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Work-in-Progress: Please do not quote without author’s permission La politique des langues, RC 50 AISP-IPSA 2014 Congrès mondial, Montréal, Canada [email protected] 1 Communication présentée avec le soutien de l’Association belge francophone de science politique Version du 15.07.2014 Bruxelles : concurrence des parcours d’intégration et bataille pour la langue Catherine XHARDEZ 1 Pays de clivages et de divisions, en proie depuis les années 70 à un fédéralisme de dissociation, la Belgique présente la particularité d’être un Etat plurinational dominé par deux grandes communautés nationales : les Flamands et les francophones. C’est également un Etat polyethnique – selon l’expression de Kymlicka (1995) avec plus de 10 % de sa population qui n’a pas la nationalité belge et une société de plus en plus diversifiée. En effet, l’Etat belge est aujourd’hui confronté à la gestion d’un double phénomène migratoire. D’une part, malgré l’arrêt officiel de toute nouvelle immigration de travailleurs étrangers depuis 1974, le pays reste soumis à des flux migratoires importants. Au sein de ceux-ci, le profil de la population a fortement évolué depuis les premières vagues migratoires. Surtout, l’immigration qui était dans un premier temps conjoncturelle est devenue structurelle et la Belgique est devenue « terre d’immigration ». D’autre part, les autorités politiques doivent également prendre en compte le phénomène de l’« après- migration » car les populations issues de vagues migratoires antérieures sont maintenant implantées de manière définitive et permanente (Martiniello Perrin 2012 : 75). Ainsi, l’établissement des immigrés et de leurs descendants a fortement contribué à diversifier la société belge (Martiniello Rea 2012 : 54), déjà très clivée, et leur présence définitive a conduit à la mise en place de politiques d’intégration différenciées selon les entités fédérées. Ce double phénomène est d’autant plus patent que, à Bruxelles, capitale du pays et creuset de la mixité, ces proportions sont multipliées par deux ou par trois par rapport aux autres Régions. La politique d’intégration des primo-arrivants y est un enjeu particulièrement sensible. En outre, des entités fédérées et des institutions différentes, et en conséquence, concurrentes, sont compétentes en matière d’intégration. Les politiques à l’attention des migrants se trouvent de facto cadenassées par un paysage institutionnel complexe et dédoublé. Le résultat est interpellant : deux parcours d’intégration civique sont proposés, un flamand et – très récemment un francophone. L’enjeu linguistique est énorme : à Bruxelles, région officiellement bilingue mais en réalité majoritairement francophone, les Flamands, bien que majoritaires à l’échelle du pays, se trouvent en position minoritaire. Dans 1 Doctorante en science politique, Université Saint-Louis Bruxelles (CReSPo), Boulevard du Jardin Botanique 43, 1000 Bruxelles. www.crespo.be

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1

Communication présentée avec le soutien de l’Association belge francophone de science

politique

Version du 15.07.2014

Bruxelles : concurrence des parcours d’intégration et bataille pour la

langue

Catherine XHARDEZ1

Pays de clivages et de divisions, en proie depuis les années 70 à un

fédéralisme de dissociation, la Belgique présente la particularité d’être un Etat

plurinational dominé par deux grandes communautés nationales : les Flamands et

les francophones. C’est également un Etat polyethnique – selon l’expression de

Kymlicka (1995) – avec plus de 10 % de sa population qui n’a pas la nationalité

belge et une société de plus en plus diversifiée. En effet, l’Etat belge est aujourd’hui

confronté à la gestion d’un double phénomène migratoire. D’une part, malgré l’arrêt

officiel de toute nouvelle immigration de travailleurs étrangers depuis 1974, le pays

reste soumis à des flux migratoires importants. Au sein de ceux-ci, le profil de la

population a fortement évolué depuis les premières vagues migratoires. Surtout,

l’immigration qui était dans un premier temps conjoncturelle est devenue structurelle

et la Belgique est devenue « terre d’immigration ». D’autre part, les autorités

politiques doivent également prendre en compte le phénomène de l’« après-

migration » car les populations issues de vagues migratoires antérieures sont

maintenant implantées de manière définitive et permanente (Martiniello Perrin 2012 :

75). Ainsi, l’établissement des immigrés et de leurs descendants a fortement

contribué à diversifier la société belge (Martiniello Rea 2012 : 54), déjà très clivée, et

leur présence définitive a conduit à la mise en place de politiques d’intégration

différenciées selon les entités fédérées.

Ce double phénomène est d’autant plus patent que, à Bruxelles, capitale du

pays et creuset de la mixité, ces proportions sont multipliées par deux ou par trois

par rapport aux autres Régions. La politique d’intégration des primo-arrivants y est

un enjeu particulièrement sensible. En outre, des entités fédérées et des institutions

différentes, et en conséquence, concurrentes, sont compétentes en matière

d’intégration. Les politiques à l’attention des migrants se trouvent de facto

cadenassées par un paysage institutionnel complexe et dédoublé. Le résultat est

interpellant : deux parcours d’intégration civique sont proposés, un flamand et – très

récemment – un francophone. L’enjeu linguistique est énorme : à Bruxelles, région

officiellement bilingue mais en réalité majoritairement francophone, les Flamands,

bien que majoritaires à l’échelle du pays, se trouvent en position minoritaire. Dans

1 Doctorante en science politique, Université Saint-Louis – Bruxelles (CReSPo), Boulevard du Jardin

Botanique 43, 1000 Bruxelles. www.crespo.be

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ces conditions, l’intégration des personnes d’origine étrangère vient compliquer la

donne et les immigrés sont invités à « choisir leur camp », et, ainsi également leur

langue.

Le cas bruxellois se distingue par l’ampleur de l’enjeu de l’intégration mais

aussi par la présence de deux communautés vivant ensemble sur le même territoire

avec une relation inverse au poids démographique existant dans le cadre national

(Jacobs 2000). Surtout, ce cas n’a été que peu investigué pour l’instant (Jacobs

2000, Adam 2013). Ce papier se concentre sur un type particulier de politique à

savoir les politiques d’intégration à l’attention des primo-arrivants et/ou des

personnes d’origine bruxelloise. Nous nous concentrerons en particulier sur

l’émergence, dans les deux communautés, d’un parcours d’intégration civique (ou

parcours d’accueil). Cette politique est particulièrement intéressante car elle agit

comme révélateur de tensions sous-jacentes, en particulier en ce qui concerne la

place de la langue dans la Capitale. Les questions suivantes seront explorées :

Quelles sont les caractéristiques des parcours d’intégration mis en place en

Région bruxelloise ? Quelles sont les différences dans les voies choisies par les

entités francophone et flamande ? Comment le design institutionnel bruxellois

contraint-il les acteurs politiques ? Et avec quelles conséquences en termes

d’identité ethnolinguistique des nouveaux arrivants ?

La première partie s’intéressera à l’Etat fédéral belge en général car on ne

peut ignorer la configuration toute particulière de ce petit pays afin de s’intéresser

plus spécifiquement à une de ses régions. Un préalable d’autant plus important que

ce cas est travaillé par des dynamiques, linguistiques et institutionnelles,

contradictoires et complexes.

Ensuite, l’intégration « à la belge » sera présentée afin de comprendre le

traitement de la compétence de l’intégration selon les entités fédérées. Il s’agira de

comprendre le contexte institutionnel et de présenter, brièvement, les parcours

d’intégration flamand et wallon avant d’entrer de plein pied dans la problématique

bruxelloise.

Le découpage institutionnel bruxellois sera ensuite présenté afin d’envisager

la double voie de l’intégration qui s’est mise en place à Bruxelles. Ces

développements seront l’objet de la troisième partie et présenterons les

caractéristiques et les différences des parcours d’intégration mis en place.

La quatrième partie se concentrera sur l’analyse des contraintes

institutionnelles qui limitent le choix des acteurs politiques et leurs conséquences par

rapport à la fixation des identités ethnolinguistiques.

Finalement, la conclusion sera l’occasion de proposer quelques pistes de

réflexion et d’envisager les possibles développements politiques des prochains mois,

suite au nouvel accord de gouvernement qui fait actuellement l’objet de négociations

politiques entre les nouveaux membres de la majorité.

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1. L’Etat fédéral belge : un cas compliqué et exemplaire

La Belgique est un petit Etat fédéral de près de onze millions d’habitants, situé

au cœur de l’Europe, qui s’étend sur une surface à peine égale à 30.500 km2. Ce

pays, qui fut autrefois constitué en Etat unitaire, est dominé par deux grandes

communautés nationales : les Flamands et les francophones. La Belgique est

également un Etat « polyethnique » puisque plus de 10 % de la population de la

Belgique n’est pas de nationalité belge2. La Belgique s’apparente à une mosaïque de

peuples et de cultures, un microcosme du monde (Martiniello Rea 2001 : 11). Dans

cette configuration, le cas de la Belgique est à la fois compliqué et exemplaire.

Compliqué, car il s’inscrit dans un cadre binational, fortement polarisé, dont

certains pensent qu’il est en déliquescence. Une lecture essentialiste de la culture

politique belge a d’ailleurs pu conduire une auteure américaine à caractériser ainsi la

Belgique :

« particularisme, pluralisme, verzuiling3, petits chemins, splitsing4, fusion,

immobilisme, cumul, (...). Vues comme un ensemble, ces phrases constituent un

commentaire codé ininterrompu sur les caractéristiques cardinales de la société

belge qui ne sont que rarement analysées par ses propres citoyens de manière

explicite5 » (Fox 1978 : 226).

En réalité, ces constantes, que l’on prend pour acquises, relèvent moins d’une

quelconque essence belge que de dynamiques contradictoires et subtiles qui

nécessitent une capacité de lecture à foyers multiples (Bousetta Martiniello 2007 :

372). La diversité des phénomènes politiques, sociaux, institutionnels qui constituent

l’ossature complexe belge ne rendent pas cette tâche aisée6.

2 Au 1er janvier 2013, 1.195.122 personnes n’ayant pas la nationalité belge habitaient en Belgique (ce

qui correspond à 10,7 % de la population totale), sans compter le registre d’attente. Le cap du million

d’étrangers vivant en Belgique avait été franchi fin 2008. Il est important de souligner et de garder à

l’esprit que les chiffres présentés ne prennent pas en compte les étrangers qui résident illégalement

en Belgique ou les Belges d’origine étrangère, c’est-à-dire les personnes qui ont acquis la nationalité

belge. De ce fait, la composante de la population d’origine étrangère est sensiblement sous-

représentée. Il serait possible d’estimer par projection qu’environ un quart de la population a des

racines migratoires récentes en additionnant la population des étrangers, des Belges nés étrangers et

la deuxième génération d’immigrants. Pour le dire autrement, au moins un Belge sur quatre a, d’ores

et déjà, un ou deux parents nés étrangers. On peut supposer que cette proportion ne va faire

qu’augmenter dans les années à venir, même si les flux migratoires restent stables. Rapport

statistique et démographique 2010, Centre pour l’égalité des chances. 3 A traduire par « pilarisation ». Le système politique belge repose, comme aux Pays-Bas par exemple, sur des « piliers » qui sont de grandes familles à finalité politique unies autour d’une identité religieuse ou laïque. Ils incluent diverses organisations (partis, syndicats, mutuelles, associations culturelles, réseaux scolaires, etc.) et rendent des services à la population. La société belge est divisée en trois « piliers » : catholique, libéral et socialiste (voir Javeau 2012). 4 A traduire par « scission ». Ce mot a souvent été utilisé par les séparatistes flamands, particulièrement par ceux du Vlaams Belang (parti d’extrême droite, anciennement Vlaams Blok), pour revendiquer la scission de l’Etat belge sous le slogan « splits België ! » (« scindez la Belgique ! »). 5 « Viewed as an ensemble, these phrases constitute a coded (…) running commentary on the cardinal features of Belgian society that are only rarely explicitly analyzed by its own citizens » (Fox 1978 : 226). 6 Un livre entier ne suffit d’ailleurs pas à en rendre compte… Cependant, pour une étude détaillée de la Belgique dans différents domaines (institutionnel, politique, économique, international, etc.), voir von Busekist 2012.

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Exemplaire, car comme dans un laboratoire de tous les possibles, chaque

phénomène se trouve exacerbé et donne lieu à des configurations inédites, parfois

peu lisibles, mais particulièrement fécondes et intéressantes. Après avoir volé à l’Irak

le record du plus grand nombre de jours sans gouvernement avec 540 jours de crise

(Xhardez 2012), l’Etat belge doit plus que jamais composer avec la charge

conflictuelle des oppositions communautaires. Actuellement, les négociations battent

leur plein en vue de la constitution d’un nouveau gouvernement au niveau fédéral

suite aux élections du 25 mai 2014. L’exemplarité belge provient en partie de son

fédéralisme particulier et de la superposition d’un principe de personnalité (via les

Communautés) et de territoire (via les Régions).

En effet, d’un point de vue institutionnel, la Belgique, l’un des régimes

parlementaires les plus anciens d’Europe, a inventé un mode particulier de

coexistence de différentes nations au sein d’une même structure politique. Ce ne

sont pas tant les premiers pas de la Belgique, et sa Constitution libérale de 1831, qui

paraissent cruciaux pour comprendre la question migratoire en Belgique que la

fédéralisation, entamée dans les années 1970 et qui, tel un coureur de fond, ne

semble pas pressée d’arriver à la ligne d’arrivée – le deuxième volet de la sixième

réforme de l’Etat vient d’entrer en vigueur le 1er juillet 20147. Une particularité

essentielle du fédéralisme en Belgique tient au fait qu’il est la résultante de la logique

de division communautaire entre les francophones et les Flamands8. L’inclusion des

communautés étrangères d’origine immigrée sera interprétée de facto par cet axe de

tension permanent de la société belge. De la même manière, l’histoire des politiques

d’intégration des immigrés est intimement liée à l’évolution des structures du

système politique belge. Pour mieux comprendre l’origine des politiques menées en

faveur des immigrés depuis les années 1960, il faut survoler le contexte dans lequel

a débuté la réforme des institutions de l’Etat belge unitaire. Dès le milieu des années

1960, les revendications des mouvements flamands et wallons ont abouti à des

négociations qui ont débouchées sur un réaménagement substantiel des structures

de l’appareil de l’Etat. Ce fédéralisme s’inscrit dans une logique graduelle et

progressive dont les étapes sont formées par un régionalisme préparatoire au début

des années 1970, puis par une régionalisation plus approfondie en 1980 et 1988,

avant d’aboutir à un fédéralisme pur et simple en 1993-1994.

De manière pratique, alors que l’Etat unitaire ne connaissait que trois niveaux

d’organisation politique et administrative décentralisés (la commune, la province et

l’Etat), la Belgique fédérale propose une architecture asymétrique complexe

comprenant deux niveaux de pouvoir supplémentaires : la Région et la

Communauté. Dans les grandes lignes, cette architecture est dite asymétrique parce

que les institutions ne correspondent pas à la même réalité de part et d’autre de la

7 Pour plus d’informations sur le contexte et le contenu de cette dernière réforme institutionnelle, voir : http://www.belgium.be/fr/la_belgique/connaitre_le_pays/histoire/la_belgique_a_partir_de_1830/constitution_de_l_etat_federal/sixieme_reforme_etat/ 8 Ainsi, selon J. Poirier, la Belgique et le Canada se distinguent par la trajectoire qui a conduit à l’émergence du fédéralisme (dissociation vs. une combinaison d’agrégation et de dissociation), voir sur ce sujet : Fournier Reuchamps 2009.

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frontière linguistique. La Belgique est composée de trois Régions (la Région

wallonne, la Région flamande et la Région bilingue de Bruxelles-Capitale) et de trois

Communautés (la Communauté flamande, la Communauté française et la

Communauté germanophone). Chacune de ces Régions et Communautés dispose

d’une assemblée (appelée « Parlement ») et d’un exécutif élu en son sein (appelé

« gouvernement »). Soulignons également que la Constitution parle de quatre

régions linguistiques, dont trois régions linguistiquement homogènes : la région de

langue néerlandaise, la région de langue française, la région de langue allemande et

la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Les régions linguistiques ne sont pas des

collectivités politiques, contrairement aux Régions et aux Communautés. Au final,

toutes les réformes de l’Etat ont eu pour objet de transférer des compétences au

profit des Régions et Communautés selon une démarche centrifuge quasi

exclusivement. On voit bien ici que l’enjeu du consensus recherché autour du

système d’organisation politique consiste à circonscrire la dynamique de conflit et de

compétition qui a opposé les grandes communautés nationales de manière

récurrente depuis le 19ème siècle (Dumont 2012).

2. L’intégration « à la belge »

LLEE DDEESSTTIINN DDIIFFFFEERREENNCCIIEE DDEESS IIMMMMIIGGRREESS AAUU NNOORRDD EETT AAUU SSUUDD DDUU PPAAYYSS

Bien cerner les politiques d’intégration en Belgique n’est pas chose aisée. En

effet, le paysage institutionnel complexe a pour conséquence de fortement

différencier le destin des immigrés au Nord et au Sud du pays. Dans le système

fédéral belge, la politique d’immigration est restée une compétence fédérale alors

que la politique à l’intention des immigrants entre plutôt dans le domaine des

compétences des Communautés, des Régions et des Villes. Ainsi, le niveau fédéral

reste compétent pour plusieurs matières qui ont un impact important sur l’intégration

des immigrés (entrée et séjour, accès à la nationalité, droits politiques, etc.) mais la

politique d’intégration (en ce compris l’éducation, la langue, les matières liées à la

religion) sont toutes des compétences gérées au niveau des Régions et/ou

Communautés9. En ce sens, les politiques d’intégration que nous allons considérer

dans le cadre de cette recherche sont régionales et non locales, nationales ou supra-

nationales. Le terme de « politique régionale », bien que couramment utilisé en

sciences politiques, peut porter à confusion dans le cadre institutionnel belge vu

l’existence de deux types d’entités fédérées, les Communautés et les Régions. En

outre, la compétence spécifique en matière d’intégration a été attribuée, en premier

lieu aux Régions (1974), puis aux Communautés10 (1980), pour ensuite être

transférée, en Belgique francophone seulement, de la Communauté française à la

9 Pour comprendre l’évolution de la répartition des compétences en matière d’immigration et d’intégration, voir : Adam Ilke, Les entités fédérées belges et l’intégration des immigrés, Editions de l’Université de Bruxelles, 2013. 10 Du côté flamand, il est important de souligner que Communauté et Région ont fusionné pour ne former qu’une seule entité, avec un seul Parlement et un seul gouvernement.

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Région wallonne et à la Commission communautaire française de la Région de

Bruxelles-Capitale (1993).

Tableau 1 : Historique de la compétence en matière de politique d’accueil et d’intégration des immigrés (Adam 2010 : 15)

Pour résumer, il y a une politique fédérale d’immigration et d’asile; et il y a des

politiques d’intégration qui sont flamande, bruxelloise ou wallonne. En l’occurrence,

dans le sillage d’autres pays européens, les différentes entités fédérées ont mis en

place des parcours d’intégration civique (également dénommés « parcours

d’accueil »). Pour mieux comprendre l’intégration « à la belge », il convient de

parcourir, bien qu’elles ne soient pas l’objet direct de ce papier, les politiques

implantées au niveau flamand et wallon car elles permettent de mieux comprendre le

cas bruxellois, qui fait l’objet d’une analyse plus détaillée par la suite.

LLAA FFLLAANNDDRREE EETT LLAA «« CCIITTOOYYEENNNNIISSAATTIIOONN »»

Sous l’influence de ses voisins néerlandais, la Flandre a mis en place, depuis

200411, un parcours d’intégration civique (inburgering12) basé sur trois axes

principaux. En premier lieu, le participant devra suivre des cours d’orientation

sociale. Ces leçons portent sur les connaissances élémentaires qui sont supposées

permettre à chacun de participer activement à la société flamande. Il s’agit surtout de

présenter la société au sens large, dans un éventail qui va des institutions publiques

jusqu’aux questions pratiques13. Ces cours comportent également un aspect culturel

puisque les valeurs et les normes en vigueur dans la société flamande sont

également enseignées14. En second lieu, le programme comprend des cours

élémentaires de néerlandais : la langue est considérée comme un facteur capital

d’intégration dans la société. La durée de ces cours dépend du niveau de scolarité et

11 Décret de la Communauté flamande du 28 février 2003 relatif à la politique flamande d’intégration civique, M.B., 8 mai 2003. Le décret est entré en vigueur le 1er avril 2004. 12 Terme qui pourrait se traduire, littéralement, par « citoyennisation » ou encitoyennement ». 13 Par exemple : Comment utiliser les transports en commun ? Où trouver une aide médicale ? Quelles sont les possibilités d’accueil pour les enfants ? 14 « Ce n’est pas tout d’avoir des connaissances et des compétences ; les valeurs et les normes occupent elles aussi une place centrale. Il est essentiel que les intégrants connaissent les valeurs et les normes sur lesquelles repose la société flamande et belge dans toute sa diversité » (Inburgering : les cours d’intégration en Flandre et à Bruxelles, 2010, p. 6).

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des facultés d’apprentissage des participants et oscille entre 90 et 600 heures. Ces

parties du cycle de formation (orientation sociale et néerlandais) ne donnent pas lieu

à un examen final sur l’acquisition des compétences. La seule obligation du

participant est d’être présent à au moins 80 % des séances. Troisièmement, les

intégrants bénéficient d’une aide personnalisée en matière d’orientation de carrière.

Au terme de ce parcours, l’intégrant recevra une attestation d’intégration civique.

Il s’agit d’une politique d’envergure avec un groupe-cible particulièrement

étendu et inclusif. En effet, le décret fondateur a été modifié en 2006 afin que

l’inburgering ne se limite plus aux nouveaux arrivants mais qu’il soit ouvert à tous les

étrangers et Belges d’origine étrangère inscrits en Région flamande ou bruxelloise,

qu’ils soient primo-arrivants ou « anciennement arrivés ». De plus, au sein de cette

population, la législation définit deux groupes cibles, à savoir ceux qui ont droit à un

tel parcours et ceux qui doivent suivre un tel programme15. Enfin, une nouvelle

mouture du décret a été adoptée en juin 201316, celui-ci prévoit, en substance, la

gestion conjointe des compétences d’intégration et de cohésion sociale. D’un point

de vue quantitatif, l’inburgering flamand a pris une ampleur considérable. Le nombre

de personnes qui ont suivi un parcours d’intégration n’a fait qu’augmenter depuis

2004 au fil des élargissements du public-cible17 et des dizaines de millions d’euros

sont investis chaque année dans ce programme18.

LLEE VVOOLLTTEE--FFAACCEE DDEE LLAA WWAALLLLOONNIIEE

Historiquement, la politique d’intégration en Wallonie a été plutôt orientée vers

l’action sociale en général et vers la lutte contre l’exclusion sociale en particulier. Les

politiques spécifiques y ont toujours été relativement marginales, les mesures

adoptées se voulant universalistes (par exemple, fondées sur des critères sociaux)

(Rea 2007 : 136). Ces mesures pragmatiques sont inspirées par un modèle sous-

jacent plus républicain : les Wallons sont ceux qui vivent sur le territoire et tous

doivent jouir des mêmes droits. Cependant, la déclaration gouvernementale de 2009

affirmait une volonté de mettre « en place un véritable parcours d’accueil et

d’insertion des primo-arrivants combinant des cours de français ou d’alphabétisation,

un module d’initiation à la citoyenneté et à la vie pratique et un module d’orientation

socioprofessionnelle ». Il s’agit en un sens d’une sorte de révolution copernicienne

tant l’inburgering a fait polémique du côté francophone, notamment en raison de sa

dimension potentiellement assimilationniste, en particulier d’un point de vue culturel.

Tous les partis se sont néanmoins accordés sur la nécessité de mettre en

place un parcours d’intégration. Les débats entre majorité et opposition ont surtout

15 Notons que les ressortissants de l’Union européenne ne peuvent y être contraints. Pour les personnes qui tenteraient se soustraire à l’obligation, des amendes administratives allant de 50 à 5.000 euros sont prévues. 16 Décret de la Communauté flamande du 7 juin 2013 relatif à la politique flamande d’intégration et d’inburgering, M.B., 26 juillet 2013. 17 18.761 personnes ont signé un contrat d’intégration entre le 1er septembre 2011 et le 31 août 2012. 18 L’inburgering coûtait 8,85 millions d’euros en 2004 ; 26,8 millions d’euros en 2008 et 57,9 millions en 2013 (chiffres provenant de l’Administration des Affaires intérieures flamandes).

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concerné les modalités pratiques, en particulier le caractère obligatoire ou non de ce

parcours. En mars 2014, le décret relatif au parcours d’accueil pour le primo-arrivant

souhaitant s’installer durablement en Wallonie a été voté par le Parlement wallon.

Celui-ci sera organisé par les 8 Centres régionaux d’intégration (CRI) et comprendra

quatre aspects, dont seul le premier sera obligatoire : le module d’accueil (avec une

information sur les droits et devoirs ainsi qu’un bilan des acquis et diplômes), une

formation à la langue française, un module de formation à la citoyenneté et une

orientation socioprofessionnelle. Cette politique doit maintenant être traduite

concrètement par des arrêtés et implémentée sur le terrain afin de voir, in concreto,

quels en seront les modalités pratiques et les résultats.

3. L’imbroglio bruxellois : la concurrence des parcours d’intégration

LL’’AARRCCHHIITTEECCTTUURREE IINNSSTTIITTUUTTIIOONNNNEELLLLEE EETT LLAA RREEAALLIITTEE BBRRUUXXEELLLLOOIISSEE

Une architecture institutionnelle complexe s’est développée à Bruxelles au fil

des accords institutionnels noués lors des précédentes réformes de l’Etat. Bruxelles

est en effet la pierre d’achoppement sur laquelle buttent tant la conception flamande

d’un Etat fédéral composé d’entités territoriales linguistiquement déterminées (qui

divise le territoire en trois Régions) que la conception francophone d’un Etat fédéral

où les différentes communautés linguistiques peuvent gérer leurs administrés, peu

importe le territoire où ceux-ci habitent (avec une division en trois Communautés).

Les réformes de l’Etat successives ont donc abouti à des compromis entre ces deux

visions, avec, selon les compétences et les accords, des accents plus régionalistes

ou plus communautaires19. De plus, la politique d’accueil des primo-arrivants est un

enjeu particulier à Bruxelles : région urbaine, elle possède le plus grand nombre de

personnes étrangères et d’origine étrangère du pays (voir tableaux 2 et 3 et figure 1).

La Ville-Région connaît par ailleurs, à l’image des autres grandes villes d’Europe, un

récent et spectaculaire accroissement de sa population : en dix ans, si la tendance

se confirme, elle accueillera 15 % d’habitants en plus. La majorité de ces nouveaux

habitants sont d’origine étrangère et s’installent dans la Région en raison des

politiques de regroupement familial.

19 Il s’agit d’une étude qui dépasse le cadre d’analyse de ce travail. Voir sur le sujet : …

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Tableau 2 : Répartition et évolution de la population belge et étrangère en Belgique, par région, entre 2003 et 201320

BELGES ÉTRANGERS BELGES ET ETRANGERS

LIEU DE

RESIDENCE

2003 2013 2003 % 2013 % 2003 2013

Région

flamande

5.714.810 5.913.977 280.743 4,6% 467.882 7,3% 5.995.553 6.381.859

Région de

Bruxelles-

Capitale

731.772 772.864 260.269 26% 381.771 33% 992.041 1.154.635

Région

wallonne

3.059.185 3.217.591 309.065 9,1% 345.469 9,7% 3.368.250 3.563.060

Belgique 9.505.767 9.904.432 850.077 8,2% 1.195.122 10,7% 10.355.844 11.099.554

Tableau 3 : Nombre de primo-arrivants par région au 1er janvier 201021

Figure 1 : Evolution du nombre de primo-arrivants dans la Région de Bruxelles-Capitale aux

1er janvier 1995, 2000, 2005 et 201022

D’un point de vue institutionnel, si la politique d’intégration est initialement une

compétence des Communautés, les francophones l’ont transférée depuis 1993 à la

20 Source : Registre national, Calculs : DG SIE (Direction générale Statistique et Information économique). 21 Source : registre national-IWEPS ; traitement des données Cytise-DEMO-UCL. Ansay, Eggerickx, Martin, Schoonvaere, Unger, Etat des lieux de la situation des primo-arrivants en Région de Bruxelles-Capitale, CBAI-UCL, novembre 2012 22 Ibidem.

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Région wallonne et à la Commission communautaire française (COCOF) à Bruxelles.

Il n’existe pas à proprement parler d’équivalent pour les néerlandophones Bruxellois :

c’est la Communauté flamande qui exerce encore et toujours ces compétences. Tout

ceci s’inscrit dans la volonté historique et politique en ce qui concerne cette Région

de ne pas créer des sous-nationalités. Ceci a nécessité la mise en place d’un

système particulièrement complexe qui se réfère aux institutions plutôt qu’aux

personnes dans le cas des matières qui appartiennent aux deux communautés,

compétentes sur un même territoire (matières dites personnalisables), sauf cas

précis. Ainsi, trois entités23 distinctes sont susceptibles d’intervenir sur le territoire de

la Région bruxelloise.

D’une part, deux entités fédérées sont compétentes vis-à-vis des institutions

actives en matière d’intégration :

o la Commission communautaire française (COCOF), qui depuis 1993,

dispose d’un pouvoir législatif dans les matières qui lui ont été

transférées par la Communauté française (politiques d’action sociale,

dont l’intégration des immigrés). Cette entité est particulière car,

contrairement à son homologue flamand (la VGC, voir ci-dessous), il

s’agit d’une composante disposant d’un véritable pouvoir décrétal

(législatif) en la matière. Elle peut donc développer des politiques ad

hoc, spécifiquement destinées aux institutions francophones à

Bruxelles.

o la Commission communautaire flamande (Vlaamse

Gemeenschapcommissie, VGC) qui est le relais des politiques

flamandes menées par la Communauté flamande. Contrairement à la

COCOF, cette entité fédérée a gardé son mode de fonctionnement

initial (à savoir être l’interlocuteur et l’exécutant des politiques

communautaires flamandes à Bruxelles) et n’a pas bénéficié d’un

transfert de compétences. Elle ne possède dès lors pas de pouvoir

décrétal pour développer des politiques publiques spécifiques. En

matière d’intégration, c’est donc la Communauté flamande qui est

toujours à la barre et la VGC pourrait être considéré comme son « bras

armé » à Bruxelles.

D’autre part, une entité est compétente, pour les institutions bilingues et les

personnes dans certains cas :

o La commission communautaire commune (COCOM) : compétente 1) à

l’égard de toutes les institutions qui s’occupent de matières

« personnalisables » et qui, du fait de leur organisation bilingue, ne

relèvent ni de la Communauté française, ni de la Communauté

flamande, 2) à l’égard des matières personnalisables non dévolues aux

Communautés française et flamande, avec une possibilité

23 Ces commissions comprennent chacune une assemblée ainsi un exécutif (le collège), composé par les élus et ministres de la Région bruxelloise qui appartiennent au régime linguistique concerné.

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d’intervention directe auprès des personnes, entraînant dans le chef de

celles-ci des droits ou des obligations.

INSTITUTION FONCTION

COCOF

= Commission communautaire

française

Relais de la Communauté française à Bruxelles.

Depuis 1993, pouvoir législatif propre dans certaines

matières (qui ne dépendent plus de la Communauté

française, autonomisation).

VGC

= Commission communautaire

flamande

Satellite de la Communauté flamande à Bruxelles.

COCOM

= Commission communautaire

commune

Entité bilingue, en charge des institutions bilingues et

de certaines matières personnalisables non-

attribuées.

En conclusion, ce découpage institutionnel complexe à multiples niveaux a

engendré des conséquences importantes et limite fortement la marge de manœuvre

des acteurs. De fait, ils vont devoir composer avec les limites institutionnelles et

politiques de cette répartition des compétences (voir point 4).

LLAA DDOOUUBBLLEE VVOOIIEE DDEE LL’’IINNTTEEGGRRAATTIIOONN

Pendant des années, la seule offre disponible en matière de parcours

d’intégration à Bruxelles était flamande. En effet, comme nous avons pu le souligner,

la Communauté flamande proposait dans la Capitale le même parcours d’intégration

qu’en Flandre via un service flamand (BON24) chargé d’implémenter l’inburgering à

Bruxelles. Une différence est néanmoins notable : les autorités flamandes ne

peuvent contraindre les Bruxellois à suivre l’inburgering car ils n’en ont pas la

compétence (voir l’architecture institutionnelle, ci-dessus). Le public-cible est

composé des personnes venant d’autres pays que la Belgique et autorisées à

séjourner pour une longue durée en Belgique mais également des Belges nés à

l’étranger et donc au moins un des deux parents est également né à l’étranger. Le

parcours possède les mêmes volets qu’en Flandre (orientation sociale, cours de

base intensif en néerlandais, accompagnement individuel). Il faut néanmoins

souligner que BON s’est, jusqu’à présent, relativement singularisé par rapport aux

autres organismes d’intégration présents en Flandre. De fait, comme l’atteste les

documents publiés par ce service, ils revendiquent leur caractère pluraliste et le

statut particulier de la Région bruxelloise : (extraits du rapport annuel25)

« Bon est une organisation bruxelloise pluraliste qui tient pleinement compte du statut bilingue et de la réalité plurilingue de la Région de Bruxelles-Capitale » (p. 5) ; « le fonctionnement de Bon est en grande partie tributaire du contexte bruxellois

24 « Het Brusselse Onthaalbureau voor anderstalige Nieuwkomers », soit « Le bureau d’accueil bruxellois pour nouveaux arrivants allophones ». 25 Source : rapport annuel 2013 (http://www.bonrapportannuel.be/fr/over-dit-jaarverslag ), déclarations et interviews du directeur.

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spécifique » et « Bruxelles est une région bilingue/multilingue où le néerlandais est une langue minoritaire et où l’intégration civique n’est pas encore obligatoire » (p. 20)

BON adoptait une démarche tout à fait particulière par rapport à ses homologues

flamands. Cependant, après dix ans d’existence et suite à la dernière modification du

décret flamand sur l’inburgering, ce service d’accueil va être absorbé par une

« super-agence » flamande. De fait, tous les bureaux d’accueil et les centres

d’intégration flamands doivent se retrouver dans une agence qui sera responsable

pour l’ensemble de la politique à l’attention des minorités en Flandre et à Bruxelles.

Cette centralisation forcée va faire perdre une autonomie importante à cet acteur

bruxellois (voir point 4).

Du côté francophone, un décret de 2004 portait sur la cohésion sociale26. Ce

décret proposait diverses mesures mais ces dernières n’étaient pas destinées

spécifiquement aux primo-arrivants et s’appuyaient essentiellement sur les initiatives

existantes au niveau local et associatif. Initiatives qui se déployaient les unes

indépendamment des autres, sans cohérence et sans une dispersion équilibrée sur

le territoire de la Région. Le concept de cohésion sociale était supposé recouvrir les

clivages socio-économiques et culturels au sein de la ville (Rea 2007 : 136). La

priorité était donc donnée, comme au niveau wallon, à la lutte contre l’exclusion

sociale, aux cours d’alphabétisation ou de français langue étrangère… Il n’existait

par contre aucun cours de citoyenneté, à l’exception de quelques initiatives

marginales d’associations de terrain.

Cependant, récemment, une étape décisive vient d’être franchie à Bruxelles.

En effet, si pendant des années, seul un inburgering était proposé, la COCOF vient

de voter en juillet 2013 un décret qui prévoit l’instauration d’un parcours d’accueil

francophone pour les primo-arrivants27. Le parcours est structuré autour de deux

étapes. D’une part, un volet primaire avec des bureaux d’accueil (BAPA) qui doivent

réaliser une évaluation des besoins et des acquis, un bilan social, fournir une

information sur les droits et devoirs et réaliser différents tests de positionnement

(langue française, alphabétisation, etc.). D’autre part, un volet secondaire, suite au

diagnostic et formalisé par une convention d’accueil, articulé autour des droits et

obligations des parties, qui prévoira les différentes formations : langue française,

citoyenneté, orientation socio-professionnelle. Ce programme sera accessible

gratuitement aux personnes de nationalité étrangère de plus de 18 ans séjournant

légalement en Belgique depuis moins de 3 ans et disposant d’un titre de séjour de

plus de 3 mois. C’est une première différence à relever : dans le cas bruxellois, le

groupe-cible est relativement restreint par rapport à la Flandre puisque seuls les

primo-arrivants peuvent suivre le parcours – et parmi ceux-ci, des publics-prioritaires

doivent encore être définis. Ensuite, deuxième point à noter, le parcours n’est pas

obligatoire. Bien qu’à la fois majorité et opposition aient souligné à de nombreuses

26 Décret du 30 avril 2004 relatif à la cohésion sociale, M.B., 23 mars 2005. 27 Décret de la Commission Communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale du 18 juillet 2013 relatif au parcours d’accueil pour primo-arrivants en Région de Bruxelles-Capitale, M.B., 18 septembre 2013.

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reprises la nécessité de le rendre obligatoire, c’est en l’état impossible – tout comme

cela l’a été durant les dix dernières années pour les Flamands (voir point 4). Enfin,

dernier point, des arrêtés d’exécution doivent encore dans les prochains mois pour

définir les volets primaire (procédure au bureau d’accueil) et secondaire (projet

individualisé) du parcours ainsi qu’identifier des groupes prioritaires. Néanmoins, des

budgets importants devront être dégagés28 – la COCOF compte sur le transfert des

moyens prévu par la sixième réforme de l’État. À ce stade, un seul bureau d’accueil

devrait être financé en 2014. Le chantier est immense29 !

Lorsque le parcours francophone aura été mis en place, deux parcours

d’intégration seront donc proposés sur un même territoire (voir figure 2). Ces deux

parcours seront susceptibles d’entrer en concurrence. Des contraintes

institutionnelles fortes agissent sur les acteurs et qui, à l’heure actuelle, bloquent la

situation et les options disponibles.

Figure 2 : Comparaison des parcours d’intégration en Belgique : public, caractère, budget,

sanctions.

Communauté flamande - VG

Parcours flamand BON

Parcours francophone

COCOF

Région wallonne – RW

Plus seulement les primo-arrivants mais tous les étrangers (anciennement arrivés) + Belges d’origine étrangère. Pas citoyens UE.

• Les personnes venant d’autres pays que la Belgique

• Les Belges nés à l’étranger et dont au moins un des parents est également né à l’étranger

Les primo-arrivants (et donc également, les membres de l’UE : « On a voulu un dispositif aussi large que possible » (Rudi, Vervoort – Ministre) + groupes-cibles

Personnes nationalité étrangère en Belgique depuis moins de trois ans et permis de séjour de plus de trois mois (primo-arrivants). Pas citoyens UE.

OBLIGATOIRE pour deux groupes cibles (présence 80%)

NON OBLIGATOIRE NON OBLIGATOIRE OBLIGATOIRE (premier volet)

2013 : 57,9 millions + 5 millions

1,4 millions en 2014 (sur un budget total estimé à min. 12 millions)

2,5 millions à ce stade

<2006 : amendes administratives de 50 à 5.000 euros – effectives depuis le 1er mars 2009.

Défaut ou absence injustifiée lors de l’accueil = amendes administratives (100 euros – 2.500 euros)

28 Le budget de 12 millions est un minimum, avec un public-cible très restreint. Une étude actualisée, sur base de nouveaux chiffres, a été commandée par le gouvernement bruxellois (en attente). 29 Négociations actuelles à la COCOF, intéressant d’étudier l’accord de gouvernement lorsqu’il aura été mis en place. Voir quelle sera la place accordée à cette politique par la nouvelle majorité

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4. Les contraintes institutionnelles et leurs conséquences

A Bruxelles, le design institutionnel complexe et rigide a fortement conditionné les

options des acteurs politiques. En effet, bien que ceux-ci aient, dans leurs

déclarations et discours, exprimé une série de souhaits ou d’intentions, ils se sont

trouvés fortement limités sur deux volets. D’une part, par l’impossibilité de rendre un

parcours d’intégration ou d’accueil obligatoire sur le territoire bruxellois. D’autre part,

par une série de difficultés importantes rendant la coopération entre les différentes

entités fédérées très ardue.

N.B. : Cette partie n’est qu’une ébauche d’une analyse plus détaillée qui doit être réalisée

dans le cadre de la thèse (le point 4 est au stade de brouillon). Les sources (débats

parlementaires, déclarations gouvernementales, interviews, littérature grise, programmes

des partis) doivent encore être détaillées et exploitées afin de démontrer les deux thèses.

D’un point de vue théorique, afin d’analyser l’action publique, il s’agira notamment de

mobiliser les approches néo-institutionnalistes, qui tiennent compte de ces contraintes

institutionnelles fortes (par exemple, le fédéralisme) qui pèsent sur les acteurs. Nous

attacherons une importance particulière au « discursive institutionnalism », qui porte

spécifiquement son attention sur les discours et programmes des élites politiques (Schmidt

2008).

PPRREEMMIIEERREE CCOONNTTRRAAIINNTTEE :: LL’’IIMMPPOOSSSSIIBBIILLIITTEE DDEE RREENNDDRREE LLEESS PPAARRCCOOUURRSS OOBBLLIIGGAATTOOIIRREESS AA

BBRRUUXXEELLLLEESS

En raison de l’organisation des compétences et de l’interdiction des sous-

nationalités à Bruxelles, Flamands et francophones ont buté sur la même difficulté :

l’impossibilité de rendre obligatoire leur parcours d’intégration. La Communauté

flamande, pionnière en la matière, a été la première à mettre en œuvre ce caractère

obligatoire (seulement en Flandre dès lors). Cependant, cette disposition n’a été

prévue qu’après une longue phase de test et les sanctions sont elles-mêmes

arrivées dans un troisième temps. En effet, sous l’influence des voisins néerlandais,

en 1999, le gouvernement flamand lance l’idée de l’inburgering (de Cuyper et al.

2010 : 1). Entre 1999 et 2003, le gouvernement se lance dans une phase

expérimentale de l’inburgering en mettant différentes « Maisons du Néerlandais »

(Huizen van het Nederlands) en place. Enfin, le 28 février 2003, le décret de

l’inburgering est adopté au Parlement flamand et entre en vigueur le 1er avril 200430.

Cette date est généralement retenue comme référence, puisqu’elle marque la mise

en place d’un parcours d’accueil uniformisé à l’échelle de l’ensemble de la

Communauté flamande. La législation définit deux groupes cibles, à savoir ceux qui

ont droit à un tel parcours et ceux qui doivent suivre un tel programme. De manière

globale, le groupe-cible qui a droit à ce programme est large puisqu’il concerne

30 Décret de la Communauté flamande du 28 février 2003 relatif à la politique flamande d’intégration civique, M.B., 8 mai 2003.

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toutes les personnes étrangères majeures vivant en Flandre ou à Bruxelles depuis

moins d’un an et désirant y rester. Concernant l’obligation, fait marquant de cette

politique, elle ne concerne qu’une partie du public visé. Si les autorités flamandes ont

d’abord souhaité viser un public aussi large que possible, elles ont dû reculer devant

la législation européenne qui ne permet pas d’imposer un tel programme

d’intégration civique aux ressortissants de l’Espace Economique Européen (EEE)31.

Par ailleurs, une révision du décret en 2006 a prévu la mise en place d’amendes

allant de 50 à 5.000 euros pour les personnes qui tenteraient de se soustraire à leurs

obligations citoyennes. Ce n’est que depuis le 1er mars 2009 que ces amendes sont

effectives envers les personnes qui ne respectent pas les dispositions de

l’inburgering.

Du côté francophone, l’idée d’un parcours d’intégration s’est développée de

manière très lente et progressive pour finalement s’imposer comme un consensus

entre l’ensemble des partis suite à l’accord de gouvernement de 2009. En effet, si

l’opposition (le parti libéral – MR) avait déjà eu l’occasion de déposer plusieurs

propositions en ce sens, pour la première fois les partis plus à gauche de l’échiquier

politique et aux commandes de l’exécutif (PS, Ecolo, cdH) mettaient cette politique à

leur agenda. Deux éléments sont à souligner. D’une part, il convient de remarquer

qu’il s’agit d’une révolution copernicienne dans la philosophie francophone de

l’intégration, basée traditionnellement sur un modèle républicain32. Ce consensus a

été extrêmement rapide et assumé. Plusieurs circonstances sont à prendre en

compte pour bien envisager ce changement de positionnement : le pourcentage de

plus en important d’immigrés, le manque de coordination des politiques

francophones, l’influence des pays européens qui se sont également dotés de

parcours d’intégration civique33, etc. Si l’idée d’un parcours avait fait son chemin, la

majorité des oppositions et des tensions se sont concentrées sur le caractère

obligatoire ou non. (à développer : la chronologie et les exemples de déclarations

dans les débats parlementaires). Au final, les élites politiques se sont accordées sur

la volonté de rendre ce parcours obligatoire (étant tout à fait conscientes que l’état

actuel des choses ne leur permettait pas d’agir en ce sens). Cette position est

d’autant plus remarquable qu’elle concerne aussi bien les partis de gauche, du

centre et de droite – bien que les argumentaires varient en fonction des sensibilités

politiques. L’analyse des arguments démontre que, si un consensus s’est dégagé sur

le caractère impératif du parcours, les différences entre les positionnements des

31 L’EEE comprend, outre les 27 membres de l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein. Les ressortissants suisses sont également exempts de l’obligation en matière d’inburgering. 32 Jacobs Dirk, Rea Andrea, « The End of National Models? Integration Courses and Citizenship Trajectories in Europe », International Journal on Multicultural Societies, 2007, vol. 9, n° 2, pp. 264-283 ; Martiniello Marco, « Philosophies de l’intégration en Belgique », Hommes et Migrations, n° 1193, 1995, pp. 24-29. 33 Des parcours d’intégration civique à destination des immigrés ont été mis en place dans un nombre important de pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède) (Michalowski 2011). Ce type de politique invite, ou oblige, les nouveaux arrivants à suivre des cours de langue, d’histoire des institutions et/ou de citoyenneté après l’entrée dans le pays d’accueil (les Pays-Bas, pionniers en la matière, les ont même prévus avant).

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partis politiques se sont concentrées sur les possibles sanctions et sur le contenu du

volet obligatoire (plus ou moins englobant).

Il est important de noter que si la volonté de rendre le parcours obligatoire

devait se concrétiser, il faudrait alors faire intervenir la Cocom, seule compétente

pour créer des droits et devoirs au niveau des individus (voir ci-dessus) et, par

conséquent, s’accorder entre francophones et Flamands sur le contenu et

l’organisation du parcours. De plus, « cette solution supposerait que la Communauté

flamande abandonne ou adapte sa politique d’inburgering à Bruxelles, dans la

mesure où il n’est pas réaliste d’envisager que les personnes soumises à un

parcours d’intégration imposé par la COCOM suivent également une formation du

même type proposée par la Communauté flamande » (de Jonghe Doutrepont 2012).

DDEEUUXXIIEEMMEE CCOONNTTRRAAIINNTTEE :: LLEESS MMUULLTTIIPPLLEESS EEMMBBUUCCHHEESS DDEE LLAA CCOOOOPPEERRAATTIIOONN

(brouillon)

Asymétrie des acteurs compétents et de leurs poids politiques respectifs. ° Du

côté flamand : Communauté flamande (qui a fusionné avec la Région), acteur

politique unique et fort, avec un Ministre en charge de l’inburgering. ° Du côté

francophone : différence entre les acteurs bruxellois + wallons + Communauté

française, nombre d’interlocuteurs élevé avec éparpillement des compétences

liées à l’intégration. A Bruxelles : COCOF, entité fédérée dotée d’un pouvoir

législatif dans le cadre de l’intégration mais sous-financement important. En

attente d’un refinancement et d’un élargissement des compétences suite à la

6e réforme de l’Etat. ° Si intervention de la COCOM : du côté flamand, élites

politiques bruxelloises, souvent en porte-à-faux par rapport à leurs

homologues flamands (ex : formation de l’exécutif bruxellois). Nécessité de

coopération et suspension du parcours flamand à Bruxelles.

Emergence d’une nouvelle institution du côté flamand. Tous les bureaux

d’accueil et les centres d’intégration flamands doivent se retrouver dans une

agence (EVA) qui sera responsable pour l’ensemble de la politique à

l’attention des minorités à Bruxelles et en Flandre. Structure centrale

(++centralisation), qui oriente les services d’intégration civique et d’intégration.

Exceptions pour Gand et Anvers dans cette fusion de grande échelle. Brigitte

Grouwels (CD&V - VGC-collegelid voor minderhedenbeleid – membre du

collège de la commission communautaire flamande pour la politique des

minorités) avait plaidé pour un statut d’exception pour : « Brussel heeft een

specifieke situatie. Vijftig procent van de Brusselaars heeft een

migratieachtergrond, Brussel is een tweetalige stad. Een apart beleid is dan

ook op zijn plaats34 ». Elle souhaitait que la VGC soit l’instance qui prenne en

charge cette politique. + souhait de BON (indépendance, travail particulier).

34 Notre traduction : « Bruxelles est dans une situation particulière. 50% des Bruxellois ont un passé migratoire et Bruxelles est une ville bilingue. Une politique spécifique est donc aussi nécessaire ».

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Finalement : Bruxelles n’a pas droit à une position d’exception en dehors de

l’EVA (comme c’est le cas pour Anvers ou Gand) mais obtient un statut

particulier et un rôle de régisseur pour la VGC. « Le futur dira comment tout

cela se met en place de façon concrète ». !! différence du statut des

interlocuteurs : ce ne sera plus BON mais une agence flamande autonome,

centralisée pour l’ensemble de la Flandre et de Bruxelles.

Les moyens à dégager sont particulièrement importants dans le cas bruxellois.

Qui débloquera le budget nécessaire ? Si coopération entre deux acteurs,

quels seront les prorata des contributions à la coopération ? Un des buts de

l’EVA est de diminuer les coûts de cette politique par une série d’économie

d’échelle. La COCOF compte sur les moyens supplémentaires qui devraient

découler de la 6ème réforme de l’Etat mais les plans budgétaires restent flous à

l’heure actuelle.

PPRREEMMIIEERREE CCOONNSSEEQQUUEENNCCEE :: LLEESS IIMMMMIIGGRREESS NNEE SSOONNTT PPLLUUSS LLEESS DDEERRNNIIEERRSS BBEELLGGEESS

Dans la Belgique d’aujourd’hui, on ne peut être à la fois flamand et à la fois

wallon. Si les premières générations d’immigrants qui rejoignent massivement la

Belgique n’ont pas fait l’objet de pression importantes pour s’intégrer, aujourd’hui,

leurs enfants et les nouveaux arrivants sont appelés à « choisir un champ ». En

1998, Morelli et Schreiber avaient posé la question de savoir si les immigrants ne

seraient pas les derniers Belges35, en écho à une situation potentiellement

paradoxale où le nombre d’étrangers qui seraient nostalgiques d’une Belgique

unitaire dépasserait celui des citoyens (1998 : 252). Pourquoi ? Car ces étrangers

refuseraient d’endosser une des catégories ethnolinguistiques qui prennent

l’ascendant sur les principaux clivages politiques. Cependant, la différenciation des

intentions au Nord et au Sud du pays, et l’extrême sensibilité flamande à préserver le

néerlandais, ont mené à une configuration où les nouveaux arrivants doivent

« choisir leur camp ». En l’occurrence, les étrangers passent le test du choix de la

langue officielle qu’ils adopteront pour eux-mêmes et leurs enfants. Pour être exact,

ce n’est pas tout à fait un choix depuis que les deux principales régions (Flandre et

Wallonie) sont officiellement unilingues. L’idée d’envoyer son enfant dans une école

néerlandophone en Wallonie ne viendrait jamais à l’idée d’un immigrant. En Flandre,

la situation est moins claire en raison de la forte concentration de francophones dans

la périphérie et du fait que les étrangers sont suspectés d’avoir une préférence pour

le français, spécialement ceux qui viennent de pays avec des traditions francophiles.

Finalement, Bruxelles est la seule région où les immigrants sont appelés à faire un

véritable choix linguistique ‒ d’où les attentions particulières du gouvernement

flamand qui pourrait y voir une opportunité de renforcement de la langue de Vondel

dans la Capitale (Jacobs 2000). Ainsi, en raison de l’absence d’identité nationale

forte, des efforts de la part de la Flandre pour développer une identité (sous-

35 Le titre de l’article est « Are the Immigrants the Last Belgians ? ».

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)nationale, de l’obligation pour les immigrants de choisir un camp, si les étrangers ont

pu un jour être nostalgiques de la « Belgique de papa », ils sont aujourd’hui

définitivement intégrés dans la dynamique de construction d’identités régionales. Les

immigrants ne sont plus les derniers Belges, mais deviendraient Flamands, Wallons

ou …. Bruxellois ? Si les immigrés ne sont plus les derniers Belges, que deviennent-

ils ? La question se pose évidemment avec d’autant plus d’acuité à Bruxelles, que le

catégorie « bruxellois » n’est pas offerte étant donné que l’immigré devra choisir

entre une offre flamande, bien organisée et rodée, et une offre francophone qui doit

encore être mise sur les rails. Surtout, ce choix s’apparente aussi à un choix

linguistique. Sur quels critères ce dernier sera-t-il basé : la langue la plus rentable ?

la plus pratique ? Ces questions se posent avec davantage d’acuité que des

avantages extra-sociaux pourraient y être associés (par exemple, une place dans

une crèche36).

DDEEUUXXIIEEMMEE CCOONNSSEEQQUUEENNCCEE :: LLAA BBAATTAAIILLLLEE PPOOUURR LLAA LLAANNGGUUEE

Nous l’avons vu, pendant leur parcours d’intégration, les nouveaux citoyens

doivent acquérir une connaissance du néerlandais ou du français. La maîtrise d’une

langue nationale (plutôt régionale dans notre cas d’étude) semble indispensable en

vue de permettre une participation à la société civile et au marché du travail (Seglow

2007 : 151). D’ailleurs, selon un Eurobaromètre (mai 2011), à la fois les immigrants

non-européens et le reste de la population jugent que parler une langue commune

est le facteur le plus important en vue de faciliter l’intégration. Selon Carens, il est

raisonnable, dans la plupart des cas, que les membres de la société d’accueil

attendent que les immigrés s’adaptent à leur langue, au moins au fil du temps, mais,

il est tout aussi important que la société en question facilite leur adaptation dès la

première génération, et continue pour les suivantes afin d’accroître l’égalité des

chances (2005 : 45). S’interrogeant sur les possibilités de construction d’une identité

collective, Joppke remarque que l’option basée sur une langue commune est

souvent écartée en raison de la faiblesse intrinsèque de cette marque d’identité

(2010 : 133). En réalité, ce n’est que dans des contextes particuliers, le plus souvent

au sein d’Etats multinationaux comme le Canada ou la Belgique, que la langue est

un véritable marqueur d’identité. Dans la plupart des autres pays, obliger les

immigrants ou les candidats à la citoyenneté à apprendre une langue nationale est

une exigence pratique, pas identitaire (Joppke 2010 : 134). Si nous prenons le cas

de la France et de ses contrats d’accueil et d’intégration, la préoccupation relative à

la langue est moins liée à l’identité qu’à l’ajustement social, en particulier sur le

marché du travail. De plus, la langue est d’autant moins une préoccupation en

France, où la plupart des immigrants proviennent d’Afrique francophone (un

raisonnement analogue peut être tenu pour la Wallonie ou Bruxelles), que par

exemple en Allemagne, où la plupart des immigrants, même ceux qui arrivent sous

36 Développer la polémique sur les places néerlandophones réservées dans les crèches flamandes de Bruxelles : …

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crédit de descendance ethnique, ne parlent pas du tout allemand à leur arrivée.

Ainsi, en général et en dehors des Etats multinationaux, la langue est moins

comprise en termes d’identité que comme une capacité fonctionnelle d’adaptation du

nouvel arrivant – avec ou sans l’aide de l’Etat. En Belgique, encore une fois, les

choses se complexifient, détaillons la situation.

L’Etat belge est un cas fascinant concernant les enjeux linguistiques et les

politiques de langue (voir von Busekist 1997). En effet, la nation flamande, bien que

puissante sur la plan politique, conserve encore des réflexes de nation minoritaire.

Les partis politiques flamands cherchent en conséquence à pousser toujours plus

loin l’exigence d’homogénéité linguistique territoriale en Flandre, quitte à remettre en

causes des « acquis » francophones provenant de compromis politiques déjà

sensibles. Aujourd’hui, les flux migratoires mettent à mal, par leur diversité, le mythe

de l’homogénéité linguistique et culturelle des différentes régions belges (Hambye

2009 : 39). En l’occurrence, face à ce melting-pot linguistique et aux risques qu’il

peut faire courir à un discours d’idéologie nationale (qui met en avant l’identité

culturelle et linguistique de la nation), les Flamands et les francophones réagissent

de façon contrastée. Comme nous l’avons montré, le gouvernement flamand a pris

un ensemble de mesures qui visent à favoriser l’intégration des immigrants par

l’apprentissage du néerlandais. D’ailleurs, même au-delà des politiques d’intégration,

le gouvernement flamand a adopté d’autres mesures qui vont dans ce sens de la

préservation linguistique, comme le wooncode (Code du logement). Ce dernier

impose aux candidats à un logement social de démontrer qu’ils savent parler le

néerlandais ou de s’engager à l’apprendre. Depuis son adoption, le Décret du

wooncode37 n’a cessé d’attiser le débat communautaire entre francophones et

néerlandophones. Le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la

discrimination a d’ailleurs fait état de sa « préoccupation » à propos du décret du

wooncode. Selon le Comité, la Belgique doit « veiller à ce que les exigences

linguistiques ne conduisent pas à une discrimination indirecte exercée en raison de

l'origine nationale ou ethnique38 ». Bien que cette mesure ne fasse pas l’objet de

notre champ d’étude, elle est révélatrice de la sensibilité particulière dont les

Flamands font preuve concernant la protection du néerlandais.

Comme nous l’avons relevé tout se passe comme si les néerlandophones se

trouvaient encore aujourd’hui en contexte minoritaire, c’est-à-dire dans une situation

où la langue et la culture du groupe sont perpétuellement menacées par des

pratiques linguistiques et culturelles socialement plus attractives. Extrêmement

sensibles à tout ce qui constitue une exception au principe d’homogénéité

linguistique, les Flamands, bien moins que les francophones, se voient crispés par

les bouleversements qu’engendre la mondialisation, en ce sens qu’elle affaiblit le

pouvoir de l’Etat à construire son propre marché linguistique, c’est-à-dire l’édifice

central autour duquel toute la logique nationaliste du groupe minorisé est construite

37 Décret du Parlement flamand du 15 décembre 2006 portant modification du décret du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du logement, M.B., 19 février 2007. 38 Rapport final de la 72e session que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a tenue à Genève du 18 février au 7 mars 2008.

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(Hambye 2009 : 43). Comme l’a montré Heller (2006), les minorités ont tendance à

reproduire le discours qui est souvent à la base de leur oppression et qui fait de

l’homogénéité linguistique, culturelle et identitaire, le garant de la survie de la nation.

Hambye (2009) juge à ce sujet que la survie de la nation, et par-delà de sa langue,

est aujourd’hui largement assurée, et que si cela reste une préoccupation en

Flandre, c’est parce que les inquiétudes à cet égard sont alimentées par la

surenchère politique. Nous ne partageons pas entièrement ce diagnostic. En effet,

de récentes études montrent que le néerlandais fait face à des difficultés

grandissantes dans certaines zones. Par exemple, la population de la périphérie

flamande de Bruxelles continue de s’internationaliser, ce qui entraîne un recul de la

pratique du néerlandais. Au 1er janvier 2011, la périphérie était peuplée de 108.000

étrangers, représentant 114 nationalités différentes, soit 27 % de la population – le

double d’il y a vingt ans selon une étude du gouvernement flamand (Le Soir, 26 avril

2012). L’emploi des langues en périphérie s’en ressent puisque, par exemple, 28 %

des élèves de l’enseignement néerlandophone ne parlent pas le néerlandais à la

maison. Le ministre Geert Bourgeois (du parti nationaliste flamand, la N-VA), en

charge de la périphérie flamande mais aussi de l’intégration, attribue cette évolution

à la proximité de Bruxelles « où 61,6 % de la population est d’origine étrangère »

selon lui. Cependant, selon le ministre, cette évolution ne peut justifier une rupture du

caractère néerlandophone de la périphérie, dont la préservation doit rester un «

axiome » de la politique flamande (Le Soir, 26 avril 2012). Autre illustration de ces

nouveaux dangers, l’enquête « Expat Survey » sur le comportement linguistique des

expatriés en Belgique, montre que ceux-ci n’adoptent pas le néerlandais, mais plutôt

l’anglais (96,7 %) et le français (65,9 %) à Bruxelles et en périphérie dans leurs

relations avec leurs amis ou voisins Le rejet du néerlandais pourrait avoir comme

cause, selon Janssens39, la volonté d’imposer le néerlandais dans certaines

communes de la périphérie, ce qui générerait des réactions négatives chez les

expatriés, notamment quand ils croisent des inscriptions « Hier spreekt men

Nederlands » (« Ici, on parle le néerlandais ») dans les maisons communales

(Agence Belga, 3 mai 2012).

Enfin, comme conclusion de ce volet linguistique, nous pouvons fournir

quelques constatations intéressantes, issues de l’enquête de la Fondation Roi

Baudouin (mai 2012), sur les pratiques linguistiques des immigrants. Ainsi, on

apprend que les immigrants sont, dès le départ, très fréquemment polyglottes et

qu’ils parlent, en général, plus de langues que les nationaux. L’enquête montre

également qu’ils apprécient les cours de langue, qu’ils soient obligatoires ou non,

puisque, dans les deux cas, leur taux de satisfaction est identique. Les participants

expliquent leur valorisation des cours de langue par la nécessité d’une intégration

socio-économique réussie.

Conclusion

39 Rudi Janssens (VUB) est chercheur au Brio (Brussel information en onderzoek centrum).

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RESUMES DU PROJET DE THESE – Catherine XHARDEZ

Les politiques d'intégration des immigrés au service du nationalisme minoritaire ? Analyse comparée des parcours d'intégration en Flandre, au Québec et à Bruxelles.

Cette recherche comparative analyse la façon dont, dans des démocraties

multinationales, le phénomène nationaliste affecte – directement ou indirectement – la conception et la mise en œuvre des politiques d’intégration des immigrés. Il s’agit en particulier de comprendre comment les élites politiques engagées dans un processus de formation d’une conscience (sous)nationale envisagent l’intégration. Confrontées à un dilemme, celles-ci doivent opérer des choix politiques difficiles quant au traitement à réserver aux nouveaux venus et à leurs descendants. D’une part, leur inclusion serait susceptible d’affaiblir le processus d’homogénéisation culturelle et identitaire à l’œuvre dans la formation de la nation. D’autre part, a contrario, les inclure (sous réserve de conditions à remplir) permettrait éventuellement de renforcer la présence, démographique et politique, du groupe.

La question de recherche est la suivante : Quelles tensions entre les processus de formation d’une conscience (sous-)nationale et la politique d’intégration des immigrés ? En la matière, plusieurs stratégies sont susceptibles d’être adoptées par les acteurs : l’exclusion, l’inclusion stratégique ou l’inclusion tolérante. Le but de la recherche est de déterminer le positionnement des élites politiques (quelle stratégie est prônée par qui et quand) et de comprendre – au travers de l’étude de documents officiels, débats parlementaires, littérature grise, entretiens – pourquoi telle ou telle stratégie est préférée. Cette thèse s’inscrit à la croisée de l’analyse de l’action publique et de la théorie politique. D’une part, il s’agit notamment de mobiliser les approches néo-institutionnalistes. D’autre part, l’ambition est également de questionner les positions des acteurs et leurs arguments grâce aux outils de la théorie politique. Trois cas d’étude seront analysés : la Flandre, le Québec et les institutions compétentes à Bruxelles.

Do migrant integration policies support nationalist aspirations? A comparative analysis of integration programmes in Flanders, Quebec, and Brussels.

This comparative research will focus on how nationalism affects - directly or indirectly

- the design and implementation of migrant integration policies in multinational democracies. It aims at understanding how political elites, involved in a process of building (sub) national consciousness, consider integration. Indeed, they face a dilemma and have to make difficult political choices about the treatment of newcomers and their descendants. On the one hand, their inclusion could weaken the homogenisation of culture and identity that are at work in the process of nation formation. On the other hand, a contrario, their inclusion (with specific conditions to be fulfilled) could possibly enhance the group’s demographic and political strength.

Our research question is: What are the tensions between the process of building (sub) national consciousness and migrant integration policies? Several strategies may be adopted by the actors in this matter: exclusion, strategic inclusion or tolerant inclusion. The purpose of the research is to identify the positioning of political elites (what strategy is promoted by whom, and when?) and to understand - via the study of official documents, parliamentary debates, grey literature, interviews - why a given strategy is preferred.

This PhD lies at the crossroads between public policy analysis and political theory. On the one hand, it adopts a neo-institutionalist approach. On the other, it also questions the stakeholders’ positions and their arguments by using the tools of political theory. Three case studies will be discussed: Flanders, Quebec and Brussels.