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Eugénie GrandetLe portrait
du Père GrandetHonoré de Balzac
(Université Paris VIII – Saint-Denis)Docteure en philosophie
Document rédigé par Julie Mestrot
Commentaire de texte
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Document rédigé par Julie Mestrot
Eugénie GrandetLe portrait
du Père GrandetHonoré de Balzac
Commentaire de texte
TEXTE ÉTUDIÉ 7Le portrait du père Grandet
Notes
MISE EN CONTEXTE 9Le réalisme de Balzac
La conception du personnage balzacien
Situation de l’extrait étudié
COMMENTAIRE 12Un portrait réaliste
Un personnage type aux dimensions monstrueuses
CONCLUSION 20
POUR ALLER PLUS LOIN 21
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Honoré de BalzacÉcrivain français
• Né en 1799 à Tours• Décédé en 1850 à Paris• Quelques- unes de ses œuvres :
ʟ Les Chouans (1829), roman ʟ Le Père Goriot (1835), roman ʟ Le Lys dans la vallée (1836), roman
Honoré de Balzac (1799-1850) est l’un des écrivains français majeurs du xixe siècle. Jeune homme, il s’ouvre les portes des milieux aristocratiques parisiens qu’il ne cessera de fréquenter. Mais des entreprises désastreuses et un train de vie excessif le ruineront rapidement : l’écriture littéraire, pratiquée avec passion et assiduité, deviendra pour lui le seul moyen de rembourser ses dettes.
Ambitieux, il s’attèle à une œuvre monumentale, La Comédie humaine, qui compte plus de quatre- vingt- dix romans, et dont le but est de dresser un portrait exhaustif de la société de son temps (pour « faire concurrence à l’état civil »). Parmi ses romans les plus célèbres, on trouve Eugénie Grandet (1833) ou Le Père Goriot (1835).
Balzac est considéré comme l’un des pères du roman réa-liste moderne.
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TEXTE ÉTUDIÉ
LE PORTRAIT DU PÈRE GRANDET
Il n’allait jamais chez personne, ne voulait ni recevoir ni donner à dîner ; il ne faisait jamais de bruit, et semblait économiser tout, même le mouvement. Il ne dérangeait rien chez les autres par un respect constant de la propriété. Néanmoins, malgré la douceur de sa voix, malgré sa tenue circonspecte, le langage et les habitudes du tonnelier per-çaient, surtout quand il était au logis, où il se contraignait moins que partout ailleurs. Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds1, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces2 de circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules, son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole ; son menton était droit, ses lèvres n’offraient aucune sinuosité, et ses dents étaient blanches ; ses yeux avaient l’expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic3 ; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives ; ses che-veux jaunâtres et grisonnants étaient blancs et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d’une plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout, supportait une loupe4 veinée que le vul-gaire5 disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l’égoïsme d’un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l’avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière. Attitude, manières, démarche, tout en lui, d’ail-leurs, attestait cette croyance en soi que donne l’habitude
Eugénie GrandetLe maitre mot : l’argent
• Genre : roman• Édition de référence : Eugénie Grandet, Paris, Garnier
Frères, 1965.• 1re édition : 1833• Thématiques : province, argent, amour, avarice, mariage
Publié pour la première fois en 1833, Eugénie Grandet met en scène une jeune héritière prisonnière d’un père avare et despotique, dans un roman où les illusions se heurtent à un monde féroce dans lequel l’argent ruine toute possi-bilité de bonheur. Balzac présente un récit sur l’obsession d’un homme (le père d’Eugénie) et la fidélité d’une femme (Eugénie Grandet), et dresse également le portrait d’une petite ville de province où les puissants règnent en maitres. Eugénie Grandet et son père, décrits avec délicatesse et pénétration, méritent par là leur place parmi les person-nages les plus frappants de La Comédie humaine.
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MISE EN CONTEXTE
LE RÉALISME DE BALZAC
Dans La Comédie humaine, Balzac veut dresser le tableau de la société de son époque dans son ensemble (de la Restauration à la monarchie de Juillet) : il classe son œuvre en autant de Scènes (de la vie de province, de la vie parisienne, etc.) reflétant diffé-rents états de la société, du plus haut au plus bas de l’échelle. Cette ambition s’appuie sur une démarche quasi scientifique : l’observation minutieuse du réel et la documentation précise permettent à l’auteur de reproduire dans son œuvre la société dans sa globalité avec le plus d’objectivité et de réalisme pos-sible, ainsi que d’explorer la diversité des milieux et le jeu des interactions entre les individus et leur milieu.
On a reproché à Balzac, au moment de la publication de ses romans, sa vulgarité. Mais le romancier revendique le réalisme de la représentation jusque dans les moindres détails, même communs, même prosaïques (il reproduit par exemple dans ses œuvres les différents niveaux de langue). Corrélativement à ce désir de représenter le plus fidèlement possible la réalité contemporaine, une des caractéristiques majeures des œuvres de Balzac est l’abondance des descriptions.
LA CONCEPTION DU PERSONNAGE BALZACIEN
Dans la préface de La Comédie humaine, Balzac explicite son projet en ces termes : « Je vis que la Société ressemblait à la Nature. La Société ne fait- elle pas de l’homme, suivant
d’avoir toujours réussi dans ses entreprises. Aussi, quoique de mœurs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait- il un caractère de bronze. Toujours vêtu de la même manière, qui le voyait aujourd’hui le voyait tel qu’il était depuis 1791. Ses forts souliers se nouaient avec des cordons de cuir ; il portait en tout temps des bas de laine drapés, une culotte courte de gros drap marron à boucles d’argent, un gilet de velours à raies alternativement jaunes et puce6, boutonné carrément7, un large habit marron, à grands pans, une cravate noire et un chapeau de quaker8. Ses gants, aussi solides que ceux des gendarmes, lui duraient vingt mois et, pour les conserver propres, il les posait sur le bord de son chapeau à la même place, par un geste méthodique. Saumur ne savait rien de plus sur ce personnage.
NOTES
1. Un pied vaut 0,324 m. Grandet mesure donc 1,62 m.2. Le pouce valait 0,027 m. Les mollets de Grandet
mesurent donc 0,324 m.3. Serpent fabuleux au regard mortel.4. Protubérance de chair.5. Les gens ordinaires.6. D’un rouge assez foncé.7. En carré.8. Avec de larges bords.
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SITUATION DE L’EXTRAIT ÉTUDIÉ
Eugénie Grandet se compose de trois parties : une longue exposition, le noyau du récit et le dénouement. L’exposition – soit le premier chapitre, intitulé « Physionomies Bourgeoises » – progresse lentement, selon un procédé de resserrement du regard. L’auteur procède d’abord à la description de la ville de Saumur, puis à celle de la maison des Grandet, et enfin à celle du père Grandet lui- même. À son propos, il explique l’origine de sa fortune et ses manières, puis il nous le présente tel qu’il est au moment où commence l’action du roman. C’est sur ce dernier passage que nous allons nous pencher.
les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? […] Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces sociales comme il y a des Espèces zoologiques. » (Pléiade, I, p. 8) Cette citation met en relief le caractère probléma-tique du projet réaliste : à la volonté de représenter la société telle qu’elle est, dans sa globalité, s’opposent les moyens limités du roman. En effet, la société présente une multiplicité d’individus, tous différents, dont le romancier ne peut rendre compte, au risque de rendre sa tâche interminable.
Ainsi, puisqu’il est impossible d’envisager tous les indi-vidus dans leurs infinies singularités, il faut considérer la diversité des hommes sous l’angle des « espèces » auxquelles ils appartiennent. Ces « espèces sont ce que Balzac appelle des types, c’est- à- dire des êtres exemplaires de toute une catégorie d’hommes : “Un type […] est un personnage qui résume en lui- même les traits caracté-ristiques de tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est le modèle du genre”, explique Balzac dans sa préface d’Une ténébreuse affaire. La constitution de types ne va donc pas sans des procédés de grossissement, d’accumu-lation de traits caractéristiques que l’on ne trouve dans la réalité que dans une multiplicité d’êtres et non dans un seul homme.
Ici, le personnage de Félix Grandet est représentatif non seulement d’un type moral (l’avare), mais aussi d’un type social, cette nouvelle classe qu’est la bourgeoisie, qui a pris le pouvoir et a fait fortune au cours des années ayant suivi la Révolution.
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romantiques du début du xixe siècle. Balzac privilégie les observations concrètes aux jugements de valeur, et décrit son personnage ainsi que pourrait le faire, semble- t-il, une personne extérieure et neutre. Les indications de taille (« un homme de cinq pieds », « des mollets de douze pouces ») sont particulièrement significatives du souci bal-zacien d’objectivité : le narrateur ne nous dit pas si l’homme peut être jugé petit ou si ses mollets sont disproportionnés, il nous en donne uniquement les dimensions. Cette absence de commentaire est donc caractéristique d’un point de vue qui se veut extérieur et objectif.
Notons également que la narration adopte un point de vue qui va du plus général au plus précis :
• le narrateur aborde d’abord l’attitude sociale du père Grandet : « Il n’allait jamais chez personne » ;
• la description s’attache ensuite à son aspect physique, passant là aussi du général aux détails caractéristiques. Le regard suit en outre un mouvement de bas en haut : de ses « mollets de douze pouces » à « son visage ». Le visage, plus particulièrement, est vu d’abord globa-lement (forme, couleur : « son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole »), puis dans les détails (« men-ton », « front », « nez »). Suit, dans la dernière partie du texte, la description de ses vêtements.
Notons que l’ancrage référentiel du portrait contribue encore à produire un effet de réel et d’objectivité. Aux indica-tions de temps (« 1791 ») et de lieu (« Saumur ») s’ajoutent des références aux regards et aux paroles des habitants de Saumur, voisins du père Grandet. Balzac, en endossant le regard anonyme de ces gens, fait référence à un hors- texte
COMMENTAIRE
Le portrait du père Grandet est caractéristique de l’écriture balzacienne :
• d’un côté, le réalisme de la description donne l’illusion de la réalité, une épaisseur humaine et de la vraisemblance au personnage fictif ;
• d’un autre côté, la description construit un personnage type, celui de l’avare, qui rappelle le caricatural Harpagon (l’Avare, 1668) de Molière (auteur dramatique français, 1622-1673) et permet la dramatisation du récit.
UN PORTRAIT RÉALISTE
Un portrait physique exhaustif, précis et objectif
L’exhaustivité et la précision du portrait de Félix Grandet sont caractéristiques d’une ambition réaliste :
• d’une part chaque partie du corps ou des vêtements est abondamment caractérisée (que ce soit sa taille, son visage ou encore ses vêtements). Physiquement, le père Grandet est donc décrit de façon exhaustive ;
• d’autre part, le romancier ne nous épargne aucun détail déplaisant ou prosaïque de l’apparence de cet homme (« marqué de petite vérole », « cheveux jaunâtres », etc.), qui doit sembler d’une grande laideur au lecteur.
L’auteur confère ainsi à la description un caractère objectif, et produit une illusion de réel, s’opposant en cela aux por-traits idéalisés qu’on trouve notamment dans les œuvres
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• l’« expression calme » de ses yeux révèle son caractère froid et calculateur ;
• les « protubérances significatives » de son front font penser à cette bosse dite « de l’avarice » ;
• sa « loupe […] pleine de malice » sous- entend que le mal qui habite le père Grandet pourrait aussi bien se situer tout entier dans cette excroissance monstrueuse de son corps.
Enfin, l’habillement est également révélateur de l’intériorité du personnage : ses vêtements sobres et grossiers révèlent le peu d’importance que Grandet accorde au paraitre, son ori-gine humble et son souci d’économie.
UN PERSONNAGE TYPE AUX DIMENSIONS MONSTRUEUSES
Le type même de l’avare
La monstruosité physique du personnage révèle ainsi sa monstruosité morale : Grandet apparait comme le type de l’avare. Les procédés de grossissement et de schématisation, ainsi que les interventions du narrateur, parfois ironiques, contribuent à présenter le personnage comme le « modèle » même de l’avare.
L’insistance, par l’accumulation d’adjectifs (« trapu, carré, large, droit »), sur les dimensions de son corps, en fait un personnage plus large que haut. Son nez, surtout, « gros par le bout [qui] supportait une loupe veinée » est d’une laideur et d’une taille extrêmes. Ses jambes également sont dispro-portionnées ; Balzac insiste d’ailleurs sur la dimension des mollets en donnant leur mesure exacte (« douze pouces »),
qui doit attester de l’authenticité du personnage et de sa description : « le peuple accorde », « le vulgaire disait », « disaient quelques jeunes gens », « Saumur ne savait ».
Du portrait physique au portrait moral
Balzac s’appuie dans l’ensemble de son œuvre sur la théorie du neurologue viennois François Joseph Gall (1758-1828), cité dans l’« Avant- propos » de La Comédie humaine. Selon ce scientifique, inventeur de la phrénologie et de la physio-gnomonie, on peut déduire de la forme, des traits du visage, le caractère et le tempérament d’une personne. Ainsi, Balzac partage l’idée selon laquelle le visage est révélateur de la personnalité de quelqu’un. D’où la description insistante du physique de Grandet : elle permet de passer d’un portrait physique à un portrait moral. La phrase « Sa figure annon-çait une finesse » montre bien la façon qu’a le romancier d’associer systématiquement un trait physique (« figure ») à une particularité morale (« une finesse »).
L’évocation de la silhouette du père Grandet, « trapu[e] » et « carré[e] », ainsi que l’insistance sur ses jambes (« des mollets de douze pouces de circonférence, des rotules noueuses ») révèlent tout d’abord la solidité du personnage, en même temps que son caractère terre- à- terre.
De même, la description du visage qui suit fait deviner d’autres aspects du tempérament du personnage :
• ses « lèvres sans sinuosité » renvoient à son égoïsme, à son manque de chaleur (absence de chair), voire à une certaine dureté ;
• ses « dents blanches » évoquent quelqu’un de carnassier ;
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Un personnage représentatif d’une catégorie sociale
Grandet est donc le personnage type de l’avare : roué, froid, calculateur, égoïste, animé d’une passion unique. Mais l’avarice du personnage est caractérisée par Balzac comme corréla-tive d’un certain milieu social. Il est « tel qu’il était depuis 1791 », « un ancien tonnelier » qui a « toujours réussi dans ses entreprises ». Balzac fait ici le portrait moins d’un indi-vidu en particulier que d’un certain groupe de personnes, la bourgeoisie naissante, dont les membres ont connu un enrichissement fulgurant au lendemain de la Révolution. La fin de la monarchie coïncide en effet avec l’avènement de l’indus-trialisation, dont les bourgeois sont les principaux acteurs, l’ancienne aristocratie étant dès lors privée de ses pouvoirs et de ses biens. Le milieu et l’époque ont rendu possible l’exis-tence de personnages tels que Grandet, que la possibilité d’un gain énorme et inattendu ont rendu fou et inhumain.
Un personnage ambigu et mystérieux
Malgré l’exhaustivité et la précision de la description, le nar-rateur, en usant de procédés de dramatisation, parvient à ménager un certain mystère autour du personnage, de façon à éveiller la curiosité et l’inquiétude du lecteur. L’adoption à certains moments du point de vue des habitants de Saumur (« quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d’une plaisanterie faite sur monsieur Grandet », « il n’allait jamais chez personne », « Saumur ne savait rien de plus sur ce personnage ») contribue à présenter le personnage comme un être mal connu et effrayant. Ce qui contraste de façon antithétique avec « la douceur de sa voix […] [et] sa tenue circonspecte »…
comme on l’a déjà relevé. La monstruosité du personnage est encore renforcée par les nombreux superlatifs absolus (« tout », « jamais, “en tout temps”, “toujours”). Le père Grandet est un être monstrueux aux dimensions hors normes : il s’agit là du portrait physique type de l’avare, l’avarice apparaissant dès lors comme un vice monstrueux.
Les interventions ironiques du narrateur aident également à associer cette monstruosité physique à une monstruosité morale : il évoque, dès le début de l’extrait, le « respect constant de la propriété » dont fait preuve Grandet, puis le fait qu’il « sembl[e] économiser tout, même le mouvement », avant de révéler au lecteur la façon dont Grandet conserve ses gants et combien de temps (« vingt mois », « par un geste méthodique »). Le narrateur opère de la sorte une réduction de la description (la propriété, puis le mouvement, puis les gants) qui met en valeur la force de la passion unique qui anime le per-sonnage. L’accumulation des négations dans les deux premières phrases (« ne », « ne », « ni… ni ») met par ailleurs en relief l’égoïsme du personnage, en même temps que son caractère insociable. La seule mention de sa vie familiale concerne sa fille Eugénie, immédiatement déterminée par des considérations économiques : « sa fille Eugénie, sa seule héritière ».
Au milieu du texte, le narrateur résume ainsi son person-nage : « Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, un égoïsme. » « Attitude, manière, démarche, tout en lui, d’ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l’habitude d’avoir toujours réussi dans ses entreprises », ajoute- t-il. Le lexique a une valeur axio-logique, impliquant implicitement un jugement de valeur du narrateur sur son personnage : « malice », « dangereuse », « dévoratrice », « jouissance de l’avarice ».
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de fer. On devine en creux le sort d’Eugénie, sur laquelle le personnage « concentre ses sentiments ». Elle sera en effet broyée par la passion paternelle, son destin soumis à l’avarice maladive de son père. La description acquiert ici une fonction dramatique. Elle suscite l’intérêt du lecteur en lui faisant deviner les obstacles qu’aura à affronter l’héroïne éponyme.
En réalité, le narrateur met l’accent sur le caractère double du personnage, dont les apparences sont trompeuses. Ses « mœurs faciles et molles » s’opposent ainsi à sa « pro-bité sans chaleur », à sa « malice » et à sa « dangerosité ». Aussi Balzac évoque- t-il les manières affables du personnage uniquement pour accentuer les traits les plus significatifs de son avarice : « malgré la douceur de sa voix, malgré sa tenue circonspecte, le langage et les habitudes du tonne-lier » ; « quoique de mœurs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait […] un caractère de bronze ».
La description du tonnelier vise donc avant tout à mettre en valeur son avarice ; on aurait pu accorder davantage d’importance à ses « mœurs faciles » ou à sa « douceur ». Le romancier semble ainsi avoir opéré un choix, adopté un certain point de vue sur son personnage. On peut donc finalement penser que l’auteur a mis l’accent uniquement sur certains aspects au détriment d’autres, au détriment par conséquent de l’objectivité. Ce choix contribue cependant à la dramatisation de la description : Grandet apparait en même temps monstrueux et mystérieux, parce qu’à la fois dur et doux, affable et brutal.
Un personnage à la dimension mythique
La comparaison de Grandet avec le basilic, animal mythologique et monstrueux, les adjectifs « dangereux » et « dévoratrices », et le lexique du métal (« cheveux blancs et or » ; « bronze ») donnent au personnage une dimension mythique. Il apparait comme un être froid comme le métal et comme le serpent. L’adjectif « dévoratrice » contribue par ailleurs à présenter le personnage comme un prédateur effrayant, écrasant les autres par sa volonté et sa passion
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POUR ALLER PLUS LOIN
ÉDITION DE RÉFÉRENCE
• Balzac H. de, Eugénie Grandet, Paris, Garnier Frères, 1965, p. 19-20.
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de Balzac• Fiche de lecture sur Le Lys dans la vallée d’Honoré
de Balzac• Fiche de lecture sur Le Père Goriot d’Honoré de Balzac
CONCLUSION
Ce portrait de Félix Grandet obéit à deux impératifs para-doxaux. D’abord à la volonté de l’auteur de faire de son œuvre le miroir de la réalité, en obéissant à un souci de vraisemblance et en mettant l’accent sur des détails concrets capables de donner une épaisseur humaine à un être de papier. Ensuite à la volonté de Balzac de porter un jugement moralisateur et à la nécessaire dramatisation du récit, par lequel le père Grandet apparait comme le type monstrueux de l’avare, responsable du destin pathétique et misérable de l’héroïne du roman.
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