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pratique | virologie OptionBio | Mardi 25 mars 2008 | n° 397 16 U ne des principales caractéristiques com- munes à l’ensemble des virus de l’herpès humain (Herpesviridae), est de persister à l’état latent dans l’organisme pendant des années, après la primo-infection (Figure 1). Ainsi, en dehors du diagnostic d’une primo- infection, qui, en règle générale, est établi par la sérologie et notamment les IgM spécifiques, il convient, si l’on veut rattacher une symptomato- logie clinique à un virus, de quantifier le génome viral (et non se contenter d’une détection quali- tative car il sera presque toujours présent). La charge virale (quantitative), réalisée aujourd’hui le plus souvent par PCR ( Polymerase Chain Reaction) en temps réel, est donc indispensable (tableau I). Épidémiologie Hormis le virus herpès humain 8 (HHV-8) dont la séroprévalence est très faible (1 %), les virus de l’herpès humain sont ubiquitaires : la séro- prévalence chez l’adulte jeune est supérieure à 95 % pour le virus varicelle-zona (VZV), le virus d’Epstein-Barr (EBV), le virus herpès humain 6 (HHV-6) et le virus herpès humain 7 (HHV-7) 1 ; elle est comprise entre 50 et 70 % pour le cyto- mégalovirus (CMV) et l’herpès simplex de type 1 (HSV-1) ; elle est de 10 à 20 % pour HSV-2. À propos du HSV HSV-1 est responsable de stomatites (herpès labial) ou d’herpès oculaire, chez l’enfant et l’adulte. Il est aussi de plus en plus souvent retrouvé dans l’herpès génital ou néonatal (où prédomine clas- siquement HSV-2) et est à l’origine d’encéphalite herpétique (primo-infection ou réactivation). Le diagnostic d’herpès labial (stomatite) est éta- bli par culture, en 24 à 48 heures ; celui d’her- pès génital atypique (ou d’herpès néonatal) par PCR. En cas d’encéphalite, une PCR du liquide céphalo-rachidien (LCR) est indispensable. La recherche d’une excrétion asymptomatique géni- tale avant l’accouchement est réalisée par PCR (avec culture). Enfin, pour déterminer le statut immunitaire, il convient de doser les IgG spécifi- ques d’HSV-1 ou HSV-2. Le traitement des formes graves est l’aciclovir. À propos du VZV La primo-infection à VZV entraîne la varicelle. Dans environ 15 % des cas, se produit une réac- tivation sous forme de zona. Le diagnostic est en général clinique ; le diagnostic biologique est le plus souvent sérologique (IgM, IgG). En cas de zona, il existe une remontée importante des IgG, parfois associée à la présence d’IgM 2 . Le VZV est un virus très fragile qui se développe mal en culture. La PCR est utilisée pour le diagnostic des formes cutanées atypiques et en cas d’atteintes oculaire, neurologique ou materno-fœtale. À propos du HHV-6 La primo-infection à HHV-6 se traduit par une roséole, également dénommée exanthème subit ou 6 e maladie infantile. Le virus persiste princi- palement dans les lymphocytes sanguins ; sa réactivation chez l’immunodéprimé est à l’origine d’encéphalite, pneumonie, rétinite. La sérologie n’étant pas définitivement optimisée, elle a sur- tout un intérêt épidémiologique. La quantification de l’ADN viral, surtout par PCR dans le plasma, permet le diagnostic étiologique d’une fièvre soit isolée, soit associée à une éruption, soit à une hépatite et permet également le suivi d’une infec- tion ou d’une réactivation virale chez les patients greffés. Dans le LCR, elle permet le diagnostic étiologique d’une méningite/encéphalite, en par- ticulier après transplantation de moelle. Il est à noter que la charge virale pourrait être élevée dans le sang, sans signe clinique associé. À propos d’HHV-8, le dernier des virus d’herpès HHV-8 ou KSHV (virus d’herpès associé au sar- come de Kaposi) est fréquemment transmis par voie sexuelle. Chez l’immunocompétent, la primo- infection est le plus souvent asymptomatique. Sa Après une primo-infection par un virus de l’herpès humain ou Herpesviridae, celui-ci persiste à l’état latent. À la faveur d’un état d’immunosuppression, il peut être réactivé. Mais le génome du virus est détectable et quantifiable à tout moment du cycle viral, par des outils de biologie moléculaire. p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p p pra © BSIP/Phototake/Freeman Virus herpès et biologie moléculaire Où rechercher les virus d’herpès (ou leur génome) ? Il convient de rechercher les virus (ou leur ADN) là où ils sont excrétés, le plus sou- vent dans les sécrétions orales ou génita- les, ou les tissus atteints, c’est-à-dire par ordre décroissant pour les virus HSV-1, HSV-2, VZV, EBV, CMV, HHV-6, HHV-7 et HHV-8 : – les sécrétions orales ; – les sécrétions génitales ; – l’urine ; – le lait. Tableau I. Diagnostics d’infection par les virus de l’herpès Diagnostic Critères De primo-infection IgM (IgG) +++ Culture (parfois) PCR (rarement) De réactivation PCR +++ Titrage des IgG Culture (parfois) Primo-infection Latence Réactivation/multiplication du virus (gémone viral/ADN ++++++) Signe clinique + ou - Figure 1. Cycle des virus de l’herpès. |

Virus herpès et biologie moléculaire

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pratique | virologie

OptionBio | Mardi 25 mars 2008 | n° 39716

Une des principales caractéristiques com-munes à l’ensemble des virus de l’herpès humain (Herpesviridae), est de persister à

l’état latent dans l’organisme pendant des années, après la primo-infection (Figure 1).Ainsi, en dehors du diagnostic d’une primo-infection, qui, en règle générale, est établi par la sérologie et notamment les IgM spécifiques, il convient, si l’on veut rattacher une symptomato-logie clinique à un virus, de quantifier le génome viral (et non se contenter d’une détection quali-tative car il sera presque toujours présent). La charge virale (quantitative), réalisée aujourd’hui le plus souvent par PCR (Polymerase Chain Reaction) en temps réel, est donc indispensable (tableau I).

ÉpidémiologieHormis le virus herpès humain 8 (HHV-8) dont la séroprévalence est très faible (1 %), les virus de l’herpès humain sont ubiquitaires : la séro-prévalence chez l’adulte jeune est supérieure à 95 % pour le virus varicelle-zona (VZV), le virus d’Epstein-Barr (EBV), le virus herpès humain 6 (HHV-6) et le virus herpès humain 7 (HHV-7)1 ; elle est comprise entre 50 et 70 % pour le cyto-mégalovirus (CMV) et l’herpès simplex de type 1 (HSV-1) ; elle est de 10 à 20 % pour HSV-2.

À propos du HSVHSV-1 est responsable de stomatites (herpès labial) ou d’herpès oculaire, chez l’enfant et l’adulte. Il est aussi de plus en plus souvent retrouvé dans l’herpès génital ou néonatal (où prédomine clas-siquement HSV-2) et est à l’origine d’encéphalite herpétique (primo-infection ou réactivation).

Le diagnostic d’herpès labial (stomatite) est éta-bli par culture, en 24 à 48 heures ; celui d’her-pès génital atypique (ou d’herpès néonatal) par PCR. En cas d’encéphalite, une PCR du liquide céphalo-rachidien (LCR) est indispensable. La recherche d’une excrétion asymptomatique géni-tale avant l’accouchement est réalisée par PCR (avec culture). Enfin, pour déterminer le statut immunitaire, il convient de doser les IgG spécifi-ques d’HSV-1 ou HSV-2. Le traitement des formes graves est l’aciclovir.

À propos du VZVLa primo-infection à VZV entraîne la varicelle. Dans environ 15 % des cas, se produit une réac-tivation sous forme de zona. Le diagnostic est en général clinique ; le diagnostic biologique est le plus souvent sérologique (IgM, IgG). En cas de zona, il existe une remontée importante des IgG, parfois associée à la présence d’IgM2. Le VZV est un virus très fragile qui se développe mal en culture. La PCR est utilisée pour le diagnostic des formes cutanées atypiques et en cas d’atteintes oculaire, neurologique ou materno-fœtale.

À propos du HHV-6La primo-infection à HHV-6 se traduit par une roséole, également dénommée exanthème subit ou 6e maladie infantile. Le virus persiste princi-palement dans les lymphocytes sanguins ; sa réactivation chez l’immunodéprimé est à l’origine d’encéphalite, pneumonie, rétinite. La sérologie n’étant pas définitivement optimisée, elle a sur-tout un intérêt épidémiologique. La quantification de l’ADN viral, surtout par PCR dans le plasma, permet le diagnostic étiologique d’une fièvre soit isolée, soit associée à une éruption, soit à une hépatite et permet également le suivi d’une infec-tion ou d’une réactivation virale chez les patients greffés. Dans le LCR, elle permet le diagnostic étiologique d’une méningite/encéphalite, en par-ticulier après transplantation de moelle. Il est à noter que la charge virale pourrait être élevée dans le sang, sans signe clinique associé.

À propos d’HHV-8, le dernier des virus d’herpèsHHV-8 ou KSHV (virus d’herpès associé au sar-come de Kaposi) est fréquemment transmis par voie sexuelle. Chez l’immunocompétent, la primo-infection est le plus souvent asymptomatique. Sa

Après une primo-infection par un virus de l’herpès humain ou Herpesviridae, celui-ci persiste à l’état latent. À la faveur d’un état d’immunosuppression, il peut être réactivé. Mais le génome du virus est détectable et quantifiable à tout moment du cycle viral, par des outils de biologie moléculaire.

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© BSIP/Phototake/Freeman

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Où rechercher les virus d’herpès (ou leur génome) ?

Il convient de rechercher les virus (ou leur

ADN) là où ils sont excrétés, le plus sou-

vent dans les sécrétions orales ou génita-

les, ou les tissus atteints, c’est-à-dire par

ordre décroissant pour les virus HSV-1,

HSV-2, VZV, EBV, CMV, HHV-6, HHV-7

et HHV-8 :

– les sécrétions orales ;

– les sécrétions génitales ;

– l’urine ;

– le lait.

Tableau I. Diagnostics d’infection

par les virus de l’herpès

Diagnostic Critères

De primo-infectionIgM (IgG) +++ Culture (parfois) PCR (rarement)

De réactivationPCR +++ Titrage des IgG Culture (parfois)

Primo-infection Latence Réactivation/multiplication du virus(gémone viral/ADN ++++++)

Signe clinique + ou -

Figure 1. Cycle des virus de l’herpès.|

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réactivation chez l’immunodéprimé (sida, trans-planté) est à l’origine du sarcome de Kaposi.En transplantation, un dépistage des séroposi-tifs est réalisé par immunofluorescence ou Elisa, chez le donneur d’organe (s’il est positif, il pourra infecter un receveur séronégatif) et chez le rece-veur (s’il est positif, il présente un risque de réac-tivation du virus et de développer un sarcome de Kaposi). Une PCR quantitative est généralement réalisée pour confirmer le diagnostic sérologique et, chez le patient HIV+, dans le cas d’un sarcome de Kaposi, d’un lymphome des séreuses ou d’une maladie de Castleman.

Le virus d’Epstein-Barr (EBV)Comme les autres virus d’herpès, l’EBV suit dans l’organisme le schéma “primo-infection, persis-tance, réactivation”. Mais il a une propriété unique qui le différencie des autres : l’immorta-lisation ou la prolifération indéfinie des lympho-cytes B qu’il infecte.

Phase de primo-infectionLa primo-infection se traduit par une mononu-cléose infectieuse (MNI). Le virus a un tropisme particulier pour les lymphocytes B et les cellu-les épithéliales oropharyngées. Il s’y produit un cycle lytique avec réplication dans l’oropharynx et production de très nombreux virions dans la salive. Parallèlement, un cycle latent apparaît rapidement : à partir de l’oropharynx, le virus va infecter les lymphocytes B des amygdales.

Phase de persistance/latenceLors de la phase de persistance/latence, quel-ques lymphocytes B des tissus lymphoïdes et du sang périphérique gardent le génome EBV et

expriment de rares protéines du cycle de latence. Dans les lymphocytes B, l’EBV reste bloqué à un certain stade, sans cycle lytique complet.Chez l’immunocompétent, il existe périodique-ment une réactivation de la production de virions dans les cellules de l’oropharynx avec une petite excrétion virale, sans signe clinique, et une réacti-vation de la lymphoprolifération B avec réplication du génome viral latent. Ainsi, des charges virales importantes sont détectées par PCR.Chez l’immunodéprimé transplanté, la réacti-vation d’un EBV latent conduit à un lymphome post-transplantation (PTLD), une lymphoprolifé-ration B non enrayée par les lymphocytes T, avec une augmentation souvent très importante de la quantité de virions dans l’oropharynx.

Détection d’EBVEn pratique, le génome viral EBV est présent chez tous les séropositifs EBV et est souvent détecta-ble dans les lymphocytes B périphériques et les tissus lymphoïdes.La première conséquence est qu’il est nécessaire de quantifier le génome (et pas seulement de le détecter qualitativement) ; la seconde est que, pour toute analyse de tissu (biopsie), il faut égale-ment quantifier le génome dans le sang circulant pour pouvoir comparer.

Indications de la mesure de la charge virale EBVIndications fréquentes et importantesLa mesure de la charge virale est notamment indiquée lors du suivi (dans le sang total) en

transplantation. Après greffe, l’augmentation de la charge virale est un facteur de risque d’évo-lution vers une lymphoprolifération ; la conduite thérapeutique doit être adaptée.Après un lymphome, la charge virale permet de suivre l’efficacité thérapeutique.

Indications rares et accessoiresLa mesure de la charge virale peut aider au diag-nostic d’une mononucléose infectieuse ou MNI (mesure dans le sérum et la salive), au diagnostic étiologique d’une primo-infection symptomatique hors MNI (dans les tissus), peut servir de preuve d’une infection chronique persistante (tissus, sang total), et de marqueur d’association cancer/EBV, tel que dans le lymphome de Burkitt (cellules lymphoïdes malignes), le carcinome du nasopha-rynx (cellules épithéliales malignes, sérum), ou d’autres cancers (tissus malins). |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

SourceCommunication de Jean-Marie Seigneurin, lors du 36e Colloque national des biologistes des hôpitaux, Dijon, octobre 2007.

Notes1. Il n’y a pas actuellement de responsabilité démontrée d’HHV-7 en pathologie humaine et il n’existe pas d’outils diagnostiques standardisés.2. Les IgM ne signifient donc pas toujours primo-infection.

Interprétation d’une charge virale EBV dans le sang totalLe seuil de quantification est de 500 copies/mL.

< 10 copies/mL Charge virale très faible ou négative

10 à 500 copies Charge détectable non quantifiable

1 000 à 10 000 copies/mL Charge virale moyenne

20 000 à 100 000 copies/mL Charge virale élevée

> 100 000 copies/mL Charge virale très élevée

À titre indicatif :

– chez un porteur sain, la charge virale est habituellement inférieure à

1 000 copies/mL ;

– dans une MNI “classique”, elle est comprise entre 500 et 10 000 copies/mL ;

– dans une MNI sévère ou une réactivation, elle est de 1 000 à 100 000 copies/mL ;

– en cas de lymphome associé à l’EBV, la charge virale est comprise entre 10 000 et plus

de 100 000 copies/mL.

PCR quantitative et EBVIl n’existe pas encore de standardisation

des techniques et pas de gamme de réfé-

rence unique. Ce sont principalement des

techniques “maison” et des kits commer-

ciaux qui sont utilisés. De fait, il apparaît

nécessaire d’adhérer à un contrôle de

qualité (France, Europe, États-Unis), de

suivre un même patient avec une même

technique dans un même laboratoire, et

de ne considérer comme significatives que

des différences à partir de 0,5 log, voire

1 log.