi comment ça leur a été présenté, c’était peut être pas toujours approprié…
Maintenant, on n’a pas vraiment beaucoup de soucis avec eux, et quand ça arrive, ce n’est
pas grand-chose, c’est vite réglé » (EFN PFE 04)
II.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés La stratégie de l’ENF est de faire de la plate-forme un réel outil de développement
commercial. Cela pose donc des problèmes quant à la perception d’un réel partage d’objectifs
vis-à-vis des agences, objectifs que nous pouvons classer en trois catégories :
Ø Des objectifs économiques : Il s’agit d’améliorer la productivité sur chaque
canal tout en limitant les coûts de distribution des produits et services.
Ø Des objectifs commerciaux : Ces objectifs commerciaux répondent à la
volonté de l’EFN d’accroître son chiffre d’affaires, de deux manières. Tout
Chapitre Sixième – Études de cas
392
d’abord, par une augmentation des ventes en agences, grâce à une libération
de temps commercial et à une démarche pro-active de la part des conseillers,
qui doivent mettre à profit une partie du temps libéré sur les appels entrants
pour le transformer en appels sortants à destination de leur clientèle. Puis, par
les rebonds commerciaux des téléconseillers, qui se voient fixer des objectifs
(même si le terme n’est pas expressément employé) trimestriels de vente.
Ø Un objectif qualitatif de satisfaction du client : L’ensemble du nouveau
dispositif est supposé améliorer la qualité de service apportée au client,
objectif qui semble atteint, puisque les chiffres de satisfaction de la clientèle
tant vis-à-vis de leur établissement bancaire, que de la plate-forme, sont en
hausse constante.
Le problème majeur se pose naturellement sur la seconde catégorie d’objectifs. Le fait
que les téléconseillers ait une activité de vente accroît le sentiment de pression commerciale
sur les conseillers, et leur donne le sentiment d’être dépossédés d’une partie de leur métier.
« Donc certaines agences réagissent bien, au contraire, et d’autres un peu moins bien, ne
nous prenant pas pour des collègues, mais plutôt comme, enfin, des voleurs entre guillemets
de ventes, quoi (rires gênés) » (EFN PFE 02)
De surcroît, la rémunération des conseillers de l’EFN est partiellement indexée sur
leurs objectifs commerciaux, de deux manières : une partie est liée à la vente du produit, sur
laquelle ils touchent une commission (rétrocession), et une autre, à l’atteinte de leurs
objectifs. Or, la règle concernant les ventes de la plate-forme est la suivante : toute vente faite
par un téléconseiller à un client alimente les objectifs réalisés par le conseiller de ce client,
mais la rétrocession revient au téléconseiller. Les conseillers se sentent donc également
dépouillés d’une partie de leur rémunération.
« Le fait qu’il y ait un intermédiaire, donc la plate-forme, qui filtre, et qui peut éventuellement
proposer des produits, des ventes, ça gêne certains conseillers. Parce que ils ont l’impression
qu’on leur retire un peu le pain de la bouche » (EFN BOUL 01).
Ajoutons toutefois que les règles de la plate-forme sont claires en ce qui concerne le
rebond commercial : certains produits peuvent être vendus indépendamment de l’agence, qui
est simplement prévenue par fax ; d’autres peuvent l’être, mais avec retour des documents et
vérification des signatures en agence ; d’autres, enfin, son proposés par le téléconseiller, mais
Chapitre Sixième – Études de cas
393
pour prise d’un rendez-vous en agence ensuite. Pour être tout à fait complet, précisons que la
plate-forme n’a pas le droit de faire de rebond commercial entre 10h et 12h30, période
pendant laquelle les appels sont les plus nombreux, et qui nécessite un traitement rapide des
demandes, incompatible avec la vente de produits. Le but est naturellement d’éviter de
diminuer la qualité de service offerte au client.
Dans ce dispositif, nous pourrions croire que l’influence du client sur la perception
d’une communauté d’objectifs est très faible, tant l’emprise de la stratégie et de la structure
(les procédés de travail selon lesquels les téléconseillers doivent avoir cette activité de vente)
semble forte. Toutefois, renversons la logique pour partir du client : si ce dernier n’accepte
pas d’acheter des produits ou services bancaires par téléphone, le problème disparaît.
Autrement dit, l’acceptation du client de participer au service de cette manière (i.e. sa volonté)
peut être considéré comme l’élément déclencheur de ce sentiment de conflit et d’injustice que
semblent ressentir un grand nombre de conseillers.
II.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle
Nous avons détecté un désir de reconnaissance de leur travail très fort de la part des
téléconseillers, qui ont le sentiment de ne pas être légitimes aux yeux du réseau (ou plus
exactement, aux yeux de ceux du réseau qui ne connaissent pas leur activité). Ce sentiment
s’est forgé à partir de contacts informels et sur la réaction de certains conseillers qui viennent
visiter la plate-forme.
« Je sais que si je pars en réseau par la suite, et que je viens de l’accueil téléphonique, je vais
devoir me justifier sur le travail que j’ai fait avant, parce que c’est pas, ça vient pas comme
ça » (EFN PFE 03)
« On apporte certaines choses, je pense, c’est pas toujours forcément, pas forcément, pas
interprété, mais l’idée qu’on s’en fait n’est pas forcément la bonne non plus, mais je pense
qu’on apporte beaucoup » (EFN PFE 05)
Cela est accru par la frustration qu’ils expriment de ne pas avoir de suivi, ou de
retours, de la part des conseillers à la suite du traitement de certains dossiers dont ils ont eu la
charge.
Chapitre Sixième – Études de cas
394
« Il y a très peu de choses qui remontent […] Par exemple, on prend rendez-vous pour un
client qui vient, je sais pas, d’avoir un héritage, qui a une grosse rentrée d’argent, on prend
rendez-vous pour des placements, c’est vrai que ça serait intéressant, même si nous on peut
déjà dégrossir avec le client, l’orienter un petit peu sur certains types de placements, c’est
vrai que ça serait intéressant d’avoir un retour. Tout simplement. Savoir ce qui a été fait,
dans quelles conditions, etc., ça serait intéressant. C’est vrai qu’on l’a pas. Alors qu’ils
peuvent le faire. Techniquement parlant » (EFN PFE 04).
En ce qui concerne les conseillers d’agence, ils expriment ou non leur reconnaissance
vis-à-vis de leurs collègues des plates-formes en fonction de plusieurs éléments :
Ø Le confort de travail : Comparant leurs conditions de travail avec celles qui
étaient les leurs avant la mise en place de la plate-forme, ils reconnaissent
unanimement l’avantage que représente ce changement. Certains ont
également le sentiment d’avoir repris le pouvoir sur les sollicitations
permanentes de certains clients.
Ø Les compétences techniques : Il s’agit de la qualité de réponses des
téléconseillers aux clients, tant au niveau des questions posées, que de la
vente des produits et services. Elle est globalement évaluée positivement par
les conseillers sur le premier point, à ceci près que plusieurs considèrent leurs
agendas pollués par des rendez-vous pris par la plate-forme, pour des choses
que le téléconseiller aurait pu traiter, selon eux.
Ø Les compétences relationnelles : Est concernée ici la qualité de l’accueil, la
manière dont les appels sont traités, etc. Les conseillers l’évaluent sur la base
des retours, positifs ou négatifs, de leurs clients. Généralement, ils semblent
apprécier ce traitement.
Ø Les résultats obtenus : Il s’agit ici des résultats commerciaux obtenus par la
plate-forme. Comme nous l’avons expliqué, même si ces résultats viennent en
déduction des objectifs des conseillers, cela a un effet particulièrement négatif
sur leur reconnaissance à l’égard des téléconseiller. Et d’autant moins qu’ils
considèrent que les dossiers ne sont pas montés comme il le faudrait.
La reconnaissance globale des conseillers vis-à-vis de la plate-forme s’inscrit très
clairement dans une dynamique, dont le point de départ est généralement une vision positive
Chapitre Sixième – Études de cas
395
vis-à-vis de la disparition de la pollution téléphonique, mais également teintée d’une crainte
quant à la réaction de leurs clients.
« Un peu sceptiques au départ, un peu sceptiques sur la notion de qualité dans le travail »
(EFN Siège 01)
« Ben, au départ, c’était une réaction positive. Parce que moins d’appels entrants, donc peut-
être plus d’activité commerciale en direct par la prise de rendez-vous » (EFN BOUL 02).
Cela tend ensuite à évoluer lorsqu’ils sont confrontés aux réalités quotidiennes de
coordination avec le nouveau canal, et surtout, se dégrade généralement lorsqu’ils constatent
que des ventes sont réalisées par les téléconseillers. Cette dégradation est d’autant plus forte
qu’ils ont le sentiment que ces ventes ne sont pas faites « dans les règles de l’art », et que le
dossier du client n’a pas été traité avec toute la rigueur que celle dont eux auraient fait preuve.
« Ce qui se passe, c’est que effectivement, on a eu quelques problèmes avec la plate-forme au
début, mais qui se sont vite résolus, parce que comme ils ont accès à notre agenda
informatique, on va dire qu’il y avait certaines plages où des fois on se dit, comme il y a
beaucoup d’administratif, donc on se prend peut-être une heure, et de temps en temps, dès
qu’il y a un client qui appelait à la plate-forme, et qui était un petit peu soucieux, la plate-
forme de temps en temps flanchait un petit peu, et puis disait, écoutez, passez en agence.
Donc c’est vrai qu’on a eu quelques petits soucis au début […] mais ça s’est vraiment bien
amélioré » (EFN WAT 02)
« J’ai eu le cas d’un client qui avait fait un crédit personnel par téléphone, on lui avait dit,
allez y, vous n’avez plus qu’à signer, et puis en fait, quand j’ai repris le dossier, le dossier
n’était pas favorable, il fallait le revoir, parce que il était trop endetté, donc il faut quand
même faire attention à ce qui est fait par la plate-forme » (EFN BET 02)
Les conseillers reconnaissent donc indéniablement l’avantage que la plate-forme leur
apporte en termes de confort de travail et de libération de temps, qu’il soit commercial ou
administratif, mais cette reconnaissance est altérée par leur perception de la qualité du travail
réalisé, et surtout, par l’absence de perception d’objectifs partagés.
Dans ce contexte, le rôle joué par les clients ne semble pas primordial, même si son
existence est indéniable (Figure 6-14 et Tableau 6-20). Il participe également de cette
dynamique de la reconnaissance dont nous venons de parler.
Chapitre Sixième – Études de cas
396
Figure 6-14 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas EFN
Tableau 6-20 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas EFN
ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM
Inputs comportementaux
« Après, il y a le client, au milieu. Donc le client est pas forcément discipliné. Il peut très bien dire qu’on l’envoie de la plate-forme, ce qui est complètement faux. Après, des rendez-vous peuvent être pris par le client qui a fait le forcing auprès de la plate-forme […] Le client est quand même là, le client peut court-circuiter l’authentification plate-
forme pour gagner du temps, etc. » (EFN WAT 01)
Inputs mentaux « C’est ce que je trouve très bien au service d’accueil, c’est que même
nous on a des clients, on a du mal à les comprendre, tout le monde ne sait pas bien s’exprimer, donc il faut aussi réussir à comprendre le client,
c’est pas toujours facile » (EFN BET 01)
Inputs relationnels « Le ressenti, c’est ils ont pas voulu donner votre numéro, je sais pas
pourquoi, ou je veux vous avoir vous, c’est dur de vous avoir […] j’ai eu une voix du sud, c’est qui qui était au téléphone, c’était quoi ça » (EFN
BET 03)
Volonté
« Alors, la réaction des clients, ben la réaction des clients, pour être franc et direct, le 08, c’est un peu merdique, quoi, c’est très direct, mais ça veut dire ce que ça veut dire, ça a le mérite d’être clair, bon, ça c’est une catégorie de clientèle, il y a une autre catégorie de clientèle, c’est la
plus grosse majorité, qui accepte l’instrument » (EFN BOUL 01)
I N P U T S
DÉTERMINANT
Chapitre Sixième – Études de cas
397
II.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel. A nouveau, la question du respect mutuel est apparue de manière unilatérale : des
agences vers les plates-formes. De même qu’ils ne sentent pas leurs compétences reconnues,
les téléconseillers ont également l’impression que leur travail n’est pas respecté, voire dénigré
par leurs collègues.
« Quand j’étais à un pot par exemple, pour un départ en agence, on m’a dit, ha tu viens de la
plate-forme, ha t’es partie à la plate-forme, enfin, c’est un peu dénigré » (EFN PFE 03)
Néanmoins, les conseillers que nous avons rencontrés nous ont fait entrevoir une
vision différente. Ils respectent généralement les personnes qui se trouvent sur la plate-forme,
mais c’est du système en lui-même dont ils ont une très mauvaise image.
« C’est peut-être pas le terme que je devrais employer, mais ils sont un peu fliqués quand
même, leur façon de travailler […] Ils sont quand même à mon avis aussi stressés que nous.
Parce que leur façon de travailler, ça doit pas être facile tous les jours » (EFN BET 01)
Le client, pour sa part, ne nous est pas apparu comme facteur influençant le niveau de
respect mutuel entre les employés en contact des canaux.
II.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination.
Nous faisons apparaître sur la figure 6-15 les relations que nous avons faites ressortir
de nos données entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. Le
tableau 6-21 les illustre par des verbatims. Ces relations sont plus nombreuses du côté de la
dimension relationnelle, tandis que la dimension communicationnelle n’est présente que par la
précision et la fréquence de la communication.
Nous sommes conscient d’avoir déjà évoqué certaines de ces relations précédemment
durant l’analyse de ce cas. Toutefois, l’imbrication entre ces composantes est parfois telle que
cela nous semblait alors indispensable pour améliorer la compréhension des phénomènes
observés.
Chapitre Sixième – Études de cas
398
Figure 6-15 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN
Comme nous l’avons déjà maintes fois souligné, le besoin de connaissance partagée se
fait nettement ressentir pour améliorer à la fois le respect mutuel et la reconnaissance. Les
téléconseillers considèrent que leur travail n’est pas reconnu par les agences, au moins par
certaines d’entre elles, et que cela est essentiellement dû à cette absence de connaissance sur
leur mission et son déroulement.
Ce partage de connaissances est également important pour améliorer la perception du
partage d’objectifs de la part du personnel qui travaille sur les deux canaux. Ainsi, parmi les
téléconseillers, certains ont travaillé en agence, ou y fait un stage de quelques semaines, ce
qui leur permet de replacer leurs actions relativement aux besoins et aux impératifs de
l’agence, pour ne pas la surcharger en fax, par exemple. Inversement, le fait que les
conseillers semblent ne pas avoir tous appris dès l’origine que la plate-forme allait réaliser des
Dimension relationnelle Dimension communicationnelle
Chapitre Sixième – Études de cas
399
ventes, ou ne sachent pas tous comment sont réparties les ventes de la plate-forme318, pose
d’importants problèmes. Une meilleure connaissance de ces éléments influence favorablement
la perception de partage d’objectifs, même commerciaux, ce qui joue en faveur d’une
reconnaissance accrue du travail de la plate-forme.
Enfin, les deux seules composantes communicationnelles à intervenir le font toutes
deux en direction de la reconnaissance. Généralement, plus le degré de précision est élevé, et
plus les agences ont une vision positive de la plate-forme, et vice-versa. Quant à la fréquence
de la communication, les agences se plaignent de ce qu’elle est trop importante. Cette
doléance est peut être liée à la nature du mode de contact, physiquement envahissante, et
contraignante, puisque les conseillers sont obligés de se déplacer pour aller les chercher sur le
seul appareil de l’agence. Cela donne d’ailleurs lieu à des organisations différentes selon les
agences : certaines pratiquent l’alternance (des tours sont attribués à chacun), d’autres ont une
gestion plus spontanée (la personne qui se rend au fax pour aller vérifier si il en a un prend
ceux de ses collègues), ou totalement centralisée (les fax arrivent dans le bureau du directeur
de l’agence qui les redistribue).
Tableau 6-21 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Connaissance partagée influence objectifs partagés
« On a déjà eu des exemples de ventes qui se faisaient au niveau de la plate-forme, et quand l’agence s’apercevait de la vente, aussitôt, c’était
annulé pour refaire la même chose. Donc, il y a bien un peu des fois, oui, quand on est mal informé, il y a, c’est pas une rivalité, mais bon, un petit
peu, quoi » (EFN PFE 02)
Connaissance partagée augmente
reconnaissance mutuelle
« Ceux qui ne connaissent pas ont une image de la dérivation où ils la subissent, c'est à dire qu’ils se retrouvent avec des rendez-vous dans leur agenda, parfois, subis, ou dont ils voient pas forcément l’intérêt, ou qu’ils
auraient peut être pu gérer d’une autre manière. Et souvent, par méconnaissance de ce qui est fait réellement dans une plate-forme
téléphonique » (EFN Siège 01)
Connaissance partagée augmente
indulgence
« Ça a permis d’éviter des malentendus. De bien savoir avec le cahier des charges, que faisait la plate-forme, quel était le rôle du réseau » (EFN
WAT 01)s
Connaissance partagée augmente
respect mutuel
« Ça a permis à beaucoup de personnes de voir cette image un peu mieux, enfin, d’avoir une plus belle image de la plate-forme » (EFN WAT 02)
318 Nou s avons eu droit dans les agences à trois versions différentes de la manière dont sont réparties entre ces ventes entre le téléconseiller et le conseiller.
Chapitre Sixième – Études de cas
400
Objectifs partagés influence
reconnaissance mutuelle
« Ça pose quelques petits problèmes, quelques grincements entre les collaborateurs et la plate-forme, parce que la plate-forme faisant
l’opération, c’est une opération qui a peut-être été initiée au départ par le collaborateur, le collaborateur avait un suivi, le client rappelle le
collaborateur, il tombe sur la plate-forme, la plate-forme indique qu’on peut très bien faire l’opération en lieu et place du conseiller habituel, ça
crée quelques petits grincements à ce niveau là, puisque les collaborateurs sont quand même rémunérés à la commission, et les opérations qui sont faites par la plate-forme leur échappent » (EFN
BOUL 02)
Précision influence reconnaissance
mutuelle
« Ce dont ils se plaignent le plus, c’est les fax. Même les personnes qui arrivent maintenant, qui viennent d’agence et qui arrivent sur la plate-
forme, essentiellement, ce sont les fax qui sont envoyés, qui sont pas bien, pas tous bien référencés, le conseiller a pas l’objet, ou il y a toujours des
informations qui manquent » (EFN PFE 02)
Fréquence influence reconnaissance
mutuelle
« Et puis, le second, négatif, ça a été de voir arriver les petits fax, les comptes-rendus, qui dans un premier temps ont été relativement
nombreux» (EFN BET 05)
II.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de
l’échange.
II.4.2.a) L’aspect modulateur de la nature de l’échange
L’impact de la nature de l’échange en tant que modulateur de l’influence du client sur
le processus de coordination des employés en contact semble important dans le cas EFN,
d’autant plus fort que la connaissance partagée est faible. En effet, les conseillers s’accordent
à reconnaître qu’ils mettent plus de distance vis-à-vis des propos de leurs clients lorsqu’ils
savent comment leurs collègues travaillent. Cela en limite donc la portée sur le processus de
coordination.
« Quand certains clients me disaient, mais on attend au moins dix minutes, je me disais, c’est
pas bon... Bon, maintenant, je sais comment ça fonctionne, donc je leur dis, écoutez, c’est pas
possible, puisque au bout d’un certain temps, ils ont une technique pour décrocher quand il y
a trop longtemps qu’un client appelle […] On savait pas trop, avant de visiter la plate-
forme... On se faisait un petit peu l’avocat du diable entre la plate-forme et les clients, on
savait pas trop à quoi s’en tenir » (EFN WAT 02).
Chapitre Sixième – Études de cas
401
II.4.2.b) L’aspect modulateur de l’historique de l’échange.
Là encore, l’historique de l’échange va avoir un rôle modulateur pour les conseillers
vis-à-vis des réactions de leurs clients, auxquelles ils accorderont plus ou moins de crédibilité
en fonction du comportement habituel de ces clients.
« J’ai déjà eu des clients qui m’ont dit, oui, elle m’a dit que c’était pas possible, mais bon,
après, il faut voir, ça dépend quels clients aussi, il y a des clients qui sont jamais contents »
(EFN VIL 02) »
L’influence que le client aura sur le processus de coordination dépendra donc de la
manière dont le conseiller s’est construit sa perception de son comportement au fur et à
mesure de la relation qu’il entretient avec lui.
II.5 L’ANALYSE DES LIENS ENTRE LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS
DE COORDINATION.
L’analyse des liens partant du processus vers les mécanismes (II.5.1) précède celle des
liens partant des mécanismes à destination du processus (II.5.2).
II.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de
coordination
Nous avons identifié deux relations : la première relie les objectifs partagés aux
procédés, la seconde, la connaissance partagée à ces mêmes procédés. Toutefois, la différence
entre les deux types de relations est d’importance.
Figure 6-16 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas EFN
Chapitre Sixième – Études de cas
402
II.5.1.a) L’influence des objectifs partagés sur les procédés.
Nous avons parlé précédemment des stratégies de contournement mises en place par
les conseillers. En certaines occasions, ces stratégies de contournement sont déployées parce
qu’ils ont la sensation de voir leurs clients leur échapper, ce qui les amène à prendre un peu
plus de distance par rapport aux procédés qu’ils sont supposés respecter. Cela se traduit par un
numéro de téléphone qui peut être donné un peu plus facilement qu’il ne le devrait, par
exemple.
« D’où malheureusement, le défaut de certains de communiquer le nouveau numéro de
téléphone, afin que les clients puissent les avoir en direct. Et ça,, cette réaction, je la
comprends, parce que elle vient du fait que si au départ, ça a été bien apprécié, cette création
de la plate-forme téléphonique, ça l’a été un peu moins quand ils se sont rendus compte qu’il
y a avait des résultats qui étaient faits ailleurs. Donc ils ont eu la tentation de communiquer à
nouveau à leurs clients leur nouveau numéro de téléphone pour dire de court-circuiter un
petit peu ce problème » (EFN BOUL 02).
Cette citation, extraite d’un entretien avec un directeur d’agence, laisse en plus penser
que ce dernier valide au moins partiellement cette stratégie de contournement des procédés,
leur permettant d’une certaine manière de s’institutionnaliser localement.
II.5.1.b) L’influence de la connaissance partagée sur les procédés.
Dans la quasi-totalité des cas, l’amélioration de la connaissance partagée débouche sur
une amélioration des procédés.
« C'est se connaître, travailler ensemble, et aussi constater que l'on n'a pas forcément la
même organisation, les mêmes outils, mais qu'une connaissance réciproque permettra
notamment l'optimisation des résultats, et d'un point de vue quantitatif, mais aussi in fine bien
évidemment la satisfaction client » (EFN PFE 01).
Toutefois, ce n’est pas le cas partout, et notamment lorsque cette connaissance porte
sur le fait que les téléconseillers peuvent avoir des résultats commerciaux, puisque cela crée
généralement un sentiment de mise en concurrence interne entre les canaux (cf. relation
précédente). Il existe néanmoins certains acteurs extérieurs à la plate-forme qui ont un regard
positif sur cela, sans vivre la situation comme défavorable à leur activité.
Chapitre Sixième – Études de cas
403
« Pour eux, c’est bien, parce que effectivement ils ont à la limite que cette possibilité là pour
se valoriser […] donc moi je pense que c’est bien, parce que pour nous, déjà, ça change rien,
et puis deuxièmement, ça leur permet de pouvoir se valoriser auprès de leur hiérarchie »
(EFN WAT 02).
Précisons que cette personne était au courant de l’absence de rétrocession sur son
portefeuille dans le cas d’une vente faite par la plate-forme, sans que cela la dérange plus que
cela, puisqu’elle ajoute ultérieurement : « ça va quand même faire bénéficier mon
portefeuille, mes objectifs. Mais par contre, ça leur permet d’avoir ces commissions »
II.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de
coordination.
Nous identifions huit relations entre les mécanismes d’un côté, et le processus de
coordination de l’autre. Parmi ces relations, six ont comme destinataire des composantes
relationnelles du processus, et deux, des composantes communicationnelles (Figure 6-17).
Chapitre Sixième – Études de cas
404
Figure 6-17 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas EFN
II.5.2.a) L’influence des procédés sur le processus de coordination.
La standardisation des procédés est le seul mécanisme à impacter la dimension
communicationnelle du processus de coordination, au niveau de deux de ses composantes : la
fréquence et l’opportunité de la communication (voir Figure 6-18 et Tableau 6-22).
Chapitre Sixième – Études de cas
405
En ce qui concerne la fréquence, les procédés encadrent tout contact entre les canaux.
Ils sont mis en place pour les limiter au maximum, de manière à ce que la plus grande
proportion possible de demandes des clients soit gérée sur la plate-forme. Ils sont également
prévus pour éviter le plus possible toute communication de la part des conseillers vers les
plates-formes en dehors des voies hiérarchiques. Sans être un mécanisme de coordination, la
stratégie de segmentation influence également cette fréquence de communication, puisque en
fonction du segment du client, ce dernier sera obligé ou non de transiter par la plate-forme.
Quant à l’opportunité, elle est impactée par la nature de l’outil par lequel transite la
communication des plates-formes vers les agences, i.e. le fax.
Reconnaissance et respect mutuel sont eux-aussi influencés par les procédés, selon que
ceux-ci dont respectés ou non par les employés en contact.
Figure 6-18 : L’influence des procédés sur le processus de coordination dans le cas EFN
Chapitre Sixième – Études de cas
406
Tableau 6-22 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas EFN
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Procédés influence fréquence
« C’est simple : on doit prendre et traiter le maximum de demandes de la clientèle pour éviter que les agences soient obligées s’en occuper » (EFN
PFE 04)
Procédés influence opportunité
« Les fax sont pas envoyés en temps réel, ils sont envoyés par vague, il y a 3 ou 4 vagues dans la journée, donc […] c’est vrai que là, vous faites un compte-rendu, il part, donc c’est les télé-assistants qui vont l’éditer, qui
vont le faxer un peu plus tard dans la journée, ensuite, le conseiller il aura le fax si il lui est distribué ou si il vient le chercher, donc non, c’est
pas, c’est pas efficace » (EFN PFE 04)
Procédés influence reconnaissance
mutuelle
« Il nous arrive régulièrement, je dirais même systématiquement, d’avoir à refaire les dossiers de prêt crédit personnel qui peuvent être faits par la
plate-forme. Parce que il y a une anomalie dedans » (EFN BOUL 02)
Procédés influence respect mutuel
« On a beaucoup de travail, on a un certain côté commercial et on a un côté administratif, et c’est vrai que conjuguer les deux c’est pas toujours
facile, et de voir arriver un client, qu’il soit mécontent ou content, ça nous chamboule un peu toute notre organisation, c’est pas forcément
facile, donc on se demande si ils connaissent la difficulté de notre quotidien » (EFN WAT 02)
II.5.2.b) L’influence des mécanismes sur la connaissance partagée
Trois mécanismes ont un impact sur la connaissance partagée : les relations latérales,
la communication interne, et le transfert de personnel (Figure 6-19 et Tableau 6-23).
Figure 6-19 : L’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN
Chapitre Sixième – Études de cas
407
Les relations latérales existantes se résument essentiellement aux visites des
conseillers qui sont organisées sur les plates-formes, ainsi qu’à des stages de formation en
agence, mais de courte durée, des nouveaux embauchés avant qu’ils ne prennent leur poste sur
la plate-forme. L’influence de ces relations latérales est très souvent soulignée comme vecteur
important de connaissance partagée, mais elles sont souvent stigmatisées pour leur absence,
puisque ressenties comme nécessaires. Il en va de même pour la communication interne. Ces
difficultés (le manque de relations latérales et de communication interne) semblent le fruit
d’une culture d’entreprise. En outre, elles sont dans la même veine qu’un constat qui revient
fréquemment : la mise en place de la plate-forme n’a été suivie d’aucune réorganisation du
travail en agence, pour apprendre aux conseillers à s’approprier de manière productive et
efficace le temps qui leur a été libéré, ce que résume pleinement le verbatim qui suit.
« Quand une agence bascule, on bascule, mais aujourd'hui, on l’accompagne pas. C'est à
dire qu’on réorganise une communication, on réorganise les flux, on réorganise le téléphone,
mais derrière, une fois que l’agence a basculé, on reste assez passif. Le constat est là
aujourd'hui. On reste trop passif. On n’accompagne pas nos clients sur l’avantage des
canaux de distribution, sur l’avantage des techniques, le plus Internet, le plus de tout ce qui
permet d’être résolu à domicile, etc., et en plus, on ne sensibilise pas assez en interne nos
collaborateurs sur l’avantage d’être libérés des appels entrants, et sur, en contrepartie,
l’obligation de développer l’acte commercial, d’être plus efficace, de développer l’efficacité
commerciale, le nombre de ventes » (EFN WAT 01)
Enfin, le transfert de personnel a lui aussi un impact favorable sur la diffusion de
connaissance réciproque entre les canaux. Il s’exerce des agences vers les plates-formes,
puisque du personnel commercial a été embauché sur les centres d’appels, mais commence
aussi à fonctionner en sens inverse, puisque des téléconseillers partent (ou repartent) ensuite
vers le réseau.
Chapitre Sixième – Études de cas
408
Tableau 6-23 : Illustration de l’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN
NATURE DE LA RELATION VERBATIM
Relations latérales augmente
connaissance partagée
« On nous avait parlé, c’est apparemment toujours pas en place, de sortes de tables rondes entre des conseillers agence, des DA, des téléconseillers, superviseurs, pour pouvoir un petit peu échanger,
partager le ressenti les uns par rapport aux autres, etc, enfin, pour instaurer un début de dialogue entre le réseau et les plates-formes, et ça
pareil, c’est toujours à l’état de projet » (EFN PFE 04)
Communication interne influence
connaissance partagée
« Il y a pas du tout de communication sur la production commerciale de nos téléconseillers, en faveur des agences. On reçoit de temps en temps
des statistiques mais il y a tout à faire là-dessus » (EFN WAT 01)
Transfert de personnel augmente
connaissance partagée
« J’ai bien compris le fonctionnement en agence avec le stage. C’est vrai que si j’avais pas eu le stage, il y a des choses que j’aurais pas trop
compris » (EFN PFE 03)
II.5.2.c) L’influence de la standardisation par les résultats sur le processus de coordination.
Nous avons déjà abondamment parlé de l’influence de la stratégie de distribution de
l’EFN, qui consiste à assigner des objectifs quantitatifs de nature commerciale aux
téléconseillers de la plate-forme. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette relation, dont
les implications dépassent cependant ce cadre strict.
Figure 6-20 : L’influence de la standardisation par les résultats sur les objectifs partagés dans le cas EFN
Le désir d’avoir une complémentarité entre les objectifs conduit en fait à un sentiment
de cannibalisation entre les canaux, ressenti par les agences, et qui n’ont donc pas
l’impression d’un partage d’objectifs, mais plus d’un « vol d’objectifs » (une téléconseillère
nous ayant confié que les agences avaient l’impression qu’ils leur volaient leurs résultats).
Chapitre Sixième – Études de cas
409
Cette stratégie résulte d’une volonté de capter un marché plus important, à la fois en volume
et en valeur. Néanmoins, constatant que les ventes réalisées par les plates-formes sont de plus
en plus nombreuses, et surtout ne touchent plus uniquement des produits simples, mais aussi
par exemple des crédits, les conseillers commencent à adopter des réactions défensives, face à
ce qu’ils considèrent être de mauvaises pratiques de la part des téléconseillers. La plus notable
de ces stratégies est la rétention d’informations en agence : au lieu d’alimenter la fiche client,
les conseillers conservent ce qu’ils ont sur le client en agence, pour éviter que les
téléconseillers ne réalisent la vente à leur place.
« Ce qui a fait des problèmes également, c’est qu’on s’est rendu également compte que de
temps en temps on avait des suivis avec des clients, hé bien quand ils faisaient le rendez-vous,
la personne faisait l’affaire. Sur la plate-forme. Elle demande le motif de l’appel pour un
rendez-vous, le client lui disait, j’avais rendez-vous pour faire un codevi, j’en ai parlé, ils
disaient M., je peux vous le faire tout de suite » (EFN BET 01)
« Cette manière de faire, ça amène aussi parfois des conseillers à ne pas alimenter la fiche
client. Ils ont peur de se faire piquer, si l'on peut dire, le client par la plate-forme. Donc ils se
gardent parfois l'information en agence, sur un papier, mais c'est tout » (EFN BOUL 01)
Par ailleurs, observant que la qualité des dossiers montés par la plate-forme n’est pas
optimale, ils sont amenés à les annuler. Annulation dont les téléconseillers s’aperçoivent
occasionnellement, lors d’un contact ultérieur avec le client, et qu’ils interprètent comme un
geste négatif de la part des agences à leur attention. Ce qui diminue chez eux également le
sentiment de partage d’objectifs, au moins sur un plan commercial.
« On voit des choses un petit peu bizarres. Des ouvertures de compte épargne, par exemple,
faites par la plate-forme, fermées dans la foulée par l’agence, et ré-ouvertes juste derrière
[…] C’est pas très courant, mais effectivement, de temps en temps, on tombe dessus. Donc il y
a un petit peu une guerre entre plate-forme et certains conseillers » (EFN PFE 04)
Chapitre Sixième – Études de cas
410
II.6 INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS.
Privilégiant le même mode rédactionnel que celui qui fut le nôtre depuis le début de ce
cas, nous reprenons les mêmes intitulés pour les titres des deux axes de cette sous-section.
Nous traitons donc successivement du client comme filtre et catalyseur (II.6.1), puis de
l’influence duale du client (II.6.2). Néanmoins, derrière la similitude des titres, se cachent des
différences non négligeables que nous précisons progressivement.
II.6.1 Le client comme filtre et catalyseur.
II.6.1.a) L’identification de ces rôles.
Nous avons retrouvé à travers ce cas les quatre rôles que nous avions construits dans la
revue de littérature.
Commençons par celui de filtre informationnel. Nos entretiens montrent que le client
joue, consciemment ou non (nous ne pouvons assurer de l’un ou de l’autre), de l’existence de
plusieurs interlocuteurs pour arriver à ses fins. Lesquelles fins sont par exemple, soit rentrer
en contact direct avec son conseiller, soit bénéficier d’un produit ou d’un service que son
conseiller a pu lui refuser, etc. Le second est ressorti à travers trois entretiens de conseillers, et
un entretien de téléconseiller. La stratégie de l’EFN de positionner la plate-forme comme un
réel canal de vente peut constituer une explication à la présence de ces comportements que
nous qualifions d’opportunistes du client (Plé, 2006). Le qualificatif nous paraît approprié, en
ce que le client tente d’atteindre un objectif personnel en divulguant des informations
incomplètes ou dénaturées (Williamson, 1985). Nous reviendrons plus loin sur les
répercussions de cette situation.
Dans le même temps, le client cherche régulièrement à faire pression sur les employés
en contact, qu’il s’agisse des conseillers ou des téléconseillers, de manière à obtenir un
traitement de faveur de leur part : réussir à obtenir la ligne directe de leur conseiller. En cas
d’échec de l’exercice de ce rôle de catalyseur interprétationnel, soit ils adaptent leur
comportement en remplaçant le mode de contact téléphonique avec leur banque par un autre,
soit ils se résignent à utiliser la plate-forme. Il est donc à noter que l’exercice de ce rôle peut
tendre à s’estomper avec le temps, qu’il ait ou non satisfaction.
Pour assurer la réussite de ce rôle de catalyseur interprétationnel, les clients jouent sur
des expériences négatives qu’ils ont pu connaître avec la plate-forme, ou recourent à la
menace de quitter l’EFN. Ces deux comportements sont révélateurs de la volonté du client
Chapitre Sixième – Études de cas
411
d’influencer la perception de son conseiller par rapport à sa situation personnelle, donc de le
faire évoluer dans sa position vis-à-vis de la plate-forme (catalyseur perceptuel).
Enfin, le fait de donner ou non une information au téléconseiller, ou la qualité de
l’information qu’il va lui transmettre, engendre une interdépendance séquentielle, qui va se
traduire par un accroissement mécanique de la fréquence de communication entre les canaux.
Nous retrouvons là ce que nous avons intitulé le rôle de catalyseur interactionnel du client.
II.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles.
Il semblerait que l’on puisse envisager l’existence de liens séquentiels entre ces quatre
rôles : les filtre informationnel et catalyseur perceptuel paraissent servir de leviers au client
pour activer dans ses interactions avec les employés en contact ses deux autres rôles.
Ces résultats vont dans le sens de la littérature (Rafaeli, 1989), littérature que nous
enrichissons par le rôle modulateur de la nature et de l’historique de l’échange. Cette
modulation est transversale à l’influence que le client peut exercer sur l’employé en contact
tant au niveau des interdépendances, que des mécanismes ou du processus de coordination.
Les choix stratégiques et organisationnels de l’EFN modulent également, pour finir,
l’influence du client. Ainsi, les réactions positives à l’égard de l’utilisation de la plate-forme
sont contrebalancées par la vision qu’en ont les conseillers, qui pensent qu’elle leur « vole des
ventes » (EFN PFE 02). De même en va-t-il des choix techniques en termes de limitation de
l’influence du client : le conseiller n’a pas de réelle possibilité de renouer le direct contact
avec son client, hors lui donner le numéro direct, ce qui est interdit pour l’extrême majorité
des clients. Il a donc un choix très limité de médias pour contourner les procédures qui
accompagnent la plate-forme.
II.6.2 L’influence duale du client sur la coordination
II.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post
La prise en compte du comportement productif du client avant la mise en place de la
plate-forme montre que ce dernier influence le fonctionnement du réseau de distribution
multicanal avant même qu’il ne soit déployé. Précisément, le client peut être considéré
comme l’un des facteurs majeurs conduisant à la dérivation des appels. Et comme un des
facteurs qui va déterminer ex-ante les mécanismes de coordination qui vont assurer la gestion
des interdépendances entre les canaux. Parmi ces comportements productifs, l’EFN intègre
Chapitre Sixième – Études de cas
412
une potentialité d’opportunisme. Comme nous l’avons dit, cela se traduit par la recherche, par
le client, de son intérêt personnel par la divulgation d’informations incomplètes ou
dénaturées. Il s’agit donc d’une facette de son rôle de filtre informationnel. Devant une telle
situation, Williamson nous enseigne qu’il est nécessaire de mettre en place des « garde-fous
organisationnels », que nous assimilons aux mécanismes de coordination, et plus précisément
ici, à la standardisation des procédés, qui vont permettre de limiter les effets de ces éventuels
comportements opportunistes (Lefebvre et Plé, 2003). La structure de l’entreprise, dans ce
cas, limite l’influence potentielle du client sur le réseau de distribution multicanal. La
stratégie de l’entreprise limite également cette influence, puisque si la plate-forme n’avait pas
d’activité de vente, les conséquences de cet opportunisme seraient vraisemblablement bien
plus réduites pour la banque.
Une fois la plate-forme créée, l’exercice de ses quatre rôles montre que le client n’est
pas neutre dans la coordination du réseau de distribution multicanal.
Cette dualité entre l’anticipation et l’adaptation est primordiale. En effet, les réactions
des clients sont un facteur notable de l’acceptation ou non du nouveau canal par les employés
du canal existant, et ce d’autant plus que ces derniers gardent la main sur la relation client. Il
est vraisemblable que ce soit une des clés de la réussite du changement organisationnel
incarné par l’implantation du nouveau canal.
II.6.2.b) Une influence globale et locale.
L’influence du client intervient au niveau de l’ensemble du réseau de distribution
multicanal, puisque son comportement est pris en compte dans la façon dont le réseau est
conçu, comme nous venons de l’expliquer.
De plus, elle entre en jeu de manière plus locale, au niveau des différents employés en
contact, notamment par un comportement de détournement des procédés, certes restreint, et
par une altération du processus de coordination, tout particulièrement sur la dimension
relationnelle de ce processus.
Outre l’influence du client, la stratégie et l’organisation qui la porte agissent
également sur le processus de coordination, la première en diffusant un sentiment de mise en
concurrence des canaux à l’encontre duquel la seconde ne semble pas en mesure d’aller, du
fait de l’absence de partage de connaissance au niveau du réseau d’agences.
Chapitre Sixième – Études de cas
413
SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE
LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE
L’ultime étape de notre analyse passe par une comparaison entre les deux cas que nous
venons de présenter. Cette comparaison se fait en deux temps. Le premier est plutôt de nature
théorique : il s’agit de replacer nos résultats au regard de nos propositions de recherche pour
ensuite proposer une conceptualisation processuelle de la coordination (III.1). Le second est
consacré à une analyse sectorielle focalisée sur les défis stratégiques et organisationnels au
devant desquels, d’après nous, vont les banques de détail (III.2).
III.1 LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL :
UN PROCESSUS SOCIAL PLACÉ DANS UNE DYNAMIQUE HISTORIQUE.
Nos questions de recherche ont guidé notre analyse intra-cas. Nous allons les utiliser
une dernière fois pour procéder à la comparaison inter-cas, de manière plus succincte (III.1.1).
Cette comparaison débouche sur une perspective processuelle et historique de la coordination
d’un réseau de distribution multicanal (III.1.2).
III.1.1 Retour sur les propositions de recherche : une
analyse inter-cas.
L’analyse comparative des deux cas au niveau des propositions de recherche est basée
sur une matrice comparative réalisée à l’issue de la rédaction des deux cas319, qui a facilité
l’identification des similitudes et divergences entre les cas. Nous traiterons de la quatrième
proposition de façon transversale aux trois premières.
III.1.1.a) P1 : Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact.
L’analyse de la génération des interdépendances montre que l’influence du client, dans
les deux cas, semble identique dans sa nature. Les inputs et déterminants présents sont les
mêmes, et ils sont intégrés par la BCR et l’EFN en deux temps. Une première phase,
antérieure à la création des nouveaux canaux, vise à anticiper les modalités de la participation
du client dans le cadre de la création d’un nouveau canal, de la création duquel le client est
pour partie responsable en raison de son manque relatif de discipline, aux yeux des
319 Nous rappelons que cette matrice est visible en annexe 12.
Chapitre Sixième – Études de cas
414
établissements bancaires. Nous ne sommes pas en mesure, en revanche, d’estimer l’intensité
de son influence relativement à d’autres facteurs320 à partir des outils de mesure dont nous
disposons.
Ainsi, la phase de conception des plates-formes tente d’envisager le maximum de
situations possibles pour savoir comment il faudra gérer ces interdépendances une fois en
situation, et limiter autant que faire se peut les coûts de coordination. Dans ce contexte,
l’anticipation de la participation du client, à l’aune de ses inputs et déterminants, est cruciale.
C’est ce que nous avons appelé l’influence ex-ante de la participation client.
La réponse apportée par les banques à cette question s’inscrit typiquement dans la
tradition des travaux de Chase (1978 ; 1981) : la mise en place des centres d’appels répond à
une logique de découplage entre services à niveau de contact faible (plates-formes
téléphoniques), et services à niveau de contact élevé (agences). L’objectif étant de diminuer
un maximum la présence du client dans le système productif, afin de maximiser la rentabilité
et la productivité de l’entreprise.
A partir de ce type d’organisation, néanmoins, le client est en mesure d’avoir un
impact sur l’intensité des interdépendances entre les canaux. Autrement dit, il peut soit
accepter la logique de son prestataire de service, et générer un couplage de communauté en
passant par le canal qui lui est imposé. Soit il génère une interdépendance séquentielle, en
donnant par exemple une information incomplète au premier canal qui ne pourra pas traiter sa
demande. Soit il génère une interdépendance réciproque, nécessitant un aller-retour entre les
canaux. Ses actions vont donc avoir un impact sur la coordination de l’ensemble du réseau de
distribution multicanal : ce que nous avons qualifié d’influence globale.
Ajoutons que l’influence exercée par le client est également modulée par la nature et
par l’historique de l’échange avec l’employé en contact (4ème proposition de recherche).
Enfin, le client n’est pas le seul facteur influant sur l’intensité des interdépendances :
les choix techniques du prestataire, et la nature des outils de communication, peuvent laisser
plus ou moins de choix au client de participer, et donc le contraindre à générer des
320 Car nous n’oublions toutefois pas que la création de ces nouveaux canaux répond aussi en grande partie à des impératifs stratégiques d’affrontement de la concurrence et de réponses à la demande des clients, ainsi qu’à des impératifs économiques de rentabilité et de productivité. Notre interprétation est liée à la grille de lecture que nous avons adoptée pour décoder la coordination, en tentant de redonner au client une place qui lui est généralement déniée, ce qui peut parfois donner l’impression d’oublier d’autres éléments. Ce biais est normal, et nous l’assumons, tout en rappelant régulièrement, comme nous venons encore de le faire, que pour important que soit le client, il n’est pas le seul facteur à influencer la coordination. Ne pas en être conscient serait faire preuve d’une naïveté excessive quant à l’ampleur du rôle joué par le client dans la coordination.
Chapitre Sixième – Études de cas
415
interdépendances correspondant à la situation souhaitée par son prestataire. De même, ledit
prestataire a à sa disposition tout un ensemble de techniques de socialisation organisationnelle
dont l’efficacité de la mobilisation se mesurera à leur capacité à amener le client à générer les
interdépendances économiquement favorables à l’entreprise.
III.1.1.b) P2 : Le client influence le recours aux mécanismes de coordination
Dans les deux cas, nous avons constaté que la standardisation des procédés semble le
mécanisme essentiel de coordination entre les canaux. Étant donnés les objectifs assignés au
multicanal par les établissements bancaires, il est donc vraisemblable que ce mode de
coordination soit le plus approprié pour coordonner les canaux à moindre coût, tout en
apportant la meilleure qualité de service possible au client.
Néanmoins, ces procédés sont soumis à l’influence du client. Notre supposition
initiale, pour cette proposition, était la suivante : « Plus que l’utilisation d’un mécanisme au
détriment d’un autre, c’est bien le fait que l’employé en contact recoure ou non au mécanisme
de coordination qu’il est supposé mobiliser qui nous intéresse ». Ce n’est pas exactement ce
qui se produit, puisque soit le conseiller procède à un détournement des procédures qu’il doit
suivre, soit il les applique, en fonction de la situation à laquelle il est confronté. Il reste donc
dans le cadre d’une coordination procédurale, qui n’est pas toujours celle souhaitée par sa
banque, mais qui lui permet de conserver un lien direct avec son client, et à ses yeux, de
mieux le satisfaire. Il s’agit d’une partie de ce que nous avons appelé l’adaptation locale à
l’influence du client.
A ce propos, plusieurs conseillers, tant dans le cas BCR que EFN, ont mis en avant, en
même temps qu’ils reconnaissaient le confort de travail résultant de la plate-forme, le fait
qu’ils reprenaient une certaine forme de pouvoir sur leur client, le moment du contact étant
dorénavant, le plus souvent, à leur initiative, puisque c’est à eux de le rappeler. Couplé à notre
remarque précédente, il ne semble pas exagéré de dire que la mise en place d’un nouveau
canal comme un centre d’appels téléphoniques dans une banque de détail contribue à
l’émergence ou la formation d’un espace de liberté vis-à-vis de son client. Le conseiller
récupère en effet un pouvoir certain sur ce dernier. Or, « le pouvoir réside dans la marge de
liberté dont dispose chacun des partenaires engagés dans une relation de pouvoir, c’est-à-
dire dans sa possibilité plus moins grande de refuser ce que l’autre lui demande » (Crozier et
Friedberg, 1977 / 2001 : 69). En l’occurrence, le conseiller peut décider du moment où il
Chapitre Sixième – Études de cas
416
rappelle son client, peut décider de donner ou non une manière de contourner la plate-forme si
le client le souhaite, peut décider du client qui bénéficie de cette solution, etc. Bien sûr, cet
espace de liberté reste contraint par une autre partie prenante à l’échange, i.e. l’entreprise, qui
a un moyen de contrôler le respect des procédés par le conseiller, et la qualité du service
fourni aux clients.
Prendre en compte cet espace de liberté permet alors de relativiser le degré d’influence
du client sur la manière dont l’employé en contact va se comporter vis-à-vis des mécanismes
de coordination à sa disposition, puisque l’on peut imaginer que ledit employé n’agira qu’en
fonction de l’avantage, en termes de pouvoir, qu’il en retirera sur son client. Enfin, l’exercice
ou non de ce pouvoir dépendra également de la nature de l’échange que le conseiller souhaite
conserver avec son client, ainsi que de l’historique de cet échange. Si il sait d’expérience que
le client tend à appeler régulièrement pour un virement, commander un chéquier, etc., il est
peu probable qu’il communique au client l’information que ce dernier souhaite avoir (son
numéro de téléphone direct). En revanche, si le client a un potentiel de développement
intéressant, et utilise régulièrement Internet pour gérer lui-même ses comptes, et réaliser ses
petites opérations courantes, il est plus probable qu’il la lui transmette.
Nous clôturons ce point en spécifiant que la nature et l’historique de l’échange
semblent à nouveau moduler l’influence de la participation du client sur l’employé en contact
(4ème proposition de recherche).
III.1.1.c) P3 : Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact
La littérature nous offre plusieurs portes d’entrée dans l’étude du processus de
coordination : travaux sur le marketing interne (Gremler et al., 1994), sur le capital social
organisationnel (Leana et Van Buren, 1999), ou sur l’efficacité des groupes321 (Seers et al.,
1995),ou sur la coordination relationnelle (Gittell, 2001). Nous avons retenu pour notre part
ceux de Gittell, en raison de leur adéquation avec les résultats de notre étude exploratoire.
Ceux-ci nous ont justement permis d’enrichir ce construit au niveau de sa dimension
relationnelle, que nous avons élargi en y ajoutant la reconnaissance et l’indulgence mutuelles,
que nous avons à nouveau retrouvé dans les deux dernières études de cas. Nous avons en
321 Les références citées sur le capital social organisationnel et l’efficacité des groupes sont reprises chez Gittell (2001).
Chapitre Sixième – Études de cas
417
outre approfondi certaines des composantes de cette même dimension, en différenciant trois
types d’objectifs partagés, et quatre de reconnaissance.
En ce qui concerne l’influence du client sur ce processus, elle est indéniable à la fois
dans le cas BCR comme dans le cas EFN, même si elle est inégale en fonction tant des
dimensions, que des composantes de chaque dimension du processus de coordination. En
particulier, nous avons noté un impact particulièrement marqué sur la dimension relationnelle.
Nous n’avons cependant pas d’explication valable à apporter à ce résultat. Quant à la
dimension communicationnelle, seules la fréquence et la précision de la communication sont
influencées.
L’influence du client sur le processus de coordination amène là encore les employés
en contact, principalement en agence, à adapter leur comportement à l’égard de l’autre canal,
et à revoir positivement ou négativement leur opinion à son égard. Nous sommes à nouveau
dans le cas de l’influence locale de la participation client, qui intervient après la mise en place
de la plate-forme (ex-post).
Cette influence est en outre modulée par la nature et l’historique de l’échange entre le
client et l’employé en contact.
Enfin, les résultats de l’EFN montrent que la stratégie et la structure de l’entreprise
peuvent avoir un impact également sur le processus de coordination. Dans le cas présent, la
stratégie influence notamment la perception de partage d’objectifs, et la structure, la
connaissance partagée, qui brille par son absence. A l’inverse, la BCR se caractérise par la
perception d’une communauté d’objectifs entre les canaux, du fait d’une logique stratégique
qui place d’emblée les plates-formes au service des caisses, sans réelles velléités
commerciales322. Quant à la structure de la BCR, elle veille à ce que soit assuré un certain
niveau de connaissances partagées. Mais nous rentrons là dans le domaine de la cinquième et
dernière proposition.
III.1.1.d) P5 : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client
Cette dernière proposition était basée sur notre intuition. Puisque nous pensions que le
client jouait un (ou plusieurs) rôles dans la coordination entre les canaux, ce rôle permettrait
d’expliquer les liens entre mécanismes et processus de coordination. Il s’est finalement avéré
322 La BCR, au moment de notre étude, commençait à pratiquer le rebond commercial sur les demandes des clients, mais avec renvoi automatique vers la caisse.
Chapitre Sixième – Études de cas
418
que si ces liens s’avèrent exister, le client ne semble pas avoir d’influence dessus, au moins
pas directement. Nous reprenons ci-dessous, pour faciliter la lecture, les schémas
correspondant à chacun des cas (Figure 6-21).
Figure 6-21 : Comparaison schématique des liens partant des mécanismes vers le processus de coordination dans les cas BCR et EFN
Débutons par l’analyse des liens allant des mécanismes vers le processus. Gittell
(2000a) relève l’existence d’une influence de deux mécanismes sur le processus de
coordination, les systèmes d’informations, et l’équivalent de ce que nous avons appelé les
relations latérales. Ces dernières, selon ses résultats, ont un impact positif sur le processus de
coordination.
CAS BCR CAS EFN
Chapitre Sixième – Études de cas
419
Pour notre part, nous constatons que quatre types de mécanismes sont communs aux
deux cas : la standardisation des procédés, le transfert de personnel, la communication interne
et les relations latérales. La standardisation des procédés est la seule à impacter la dimension
communicationnelle du processus de coordination, ce qui n’est somme toute pas une surprise,
puisque le fonctionnement du réseau de distribution multicanal et la gestion des
interdépendances dépendent fortement de cette coordination procédurale. Pour le reste, nous
voyons que plusieurs mécanismes de coordination, en l’occurrence les relations latérales, la
communication interne et le transfert de personnel peuvent être mis à contribution pour
développer la connaissance partagée, qui est ressortie comme étant un élément très important
du processus de coordination, notamment de par l’impact qu’elle a sur la reconnaissance
mutuelle. Cependant, pour ce qui touche à la communication interne, encore faut-il que le
mode de transmission de cette communication soit adéquat. Le cas BCR a ainsi montré que
tout ce qui concernait les plates-formes se trouvait sur l’intranet, mais que les conseillers ne le
consultaient pas par manque de temps, mais aussi par peur d’être noyés sous les informations.
Quant aux liens entre procédé, et reconnaissance et respect mutuels, ils s’expliquent
par le fait que les procédés tels qu’ils ont été prévus ex-ante par la banque peuvent jouer
négativement ou positivement dans la perception que les canaux ont les uns des autres.
Ces liens entre mécanismes et processus de coordination font une fois de plus la part
belle à la dimension relationnelle de la coordination. Ceci pourrait paraître surprenant, car la
coordination entre les canaux est distancielle, et est donc basée sur les systèmes
d’information. Or, Gittell (2000a) montre que les systèmes d’information influencent
négativement la coordination relationnelle. Les liens entre systèmes d’information et
processus de coordination mériteraient donc d’être approfondis pour éclaircir ce résultat, mais
cela dépasse l’objet de la présente thèse.
Enfin, le lien entre la standardisation par les résultats et les objectifs partagés a déjà été
expliqué durant l’étude du cas EFN. Nous nous bornerons donc simplement à rappeler que
son apparition n’est pas étrangère à la stratégie de l’entreprise en matière de distribution, qui
met presque sur un pied d’égalité agences et plates-formes en termes de compétences
distributives.
Dans le sens du processus vers les mécanismes, cette fois-ci, les relations sont
nettement plus rares (Figure 6-22)
Chapitre Sixième – Études de cas
420
Figure 6-22 : Comparaison schématique des liens partant du processus vers les mécanismes de coordination dans les cas BCR et EFN
La standardisation des procédés est soit impactée positivement par la connaissance
partagée, qui va être à l’origine de leur amélioration. Soit elle peut mener à leur adaptation
locale (autrement dit, un détournement), car la connaissance partagée n’est pas congruente
avec les attentes des employés en contact eu égard à leurs collègues des autres canaux. C’est
la même chose pour les objectifs partagés.
III.1.2 Une perspective processuelle et historique de la
coordination d’un réseau de distribution multicanal.
Tout ce qui précède nous a conduit à mener une réflexion sur la nature de la
coordination. Cette réflexion passe tout d’abord par l’étude des conditions et lieux
organisationnels d’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client, avant de préciser
pourquoi nous adoptons cette perspective processuelle de la coordination..
III.1.2.a) L’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client.
Le client peut jouer le rôle de filtre informationnel, de catalyseur perceptuel,
interprétationnel, et / ou interactionnel. Il semblerait que ces rôles ne soient pas indépendants,
mais que l’on puisse établir une hiérarchie dans leur apparition, les filtre informationnel et
CAS EFN
CAS BCR
Chapitre Sixième – Études de cas
421
catalyseur perceptuel se partageant la première place, et favorisant le déclenchement des deux
autres rôles.
Nous avons vu par ailleurs que l’influence du client est soit ex-ante / ext-post, soit
globale / locale. Il est possible de croiser ces influences entre elles, pour arriver à la figure
6-23, qui nous donne l’occasion de situer les rôles du client sur ces quadrants.
Figure 6-23 : L’influence du client sur la coordination d’un réseau de distribution multicanal
Mise en place du nouveau canal
Global Local
Ex-ante
Phase de management
• Adaptation des mécanismes / du processus
Phase de conception
• Attente • Anticipation de la
participation
Phase de conception
• Anticipation de la participation
• Préparation des mécanismes / du processus
• Interdépendances
Phase de management
• Adaptation des mécanismes / du processus
ç å
é è
Ex-post
Filtre informationnel Catalyseur perceptuel Catalyseur interprétationnel Catalyseur interactionnel
Légende
Influence directe sur l’employé en contact
Influence indirecte sur la hiérarchie
Chapitre Sixième – Études de cas
422
Le quadrant å correspond à la phase de conception au niveau global. Il s’agit de
concevoir, comme son nom l’indique, les mécanismes de coordination qui vont permettre
d’assurer la gestion des interdépendances entre les canaux, interdépendances dont l’intensité
(couplages de communauté, séquentielles, réciproques) est également définie à ce stade.
Le quadrant ç est toujours dans la phase de conception, mais au niveau local cette
fois-ci. Les conseillers, sauf si ils sont mis à contribution dans le quadrant å, par exemple en
tant que membres d’un groupe de travail chargé de réfléchir à la mise en place du nouveau
canal, ne peuvent rien faire d’autre qu’attendre, et éventuellement commencer à informer les
clients dont ils pensent qu’ils marqueront d’importantes réticences à ce changement.
Le quadrant é passe dans ce que nous appelons la phase de management, postérieure
à la mise en place de la plate-forme. Il s’agit d’adapter les mécanismes et les éléments du
processus de coordination au fur et à mesure de l’expérience de la gestion du réseau de
distribution multicanal.
Enfin, le quadrant è correspond lui aussi à une phase d’adaptation, mais localisée
dans les canaux, avec une adaptation locale des mécanismes et du processus de coordination,
comme nous l’avons déjà expliqué.
L’influence de l’anticipation de la participation client durant la phase de conception
est patente, comme nous l’avons montré. Il ne s’agit pas toutefois de ses rôles de filtre ou de
catalyseur, qui eux ne rentrent en jeu que durant la phase de management, dès le moment où
la plate-forme est mise en place. Ceci est normal, puisque dans la perspective de la
participation qui est la nôtre, nous postulons qu’ils se construisent dans les interactions avec
les employés en contact des différents canaux. Ces rôles s’exercent directement sur les
employés en contact, et de manière plutôt indirecte, par l’intermédiaire desdits employés en
contact, sur la hiérarchie qui s’occupe de gérer l’ensemble du réseau de distribution
multicanal.
III.1.2.b) La coordination, un processus social et historique.
La coordination est vue de deux manières dans la littérature : qui comme un état, qui
comme un processus (Cheng, 1984). Lawrence et Lorsch (1973) adoptent eux une position
qui nous semble intermédiaire, avec leur concept d’intégration, fort proche de celui de
coordination : « Alors que nous utiliserons le terme intégration, tout d’abord pour faire
référence à l’état des interrelations entre départements, nous l’utiliserons également, par
convention, pour décrire tant le processus par lequel cet état est atteint, que les stratégies
Chapitre Sixième – Études de cas
423
organisationnelles utilisées dans ce but » ( :23). La coordination est donc, dans leur esprit, à
la fois un état et un processus, lequel va mobiliser des « stratégies organisationnelles »
(mécanismes de coordination) pour arriver à cet état.
Pour ce qui nous concerne, nous considérons la coordination d’un réseau de
distribution multicanal comme un processus social entre acteurs, dont les dimensions sont
celles mises en évidence par Gittell, et que nous avons approfondies. Ce processus intervient
dans le cadre d’interdépendances, pour la gestion desquelles les acteurs s’appuient sur des
mécanismes de coordination.
Nous ne considérons pas que la coordination débute uniquement au moment où
apparaissent les interdépendances entre les canaux, mais en amont de celles-ci. Ce que nous
avons appelé la phase de conception, dans la figure 6-23, fait à nos yeux d’ores et déjà partie
de la coordination entre les canaux. Cette phase est en effet à l’origine de réflexions et
d’échanges entre des acteurs qui pour la plupart seront ultérieurement parties prenantes des
interdépendances entre les canaux, échanges qui à en croire nos deux études de cas se
déroulent au sein d’une structure projet ad hoc, vouée à perdurer par la suite323 pour faciliter
l’adaptation de la coordination. Cette structure projet, en elle-même, représente un mécanisme
de coordination porteur des prémisses de la coordination durant la phase de management. Les
décisions prises durant cette phase de conception sont étroitement dépendantes de la stratégie
et de la structure de l’entreprise. Pour les raisons qui précèdent, nous pensons pouvoir dire
que notre perspective processuelle de la coordination s’inscrit dans une dynamique historique
qui précède la naissance des interdépendances entre les systèmes référents (ici, les canaux) à
coordonner. Nous allons donc au-delà de la pensée de Gittell, chez qui la nature historique du
processus ne débute pas avant la création des interdépendances, et reste à la fois implicite et
localisée dans les interactions entre les dimensions communicationnelles et relationnelles qui
s’entretiennent l’une l’autre.
A l’extrême, nous pourrions aller jusqu’à dire que le processus de coordination se
décompose en deux phases : une phase dite de « coordination-conception », et une autre dite
de « coordination-management ». Sur un plan managérial, l’avantage de cette perspective
processuelle de la coordination telle que nous venons de la définir (donc historiquement
ancrée) est multiple, d’après nous :
323 Cette structure perdure dans le cas BCR, et apparemment également dans le cas EFN, même si la structure beaucoup plus centralisée de l’entreprise ne nous a pas permis d’en apprendre beaucoup sur ce groupe projet.
Chapitre Sixième – Études de cas
424
Ø Elle oblige à faire un point précis sur l’ensemble des acteurs qui seront
concernés par les interdépendances et à étudier leur rôle dans ces
interdépendances. En particulier, dans une entreprise de service, cela permet
d’intégrer en amont le rôle que joue le client sur la coordination, celui-ci étant
partie prenante naturelle des interdépendances, du fait des caractéristiques des
services.
Ø En favorisant une réflexion qui incorpore le client, elle permet de prendre
conscience de l’ensemble des liens entre qualité de service interne et qualité
de service externe. La littérature nous enseigne traditionnellement que la
qualité de service interne a un impact sur la qualité de service externe
(Gremler et al., 1994). Or, nos résultats montrent que, puisque le client
influence la coordination intra-organisationnelle entre plusieurs employés
avec lesquels il est en contact, la communication par le client auprès de
l’employé A d’un retour d’expérience (positif ou négatif) avec l’employé B
peut influencer la perception de A vis-à-vis des compétences, ou de la qualité
du travail de B (ce que montrent également Wiertz et al., 2004). Cette
diminution ou ce renforcement de la perception de A à l’égard de B n’est pas
sans conséquences (positives ou négatives) sur la coordination. En d’autres
termes, la qualité de service externe peut avoir un impact sur la qualité de
service interne, ce sur quoi la littérature est muette, à notre connaissance.
Ø Elle participe d’une démarche de transparence interne sur les processus qui
vise à améliorer le partage de connaissances en amont, pour faire mieux
comprendre et accepter les décisions prises par les acteurs concernés.
Ø Connaissance des acteurs, transparence sur les processus, mise en relation de
la qualité interne et externe… Tout cela doit permettre de favoriser la prise de
conscience de la nécessité de l’accompagnement des acteurs qui vont se
trouver en situation d’interdépendance, alors qu’ils étaient auparavant plutôt
indépendants. Cet accompagnement semble la dernière roue du carrosse dans
le cas EFN, et même dans le cas BCR, il semble être resté limité (les
conseillers ont constaté l’arrivée de la nouvelle organisation, sans bénéficier
de formation les accompagnant dans les transformations de leur façon de
travailler).
Chapitre Sixième – Études de cas
425
III.2 LES BANQUES DE DÉTAIL FACE À DES DÉFIS STRATÉGIQUES ET
ORGANISATIONNELS324.
Au regard de nos études de cas, et de l’analyse documentaire à laquelle nous nous
sommes livrés sur le secteur, nous pensons avoir identifié un certains nombre de problèmes
liés à la manière dont les banques ont déployé leur multicanal (III.2.1). Nous nous efforçons
de proposer quelques solutions pour éviter ces écueils qui se dessinent (III.2.2). Nous
concluons en soulevant une interrogation générale sur les possibilités de développement futur
du multicanal (III.2.3)
III.2.1 Les défis qui se profilent
Nous avons traité, dans le second chapitre, des avantages et des risques propres aux
stratégies multicanales dans la banque de détail. Les réponses à ces derniers se sont traduites
par la mise en avant de la complémentarité entre les canaux, l’amélioration de la qualité de
service externe, ou encore l’allégement des tâches à faible valeur ajoutée pour le réseau. Nous
considérons toutefois qu’elles portent les germes de multiples problèmes. Sans prétendre à
l’exhaustivité, nous souhaitons attirer l’attention sur ce qui nous semble faire partie des
embûches majeures au développement futur du multicanal bancaire, tant en interne que dans
les relations avec les clients.
III.2.1.a) La réalité de la complémentarité en question.
Le mot d’ordre du développement du multicanal bancaire fut la complémentarité entre
les canaux. Cependant, elle n’est souvent, à notre sens, qu’une façade masquant la survenance
prochaine d’importants problèmes organisationnels.
Peut-on en effet parler de complémentarité lorsque GAB, serveurs vocaux, sites
Internet et autres centres d’appels offrent quasiment tous la même panoplie de services ? La
gestion des opérations courantes est ainsi possible via chacune de ces interfaces, qui sont à
l’aune de ce critère parfaitement substituables. Elles ne restent complémentaires que dans leur
mode d’accès aux services (à domicile ou non), et sous contrainte de l’équipement du client.
Contrainte qui tend à diminuer avec l’accroissement du taux d’équipement des ménages en
informatique et en connexion haut débit (câble, ADSL). Il n’y a de réelle complémentarité
324 Cette sous-section est basée sur Plé, 2005.
Chapitre Sixième – Études de cas
426
qu’entre les agences et les autres canaux, dans la mesure où elles ont été recentrées sur une
activité de vente et de conseil que les autres ne fournissent pas, ou peu (des Garets, 2005).
Ce constat posé amène à se demander, par exemple, de quoi sera fait l’avenir des
téléconseillers qui travaillent sur les centres d’appels entrants. A leur création, ces centres
d’appels ont généralement intégré du personnel issu du réseau, dans des proportions plus ou
moins importantes selon les établissements bancaires. Cela permettait notamment d’asseoir la
légitimité de ces plates-formes vis-à-vis des conseillers des agences, tout en les rassurant
quant à la qualité du service qui serait apporté à leurs clients, et en multipliant l’éventail des
métiers proposés, afin de garantir de nouvelles possibilités de mobilité et d’évolution internes.
En règle générale, ces centres ont été conçus comme de simples services d’accueil, cantonnés
essentiellement à des tâches répétitives à faible valeur ajoutée (commandes de chéquier, prise
de rendez-vous, virements, etc...), se risquant ça et là à de rares incursions dans le pré carré
commercial des agences en vendant des produits simples (cartes bleues, assurances sur les
moyens de paiement, accès aux services de banque à distance...), ou en pratiquant le rebond
commercial pour enrichir l’agenda de leurs collègues du réseau.
Mais ces tâches à faible valeur ajoutée, Internet ou les GAB en accomplissent la
grande majorité (hormis notamment la prise de rendez-vous), à moindre coût et avec la même
efficacité technique pour le client. Comment alors ne pas parler de substitution entre les
canaux ? A nouveau, la complémentarité porte moins sur le type de services rendus, que sur la
manière d’y accéder. Rester dans une logique d’hyperspécialisation des centres d’appels sur
ce type de tâches soulèverait donc un problème économique, mais également humain : il est
probable de voir s’émousser la motivation des collaborateurs, qu’ils soient ou non issus du
réseau, qui pourraient avoir le sentiment de galvauder leurs connaissances et leurs
compétences. Trois des téléconseillers rencontrés à l’EFN nous ont ainsi confié avoir la
volonté de rejoindre le réseau par la suite, considérant avoir fait le tour de leur métier après un
ou deux ans d’activité, sauf en cas de passage d’un poste de téléconseiller généraliste à
spécialiste.
III.2.1.b) Les risques organisationnels de la cannibalisation entre les canaux.
Or, ce mode d’organisation occasionne des dérives aux effets potentiellement
dévastateurs. L’étude du cas EFN a mis en lumière le comportement de certains conseillers du
Chapitre Sixième – Études de cas
427
réseau qui, constatant la vente de produits par le centre d’appels, les annulent tout simplement
pour les refaire à l’identique, et par conséquent éviter de perdre la prime liée à la vente.
Notre recherche de terrain a mis en évidence que des conseillers du réseau D’autres
développent de véritables stratégies leur permettant de reprendre la main sur la relation avec
leur clientèle haut de gamme (la plus rémunératrice), qui en communiquant un numéro de
téléphone direct, qui l’e-mail professionnel, qui encore en indiquant à ses clients comment
contourner ce qu’ils considèrent être le « barrage » de l’accueil (dixit plusieurs des
conseillers interviewés). D’autres enfin limitent volontairement la quantité d’informations
renseignée dans la fiche client informatisée, pour s’assurer d’une meilleure maîtrise de la
relation.
Pourtant, pour paradoxal que cela puisse paraître, la totalité des conseillers rencontrés
est unanime sur un point : il est hors de question de revenir en arrière, tant la nouvelle
organisation a amélioré leur confort de travail. Malgré cela, la plupart ne considère ces centres
d’appels que comme de simples outils destinés à les décharger d’une part chronophage et peu
valorisante de leur métier (ce dont ils leur sont très reconnaissants), ce qui est normal
puisqu’ils leur furent conçus comme tels. Mais ils ne sont absolument pas prêts à leur céder la
part commerciale de leur travail. Quoique embryonnaires, ces dérives n’en sont pas moins
révélatrices d’un certain malaise au sein des réseaux, malaise auquel les directions ne portent
pas toujours l’attention nécessaire.
III.2.1.c) Le mirage du marketing relationnel.
Le multicanal se veut être le fer de lance des stratégies relationnelles des banques de
détail. Il est basé sur une multiplication des contacts entre la banque et ses clients à travers
différents médias. Ces stratégies, nous l’avons expliqué plus haut, consistent par ailleurs à
substituer pour une large part une pseudo-relation à une relation interindividuelle entre le
client et son conseiller. Dans le premier cas, ce n’est que multiplication de contacts, de
transactions entre le client et différentes interfaces de la banque pour délivrer un service
standardisé et impersonnel : le client aura toujours affaire à une machine, et/ou à des
interlocuteurs différents et parfaitement interchangeables, qui tenteront de donner l’illusion de
la personnalisation. Cette distinction a des retombées managériales lourdes de conséquences.
En effet, les clients sont conscients des différences entre pseudo-relations et relations,
qu’ils valorisent très différemment (Gutek et al., 2000 ; Gutek et al., 2002 ; O'Loughlin et al.,
2004). Dans la banque, les secondes sont primordiales pour s’assurer de la fidélité de la
Chapitre Sixième – Études de cas
428
clientèle. Or, certaines des modalités de l’implémentation des stratégies multicanales,
couplées à des facteurs tels que des tarifs que les client perçoivent comme opaques et en
permanente augmentation, laissent augurer des répercussions négatives sur la qualité de ces
relations. Surprenant et Solomon (1987) montrent ainsi que la personnalisation programmée
(par exemple, accueil des clients par leur nom alors que les deux interlocuteurs ne se
connaissent pas), propre aux pseudo-relations, réduit l’évaluation que fait le client d’élément
aussi essentiels que la confiance, la compétence et l’efficacité.
La possibilité pour le client d’effectuer la majorité de ses opérations courantes en
dehors de l’agence par l’intermédiaire des canaux précités limite le nombre de contacts
inopinés avec son conseiller. Ceci se traduit, comme nous l’avons souligné, par une
organisation plus efficace du commercial. Mais c’est oublier que ces échanges directs sans
valeur ajoutée immédiate contribuent à construire la dimension affective indispensable à la
relation, et sur le long terme améliorent la productivité, la qualité de service perçue et la
fidélité des clients (Lemmink et Mattsson, 1998). Leur amoindrissement explique de manière
tout à fait plausible les propos tenus par plusieurs des conseillers que nous avons interrogés,
selon lesquels « les clients ne font plus de sentiment », « maintenant, ils partent à la
concurrence pour 0,10% ».
Cet aspect a été totalement occulté par la nouvelle organisation de la distribution. En
dépit du discours rassurant selon lequel prévalaient réactivité et qualité du service sur la
réduction de coût, il est évident que c’est cette dernière qui a guidé l’essentiel de la réflexion
de l’industrie bancaire (Beckett, 2004 ; Bénavent et Gardes, 2006).
III.2.1.d) La question du choix du mode de contact.
Bateson (1985) a montré que les clients préfèrent avoir le choix du mode de contact
avec l’entreprise prestataire de services, de même que leur satisfaction s’accroît avec leur
perception du degré de contrôle qu’ils exercent sur ce mode de contact. Transposé au
multicanal bancaire, cela revient à dire que plus les clients ont la sensation de maîtriser le
moment et la façon dont ils entrent en contact avec leur banque, plus ils sont satisfaits.
Considérons le canal Internet. Le client est libre de l’utiliser ou non, dès qu’il le
souhaite, et ne ressent aucune contrainte commerciale, du fait de l’absence d’interlocuteur
(tout comme pour les serveurs vocaux). De plus, l’utilisation du Web permet de bénéficier de
tarifications avantageuses (virements, ordres de bourse, etc.). La situation diffère quelque peu
pour les DAB / GAB : les clients y ont été poussés par la tarification progressive d’opérations
Chapitre Sixième – Études de cas
429
au guichet de l’agence, puis par leur suppression pure et simple dans certains réseaux. La
période de transition a facilité l’acceptation par la majorité de la clientèle, qui a très vite pris
conscience des avantages du système (attente minime, accessibilité, rapidité de l’opération,
etc.), et qui conservait néanmoins la possibilité de réaliser l’opération en agence. Il s’agit
alors d’un choix sous contrainte, les banques orientant leur clientèle vers un canal à moindre
coût (Munos, 2003a).
Il en va tout autrement pour les centres d’appels, fussent-ils entrants ou sortants. Pour
les seconds, c’est l’évidence même : le contact est à l’initiative de la banque, et le client subit
l’appel. En ce qui concerne les premiers, le degré de contrôle perçu par le client ne relève pas
de l’existence ou non du centre, mais du mode d’organisation retenu, et du segment auquel
appartient le client. Dorénavant, ce dernier n’a plus le choix : hormis dans le cas, rare, où son
conseiller lui a transmis son numéro direct, il ne peut plus joindre directement son agence et
doit transiter par un téléconseiller, dont les compétences techniques permettent le plus
souvent de traiter sa demande, mais dont la simple existence vide d’une partie de sa substance
la relation client / conseiller. Cela n’est cependant pas vrai si le client présente un profil qui le
classe dans les segments que la banque cherche à capter, conserver et privilégier.
Impersonnel est certainement le qualificatif le plus approprié pour qualifier tout
échange entre un client et un centre d’appels, en dépit des effort déployés pour
« repersonnaliser » l’échange. Un des téléconseillers de l’EFN nous a d’ailleurs avoué ce qui
suit :
« Quand je dis personnalisé, c’est vrai qu’on personnalise le client dans notre discours, mais
c’est ça, c’est que ça. C’est pas réellement, c’est pas vraiment personnalisé, je veux dire. On
va pas traiter un client différemment d’un autre. Donc c’est vrai que ça reste assez anonyme.
L’avantage, c’est que le discours est censé être homogène, d’un téléconseiller à l’autre, d’un
client à l’autre, mais bon, c’est tout » (EFN PFE 04).
Ces éléments nous permettent d’interpréter comme suit deux résultats d’une récente
étude, où le taux de satisfaction affiché à l’égard des services dispensés par téléphone n’est
que de 29%, et où une majorité de clients se disent « insatisfaits de l’intimité de la relation
avec l’interlocuteur principal325 ». Le passage quasi-obligé par un téléconseiller a un impact
325 « L’Internet bancaire, nouvelle vague ? », Étude réalisée par Novamétrie en 2004. http://www.novametrie.com/html/secto_internetbque01.html
Chapitre Sixième – Études de cas
430
négatif sur la relation de proximité que les clients souhaiteraient entretenir avec leur conseiller
attitré, puisqu’ils ont la sensation que ce dernier n’est plus seul à gérer leur compte.
Finalement, une des finalités du multicanal était de différencier les fonctions des
canaux, en permettant aux conseillers de se concentrer sur les activités à plus forte valeur
ajoutée, visant à favoriser leur activité commerciale et, partant, accroître leur volume de
vente. Or, on peut se demander si le mode d’organisation et la façon de mettre en place le
multicanal ne vont pas, au moins partiellement, à l’encontre de cet objectif, puisque les gains
de productivité attendus tardent à se faire sentir.
III.2.2 Les solutions possibles.
Sans donner de solution clés en main, il nous semble que les pistes qui suivent
mériteraient d’être creusées pour améliorer l’efficacité et l’efficience de la distribution
multicanale. Certaines d’entre elles sont déjà en cours d’implémentation dans certains
établissements.
III.2.2.a) L’enrichissement des tâches des centres d’appels.
Nous avons souligné les problèmes de motivation qui risquent de se poser dans les
centres d’appels, si les banques veulent y conserver un personnel doté de compétences
bancaires sans être de purs téléopérateurs. Une solution possible passe par l’enrichissement du
travail des téléconseillers. La BCR, par exemple, avait commencé au moment de notre étude à
rerouter les mails destinés aux agences vers les centres d’appels, pour que leur traitement soit
assuré par les téléconseillers. Il est également possible de donner à leur travail une
composante commerciale plus marquée, comme le font déjà certains établissements, à l’instar
de l’EFN, qui proposent par ce canal crédits personnels, produits d’épargne, etc... Nous avons
toutefois vu le tollé que cela provoque parmi les conseillers du réseau : outre ouvrir de facto
une brèche dans leurs prérogatives quasi-exclusives, et renforcer une pression commerciale
déjà très pesante, cela limite en plus la part de leur rémunération indexée sur le volume de
leurs ventes ou la réalisation de leurs objectifs.
Cet enrichissement ne peut donc se faire, pour le moins, sans une réflexion d’ensemble
sur les modes de rémunération à la fois propres à chaque canal, qu’à l’ensemble des canaux.
Rétrocéder la totalité des ventes aux agences, sans qu’aucune partie variable ne revienne aux
téléconseillers équivaudrait d’une certaine manière à demander à ces derniers de travailler
gratuitement pour les premières. Quant au principe de double rétrocession (la prime sur la
Chapitre Sixième – Études de cas
431
vente est touchée à la fois par le conseiller et son homologue du centre d’appels qui a réalisé
la vente), il n’est pas économiquement viable à long terme pour l’entreprise, à moins d’en
faire une mesure de transition vers un système qui sera perçu comme plus équitable (Myers et
al., 2004).
III.2.2.b) Aider à la réorganisation du travail des conseillers du réseau
Soulagés de la pollution des appels téléphoniques, les conseillers doivent réinvestir ce
gain de temps pour faire du commercial, et en particulier, adopter une démarche pro-active :
puisque les clients ne viennent plus à eux, à eux d’aller vers leurs clients. Une telle
transformation implique de dépasser le stade de la simple incantation, et les former à cette
approche, tout en renforçant encore leurs compétences de ciblage de la clientèle et de gestion
du risque. Or, nos études de cas montrent que cette réflexion n’est pas menée. La dérivation
des appels a lieu, l’intérêt est porté au fonctionnement global du réseau, avec une acuité plus
ou moins vive, mais la réorganisation que ce changement engendre en agence ne semble pas
faire l’objet d’une attention particulière. Ni les conseillers, ni les responsables locaux
rencontrés n’ont fait état de formations consécutives à la mise en place des nouveaux canaux.
Certains établissements (parmi lesquels la BCR) proposent à leurs employés des formules de
prêt à conditions préférentielles pour s’équiper en informatique, et ainsi se familiariser d’eux-
mêmes avec Internet. D’autres ont organisé des séances de présentation des nouveaux outils.
Mais cela ne va généralement pas plus loin. Il n’y pas eu de formation au phoning, à la
gestion du temps, etc. Schématiquement, le principe de base fut de dire : « vous voilà
maintenant doté d’un temps commercial accru. Il faut que vous l’utilisiez pour accroître vos
ventes et votre productivité », sans (presque) aucun accompagnement.
III.2.2.c) Ne pas oublier ce qui fait la nature de la relation.
Parallèlement, les contacts avec la clientèle ne doivent pas tous se limiter à une
activité de vente. Plusieurs des conseillers rencontrés au cours de notre étude ont mis en avant
la redoutable efficacité de gestes commerciaux « de courtoisie » (envoi d’une carte de vœux
personnelle, appel à l’occasion d’un anniversaire, etc...) à destination de leur clientèle haut de
gamme. Il est bien évident que de telles stratégies locales ne peuvent concerner l’ensemble de
clients, et doivent s’ancrer dans une segmentation précise de la clientèle. Mais elles
participent indéniablement d’une politique de fidélisation, qui contraste avec les objectifs
court-terme imposés par les établissement bancaires à leur personnel.
Chapitre Sixième – Études de cas
432
Nous pensons qu’une réduction, même minime, de la taille des portefeuilles
(compensée par un nombre limité d’embauches) favoriserait une telle gestion qualitative de la
relation, et renforcerait la fidélisation de la clientèle, entraînant une augmentation des revenus
à long terme (Reichheld, 1999. En outre, les clients considèrent que les offres bancaires sont
faiblement différenciées, tant au plan des produits et services proposés, que de la gestion de la
relation (Zollinger et Lamarque, 2004). Pareille décision irait dans le sens d’une réelle
différenciation vis-à-vis des concurrents, et faciliterait le retour des clients vers les agences
pour des opérations ciblées à forte valeur ajoutée.
Cette prise de conscience s’illustre d’ailleurs par les campagnes récentes de
communication de certains établissements. Le nouveau slogan du Crédit Agricole est « une
relation durable, ça change la vie », tandis que le Crédit du Nord affichait récemment, à
l’entrée de ses agences : « Ici, tous nos conseillers sont joignables directement par
téléphone ».
III.2.2.d) Accroître la socialisation organisationnelle des clients.
Le rôle accru que le multicanal fait jouer aux clients nécessite qu’ils soient plus
conscients de l’importance de leur comportement sur la qualité globale du service qu’ils
reçoivent. Outre l’explication des avantages que les changements peuvent représenter, nous
pensons que les banques doivent s’astreindre à une plus grande transparence sur leurs
processus. Cela permettrait aux clients de mieux comprendre leur rôle, et de participer non
dans une logique de résignation face à la contrainte, mais d’acceptation.
Les évolutions du progrès technique vont d’ailleurs dans le sens de cette transparence :
les clients en agence peuvent maintenant regarder l’écran d’ordinateur de leur conseiller alors
même que ce dernier leur fait une simulation de prêt ; les opérations de maintenance des sites
Internet sont généralement planifiées et indiquées à l’avance aux clients. Cela va dans le sens
de Fitzsimmons, qui dès 1985 soulignait que la nature des entreprises de services les
contraindrait de plus en plus à une certaine transparence sur leur fonctionnement. Les
banques, comme les clients, comme les employés, doivent être véritablement conscientes de
ce que l’organisation de leur réseau de distribution multicanal est le fruit d’une construction
entre eux trois. Et la seule manière pour les clients d’en prendre conscience de manière
congruente avec les attentes de la banque repose dans les techniques de socialisation
organisationnelle.
Chapitre Sixième – Études de cas
433
Celles-ci restent notamment primordiales pour amener le client à utiliser les nouveaux
canaux mis à sa disposition. Or, sur un plan organisationnel, cette contrainte n’est pas suivie
des faits. Une banque comme l’EFN, lorsque nous y avons mené nos entretiens, ne fournissait
pas même l’accès à Internet à ses agences, dans lesquelles les employés ne pouvaient donc
pas se connecter avec leurs clients pour faire des démonstrations en temps réel. Seul, un
applicatif leur permettait de procéder à cette démonstration, sans aucune souplesse.
III.2.2.e) Développer les échanges et synergies entre les canaux.
Sur un plan opérationnel, l’obligation de réactivité à la demande du client, qui souhaite
obtenir rapidement sa réponse, exige des moyens de communication appropriés (téléphone,
messagerie interne). Nous avons dans notre étude terrain deux cas diamétralement opposés
sur ce plan : l’utilisation du fax à l’EFN, en plus de donner de l’entreprise une image peu
moderne, retarde la communication entre les canaux, et accroît le sentiment d’être
physiquement débordé par l’information. Les conseillers de la BCR, à l’inverse, reçoivent ces
informations en temps réel sur leur poste de travail, et peuvent les traiter facilement sans être
encombré d’une multitude de documents. Néanmoins, ces échanges et synergies ont été très
largement basés sur l’informatique et les moyens modernes de communication, au détriment
semble-t-il de l’organisation.
Ainsi, le déploiement de structures appropriées pour faciliter ces échanges et synergies
entre les canaux est également indispensable. Cela doit se faire, comme nous l’avons montré,
en amont de l’existence des nouveaux canaux, mais leur existence doit également être
pérennisée ensuite, d’une manière ou d’une autre. L’organisation régulière de groupes de
travail mêlant personnel des agences (directeurs d’agence, mais aussi simples conseillers), et
personnel d’autres canaux doit permettre une évolution incrémentale des procédures. La
fréquence de ces réunions était trimestrielle à la BCR, et les membres du groupe de travail
issus des caisses tournaient régulièrement pour assurer le renouveau des idées et du feedback
de la clientèle. Cette évolution nécessite aussi une sensibilisation des opérationnels à
l’importance de la remontée systématique des dysfonctionnements, laquelle reste trop faible.
La simple mise à disposition de l’information favorisant ces échanges n’est pas suffisante
sans de fréquents rappels.
Par ailleurs, coopération et coordination entre les canaux passe aussi par une
reconnaissance et une valorisation de leur importance mutuelle. Autrement dit, et pour donner
Chapitre Sixième – Études de cas
434
un exemple, si un téléconseiller obtient un rendez-vous en agence à la suite d’un rebond
commercial, il doit savoir si ce rendez-vous a débouché ou non sur un résultat. Sans
obligatoirement mettre en place des outils de suivi au cas par cas (trop lourd et d’une moindre
efficacité), une gestion globale renforcerait la motivation des téléconseillers, qui connaîtraient
leur contribution à l’activité commerciale des agences, et limiterait très certainement les
pratiques peu orthodoxes des conseillers que nous avons mentionnées plus haut.
Enfin, la mobilité fonctionnelle, i.e. le transfert de personnel entre les canaux, outre
donner des perspectives d’évolution variées susceptibles de fidéliser le personnel (Lamarque
et Maymo, 2005) participe d’un partage de connaissance réciproque sur le fonctionnement des
canaux, favorable à la coordination.
Pour conclure sur ce point, nous reprendrons les propos de Gittell (2002), qui à nos
yeux résument parfaitement les enjeux sous-jacents à ce besoin d’échanges et de synergie
dans le contexte dans lequel évolue le multicanal bancaire : « les relations entre les employés
prestataires de services vont certainement devenir de plus en plus importantes dans le
support des relations entre un prestataire avec un client tandis que les opportunités de
relations personnelles déclinent entre les employés en contact et leurs clients » ( : 308-309).
III.2.3 Une possible inadéquation des objectifs du
multicanal.
Nous conclurons cette analyse, et par là même ce chapitre, en soulevant l’interrogation
qui suit : les objectifs du multicanal sont-ils congruents entre eux ?
L’objectif stratégique avoué de la majorité, sinon la totalité, des établissements
bancaires est de pouvoir, à terme, transformer tout contact en opportunité de vente. Nous nous
demandons toutefois si cela ne relève pas d’une fausse bonne idée. Nous ne remettons
absolument pas en cause l’existence du multicanal, dont la réalité est incontournable, et les
avantages considérables. Et nous reconnaissons que, à l’instar de toute entreprise (de Fournas,
1998), l’objectif d’une banque est de croître et de générer de la valeur pour chacun de ses
« stakeholders » (parties prenantes). Mais la possible inadéquation entre ces deux objectifs –
vendre sur tous les canaux et créer de la valeur pour les parties prenantes – mérite une
attention particulière.
Il semble difficile de maximiser la valeur actionnariale si la concurrence interne a des
conséquences organisationnelles négatives, qui se traduisent par le besoin de mettre en place
Chapitre Sixième – Études de cas
435
des procédures de contrôle interne plus coûteuses que le résultat net marginal que cette
cannibalisation permet d’atteindre. On ne pourra pas non plus créer de valeur pour des
employés qui se sentent concurrencés par leurs propres collaborateurs, et investissent une
partie de leurs efforts dans le contournement de cette concurrence. Enfin, certains réseaux
distribuent, via Internet ou leur centre d’appels, des produits selon des conditions distinctes de
celles disponibles en agence (des taux différents pour un crédit, par exemple). Là encore,
comment créer de la valeur pour les clients, susceptibles de se perdre dans une multitude
d’offres différenciées selon les canaux ? A nouveau, ces interrogations montrent que les
solutions ne sont pas simples, et que le travail tant théorique que managérial nécessaire à leur
résolution reste immense.
Chapitre Sixième – Études de cas
436
EN CONCLUSION DU CHAPITRE SIXIÈME… L’influence multi-niveaux du client sur la coordination
d’un réseau de distribution multicanal
Ce chapitre nous a permis de confronter au terrain nos interrogations sur la
coordination d’un réseau de distribution multicanal, à travers la réalisation de deux études de
cas dont nous venons de livrer les résultats. Leur analyse nous a notamment permis :
Ø De contribuer à l’approfondissement du processus de coordination en
développant les dimensions et composantes de la coordination relationnelle
qui nous ont servi à l’analyse des données ;
Ø D’attester empiriquement de notre proposition théorique de la création
interactionniste de quatre rôles que joue le client, rôles qui influencent la
coordination des employés en contact d’un réseau de distribution multicanal ;
Ø De montrer que l’influence du client sur l’employé en contact est modulée par
la nature et l’historique de l’échange qu’il entretient avec ledit employé ;
Ø De placer l’influence du client sur la coordination relativement à deux
dualités : l’une située temporellement par rapport à la mise en place d’un
nouveau canal (ex-ante vs ex-post), l’autre située structurellement (locale vs
globale) ;
Ø De proposer une perspective de la coordination comme étant un processus
social, ancré dans une dynamique historique, qui mobilise différents
mécanismes de coordination pour gérer les interdépendances
Ø De nous livrer à une analyse des défis stratégiques et organisationnels
auxquels le secteur de la banque de détail risque selon nous d’être confronté
dans un avenir proche, voire immédiat, du fait de la croissance continue du
multicanal.
Conclusion de la Troisième Partie
437
CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE
S’achève avec cette troisième partie la dernière étape de notre recherche. Après avoir
bâti, durant les deux premières, un cadre théorique visant à comprendre la place du client dans
la coordination d’un réseau de distribution multicanal, nous l’avons rapproché du « réel »
pour en vérifier le potentiel explicatif. La manière dont nous avons procédé à cette
confrontation a été retranscrite en deux chapitres :
Ø L’un justifie notre positionnement épistémologique et notre démarche de
recherche, aux plans du recueil et de l’analyse des données. Ce chapitre est à
la fois celui d’une élucidation du processus de la recherche, mais aussi d’une
réflexion a posteriori sur la manière dont ledit processus a été vécu par le
chercheur.
Ø Le second apporte l’éclairage des acteurs terrain tel que le chercheur
l’interprète en regard de sa grille de lecture. Il fut l’occasion d’éclairer les
propositions de recherche que nous avions formulé, mais également de les
dépasser, en nous permettant de nous situer dans les débats sur la nature de la
coordination en tant que processus ou en tant qu’état. Enfin, nous nous
sommes livré à une analyse prospective de la banque de détail en ciblant
quelques uns des principaux défis stratégiques et organisationnels que portent
en germe les stratégies et organisations multicanales des acteurs du secteur.
L’exposé des résultats tirés de l’analyse du terrain complète et enrichit la revue de
littérature, et nous permet de situer l’ensemble des apports de cette thèse, ainsi que de prendre
conscience de certaines de ses carences.
Ainsi, après avoir gouverné notre embarcation sur l’immense océan de la
connaissance, nous apercevons finalement le rivage…
Conclusion Générale
438
CONCLUSION GÉNÉRALE
a réalisation de ce travail doctoral, dont la restitution atteint maintenant le
terme de son périple, a été guidée par deux objectifs, résumés en une
problématique que nous avons déclinée en cinq propositions de recherche.
Nous les rappelons une ultime fois (Encadré 6), avant d’exposer les apports théoriques,
méthodologiques, et managériaux de cette thèse, de même que ses limites et les voies de
recherche futures qu’elle concoure à ouvrir.
Encadré 6 : Rappel des objectifs, de la problématique et des propositions de recherche
OBJECTIFS
1. Contribuer à répondre aux interrogations théoriques et managériales concernant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal
2. Participer à l’explicitation du rôle joué par le client dans la coordination intra-organisationnelle
PROBLÉMATIQUE
Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?
PROPOSITIONS DE RECHERCHE
1. Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact
2. Le client influence le recours aux mécanismes de coordination
3. Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.
4. La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact
5. Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.
APPORTS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES.
Notre recherche permet d’apporter des éléments de réponse au confluent de trois
appels à contributions émanant de la littérature : l’un en faveur de travaux théoriques et
empiriques sur le multicanal, tout d’abord (Frazier, 1999 ; Frazier et Shervani, 1992 ;
Peterson et Balasubramanian, 2002) ; un autre, d’un besoin d’approfondissement de la
Conclusion Générale
439
connaissance sur la place tenue par le client dans une organisation productive (Bowen et
Hallowell, 2002 ; Danet, 1981 ; Parsons, 1956) ; le troisième, enfin, du développement de
travaux multidisciplinaires sur les organisations de service (Lemmink, 2005 ; Lemmink et al.,
2004 ; Lings et al., 2004).
Le multicanal est un objet de recherche relativement neuf. Ainsi, notre état de l’art
représente, en lui-même, une contribution à la littérature, dont l’intérêt réside principalement à
deux niveaux. Tout d’abord, la proposition de trois types de complémentarité,
empiriquement vérifiés. Secundo, une définition d’un réseau de distribution multicanal
qui s’émancipe de la nature des canaux qui le composent pour s’ancrer dans ses
caractéristiques propres.
Puis, l’adoption d’une perspective interactionniste de la participation client, qui
rompt avec la tradition fonctionnaliste présente dans la littérature, nous a permis d’intégrer le
client en tant qu’acteur de la coordination du réseau de distribution multicanal. Cette
perspective, à partir de laquelle nous avons avancé que le client est à l’origine
d’interdépendances dont il est lui même partie prenante, a pris corps de trois manières :
Ø Une définition interactionniste de la participation client ;
Ø La proposition de l’existence d’inputs relationnels, enracinés dans les
données de l’étude exploratoire, et validés par les deux études de cas
ultérieures ;
Ø La proposition d’un rôle de filtre, et de trois rôles de catalyseur que joue le
client. Ces rôles, vérifiés empiriquement, se construisent dans ses interactions
avec les employés en contact de l’entreprise, et sont le fruit de la perception
de l’arbitrage entre les déterminants et des inputs de sa participation par
lesdits employés.
L’exercice de ces quatre rôles par le client a une influence sur la coordination des
canaux qui composent le réseau, à la fois au niveau de leur design, i.e. sur les mécanismes
qui assurent la coordination entre les canaux, mais aussi sur le processus social de
coordination entre les employés en contact, dans le cadre duquel sont mobilisés ces
mécanismes. Nous avons de plus empiriquement identifié les inputs et les déterminants à
l’origine de la survenue de cette influence en fonction des mécanismes, et des dimensions et
composantes du processus de coordination.
Conclusion Générale
440
De surcroît, ce processus de coordination a fait l’objet d’un double enrichissement
empirique. Sa dimension relationnelle a été élargie par l’ajout de l’indulgence et de la
reconnaissance, et certaines de ses composantes ont été approfondies (différenciation entre
plusieurs catégories d’objectifs partagés, diverses caractérisations de la reconnaissance).
Enfin, nous adoptons une vision processuelle de la coordination d’un réseau de
distribution multicanal, qui est intimement connectée à la stratégie et à l’organisation. Cette
vision implique l’existence d’un processus social à deux dimensions (communicationnelle et
relationnelle), qui s’inscrit dans une dynamique historique et s’appuie sur différents
mécanismes de coordination. Nous prenons donc part au débat sur la nature de la coordination
(Cheng, 1984), laquelle se veut pour nous fondamentalement processuelle, au sens où nous
l’avons défini.
Au regard de la méthodologie, deux types d’apports peuvent être évoqués :
Ø Certaines publications s’adressent aux employés pour mesurer le degré de
satisfaction des clients vis-à-vis d’une rencontre de service (e.g. Bitner et al.,
1994 ; Schneider et al., 1980). Mais nous n’en avons pas vu cherchant à
mesurer la perception que les employés ont de la participation, ni a
fortiori s’intéressant à l’influence de cette participation sur la coordination de
cette manière.
Ø Les travaux de Gittell sur le processus de coordination font appel à une
méthodologie quantitative. Nous considérons le recours à des études
qualitatives comme un apport méthodologique, qui nous a mis en capacité
d’enrichir le processus de coordination.
En outre, notre recherche est l’une des premières à employer les outils d’analyse
qualitative mis à notre disposition par Nvivo 7, dont nous espérons avoir convaincu de
l’intérêt d’utilisation dans une recherche de cette nature.
Conclusion Générale
441
APPORTS MANAGÉRIAUX.
L’ancrage empirique de cette thèse nous permet d’en retirer un certain nombre
d’apports managériaux.
Tout d’abord, la mise en évidence du rôle tenu par le client dans la coordination
multicanale nécessite une réflexion plus vaste sur la socialisation organisationnelle du client,
qui doit notamment passer par une transparence accrue sur les processus, afin de valoriser
sa participation et d’en améliorer la teneur (amélioration de la qualité de service interne et
externe).
Ensuite, le déploiement d’un réseau de distribution multicanal ne peut se faire sans
l’active coopération de tous les acteurs, au risque d’assister à une multiplication des
comportements déviants, aux répercussions économiques négatives. Si en externe, cela passer
par l’utilisation des techniques de socialisation organisationnelle, en interne, cela nécessite
une implication des parties prenantes en amont de la finalisation du nouveau canal. Cette
implication passe par leur incorporation dans des structures projet temporaires, dont
l’avantage est double : montrer au personnel existant qu’il est pris en compte dans la
démarche, et intégrer l’expérience et la connaissance qu’ont les employés en contact sur les
clients, avec tout ce que cela induit en termes de gestion de la relation client, d’organisation
quotidienne du travail, etc.
Ces structures doivent être pérennisées, soit en l’état, soit sous une forme
aménagée. Elles doivent également être complétées par d’autres mécanismes qui
promeuvent les échanges et les collaborations entre les canaux.
Enfin, le déploiement d’un réseau de distribution multicanal ne peut faire l’économie
d’un accompagnement du personnel des canaux existants, dont l’activité se trouve
fortement modifiée.
LIMITES
La première des limites de cette recherche est inhérente à sa méthodologie, qualitative,
qui proscrit toute visée généralisatrice des résultats.
La maîtrise de la constitution de notre échantillon nous a partiellement échappé
dans les trois établissements bancaires étudiés. Aussi, en dépit des précautions
Conclusion Générale
442
méthodologiques dont nous avons tenté de faire preuve, il est possible que cela ait biaisé nos
résultats.
Ensuite, nous n’avons pas pu récolter d’informations sur les caractéristiques
précises de la clientèle de chaque banque, de chaque agence ou de chaque conseiller. La
qualité de la comparaison entre les agences, et entre les cas, s’en est peut être ressentie, avec
une analyse un peu moins fine que nous ne l’aurions souhaitée initialement.
Une autre limite dont souffre notre travail tient à la structure des réseaux de
distribution multicanaux étudiés : le client y est en interaction avec un employé différent
sur chaque canal. Or, la totalité de notre analyse s’effondre dans le cas où le client dispose
d’un interlocuteur unique quelque soit le canal qu’il utilise, puisque n’interagissant plus avec
plusieurs employés, dont la problématique de coordination vis-à-vis du client disparaît.
Néanmoins, ce type d’organisation paraît peu vraisemblable sur un marché de masse, mais
plus plausible sur un marché de niche.
Enfin, l’importance que nous accordons à la participation client pourrait laisser
croire au lecteur qu’il s’agit du seul facteur à influencer la coordination. Nous assumons cette
présentation, puisqu’elle nous permet de répondre à nos objectifs et problématique de
recherche. Néanmoins, nous tenons à préciser que sommes conscients de ce que nous
n’expliquons qu’une partie de la coordination intra-organisationnelle, qui dépend de la
participation, mais aussi d'autres facteurs comme la stratégie ou la structure organisationnelle.
VOIES DE RECHERCHES FUTURES
Ces voies de recherches sont de trois ordres : théoriques et / ou empiriques ; et
méthodologiques. Commençons par les deux premières.
Notre réflexion sur l’influence du client sur la coordination est enchâssée dans le
multicanal. Nous pensons toutefois que ses soubassements théoriques sont suffisamment forts
pour l’en déconnecter, et avons la conviction de sa portée généralisatrice à toute situation où
le client est en contact avec plusieurs employés interdépendants, dont le multicanal est à nos
yeux un idéal-type au sens de Wéber. Néanmoins, conviction n’est pas science, et des
travaux menés dans des contextes distincts du multicanal sont nécessaires pour l’invalider,
la renforcer, ou l’enrichir.
Conclusion Générale
443
Nous n’avons en outre fait qu’effleurer les liens potentiels entre les quatre rôles de
filtre et de catalyseur que nous avons mis à jour. L’approfondissement de ces liens est une
piste intéressante, car il permettrait une compréhension accrue du rôle du client sur la
coordination.
Ces recherches seraient susceptibles de s’inspirer des théories néo-institutionnelles,
à l’enrichissement desquels elles participeraient, puisque Joffre et Montmorillon (2001)
notent que le client est « très curieusement absent » ( : 244) de leur analyse. Les travaux
relevant de ce courant recèlent vraisemblablement des outils d’analyse qui pourraient aider à
une meilleure compréhension de la participation du client à la coordination, et bénéficieraient
de nouveaux approfondissements.
Enfin, il serait intéressant de transposer cette analyse à un contexte
interorganisationnel, comme dans le cadre d’une alliance entre deux entreprises proposant
des services différents à des clients identiques.
Au plan méthodologique, nous proposons trois catégories de travaux :
Ø Des recherches quantitatives menées auprès des employés en contact
uniquement, à fin de généralisation de nos résultats.
Ø Des recherches quantitatives ou qualitatives auprès des clients, par
exemple pour mesurer leur degré de conscience de l’activation de ces rôles,
de manière à savoir comment le prestataire de services peut les influencer en
sa faveur.
Ø Des recherches quantitatives ou qualitatives au niveau de la dyade
client/employé, par exemple pour mesurer le niveau de congruence des
perceptions des acteurs et les accorder sur la base d’un script commun qui
maximiserait l’efficacité de la coordination, de façon à améliorer la qualité de
service. Ce genre de travaux sur la dyade reste encore confidentiel, alors que
l’utilité théorique et la portée managériale en sont avérées (Hubbert et al.,
1995).
Cette thèse ne fait que poser les fondations d’un projet de connaissance à plus long
terme. Et à l’instant où nous la clôturons, nous mesurons peut-être mieux que jamais la portée
de la citation d’Evry Schatzman qui a ouvert ce document…
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Table des Matières
470
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS....................................................................................................................I SOMMAIRE .............................................................................................................................IV INTRODUCTION GÉNÉRALE ................................................................................................. 1
PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE .......................................................................................................................... 11
CHAPITRE PREMIER :DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL....................................................................... 13
SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL........................14 I.1 Le canal de distribution : deux perspectives complémentaires. ...........................................14
I.1.1 Une perspective « verticale » du canal de distribution. ...............................................15 I.1.1.a) Caractéristiques générale du canal. .....................................................................15 I.1.1.b) Les membres du canal. ........................................................................................16
I.1.2 Une conception « horizontale » du canal de distribution.............................................17 I.1.3 Notre recherche : le canal pris comme formule de distribution. ..................................19
I.2 Le multicanal : présentation et caractéristiques générales..................................................20 I.2.1 Un constat : une littérature encore peu fournie. ........................................................... 20 I.2.2 Revue chronologique des définitions du multicanal ....................................................22 I.2.3 Caractéristiques d’un réseau de distribution multicanal. .............................................23
I.2.3.a) Une multiplicité d’objectifs.................................................................................24 I.2.3.b) Multicanal = plusieurs canaux ?..........................................................................25
I.2.3.b.(1) Quid du nombre de canaux. ............................................................................25 I.2.3.b.(2) Quid du type de canal ? ..................................................................................26 I.2.3.b.(3) Quid de l’agencement des canaux ?................................................................ 27
I.2.3.c) Nature des canaux de distribution. ......................................................................29 I.2.3.c.(1) Canaux directs versus canaux indirects. .........................................................29 I.2.3.c.(2) Canaux online versus canaux offline. ............................................................. 30 I.2.3.c.(3) Des typologies non exclusives. .......................................................................31
I.2.3.d) Quid de notre recherche ? ...................................................................................32 I.2.3.d.(1) Le nombre et le type de canaux. .....................................................................32 I.2.3.d.(2) La nature des canaux. .....................................................................................32
I.3 Différenciation et complémentarité fonctionnelles des canaux de distribution. ..................32 I.3.1 Les fonctions du canal de distribution. ........................................................................33
I.3.1.a) Typologies des fonctions des canaux de distribution. .........................................33 I.3.1.b) Vers une complémentarité fonctionnelle des acteurs du canal............................ 35
I.3.2 Une application aux formules de vente........................................................................35 I.3.2.a) Préférences fonctionnelles des clients................................................................. 36 I.3.2.b) Différenciation et complémentarité fonctionnelles objectives, contextualisées et perçues. ............................................................................................................................. 38
I.4 Le réseau de distribution multicanal : une définition...........................................................39
SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL. ...................................................................................................41
II.1 Principes du développement des réseaux de distribution multicanaux. ........................... 41 II.1.1 L’innovation technique. ............................................................................................... 42
Table des Matières
471
II.1.2 Une révolution concurrentielle. ...................................................................................43 II.1.3 Les clients à la recherche de commodité et de contrôle...............................................43 II.1.4 La fragmentation des marchés. ....................................................................................44 II.1.5 Évolution des marchés et des cycles de vie des formules de distribution....................44 II.1.6 Un mimétisme stratégique et culturel. .........................................................................45
II.2 Les avantages d’une stratégie de distribution multicanale. .............................................46 II.2.1 Que peut retirer une entreprise d’une telle stratégie ? .................................................47
II.2.1.a) Côté offre : une amélioration de l’efficience. .....................................................47 II.2.1.a.(1) Une baisse potentielle des coûts de distribution ............................................47
(i) Miser sur les avantages de coûts relatifs des canaux. .........................................48 (ii) Réaliser des économies d’échelle........................................................................49 (iii) Réaliser des économies d’envergure. .................................................................49
II.2.1.a.(2) Transversalité, flexibilité et partage des ressources. ......................................50 II.2.1.b) Côté demande : toujours plus. .............................................................................50
II.2.1.b.(1) Accroître la demande. ....................................................................................50 II.2.1.b.(2) Améliorer la satisfaction globale du client pour approfondir la relation client / entreprise. .......................................................................................................................51 II.2.1.b.(3) Accroître les prix proposés. ...........................................................................52
II.2.2 Un gain de valeur délivré aux clients...........................................................................53 II.2.2.a) La valeur perçue : une définition. .......................................................................53 II.2.2.b) Multicanal et valeur perçue. ................................................................................54
II.2.2.b.(1) Multicanal et accroissement des bénéfices perçus.........................................55 (i) Vivre une nouvelle expérience de consommation...............................................55 (ii) Liberté et praticité. .............................................................................................. 55
II.2.2.b.(2) Multicanal et réduction des risques et sacrifices perçus. ............................... 56 (i) Multiplication des sources d’informations. .........................................................56 (ii) Diminution des coûts de transaction. ..................................................................57
II.3 Risques et inconvénients inhérents à cette stratégie. .......................................................57 II.3.1 Risques pour l’entreprise. ............................................................................................ 58
II.3.1.a) Du côté de l’offre. ............................................................................................... 58 II.3.1.a.(1) Une possible augmentation des coûts de distribution ....................................58 II.3.1.a.(2) Des risques organisationnels patents. ............................................................ 59 II.3.1.a.(3) Le risque de surpondération du système d’information sur l’organisation et la stratégie. .......................................................................................................................60
II.3.1.b) Les risques au niveau de la demande. .................................................................61 II.3.1.b.(1) Quantité et qualité des informations. ............................................................. 62 II.3.1.b.(2) Des résultats commerciaux remis en question. ..............................................62 II.3.1.b.(3) Une inadéquation entre le canal et le segment visé. ......................................63
II.3.1.c) Un risque de transformation des modalités de l’échange....................................63 II.3.1.c.(1) Relation vs rencontre de service. ...................................................................64 II.3.1.c.(2) Le multicanal au confluent de la rencontre et de la relation ? .......................65 II.3.1.c.(3) Le risque d’une moindre fidélité....................................................................66
II.3.2 Inconvénients pour le client. ........................................................................................67 II.3.2.a) Un moindre pouvoir de marché...........................................................................68 II.3.2.b) L’apprentissage des nouvelles formules de vente. ..............................................68 II.3.2.c) Plus de choix apparents pour une liberté moindre ?............................................69
EN CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER… LE MULTICANAL, UN OBJET DE RECHERCHE ENCORE MÉCONNU ..................................................................................... 70
Table des Matières
472
CHAPITRE DEUXIÈME :PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE .................................................................................................................... 71
SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL. .............................................72 I.1 Les mutations environnementales.........................................................................................72
I.1.1 Les évolutions réglementaires. ....................................................................................72 I.1.2 Une dynamique concurrentielle renouvelée................................................................. 74
I.1.2.a) L’évolution de la concurrence intra-sectorielle...................................................74 I.1.2.b) Une concurrence extra-sectorielle et internationale ............................................75
I.1.3 Des clients plus exigeants. ........................................................................................... 77 I.1.4 L’innovation technologique. ........................................................................................78
I.2 La nécessaire évolution de la stratégie et de l’organisation distributives. ..........................78 I.2.1 L’importance stratégique de la distribution. ................................................................ 79 I.2.2 Les objectifs du développement du multicanal dans la banque de détail… ................81 I.2.3 … Ne doivent pas en occulter les limites. ...................................................................82 I.2.4 Les traductions opérationnelles du développement du multicanal bancaire. ...............84
I.2.4.a) L’impact du développement des nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle.........................................................................................................................84 I.2.4.b) L’impact du développement des nouveaux canaux sur la relation banque / client. ............................................................................................................................. 88 I.2.4.c) La nécessité de la cohérence organisationnelle. ..................................................93
SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS BANQUE GÉNÉRALE DU NORD (BGN) .................................................................................................................................99
II.1 Collecte et analyse des données .....................................................................................100 II.1.1 La collecte des données du cas BGN.........................................................................100
II.1.1.a) L’accès au réel. .................................................................................................100 II.1.1.b) Les méthodes de collecte de données................................................................ 101 II.1.1.c) Le guide d’entretien. .........................................................................................101 II.1.1.d) Les canaux étudiés. ........................................................................................... 102
II.1.2 L’analyse des données du cas BGN...........................................................................103 II.1.2.a) Le codage des données......................................................................................103 II.1.2.b) L’élaboration du dictionnaire des thèmes. ........................................................104 II.1.2.c) Les relations entre les thèmes. ..........................................................................107 II.1.2.d) La fiabilité de l’analyse. ....................................................................................108
II.2 Présentation de la BGN .................................................................................................108 II.2.1 Présentation générale. ................................................................................................ 108 II.2.2 Le développement des nouveaux canaux à la BGN...................................................109 II.2.3 La répartition du personnel opérationnel en agence. .................................................111 II.2.4 Un contexte particulier............................................................................................... 112
II.3 Le multicanal, véritable révolution stratégique et organisationnelle pour la BGN.......112 II.3.1 Objectifs et motivations. ............................................................................................ 113 II.3.2 Limites et freins. ........................................................................................................115 II.3.3 Les solutions. .............................................................................................................119
II.3.3.a) Une complémentarité basée sur la différenciation fonctionnelle des canaux. ..119 II.3.3.b) Complémentarités objectives, contextualisées et perçues. ................................ 120 II.3.3.c) L’instauration de règles commerciales entre les canaux. ..................................122 II.3.3.d) L’efficacité relative des objectifs de vente........................................................123 II.3.3.e) La communication interne au service de la connaissance des nouveaux canaux. ... ........................................................................................................................... 125 II.3.3.f) L’affirmation de l’agence comme pivot relationnel..........................................128
II.4 La gestion des interrelations entre les canaux de la BGN. ............................................128 II.4.1 Trois outils au service d’interrelations réduites à la portion congrue. .......................129
II.4.1.a) La messagerie interne........................................................................................129 II.4.1.b) L’agenda partagé............................................................................................... 129
Table des Matières
473
II.4.1.c) La fiche client....................................................................................................130 II.4.2 Le développement des interrelations entre plate-forme sortante et agences..............130
II.5 Clients, procédures et choix structurels : les trois pierres angulaires du fonctionnement du multicanal à la BGN...............................................................................................................132
II.5.1 Facteurs influençant la perception de la plate-forme sortante par les conseillers. .....132 II.5.1.a) Les procédures ..................................................................................................132 II.5.1.b) Les réactions des clients....................................................................................133 II.5.1.c) Les compétences. .............................................................................................. 133 II.5.1.d) Les résultats obtenus. ........................................................................................133 II.5.1.e) Le déni de la légitimité de la plate-forme sortante............................................134
II.5.2 Facteurs influençant la perception de la plate-forme entrante par les conseillers......136 II.5.2.a) Les procédures. .................................................................................................136 II.5.2.b) Les réactions des clients....................................................................................136 II.5.2.c) Les compétences ............................................................................................... 137 II.5.2.d) Les résultats obtenus .........................................................................................137 II.5.2.e) La légitimité reconnue de la plate-forme entrante. ...........................................138
II.5.3 Tout est question d’arbitrage pour les conseillers…..................................................138 II.6 Conclusion du cas BGN. ................................................................................................ 140
EN CONCLUSION DU CHAPITRE DEUXIÈME… DES RÉSULTATS EMPIRIQUES AU SERVICE DE L’ORIENTATION FUTURE DE LA REVUE DE LITTÉRATURE ............... 142
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE........................................................................ 143
DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DE LA PROBLÉMATIQUE........................................................................ 144
CHAPITRE TROISIÈME :LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE................................................................................................................................................ 146
SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT. .............................................................. 147 I.1 Une participation évolutive. ............................................................................................... 147
I.1.1 Un accroissement et une mutation de la participation... ............................................147 I.1.1.a) Une reconsidération de la participation du client. .............................................147 I.1.1.b) Une transformation quantitative et qualitative. .................................................148
I.1.2 ...Liés à un renouveau du statut du client...................................................................149 I.1.2.a) L’approche de Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2004) : du public au joueur. .149 I.1.2.b) Une analyse réductrice. .....................................................................................152
I.2 La nature de la participation.............................................................................................. 153 I.2.1 Qu’est-ce que la participation client ? .......................................................................154
I.2.1.a) Quelques définitions. ........................................................................................154 I.2.1.b) Les composantes de la participation client........................................................155 I.2.1.c) La nature des inputs comme source d’arbitrage entre les canaux. ....................159
I.2.2 Différents degrés de participation. .............................................................................159 I.2.2.a) Un continuum de la participation. .....................................................................159 I.2.2.b) Le client comme seul producteur ? ...................................................................162 I.2.2.c) Le niveau de la participation comme source d’arbitrage entre les canaux........163
I.2.3 Ce que n’est pas la participation. ...............................................................................164 I.2.3.a) La participation ne se limite pas au contact. .....................................................164 I.2.3.b) La participation ne se limite pas à l’engagement ou l’implication....................165 I.2.3.c) La participation ne se limite pas à la consommation. .......................................166 I.2.3.d) Contact + engagement + consommation = participation ?................................ 166
Table des Matières
474
SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.............................................168 II.1 Les déterminants de la participation inhérents au client. ..............................................169
II.1.1 La prise de conscience. .............................................................................................. 169 II.1.1.a) Définition ..........................................................................................................169 II.1.1.b) Trois niveaux de prise de conscience. ............................................................... 170
II.1.2 La clarté du rôle perçue par le client..........................................................................171 II.1.2.a) Définition et sources de la clarté du rôle perçue par le client ........................... 171 II.1.2.b) De l’ombre à la lumière. ...................................................................................171
II.1.3 La capacité du client à participer au service. ............................................................. 172 II.1.3.a) La capacité perçue à participer..........................................................................172 II.1.3.b) Une capacité dynamique. ..................................................................................173
II.1.4 La volonté du client de participer au service. ............................................................ 174 II.1.4.a) Une volonté variable selon les clients. .............................................................. 174 II.1.4.b) Moteurs et freins de la volonté à participer.......................................................174
II.1.4.b.(1) Maximiser l'efficience du processus. ........................................................... 175 II.1.4.b.(2) Maximiser l'efficacité et la qualité du service reçu......................................175 II.1.4.b.(3) Des avantages psychologiques. ...................................................................176 II.1.4.b.(4) Le degré d'identification du client à son rôle. ..............................................177
II.1.4.c) Le caractère processuel de la volonté de participer...........................................177 II.1.5 Des déterminants interdépendants ? ..........................................................................177
II.2 L’entreprise, incitatrice ou frein à la participation. ......................................................180 II.2.1 Éclaircir la participation et ses modalités. .................................................................181 II.2.2 Fixer l'importance de la participation. .......................................................................182
II.2.2.a) L’importance « qualitative » de la participation. ..............................................182 II.2.2.b) L’importance « quantitative » de la participation. ............................................182 II.2.2.c) L’« importance temporelle » de la participation. ..............................................183
II.2.3 Développer la capacité du client à participer. ............................................................ 183 II.2.4 Développer la volonté du client à participer. ............................................................. 185
II.3 Les déterminants du choix des canaux de distribution d’un réseau de distribution multicanal....................................................................................................................................187
II.3.1 Le comportement multicanal du consommateur. .......................................................187 II.3.2 Un arbitrage entre canaux influencé par les déterminants de la participation. ..........190
SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT ................................................................................................................192
III.1 Du rôle du client dans la servuction. .............................................................................192 III.1.1 Présentation de la notion de rôle. ...............................................................................192
III.1.1.a) Deux approches indissociables. ........................................................................192 III.1.1.b) Définition du rôle. ............................................................................................. 193
III.1.2 Un client « multi rôles ». ........................................................................................... 193 III.1.2.a) Les rôles du client dans la littérature.................................................................193 III.1.2.b) Les implications des rôles du client ..................................................................203
III.2 Proposition de nouveaux rôles ancrés dans les interactions clients – employés. ..........205 III.2.1 Des lacunes dans la littérature. ..................................................................................205
III.2.1.a) La sous-exploration des liens entre participation client et coordination. ..........205 III.2.1.b) Une approche plutôt fonctionnaliste de la notion de rôle du client...................206 III.2.1.c) Quid des interactions sociales ? ........................................................................207
III.2.2 Le client comme filtre et catalyseur dans les interactions entre les employés en contact. 207
III.2.2.a) Le client, « filtre informationnel ». ...................................................................209 III.2.2.b) Le client, catalyseur interprétationnel et interactionnel. ...................................210 III.2.2.c) Le client, catalyseur perceptuel. ........................................................................213
III.2.3 Implications de ces rôles de filtre et catalyseur. ........................................................213 III.2.3.a) Comprendre ces rôles de catalyseur à partir des déterminants et inputs de la participation........................................................................................................................214
Table des Matières
475
III.2.3.b) La modulation de la nature de l’échange sur l’intensité du rôle de filtre ou de catalyseur que joue le client. .............................................................................................. 215 III.2.3.c) Nature des canaux et rôles des clients. .............................................................. 216
III.2.4 La participation client : une définition.......................................................................216 EN CONCLUSION DU CHAPITRE TROISIÈME... LE CLIENT, UN ACTEUR MULTI-FACETTES DU PROCESSUS DE SERVUCTION AUQUEL IL CONTRIBUE .................... 218
CHAPITRE QUATRIÈME :LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT ...................................... 219
SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE. .............................................................................................................220
I.1 Coordination et interdépendances, les deux faces d’une même pièce................................ 220 I.1.1 Introduction à la notion de coordination. ...................................................................220
I.1.1.a) Origines des besoins de coordination................................................................ 221 I.1.1.b) De multiples définitions… ................................................................................221 I.1.1.c) … Proches du sens commun. ............................................................................223 I.1.1.d) Coordination et coopération : deux concepts proches et complémentaires, mais distincts. ........................................................................................................................... 224
I.1.2 L’interdépendance sur le chemin d’une définition de la coordination.......................224 I.1.2.a) L’interdépendance : présentation générale........................................................224 I.1.2.b) Les sources d’interdépendance .........................................................................225 I.1.2.c) L’intensité des interdépendances ......................................................................226
I.1.3 Une définition intermédiaire de la coordination. .......................................................228 I.2 La gestion des interdépendances par les mécanismes de coordination ............................. 228
I.2.1 Quels mécanismes de coordination ?.........................................................................229 I.2.1.a) La typologie de March et Simon (1958/1964) ..................................................230 I.2.1.b) L’apport des travaux de Thompson (1967) .......................................................231 I.2.1.c) Les mécanismes de Mintzberg (1982 ; 1990). ..................................................231 I.2.1.d) Les technologies de l’information, supports des mécanismes de coordination.232
I.2.2 Une perspective contingente de la coordination. .......................................................233 I.3 Le processus de coordination : La « coordination relationnelle » (Gittell, 2000a, b, 2001, 2002a, b, 2004). ..........................................................................................................................234
I.3.1 Introduction à la coordination relationnelle. .............................................................. 234 I.3.1.a) Les fondements de la coordination relationnelle...............................................234 I.3.1.b) Définition de la coordination relationnelle........................................................235 I.3.1.c) Une conceptualisation évolutive. ......................................................................236
I.3.2 Les composantes de la dimension communication. ...................................................237 I.3.2.a) La fréquence de la communication (« frequent communication »)...................237 I.3.2.b) L’opportunité de la communication (« timely communication ») .....................238 I.3.2.c) La précision de la communication (« accurate communication ») ...................239 I.3.2.d) L’aptitude de la communication à résoudre les problèmes (« problem-solving communication ») ...............................................................................................................239 I.3.2.e) Les supports de la communication entre acteurs...............................................239
I.3.3 Les composantes de la dimension relationnelle. ........................................................240 I.3.3.a) Les objectifs partagés (« shared goals »)..........................................................240 I.3.3.b) La connaissance partagée (« shared knowledge ») ...........................................241 I.3.3.c) Le respect mutuel (« mutual respect »)............................................................. 241
I.3.4 Les interrelations entre la dimension communication et la dimension relationnelle. 242 I.4 Relier les mécanismes au processus de coordination. .......................................................243
Table des Matières
476
SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE ............................ 245
II.1 Quid du client dans les travaux sur la coordination intra-organisationnelle ?.............245 II.1.1 L’apparente absence du client dans les théories organisationnelles ..........................246
II.1.1.a) Plaidoyers pour la prise en compte du client. ...................................................246 II.1.1.b) Un essai d’explication de cette absence : l’interprétation des travaux de Thompson (1967) ...............................................................................................................248
II.1.2 Le client, source d’incertitude et d’information ........................................................249 II.1.2.a) Le client, source d’incertitude contraignant la coordination intra-organisationnelle.................................................................................................................249 II.1.2.b) L’information client au service de la coordination, la coordination au service du client. ........................................................................................................................... 250
II.1.3 La coordination intra-organisationnelle : une définition. ..........................................252 II.2 Proposition d’une conceptualisation de l’influence du client sur la coordination intra-organisationnelle : problématique et propositions de recherche ...............................................253
II.2.1 Formulation de la problématique. ..............................................................................253 II.2.2 Propositions de recherche. .........................................................................................255
II.2.2.a) 1ère proposition de recherche : le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact ......................................................................................................256 II.2.2.b) 2ème proposition : le client influence le recours aux mécanismes de coordination .. ........................................................................................................................... 256 II.2.2.c) 3ème proposition : le client influence le processus de coordination entre les employés en contact. ..........................................................................................................256 II.2.2.d) 4ème proposition : La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact. ...................................................257 II.2.2.e) 5ème proposition : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client. .....................................................................257
EN CONCLUSION DU CHAPITRE QUATRIÈME... LE CLIENT, UN ACTEUR INFLUANT SUR LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS DE COORDINATION............ 259
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ....................................................................... 260
TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS...................................... 261
CHAPITRE CINQUIÈME :POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE............................................................................ 263
SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE ............................................................................................................................... 264
I.1 Un positionnement interprétativiste ...................................................................................264 I.1.1 La question du statut de la connaissance… ............................................................... 265
I.1.1.a) … Dans les trois paradigmes majeurs ............................................................... 265 I.1.1.b) … Dans notre recherche....................................................................................266
I.1.2 La question de l’engendrement de la connaissance. ..................................................267 I.1.2.a) … Dans les trois paradigmes majeurs. .............................................................. 267 I.1.2.b) … Dans notre recherche....................................................................................268
I.1.3 La question de la valeur de la connaissance. ............................................................. 268 I.1.3.a) … Dans les trois paradigmes majeurs. .............................................................. 268 I.1.3.b) … Dans notre recherche....................................................................................270
I.2 Processus architectural de la recherche ............................................................................270
Table des Matières
477
I.2.1 La stratégie d’accès au réel. .......................................................................................271 I.2.1.a) Le mythe de la table rase...................................................................................271 I.2.1.b) Une méthode qualitative basée sur l’étude de cas. ............................................272
I.2.1.b.(1) Justification du recours à l’étude de cas. ......................................................273 I.2.1.b.(2) Le choix des cas et de leur nombre............................................................... 275
I.2.2 Le processus de la recherche. ....................................................................................277 I.2.2.a) L’origine de la recherche ..................................................................................277 I.2.2.b) La recherche de littérature.................................................................................278 I.2.2.c) Une nécessaire maturation. ...............................................................................279 I.2.2.d) Les premières tentatives d’accès au terrain.......................................................280 I.2.2.e) L’influence du terrain sur la méthodologie .......................................................283 I.2.2.f) L’élaboration progressive de la grille de lecture. ..............................................284 I.2.2.g) En conclusion : la rationalisation « inspirée » d’un processus abductif. ..........284
SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES............................................286
II.1 La triangulation, « un état d’esprit ». ............................................................................286 II.1.1 La triangulation des méthodes de recueil de données................................................286 II.1.2 La triangulation des sources de données....................................................................288 II.1.3 La triangulation des types de données. ......................................................................288
II.2 Les entretiens, principale origine des données primaires..............................................289 II.2.1 Pourquoi l’entretien ?.................................................................................................289 II.2.2 Le type d’entretien utilisé. .........................................................................................289 II.2.3 Le guide d’entretien ...................................................................................................290 II.2.4 La constitution de l’échantillon. ................................................................................292
II.2.4.a) Le nombre de répondants. .................................................................................292 II.2.4.b) Le choix des répondants....................................................................................293
II.2.5 La conduite des entretiens..........................................................................................294 II.2.5.a) Leur déroulement. ............................................................................................. 294 II.2.5.b) Risques et précautions méthodologiques inhérentes au déroulement des entretiens. ........................................................................................................................... 295
II.2.6 Validité et fiabilité méthodologiques de la méthode de recueil par entretiens. .........296 II.3 Les deux autres méthodes de recueil : observation et études documentaires. ...............296
II.3.1 L’observation .............................................................................................................297 II.3.2 L’étude documentaire. ............................................................................................... 297
SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES...................................................299
III.1 Le dictionnaire des thèmes au service de l’analyse de contenu. ....................................299 III.1.1 Une analyse de contenu thématique...........................................................................299 III.1.2 L’élaboration du dictionnaire des thèmes. .................................................................300 III.1.3 La mise en œuvre de l’analyse...................................................................................301
III.1.3.a) L’analyse durant la collecte de données............................................................ 301 III.1.3.b) La phase de codage. ..........................................................................................303
III.1.4 Fiabilité de l’analyse. .................................................................................................304 III.2 L’analyse intra et inter-cas. ........................................................................................... 305
III.2.1 L’analyse intra-cas.....................................................................................................305 III.2.2 L’analyse inter-cas.....................................................................................................307
CHAPITRE SIXIÈME : ÉTUDES DE CAS............................................................................ 309 SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE (BCR) ...............................................310
I.1 Présentation de l’entreprise ............................................................................................... 310 I.1.1 Présentation générale de la BCR. ..............................................................................310 I.1.2 Le multicanal à la BCR.............................................................................................. 311
I.1.2.a) Les différents canaux utilisés à la BCR. ........................................................... 311
Table des Matières
478
I.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de la BCR : au service des caisses locales. ........................................................................................................................... 312
I.1.3 La répartition du personnel opérationnel. ..................................................................314 I.1.4 Le contexte du développement du multicanal. ..........................................................315
I.2 L’analyse des interdépendances entre les canaux de la BCR. ...........................................315 I.2.1 Les outils au service des interdépendances................................................................ 316 I.2.2 Nature et intensité des interdépendances. ..................................................................317
I.2.2.a) Les couplages de communauté..........................................................................317 I.2.2.b) Les interdépendances séquentielles...................................................................318 I.2.2.c) Les interdépendances réciproques.....................................................................318 I.2.2.d) Le choix du niveau d’analyse............................................................................318
I.2.3 La génération des interdépendances. .........................................................................319 I.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances...........................319
I.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes......................319 I.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux. ......................................................................................................................321 I.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelles. . ......................................................................................................................324
I.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ............................. 326 I.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. .................................................326 I.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. ............................................327
I.3 L’analyse des mécanismes de coordination. ......................................................................327 I.3.1 L’identification et l’importance relative des mécanismes. ........................................327
I.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à la BCR...........................................327 I.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux. ............................................329
I.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de coordination. .......................................330 I.3.2.a) L’anticipation des réactions du client. .............................................................. 330
I.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble. .....330 I.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................. 332
I.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients. ..........................................333 I.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble ......333 I.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................. 334
I.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................337 I.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur. .....................................................337 I.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur. .................................................338
I.4 L’analyse du processus de coordination. ...........................................................................339 I.4.1 L’influence du client sur le processus de coordination..............................................339
I.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus. ......340 I.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes. ......................................................................................................................340 I.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication. .......................340 I.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication. ......................342 I.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication. ........................342
I.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus. ..................344 I.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée.......................................344 I.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle ...........................................344 I.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés. ...........................................345 I.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle ...................................346 I.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel...................................................349
I.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. . ........................................................................................................................... 349
I.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................351 I.4.2.a) La nature de l’échange comme modulateur. .....................................................351 I.4.2.b) L’historique de l’échange comme modulateur. .................................................352
I.5 L’analyse des liens entre les mécanismes et le processus de coordination. .......................352
Table des Matières
479
I.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de coordination. ........................................352 I.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de coordination. ........................................353
I.5.2.a) L’influence des relations latérales.....................................................................354 I.5.2.b) L’influence de la communication interne. ........................................................356 I.5.2.c) L’influence du transfert de personnel. .............................................................. 357 I.5.2.d) L’influence des procédés de travail...................................................................357
I.6 Interprétation et discussion des résultats. ..........................................................................359 I.6.1 Le client comme filtre et catalyseur...........................................................................359
I.6.1.a) L’identification de ces rôles. .............................................................................359 I.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles. .............................................................................360
I.6.2 L’influence duale du client sur la coordination. ........................................................360 I.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post. ......................................................................360 I.6.2.b) Une influence globale et locale. ........................................................................361
SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER NATIONAL (EFN)...........................................362
II.1 Présentation de l’entreprise ........................................................................................... 362 II.1.1 Présentation générale de l’EFN .................................................................................362 II.1.2 Le développement du multicanal à l’EFN .................................................................362
II.1.2.a) Les différents canaux utilisés à l’EFN .............................................................. 362 II.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de l’EFN : en complément des agences. ........................................................................................................................... 363
II.1.3 La répartition du personnel opérationnel ...................................................................365 II.1.4 Le contexte du développement du multicanal ........................................................... 367
II.2 L’analyse des interdépendances entre les canaux de l’EFN..........................................367 II.2.1 Les outils au service des interdépendances................................................................ 368 II.2.2 Nature et intensité des interdépendances. ..................................................................369
II.2.2.a) Le couplage de communauté.............................................................................369 II.2.2.b) Les interdépendances séquentielles...................................................................369 II.2.2.c) Les interdépendances réciproques.....................................................................370
II.2.3 La génération des interdépendances ..........................................................................370 II.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances...........................370
II.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes.....................370 II.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux .....................................................................................................................372 II.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelle. .. .....................................................................................................................374
II.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange .............................. 376 II.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. ................................................376 II.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. ...........................................377
II.3 L’analyse des mécanismes de coordination. ..................................................................377 II.3.1 L’identification et l’importance relative des mécanismes. ........................................378
II.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à l’EFN ............................................378 II.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux. ............................................381
II.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de coordination ........................................382 II.3.2.a) L’anticipation des réactions du client. .............................................................. 382
II.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble .....382 II.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................ 383
II.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients. ..........................................384 II.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble.....384 II.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................ 384
II.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................385 II.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur ......................................................385 II.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur..................................................386
II.4 L’analyse du processus de coordination. .......................................................................386 II.4.1 L’influence du client sur le processus de coordination..............................................387
Table des Matières
480
II.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus. ......387 II.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes. .....................................................................................................................387 II.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication .......................387 II.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication. .....................388 II.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication. .......................389
II.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus. ..................390 II.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée .....................................390 II.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle ..........................................391 II.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés ...........................................391 II.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle ..................................393 II.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel..................................................397
II.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. . ........................................................................................................................... 397
II.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................400 II.4.2.a) L’aspect modulateur de la nature de l’échange .................................................400 II.4.2.b) L’aspect modulateur de l’historique de l’échange. ...........................................401
II.5 L’analyse des liens entre les mécanismes et le processus de coordination. ..................401 II.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de coordination .........................................401
II.5.1.a) L’influence des objectifs partagés sur les procédés. .........................................402 II.5.1.b) L’influence de la connaissance partagée sur les procédés. ............................... 402
II.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de coordination. ........................................403 II.5.2.a) L’influence des procédés sur le processus de coordination. ............................. 404 II.5.2.b) L’influence des mécanismes sur la connaissance partagée ............................... 406 II.5.2.c) L’influence de la standardisation par les résultats sur le processus de coordination........................................................................................................................408
II.6 Interprétation et discussion des résultats. ......................................................................410 II.6.1 Le client comme filtre et catalyseur...........................................................................410
II.6.1.a) L’identification de ces rôles. .............................................................................410 II.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles. .............................................................................411
II.6.2 L’influence duale du client sur la coordination .........................................................411 II.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post .......................................................................411 II.6.2.b) Une influence globale et locale. ........................................................................412
SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE ................................................................................................................413
III.1 La coordination d’un réseau de distribution multicanal : un processus social placé dans une dynamique historique. ..........................................................................................................413
III.1.1 Retour sur les propositions de recherche : une analyse inter-cas............................... 413 III.1.1.a) P1 : Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact. ... ........................................................................................................................... 413 III.1.1.b) P2 : Le client influence le recours aux mécanismes de coordination................415 III.1.1.c) P3 : Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact ........................................................................................................................... 416 III.1.1.d) P5 : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client ............................................................................................ 417
III.1.2 Une perspective processuelle et historique de la coordination d’un réseau de distribution multicanal. ...........................................................................................................420
III.1.2.a) L’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client. ..........................................420 III.1.2.b) La coordination, un processus social et historique............................................422
III.2 Les banques de détail face à des défis stratégiques et organisationnels. ......................425 III.2.1 Les défis qui se profilent............................................................................................ 425
III.2.1.a) La réalité de la complémentarité en question....................................................425 III.2.1.b) Les risques organisationnels de la cannibalisation entre les canaux. ................426 III.2.1.c) Le mirage du marketing relationnel. .................................................................427
Table des Matières
481
III.2.1.d) La question du choix du mode de contact. ........................................................428 III.2.2 Les solutions possibles............................................................................................... 430
III.2.2.a) L’enrichissement des tâches des centres d’appels.............................................430 III.2.2.b) Aider à la réorganisation du travail des conseillers du réseau ..........................431 III.2.2.c) Ne pas oublier ce qui fait la nature de la relation. .............................................431 III.2.2.d) Accroître la socialisation organisationnelle des clients.....................................432 III.2.2.e) Développer les échanges et synergies entre les canaux. ...................................433
III.2.3 Une possible inadéquation des objectifs du multicanal. ............................................434
EN CONCLUSION DU CHAPITRE SIXIÈME… L’INFLUENCE MULTI-NIVEAUX DU CLIENT SUR LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL .............................................................................................................................. 436
CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE ..................................................................... 437
CONCLUSION GÉNÉRALE ..................................................................................................... 438
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................. 444
TABLE DES MATIÈRES ....................................................................................................... 470 TABLE DES TABLEAUX ...................................................................................................... 482 TABLE DES FIGURES .......................................................................................................... 485 TABLE DES ENCADRÉS ...................................................................................................... 487 TABLE DES SCHÉMAS....................................................................................................... 487
Table des Tableaux
482
TABLE DES TABLEAUX
Tableau 1-1 : Présentation chronologique des définitions du multicanal dans la littérature.... 22
Tableau 1-2 : Extraits de recherches évoquant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal ............................................................................................................ 28
Tableau 1-3 : Typologies des canaux de distribution dans une perspective verticale.............. 33
Tableau 1-4 : Les avantages du multicanal : le point de vue de l’entreprise ........................... 47
Tableau 1-5 : Exemples de réduction du coût de distribution entre un réseau physique et Internet ................................................................................................................ 48
Tableau 1-6 : Risques associés à une stratégie de distribution multicanale............................. 58
Tableau 1-7 : Quand proposer une relation ou une rencontre de service ? .............................. 65
Tableau 2-1 : Évolution du nombre des établissements de crédit ............................................ 74
Tableau 2-2 : Dictionnaire des thèmes – cas BGN ................................................................ 105
Tableau 2-3 : les différents postes de conseillers à la BGN................................................... 111
Tableau 2-4 : Raisons du développement des nouveaux canaux à la BGN ........................... 113
Tableau 2-5 : Freins et limites au développement des nouveaux canaux à la BGN .............. 116
Tableau 2-6 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme sortante......................................... 134
Tableau 2-7 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme entrante......................................... 138
Tableau 3-1 : Évolution et transformations des consommateurs ........................................... 150
Tableau 3-2 : Revue chronologique de définitions de la « customer participation » ............ 155
Tableau 3-3 : les 3 niveaux de participation du client selon le niveau de standardisation des services. ............................................................................................................. 161
Tableau 3-4 : Le comportement multicanal du consommateur.............................................. 188
Tableau 3-5 : Revue chronologique de la littérature sur la participation client et les rôles joués par les clients..................................................................................................... 194
Tableau 3-6 : Le rôles de filtre et les trois rôles de catalyseur que peut jouer le client ......... 217
Tableau 4-1 : Quelques définitions de la coordination intra-organisationnelle ..................... 222
Tableau 4-2 : 4 catégories d’interdépendances ...................................................................... 227
Tableau 4-3 : Quelques typologies des mécanismes de coordination établies dans la littérature........................................................................................................................... 229
Tableau 4-4 : Les origines de la coordination relationnelle ................................................... 235
Tableau 4-5 : l’évolution chronologique des dimensions de la coordination relationnelle chez Gittell................................................................................................................. 237
Tableau 4-6 : La critique de Lefton et Rosengren (1966) aux quatre courants de l’analyse organisationnelle ............................................................................................... 247
Table des Tableaux
483
Tableau 5-1 : Statut de la connaissance et nature de la réalité dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste...................................................................... 266
Tableau 5-2 : Le chemin vers la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste................................................................................................ 267
Tableau 5-3 : Les critères de validité de la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste...................................................................... 269
Tableau 5-4 : Les critères de choix d’une stratégie de recherche .......................................... 274
Tableau 5-5 : Les entretiens d’approfondissement de notre connaissance sectorielle et de prise de contact terrain ............................................................................................... 281
Tableau 5-6 : 6 méthodes de recueil de données et leur application à notre recherche ......... 287
Tableau 5-7 : Distinction entre entretiens guidés et entretiens semi-directifs centrés ........... 290
Tableau 5-8 : Guide de l’interviewer commenté.................................................................... 291
Tableau 5-9 : Risques et précautions méthodologiques correspondantes pour améliorer la qualité de l’entretien.......................................................................................... 295
Tableau 5-10 : Les documents utilisés dans cette recherche.................................................. 298
Tableau 5-11 : Récapitulatif de la mise en œuvre de l’analyse de données........................... 304
Tableau 5-12 : Trois critères de la fiabilité du codage........................................................... 304
Tableau 6-1 : Les différents postes dans les points de vente de la BCR................................ 314
Tableau 6-2 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles et réciproques dans le cas BCR ................................................... 322
Tableau 6-3 : Les mécanismes de coordination de la BCR.................................................... 328
Tableau 6-4 : Les stratégies de détournement des procédés mises en place par les conseillers des caisses de la BCR........................................................................................ 335
Tableau 6-5 : Les raisons poussant les employés en contact de la BCR à détourner les procédés............................................................................................................. 336
Tableau 6-6 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR ........................................................................................ 342
Tableau 6-7 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR ........................................................................................ 343
Tableau 6-8 : Illustration de l’influence du client sur l’indulgence mutuelle dans le cas BCR........................................................................................................................... 345
Tableau 6-9 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas BCR.... 347
Tableau 6-10 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 350
Tableau 6-11 : Illustration de l’influence du transfert de personnel sur le processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 357
Tableau 6-12 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 358
Tableau 6-13 : Les différents postes dans les points de vente de l’EFN................................ 366
Table des Tableaux
484
Tableau 6-14 : Les différents postes sur les plates-formes entrantes de l’EFN ..................... 366
Tableau 6-15 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles dans le cas BCR........................................................................... 373
Tableau 6-16 : Les cinq modes de socialisation organisationnelle identifiés à l’EFN .......... 375
Tableau 6-17 : Les mécanismes de coordination de l’EFN. .................................................. 378
Tableau 6-18 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN .......................................................................................... 388
Tableau 6-19 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN .......................................................................................... 389
Tableau 6-20 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas EFN .. 396
Tableau 6-21 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN............................................................................ 399
Tableau 6-22 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas EFN............................................................................ 406
Tableau 6-23 : Illustration de l’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN .................................................................................. 408
Table des Figures
485
TABLE DES FIGURES
Figure 1-1 : La conception verticale du canal de distribution.................................................. 17
Figure 1-2 : La conception horizontale des canaux de distribution ......................................... 19
Figure 1-3 : Les six facteurs explicatifs du développement des réseaux de distribution multicanaux ......................................................................................................... 42
Figure 1-4 : Multicanal et gain de valeur pour le client ........................................................... 53
Figure 1-5 : Le modèle C-O-P.................................................................................................. 64
Figure 1-6 : Le modèle C-O-P dans le cas d’une entreprise utilisant plusieurs canaux........... 66
Figure 1-7 : Les inconvénients associés à un réseau de distribution multicanal pour le client 67
Figure 2-1 : La prescription croisée entre les canaux pour atteindre la situation idéale aux yeux de la banque................................................................................................ 91
Figure 2-2 : Exemple de représentation schématique des relations entre les variables issue de Nvivo................................................................................................................. 107
Figure 2-3 : Les canaux de la BGN en 2002 .......................................................................... 109
Figure 3-1 : Les composantes de la participation du client au service................................... 158
Figure 3-2 : Les potentielles interactions entre les déterminants de la participation client ... 178
Figure 3-3 : Le client au cœur du dispositif multicanal ......................................................... 208
Figure 3-4 : Les parties et les dynamiques déterminant le comportement de l’employé en contact : l’influence du client, des co-employés, et de la direction .................. 212
Figure 4-1 : Représentation des interrelations entre les dimensions de la coordination relationnelle....................................................................................................... 243
Figure 4-2 : Cadre conceptuel - Résumé des propositions de recherche ............................... 258
Figure 5-1 : Trois questions pour préciser son positionnement épistémologique.................. 265
Figure 6-1 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR...................................................... 341
Figure 6-2 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR...................................................... 343
Figure 6-3 : Représentation schématique de l’influence du client sur l’indulgence dans le cas BCR................................................................................................................... 344
Figure 6-4 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas BCR.................................................................................. 346
Figure 6-5 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR......................................................................................................... 350
Figure 6-6 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas BCR........................................................................................................................... 353
Figure 6-7 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas BCR354
Table des Figures
486
Figure 6-8 : L’influence des relations latérales sur le processus de coordination dans le cas BCR................................................................................................................... 354
Figure 6-9 : L’influence de la communication interne sur le processus de coordination dans le cas BCR............................................................................................................. 356
Figure 6-10 : L’influence du transfert de personnel sur les processus de coordination dans le cas BCR............................................................................................................. 357
Figure 6-11 : L’influence des procédés de travail sur le processus de coordination ............. 358
Figure 6-12 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN ....................................................... 388
Figure 6-13 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN ....................................................... 389
Figure 6-14 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas EFN.................................................................................. 396
Figure 6-15 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN................................................................................................. 398
Figure 6-16 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas EFN........................................................................................................................... 401
Figure 6-17 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas EFN........................................................................................................................... 404
Figure 6-18 : L’influence des procédés sur le processus de coordination dans le cas EFN... 405
Figure 6-19 : L’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN ......................................................................................................... 406
Figure 6-20 : L’influence de la standardisation par les résultats sur les objectifs partagés dans le cas EFN ......................................................................................................... 408
Figure 6-21 : Comparaison schématique des liens partant des mécanismes vers le processus de coordination dans les cas BCR et EFN ............................................................. 418
Figure 6-22 : Comparaison schématique des liens partant du processus vers les mécanismes de coordination dans les cas BCR et EFN......................................................... 420
Figure 6-23 : L’influence du client sur la coordination d’un réseau de distribution multicanal........................................................................................................................... 421
Table des Encadrés et des Schémas Récapitulatifs
487
TABLE DES ENCADRÉS
Encadré 1 : Définition d’un réseau de distribution multicanal dans le cadre de cette recherche............................................................................................................................. 40
Encadré 2 : Définition de la participation client dans le cadre de cette recherche................. 216
Encadré 3 : Définition de la coordination dans le cadre de cette recherche........................... 253
Encadré 4 : Problématique de cette recherche ....................................................................... 255
Encadré 5 : Rappel de la problématique et des propositions de recherche ............................ 309
Encadré 6 : Rappel des objectifs, de la problématique et des propositions de recherche ...... 438
TABLE DES SCHÉMAS
Schéma 1 : Canevas explicatif de la recherche ........................................................................ 10
Schéma 2 : Du questionnement initial à la question de recherche ........................................... 12
Schéma 3 : De la question de recherche à la problématique.................................................. 145
Schéma 4 : De la problématique aux résultats de la recherche .............................................. 262
488
VU : LE PRÉSIDENT VU : LES SUFFRAGANTS
M. : …………………... MM. : …………………...
Vu et permis d’imprimer :
Le Vice-Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine.
LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : LE CAS DE LA BANQUE DE DÉTAIL
La multiplication de nouveaux canaux (centres d’appels, Internet...) en sus des traditionnelles agences conduit les banques de détail à s’interroger sur le fonctionnement et la coordination de leurs réseaux de distribution devenus multicanaux. Ces questions fondent notre recherche.
La littérature leur offrant encore peu de réponses, nous empruntons tout d’abord la voie d’une étude de cas exploratoire, dont les résultats orientent la réflexion théorique. L’émergence de liens entre participation client, d’un côté, et mécanismes et processus de coordination de l’autre, aboutit finalement à cette problématique : dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ? Les réponses sont apportées par deux études de cas. Elles montrent que le client génère des interdépendances entre les canaux. Par ailleurs, à travers des rôles de filtre et de catalyseur résultant de ses interactions avec les employés en contact, il influence à la fois mécanismes et processus de coordination. Cette influence procède d’une double logique ex-ante et ex-post, et locale et globale. Elle est en outre modulée par la nature et l’historique de l’échange entre le client et l’employé en contact. Enfin, nous considérons la coordination comme un processus social historiquement situé qui s’appuie sur des mécanismes de coordination.
Mots clés : coordination intra-organisationnelle ; réseau de distribution multicanal ; participation client ; rôle de filtre du client ; rôle de catalyseur du client. MULTICHANNEL DISTRIBUTION NETWORK COORDINATION: THE CASE OF
RETAIL BANKING
The development of new distribution channels (call-centres, websites…) in addition to classic branches has raised a lot of questions among retail banks about the ways to coordinate these multichannel networks. These interrogations constitute the origin of my research.
Since literature is quantitatively limited to answer these questions, I realized an exploratory case study, the results of which orientated my theoretical reflexion. Having built a conceptual framework linking on the one hand, customer participation, and coordination mechanisms and process on the other hand, I formulate the following research question: to what extent does customer participation influence boundary-spanner employees coordination in a multichannel distribution network? I use two other case studies to answer it. These show that the customer generates interdependencies between the channels. He also develops two different kind of roles, filter and catalyst, in his interactions with these boundary-spanner employees. These roles influence both coordination mechanisms and process. This influence takes place in an ex-post and ex-ante logic, both globally and locally. Moreover, it is modulated by the exchange nature and history between the customer and boundary-spanner employee. Finally, coordination is considered as a social process historically located, that uses coordination mechanisms.
Keywords: intra-organizational coordination; multichannel distribution; customer participation; customer as filter ; customer as catalyst.