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Violence Chaos Paix Slate
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Non, le monde n'est pas entrain de sombrer dans le chaosAndrew Mack et Steven Pinker Traduit par Peggy Sastre Monde 30.12.2014 - 7 h 30 mis à jour le 30.12.2014 à 7 h 36
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/ Monde
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Des colombes au-dessus d'Amman, en septembre 2013. REUTERS/Muhammad Hamed.
Oubliez ce que disent les journaux, nousn'avons jamais vécu de temps aussi paisibles.Pour appréhender cette réalité, il suffitd'utiliser la seule technique véritablementpertinente: compter.
C'est un bon moment pour être pessimiste. L’organisation État islamique, la Crimée,
Donetsk, Gaza, la Birmanie, le virus Ebola, les fusillades dans les écoles, les viols à
l'université, les sportifs qui frappent leur femme, les policiers tueurs –qui peut
résister au sentiment que «tout se disloque, le centre ne peut tenir»?
L'an dernier, lors d'une audience devant une commission du Sénat américain, Martin
Dempsey, chef d'état-major des armées des États-Unis, avait ainsi déclaré que le
monde n'avait «jamais été aussi dangereux qu'aujourd'hui». Cet automne, Michael
Ignatieff parlait des «plaques tectoniques d'un ordre mondial se disloquant sous la
pression volcanique de la violence et de la haine». Et il y a deux mois, l'éditorialiste
[1]
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Par Andrew MackSpécialiste de la sécuritéinternationaleSa bio, ses 1 articles
Par Steven PinkerProfesseur depsychologie à HarvardSa bio, ses 1 articles
du New York Times Roger Cohen exprimait sa désolation:
«La plupart des gens à qui je parle, et pas uniquement dans des dîners, n'ont
jamais été aussi préoccupés par l'état du monde. […] Les recherches sont
lancées pour trouver quelqu'un capable de dissiper de telles appréhensions et
d'incarner, à nouveau, les espérances du monde.»
Certes, les actualités récentes sont perturbantes, mais ces requiems méritent qu'on
les examine de plus près. Difficile de croire que nous courons aujourd'hui un plus
grand danger qu'au cours des deux guerres mondiales, de la Guerre Froide et de ses
périodiques menaces de confrontation nucléaire, des divers conflits en Afrique et en
Asie responsables à chaque fois de millions de morts, voire des huit années de
guerre entre l'Iran et l'Irak, pendant lesquelles les flux pétroliers passant par le
Golfe Persique et toute l'économie mondiale avaient été mis en péril.
Comment évaluer de manière beaucoup moins dramatique l'état du monde?
Certainement pas en se tournant vers la presse quotidienne. Les actualités parlent
de choses qui se produisent, pas de celles qui ne se produisent pas. On ne verra
jamais de journaliste tenir son micro et dire devant sa caméra «Nous voici en direct
d'un pays où une guerre n'a pas eu lieu» –ou d'une ville qui n'a pas été bombardée,
d'une école où personne ne s'est fait tirer dessus. Tant que la violence n'aura pas
disparu du monde, il y aura toujours suffisamment d'événements violents pour
remplir le journal télévisé. Et vu que l'esprit humain estime la probabilité d'un
événement en fonction de sa facilité à se remémorer des cas similaires, les lecteurs
de journaux auront toujours l'impression de vivre une époque dangereuse. D'autant
plus quand des milliards de smartphones transforment le cinquième de la
population mondiale en journalistes spécialisés en affaires criminelles ou en
correspondants de guerre .
Il ne faut pas non plus se laisser berner par l'aléatoire. Cohen déplore les
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«annexions, décapitations [et les] épidémies» qu'a connues l'année écoulée, mais il
est évident qu'une telle collection de fléaux ne relève que d'une coïncidence.
L'entropie, les pathogènes et la folie humaine sont un arrière-plan de la vie et il est
statistiquement certain que ces différents périls ne vont pas se répartir
uniformément au cours du temps, mais qu'ils vont, au contraire, se chevaucher plus
souvent qu'à leur tour. Voir une signification dans de tels conglomérats équivaut à
succomber à une pensée primitive, un monde fait de mauvais œil et de complots
cosmiques.
Pour finir, nous devons faire attention aux ordres de grandeur. Certains types de
violence, comme les fusillades ou les attentats terroristes, sont des drames
impressionnants, mais qui (hors des zones de conflit) tuent relativement peu de
gens.
Pour appréhender l'état du monde, compter demeure la seule technique
véritablement pertinente. Combien d'actes de violence se sont déroulés dans le
monde, comparé au nombre d'occasions de commettre de tels actes? Et ce chiffre va-
t-il en montant ou en descendant? Comme Bill Clinton aimait à le dire: «Suivez les
courbes, pas les gros titres». Nous allons voir que ces tendances statistiques sont
bien plus encourageantes que ne pourrait l'imaginer un drogué des médias.
A l'évidence, faire la somme des cadavres et confronter différents bilans humains en
différents lieux et à différentes époques pourrait sembler froid et insensible, comme
si on cherchait à minimiser les tragédies des victimes de temps et d'endroits moins
violents. Mais, en réalité, une perspective quantitative est la plus moralement
élevée. Elle considère chaque vie humaine comme possédant une valeur équivalente,
au lieu de privilégier les individus qui sont le plus proches de nous ou les plus
photogéniques. Et elle porte aussi l'espoir sous-jacent d'une identification des causes
de la violence, afin de pouvoir mettre en œuvre les mesures les plus adéquates pour
la diminuer. Examinons maintenant les principales catégories en présence.
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1. Homicides
Dans le monde, les homicides courants tuent entre
cinq et dix fois plus de personnes que les guerres. Et,
dans la plupart des pays, leurs chiffres sont en chute
libre.
Aux États-Unis, le grand déclin criminel des années
1990, qui a pu se ralentir au début du XXI siècle, a
repris son cours en 2006 et, malgré l'idée reçue
voulant que les difficultés économiques accroissent la
violence, la tendance s'est confirmée durant toute la
récession de 2008 et est toujours d'actualité.
La Grande-Bretagne, le Canada et la plupart des
autres pays industrialisés ont aussi vu leur nombre
d’homicides sombrer ces dix dernières années. Parmi
les 88 pays possédant des statistiques fiables, 67 ont
connu un déclin ces quinze dernières années. Même si
les chiffres mondiaux n'existent que depuis l'an 2000
et que, pour certains pays véritables déserts de
données, on a affaire à d'homériques déductions
logiques, la tendance planétaire semble aussi à la
baisse, avec 7,1 homicides pour 100.000 personnes
en 2003, contre 6,2 en 2012.
Bien sûr, cette moyenne générale camoufle de nombreuses régions où le taux
Les taux d'homicide aux Etats-Unis, en Angleterre etdans le monde.
e
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d'homicides est terrifiant, notamment en Amérique latine et en Afrique
subsaharienne. Mais même dans de telles zones rouges, les journaux ont tôt fait de
donner une image erronée de la situation. Par exemple, les sordides tueries liées au
trafic de drogue que connaissent certaines régions du Mexique peuvent donner
l'impression d'un pays tout entier plongé dans une anarchie hobbesienne. Mais les
statistiques la font mentir de deux façons.
L'évolution du taux d'homicide au Mexique.
La première, c'est que le pic du XXI siècle n'a pas annulé la réduction massive des
homicides qu'a connue le Mexique depuis 1940, une baisse comparable à celles
e
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2.
observées en Europe et aux États-Unis lors des siècles précédents. L'autre, c'est que
ce qui monte en vient souvent à redescendre. Ces deux dernières années, le taux
d'homicide mexicain a diminué (dont une baisse de quasiment 90% à Juárez entre
2010 et 2012), ce qui s'applique aussi à d'autres régions du monde tristement
célèbres pour leur dangerosité –c'est le cas de Bogotá (une baisse multipliée par cinq
en deux décennies) et de Medellín, en Colombie (moins 85% en deux décennies), São
Paolo (moins 70% en dix ans), les favelas de Rio de Janeiro (une réduction frôlant
les deux tiers en quatre ans), la Russie (moins 46% en six ans) et l'Afrique du Sud
(des chiffres divisés par deux entre 1995 et 2011). Pour beaucoup de criminologues,
une réduction de 50% de la violence mondiale d'ici trente ans est un objectif
atteignable pour les prochains Objectifs du millénaire pour le développement.
Violences envers les femmes
L'emballement de la presse pour des histoires de sportifs célèbres ayant agressé leur
femme ou leur petite amie et pour des viols survenus sur des campus universitaires
américain aura poussé plusieurs experts à faire croire à une flambée de violence
envers les femmes aux Etats-Unis. Mais les enquêtes de victimation du bureau
américain des statistiques judiciaires (qui permettent de contourner le problème du
sous-signalement à la police) montrent le contraire: les viols ou les agressions
sexuelles contre des partenaires intimes sont en baisse depuis des décennies, et leur
nombre équivaut désormais à moins du quart de ce qu'il pouvait être par le passé.
Ces crimes odieux sont encore trop fréquents, mais
nous devrions voir un motif d'encouragement dans le
fait que l'indignation croissante et générale que
suscite la violence contre les femmes ne relève pas
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d'un processus aussi moralisateur que futile, mais
engendre au contraire des progrès mesurables –et
que, dès lors, insister dans cette voie pourrait être
synonyme de progrès encore plus considérables.
Peu de pays possèdent des données similaires, mais
on peut envisager que des tendances comparables se
retrouvent à l'extérieur des États-Unis. Dans le
temps, la plupart des indicateurs mesurant les
violences interpersonnelles sont corrélés. Le déclin
mondial des homicides laisse donc entendre que la
violence non-létale à l'encontre des femmes pourrait,
elle aussi, diminuer selon une trajectoire parallèle, bien que de manière fortement
inégale selon les régions.
En 1993, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une Déclaration sur
l'élimination de la violence à l'égard des femmes et plusieurs enquêtes montrent que
la question des droits des femmes progresse dans le monde, même dans des pays aux
coutumes les plus obscurantistes. Plusieurs pays ont adopté des lois et mis en œuvre
des campagnes de sensibilisation visant à réduire les viols, les mariages forcés, les
mutilations génitales, les crimes d'honneur, la violence domestique et les atrocités
qui peuvent accompagner les guerres.
Si certaines de ces mesures demeurent inoffensives, et que l'efficacité des autres
reste à démontrer, il y a des raisons d'être optimiste sur le long terme. Des
mouvements d'indignation planétaires, même s'ils ont pu sembler au départ
parfaitement utopiques, ont déjà généré par le passé la diminution, si ce n'est la
disparition, de plusieurs odieuses pratiques, au rang desquelles l'esclavage, le duel,
la pêche à la baleine, le bandage des pieds, la piraterie, la guerre de course, la guerre
chimique, l'apartheid et les essais nucléaires atmosphériques.
L'évolution des faits de violence conjugale, de violet d'agression sexuelle aux Etats-Unis.
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3. Violences envers les enfants
L'évolution des faits de harcèlement scolaire, de violences physiques et d'abus sexuelsenvers les enfants aux Etats-Unis.
Concernant les enfants, on peut raconter une histoire similaire. A être remplis de
tueries en milieu scolaire, d'enlèvements, de harcèlement, de cyber-harcèlement, de
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4.
sexting, de viols commis pendant un rendez-vous amoureux, de maltraitances
physiques et d'abus sexuels, les médias nous donnent l'impression que les menaces
pesant sur les enfants n'ont jamais été aussi pernicieuses. Mais les données nous
disent le contraire: les enfants sont indubitablement plus en sécurité aujourd'hui
qu'ils ne l'étaient par le passé. Dans une étude de synthèse publiée cette année et
portant sur la violence envers les enfants aux États-Unis, le sociologue David
Finkelhor et ses collègues observaient que «sur les 50 courbes d'exposition
examinées ici, on note 27 baisses significatives et aucune hausse significative entre
2003 et 2011. Les baisses étant les plus considérables pour les agressions, le
harcèlement scolaire et les violences sexuelles».
Des tendances comparables s'observent dans d'autres pays industrialisés et des
déclarations internationales ont fait de la réduction de la violence envers les enfants
un sujet de préoccupation planétaire.
Démocratisation
En 1975, Daniel Patrick Moynihan déplorait que «la démocratie libérale, dans son
modèle américain, s'approche de plus en plus de ce qu'était la monarchie au XIX
siècle: une forme vestigiale de gouvernement, persistant ici ou là en des lieux
spécifiques ou isolés […] mais qui n'est simplement d'aucune pertinence pour
l'avenir». Moynihan était un sociologue et son pessimisme s'appuyait sur les chiffres
de son époque: un grand nombre de pays étaient devenus des dictatures
communistes, fascistes, militaires ou autocratiques. Mais son pessimisme allait
s'avérer prématuré et se voir démentir par une vague de démocratisation qui devait
débuter peu de temps après que l'encre de son oraison funèbre fut sèche.
Les pessimistes d'aujourd'hui, pour qui le futur
e
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5.
appartient au capitalisme autoritaire de pays comme
la Russie ou la Chine, ne peuvent se targuer de tels
calculs. Des données issues du rapport Polity IV,
mesurant le degré de démocratie et d'autocratie dans
le monde, prouvent que l'engouement pour la
démocratie s'est ralenti ces dernières années, sans
pour autant montrer le moindre signe de
rétropédalage.
La démocratie s'est révélée bien plus robuste que ne
l'imaginaient ses nécrologues. Aujourd'hui, la
majorité des pays du monde sont démocratiques,
constat qui ne se limite pas aux riches pays d'Europe,
d'Amérique du Nord et d'Asie occidentale. Des
gouvernements penchant davantage vers la
démocratie (dont l’indice Polity est de 6 ou plus, sur
échelle allant de -10 à 10) sont implantés (et ce même
si leurs fluctuations politiques ont de quoi porter sur
les nerfs) dans la grande majorité de l'Amérique
latine, dans le foisonnement multiethnique de l'Inde,
dans la Turquie musulmane, en Malaisie, en Indonésie et dans 14 pays d'Afrique
subsaharienne. Même les autocraties russe et chinoise, qui ne semblent pas vraiment
vouloir se libéraliser à court terme, sont incomparablement bien moins répressives
que ne l'étaient les régimes de Staline, Brejnev ou Mao.
Génocides et massacres decivils
Evolution du total des scores des paysdémocratiques et autocratiques.
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Les récentes atrocités perpétrées par l’organisation État islamique à l'encontre de
minorités non-musulmanes, parallèlement aux tueries toujours d'actualité en Syrie,
en Irak et Afrique centrale, noircissent le tableau d'un monde qui n'aurait rien appris
de l'Holocauste et où les génocides se poursuivraient en toute impunité. Mais même
le plus horrible des massacres contemporains doit être mis dans une perspective
historique, ne serait-ce que pour identifier et éliminer les forces à l’œuvre dans les
meurtres de masse.
Si la signification du terme génocide est trop ambiguë pour permettre une analyse
objective, tous les génocides relèvent d'une catégorie plus inclusive qu'est la
«violence unilatérale» ou le «massacre de civils non-combattants», une catégorie qui
a vu ses trajectoires temporelles analysées par un grand nombre d'historiens et de
chercheurs en sciences sociales. Les chiffres sont imprécis et souvent contestés, mais
reste que les tendances générales sont manifestes et cohérentes entre divers
ensembles de données.
A tous les niveaux, le monde n'aura jamais été aussi
génocidaire que lors du pic des années 1940, quand
les massacres commis par les nazis, les soviétiques et
les Japonais, associés aux tueries de civils perpétrées
par tous les belligérants de la Seconde Guerre
mondiale, faisaient frôler au taux annuel de mortalité
civile la barre des 350 pour 100.000. Jusqu'au début
des années 1960, Staline et Mao allaient faire osciller
ce taux mondial entre 75 et 150, des chiffres qui n'ont
cessé de décliner depuis, même si l'on note des pics
ponctuels pendant les conflits du Biafra (1966-1970,
200.000 morts), du Soudan (1983-2002, 1 million de
morts), de l'Afghanistan (1978-2002, 1 million de
morts), de l'Indonésie (1965-1966, 500.000 morts),Easily create high-quality PDFs from your web pages - get a business license!
de l'Angola (1975-2002, 1 million de morts), du
Rwanda (1994, 500.000 morts) et de la Bosnie (1992-
1995, 200.000 morts). (Toutes ces estimations
proviennent du Center for Systemic Peace).
Ces chiffres sont à garder en tête quand nous voyons
les atrocités commises actuellement en Irak (2003-
2014, 150.000 morts) et en Syrie (2011-2014, 150.000 morts) et que nous les
interprétons comme une résurgence des heures les plus sombres de notre histoire.
De même, les décapitations et les crucifixions perpétrées par l’organisation État
islamique n'ont rien d'historiquement inhabituel. La plupart des génocides après-
guerre se sont accompagnés d’épouvantables flambées tortionnaires et mutilatrices.
La seule différence, c'est qu'elles n'ont pas été diffusées sur les réseaux sociaux.
Heureusement, les courbes des génocides et autres meurtres de civils pointent
résolument vers le bas. Après une croissance régulière durant toute la Guerre Froide
et jusqu'en 1992, la proportion de pays commettant ou permettant des massacres de
civils a été en chute libre, exception faite d'un récent rebond que nous allons
examiner sans plus attendre.
Le nombre de civils tués dans de tels massacres a lui
aussi baissé. Des données fiables, issues du
Programme de collecte de données sur les conflits
d'Uppsala (UCDP), n'existent que pour les 25
dernières années, et cette période est tellement
dominée par le génocide rwandais qu'une courbe
anodine ressemblera à un bâton caché sous un tapis
fripé. Mais quand nous trifouillons le graphique à
l'aide d'une échelle logarithmique, nous voyons qu'en
2013, le taux de massacres de civils a baissé d'un cran
Evolution du taux de tueries de masse.
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6.
depuis le milieu des années 1990, et de deux crans
depuis le Rwanda.
Si comparer ces statistiques avec les données bien
moins précises des décennies antérieures demeure
une entreprise chancelante, les chiffres dont nous
disposons laissent entendre que les massacres de
civils ont reculé d'environ trois crans depuis la
décennie suivant la Seconde Guerre mondiale et de
quatre crans depuis la guerre. En d'autres termes, les
risques de génocide que courent les civils
d'aujourd'hui sont plusieurs milliers de fois
inférieurs à ceux que couraient leurs homologues d'il y a 70 ans.
Guerres
Les chercheurs qui pistent la guerre et la paix font la distinction entre les «conflits
armés», qui tuent a minima 25 soldats et civils par an, et les «guerres», qui en tuent
plus d'un millier. Ils distinguent aussi les conflits «interétatiques», où s'opposent les
forces armées d'au moins deux pays, des conflits «intraétatiques» ou «civils», qui
concernent un pays opposé à une force insurrectionnelle ou séparatiste, parfois avec
l'intervention armée d'un pays extérieur. (Les conflits où les forces armées d'un pays
ne sont pas directement impliquées, à l'instar des violences unilatérales perpétrées
par une milice à l'encontre de non-combattants et des violences entre milices, sont
comptabilisés séparément).
Dans ce qui relève d'une évolution historique sans aucun précédent, le nombre de
Evolution du taux de mortalité due aux génocides etaux tueries de masse.
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guerres interétatiques s'est effondré depuis 1945, et la catégorie la plus destructrice,
où la guerre oppose des grandes puissances ou des pays développés, a tout
simplement disparu. (La dernière étant la Guerre de Corée). De nos jours, le monde
assiste rarement à une grande bataille navale ou à un amas de blindés et autres
équipements d'artillerie lourde se pilonnant les uns les autres au travers d'un champ
de bataille. Dans le graphique ci-dessous (issu de l'UCDP), la courbe verte montre
combien les guerres d'envergure ont été dynamitées après-guerre.
La fin de la Guerre Froide a aussi vu une réduction
drastique des conflits armés de toutes sortes, y
compris les guerres civiles. La courbe bleue montre
combien les conflits récents n'ont pas inversé cette
tendance. En 2013, on dénombrait 33 conflits armés
de base étatique dans le monde, un nombre
correspondant parfaitement à l'ordre de grandeur de
ces douze dernières années (entre 31 et 38) et bien en
deçà du maximum de 52, situé peu après la fin de la
Guerre Froide. L'UCDP remarque aussi que 2013
aura vu la signature de six accords de paix, soit deux
de plus que l'année précédente.
Mais sur le graphique, la courbe rouge fait observer
une évolution récente bien moins anodine: le nombre
de guerres a bondi de quatre en 2010 –soit le total le
plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale– à sept en 2013. Ces guerres concernent
l'Afghanistan, la République Démocratique du Congo,
l'Irak, le Nigeria, le Pakistan, le Sud Soudan et la
Syrie.
Evolution du nombre de conflits armés, de guerreset de guerres interétatiques.
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Les données de 2014 ne seront pas disponibles avant l'an prochain, mais nous savons
d'ores et déjà que quatre nouvelles guerres ont éclaté ces douze derniers mois, ce qui
nous mène à un total de 11. La poussée de 2010 à 2014, la plus sévère depuis la fin de
la Guerre Froide, nous a menés au nombre de guerres le plus élevé depuis 2000. Le
taux mondial de morts au combat (disponible jusqu'en 2013) a aussi bondi depuis
son minimum de 2005, principalement à cause de la guerre civile syrienne.
Mais si la récente augmentation des guerres civiles et
des morts au combat est préoccupante, il faut là aussi
la mettre en perspective. Elle a annulé les progrès de
ces douze dernières années, mais les chiffres des
violences sont bien en deçà de ceux des années 1990
et n'ont absolument rien de comparable avec ceux des
années 1940, 1950, 1960, 1970 ou 1980.
La poussée de 2010-2014 peut aussi se circonscrire
d'une autre façon. Dans les sept des onze guerres qui
se sont déclarées sur la période, des groupes
islamistes radicaux font partie des belligérants: en
Afghanistan, au Pakistan, dans le conflit Israël/Gaza,
en Irak, au Nigeria, en Syrie et au Yémen. (De fait, si
on enlève les conflits islamistes, il n'y aurait eu
aucune augmentation des guerres ces dernières
années, avec seulement deux en 2013 et trois en
2014). Ce qui reflète une tendance bien plus générale.
En janvier 2014, le Pew Research Center rapportait
que le nombre de pays en proie à des taux élevés ou
très élevés d'«hostilités religieuses» avait augmenté
de plus de 40% (de 14 à 20) entre 2011 et 2012. Dans tous ces pays sauf deux (les
Taux de mortalité due à des conflits armés.
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pays listés ci-dessus et le Bangladesh, l’Égypte, l'Inde, l'Indonésie, le Kenya, le Liban,
les territoires palestiniens, la Russie, la Somalie, le Soudan et la Thaïlande), ces
hostilités étaient associées à des groupes islamistes extrémistes. En tendance, de tels
groupes gagnent le plus de terrain dans des pays où les gouvernements sont
discriminatoires, incompétents ou répressifs, ou dans des zones dénuées de tout
gouvernement, à l'instar de régions frontalières depuis longtemps anarchiques, et
des régions d'Irak et de Syrie qui le sont devenues aux lendemains de l'invasion
américaine et du Printemps arabe.
Parce que les groupes islamiques radicaux ont des objectifs maximalistes et rejettent
tout compromis, les principaux mécanismes à l’œuvre dans la baisse du nombre des
guerres observée lors des décennies précédentes –la négociation d'accords et les
programmes de maintien et de consolidation de la paix– ne vont probablement pas
contribuer à mettre fin à ces conflits. En outre, l'intensification de la violence est
leur objectif sur un plan international. L'arrivée de combattants étrangers et
l’approvisionnement croissant en armes font accroître le bilan humain et la durée
des combats. Pour toutes ces raisons, l'inversion rapide de cette récente poussée
n'est pas à prévoir.
Pour autant, on peut raisonnablement croire qu'elle ne s'étalera pas non plus sur un
avenir interminable, ni qu'elle dégénérera en guerre mondiale. Examinons les trois
conflits les plus préoccupants.
Irak et Syrie. L’organisation État islamique ne s'étendra pas en califat pan-
islamique, et ne va probablement pas survivre sur le long-terme. Son idéologie et sa
politique sont abhorrées dans quasiment tout le monde musulman; même al-Qaida a
excommunié ce mouvement du fait de son extrémisme. Dès lors, le groupe manque
du soutien populaire nécessaire pour mener les «guerres du peuple» qui ont pu être
victorieuses en Chine ou au Vietnam.
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En outre, l’organisation est dépourvue des capacités militaires conventionnelles
nécessaires pour renverser une capitale aussi lourdement défendue que Bagdad.
L'ampleur de ses forces blindées est minimale, comme l'est celle de son artillerie à
longue portée, de ses roquettes sophistiquées et de sa puissance aérienne, et ses
défenses aériennes sont des plus rudimentaires. Durant l'été 2014, la remarquable
percée des islamistes dans le nord de l'Irak n'a globalement été possible que parce
que de malheureux soldats irakiens, abandonnés par des officiers sans aucune
loyauté envers le régime chiite, ont choisi de baisser les armes.
Aujourd'hui, l’organisation État islamique est écartelée et sa fragilité ne cessera de
s'accentuer à mesure qu'elle cherchera à devenir un pays normal. Si, par rapport aux
normes en vigueur dans le terrorisme, le groupe est effectivement riche, son revenu
–estimé à 2 millions de dollars par jour– est bien insuffisant pour pallier aux
dépenses de fonctionnement et de gouvernement d'un État. Il est d'ores et déjà sous
le coup du même régime de sanctions que connaît al-Qaida et est isolé des
principaux centres marchands, industriels et commerciaux de la région. Et à mesure
qu'il voit baisser ses capacités d'extraction, de raffinage et de vente du pétrole, sa
source principale de revenus baisse elle aussi.
L'organisation ne possède aucun accès maritime, aucun soutien international
d'envergure et la plupart de ses voisins sont ses ennemis. Dernier point, et non des
moindres, les États-Unis et leurs alliés, aux côtés de l'armée irakienne, prévoient
pour le printemps une contre-offensive qui s'annonce encore plus implacable que
toutes les opérations militaires menées jusqu'ici contre elle.
Ukraine. La réabsorption de la Crimée dans la Russie par Vladimir Poutine, et son
soutien à peine déguisé apporté aux mouvements sécessionnistes ukrainiens, sont
des réalités préoccupantes, non seulement parce que les combats qui en ont résulté
ont tué plus de 4.000 personnes, mais aussi parce qu'elles défient la grande-
paternité des frontières régionales et le quasi-tabou posé sur la notion de conquête
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qui aura contribué au maintien de la paix mondiale depuis 1945.
Pour autant, les comparaisons avec le monde d'il y a un siècle –où le militarisme
romantique était omniprésent, les institutions internationales pratiquement
inexistantes et les dirigeants ignorants du coût d'un conflit dégénérant en guerre
entre grandes puissances– sont à l'évidence exagérées. Pour le moment, la Russie a
seulement fait passer des «petits bonshommes verts» à travers la frontière, pas des
divisions blindées, et même les plus va-t-en-guerre des faucons américains n'ont pas
envisagé de représailles militaires.
Parallèlement, la témérité de Poutine s'est révélée extrêmement coûteuse pour la
Russie. Les sévères sanctions européennes, concomitantes à la chute des cours
pétroliers, pousseront la Russie vers la récession en 2015. Le rouble voit sa valeur
dégringoler, les prix des denrées alimentaires bondissent et les banques russes ont
de plus en plus de mal à emprunter des capitaux étrangers. Autant d'éléments
laissant entendre que les tensions en Ukraine vont probablement plutôt se terminer
en eau de boudin, comme en Géorgie et en Moldavie avec la rognure de micro-états
séparatistes et pro-russes, que sur une redite de la Première Guerre mondiale.
Israël et la Palestine. Les récurrentes flambées de violence opposant Israël et
Palestiniens, y compris les incursions à Gaza qui, l'été dernier, ont tué 2.000
personnes, ont camouflé deux faits qui ne se font voir que dans une perspective
historique et quantitative.
Premièrement, le conflit israélo-palestinien était autrefois un conflit Israël/monde
arabe bien plus dangereux. En 25 ans, Israël aura combattu les armées égyptienne,
syrienne et jordanienne à cinq reprises, avec un bilan de plus de 100.000 morts au
combat et, en 1973, Israël et les États-Unis allaient connaître leur plus haut niveau
d'alerte nucléaire en réaction à de telles menaces. Ces 41 dernières années n'ont vu
aucune guerre comparable, et ni l’Égypte ni d'autres régimes arabes ne semblent
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avoir la moindre intention d'en déclencher une.
Le monde a beau être obsédé par le conflit israélo-palestinien, il n'a été responsable
que d'une toute petite proportion du coût humain total imputable à la guerre:
environ 22.000 morts en six décennies, ce qui le met à la 96 place des conflits
armés répertoriés par le Center for Systemic Peace depuis 1946 et à la 14 place des
conflits armés actuels. Les pires conflits se sont terminés, et parmi eux des conflits
impliquant Israël, et l’éventualité d'un règlement pacifique de ce conflit ne devrait
pas être rejetée dans les limbes de l'utopie.
* * *
Le monde ne court pas à sa perte. Les violences qui menacent la plupart des gens –
les homicides, les viols, les coups, les sévices infantiles– sont en déclin constant dans
presque tout le monde entier. L'autocratie laisse la place à la démocratie. Les
guerres opposant des États –de loin le type de conflit le plus ravageur– sont tout
simplement obsolètes. L'augmentation du nombre et de la mortalité des guerres
civiles depuis 2010 est circonscrite, bien chétive par rapport au déclin qui l'aura
précédée, et ne va probablement pas dégénérer.
La fin prochaine des temps nous a déjà été annoncée par le passé: une invasion
soviétique de l'Europe occidentale, un effet domino en Asie du sud-est, une
Allemagne réunifiée et revancharde, un soleil qui se relève au Japon, des villes mises
à feu et à sang par de super-prédateurs adolescents, une anarchie latente précipitant
les principaux États-nations vers leur ruine, sans oublier des attentats
hebdomadaires de l'ampleur de ceux du 11-Septembre et achevant la notion même de
civilisation.
Pourquoi le monde semble-t-il toujours plus dangereux qu'il ne l'a jamais été –et ce
même si un nombre toujours plus grand de vies humaines se déroulent en paix et se
e
e
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terminent à un âge canonique?
Concernant l'état du monde, une trop grande partie de nos impressions viennent
d'un récit journalistique fallacieux. Les journalistes ouvrent en grand leurs colonnes
aux salves de mitrailleuse, aux explosions et aux vidéos virales, sans mesurer la
représentativité réelle de tels événements et en ignorant visiblement qu'ils ont été
conçus, au départ, pour justement les leurrer. Vient ensuite l'habillage sonore des
«experts» qui ont tout intérêt à maximiser l'impression générale de chaos: les
généraux, les politiciens, les responsables des forces de l'ordre, les militants de la
morale. Les têtes parlantes des chaînes d'info font dans le remplissage télévisuel et
chassent désespérément les temps morts. Les éditorialistes des journaux disent à
leurs lecteurs quelles émotions ressentir.
Mais il existe un meilleur moyen de comprendre le monde. Les divers
commentateurs peuvent réviser leur histoire –et pas simplement en se ruant dans
un dictionnaire de citations pour trouver un bon mot de Clausewitz, mais en se
rappelant combien les événements du passé récent peuvent mettre ceux du présent
dans une perspective intelligible. Et, pour cela, des analyses de données
quantitatives sur la violence sont à leur disposition à portée de clic.
Une évaluation factuelle de l'état du monde pourrait être bénéfique à bien des
égards. Elle pourrait permettre de calibrer nos réactions nationales et
internationales aux dangers qui nous menacent en fonction de leur ampleur réelle.
Elle pourrait limiter le pouvoir d'influence des terroristes, des snipers d'écoles
primaires, des cinéastes de décapitations et autres imprésarios de la violence. Et elle
pourrait même dissiper les peurs et incarner, à nouveau, les espérances du monde.
1 — Référence au poème The Second Coming de W.B. Yeats (1919) – traduction «LaSeconde venue» par Yves Bonnefoy, in Anthologie bilingue de la poésie anglaise, LaPléiade, 2005. Retourner à l'articleAndrew Mack et Steven Pinker
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