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Les dossiers thématiques de l’IRD Vaincre le paludisme (1) Histoire de la paludologie ORIGINE DU PALUDISME Le paludisme ou malaria qui tue encore près d’un million d’enfants par an est causé par un parasite sanguin, un protozoaire du genre Plasmodium. Tout un chacun pourrait maintenant penser que c’est un organisme très simple, puisqu’unicellulaire… Et bien il n’en est rien ! Voyons pourquoi. Les Plasmodium appartiennent au groupe des Apicomplexa comme les Toxoplasmes par exemple. Lorsque nous analysons la position, dans l’arbre du vivant, de ces parasites, nous nous apercevons qu’ils viennent se placer près des Ciliés (figure ci- dessous : A). En effet, ces organismes présentent les caractéristiques morphologiques, moléculaires, biochimiques et pharmacologiques qui les rapprochent des Ciliés et des Dinoflagellés [1, 2]. Néanmoins, la découverte d’un ADN circulaire de 35 kb incorporé dans le cytoplasme des Apicomplexa a longtemps été une énigme. Le séquençage moléculaire de cet élément a montré qu’il était bien plus proche des plastes trouvés chez les algues que d’une cyanobactérie ou de tout autre procaryote libre [3]. Ainsi, la présence de ce plastide suggère que les Apicomplexa devraient plutôt être regroupés avec les plantes. L’hypothèse la plus parcimonieuse pour expliquer cette situation est l’existence d’un transfert latéral d’un plaste algal qui s’est produit chez l’ancêtre des Apicomplexa. Ces derniers seraient donc la résultante d’une double symbiose (figure ci-dessous : B) : (1) l’acquisition de la mitochondrie comme tous les organismes eucaryotes et (2) l’intégration secondaire d’un plaste qui évoluera en une nouvelle symbiose à l’origine de l’apicoplaste. En d’autre terme, l’ancêtre des Apicomplexa serait un eucaryote protozoaire qui se nourrissait d’algues, et cette « alguivorie » a permis l’intégration du plaste dans la structure du protozoaire donnant naissance au groupe des Apicomplexa. Comment sont-ils devenus ensuite parasites ? Cela demeure une énigme, mais force est de constater que ce double évènement symbiotique a été une réussite puisque le groupe est très diversifié. Juste pour exemple, on a pu dénombrer plus de 180 espèces du genre Plasmodium parasitant les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Si nous avons des sexes séparés (Femme et Homme), il n’en est pas de même pour les Plasmodium qui sont pourtant des organismes sexués, puisqu’un même génotype produit des gamètes mâles et femelles. Ils sont hermaphrodites. Il existe également dans le cycle de ces parasites des phases de reproduction asexuée mitotique. Ainsi, asexualité et sexualité sont deux richesses de la biologie de leur reproduction. Au cours de deux études réalisées au Kenya [4] et au Cameroun [5], il a été montré que cet organisme est capable de s’autoféconder (i.e. union des gamètes issus d’un même individu, d’un même génotype) et de s’alloféconder (union des gamètes provenant de deux génotypes différents). Mieux encore, il est démontré que le parasite fait 1/4 d’autofécondation et 3/4 d’allofécondation. Il existe donc une politique

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Vaincre le paludisme (1)

Histoire de la paludologie

Origine du paludisme

Le paludisme ou malaria qui tue encore près d’un million d’enfants par an est causé par un parasite sanguin, un protozoaire du genre Plasmodium. Tout un chacun pourrait maintenant penser que c’est un organisme très simple, puisqu’unicellulaire… Et bien il n’en est rien ! Voyons pourquoi. Les Plasmodium appartiennent au groupe des Apicomplexa comme les Toxoplasmes par exemple. Lorsque nous analysons la position, dans l’arbre du vivant, de ces parasites, nous nous apercevons qu’ils viennent se placer près des Ciliés (figure ci-dessous : A).

En effet, ces organismes présentent les caractéristiques morphologiques, moléculaires, biochimiques et pharmacologiques qui les rapprochent des Ciliés et des Dinoflagellés [1, 2]. Néanmoins, la découverte d’un ADN circulaire de 35 kb incorporé dans le cytoplasme des Apicomplexa a longtemps été une énigme. Le séquençage moléculaire de cet élément a montré qu’il était bien plus proche des plastes trouvés chez les algues que d’une cyanobactérie ou de tout autre procaryote libre [3]. Ainsi, la présence de ce plastide suggère que les Apicomplexa devraient plutôt être regroupés avec les plantes. L’hypothèse la plus parcimonieuse pour expliquer cette situation est l’existence d’un transfert latéral d’un plaste algal qui s’est produit chez l’ancêtre des Apicomplexa. Ces derniers seraient donc la résultante d’une double symbiose (figure ci-dessous : B) : (1) l’acquisition de la mitochondrie comme tous les organismes eucaryotes et (2) l’intégration secondaire d’un plaste qui évoluera en une nouvelle symbiose à l’origine de l’apicoplaste. En d’autre terme, l’ancêtre des Apicomplexa serait un eucaryote protozoaire qui se nourrissait d’algues, et cette « alguivorie » a permis l’intégration du plaste dans la structure du protozoaire donnant naissance au groupe des Apicomplexa.

Comment sont-ils devenus ensuite parasites ?Cela demeure une énigme, mais force est de constater que ce double évènement symbiotique a été une réussite puisque le groupe est très diversifié. Juste pour exemple, on a pu dénombrer plus de 180 espèces du genre Plasmodium parasitant les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises… Si nous avons des sexes séparés (Femme et Homme), il n’en est pas de même pour les Plasmodium qui sont pourtant des organismes sexués, puisqu’un même génotype produit des gamètes mâles et femelles. Ils sont hermaphrodites. Il existe également dans le cycle de ces parasites des phases de reproduction asexuée mitotique. Ainsi, asexualité et sexualité sont deux richesses de la biologie de leur reproduction. Au cours de deux études réalisées au Kenya [4] et au Cameroun [5], il a été montré que cet organisme est capable de s’autoféconder (i.e. union des gamètes issus d’un même individu, d’un même génotype) et de s’alloféconder (union des gamètes provenant de deux génotypes différents). Mieux encore, il est démontré que le parasite fait 1/4 d’autofécondation et 3/4 d’allofécondation. Il existe donc une politique

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de l’assurance chez ces organismes qui maintiennent leur génotype par autofécondation et qui proposent de nouvelles combinaisons par allofécondation [6]. Pour aller encore plus loin, un autre travail a montré qu’ils sont également capables d’ajuster leur sex ratio (i.e. production différentielle de gamètes femelles vs gamètes mâles) pour optimiser leur chance de fécondation, donc leur fitness [7]. Ces protozoaires sont « machiavéliques » car ils présentent l’ensemble du jeu des possibles en matière de reproduction : sexualité, asexualité, autofécondation, allofécondation, ajustement du sex ratio… Cette gamme reproductive leur confère un énorme avantage, et l’on comprendra ainsi toute la difficulté que nous aurons à mettre en place des moyens de lutte efficaces pour les combattre. Si l’on ne se réfère qu’à l’Homme, cinq espèces plasmodiales sont actuellement dénombrées, il s’agit de deux espèces majeures (Plasmodium falciparum et Plasmodium vivax) et de trois autres espèces dont l’écologie et l’évolution sont moins connues (Plasmodium, ovale, Plasmodium malariae et Plasmodium knowlesi). Si l’origine de Plasmodium knowlesi est récente et provient d’un transfert des cercopithèques d’Asie du Sud Est vers l’Homme [8], nous nous intéresserons ici qu’à l’origine des deux espèces majeures. Elles sont responsables de la majorité des cas cliniques et des mortalités humaines dus au paludisme. Nous focaliserons plus particulièrement notre présentation sur Plasmodium falciparum, agent responsable de la plupart des cas de paludisme sévère.

Plasmodium falciparumD’où provient l’agent le plus virulent de la Malaria ? Quand le transfert a-t-il eu lieu ? Comment ? Pourquoi ? Durant les soixante dernières années, ces questions ont été la source de nombreux débats concernant l’origine de Plasmodium falciparum, encore responsable de près d’un million de morts/an et plus de 200 millions de cas cliniques/an [9]. Les premières analyses de phylogénie moléculaire conduites sur le genre Plasmodium montraient que P. falciparum se positionnait avec des Plasmodium d’oiseaux et non avec ceux qui parasitent les mammifères, suggérant ainsi qu’il résultait d’un transfert en provenance des oiseaux vers les Hommes [10, 11]. Selon ces auteurs, le transfert aurait eu lieu au début du développement agricole, c’est-à-dire voici 10 000 ans. Des analyses effectuées par la suite sur un nombre de marqueurs moléculaires plus important ont montré la proximité génétique entre P. falciparum et P. reichenowi, un parasite isolé chez le chimpanzé. Ces deux espèces auraient pu diverger au moment de la séparation évolutive entre Homme et chimpanzé. Néanmoins, le binôme P. falciparum / P. reichenowi constituait toujours un groupe frère aux parasites d’oiseaux et de reptiles [12]. Par la suite, une large controverse a vu le jour, puisque les résultats de nouvelles études montraient que le binôme P. falciparum et P. reichenowi se positionnait plus vers des parasites de rongeurs [13,14] ; la controverse de l’origine faisait rage entre oiseaux et rongeurs. Pour partie, cette dernière provenait de deux points :

• le trop petit nombre de taxa de Plasmodium utilisé et,

• le faible nombre de marqueurs moléculaires pour effectuer les analyses.

Néanmoins, l’ajout de nouveaux marqueurs moléculaires n’a pas permis de résoudre l’énigme [15]. Ce n’est que très récemment, en incorporant plus de parasites en provenance de mammifères (plus particulièrement des grands singes) que le paradigme de l’origine de P. falciparum a totalement changé. Jusqu’en Mai 2009, une seule espèce était connue comme proche de P. falciparum. Cette dernière, P. reichenowi, a été isolé d’un chimpanzé capturé près de Lac Edwards (République Démocratique du Congo) [16]. En 2009, une équipe franco-gabonaise a publié la séquence mitochondriale complète d’une nouvelle espèce de Plasmodium, nommée Plasmodium gaboni, parasitant les chimpanzés et proche du binôme P. falciparum/P. reichenowi [17]. Cette découverte laissait maintenant supposer que les premiers hominidés africains étaient atteints de la malaria. Trois mois plus tard, une étude présentait la diversité des espèces de Plasmodium circulant chez les chimpanzés au Cameroun et en Côte d’Ivoire [18]. En utilisant une séquence partielle du Cytochrome B, des gènes nucléaires et des gènes de l’apicoplaste, les auteurs ont montré une forte variabilité génétique au sein de l’espèce P. reichenowi. Ils ont suggéré ainsi que P. falciparum pourrait voir son origine chez le chimpanzé (par un variant génétique de P. reichenowi), et que le transfert aurait pu avoir lieu 5 000 et 50 000 avant notre ère [18]. Néanmoins, il s’est avéré que la variabilité génétique rencontrée chez P. reichenowi provenait de l’assemblage de deux espèces au sein d’un même groupe spécifique, c’est-à-dire que les auteurs n’avaient

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pas détecté la présence de P. gaboni, tout juste publiée. En janvier 2010, la même équipe franco-gabonaise a publié un article dans lequel, pour la première fois à l’aide de méthodes non invasives (échantillons de féces), était montré :

• que les chimpanzés ouest-africain (Pan troglodytes troglodytes) étaient bien parasités par P. reichenowi et P. gaboni et que,

• les gorilles (Gorilla gorilla gorilla et Gorilla gorilla dielhi) étaient également parasités par deux espèces de Plasmodium (P. gorA et P. gorB) [19].

De plus, cette étude montrait pour la première fois que les gorilles étaient parasités par Plasmodium falciparum. Ce résultat était plus qu’inattendu puisque P. falciparum était jusqu’alors considérée comme strictement spécifique de l’Homme. En février 2010, une nouvelle étude confirme la grande diversité d’espèces plasmodiales infectant les grands singes en Afrique centrale [20]. L’originalité de ce travail résidait sur l’analyse d’échantillons provenant d’une sous-espèce de chimpanzé est-africaine (Pan troglodytes schweinfurthii) et de bonobos. En séquençant l’ensemble du génome mitochondrial et certains gènes nucléaires, les auteurs ont mis en évidence l’existence de deux nouvelles espèces de Plasmodium chez les chimpanzés. La première, nommée Plasmodium billcollinsi, est située à l’embranchement du binôme P. falciparum/P.reichenowi ; la seconde, nommée P. billbrayi, est phylogénétiquement proche de P. gaboni. Par ailleurs, ils ont également montré que les bonobos étaient infectés par P. falciparum dont la diversité génétique mitochondriale était supérieure à l’ensemble de la diversité des P. falciparum rencontrés chez l’Homme. Ainsi, P. falciparum chez l’homme pourrait voir son origine chez les bonobos, voici 30 000 ans selon ces auteurs [20]. En mai 2010, une étude réalisée sur la diversité génétique des Plasmodium de grands singes du Cameroun a révélé l’existence de chimpanzés parasités par P. falciparum [21]. Néanmoins, ces chimpanzés n’étaient pas sauvages et vivaient dans des sanctuaires où l’Homme est omniprésent. Finalement en septembre 2010, une étude qui reprenait la méthode originale d’études des Plasmodium par des approches non-invasives [19], confirmait, au travers d’une large collection d’échantillons, l’existence de six espèces de Plasmodium appartenant au groupe Laverania, c’est-à-dire l’embranchement auquel appartient P. falciparum. Toutes ces espèces avaient déjà été signalées, mais l’originalité de ce travail provenait du grand nombre de gorilles infectés par P. falciparum [22]. P. falciparum se compose alors de trois lignées génétiques :

• la lignée qui parasite l’Homme,

• une lignée proche de P. falciparum humain parasitant le gorille [19] et nommée P. praefalciparum 2 et,

• une lignée parasitant le gorille, P. praefalciparum 1, mais située à la base du binôme P. falciparum humain/P. praefalciparum2.

Suivant le principe de parcimonie, ces résultats suggèrent que P. falciparum humain voit son origine chez les gorilles.

La figure 2 ci-dessous résume l’ensemble de la diversité spécifique rencontrée maintenant dans le groupe des Laverania. S’il est maintenant prouvé que l’origine de P. falciparum ne se trouve ni chez les rongeurs, ni chez les oiseaux comme ce fut très longtemps l’hypothèse, l’incertitude demeure entre bonobos, chimpanzés ou gorilles. En effet, pour affirmer que les Plasmodium falciparum de gorilles sont à l’origine du transfert chez les Hommes, il faut démontrer que seuls les gorilles hébergent les lignées P. praefalciparum 1 et 2. Cette hypothèse est remise en question suite à la très récente publication montrant qu’un cercopithèque (Cercopithecus nictitans) était parasité par P. praefalciparum 2 [23]. Les gorilles ne sont donc pas les seuls !

D’autres recherches sont donc nécessaires pour démontrer l’origine de P. falciparum chez l’Homme et surtout pour comprendre les processus sélectifs qui ont conduit à la réussite du transfert, et qui ont façonné le génome de ce fléau parasitaire.

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Plasmodium vivaxAvant le succès des campagnes de traitement anti-paludisme du milieu du XXe siècle, Plasmodium vivax était rencontré jusqu’en Europe du Nord ; il était l’agent paludéen qui présentait la plus large distribution géographique [24]. Si l’origine de Plasmodium falciparum a fait et fait toujours l’objet de très nombreuses études, il n’en est pas de même pour P. vivax. Ceci vient du fait que, comme le montre la Figure 2, la position phylogénétique de Plasmodium vivax est totalement incluse dans un groupe monophylétique de Plasmodium qui tous infectent des singes (Catarhiniens) présents en Asie du Sud Est [25,26]. Son origine chez l’Homme provient d’un transfert à partir des macaques du Sud Est asiatique (hypothèse de parcimonie), comme observé récemment pour P. knowlesi [8]. Néanmoins, différents points remettent en question cette origine :• L’absence, chez l’Homme, de Plasmodium vivax en Afrique centrale et de l’Ouest pose question. En

effet, cette absence est due à l’existence du génotype « groupe sanguin -Duffy négatif » qui confère une résistance à l’invasion des érythrocytes par ce parasite [27]. La présence de ce génotype particulier serait le reflet d’une signature de sélection, dans le génome humain, contre ce parasite.

• La présence de Plasmodium vivax chez les grands singes (gorilles et chimpanzés) d’Afrique centrale montre que ce dernier est présent dans cette zone géographique [22,28].

• L’infection par Plasmodium vivax d’Hommes d’origine non africaine revenant de séjours en Afrique centrale montre également sa présence, et la possibilité de transfert singe/Homme pour ce parasite [29].

• Plasmodium vivax n’a jamais été décrit chez le seul Hominidé asiatique, l’orang-outan, alors qu’il infecte les Hommes [30].

L’ensemble de ces observations a conduit à proposer l’hypothèse d’une origine africaine de Plasmodium vivax chez les Hommes à partir d’un transfert des singes durant les dernières glaciations (entre 100 000 et 20 000 ans) [31]. D’autres analyses sont maintenant nécessaires pour connaître l’émergence de P. vivax chez l’Homme et pour pouvoir trancher entre l’origine africaine ou asiatique. La question sur l’origine de Plasmodium vivax chez l’Homme reste ouverte.

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diffusiOn intercOntinentale de Plasmodium falciParum

Il est maintenant quasi certain que P. falciparum, l’agent le plus virulent du paludisme chez l’Homme, a une origine africaine. Selon les études les plus récentes, celui-ci serait apparu en Afrique, il y a 120 000 à 1 million d’années à la suite d’un transfert de parasites de gorilles ou d’autres primates non humains vers l’Homme (Prugnolle et al. 2011; Baron et al. 2012). On l’observe dorénavant dans la quasi-totalité des régions intertropicales, de l’Afrique à l’Asie, en Océanie et sur le continent sud-américain. Comment ce parasite a-t-il colonisé le reste du monde ? Quand est-il sorti d’Afrique ? Quelles routes et quelles voies a-t-il empruntées ? Comment en particulier a-t-il envahi le continent asiatique et le continent sud-américain ? Ces questions ont fait et font encore l’objet de nombreuses discussions. Malgré des avancées certaines, notamment grâce aux outils de la génétique des populations, de nombreuses questions restent encore en suspens.

La colonisation du continent asiatiqueConcernant la colonisation du continent asiatique, deux grandes hypothèses furent proposées. Selon certains auteurs, P. falciparum serait resté cantonné au continent africain jusqu’il y a récemment. Ce serait seulement il y a 10 000 ans environ, à la suite de différents changements environnementaux, que celui-ci aurait connu une explosion démographique importante et rapide et aurait commencé à coloniser les populations humaines en dehors du continent africain, en particulier au Moyen Orient et en Asie (Hume et al. 2003). Parmi ces changements environnementaux, il y eu tout d’abord l’élévation progressive des températures et de l’humidité sur le continent africain –à la suite des dernières glaciations– pour atteindre des conditions optimales au développement du parasite il y a 10 000 ans. Approximativement à la même période (entre 6 000 et 7 000 ans), il y eut également le développement rapide de l’agriculture en Afrique, qui eut pour conséquence une augmentation des densités de populations humaines mais également des moustiques vecteurs. L’agriculture créait en effet des conditions favorables à la reproduction et à la survie des anophèles vecteurs. Toutes ces conditions auraient favorisé la croissance des populations du parasite et leur expansion en dehors de l’Afrique (Cormier 2011).

La seconde hypothèse qui fut proposée quant à la sortie d’Afrique de P. falciparum fût celle d’une sortie concomitante avec celle de nos ancêtres, c’est-à-dire il y a 100 000 à 60 000 ans. L’idée étant que P. falciparum aurait suivi les premiers hommes modernes (Homo sapiens sapiens) dans leur colonisation progressive de l’Asie à partir du continent africain (Hume et al. 2003).

Quel scenario est le plus probable ? Pour y répondre, les chercheurs se sont intéressés à la variabilité génétique actuelle du parasite, à la manière dont celle-ci était distribuée dans les différentes populations c’est-à-dire aux ressemblances génétiques entre populations mais aussi entre individus au sein des populations. Ces informations leur ont permis de dater l’expansion de P. falciparum hors d’Afrique mais également de mieux comprendre les liens de parentés entre les populations africaines et asiatiques.

Toutefois, comme rien n’est jamais simple en science, les résultats obtenus par les chercheurs allèrent tantôt dans le sens de la première hypothèse, tantôt dans le sens de la seconde hypothèse. Ainsi, Rich et al. 1998, sur la base de l’analyse de la diversité génétique du parasite au niveau de plusieurs régions génomiques, estimèrent que P. falciparum avait connu une explosion démographique récente remontant à 6 000 ans environ. En revanche, pour Tanabe et al. 2010 qui étudièrent la diversité génétique du parasite au niveau des gènes et qui utilisèrent d’autres méthodes statistiques pour estimer la sortie d’Afrique, c’est il y a 60 000 ans que P. falciparum aurait débuté sa conquête du continent asiatique, ce qui est compatible avec la deuxième hypothèse.

Avec l’avènement du séquençage haut débit permettant d’analyser les génomes entiers et les progrès rapides dans la puissance d’analyse, il est probable qu’une réponse plus claire sera rapidement trouvée quant à la sortie d’Afrique de P. falciparum.

La colonisation du continent Sud-AméricainQuand et comment P. falciparum a colonisé le continent sud-américain ? A-t-il suivi nos ancêtres dans leur colonisation du Nouveau Monde ? C’est assez peu probable. L’homme moderne (Homo sapiens sapiens) a colonisé le continent américain il y a environ 15 000 ans environ en passant par le détroit de Behring. Or à cette époque la terre est en pleine période glaciaire et les conditions climatiques dans le nord du continent

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américain sont très vraisemblablement bien trop froides pour permettre au parasite de se développer et de finir son cycle de vie chez le vecteur. En outre, contrairement à d’autres espèces comme P. vivax, P. falciparum n’est pas connu pour avoir des formes dormantes qui lui permettent de se maintenir plus de quelques mois chez l’homme. Il est donc plus probable que P. falciparum ait été introduit sur le continent sud-américain bien plus récemment. Mais alors quand ?

Certains ont évoqué une introduction via des routes trans-pacifiques mais l’hypothèse la plus couramment formulée fût celle d’une introduction au moment de la traite transatlantique, au cours de laquelle des millions d’Africains (environ 10 millions entre le XVIe et le XIXe siècle) furent envoyés de force sur le continent américain pour y servir d’esclaves. Ce serait au moment de cette vaste migration humaine forcée que le parasite aurait été introduit dans le Nouveau Monde à partir du continent africain (Yalcindag et al. 2012).

Encore une fois, les chercheurs ont eu recours à la génétique pour tenter de percer l’histoire de P. falciparum en Amérique. Mais cette fois-ci les éléments obtenus confirmèrent l’hypothèse. Non seulement P. falciparum en Amérique du Sud est plus proche génétiquement des populations africaines que des populations asiatiques mais la manière dont la variabilité génétique du parasite est distribuée en Amérique reflète les différentes routes empruntées par le commerce des esclaves. Le parasite est ainsi génétiquement divisé en deux groupes distincts : l’un présent au nord du continent sud-américain (au niveau de la Colombie), conséquence d’une introduction via les esclaves importés par l’Empire espagnol (qui s’étendait à cette époque à l’ouest du continent sud américain de l’actuel Venezuela à l’actuel Chili) et un au sud, résultat de la traite négrière engagée par l’Empire portugais (qui s’étendait sur l’actuel Brésil). Par ailleurs, la datation de l’introduction du parasite dans le nouveau monde grâce aux outils de la génétique est claire : celle-ci aurait eu lieu entre 600 et 300 ans avant aujourd’hui ce qui est cohérent avec les dates de début (XVIe) et de fin de la traite des noirs (XIXe) (Yalcindag et al. 2012).

L’Afrique fût-elle la seule source d’introduction de P. falciparum ? Il est possible que non. A la même époque, le continent américain a connu d’autres vagues de migrations humaines d’origines variées. Non seulement un grand nombre d’Européens originaires de pays limitrophes du bassin méditerranéen, zone où P. falciparum sévissait, s’installèrent en Amérique du Sud mais il y eut également des mouvements importants de populations issues du continent asiatique. Ce fût le cas par exemple au moment de la « traite des coolies » qui se déroula entre 1847 et 1874 et au cours de laquelle plusieurs centaines de milliers de chinois migrèrent en Amérique du Sud pour servir de main-d’œuvre. Provenant de régions de Chine où P. falciparum était endémique, il est possible que ces travailleurs fussent à l’origine de l’introduction de parasites originaires d’Asie. Des études génétiques plus poussées devraient permettre d’établir le rôle que ces autres mouvements de populations humaines ont joué dans l’installation de P. falciparum en Amérique du Sud.

Et aujourd’hui ?Comme nous venons de le voir, la diffusion intercontinentale de P. falciparum à travers le monde fut en grande partie liée aux grands mouvements de populations humaines fussent-ils naturels ou forcés.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les moyens de communications et les mouvements de populations humaines entre différentes régions du monde se sont intensifiés conduisant à des transferts de pathogène d’une région du monde à l’autre. Ces mouvements ne sont pas anodins et peuvent avoir des conséquences en termes de santé publique. Non seulement, ces mouvements peuvent conduire à des phénomènes de réémergence du parasite dans des régions où il avait été historiquement éradiqué (Martens and Hall 2000) (des cas de transmission autochtones de P. falciparum furent récemment observés aux alentours de Marseille [Doudier et al. 2007]) mais aussi participent largement à la diffusion mondiale des résistances aux antipaludéens (Lynch and Roper 2011).

le paludisme en afrique

Le paludisme aujourd’huiEn 2010, l’Afrique a rassemblé 81% des malades et 91% des décès attribuables au paludisme selon l’Organisation mondiale de la santé (1). Plasmodium falciparum est responsable de 98 % des cas cliniques de paludisme et des infections plasmodiales en Afrique et est en cause dans la plus grande partie des décès. P. vivax, P. ovale et P. malariae y sont également présents, à des niveaux de prévalence moins élevés que

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P. falciparum et entraînant une morbidité bien moins grave. P. knowlesi n’y a pas encore été décrit. En Afrique comme ailleurs, les espèces d’anophèles vecteurs ont des préférences pour des biotopes particuliers qui déterminent leur distribution géographique.

Au cours des dernières années, le paludisme a régressé en Afrique comme dans toutes les régions du monde (1), sous l’effet de l’amélioration conjointe des moyens de lutte antivectorielle (i.e. les moustiquaires imprégnées d’insecticide), du diagnostic parasitologique rapide du paludisme, et des traitements préventifs et curatifs, notamment à base de dérivés d’artémisinine. L’épidémiologie des infections plasmodiales et la gravité de la maladie dépendent de l’exposition à la transmission, de l’accès aux soins et de l’immunité acquise par les personnes infectées. Par ailleurs, des facteurs génétiques et comportementaux conditionnent aussi la sensibilité aux plasmodiums. La grande diversité des contextes environnementaux, bioclimatiques et socioéconomiques explique à la fois la distribution des anophèles vecteurs, le niveau de transmission des plasmodiums, la prévalence des infections et l’importance du paludisme en Afrique (2, 3) (figure ci-contre). De larges zones d’Afrique du Nord, du Sahara, d’Afrique australe et de régions d’altitude sont indemnes de paludisme. Les niveaux de transmission et de poids du paludisme les plus élevés au monde sont trouvés en Afrique inter-tropicale où les plasmodiums peuvent être transmis toute l’année. Entre ces extrêmes, il existe aussi de vastes zones d’Afrique où la transmission des plasmodiums est saisonnière, plus ou moins longue et importante, et où le poids du paludisme est intermédiaire.

Une histoire du paludisme en Afrique, des origines au XXe siècleL’histoire du paludisme en Afrique avant la période coloniale est très mal documentée (4). Les données de génétique parasitaire et la similitude entre les plasmodiums humains et des autres primates laissent supposer que les infections plasmodiales ont accompagné le développement de l’humanité en Afrique depuis ses origines. La prévalence élevée dans de larges parts d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest d’hémoglobinopathies comme la drépanocytose a été associée à la protection que cette anomalie génétique humaine confère contre le paludisme lorsque les individus sont hétérozygotes (i.e. ayant une seule copie mutée du gène de l’hémoglobine). Seule une prévalence élevée du paludisme dans ces zones aurait pu sélectionner et faire persister cette maladie génétique humaine qui est létale chez les enfants homozygotes (i.e. ayant les deux copies mutées du gène). La description de rates de grande taille associées à de la fièvre dans le papyrus Ebers (1570 avant J.-C.) et la découverte de grosses rates chez des momies datant de plus de 3 000 ans suggèrent que le paludisme sévissait en Egypte ancienne. Ce n’est qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans les rapports des explorateurs européens des côtes africaines, qu’ont été faites les premières mentions de fièvres intermittentes probablement dues au paludisme. Dès la fin du XVIIIe siècle, il était recommandé aux marins de jeter l’ancre au large des côtes marécageuses et de boire des solutions de quinquina (contenant de la quinine) pour prévenir ces fièvres. Au début du XIXe siècle, les statistiques médicales des explorations africaines relataient des taux de mortalité de l’ordre de 50%, largement attribuables au paludisme et à la fièvre jaune. L’Algérie fût le théâtre d’avancées majeures sur le paludisme, la codification du bon usage de la quinine par Maillot en 1834, la découverte du parasite causant le paludisme par Laveran (photo ci-dessus) en 1880, et la première introduction de la quinine pour la prophylaxie du paludisme chez les populations indigènes par les frères Sergent de l’Institut Pasteur d’Alger en 1903. C’est à la même époque que Koch, en Afrique de l’Est et en Nouvelle Guinée (1899-1902) réalisa le rôle de l’immunité antipalustre acquise par les populations autochtones et que l’élimination des gîtes larvaires d’anophèles a été tentée pour la première fois par Ross (à l’aide de kérosène), en Sierra-Leone, en 1899.

La lutte contre le paludisme en Afrique au début du XXe siècleAu début du XXe siècle, l’utilisation de la quinine en prophylaxie, l’assainissement du milieu par l’élimination ou le traitement des gîtes larvaires (avec des produits pétroliers ou du vert de Paris), les mesures d’hygiène de l’habitat rendant les maisons plus étanches aux moustiques (moustiquaires de fenêtres) et l’aspersion de pyrèthre, un insecticide extrait de plantes, étaient des mesures de lutte contre le paludisme appliquées dans de nombreuses régions d’Afrique mais souvent réservées à une fraction de la population, en particulier les européens expatriés et des indigènes appartenant à l’administration coloniale (4). Les fièvres bilieuses hémoglobinuriques causées par les prises itératives de quinine et le coût du pyrèthre et des mesures d’hygiène de l’habitat limitaient l’étendue qui pouvait être donnée à ces mesures de lutte. A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, la mise au point d’insecticides synthétiques modernes rémanents comme le DDT et d’antipaludiques efficaces et bien tolérés comme la chloroquine, l’amodiaquine, la sulfadoxine, la pyriméthamine et le proguanil

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ont permis l’élimination du paludisme de différentes régions d’endémie d’Europe et d’Asie. Ces moyens de lutte ont aussi rapidement eu un impact très important en Afrique du Nord et en Afrique australe.

De 1955 à 1969, un programme global d’éradication du paludisme a été lancé avec ces nouveaux moyens. Il a cependant été considéré dès le début des opérations que l’Afrique subsaharienne n’y était pas prête à cause de la durée prolongée des saisons de transmission, de la prévalence très élevée des infections plasmodiales (haute endémicité), de la difficulté d’accès à de larges proportions des populations autochtones et de la faiblesse des infrastructures. En dépit de ces contraintes, l’OMS a recommandé en 1950 d’utiliser ces moyens de lutte moderne dans toutes les régions d’Afrique autant que faire se peut et dès que possible, quelles que soient les conditions d’endémicité et sans attendre les résultats des recherches qui pourraient être menées en Afrique pour y adapter la lutte antipaludique.

Le contrôle du paludisme en Afrique (1960-1999)Même si l’objectif d’élimination du paludisme était abandonné en Afrique subsaharienne, la lutte antivectorielle par aspersion intra-domiciliaire d’insecticides rémanents, la chimioprophylaxie et le traitement des cas cliniques par chloroquine ont été largement utilisés pour contrôler le paludisme en espérant en diminuer l’impact à un niveau où il ne constituerait plus un problème de santé publique. Les défaillances des systèmes de santé et des programmes verticaux de lutte contre le paludisme ont rapidement limité la portée de ces interventions dans de nombreuses régions d’Afrique qui venaient d’obtenir leur indépendance. Dans les années 1980-90, l’émergence de résistances des vecteurs aux insecticides, dont le DDT, et de P. falciparum aux antipaludiques a aussi limité l’efficacité de ces mesures de lutte contre le paludisme. La mortalité et la morbidité dues au paludisme ont alors augmenté et ont rendu plus urgentes les mises au point et le déploiement de nouvelles mesures de lutte.

Des équipes françaises de l’ORSTOM (renommé IRD en 1998) au Burkina-Faso et universitaires au Mali, ont mis au point dans les années 1980 des moustiquaires imprégnées d’insecticide pyréthrinoide dont l’efficacité, le rapport coût-efficacité et l’innocuité ont permis d’envisager leur déploiement à large échelle en Afrique inter-tropicale au cours des années 1990. A la veille des années 2000, il devenait aussi évident que l’utilisation de la chloroquine pour le traitement de première ligne du paludisme devait être remplacée par celle de combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine.

Vers une nouvelle tentative d’élimination du paludisme en AfriquePar la déclaration d’Abuja en avril 2000, les chefs d’Etats africains décidaient de tenter de diviser par deux la mortalité par paludisme avant 2010 à l’aide de tous les moyens de prévention et de traitement disponibles depuis peu : les moustiquaires imprégnées d’insecticide, les tests de diagnostic rapide et les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine. L’initiative « Faire reculer le paludisme » (Roll back malaria, RBM) lancée en 1998 définit alors un plan global qui mettait pour la première fois les zones de forte endémie d’Afrique au centre des préoccupations et de l’intérêt de la communauté internationale. Une dynamique sans précédent a alors été lancée. Le Fonds Mondial pour la lutte contre le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme mis en place en 2002, l’initiative du président américain (PMI) en 2006, et UNITAID créée en 2006, ainsi que d’autres initiatives bilatérales, permirent de mobiliser des fonds pour la lutte contre le paludisme à un niveau encore jamais égalé. Suite à l’appel de Bill et Melinda Gates repris par RBM et l’OMS, l’éradication du paludisme a été remis sur le devant de la scène en 2007, y compris pour l’Afrique. La fondation Bill et Melinda Gates a alors largement financé la recherche pour la lutte contre le paludisme dans la perspective de ce nouvel objectif. Les efforts consentis au cours des dernières années ont abouti à une réduction importante de la transmission du paludisme, de la prévalence des infections plasmodiales, de la morbidité et de la mortalité par paludisme dans la plupart des pays d’Afrique. Le paludisme a été éliminé ou quasiment éliminé d’Afrique du Nord et de Djibouti. La plus grande partie de l’Afrique du Sud est maintenant indemne de paludisme. Plusieurs îles « africaines » comme le Cap Vert, Zanzibar, Moeli ou Mayotte ont atteint des niveaux d’endémicité proches de l’élimination, sans l’atteindre. Les raisons de la persistance du paludisme malgré les efforts consentis sont multiples : la présence de vecteurs parmi les plus efficaces au monde pour transmettre le paludisme (An. gambiae s.s., An. funestus, An. arabiensis), les flux de personnes porteuses de plasmodiums à travers les frontières, l’émergence de résistances aux insecticides actuellement utilisables et l’existence d’infections indétectables par les méthodes de diagnostic actuelles. L’élimination du paludisme d’Afrique apparaît encore comme un objectif inatteignable avec les moyens disponibles et dans le contexte socio-politique et économique actuel.

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le paludisme histOrique en eurOpe

Le paludisme est une maladie historiquement présente en Europe. Les premiers cas semblent être apparus en Grèce à l’Antiquité. La maladie se serait ensuite propagée dans le reste de l’Europe, devenant endémique de certaines régions méditerranéennes et touchant des zones jusqu’au nord de l’Europe jusqu’au début du XXe siècle. À l’exception de la Turquie, le paludisme a été éradiqué de cette région au cours du XXe siècle. Le recul ou la disparition de cette endémie, selon les zones considérées, sont liées à plusieurs facteurs dont l’amélioration générale des conditions d’habitat et de vie, notamment la séparation entre l’homme et les animaux d’élevage (création d’étables) et l’accès à la quinine, ainsi que l’utilisation d’insecticides (Mouchet et al 2004, Bruce-Chwatt & de Zulueta 1980). Récemment, dans certaines zones, les populations de vecteurs ont à nouveau atteint de fortes densités, leur présence peut présenter un risque de réémergence de cette maladie. Dans les cinquante dernières années, et particulièrement en Italie, Grèce et Turquie, l’expansion de la riziculture a provoqué une augmentation des densités de populations de vecteurs potentiels créant des conditions favorables pour la transmission du plasmodium. De plus, le paludisme reste endémique sur la côte et dans les plaines de l’Est de la Turquie. Cette région est aussi limitrophe de pays où le paludisme est endémique comme la Syrie, l’Iran, l’Azerbaïdjan, et l’Arménie. Cependant le bon niveau d’accès aux soins et le fait que les populations soient concentrées en ville, où les vecteurs ne sont pas présents, ne sont pas en faveur d’une réémergence du paludisme. Les cas autochtones de paludisme à partir d’un cas importé sont rares et il est peu probable qu’ils soient à l’origine d’une épidémie. En conclusion, dans le contexte de changement global (environnement et climat), le sud de l’Europe reste vulnérable face au risque de transmission du paludisme qui peut se traduire par l’apparition de cas localisés. Il reste à savoir comment l’association vecteur-parasite peut s’adapter et évoluer face aux changements climatiques et environnementaux prévus.

Des signes cliniques dès la fin de l’AntiquitéIl est très difficile de dater avec certitude l’apparition du paludisme en Europe, mais des signes cliniques correspondants à cette maladie, fièvres tierces bénignes et fièvres quartes pouvant être reliées respectivement à P. vivax et P. malariae, ont été décrits dès la fin de l’antiquité (Ve siècle avant J.-C.) notamment en Grèce par Hippocrate (Sallares, 2004). Hippocrate avait d’ailleurs souligné la coexistence de ces fièvres avec les marais, et conseillait de bâtir les villages loin de ces zones « malsaines ». Les premières mentions de fièvres tierces malines imputables à P. falciparum apparaissent chez Celsus au Ier siècle avant J.-C. (Jones 1908). La maladie serait devenue un problème majeur seulement à partir du IIe siècle (Bruce-Chwatt & de Zulueta 1980). Elle se serait ensuite répandue dans toute l’Europe, sévissant depuis le Sud de la Finlande jusqu’en Iran (Mouchet et al 2004). L’aggravation de cette situation peut être attribuée au fait que l’environnement ait considérablement changé en Asie mineure Grèce et Italie (Butzer 1972) suite à la culture intensive des régions littorales. Ces changements auraient favorisés l’implantation d’An. labranchiae en Italie, Sicile, Sardaigne et Corse et celle d’An. sacharovi en Grèce et dans les Balkans. Ces deux vecteurs sont beaucoup plus efficaces que les autres vecteurs du complexe maculipennis initialement présents. La compétition entre ces 2 nouvelles espèces, plus tolérantes aux eaux saumâtres, et les espèces autochtones expliquerait également la distribution côtière d’An. labranchiae et An. sacharovi (Gmerk 1994). L’histoire du paludisme en Europe est peu connue à partir du Ve siècle, on peut cependant en reconstituer une partie à partir de l’histoire militaire. Durant cette période, le paludisme, reporté alors comme fièvre intermittente, aurait sérieusement pesé sur les armées Wisigoths, Ostrogoths et Vandales (Reiter 2000) lors de leurs invasions. Aux alentours du premier millénaire, la « fièvre romaine » aurait également sévèrement touché les armées d’Otton I, Otton II et Henri II (Reiter 2000) pendant le siège de Rome. De la même façon au Moyen Âge, il est fait mention de nombreuses fièvres, fièvres intermittentes, fièvres tierces ou quartes qui auraient décimé de nombreuses garnisons (Mouchet 2004). En Angleterre, au XVIe et XVIIe siècle, des signes cliniques sont bien décrits chez plusieurs auteurs. William Shakespeare (1564-1616) mentionne à plusieurs reprises des fièvres, et suppose plusieurs fois un lien entre la maladie et les zones marécageuses. Ces corrélations sont également faites par Daniel Defoe (1660-1731) qui décrivait la vie dans les marais de Dengie dans l’Essex (Defoe 1986). William Harvey (1578-1657) fait des observations précises de pathologies cliniques des accès de fièvres et remarque également des changements de fluidité de sang qui sont observés dans les cas sérieux (Harvey 1993). Plusieurs études de Dobson (1980, 1989, 1994) montrent que la maladie était particulièrement répandue dans les marais à eaux saumâtres, bien tolérées par An. atroparvus, connu comme vecteur efficace de plasmodium. En France, le paludisme était

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très fréquent dans de nombreuses régions, en particulier dans les zones marécageuses : Sologne, Brenne, Landes, Camargue, Dombes, Marais poitevin, Flandres. On attribue de nombreux morts au paludisme lors de l’assainissement des marais de Versailles, au cours de la construction du Château au XVIIe siècle. De 1783 à 1785 plusieurs centaines de cas de fièvres, vraisemblablement palustres sont répertoriées chaque mois en région parisienne.

À partir du XIXe siècle le paludisme est mieux documentéA partir du XIXe siècle les données sont plus fiables. En 1880, la découverte de l’agent pathogène du paludisme, Plasmodium malariae par Alphonse Laveran (prix Nobel 1907), puis la différenciation dans les années 1890 de Plasmodium vivax et de Plasmodium falciparum par Golgi, Marchiafava, Grassi et Felliti favorise le diagnostic. On peut donc établir de façon plus certaine la répartition de la maladie. Son aire de distribution s’étendait alors jusqu’au Nord de l’Europe, touchant l’Angleterre et de nombreuses régions d’Ecosse, elle était endémique au Danemark, dans le secteur côtier de la Norvège, au sud de la Finlande et de la Suède. Dans de nombreux pays d’Europe occidentale, le paludisme a commencé à régresser spontanément avant 1945. Au Danemark, en Suède, en Angleterre, en Suisse et en France la maladie sévissait sous forme d’épidémies jusqu’à la fin du XIXe siècle pour diminuer, puis quasiment disparaître au début du XXe siècle. Ce recul de la maladie peut être attribué à plusieurs facteurs. En effet, dès le milieu du XIXe siècle le drainage et l’assèchement des zones humides telles que les marais, douves et fossés ont été mis en œuvre, éliminant ainsi, à grande échelle, les gîtes larvaires des vecteurs de paludisme, et ayant pour effet une diminution des cas de paludisme à travers toute l’Europe. En plus de ces modifications environnementales, l’amélioration générale des conditions d’habitat et de vie (notamment l’accès à la quinine) a joué un rôle majeur dans le recul de cette maladie. Au Danemark, Wesenberg-Lung (1921) a relié la disparition du paludisme au changement des techniques d’élevages. La construction d’étables, plus attractives que les maisons, aurait concentré les anophèles (notamment An. atroparvus) qui se seraient alors détournés de l’homme. Le paludisme a sévi en Italie, en France et dans les Balkans jusqu’en 1940, il était alors transmis par An. labranchiae et An. sacharovi. Dans ces zones, ainsi qu’en Grèce et en Albanie et dans les foyers de Corse et du Pays Bas, l’utilisation d’insecticides (notamment par aspersions intra-domiciliaires de DDT) a été nécessaire pour éliminer la maladie (Bruce-Chwatt & de Zulueta 1980). En Corse, aucun cas de paludisme n’a été signalé de 1952 à 1964 suite à ces mesures, puis, à partir de 1965 des cas de paludisme réapparaissent avec l’arrivée de migrants venant de zones impaludées. Notamment entre 1970 et 1972 où 52 cas sont reportés dont 32 cas autochtones. Ce n’est qu’en 1973 que la maladie est contrôlée, à nouveau grâce aux traitements médicaux à base de quinine et à l’utilisation de DDT en aspersion intra-domiciliaire.

Le risque de réémergence du paludisme en Europe est négligeableSelon l’OMS, en Europe, le dernier cas autochtone de paludisme a été reporté en 1975 en Grèce (Bruce-Chwatt & de Zulueta 1980) et l’on considère que l’éradication de cette maladie dans cette zone a eu lieu durant la seconde moitié du XXe siècle. Cette maladie n’a pourtant pas totalement disparue, dans le Sud-est de la Turquie par exemple, où les cas de paludisme à P. vivax ont fortement diminué jusque dans les années 70 pour retrouver un haut niveau dès l’arrêt des activités de contrôle (Caglar & Alten 2000). De plus, en 1999 des réémergences de paludisme ont été observées en Arménie et en Azerbaïdjan (OMS 1999). Dans les années 2000 des cas de paludismes autochtones isolés ont été observés en Europe : 1 cas en Espagne en 2001 (Cuadros et al, 2002) et 1 en 2010 (Santa-Olalla Peralta P 2010), 1 cas en Italie en 1997 (Baldari 1998), 2 cas en Allemagne (Krüger et al 2001), 1 en France métropolitaine en 2006 (Armengaud et al 2006), plusieurs en Grèce de 1994 à 2000 (Kampen et al 2003). Depuis 2011, ce pays est de nouveau le siège de foyers de transmission de paludisme dû à Plasmodium vivax (Danis 2011, Andriopoulos 2012). On a recensé 40 cas autochtones en 2011 et 16 cas en 2012. Ces cas autochtones reflètent la présence de vecteurs relativement compétents. Cependant, même si plusieurs espèces d’anophèles indigènes transmettaient facilement des souches de plasmodiums autochtones jusqu’au milieu du XXe siècle, résultant d’une longue adaptation et coévolution entre le parasite et le vecteur, ces mêmes espèces sont en général de mauvais vecteurs de Plasmodium falciparum tropicaux (Shute 1940, de Zulueta 1975, Ramsdale 1975, Daskova 1982). En Europe, une reprise de la transmission de paludisme ne serait possible que si des souches de plasmodium, « compatibles » avec les vecteurs européens étaient importées par l’intermédiaire de cas humains arrivant de zones impaludées. Des importations ont lieu chaque année. En France par exemple, on signale en moyenne 5000 cas de paludisme importés par an (Danis 2002), mais la plupart du temps, ils sont importés en ville, où

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les vecteurs ne sont pas présents, et l’agent pathogène est, dans la très grande majorité des cas, Plasmodium falciparum (Danis 2002), qui n’est pas bien adapté aux vecteurs locaux. Toutefois, une étude récente de Schaffner et al (2012), montre que des populations d’An plumbeus de Suisse présentent une bonne réceptivité à Plasmodium falciparum en laboratoire. Ce moustique, historiquement peu impliqué dans la transmission du paludisme et dont le rôle vecteur est généralement considéré comme négligeable, est présent en ville et pourrait contribuer à l’émergence de foyers urbains.

En résumé, malgré le contexte de réchauffement climatique et d’augmentation des flux migratoires, étant donné la très faible capacité vectorielle des anophèles pour les plasmodiums d’origine tropicale et un contact faible entre les vecteurs potentiels et le plasmodium, on peut considérer que le risque de réémergence du paludisme en Europe où le parasite était endémique est négligeable.

Auteurs : « Origine du paludisme », « Diffusion intercontinentale de Plasmodium falciparum » - Franck Prugnolle, François Renaud, Patrick Durand« Le paludisme en Afrique » - Christophe Rogier« Le paludisme historique en Europe » - Céline Toty, Didier Fontenille

Conseillers scientifiques du dossier : Didier Fontenille, Philippe Deloron