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Dominique Vinck Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en compte des objets dans les dynamiques sociales In: Revue française de sociologie. 1999, 40-2. pp. 385-414. Citer ce document / Cite this document : Vinck Dominique. Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en compte des objets dans les dynamiques sociales. In: Revue française de sociologie. 1999, 40-2. pp. 385-414. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_2_5173

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Dominique Vinck

Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopérationscientifique. Contribution à la prise en compte des objets dansles dynamiques socialesIn: Revue française de sociologie. 1999, 40-2. pp. 385-414.

Citer ce document / Cite this document :

Vinck Dominique. Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en compte desobjets dans les dynamiques sociales. In: Revue française de sociologie. 1999, 40-2. pp. 385-414.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_2_5173

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ResumenDominique Vinck : Los objetos intermediarios en las redes de cooperación científica. La contribución ala participación de los objetos en las dinámicas sociales.

Este artículo trata del papel que desempeñan, los objetos intermediarios en el interior de lasactividades humanas coordinadas. La pregunta trata de determinar lo que son y como funcionan lasredes de cooperación científica. El artículo se propone mostrar la presencia de esos sujetos y deevaluar su importancia. Preguntándose sobre el hecho de conocer si se los puede reducir a conceptossociológicos (regla, convención, significación, organización, poder etc.). Demuestrando que lacoordinación al interior de estas redes no puede reducirse a estos conceptos. Sugiere que hay tratarloscomo intermediarios que influyen en las modalidades de coordinación. También utiliza los resultadosobtenidos de una investigación que trata sobre las redes de cooperación científica iniciados en elcuadro del programa europeo de investigación y desarrollo en materia de ciencias médicas y de saludpública. Se trata de examinar el lugar y el papel de los objetos intermediarios en la constitución y en ladinámica de esas redes.

ZusammenfassungDominique Vinck : Die Zwischenobjekte in den wissenschaftlichen Kooperationsnetzen. Beitrag zurBerücksichtigung der Objekte in der sozialen Dynamik.

Dieser Aufsatz beschäftigt sich mit der Rolle der Zwischenobjekte innerhalb der koordiniertenmenschlichen Aktivitäten. Die Frage stellte sich, was die wissenschaftlichen Kooperationsnetze sindund was sie tun. Der Aufsatz möchte die Gegenwart dieser Zwischenobjekte aufzeigen und ihreBedeutung bewerten. Er fragt sich danach, ob sie auf soziologische Konzepte reduziert werden können(Regel, Vereinbarung, Bedeutung, Organisation, Macht, usw.). Er zeigt, dass die Koordination innerhalbder Netze nicht auf diese Konzepte reduziert werden kann. Er schlägt vor, sie als Vermittler zubehandeln, die die Koordinationsmodalitäten beeinflussen. Der Artikel stützt sich auf die Ergebnisseeiner Untersuchung zu den wissenschaftlichen Kooperationsnetzen, die im Rahmen des EuropäischenForschungs- und Entwicklungsprogramms für medizinische Wissenschaften und öffentliche Gesundheitangeregt wurden. Es geht hier darum, den Platz und die Rolle der Zwischenobjekte in der Entstehungund der Dynamik dieser Netze zu untersuchen.

AbstractDominique Vinck : Intermediate objects in the scientific cooperation network. Contribution to includethese objects in social dynamics.

This article deals with the role of intermediate objects within coordinated human activity. The mainquestion is to define what scientific cooperation networks are and what their active role is. The articleindicates the presence of these objects and evaluates their importance. It wonders whether theseobjects can be reduced to sociological concepts (regulation, convention, meaning, organisation, power,etc.). It shows that the coordination within the networks cannot be reduced to such concepts andsuggests treating them as mediators providing coordination modalities. The article uses results from aresearch study on scientific cooperation networks as part of the European research and developmentprogramme in medical sciences and public health. In this case, it is a question of examining the positionand role of intermediate objects in the development and dynamics of these networks.

RésuméCet article traite du rôle des objets intermédiaires au sein des activités humaines coordonnées. Laquestion se posait de déterminer ce que sont et ce que font les réseaux de coopération scientifique.L'article propose de montrer la présence de ces objets et d'en évaluer l'importance. Il s'interroge sur lefait de savoir s'ils peuvent être réduits à des concepts sociologiques (règle, convention, signification,organisation, pouvoir, etc.). Il démontre que la coordination au sein des réseaux ne peut être réduite àces concepts. Il suggère de les traiter comme des médiateurs affectant les modalités de coordination.L'article utilise des résultats issus d'une recherche portant sur les réseaux de coopération scientifique

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initiés dans le cadre du programme européen de recherche et développement en matière de sciencesmédicales et de santé publique. Il s'agit ici d'examiner la place et le rôle des objets intermédiaires dansla constitution et la dynamique de ces réseaux.

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R. franc, sociol. XL-2, 1999, 385-414

Dominique VINCK

Les objets intermédiaires dans les réseaux

de coopération scientifique

Contribution à la prise en compte des objets dans les dynamiques sociales *

RÉSUMÉ Cet article traite du rôle des objets intermédiaires au sein des activités humaines coordonn

ées. La question se posait de déterminer ce que sont et ce que font les réseaux de coopération scientifique. L'article propose de montrer la présence de ces objets et d'en évaluer l'importance. Il s'interroge sur le fait de savoir s'ils peuvent être réduits à des concepts sociologiques (règle, convention, signification, organisation, pouvoir, etc.). Il démontre que la coordination au sein des réseaux ne peut être réduite à ces concepts. Il suggère de les traiter comme des médiateurs affectant les modalités de coordination. L'article utilise des résultats issus d'une recherche portant sur les réseaux de coopération scientifique initiés dans le cadre du programme européen de recherche et développement en matière de sciences médicales et de santé publique. Il s'agit ici d'examiner la place et le rôle des objets intermédiaires dans la constitution et la dynamique de ces réseaux.

En sociologie, la question se pose, depuis longtemps déjà, de savoir s'il convient de prendre en compte les dispositifs physiques dans l'analyse et comment le faire. Quel traitement convient-il d'accorder aux chicanes rivées au sol lorsqu'on analyse les dynamiques sociales de la constitution des files d'attentes ? Que faire du mobilier scolaire en sociologie de l'éducation ? Quelle place accorder au corps humain en sociologie de la santé ?

La question est particulièrement travaillée en sociologie des sciences et des techniques. Les observateurs y croisent constamment des instruments physiques et des entités de la nature (par exemple, des virus, des électrons et des astres).

* Ce texte s'appuie sur des travaux menés en programme européen «Medical and Public collaboration avec Philippe Ladéro, Bernard Health Research Programme» 1987-1991). Ce Kahane et Jean-Baptiste Meyer du Centre de texte renvoie également aux travaux en cours au Sociologie de l'Innovation (École des Mines, sein du laboratoire Cristo portant sur les objets Paris) ainsi que de Ron Akehurst et Nora intermédiaires dans les processus de conception Bradshaw du York Health Economies Research en collaboration interdisciplinaire avec le labora- Center (York). Les enquêtes menées en 1990 et toire de mécanique 3S-INPG (Vinck, Jeantet, 199 1 faisaient partie de l'évaluation du quatrième 1995 ; Jeantet, 1998).

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Pendant longtemps, les sociologues les ont simplement laissés de côté pour se centrer sur l'analyse des dimensions proprement humaines et sociales de l'institution scientifique et des communautés savantes (1). Depuis les années 70, les sociologues relativistes et constructivistes ont entrepris de les prendre en compte dans l'analyse mais seulement en les rapportant aux déterminismes sociaux qui les expliquent. Ces choses ne sont, pour eux, que des constructions sociales ; elles n'ont pas d'existence autonome (2). Au tournant des années 80, une nouvelle tendance se fait alors jour en sociologie des sciences : l'analyse des pratiques scientifiques concrètes. De nouveau, surgit la question des dispositifs physiques et des entités de la nature. Les chercheurs sont alors décrits comme des êtres en interaction avec d'autres humains mais aussi avec une multitude d'objets et d'entités non humaines. Latour et Woolgar (1988), par exemple, rendent compte des instruments et des dispositifs de toutes sortes qui permettent de stabiliser les représentations de la nature (traces et inscriptions). Latour (1989) introduit également la notion de «mobiles immuables et combinables» dont la circulation et l'accumulation expliquent l'écart entre sciences occidentales et ethnosciences. Récemment, la sociologie cognitive a fait apparaître l'importance du caractère distribué des processus cognitifs non seulement au niveau social mais également au niveau des objets et des artefacts mobilisés dans l'action ou qui environnent celle-ci (Conein, Jacopin, 1993). Elle rejoint, en ce sens, la sociologie des sciences qui tend à remettre la connaissance et sa production en situation dans des lieux, des pratiques et des mondes d'objets (Latour, Noblet, 1985).

Qu'il ne faille pas oublier la présence des choses semble aujourd'hui accepté par beaucoup de sociologues. En revanche, qu'il faille leur accorder un rôle d'acteur social semble plus difficile à admettre. La question est pourtant posée en ces termes : jusqu'où la propriété d'acteur accordée aux humains peut-elle être étendue aux non-humains ? (3). Quelle épaisseur faut-il accorder aux choses ? Quel rôle les objets ont-ils dans les interactions sociales ? (4). Dans quelle mesure participent-ils à la construction du lien social, de l'interaction et du

( 1 ) Pour une présentation de la sociologie des tités de la nature » interagissent, se transforment sciences, voir Vinck (1995). et se redéfinissent mutuellement, comment les

(2) Cette question de l'autonomie renvoie, no- pratiques scientifiques redistribuent les proprié- tamment, aux thèses de J. Ellul (1977) argumen- tés humaines et autres entre les êtres et comment tant en faveur d'une autonomie du développement ainsi les contours de nouvelles entités collectives technique échappant à toute régulation sociale. sont produits. De plus en plus souvent, les auteurs

(3) La sociologie des sciences en est venue à traitent les entités non humaines comme sociale- se poser ce genre de question iconoclaste à la suite ment actives, par exemple, résistantes ou traîtres de deux évolutions académiques. La première vis-à-vis des intentions et des actions humaines consiste à dénoncer l'impasse du constructivisme (Pickering, 1993). social (à savoir, le recours à deux registres d'ex- (4) Voir l'examen de la place des objets dans plication incompatibles : le relativisme vis-à-vis les épreuves portant sur les qualités de l'action des faits de la nature et le réalisme vis-à-vis des (Bolstanski, Thévenot, 1991 ; Thévenot, 1993) et causes sociales) et à montrer que ces « faits » sont dans les modalités d'ajustement des acteurs autant saisis que construits (Latour, 1996). La (Akrich, 1993 ; Bessy, Chateauraynaud, 1993 ; seconde montre comment les humains et les « en- Dodier, 1993a, 1993b).

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collectif? L'humain et la société peuvent-il se penser sans objets ? Ces questions seraient de nature à réinterroger les fondements de l'ensemble de la sociologie (5).

La question des dispositifs physiques est aujourd'hui à la mode et elle est controversée. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur les quelques publications comme les numéros spéciaux de revues (6), les colloques (7) et appels à communication (8) récents consacrés à ce sujet. Elle suscite de nouvelles recherches empiriques et d'importantes polémiques (9). À n'en pas douter, cette entrée en force des objets dans le monde social heurte plus d'un humaniste (10). Si certains restent indifférents ou réaffirment leur intérêt exclusif pour le sujet, l'humain et la culture (11), d'autres engagent la controverse. Certains accusent cette nouvelle sociologie de n'être qu'un simple retour au naturalisme (12) (reconnaître la causalité de la nature sur les phénomènes sociaux) et au fétichisme (13). C'est là, à notre avis, méconnaître la richesse des débats sur la base desquels la question des objets retrouve aujourd'hui sa place en sociologie.

(5) La sociologie des sciences a surtout utilisé des concepts et des postures bien établis ailleurs en sociologie pour lutter contre certaines conceptions philosophiques de la science. Aujourd'hui, en revanche, elle tend à introduire de nouvelles problématiques et à réviser les fondements de la sociologie. Il en est ainsi avec la théorie de la traduction pour laquelle il ne s'agit plus seulement d'étudier le lien social en soi mais les acteurs-réseaux et les hybrides sociotechni- ques qui donnent simultanément naissance à ces structures temporellement et conjoncturellement émergentes que sont la société et la technique. L'humain, la société comme la technique sont les produits d'une mise en forme progressive : des effets de réseaux [sur ce sujet, voir : Law (1993) etCallon, Law (1993)].

(6) «Les objets dans l'action», Raisons pratiques, 1993, 4 ; « Travail et cognition », Sociologie du travail, 1994, 4 ; « Human and others », American behavioral scientist, 1 994, may.

(7) Non-human agency : a contradiction in terms ? Surrey Conference in Theory and Method, Guildford, Surrey, 1993, sept 23-24"1; 01 Design, Les objets de la conception, Théoule- sur-Mer, 24-26 sept. 1997.

(8) « Les organisations saisies par leurs objets de communication », Groupes d'Études et de Recherches sur les Communications Organisa- tionnelles de la Société Française des Sciences de l'Information et de la Communication. Les auteurs de l'appel à communication proposent ainsi de « partir des objets de communication professionnelle et de tenter de les construire comme objets scientifiques ».

(9) Celles-ci tiennent en partie au radicalisme et au militantisme des tenants d'une sociologie qui réintroduit les objets dans le champ de l'explication. Pour ceux-ci, la prise en compte des objets serait une découverte sociologique récente, voire une remise en cause de ses fondements.

(10) Par humaniste, nous entendons ici toute personne plaçant l'être humain au sommet de l'échelle des valeurs sur laquelle sont distribués les êtres.

(11) Divers ethnologues, de la même manière, consacrent de longs et détaillés chapitres à la description minutieuse d'objets en tout genre (habitat, ustensiles culinaires, armes, etc.) mais, en dernière instance, centrent leurs analyses et explications sur les dimensions symboliques et imaginaires : la culture de l'ethnie. Le dispositif physique ne semble donc pas intéressant pour lui-même; il n'est, au mieux, qu'un indicateur parmi d'autres d'une réalité sociale ultime, seule objet d'intérêt pour notre communauté scientifique.

(12) Voir le débat entre Collins, Yearley, Callon, Latour et Woolgar dans Pickering ( 1992). Voir également : Amsterdamska (1990), Gingras (1995).

(13) Le sociologue ne peut pas s'attacher aux objets et croire aux forces qui en émanent puisqu'elles ne sont que des projections ou des constructions sociales cristallisées dans ces objets. Le rôle de l'analyse sociologique serait alors de dénoncer la société qui se cache derrière ces fétiches modernes que sont les technologies (Hennion, Latour, 1993).

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Dans cette contribution, nous proposons de traiter la question en précisant le problème tel que nous le voyons aujourd'hui (celui de la coordination de l'action) et l'entrée que nous suggérons pour l'aborder, c'est-à-dire la notion d'objet intermédiaire. À partir de là, nous formulons une première hypothèse : les dispositifs physiques méritent d'être pris en compte dans l'analyse parce qu'ils prennent part aux actions finalisées et aux mécanismes de coordination.

Avec la présentation du terrain sur lequel nous avons fait travailler cette hypothèse, nous indiquerons les questions auxquelles nous étions confrontés et les entrées que nous avons retenues pour les traiter. Dans une deuxième partie, à partir d'un cas extrait de cette enquête, nous montrerons la présence des objets et tenterons d'en évaluer l'importance. Nous nous interrogerons sur le fait de savoir s'ils peuvent être réduits à des concepts sociologiques (règle, convention, signification, organisation, pouvoir, etc.). Nous démontrerons que la coordination au sein des réseaux ne peut être réduite à ces concepts. Nous suggérerons alors de les traiter comme des médiateurs affectant les modalités de coordination.

Le terrain, ses questions et ses entrées

La recherche à laquelle se réfère cet article est une vaste enquête sur plus d'une centaine de réseaux de coopération scientifique. Dans cette première partie, nous situons le cadre de la commande qui lui correspond. Nous indiquerons les questions auxquelles nous étions confrontés et les entrées que nous avons retenues pour les traiter.

Ly évaluation d'un programme européen sur la santé

Les recherches mobilisées ici pour traiter la question des objets intermédiaires sont liées à l'évaluation d'un programme public de recherche. La Commission de l'Union Européenne gère un important budget destiné à stimuler les activités de Recherche et Développement technologique (R&D) afin d'améliorer la compétitivité technico-économique de l'Europe et de contribuer à la construction d'un espace social européen (Vinck, 1996). Ce budget est établi pour plusieurs années. Il est décliné sous la forme de programmes spécifiques : sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, les matériaux, l'environnement, l'énergie, l'agriculture, etc. Le programme qui nous occupe concerne la santé (14).

(14) II s'agit du quatrième programme de 1987-1991) de la Direction Générale de la Rerecherche médicale et en santé publique (Medical cherche Scientifique (Dg xii). En termes finan- and Public Health Research programme, Mhr4, ciers, ce programme est mineur dans la politique

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Notre intervention dans ce cadre se situe vers la fin du quatrième programme. Il s'agit alors d'assister le panel d'experts chargés de l'évaluer; le panel avait besoin d'informations sur les activités effectives supportées par le programme européen et sur les effets induits dans le tissu scientifico-technique communautaire. Or, la forme d'intervention publique adoptée par les gestionnaires du programme conduit à faire se coordonner plusieurs équipes autour d'un objectif commun. Au total, les 3 500 équipes concernées sont réparties en 120 actions concertées (15).

Notre mission consiste, entre autres, à caractériser les dynamiques socio- scientifiques de ces 120 actions (16). Il s'agit de décrire et de comprendre en quoi consistent ces réseaux de coopération scientifique, d'en saisir la nature et les effets. Cette interrogation vient à la fois des gestionnaires du programme, des évaluateurs et de nous-mêmes, chercheurs, intéressés par l'analyse des processus de production scientifique. Ainsi, au départ de cette recherche, la question se posait de déterminer ce que sont et ce que font les réseaux de coopération scientifique.

A priori, une telle question pouvait être traitée en décrivant les finalités (la série des traductions allant de l'enjeu socio-économique à l'objectif scientifique et technique correspondant au temps du projet financé) et en interrogeant les acteurs sur leurs réalisations (les résultats escomptés ou atteints à l'issue de l'action). Cette représentation de l'action du réseau pouvait être complétée par l'analyse de la population des acteurs mobilisés, par la description de la structure organisationnelle et de la gestion du réseau (y compris ses règles et conventions explicites et implicites) ainsi que par un examen de la distribution des relations entre les acteurs. Ces critères correspondent à la fois à des entrées classiques en sociologie et aux prises, offertes par les matériaux empiriques, découvertes lors des premiers contacts avec les gestionnaires du programme et avec les documents dont ils disposaient. Ces prises correspondent aux lignes de fractures partiellement induites par les matériaux auxquels nous avions eu accès en début d'enquête. Ces entrées ont été retenues pour la structuration de l'enquête.

Nous y avons toutefois ajouté une entrée moins habituelle (qui fait l'objet de cet article), à savoir : l'identification des objets intermédiaires et des activités qui s'y agrègent (nous y reviendrons plus loin). Ainsi, aux quatre critères identifiés initialement (finalités, résultats, organisation et acteurs), nous avons ajouté celui des objets intermédiaires et celui des résultats intermédiaires. La

(suite de la note 14) scientifique européenne; il est doté d'un budget (15) Ces actions sont elles-mêmes regrou- de seulement 60 millions d'Ecu à répartir sur pées en six sous-programmes : génie biomédical, quatre ans. Toutefois, supportant exclusivement biologie médicale, cancer, Sida, epidemiologie, les coûts de la coordination entre équipes de santé publique. recherche (la forme «action concertée») et non le (16) Les résultats complets de cette étude coût de la recherche elle-même, ce petit programme sont pubiiés dans Larédo et al. ( 199 1 ) et pour la réussit à mobiliser plus de 3 500 équipes à travers partie concernant la caractérisation des réseaux et l'Europe. Il est, de ce point de vue, l'un des plus des intermédiaires dans Vinck (1992). grands programmes européens.

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notion d'intermédiaire est ainsi déclinée dans le découpage temporel (résultat entre deux états d'avancement du projet) et dans l'espace social (objet liant au moins deux équipes de recherche). Nous nous sommes ainsi intéressés aux «objets intermédiaires» reliant les acteurs humains entre eux et scandant le passage d'un état du réseau à l'autre.

L'enquête s'est appuyée sur de nombreux entretiens avec les gestionnaires du programme, sur l'étude des documents officiels de chaque action concertée (la proposition d'action et les rapports d'activité), sur une enquête postale auprès de toutes les équipes participantes ainsi que sur des entretiens individuels semi-directifs avec 106 des 120 chefs de projets et quelques participants (17).

U analyse des réseaux de coopération scientifique

Depuis ses débuts, la sociologie des sciences a analysé la dimension communautaire de l'activité scientifique. Elle l'a saisie au travers des notions d'institution, de structure normative régissant les comportements individuels, de systèmes d'échange, de lutte compétitive au sein du champ scientifique, etc. Ces approches sont trop générales par rapport aux besoins de notre enquête. Elles ne permettent pas de rendre compte des activités scientifiques concrètes et encore moins d'avoir prise sur leur contenu. Elles présentent le travail scientifique comme une activité individuelle régulée au sein d'une communauté transcendant les individus. De leur côté, les méticuleuses ethnographies de laboratoire, si elles permettent de s'approcher de l'activité scientifique et des négociations permanentes qui s'y jouent, sont souvent limitées à un site restreint et, de ce fait, aveugles quant à ce qui dépasse les frontières du laboratoire. Le problème est alors de trouver un niveau d'analyse correspondant à l'objet étudié.

La notion de réseau correspond à ce type de niveau médian. Empruntée à la sociologie des réseaux sociaux (Degenne, Forsé, 1994), elle désigne ainsi l'ensemble des acteurs scientifiques reliés les uns aux autres par les flux d'informations qu'ils s'échangent et par les contacts qu'ils ont entre eux. Loin d'être isolés dans leur travail, les chercheurs nouent et entretiennent des relations les uns avec les autres, largement en rapport avec les contenus de leurs travaux. Les réseaux qu'ils forment sont des créations plus ou moins spontanées, résultant d'interactions locales établies de proche en proche. Ils ne correspondent pas à des entités clairement délimitées; ils ont rarement des frontières clairement identifiées. Dans les réseaux des actions concertées de cette enquête, nous avons aussi constaté que la population de ces réseaux est hétérogène

(17) Les entretiens étaient structurés autour organisation et leur logistique; l'existence, le des thèmes suivants: la genèse du projet; les développement et l'utilisation d'équipements, équipes mobilisées ; l'organisation du projet et le bases/banques de données et des règles afférentes rôle du groupe de gestion du projet ; le chemine- à leur fonctionnement ; la visibilité du réseau et ment du projet ; le type d'activité mis en œuvre ; ses liens externes ; le rôle du financement com- les résultats présents et escomptés ; les échanges, munautaire et les relations avec la Cce ; le devenir visites et réunions et autres types d'échanges, leur à l'issue de la phase actuellement financée.

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(Knorr, 1982) en termes de discipline scientifique (18) et d'appartenance orga- nisationnelle publique et privée, scientifique, clinique et industrielle, etc. Elle est aussi variable (19) : la liste précise des participants n'est pas établie a priori. Ceux-ci rejoignent ou quittent le projet en cours de route tandis que le degré d'inclusion au réseau varie d'un membre à l'autre (20). Les réseaux de coopération scientifique sont ainsi des ensembles partiellement mouvants d'interactions, différents en ce sens des organisations et des institutions.

Une autre acception de la notion de réseau renvoie à l'idée d'une forme de coordination transversale vis-à-vis des organisations et des institutions. On la trouve mise en œuvre dans le cadre des politiques scientifiques nationales et européennes des dernières décennies. La création de réseaux de coopération est ainsi devenue une entreprise volontaire et collective. Elle résulte d'une volonté politique d'organiser le travail scientifique autour de projets. Les interventions de la Commission de l'Union Européenne sont typiques de la montée de ces nouvelles formes de coordination du travail scientifique. Elles favorisent ainsi le montage de coopérations entre organismes. Les réseaux dont nous discutons ici relèvent typiquement de cette tendance. Doté d'un faible budget, le programme européen que nous étudions s'est donné les moyens d'une action significative en centrant ses interventions sur la création de liens et de synergies entre les acteurs. Nous ne savions toutefois encore rien de la façon dont étaient construits ces réseaux, la manière dont ils évoluent, les mécanismes de régulation mis en place, les difficultés rencontrées, leur influence sur les orientations des travaux, etc.

Enfin, la notion de réseau est redéfinie dans le cadre de la théorie de Г acteur-réseau ; elle signifie un ensemble d'entités (actants ou acteurs), humaines ou non humaines, articulées les unes aux autres. Il est dit sociotechnique. Il correspond à un assemblage d'objets, de textes et d'êtres vivants dont la conception, la réalisation, la gestion et le maintien absorbent l'énergie des acteurs. La description de ces réseaux est supposée fournir la base explicative de phénomènes aussi divers que Г «universalité» d'un énoncé scientifique, la stabilité d'une institution ou le bon fonctionnement d'une installation technique. Les produits scientifiques n'existeraient ainsi pas indépendamment des réseaux qui les détiennent (Latour, 1989). Cette approche fournit quelques-uns des motifs qui nous ont conduits à prendre en compte les objets et les résultats intermédiaires.

(18) L'un d'eux, par exemple, rassemble des dans ces réseaux sont ceux dont les activités et les virologues et des physiciens des membranes au- ressources (parfois tout un laboratoire) sont au tour de l'analyse des mécanismes de pénétration cœur de la problématique du réseau. Leur du virus Hrv dans les cellules. investissement est largement plus que propor-

(19) Chacun de ces réseaux rassemble de 5 à tionnel par rapport au financement européen, le- 120 équipes. En moyenne, dans chaque équipe, 3 quel est toujours marginal. Pour d'autres à 4 chercheurs sont impliqués, pour une part de membres, au contraire, l'investissement dans le leur temps, dans le réseau. réseau reste très faible par rapport à leurs activités

(20) Les acteurs les plus fortement investis hors réseau.

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De l'intérêt de Ventrée par les objets intermédiaires

Avec la notion d'objet intermédiaire, nous nous référerons aux entités physiques qui relient les acteurs humains entre eux. Il s'agit, par exemple, du tableau noir par lequel passe une partie des relations entre l'enseignant et les élèves. On dira cet intermédiaire «fixe»; les acteurs humains gravitent autour de l'objet. D'autres objets intermédiaires, au contraire, seront qualifiés de «circulants» parce qu'ils sont envoyés d'un acteur à l'autre, tel le cadeau offert à un ami ou le bulletin de liaison envoyé aux membres d'une association (21).

Nous faisons l'hypothèse que la prise en compte de ces objets intermédiaires est utile pour l'analyse sociologique. Bruno Latour a ainsi montré que le suivi des inscriptions (22) (animaux de laboratoire et éprouvettes numérotés, tracés issus des instruments d'analyse, tableaux de chiffres, diagrammes et textes) permet de déplacer l'appréhension et l'analyse des pratiques scientifiques. Il permet de dégonfler des questions abusivement posées sur le terrain de l'épis- témologie (23) et de les ramener sur celui de la sociologie. Jean-Claude Kaufmann (1992, 1997) démontre, pour sa part, l'intérêt et la pertinence d'une sociologie de la relation conjugale qui adopte, comme entrée privilégiée, l'analyse des pratiques ménagères, en suivant le sort du linge, du balai et du chiffon. Il illustre également combien la «pesanteur» de l'objet, sa matérialité, est constitutive de la trame conjugale et active dans sa dynamique temporelle. Dans ses analyses, les objets familiers portent et emportent Y homo domesticus. De même, nos enquêtes sur les pratiques scientifiques et techniques montrent combien les acteurs investissent fortement ces objets intermédiaires, pour les mettre en forme, pour agir sur leur circulation et pour les manipuler.

Ainsi, nous avons acquis la conviction qu'il convenait de mobiliser davantage ces entités physiques dans l'enquête et dans l'analyse. Nous faisons l'hypothèse qu'elles permettent de révéler et de caractériser la nature des échanges et des relations entre les acteurs humains, de dessiner les réseaux de coopération mais aussi d'accéder aux investissements et activités en amont, en cours et en aval de ces échanges. Sens, stratégies, organisation, règles et conventions, lien social... tout cela émerge lorsque sont pris en compte les objets intermédiaires.

Les acteurs rencontrés parlent abondamment de leurs activités consistant à mettre au point ces objets intermédiaires et à gérer leur mise en circulation. Aussi, à moins de les avoir explicitement exclus du modèle d'analyse et d'opérer un important travail de sélection des informations livrées par nos interlocuteurs,

(21) La distinction entre objets intermédiai- formation ; elles sont aussi des entités matérielles res fixes et circulants n'a rien d'essentiel. Elle plus ou moins contraignantes à produire, à con- permet seulement d'appréhender l'étendue de la server et à utiliser. diversité des situations que nous cherchons à (23) Par exemple, la question de l'adéqua- saisir avec cette notion. tion du réel et de l'entendement (adequatio rei et

(22) Ces inscriptions ne sont pas que de Г in- intellectus).

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nos comptes rendus ne pouvaient pas les passer sous silence. L'attention que nous leur avons accordée dans l'enquête nous a, au contraire, conduit à souligner la richesse, l'importance et la multiplicité des interactions passant par eux. Ceux-ci sont apparus comme autant de supports, de vecteurs, de matérialisations ou de médiatisations des interactions entre acteurs. Leur liste est longue et variée. Leur distribution d'un réseau à l'autre est fortement contrastée.

Notre analyse a donc consisté, avant tout, en l'établissement d'un relevé, d'une identification et d'un comptage. Elle s'est poursuivie par la description des réseaux de circulation ou d'associations dessinés par ces intermédiaires. Elle s'est ensuite approfondie par l'examen attentif des objets et des pratiques qui les entourent.

À ce stade, nous ne pouvions faire abstraction des termes du débat portant sur la prise en compte des objets en sciences sociales. Entre autres, se posait la question de leur rôle. La question du traitement analytique qui leur est réservé en dépend. Nous avons choisi de laisser ouverte cette question et de rendre possibles des traitements théoriques différents et croisés : supports arbitraires d'un jeu social qu'il s'agit de qualifier, causes matérielles déterminantes de ce jeu dont on cherche alors à saisir les effets, constructions sociales dont on qualifie le jeu en amont, matérialisation de règles et de conventions, significations durcies ou, enfin, médiateurs socialement actifs dans un jeu sociotechni- que.

Un cas de réseau scientifique

Dans cette deuxième partie, à partir d'un cas extrait de l'enquête, nous resituerons la place des objets et tenterons d'en évaluer l'importance. Nous nous interrogerons sur leur possible réduction à des constructions sociales. Nous suggérerons de les traiter, au contraire, comme des médiateurs affectant les modalités de coordination.

Le réseau que nous choisissons de décrire relève du sous-programme génie biomédical. Il a pour finalité la mise au point d'une nouvelle thérapie anticancéreuse. Il se structure autour d'un réacteur nucléaire situé à Petten aux Pays- Bas. Le compte rendu s'efforce d'ordonner dans un récit la diversité des éléments qui composent ce réseau. Parmi ceux-ci, figurent divers objets intermédiaires dont il s'agit de saisir précisément la place et le rôle dans l'action.

Les 120 réseaux étudiés dans l'enquête ne sont pas tous similaires à celui-ci. Aussi, nous proposons, tout d'abord, de le resituer parmi cinq types de réseaux.

Un réseau parmi d'autres

L'objectif, au départ de la commande de cette enquête, était de savoir ce qu'étaient ces réseaux impulsés par le programme européen et ce qu'ils avaient produit, afin de pouvoir évaluer l'action du programme. L'idée, a priori, était

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qu'un réseau est une sorte de forum qui rassemble des chercheurs qui échangent des idées et des résultats. Ils devaient être évalués par le nombre de publications dans les revues scientifiques internationales.

L'enquête a, au contraire, montré combien les réseaux de coopération scientifique sont très différents non seulement de cette représentation a priori mais aussi entre eux. Il n'y a pas de modèle unique pour les réseaux coopératifs. Aussi, pour démontrer notre conclusion selon laquelle ces réseaux correspondent à des réalisations profondément contrastées, nous avons construit une typologie. L'entrée par les objets et résultats intermédiaires fut particulièrement révélatrice en ce sens. Elle révèle la nature des liens et les activités de ses membres. Associés les uns aux autres (type d'objet, diversité, espace de circulation), ils dessinent des configurations spécifiques. Nous en avons distingué cinq.

Dans les réseaux de type « forum», les équipes ne sont impliquées que dans des activités classiques : colloques et rencontres entre chercheurs. Parfois des échanges ponctuels de personnes, de publications ou d'échantillons complètent les échanges oraux. Ces réseaux organisent l'échange des idées et la constitution d'une communauté d'intérêt. Ils conduisent à l'émergence de coopérations bilatérales et à la structuration d'une problématique collective. Les objets intermédiaires les plus significatifs sont ici de type textuel (invitations, programmes, actes de colloques). Ils ne font pas l'objet d'investissements lourds au niveau de leur préparation et de leur formatage.

Un deuxième type de réseau correspond à la création d'un espace d'échange rendu possible grâce à la constitution d'une infrastructure sociotechnique. Au-delà du simple échange d'idées, il s'agit d'échanger et de rendre comparables des résultats. Les rencontres entre chercheurs et les visites sont alors démultipliées en sous-groupes thématiques, centrées sur l'obtention de consensus qui prennent souvent la forme d'un protocole, d'une terminologie ou d'un standard technique. Généralement, cet effort d'harmonisation s'appuie sur des échanges de matériels : création d'un groupe d'équipements communs ; production de fantômes pour tester les appareils ; spécification, fabrication et distribution de matériels de référence; formatage et gestion de la circulation de nombreux échantillons, etc. Ce second groupe de réseau correspond à une phase avancée dans la dynamique générale des réseaux : l'harmonisation des points de vue et des pratiques. Ce type de réseau n'est toutefois pas orienté vers la réalisation d'un objectif identifié; il produit une infrastructure permettant la réalisation d'échanges scientifiques divers, facilités par l'existence d'un nouvel espace langagier et instrumental commun.

Le troisième type de réseau, au contraire, est orienté vers la production de résultats scientifiques communs. Il est centré sur le rassemblement des données, à travers la mise en œuvre d'un protocole, la préparation, le formatage et la mise en circulation de représentations textuelles des phénomènes étudiés : questionnaires, protocoles de traitements et résultats obtenus. Le réseau est polarisé autour d'un émetteur des demandes d'information et récepteur des données à agréger et à analyser (évaluation de traitements ou d'instruments médicaux,

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surveillance épidémiologique). Il a la forme d'une étoile avec une forte différenciation de rôle entre les concepteurs du projet - bénéficiaires des résultats - et le réseau des collecteurs de données.

Dans les réseaux du quatrième groupe, les pratiques de recherche sont harmonisées comme dans le deuxième groupe ; elles donnent lieu à des échanges systématiques de matériels et d'échantillons du phénomène étudié. À la différence du second groupe, cependant, le réseau est polarisé autour d'un intermédiaire fixe (une facilité centralisée ou un laboratoire de référence) qui conditionne le déroulement des échanges. Il suppose de lourds investissements logistiques et techniques pour analyser et faire circuler les échantillons : structure de collecte et de traitement d'échantillons, production et distribution de réactifs de référence. Ce réseau présente une forte différenciation de rôle entre les gestionnaires de la facilité centralisée et ses utilisateurs.

Le cinquième groupe a la structure d'un projet de type industriel. Le réseau est orienté vers la réalisation d'un objectif clairement identifié. Le travail y est réparti entre des équipes spécialisées et des sous-comités thématiques chargés du pilotage de la réalisation de résultats intermédiaires. Il est divisé en phases dans le temps, lesquelles sont liées entre elles de façon séquentielle et/ou parallèle. Le réseau y prend la forme d'une organisation relativement complexe. Il conduit à une réalisation identifiable : un nouveau traitement médical ou un instrument. Le réseau Boron Neutron Capture Therapy (Bnct) présenté ci-dessous entre dans cette catégorie.

Une dynamique collective précède la rencontre avec V objet

Avant que le réseau ne se structure et ne se polarise autour de l'intermédiaire fixe que constitue le réacteur nucléaire, on observe qu'il s'agit tout d'abord d'un réseau relativement lâche et informel. Depuis les années 50 et 60, des chercheurs de diverses disciplines, américains et européens, exploraient la possibilité d'une nouvelle thérapie anticancéreuse exploitant la capture des neutrons par des composés boroniques (Bnct) (24). Après l'échec des essais américains (25), la technique est délaissée dans les années 70 puis connaît un regain d'intérêt auprès des chercheurs et cliniciens au début des années 80. Dans différents pays, des chercheurs se penchent alors sur cette voie prometteuse, notamment au Japon, au Royaume-Uni, en République fédérale d'Allemagne et en Suisse. Progressivement, ces chercheurs, encore peu nombreux, apprennent à se connaître et forment le premier embryon d'un réseau informel. Ils échangent des idées à l'occasion de colloques scientifiques et, occasionnellement, se rendent visite pour des séjours de durée variable (jusqu'à 6 mois). La coopération scientifique

(24) Cette thérapie consiste à bombarder, par posé boronique. des faisceaux de neutrons, des cellules cancéreu- (25) Les résultats n'étaient pas à la hauteur ses auxquelles ont a, au préalable, fixé un com- des espérances.

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s'arrête toutefois là. Spontanée et informelle, il n'y a pas de coordination de la recherche proprement dite. Le réseau social est lâche. Le lien dépend des interactions de visu et des échanges d'information entre chercheurs.

Cette activité d'échange entre chercheurs peut très bien être analysée avec la notion de réseau social. Nous allons voir, cependant, qu'à partir du moment où les échanges se formalisent, elle devient insuffisante pour saisir et rendre compte de la dynamique du projet qui émerge et des activités scientifiques qui se développent dans le réseau. Nous mobiliserons alors les notions complémentaires de règles, d'organisation et de conventions. Celles-ci ne sont toutefois pas encore suffisantes. Le problème est de comprendre l'activité scientifique coordonnée et l'action des réseaux coopératifs. Or, celles-ci passent par la manipulation d'innombrables objets, textes, instruments (26), etc. Ces objets ne se réduisent pas à de simples dépôts ou cristallisations de conventions passées parce que, régulièrement, ils échappent à cette réduction et introduisent dans l'action des contraintes et des orientations qui ne s'expliquent pas par le seul jeu des acteurs sociaux et/ou de leurs intentions.

Objet structurant et restructuré

À la même époque, le Joint Research Center (Jrc) de Petten, qui dépend de la Commission des Communautés Européennes, cherche des utilisations alternatives pour son réacteur nucléaire. Une équipe de biologistes et cliniciens-chercheurs britanniques, au courant de cette situation ainsi que de l'appel d'offre du programme européen sur la santé (Mhr4), mobilise alors les équipes européennes du réseau informel pour élaborer, ensemble, une proposition : définition d'objectifs communs, présentation d'une vision partagée de l'état de l'art et de la problématique, définition des tâches. La proposition comprend plusieurs volets dont le plus important est lié à l'utilisation conjointe du réacteur de Petten afin de mettre au point, à terme, un nouveau traitement médical. La préparation d'une réponse à l'appel d'offre contribue ainsi à l'organisation des activités et des échanges.

Au fur et à mesure de la conception du projet, l'identité de chaque équipe est précisée (compétences, stratégies scientifiques et médicales, ressources mobilisées dans cette action) et les tâches sont réparties. Le réseau social informel se structure progressivement. Il se donne une forme organisationnelle composée d'un chef de projet, choisi collégialement, et d'un groupe de gestion du projet conformément aux prescriptions des gestionnaires du programme européen. Pour la répartition des tâches, la mobilisation d'équipes complémentaires et le découpage temporel, le nouveau réseau se définit par référence à la structure supposée d'un objet, le réacteur qui, à terme, sera au cœur de leurs relations. On ne peut parler de déterminisme technique dans la mesure où les chercheurs font

(26) Sur cette question des instruments (1996) sur le passage de l'anémométrie à fil scientifiques, lire l'étude de Lusin Bagla-Gôkalp chaud à l'anémométrie laser.

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des choix et négocient des compromis en fonction de leur projet commun et des intérêts de chacun, de la composition du réseau et de leur façon de se représenter le réacteur, ses possibilités et ses contraintes.

Voyons plus précisément quelles sont les modalités de cette structuration du réseau de coopération scientifique en référence à la structure supposée de l'instrument. Le réacteur de Petten est équipé, en périphérie, de plusieurs tubes par lesquels peuvent passer des faisceaux de neutrons issus de la réaction de fission nucléaire. Un de ces tubes (HB 1 1) est mis à la disposition du projet par les gestionnaires du réacteur. Toutefois, étant donné l'utilisation déjà intense des installations, surtout pour des tests de matériels destinés aux centrales nucléaires^ le tube HB 1 1 n'est accessible, pour la recherche médicale, que durant les mois d'été. Les équipes décident alors de coordonner leurs travaux de manière à les inscrire dans l'espace et dans le calendrier dicté par le fonctionnement et par la gestion de l'installation. Le réacteur et ses gestionnaires imposent ainsi un jeu de contraintes. Celles-ci sont déterminantes dans la mesure où elles ne sont pas remises en cause par les chercheurs. Ils partent d'elles pour structurer leurs activités.

La structuration du réseau, qui s'articule à celle de l'équipement, s'étend au-delà du seul usage de l'installation. Elle concerne également le faisceau de neutrons qui en sort. Il s'agit, pour les équipes de recherche, de créer un accord entre elles quant à la nature du faisceau. Celui-ci est alors à la fois saisi pour ce qu'il est, progressivement caractérisé mais aussi reconfiguré au cours des discussions entre chercheurs utilisateurs et spécialistes de ce genre de faisceau. Simultanément, les membres du réseau de coopération scientifique négocient et s'ajustent les uns aux autres, produisent leurs propres conventions scientifiques ainsi qu'un référentiel commun pour l'action. La question de la nature du faisceau est un vecteur de la mise en forme du réseau et de la reconfiguration de l'identité physique du faisceau.

Ainsi, le faisceau de neutrons qui entre dans le tube нв 1 1 contient, entre autres, différents types de particules (27). Pour la thérapie, seules certaines d'entre-elles sont utiles. Les autres sont néfastes. Aussi l'une des premières tâches organisées par les chercheurs consiste à concevoir un faisceau de neutrons qui leur convienne (28). Les faisceaux précédents n'étaient pas satisfaisants; les neutrons étaient arrêtés par le corps humain et n'atteignaient jamais les tumeurs. Face à cette résistance des corps à se soumettre au projet médical, les chercheurs décident d'abandonner les neutrons thermiques et tentent de dompter les faisceaux épithermiques (29). Le problème est alors de concevoir

(27) Des neutrons thermiques, des neutrons Auparavant, les chercheurs utilisaient des fais- épithermiques, des neutrons rapides et des pho- ceaux de neutrons thermiques dont l'énergie citons gamma. nétique est d'environ 0,025 eV.

(28) Celui-ci doit pouvoir pénétrer dans le (29) Ceux-ci sont nettement plus énergéti- corps, sans provoquer de dommages inutiles, et ques (entre 1 eV et 1 0 keV) et pénètrent mieux le interagir avec les composés boroniques que l'on corps humain. aura placés à l'endroit des tumeurs à détruire.

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et de produire un nouveau faisceau à la fois compatible avec le projet et avec chacun des éléments allant du réacteur jusqu'au corps humain.

Ici, l'objet intermédiaire (le faisceau) est négocié entre chercheurs ; il est redéfini. Il n'est ni une pure construction ou projection de l'esprit, ni un support neutre sur lequel se projette la société en devenir (le réseau scientifique), ni un leurre, parce que les particules (et leurs porte-parole) résistent à certaines redéfinitions; il est façonné par les acteurs en même temps que «fétichisé», c'est-à-dire saisi comme dépassant le social qui vient de le construire (Latour, 1996). L'objet-faisceau est hybride ; il ne résulte pas d'une simple addition de caractéristiques techniques d'un côté et sociales (rapports de force, identité des acteurs, etc.) de l'autre ; il est un nouvel être sociotechnique dont l'identité ne se réduit pas à un mélange.

Les chercheurs se répartissent le travail selon leurs compétences et selon la structure du dispositif d'irradiation; les physiciens se penchent sur le faisceau qui sort du réacteur, tandis que les cliniciens se centrent sur le faisceau qui pénètre les tissus biologiques. Or, le faisceau qui passe des uns aux autres n'a pas la même signification ; les premiers le définissent principalement par son énergie cinétique, ce dont les seconds n'ont rien à faire, particulièrement sensibles à la manière dont les neutrons interagissent avec les tissus biologiques. De deux définitions et classements des faisceaux, les équipes en viennent à négocier, définir et construire un nouveau faisceau neutronique, interdisciplinaire. L'intérêt mutuel des physiciens et des cliniciens s'en trouve renforcé. De leur propre point de vue, il devient enfin réellement possible de travailler ensemble. Le réseau social est ainsi redéfini autour du faisceau et au travers de sa reconfiguration. La causalité sociologique, ici, est circulaire (30) tant que le cercle n'est pas brisé par l'intervention d'autres entités résistantes ou actives mais non réductibles à ce que l'on peut en connaître et prédire, telle que cela peut se produire au cours des expériences.

Le lien interdisciplinaire est, ensuite, consolidé par la traduction du compromis précédent en un dispositif matériel : les filtres. D'un commun accord, les chercheurs des diverses disciplines définissent les caractéristiques des filtres chargés d'assurer la transformation du faisceau issu du réacteur afin qu'il se conforme à la définition convenue et puisse pénétrer dans les corps humains avec les effets escomptés. La nouvelle définition du faisceau et, derrière elle, la nature du réseau sont ainsi traduits en un dispositif matériel. Le filtre est une matérialisation du compromis, mais il n'est pas que cela ; il est aussi un nouvel agent qui échappe partiellement à la construction des acteurs et leur impose sa propre temporalité et son encombrement.

Les filtres devront être placés sur le tube нв 1 1 lors des expériences. Or, l'accès au tube est réduit à l'été. La conception et la production des filtres se voient alors inscrites dans un calendrier ; les filtres doivent être préparés pendant

(30) Les acteurs produisent du sens, de Tin- acteurs en tant qu'information, sens ou conven- formation et des conventions qu'ils inscrivent tion. dans la matière. Celle-ci intervient dans le jeu des

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l'année de manière à être « installables » le jour où l'équipement leur est réservé. Ainsi, le réseau se trouve partiellement structuré en fonction des contraintes d'utilisation de l'équipement et par sa gestion, non mises en cause par les chercheurs. Structurant et restructuré, l'objet est aussi révélateur de la dynamique du réseau : mobilisation d'acteurs hétérogènes, négociation et construction de compromis, redéfinition des compétences et des possibilités d'action de chacun et de chaque chose.

Avec le cas du Bnct, on mesure donc le rôle que peut jouer un objet intermédiaire fixe dans la constitution d'un réseau scientifique. Il montre à la fois que l'équipement et son adaptation ne forment qu'une partie du projet, en même temps que, par sa taille, les investissements qu'il réclame, les contraintes d'utilisation qu'il impose, il contribue à structurer fortement l'action : toutes les tâches doivent converger et les spécialistes des différentes disciplines se rencontrer à dates fixes pour les expérimentations qui scandent les avancées du projet. En outre, la place des équipes, leurs rôles et leurs interactions sont en grande partie inscrits dans l'installation elle-même. De là, un espace d'action se trouve préstructuré. À partir de lui et avec lui, interactivement, se déploie le jeu des acteurs.

Dans ce cas, l'action collective est polarisée autour d'un équipement lourd. Cette observation rejoint les analyses déjà effectuées en physique à propos du rôle des grands équipements dans l'organisation d'une discipline scientifique ou d'un programme de recherche (Irvin, Martin, 1983). De tels équipements lourds auraient deux types d'effets complémentaires : une polarisation des équipes pour la conception, la construction voire le fonctionnement de cet équipement ; une action forte sur les orientations thématiques et les pratiques des équipes utilisatrices. De tels effets s'observent également dans les autres réseaux étudiés dans cette enquête malgré la taille largement inférieure des investissements consentis. Nous avons ainsi observé le même type de polarisation autour des bases de données et des centres de calcul qui leur sont associés. Dans le cas du Bnct, l'équipement est physiquement lourd : un réacteur nucléaire, ses filtres et ses salles d'irradiation. Dans le cas des grandes bases de données, on pourrait parler d'« immatériel lourd» (31).

Cette polarisation du réseau autour d'un élément central n'advient pas du jour au lendemain. Elle ne s'explique pas non plus du seul fait de l'existence de l'équipement lourd. Au contraire, la polarisation se constitue progressivement par un double mouvement de convergence des équipes vers l'un des points du réseau et d'orientation de leurs pratiques à partir de ce point focal. Au départ, on observe une série de contacts informels et de liens faibles. Le réseau est

(31) Les registres des épidémiologues sont sur pied des registres sur les malformations con- de ce type. Un registre est une base de données génitales, la mort évitable, l'hépatite virale, le sensée être alimentée régulièrement au fur et à Sida, etc. Ils constituent le point focal d'un rémesure de l'apparition de certains événements, seau ; les flux d'intermédiaires convergent vers par exemple, chaque fois qu'une naissance sur- eux ou partent d'eux, vient. Plusieurs actions concertées mettent ainsi

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d'abord hétérogène. Il se transforme ensuite progressivement. Il se formalise et se structure autour d'un point central : un équipement ou un laboratoire. Au fur et à mesure qu'il converge, ses membres sont mis en relation, s'alignent et s'ajustent les uns par rapport aux autres.

Le flux d'intermédiaires participe à la construction d'un système d'ordre

Au-delà de l'installation existante et de son faisceau neutronique, les chercheurs veulent construire une installation pour l'irradiation des patients. Ici également, la localisation de l'équipement, sa disponibilité temporelle et la nature de son produit (le faisceau refaçonné par le réseau) conduisent les équipes à coordonner de façon très précise les différentes tâches à accomplir, à les répartir entre les laboratoires et à les inscrire dans un calendrier rigoureux. Le mode de coordination de ce réseau de chercheurs ressemble alors plus à la réalisation d'un ouvrage industriel complexe qu'aux ajustements entre pairs au sein d'une communauté académique. Partant du réacteur et y revenant régulièrement pour ses expériences, le réseau scientifique, aussi étendu et diversifié qu'il soit, reste fondamentalement articulé et orienté par cet imposant objet intermédiaire. Il rassemble périodiquement tout le projet, les équipes et divers objets qu'elles manipulent. La dynamique de la conception de ces objets, leur nature et leur circulation sont constitutives du réseau coopératif et des résultats qu'il obtient.

Le projet, c'est-à-dire la mise au point d'un nouveau traitement médical utilisant un réacteur nucléaire, associe des chercheurs de plusieurs disciplines. En suivant le faisceau neutronique, nous avons déjà croisé quelques physiciens et plusieurs équipes de biologistes. Mais pour atteindre l'objectif final, les chercheurs estiment devoir disposer de corps humains préparés de façon adéquate : la « boronisation ». Cette tâche les amène à mobiliser des cliniciens dans des hôpitaux. Ceux-ci sont chargés de déterminer les doses à faire absorber aux patients et d'étudier la répartition des composés boroniques dans le corps. Ils doivent aussi participer, avec les physiciens, aux simulations des effets probables des traitements. Les physiciens sont définis comme producteurs d'informations sur les régions irradiées ; les cliniciens comme porte-parole autorisés des concentrations en boron dans les corps humains. Les deux types d'informateur et d'information sont confrontés pour produire une évaluation de l'impact du traitement sur les cibles et les dommages environnants.

Toutefois, à ce stade, le patient humain, objet de travail pour les cliniciens et destinataire supposé des bénéfices justifiant tout le projet, est un maillon manquant. Il n'est que partiellement construit en clinique. Il n'est pas au point et ne peut d'ailleurs pas l'être, pour des raisons éthiques, sans que le comportement d'autres entités ne soit connu et discipliné au préalable. Il est hors de question de faire voyager des patients pour les emmener dans les installations nucléaires de Petten et les soumettre aux premières expériences. En attendant, un objet intermédiaire, porte-parole et substitut d'être humain, est convention- nellement défini. Le réseau fait donc circuler, tout d'abord, des fantômes.

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Ceux-ci sont en plastique et comprennent des équivalents des tissus biologiques. Ils sont dotés de détecteurs qui permettent de mesurer l'irradiation. Leur fabrication respecte des normes internationales (Commission internationale en radiobiologie). Le fantôme a plus ou moins la dimension d'une tête humaine; il est facile à transporter. Il y en a ainsi trois à quatre pour les premières expérimentations rapides. Bien qu'ils soient facilement fabriqués, une équipe s'est chargée de les produire pour les autres. Ils doivent, en effet, être prêts sans retard car, une fois l'installation disponible, il faut procéder rapidement aux expériences d'irradiation. Ils doivent également être comparables; ici, les animateurs du réseau choisissent de centraliser leur production plutôt que de se lancer dans un long travail d'harmonisation des pratiques de production des fantômes dans plusieurs équipes. La modalité de fabrication des fantômes est donc, simultanément, une modalité de la construction et de la répartition des compétences dans le réseau ; dans l'un et l'autre cas, les effets de réseau ne sont pas les mêmes.

La mobilisation de spécialistes divers et l'articulation de leurs tâches respectives ne s'arrête pas là. Entre les fantômes et les patients, les chercheurs vont faire passer des animaux dans l'installation. À nouveau se pose pour eux le problème de la comparaison et de la coordination des résultats. L'idéal serait d'utiliser un même type d'animal pour toutes les équipes. Le chien serait cet animal standard qui suivrait les fantômes. Quelque vingt à trente chiens sont donc achetés dont plusieurs passent par le réacteur de Petten. Leur sélection, gestion, circulation, traitement et analyse permettent à la fois d'affiner la description du réseau et de qualifier la fiabilité du nouveau traitement médical. Dans notre analyse, les chiens sont des objets intermédiaires dont le suivi révèle de nouveaux acteurs (ceux qui opèrent sur le marché des animaux de laboratoires) et contribue à une meilleure qualification du réseau (stratégie de passage vers les essais sur le corps humain).

De même, les membres du réseau entendent mobiliser et faire circuler des patients dans les installations annexes du réacteur. Toutefois, si l'envoi de fantômes ou de chiens ne pose guère de problème, il en est tout autrement avec les patients. Plusieurs difficultés surgissent : le financement du voyage, la couverture par une assurance et l'accompagnement humain. Du point de vue des chercheurs, il est impensable de laisser circuler les patients seuls. Ils doivent être pris en charge (32).

Dernier objet intermédiaire révélateur de ce montage complexe, les composés boronés. Plusieurs équipes les utilisent afin de produire les informations nécessaires à la préparation des expériences de Petten. Afin d'assurer une coordination optimale, une équipe est chargée de la distribution des composés. Elle achète les produits et les distribue aux autres. En procédant de la sorte, le réseau

(32) Un cas paradigmatique est régulière- sans être accompagnés par un psychologue et par ment raconté pour conforter cette représentation : un traducteur. Il s'agit de s'assurer qu'ils ne les chercheurs imaginent ainsi mal que des pa- soient pas plus endommagés par le voyage que tients italiens puissent être envoyés aux Pays-Bas soignés par l'irradiation.

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s'adresse à un seul fournisseur et standardise dans le même mouvement les produits pour assurer la comparabilité des résultats. Ce faisant, le réseau ne produit pas seulement des résultats scientifiques et un nouveau traitement médical; il participe également à l'organisation d'une production industrielle et à l'émergence d'un nouveau marché (création d'une nouvelle demande et impulsion donnée à l'offre).

Ainsi, parce que les producteurs de composés boroniques sont peu nombreux dans le monde et qu'ils ont des critères de pureté différents pour des prix très élevés, les chercheurs sollicitent et convainquent un industriel européen de se lancer dans cette production. Le réseau définit le cahier des charges et s'engage à passer commande d'une quantité donnée. L'industriel, de son côté, entreprend de contacter ď autres clients potentiels (le réseau est à ce moment-là le seul client pour ce produit) en arguant du réseau scientifique européen et des résultats probables des recherches en cours. Si les résultats obtenus sont favorables au développement de ce type de thérapie, les quantités de composés boroniques nécessaires pour le traitement des patients seront importantes (jusqu'à 15 000 patients par an). Ainsi, à partir de l'installation centrale, ce n'est pas seulement un réseau de recherche qui se constitue mais déjà une préfiguration du réseau des hôpitaux et du marché des composés boroniques qui se dessine.

La structuration de l'espace coopératif est ainsi liée à un ensemble d'objets. Qu'il s'agisse d'un équipement lourd autour duquel gravite un réseau ou du flux composé par les multiples intermédiaires circulants, souvent en même temps et en des sens divers, la coopération scientifique est largement portée, constituée et révélée par ces objets. Ils forment un tissu de relations. Ils contribuent à structurer le réseau en créant de multiples différences, par exemple, entre émetteur et récepteur, entre ceux qui sont reliés par l'objet et ceux qui ne le sont pas, etc. Ils charrient des choix effectués par d'autres, en particulier les conventions cristallisées dans des objets comme les filtres et le faisceau neutronique. Ils rendent possible les actions des uns et des autres. Ils absorbent l'essentiel de l'énergie et du temps qu'y consacrent les acteurs. Alors qu'au niveau du discours et des documents officiels il est d'abord question de finalités, de problèmes à résoudre, de stratégies de recherche et de méthodes à adopter, l'action effective des chercheurs est plutôt constituée de négociations et de travail manuel : préparation, conditionnement et expédition des filtres, des fantômes, des chiens et des patients ; rédaction et mise en forme des protocoles cliniques ; fabrication de réactifs de référence et calibrage des instruments; saisie de données et transmission sur supports ad hoc, etc.

Tous ces éléments s'accordent alors dans un flux qui anime la coopération scientifique. Les chercheurs eux-mêmes ont rarement conscience qu'à travers eux, ils construisent un système d'ordre sans lequel ni le collectif social ni les contenus scientifiques ne pourraient garder leur consistance. Les modes de pensée sont ainsi largement sous-jacents : ils sont portés par le flux des actions avec les objets. Par leurs activités avec les objets intermédiaires, les chercheurs construisent la base d'un collectif dont la forme et la complexité varient selon le système d'ordre instauré par et à travers la circulation des objets.

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Dans ce réseau, l'intermédiaire fixe intervient largement au niveau de la structuration du projet en tâches distinctes et complémentaires et au séquençage de l'action. Dans d'autres réseaux, combiné à des intermédiaires mobiles qu'il met en circulation ou qu'il draine, il oriente les pratiques des uns et des autres. Au lieu d'être un instrument, par exemple, il peut s'agir d'un laboratoire central, c'est-à-dire un dispositif composé d'un ensemble d'appareils, de connaissances et de compétences accumulées et incorporées dans des chercheurs, dans des procédures, dans une organisation et dans des publications. Si aucune pièce du dispositif n'est originale, leur combinaison en fait parfois une entité singulière qui fonctionne comme un point de passage obligé et un médiateur entre les membres du réseau. Dans ce type de situation, l'intermédiaire fixe joue plusieurs rôles au sein du réseau : il rend un service ; il focalise les thématiques de recherche et harmonise les pratiques; il permet l'accumulation d'un savoir spécifique (en apportant leur matériel, les utilisateurs alimentent ce prestataire qui, par ce biais, renforce ses connaissances et sa compétence). Ainsi, la facilité de recherche est, tout d'abord, un instrument au service des équipes qui leur permet de réaliser plus facilement et plus sûrement une étape de leur projet de recherche. Le service offert ne se limite pas à une prestation technique ; il est aussi d'ordre méthodologique et scientifique. Accompagnant la réflexion de ses partenaires, il tend à devenir un point de passage privilégié. On pourrait alors être tenté de penser qu'il suffit de prendre en compte cette activité sociale et cognitive pour rendre compte de la dynamique observée. Or, force est de constater que l'offre tient aussi largement aux compétences incorporées, à l'accumulation physique et locale de savoirs, aux instruments et au pilotage de leurs évolutions ainsi qu'à l'action sur les matériaux biologiques (procédures, tours de main, produits de référence...). La dynamique d'accompagnement et d'orientation de l'action des membres du réseau n'apparaîtrait probablement pas aussi nettement que lorsque sont pris en compte les objets et les actions qui leur correspondent.

L'intermédiaire fixe est un point focal de la coordination; il participe à l'orientation des équipes et à l'harmonisation de leurs pratiques en jouant sur ses conditions d'accès. Il agit aussi via les multiples intermédiaires circulant entre les différents points du réseau. Parfois, la conception de ces intermédiaires est pilotée en fonction d'une finalité spécifique : obtenir des membres du réseau un comportement déterminé. Dans d'autres cas, il est conçu et mis en circulation dans l'espoir d'induire de nouvelles actions sans que l'on puisse préjuger desquelles. Il en est ainsi d'objets supposés pouvoir constituer de nouveaux instruments de travail pour les chercheurs ou des supports informatiques de collecte de données conçus de manière à ce que le collecteur découvre l'intérêt d'initier de lui-même d'autres recherches. En agissant ainsi sur les objets sur lesquels travaillent les chercheurs, une transformation des thématiques de recherche sur leur domaine est impulsée. Contrairement au cas Bnct, il ne s'agit pas de produire un nouveau résultat identifiable a priori mais d'organiser une communauté scientifique libre de choisir les questions qu'elle se pose et de définir ses propres finalités. Ainsi, aux configurations d'objets intermédiaires fixes et circulants correspondent des dynamiques collectives fortement contras-

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tées. Celles-ci sont révélées et s'expliquent partiellement par la nature et la circulation des objets, que les effets observés aient été voulus ou non par les acteurs.

La coordination au-delà des objets intermédiaires

L'entrée par les objets intermédiaires présente le réseau coopératif sous la forme d'un ensemble complexe d'acteurs humains liés les uns aux autres par une multiplicité d'objets intermédiaires fixes comme le réacteur nucléaire ou mobiles comme les fantômes, les chiens et les patients (33). Pour atteindre leurs objectifs, les membres du réseau Bnct doivent coordonner l'installation, le faisceau, les filtres, les composés boroniques, les fantômes, les corps humains boronés et les équipes de chercheurs qui y sont liés. Au fur et à mesure que le réseau de recherche se consolide, un protocole clinique, un réseau de recherche (34), un réseau de soins et un nouveau marché se mettent en place.

Les acteurs consacrent beaucoup d'attention et de temps à la conception, à la préparation et à la mise en forme de ces objets afin de les discipliner et d'éviter que leur comportement ne soit trop imprévisible. Il s'agit de les réduire à de simples moyens. Ils font donc l'objet d'investissements lourds et de concertations. Ils cristallisent sur eux tout un processus collectif. Malgré cela, tout au long du projet, les acteurs doivent se réajuster, refaire des choix et constater que les résultats ne produisent pas exactement les effets escomptés. En fait, il n'y a peut-être rien de plus important dans les réseaux de coopération scientifique que tous ces bricolages et négociations avec et autour d'objets intermédiaires colossaux ou modestes.

L'action du réseau ne se réduit toutefois pas à ces activités proches avec les objets intermédiaires. Elle tient également à la structure organisationnelle et aux procédures convenues entre les acteurs. La forme du réseau est ainsi liée aux contraintes de Г installation, au flux des intermédiaires circulants et aux objectifs poursuivis (la mise au point d'un traitement médical). Toutefois, le suivi des objets intermédiaires ne suffit pas pour saisir la dynamique d'ensemble. Il faut y ajouter l'organisation des rencontres entre chercheurs : les équipes travaillent en parallèle (35) et se réunissent par groupes afin d'atteindre un consensus sur chaque point. Pour éviter les défauts de coordination liés aux découpages

(33) Dans cette situation, les patients, tout L'équipement doit permettre de tester des médi- humains qu'ils soient, sont traités par les acteurs caments et divers protocoles (essais cliniques) du projet comme des objets fragiles. Dans Г ana- pour le traitement de patients cancéreux atteints lyse du réseau, ils peuvent être considérés, en d'un gliome. Les chercheurs qui ont appris à première analyse, comme des «objets intermé- travailler ensemble entendent poursuivre leur diaires » qui lient les chercheurs entre eux. collaboration sur d'autres projets associés au pré-

(34) Le protocole est conçu de manière telle cèdent. qu'une comparaison des résultats soit possible (35) Quatre pour la conception, deux pour la d'un traitement à l'autre et d'un patient à l'autre. métrologie et trois pour les tests.

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disciplinaires préexistants et à la division des tâches, des recouvrements entre groupes, entre disciplines et entre tâches sont assurés (36). Les chercheurs ont ainsi superposé un dispositif complexe de recherche de consensus à la seule répartition et coordination des tâches.

À ce niveau, cependant, on retrouve la présence d'objets modestes mais, néanmoins, investis par les acteurs. Ainsi, avec les rencontres entre chercheurs, les échanges de papiers sont les opérateurs de mise en cohérence et de coordination les plus répandus. Ils participent à la construction des réseaux autant qu'ils en manifestent l'existence. De tels objets intermédiaires modestes et classiques (rapport d'activité, télécopie, échantillon, etc.) (37) ont parfois un rôle significatif dans la structuration et dans la dynamique des réseaux. Ils font parfois l'objet d'investissements, de négociations et de formatages importants (38). Leur mise en circulation impose une organisation logistique qui occupe presque toujours une place centrale dans l'activité coopérative. Cette organisation matérielle est investie par les acteurs parce qu'elle crée les conditions de possibilité d'un travail scientifique coopératif; elle joue sur la visibilité et les performances du réseau. L'entrée par les objets souligne ces modestes dimensions traditionnelles de l'échange et de la collaboration.

Nos interlocuteurs ont également insisté sur l'importance de supports comme le téléphone et la télécopie. Pour eux, il n'y aurait pas de réseau de coopération scientifique sans ces outils. Supports majeurs de la coordination, leur nature est supposée influencer la dynamique du réseau ; écrit/oral, immédiat/différé, textuel/graphique, envoi unique/diffusion collective... sont autant de différences avancées pour rendre compte de la consistance et de la nature des échanges. D'eux dépendent partiellement diverses propriétés du réseau comme la crédibilité, la fiabilité, la visibilité et la cohésion. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu'il s'agit d'irréversibiliser les interactions afin de pouvoir les reconstituer en cas de doute et de pouvoir montrer les strates successives d'inscriptions en cas de contestation des résultats. La circulation des différents documents dans le réseau contribue à le révéler : qui sont les acteurs, ce qu'ils font.

(36) Notamment par la multi-appartenance présents et divers. Ils stabilisent le réseau et l'ir- de certains membres et par la constitution d'une réversibilisent en capitalisant les acquis. Ils cir- base de données bibliographiques interdiscipli- culent à l'intérieur et à l'extérieur des réseaux. Ils naire commune. sont à la fois des intermédiaires entre les équipes

(37) Avec les papiers, les chercheurs échan- et des résultats intermédiaires : actes de séminai- gent des représentations, des traductions «litté- res, rapports d'état d'avancement. Ils reflètent les raires» des problèmes et des phénomènes réunions et colloques qui scandent la vie des étudiés. Mais les chercheurs échangent égale- réseaux et marquent généralement des tournants ment des témoins physiques : échantillons, maté- dans le travail : lancement du projet, approbation riels de référence, équipements, fantômes, du protocole, validation des résultats. Ils tradui- animaux et même patients. sent les brassages de discours entre les acteurs.

(38) Les textes, par exemple, sont à la fois

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Pour une problématique générale de la médiation

Les objets intermédiaires sont, au minimum, révélateurs de liens entre acteurs, d'activités qui les accompagnent, de conventions dont ils sont les véhicules, etc. Ainsi conceptualisés, ils sont des indices utiles pour l'enquêteur intéressé par l'étude de la société, du lien ou de l'échange, des logiques d'action, des conventions ou des rapports de force. La question se pose cependant de savoir s'il ne convient pas de leur attribuer plus d'activité sociale ou d'«agen- tivité» (39).

À l'opposé d'une conception en termes de construction sociale ou de simple indicateur, ces objets peuvent être saisis de manière déterministe : leur causalité intrinsèque serait alors à l'origine d'un effet social identifiable, par exemple, la polarisation des réseaux quand il y a un équipement lourd. L'enquête n'a pu confirmer une telle analyse : tout d'abord, parce qu'elle montre combien ces objets sont investis et façonnés par les acteurs ; ensuite, parce que chaque objet est repris dans des dynamiques d'action qui sont partiellement constitutives des propriétés de l'objet ; parce que les réactions de l'objet sont chaque fois relatives aux actions d'entités humaines et autres avec lesquelles il entre en relation.

L'enquête montre toutefois que ces objets sont associés à des situations particulières dont ils semblent être partie prenante. Ils contribuent à polariser le réseau, à orienter et à harmoniser les pratiques et les problématiques de ses membres, à mettre en cohérence et en cohésion des acteurs sociaux. Ils sont liés à des dynamiques temporelles spécifiques des actions concertées. Ils sont coextensifs à l'action humaine. Le projet de cette enquête n'étant pas d'établir leur poids causal dans la dynamique des réseaux, il n'est donc pas question ici de construire la hiérarchie des éléments de l'analyse. De même, si ces objets ont une place et un poids variables d'un réseau à l'autre, il ne s'agit pas ici d'en mesurer l'importance relative. En particulier, si notre propos a consisté à montrer leur présence et la nécessité de les prendre en compte pour expertiser des réseaux, il n'est pas d'en supposer la supériorité causale. Nous suggérons, par contre, qu'ils puissent être saisis à partir de la question de la médiation.

Les objets intermédiaires sont liés à la temporalité du réseau

Les objets intermédiaires marquent le passage d'une étape à une autre et, ainsi, la scansion de la vie du réseau. Ils signalent l'apparition d'une terminologie commune, puis d'un protocole de collecte de données et des formulaires correspondants, suivi d'un logiciel de saisie de données, de formulaires com-

(39) Nous proposons, à défaut de mieux, lègues anglo-saxons utilisent le terme au- d'utiliser le terme ď « agentivité » là où nos col- jourd'hui consacré d'« agency ».

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piétés puis d'une base de données, pour en arriver à des résultats bruts et à une publication scientifique.

En tant que résultats intermédiaires, ils manifestent souvent un changement d'état du réseau. Ainsi, avant la définition d'un protocole, seul un petit nombre d'équipes était en mesure de comparer ses résultats; une fois celui-ci écrit, validé et diffusé, le réseau peut changer de taille et s'adresser à une série de partenaires auparavant exclus parce qu'ils n'avaient pas la même manière d'aborder le problème. Chaque résultat produit un avant et un après. Il est à la fois un point d'aboutissement qui traduit l'accord des équipes et le matérialise (dans un produit, un protocole, un équipement ou un article). Ce faisant, il ponctualise le réseau antérieur et son action ; il est le porte-parole, le représentant des équipes qui ont participé à sa construction. Il est un nouveau point de départ : il offre des perspectives tout en limitant les possibilités d'action.

Des objets intermédiaires fortement investis parce qu 'ils ne sont pas des supports arbitraires de l'action

Les objets physiques sont une des composantes de la dynamique coopérative. Ils participent à la constitution des interactions locales et de la dynamique collective. Des réseaux qui ne seraient que de purs forums, c'est-à-dire des rencontres entre chercheurs sans circulation de texte ni d'objet, n'existent pas dans le cadre du programme étudié. Au minimum, circulent des programmes, des projets de protocoles ou des présentations de problèmes à débattre. Au moment des rencontres, d'autres échanges (d'échantillons, par exemple) renforcent les liens. Par et à travers les objets intermédiaires les acteurs entrent en interaction. Ces objets sont si présents qu'ils semblent indissociablement liés à l'action et à ses détails ; ils cadrent, supportent et orientent l'action (40). Ils lui sont coextensifs.

Dès que l'on s'écarte des situations de relatif face-à-face entre les chercheurs, l'omniprésence des objets est encore plus manifeste. S'il s'agit d'un échange de quelques échantillons entre deux laboratoires destinés à consolider une relation de confiance naissante ou à comparer les pratiques et savoir-faire de deux équipes, on observe, outre les échantillons, un intense travail de préparation et de mobilisation d'objets divers, y compris pour le formatage, l'emballage, l'étiquetage et l'expédition desdits échantillons. Ce travail, technique et social, conduit à la construction de nouveaux arrangements souvent supposés nécessaires au vu des obstacles inattendus rencontrés (41). Ainsi, innombrables, modes-

(40) Cette omniprésence des objets réduit la tations diffèrent d'un pays à l'autre. Les cher- complexité sociale en limitant la prolifération des cheurs développent alors des voies alternatives : interactions simultanées de tous avec tous, ren- arrangement avec des transporteurs privés, dant possible des interactions locales cadrées échange de matériel lors des réunions. Parfois, les (Latour, 1994). Kaufmann (1997) montre qu'ils formalités sont dommageables et les efforts de supportent la mémoire des sujets et étend le Soi. coordination s'en trouvent ruinés tel ce cas où des

(41) Ainsi, les postiers allemands ne veulent échantillons biologiques sont restés bloqués à la plus transporter les virus du Sida ; les réglemen- douane pendant plusieurs jours.

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tes et dérisoires sont les objets intermédiaires qui absorbent cependant l'essentiel des efforts des chercheurs. Il est fécond de s'en saisir pour pister le travail des acteurs. Ces objets, souvent hybrides et associés à d'autres objets, textes ou humains (42), ne se réduisent jamais à de simples matériaux physiques, ni à d'arbitraires construits sociaux.

Les objets intermédiaires sont des résultats intermédiaires. Ils résultent d'une construction marquée par des négociations entre acteurs et avec la matière. En eux se cristallisent des choix et des compromis risquant, avec la matière mobilisée et formatée, d'être durcis et d'irréversibiliser le déroulement de l'action. Aussi, le choix de ces objets et les investissements de forme dont ils font l'objet manifestent qu'ils ne sont pas des supports arbitraires vis-à-vis des intentions des acteurs et des rapports de forces en présence.

Modes d 'intermédiation et agentivité de l'objet

Ces objets sont si investis par les acteurs que nous faisons l'hypothèse qu'ils ne sont ni les supports arbitraires de l'action ou du jeu social, ni les simples et fidèles véhicules de ce qui leur est imputé. Si les acteurs s'acharnent tant à les discipliner c'est, justement, parce qu'ils risquent toujours de leur échapper et d'introduire dans l'action quelque chose qui n'était pas souhaité.

Nous faisons donc l'hypothèse que ces objets intermédiaires sont médiateurs (Hennion, Latour, 1993) (43), c'est-à-dire qu'ils peuvent ajouter ou retirer quelque chose à l'action et en modifier le cours. Une telle hypothèse est couramment admise lorsqu'il s'agit des êtres humains. Elle est largement moins répandue et plus difficile à admettre quand il s'agit de simples dispositifs physiques. Admettre qu'ils puissent affecter le cours de l'action revient à leur reconnaître un statut de co-acteur. L'action étant enchâssée dans d'autres actions qui la précèdent, la suivent et l'encadrent, la liberté et l'autonomie fondamentale postulée ici sont liées à l'interaction. Ceci signifie qu'il n'y a normalement ni déterminisme technique puisque les choses sont construites à travers des chaînes d'interactions associant de multiples médiations, ni constructivisme social puisque les médiateurs ont une épaisseur contingente à l'interaction.

(42) II en est ainsi pour cet échange de tu- d'objet intermédiaire* commissionnaire »(Vinck, meur cancéreuse entre deux équipes : régulière- Jeantet, 1995), à savoir celui qui véhiculerait ment, un chercheur prend le train pour conduire l'intention qui a présidé à sa conception sans y chez son partenaire une cage contenant une souris apporter la moindre transformation. Il serait un sur laquelle une tumeur cancéreuse a été greffée pur vecteur ou support, neutre par rapport au cours ainsi que les dossiers contenant les informations de l'action. Cette réduction au statut de commis- médicales du patient dont est extrait la tumeur. La sionnaire correspond au discours de ceux qui voient seule analyse de la préparation, de la réalisation dans les objets intermédiaires des instruments neu- et de la réception de cet échange révèle la nature très et fidèles. Ceux-ci ne feraient que ce qui leur du lien (référence commune, convention et est demandé, leur fonction du point de vue de déontologie, intérêts et stratégies de recherche, l'ingénieur ou le rapport de force qu'ils véhiculent confiance. . . ) entre ces deux équipes. du point de vue du sociologue constructiviste.

(43) À médiateur, nous opposons la notion

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Trois composantes contribuent à qualifier cette médiation : l'intentionnalité, le cadrage et l'usage. Nous supposons ici un schéma simplifié de Г intermédiation dans lequel un être conçoit, produit et émet un intermédiaire, celui-ci lie son concepteur à son utilisateur, lequel en use.

1 - Avec la composante de l'intentionnalité, il s'agit de qualifier Г intermédiation en fonction de la présence ou non d'une intention par rapport à une caractéristique donnée de l'intermédiaire. Celui-ci peut avoir été voulu d'une manière particulière. Généralement, plusieurs intentions se croisent et interagissent tout au long de sa conception.

Les objets intermédiaires qui relient les équipes, bien que voulus, charrient souvent des caractéristiques implicites non raisonnées par les acteurs. Ainsi, des façons de faire et des spécifications sont reprises conformément à des traditions locales, prises comme évidence de la nature ou du bon sens, et activement intégrées à l'objet sans avoir été pensées volontairement. De la même manière, les objets intermédiaires charrient des choix hérités du passé du simple fait que ses concepteurs ont repris un format préexistant. Ces formats, eux-mêmes sédimentés sous la forme d'objets, donnent au cours d'actions des caractéristiques qui échappent aux acteurs du seul fait qu'ils n'ont pas cherché à les problématiser. Recherchant la simplicité et l'économie, les acteurs humains se laissent porter et guider par les formats, gestes et manières de faire sédimentés dans les objets, le corps et le discours. Le contrôle par la raison, en principe sans limite, est alors infime comparé aux processus sélectifs agissant implicitement. Ce mécanisme de sédimentation et de transmission via les formats rend compte en partie des relatives stabilités observées dans l'action.

2 - Avec la composante du cadrage, il s'agit de qualifier Г intermédiation en fonction de la prévisibilité ou non de l'action de l'intermédiaire. Non cadré, l'intermédiaire peut être complètement imprévisible ; il est alors actif. S'il sort du cadre prévu, on reconnaîtra son agentivité. Cadré, s'il se comporte comme attendu, il devient simple vecteur, commissionnaire.

Avec les dispositifs intermédiaires fixes, nous trouvons des pôles d'articulation des réseaux. Ils sont souvent liés à une polarisation de l'organisation des projets. Ils ont normalement pour objectif d'offrir aux chercheurs un moyen de travail. Le cadre est défini en termes de moyens mis à disposition des usagers, au service des finalités définies par eux et en respect de leurs propres stratégies. Or, force est de constater que la mise en œuvre de tels dispositifs intermédiaires conduit à des effets de structurations et d'orientation des projets et des pratiques. Ces effets, souvent, sont imprévus. Il en est de même des liens créés entre les chercheurs via la mise en circulation d'intermédiaires de toutes sortes. Ces liens étaient conçus de façon opportune en fonction d'un résultat spécifique à atteindre. Or, à nouveau, force est de constater qu'il se produit autre chose dans les réseaux : des intermédiaires induisent des effets parfois démesurés (44).

(44) Ainsi, dans une action concertée portant nées comprenant un logiciel permettant de faire sur l'analyse des certificats de décès, le seul fait une première analyse locale a fait découvrir aux d'avoir diffusé des disquettes de saisies des don- encodeurs l'intérêt de la question. Ils ont alors

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3 - Avec la composante de l'usage, il s'agit de qualifier Г intermédiation en fonction de la prévisibilité de l'action de l'utilisateur. Ouverte, Г intermédiation rend possibles divers usages ; fermée, le comportement de l'usager est contraint et prévisible. Faisant l'hypothèse que l'usager apporte toujours un déplacement du seul fait de son usage, il s'agit alors de le suivre dans son action, laquelle donne une partie de son sens, dans le cours d'action, à l'objet intermédiaire.

* * *

La prise en compte des objets intermédiaires dans l'analyse des dynamiques sociales et de la coopération entre acteurs a montré sa fécondité. Elle permet de repérer d'autres liens et d'autres acteurs que ceux qui sont mentionnés spontanément par nos interlocuteurs. Elle révèle ainsi une bonne partie de la constitution et de la forme du réseau. En outre, elle conduit à la découverte de processus à l'œuvre tels les investissements opérés par les acteurs pour consolider leurs relations et leur action. Les détails de la conception et de la mise en circulation de ces objets sont supposés affecter les dynamiques collectives. Malgré cela, les objets intermédiaires véhiculent plus que ce que les acteurs y inscrivent ; ils induisent des actions qui n'étaient pas anticipées. Leur circulation aboutit à déplacer ou à homogénéiser la production des savoirs. Ils participent à la structuration des réseaux et leur donnent stabilité et consistance. L'étude des réseaux scientifiques montre que la coordination ne se réduit ni aux normes communes aux acteurs (répartition du travail, appropriation des résultats, pouvoir de représenter le réseau), ni aux règles organisationnelles. Elle passe par le travail de conception d'intermédiaires et par leur mise en circulation.

Ces intermédiaires ne se réduisent ni à des symboles ni à des instruments neutres. Ils sont aussi des médiateurs qui déplacent l'intention de ceux qui les ont conçus et émis ; ils produisent des effets non recherchés et sortent souvent du cadre qui devait rendre leurs effets prévisibles. Ils ne sont pas non plus déterminants dans la mesure où une grande part des actions auxquelles ils donnent lieu dépend de ce que les utilisateurs en font. S'ils contribuent à l'épaisseur du jeu social et de la cognition collective, aucune relation directe entre leur présence et leurs effets n'est évidente. Les ajustements à tous les niveaux rendent mieux compte des formes et des dynamiques que les tendances structurantes observées. Finalement, l'étude de leur rôle nous conduit à les penser en tant que médiateur dont l'agentivité doit être saisie à partir des dynamiques interactives, faites de multiples objets et acteurs humains, d'actions qui s'enchevêtrent et de sédiments charriés par les corps, les objets et le langage.

Cette perspective devrait permettre de renouveler l'appréhension de situations bien au-delà du seul champ des pratiques scientifiques. Avec Durkheim

(suite de la note 44) suscité des projets de recherche complémentaires motivation à participer à l'action commune en fut échappant au seul cadre de Faction concertée. La d'autant renforcée.

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s'était ouverte une longue tradition d'analyse sociologique refusant de s'attacher aux dispositifs physiques et de croire aux forces qui émaneraient d'eux. Lorsqu'il aborda la question des totems, il refusa de la traiter à la manière des indigènes, c'est-à-dire de leur reconnaître un pouvoir sur la société. L'explication sociologique supposait de se référer à des mécanismes sociaux, sans avoir à se rapporter aux causalités d'ordre physiques, biologiques et psychologiques. Le caractère artéfactuel du totem n'était pas essentiel; il n'était qu'un leurre, une façon pour la société d'oublier l'origine sociale de sa croyance au pouvoir transcendant du totem. Le détour par l'objet physique était sans effet spécifique (45). De nombreux chercheurs en sciences sociales choisissent ainsi de laisser de côté les entités physiques qu'ils croisent cependant sur le terrain (46).

Paradoxalement, on retrouve cette absence des objets en sociologie des techniques (47). S'il y est bien question des relations entre une technique et un espace social, les dispositifs concrets (telles les modifications locales des objets) sont absents. De façon encore plus surprenante, cette absence des objets est présente aussi dans les écrits en sciences pour l'ingénieur. La technique s'y trouve soit réduite à des principes, des lois, des mécanismes, des structures, soit rapportée exclusivement à une entité physique décontextualisée. De même, dans l'approche qualifiée de « déterminisme technique », la technique est réduite à sa logique intrinsèque. Ses médiateurs sont soit absents soit complètement assujettis à une logique technique autonome (48).

Entre absence des objets et déterminisme technique, une autre posture s'est voulue plus réaliste et médiane. Elle a distingué deux registres de détermination : technique et société (49). Les premières rendent compte des caractéristiques techniques structurelles et fonctionnelles. Les secondes seraient spécifiques aux conventions sociales, aux effets de sens, à l'identité et au pouvoir. Chaque registre correspond à une région ontologique spécifique étu-

(45) Ainsi, certains auteurs (Balle, 1977 ; Alter, que, une métaphysique de l'homme moderne et 1985 ; Pavé, 1989) ne voient dans l'informatisa- la matérialisation d'un rêve. Pour une présentation qu'une occasion de transformer les relations tion de la sociologie des techniques, voir Bijker sociales. L'ordinateur, dont on croit naïvement (1995), Edwards (1995), Flichy (1995), Vinck qu'il a un impact sur la société, n'est qu'un féti- (1995). che masquant les véritables mécanismes sociaux. (48) L'approche du « déterminisme techni-

(46) Par exemple, Pierre-Michel Menger que » consiste à faire valoir que tout ou partie des (1986), analysant l'écoute des concerts de musi- phénomènes sociaux est à rapporter à l'état du que contemporaine, explore avec beaucoup de système technique, celui-ci n'étant régi par rien précision les médiations institutionnelles, la com- d'autre que par lui-même. Dans cette perspective, position sociale de l'auditoire et la formation de une logique de développement technique endo- Г oreille au cours de la trajectoire sociale des gène, échappant donc à toute influence sociale, individus. Toutefois, il n'y a, dans son analyse, ni tendrait à expliquer seule l'évolution du système salle de concert, ni fauteuil, ni instrument de des objets et ses effets (Ellul, 1977). Il n'y aurait musique, ni musique et l'oreille musicale dont il alors plus d'analyse sociologique que dans la parle n'a d'épaisseur que sociale. seule qualification des effets sociaux dus à la

(47) Alain Gras (1992), par exemple, analyse technique. la techno-science comme l'aboutissement du (49) Voir la notion de «grand partage» mouvement philosophique qu'entraîne la techni- (Latour, 1994).

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diée par des disciplines distinctes (50). Plus subtil fut de ce point de vue l'apport de la sociologie du travail française à ses débuts lorsqu'elle scrute l'intrication des facteurs techniques et sociaux en passant par l'analyse des objets techniques eux-mêmes (51). De même, les approches constructivistes et interactionnistes ont profondément contribué à la mise en évidence des multiples médiations sociales constitutives de l'action technique (52). Elles ont conduit à la prise en compte des interactions avec les objets puis à la reconnaissance de leur présence, de leur opacité et de leur rôle actif au sein des dynamiques sociales.

La perspective adoptée dans ce texte pour l'analyse des réseaux de coopération scientifique permet de dépasser le clivage entre déterminisme technique et constructivisme social. Elle rend compte de la constitution d'entités collectives.

Dominique VINCK

Cristo - Université Pierre Mendès-France - Cnrs Domaine universitaire, BP 47, 38040 Grenoble Cedex

(50) On retrouve le même clivage en ethnologie avec la distinction entre « style » et « fonction» à propos d'objets tels que la poterie (Latour, Lemonnier, 1994).

(51) Georges Friedmann (1961) et Pierre Naville (1961) ont enquêté sur le terrain industriel à une époque où des techniques nouvelles (mécanisation et automatisation), physiquement manifestes, sont installées massivement dans les entreprises. Ils montrent que leur introduction conduit à des effets sociaux désastreux. Toutefois, un examen attentif, passant par l'analyse des objets eux-mêmes, les conduit à mettre en cause l'idée de déterminisme technique et à montrer les possibilités de régulation sociale. Leur analyse consiste à saisir le phénomène dans son ensemble. La technique est caractérisée à grands traits : schéma d'organisation du travail qu'elle implique, définition des postes et des tâches, cadence. . . Elle est aussi traitée comme une donnée (on n'imagine pas d'en ouvrir la boîte noire). Ainsi, l'analyse

que, loin d'avoir simplement laissé de côté les objets, les prend, par période, effectivement en compte. À d'autres moments, cependant, elle s'en désintéresse. Ainsi, après qu'il ait été démontré qu'une intervention de la société était possible entre la machine et ses effets, l'attention s'est portée sur les régulations et sur les politiques sociales. Les objets ont alors, à nouveau, été négligés.

(52) Influencée par les approches constructivistes, la sociologie ne saisit plus la technique comme une boîte noire dont on analyse les effets mais comme une construction sociale symbolique (Baudrillard, 1968) ou matérielle (Noble, 1984) dont il est possible de rendre compte à partir des mécanismes sociaux. Avec l'introduction de l'informatique, les controverses entre déterminisme technique et constructivisme social ont été réactivées et renouvelées. L'analyse inter- actionniste conduit, pour sa part, à s'interroger sur les pratiques des acteurs et leurs interactions avec l'objet.

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Dominique Vinck

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