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Voyageurs et écrivains égyptiens en France au XIXe siècle

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Page 1: Voyageurs et écrivains égyptiens en France au XIXe siècle
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VOYAGEURS ET ÉCRIVAINS

ÉGYPTIENS EN FRANCE

AU XIXe SIÈCLE

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ÉTUDES DE LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE ET COMPARÉE

ANOUAR LOUCA Docteur ès lettres

VOYAGEURS ET ÉCRIVAINS

ÉGYPTIENS EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE

Publié avec le concours du

Centre national de la Recherche scientifique

DIDIER

PARIS

1970

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A la mémoire

de

JEAN-MARIE CARRÉ

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AVANT-PROPOS

Voyageurs et écrivains égyptiens en France, ce titre fait écho, trente ans après, à celui de Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, dont la deuxième édition, en 1956, fut une des dernières joies de son auteur. Mais au grand maître disparu, je ne dois pas seulement le titre de ce travail, que j'ai eu le privilège de préparer sous sa direction à la Sorbonne, comme thèse principale pour le doctorat ès lettres, je dois encore toute mon initiation à la littérature comparée, à l'humanisme des échanges culturels. Voyageur et écrivain lui-même, particuliè- rement attiré et inspiré par l'Égypte, il déchiffrait avec ferveur les relations de voyage et orientait les investigations vers ce domaine si riche en perspectives. Son livre a ouvert la voie. De toutes parts, des chercheurs, qu'il ne s'agit pas ici de dénom- brer, ont suivi son exemple. Leurs efforts, suscités et éclairés par sa science, s'employaient à débrouiller les fils du cosmopo- litisme, des influences, à dissiper des mirages et apporter plus de compréhension entre les peuples. Quant aux voyageurs égyp- tiens en France, ils ont été, jusqu'à la fin de ses activités, l'objet de son enthousiasme et de son dévouement. L'enquête, paral- lèle à la sienne, reflète sa prédilection. Aussi, en voyant le jour, ce volume auquel Jean-Marie Carré a prodigué ses soins, s'honore- t-il de prolonger son œuvre. Qu'il reste un témoignage de fidélité à l'esprit du professeur et, à l'homme qui nous a attaché par son caractère et son cœur, l'expression d'une impérissable gra- titude.

Un trait capital distingue cependant nos deux courants de voyageurs. Au-delà du thème nouveau qu'ils ajoutent à leur littérature en brossant une image de la France, les Égyptiens se posent, à la lumière de la civilisation occidentale qu'ils décou- vrent, des questions vitales touchant leur propre existence. Il s'en suivra, avec la métamorphose de la culture arabe contem- poraine, une véritable résurrection.

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Sortis au xixe siècle de leur moyen âge, comment les premiers voyageurs perçoivent-ils le monde moderne ? La France, micro- cosme de l'Occident, ne se réduit pas, dans leur expérience, à la vision plaisante d'un pays étranger, but de tourisme ou d'éva- sion, mais elle devient immédiatement un centre d'apprentis- sage et d'activité, une école, une tribune, une exposition uni- verselle, un arsenal d'idées philosophiques, politiques et sociales. D'où les réactions les plus lourdes de conséquences : prise de conscience d'une personnalité nationale, équipement technique, éducation, modernisation de la langue et de l'expression, effer- vescence de la pensée et confrontation de la religion, de la tra- dition, avec tant d'innovations. Bref, en compagnie des trois générations de voyageurs évoquées ici, la Renaissance, dans son mouvement, se déroule sous nos yeux. L'inventaire de leurs bagages, auquel nous procédons, permettra à l'historien de mieux saisir — pour l'intelligence du Proche-Orient dans le contexte international d'aujourd'hui — l'articulation complexe des éléments en jeu.

Notre exposé s'est accommodé du cadre chronologique où, le long d'un siècle, les relations franco-égyptiennes inscrivent un cycle entier, attesté par l'évolution même de la qualité de voyageur. Face à la diversité de la documentation qu'implique la recherche de personnages et de textes souvent obscurs, la bibliographie s'efforce de classer les instruments disparates de notre information sous des rubriques homogènes. A chaque partie du travail, correspond donc une bibliographie particulière, avec ses propres subdivisions. Ces listes, placées en fin de volume, commencent par celle des sources bibliographiques et ouvrages généraux. Une telle répartition des ouvrages consultés, en sou- mettant leur contenu à notre plan, ne va certes pas sans arbi- traire : ainsi les œuvres d'un seul auteur se trouvent disséminées. D'autre part, les notes qui accompagnent le texte ne donnent des références qu'une indication sommaire, mais elles fournissent une mention complète des ouvrages qui interviennent incidem- ment et qui ne figurent par conséquent pas dans la bibliographie organique. Un index spécial toutefois, portant sur l'ensemble des ouvrages cités, permet de contrôler notre système de classe- ment, en assure l'unité et répond à l'exigence habituelle d'un guide alphabétique.

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Pour la transcription des mots arabes, nous avons adopté le système employé par Y Encyclopédie de l' Islam, à l'exception du gim et du qaf, que nous rendons respectivement par j et q. Cependant les mots francisés par l'usage garderont leur ortho- graphe devenue familière et porteront, notamment au pluriel, les terminaisons françaises.

Nous n'aurions pu entreprendre ce travail sans avoir fait, à notre tour, un long séjour à Paris. A notre éminent maître Tâha Husayn, qui en a pris l'initiative, nous exprimons ici notre reconnaissance. Par son œuvre de voyageur, comme par sa bien- veillante assistance, Tâha Husayn est inséparable de notre dessein. Déjà nos chapitres, qui aboutissent à lui, contribuent à expliquer l'ampleur de son rôle. Nous sommes heureux d'avoir appris, grâce à sa présence, la valeur du courant qu'il illustre au xxe siècle.

Nous remercions M. Charles Dédéyan, qui a recueilli des mains de Jean-Marie Carré et d'Henri Roddier notre travail inachevé, pour nous aider à le mener à son terme. Nos remerciements vont en même temps à MM. Pierre Moreau, Régis Blachère, Gaston Wiet, Jacques Berque et Charles Pellat pour le vif intérêt qu'ils ont témoigné à cette étude. Parmi nos amis et collègues dont la complaisance a soutenu nos efforts, nous dirons enfin à MM. Raymond Francis, Gilbert Delanoue et Jean-Daniel Candaux, qui ont pris la peine de relire notre manuscrit, toute notre obligeance pour leurs précieuses suggestions.

Ce volume s'insérait dans la collection Recherches et Documents, inaugurée par les Opera minora de Louis Massignon, et devait paraître au Caire et à Beyrouth, dès 1963. L'arrêt prématuré de l'entreprise aurait condamné notre ouvrage à rester encore longtemps inédit, sans la sollicitude du professeur Jacques Voi- sine. Le généreux appui de M. Marcel Bataillon, qui a bien voulu nous prêter le concours du Centre National de la Recherche Scientifique et nous ouvrir la collection des Études de Littéra- ture Étrangère et Comparée, replace notre livre — ce « voyageur » égyptien en France — sous le signe de l'humanisme vécu et enseigné par Jean-Marie Carré. Dans la communion de son souvenir, je leur adresse l'hommage de ma profonde gratitude.

Anouar LOUCA. Héliopolis, mai 1963. Genève - Paris, septembre 1968.

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INTRODUCTION

1

A toute histoire, il y a une préhistoire. Si les voyageurs égyp- tiens affluent visiblement en France au xixe siècle, ils ont eu bien des prédécesseurs. De part et d'autre de la Méditerranée, ces deux foyers de la civilisation ancienne et moderne étaient appelés à cultiver des relations et des échanges multiples. Remon- tons-nous jusqu'à ce passé lointain qui échappe parfois aux his- toriens et s'enveloppe de légendes, nous pouvons rencontrer des Égyptiens sur la terre de France. Les découvrir tous et suivre leurs traces à travers les âges, depuis les temps les plus reculés, n'est certes pas notre intention dans ce préambule. Encore fau- drait-il, pour évoquer leur souvenir, avoir recours à des techniques spéciales, à l'archéologie, à l'histoire sainte, ou à l'histoire éco- nomique, interroger tour à tour l'architecture, l'Église, la poli- tique et remuer des papiers enfouis dans des archives d'un accès difficile s'ils ne sont pas perdus pour toujours.

Déjà aux premiers siècles de notre ère, sous l'empire romain, dont la Gaule faisait partie aussi bien que l'Égypte, les Égyptiens venus en Occident semblent innombrables. On sait qu'au qua- trième siècle, l'armée romaine comprenait plusieurs légions thébaines, dont une se tenait en Italie. Des Égyptiens auraient ainsi compté parmi les forces occupantes de la Gaule. « Un trans- fert de troupes de ce genre entre l'Orient et l'Occident, — dit un spécialiste de la matière — fut chose constante sous l'empire, aux derniers siècles comme aux premiers » 1.

Vers 286, dans la ville d'Agaune, se place le massacre d'une légion thébaine par Maximien Hercule, et le martyre de ses magnanimes officiers Maurice, Exupère et Candide 2. Il ne nous

1. C. Julian : « La Légion thébaine », 43. 2. V. Notes complémentaires, n° 1.

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appartient pas de discuter l'autorité de l'hagiographie et la valeur de ses sources. Même réduit à des proportions historiques minimes, ce fait, insensiblement forgé ou grossi par des généra- tions de fidèles, atteste une profonde présence égyptienne. En portant désormais le nom de saint Maurice, la ville d'Agaune traduit l'aspiration de toute une population à s'identifier aux martyrs orientaux 1.

Mais les Égyptiens venus en Occident poussèrent plus loin que les Alpes. Des moines coptes 2 sont inhumés dans la terre d'Irlande, et l'on décèle dans la liturgie irlandaise beaucoup de leurs influences 3. « Nous ne savons pas encore, dans les Iles Britanniques, — écrit un historien anglais, — combien grande est notre dette envers ces lointains ermites. Il est plus que pro- bable que nous leur sommes redevables de la première prédi- cation de l'Evangile en Angleterre, où, jusqu'à l'arrivée d'Augus- tin, prévalait la règle monastique égyptienne. Mais plus impor- tante est la croyance que le christianisme irlandais, le grand agent civilisateur du haut moyen âge parmi les nations nordiques, était l'enfant de l'église égyptienne. Sept moines égyptiens sont enterrés à Disert Ulidh, et il y a de nombreux traits dans les cérémonies et l'architecture d'Irlande des temps les plus reculés qui rappellent certains vestiges chrétiens des plus anciens d'Égypte. Chacun sait que le travail manuel des moines irlandais dans les IXe et xe siècles dépassa de loin tout ce qu'on pouvait trouver ailleurs en Europe ; et si les décorations quasi byzan- tines de leurs splendides œuvres d'or et d'argent et leurs enlu- minures inégalées peuvent être ramenées à l'influence de mis- sionnaires égyptiens, nous avons à remercier les Coptes plus qu'on n'a cru devoir le faire » 4.

Ces missions, qui paraissent avoit été régulières, ne devaient- elles pas, pour atteindre l'Irlande, traverser la Gaule, itinéraire

1. « Mauricius est formé sur l'adjectif mauricus, lui-même dérivé de Maurus, le Maure ». D. van Berchem, Le martyre de la Légion thébaine, 31.

2. Coptes : Le mot « copte » est équivalent à celui d' ( égyptien ». Son étymologie remon- terait à Coptos, nom d'une ville de la Haute-Égypte, célèbre par le siège long et malheu- reux que les Égyptiens y soutinrent contre Dioclétien, ou encore à Aiguptos, le nom grec de l 'Égypte, provenant vraisemblablement du nom de la capitale égyptienne Mem- phis « ha-ka-ptah » (= maison de l'esprit de « Ptah », dieu memphite). Après l'invasion arabe, comme on désignait par Coptes les habitants de l'Égypte, qui étaient chrétiens, pour les distinguer des Musulmans, le sens ethnologique du mot se doublant d'un sens religieux, « copte » est devenu et resté synonyme de « chrétien d'Égypte ». Cf. G. Wiet : « Kibt », Enc. de l'Islam, lre éd., II, 1048-1061 ; W. B. Bishai : « The transition from Cop- tic to Arabie », Muslim World, L U I (1963), 145-150 ; M. Kamil : Coptic Egypt, 20-21.

3. W. A. Philips : History of the Church of Ireland, 138-139. 4. Stanley Lane-Poole : Cairo, sketches of its history, monuments and social lite, London,

1892, 203. — Voir aussi A. J. Butler : The ancient Coptic churches, 14. — Des documents récemment découverts sont signalés dans Walani, Le Caire, 26 août et 2 sept. 1962.

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m o i n s l o n g e t m o i n s p é r i l l e u x q u e l a v o i e m a r i t i m e 1 ? E l l e s

n o u s f o n t s u p p o s e r a u s s i q u e d e p a r e i l l e s m i s s i o n s v e n a i e n t

p r ê c h e r l e c h r i s t i a n i s m e e n G a u l e .

M o i n s d o u t e u x s o n t l e s v o y a g e s e n G a u l e d ' u n p e r s o n n a g e

é m i n e n t d a n s l e m o n d e c h r é t i e n d u i v e s i è c l e , A t h a n a s e d ' A l e x a n -

d r i e , d i s c i p l e , a m i e t b i o g r a p h e d e s a i n t A n t o i n e . O n s e r a p p e l l e

l a f i g u r e d e c e v a i l l a n t p a t r i a r c h e q u i s e d r e s s a t o u t e s a v i e c o n t r e

l e s h é r é s i e s e t l e s b r a v a d ' u n e é n e r g i e f a r o u c h e d e v e n u e p r o v e r -

b i a l e : « A t h a n a s i u s c o n t r a m u n d u m ». A u c o u r s d ' u n é p i s c o p a t

d e q u a r a n t e - s e p t a n s , s o n a t t i t u d e l u i v a l u t c i n q f o i s l ' e x i l . P r o s c r i t

e n 3 3 5 d a n s « l e s G a u l e s », i l r e s t a j u s q u ' à 3 3 8 à T r è v e s , o ù l ' é v ê q u e M a x i m i n l ' a c c u e i l l i t c o r d i a l e m e n t 2 . E m m e n a - t - i l a v e c l u i l e s

a u t r e s é v ê q u e s é g y p t i e n s q u i l ' a v a i e n t a c c o m p a g n é p o u r p r e n d r e

s a d é f e n s e a u c o n c i l e d e T y r ( 3 3 5 ) e t à C o n s t a n t i n o p l e 3 ? N o u s

s a v o n s s e u l e m e n t q u ' i l v i s i t a A r l e s p e n d a n t c e t e x i l 4. I l f i t u n

second voyage à Arles en 343 5 venant de Rome, où son activité, de 339 à 345, initia l'Occident à la vie monastique, grâce surtout aux deux solitaires coptes qui le suivirent et qui suscitèrent par leurs austérités l'admiration des Latins.

Tout le monde reconnaît, en effet, les origines égyptiennes du monachisme en Occident. Les premiers monastères fondés en Provence, dans les îles de Lérins ou à Marseille, suivant les règles de saint Pacôme ou saint Macaire, furent sans doute le fruit de nombreux voyages réciproques entre l'Orient et l'Occident, effectués par une foule de voyageurs oubliés aujourd'hui, sauf un Athanase, un Honorat ou un Jean Cassien. Certains auteurs affirment que les îles de Lérins furent l'asile de plusieurs moines coptes qui vinrent prêcher en Europe une nouvelle doctrine c h r é t i e n n e 6. I l s e m b l e t o u t e f o i s q u e l e s l i e u x s a i n t s d e P a l e s t i n e

e t d ' É g y p t e a t t i r è r e n t p l u s d e p è l e r i n s o c c i d e n t a u x q u e l e p r o -

s é l y t i s m e n ' a e n v o y é d e m i s s i o n n a i r e s v e r s l ' O c c i d e n t 7 . L a

c o m m u n a u t é d e s a i n t P a c ô m e e n H a u t e - É g y p t e c o m p r e n a i t

d e s C o p t e s a u s s i b i e n q u e d e s G r é c o - R o m a i n s . S i , d e p u i s 1 8 7 6 ,

i l n e s u b s i s t e p l u s r i e n d u m o n a s t è r e p r i m i t i f d e s a i n t H o n o r a t

1. Sur les routes intérieures de l 'Europe occidentale, cf. Parias : Histoire universelle des explorations, I, 275.

2. J. Szymusiak : « Les luttes d'Athanase d'Alexandrie », 22-23. 3. G. Hermant : La vie de saint Athanase, I, 408-409. 4. W. A. Philips, 18. 5. Ibid., 13. 6. E. Ledewich : Antiquities of Ireland, 88. Il cite saint Eucher : De Laudibus eremi,

dans saint Hilaire : De S. Honorato oratio lunebris, Paris, 1578. 7. M. Labib : Pèlerins et voyageurs.

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dans les îles de Lérins, les descriptions qu'en ont laissées Méri- mée et Viollet-le-Duc y signalent une imitation directe des cons- tructions orientales 1. Peut-être était-ce l'œuvre de maçons orientaux amenés par saint Honorat à la suite de son pèlerinage. La même hypothèse est valable pour les artisans et les ascètes égyptiens qui auraient accompagné Jean Cassien à Marseille où, vers 415, après un long séjour parmi les moines de la Thé- baïde, il fonda deux monastères et rédigea des textes qui exer- cèrent une très grande influence sur l'histoire des institutions monastiques occidentales.

Sur les voyageurs égyptiens en Occident pendant les premiers siècles de notre ère, nous pouvons nous en tenir à cette conclu- sion : « Les débuts du monachisme en Occident sont encore pour nous plongés dans une obscurité qu'il n'est pas facile de percer. Il est incontestable que l'Occident en a emprunté l'idée à l'Egypte ; mais sans vouloir contester le rôle attribué à saint Athanase, il est bien difficile de désigner avec précision les personnages qui, les premiers, transportèrent cette idée des bords du Nil aux bords du Tibre, et, mieux encore, dans tous les coins de l'empire romain. On ne doit pas, en effet, perdre de vue qu'au IVe siècle de notre ère, l'Égypte était depuis de nombreuses générations une province romaine et que sa capitale, Alexandrie, était non seulement le chef-lieu administratif de la province et un port important, mais encore, depuis près de huit siècles, le centre intellectuel le plus réputé du monde gréco-romain. Dans ces conditions, les études, le commerce, l'administration, provo- quèrent fatalement des échanges nombreux et fréquents d'idées et de personnes entre l'Égypte et ce qu'on appela plus tard le monde latin. Il est donc hautement probable que de nombreux Coptes affluèrent dans la capitale et les autres villes occidentales de l'empire. On rencontre leurs traces même assez tard : en 589, il exista à Rome une confrérie d'Alexandrins ; en 602, le pape Grégoire Ier donne une lettre de recommandation à un groupe d'Égyptiens qui regagnent leur pays... » 2

Bien des détails confirment la continuité de ces relations spirituelles et commerciales au cours du vie siècle. « Le papyrus, précieux véhicule de la pensée, arrive d'Égypte à Marseille où les navires venaient aussi débarquer leur cargaison d'huile et d'autres liquides. Des marchands apportent à un reclus de Nice,

1. Viollet-le-Duc : Dictionnaire raisonné de l'architecture française, Paris, 1861. 2. Th. Lefort : « Coptes et Latins ».

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H o s p i t i u s , d e s p l a n t e s d ' É g y p t e d o n t i l s e n o u r r i s s a i t l e s j o u r s d e c a r ê m e . » 1

E n F r a n c e , l ' i n f l u e n c e d e s C o p t e s s e p o u r s u i v i t . I l s d e v i n r e n t

s i p u i s s a n t s à l a c o u r d e C h a r l e m a g n e 2 q u ' i l s t e n t è r e n t d e c h a n -

g e r l e c a l e n d r i e r e t d ' i m p o s e r le m o i s d e s e p t e m b r e c o m m e p r e -

m i e r m o i s d e l ' a n n é e 3. C o l p o r t é s p a r l e s p è l e r i n s , l e s s o u v e n i r s

d e s a n a c h o r è t e s d u d é s e r t , d e t a n t d e m a r t y r s e t d e s a i n t s , s e

r e n o u v e l a i e n t d e g é n é r a t i o n e n g é n é r a t i o n . D è s l e X I e s i è c l e ,

R o u e n p o s s é d a i t d e s r e l i q u e s d e s a i n t e C a t h e r i n e 4. A u X I I s i è c l e ,

o n s c u l p t a i t s u r l e s c h a p i t e a u x d e V é z e l a y s a i n t A n t o i n e e t s a i n t e

E u g é n i e d ' É g y p t e 5 . A u X I I I s i è c l e , l e s s p l e n d i d e s v i t r a u x d e

C h a r t r e s r e f l é t a i e n t , d a n s t o u t l ' é c l a t d e l a l u m i è r e d ' O r i e n t ,

l e s f i g u r e s d e s a i n t A n t o i n e , d e s a i n t e C a t h e r i n e d ' A l e x a n d r i e

e t d e s a i n t e M a r i e l ' É g y p t i e n n e . M a i s e x i s t a i t - i l t o u j o u r s d e s

r e l a t i o n s e n t r e l e p a t r i a r c h e e t l a c o u r d e F r a n c e ? I l e s t c e r t a i n

q u ' e n 1 7 0 2 , I b r a h i m H a n n â , e n v o y é d u p a t r i a r c h e J o a n n è s ,

q u i t t a L e C a i r e , p o r t e u r d e l e t t r e s p o u r L o u i s X I V , p o u r s o n m i n i s t r e le c o m t e d e P o n t c h a r t r a i n e t s o n c o n f e s s e u r l e P è r e

d e l a C h a i z e , a u s u j e t d e s m i s s i o n n a i r e s J é s u i t e s e n É g y p t e e t

e n A b y s s i n i e . L e 8 j u i n , i l a r r i v a à M a r s e i l l e , l e 2 4 à P a r i s , o ù

i l f u t t r a i t é e n a m b a s s a d e u r e x t r a o r d i n a i r e , r e ç u p a r l e r o i e t

d o t é d e m a g n i f i q u e s p r é s e n t s 6 . C e s f a i t s , p o u r t a n t , p a s s e n t

i n a p e r ç u s d a n s l ' h i s t o i r e .

C e q u ' o n n e p e u t p a s i g n o r e r , e t H e n r i P i r e n n e e s t l à p o u r l e

s o u l i g n e r , c ' e s t l a b r u s q u e d i v i s i o n p r o d u i t e d a n s l e m o n d e m é d i -

t e r r a n é e n s o u s l a p o u s s é e d e l ' I s l a m . « C ' e n e s t f a i t , — d i t - i l , —

d e l a c o m m u n a u t é m é d i t e r r a n é e n n e q u i a v a i t s u r v é c u à l ' E m p i r e

r o m a i n . L a m e r f a m i l i è r e e t q u a s i f a m i l i a l e a u t o u r d e l a q u e l l e

e l l e s e g r o u p a i t d e v i e n t s u b i t e m e n t é t r a n g è r e e t h o s t i l e . D e p u i s

d e s s i è c l e s , l ' e x i s t e n c e s o c i a l e , d a n s s e s c a r a c t è r e s f o n d a m e n t a u x

é t a i t l a m ê m e s u r t o u s s e s r i v a g e s ; l a r e l i g i o n , l a m ê m e ; l e s

m œ u r s e t l e s i d é e s , l e s m ê m e s o u t o u t e s p r o c h e s d e l ' ê t r e . L ' i n v a - s i o n d e s B a r b a r e s d u N o r d n ' a v a i t r i e n m o d i f i é d ' e s s e n t i e l à

1. Ebersolt : Orient et Occident, éd. 1928, I, 29. 2. Th. Lefort : op. cit. 3. L'ère copte commence, avec les grandes persécutions et pour commémorer les mar-

tyrs, fin août 284, date de l 'avènement de Dioclétien. Ebersolt, I, 82.

5. E. Maie : L'art religieux du XI Ie siècle en France, fig. 162 et 167. 6. Sainl-Aymour : La France eti Éthiopie.

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cette si tuat ion. E t voilà que t o u t à coup les pays mêmes où notre civilisation é ta i t née, lui sont arrachés, que le culte du prophète s 'y subst i tue à la foi chrétienne, le droit musu lman au droit romain, la langue arabe à la langue grecque et à la langue latine. La Méditerranée avai t été un lac romain : elle devient

un lac musulman. La navigat ion byzant ine n'ose plus s 'y risquer au large ; elle ne dépasse plus les côtes de l ' I tal ie méridionale. Plus de vaisseaux syriens dans la mer Tyrrhénienne. De l ' inter- cours encore si actif au vie siècle entre l 'Orient et l 'Occident, on perd tou te trace au VI I I siècle. La subst i tut ion qui s 'accom- plit en Gaule à cette époque du parchemin au papyrus fournit la preuve significative et irrécusable de sa disparit ion »

Mais, entre l 'Égyp te arabe et le monde franc, les relations ne t a r d e n t pas à renaître, sous le t i t re de « Croisades ». L 'examen de ces imposants flux et reflux humains en t a n t que contacts militaires, économiques, sociaux et intellectuels nous mènerai t loin. La septième croisade, en particulier, conduite par Louis IX, fut pour l 'Égyp te et la France une rencontre mémorable au milieu du X I I I siècle. Parmi les conséquences de ces épopées, « l ' influence de la civilisation arabe, — note Gaston Wiet, — l 'influence de l 'organisat ion adminis t ra t ive de la cité orientale, peuvent se constater dans l 'organisat ion de la police et des métiers en Occident et sur tou t en France » 2.

De ce temps date l 'entrée de l 'Égypte dans la l i t téra ture fran- çaise par la chronique du sire de Joinville (1309). Au xive siècle, plusieurs conteurs, en France, en Espagne et en Italie, puisant à une source française antérieure, puren t facilement imaginer Saladin, le sul tan d 'Égypte , voyageant incognito en Occident 3. Il est amusan t de suivre ses périples et ses aventures. On le voit débarquer à Brandis, passer par Rome, t raverser la Lom- bardie et arr iver enfin à Paris où il est accueilli dignement par les barons. Le roi Philippe II é t an t absent, c 'est la reine qui le reçoit. Elle s 'éprend tou t de suite de cet inconnu si gracieux, si courtois, si vaillant. A l ' ins tar des illustres chevaliers de la l i t té ra ture médiévale, toute une geste se constitue autour de lui. Il défend br i l lamment l ' innocence d 'une jeune comtesse de Ponthieu in jus tement calomniée, renverse dans un tournoi

1. H. Pirenne : « Mahomet et Charlemagne n, 85. —. Selon M. Lombard, « Arsenaux et bois de marine n, la rareté du bois dans les pays musulmans contribue à expliquer pour- quoi, au cours du xic siècle, la domination de la mer et les centres du grand commerce maritime passent de la Méditerranée musulmane à la Méditerranée chrétienne.

2. G. Wiet : « Le rôle de la France en Egypte n. 3. G. Paris ; « La légende de Saladin en Occident ».

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le r o i R i c h a r d d ' A n g l e t e r r e , p r é p a r e e n O r i e n t u n e p u i s s a n t e

f l o t t e e t r e v i e n t a v e c l ' i n t e n t i o n d ' e n v a h i r l a F r a n c e , m a i s l e s

b a r o n s r é u s s i s s e n t à d é t o u r n e r s e s c o u p s s u r l ' A n g l e t e r r e . U n e

s c è n e d e c e d e r n i e r c o m b a t , « l e P a s S a l h a d i n », d e v i n t si p o p u -

l a i r e q u ' e l l e p a s s a d e l a p r o s e r é c i t é e à l a p e i n t u r e e t à l a t a p i s s e r i e

d a n s b e a u c o u p d e s a l l e s d e c h â t e a u x , e t m ê m e à l ' é t a t d e v é r i -

t a b l e s p e c t a c l e e x é c u t é p a r d e s p e r s o n n a g e s v i v a n t s . E l l e r e p r é -

s e n t a i t d o u z e , p a r f o i s t r e i z e c h e v a l i e r s g a r d a n t u n d é f i l é q u e

s ' e f f o r ç a i t d e p e r c e r u n e a r m é e s a r r a s i n e c o m m a n d é e p a r S a l a d i n .

N o t o n s q u ' e n g é n é r a l , l e s c o n t e u r s q u i d é v e l o p p è r e n t l a l é g e n d e

d e S a l a d i n e n O c c i d e n t m o n t r a i e n t l e u r h é r o s s o u s u n j o u r

p l u t ô t f a v o r a b l e . E n e f f e t , p e n d a n t l e s s i è c l e s d e s C r o i s a d e s , l e s

n é g o c i a n t s o r i e n t a u x p o u v a i e n t v o y a g e r p a i s i b l e m e n t e n F r a n c e .

L e j u i f e s p a g n o l , B e n j a m i n d e T u d è l e , v i s i t a n t M o n t p e l l i e r d a n s

l a s e c o n d e m o i t i é d u X I I s i è c l e , y r e n c o n t r a u n g r a n d n o m b r e

d e m a r c h a n d s v e n a n t d e l a t e r r e d ' É g y p t e 1.

D è s l a f i n d u X I I I s i è c l e , c o m m e n c e u n e n o u v e l l e p é r i o d e o ù

l e s é c h a n g e s c o m m e r c i a u x , a u l i e u d e l a g u e r r e e t d u p r o s é l y -

t i s m e , c a r a c t é r i s e n t l e s r e l a t i o n s e n t r e l ' E u r o p e e t le L e v a n t .

M o i n s p i e u x q u e s o n f r è r e L o u i s I X , C h a r l e s d ' A n j o u , c o m t e

d e P r o v e n c e , s e i g n e u r d e M a r s e i l l e , r o i d e N a p l e s e t d e S i c i l e ,

e n t r e t e n a i t d e b o n s r a p p o r t s a v e c l e s u l t a n d u C a i r e , a z - Z â h i r

B i b a r s . L ' a v a n t a g e a l o r s c o n f é r é a u x p r i n c i p a u t é s c h r é t i e n n e s

é t a b l i e s e n S y r i e , n ' e m p ê c h a p a s l e s n a v i g a t e u r s e u r o p é e n s

d ' a f f l u e r v e r s l ' E g y p t e : e l l e é t a i t l ' e n t r e p ô t d u c o m m e r c e d e s

I n d e s . A p r è s V e n i s e , l a F r a n c e o c c u p a i t l e d e u x i è m e r a n g d a n s

c e r i c h e t r a f i c . « P a r l e s a r t i c l e s q u ' e l l e a c h e t a i t , d r a p s d u L a n -

g u e d o c , s o i e r i e s d e L y o n , t i s s u s p l u s g r o s s i e r s d e P r o v e n c e , m é t a u x

b r u t s e t œ u v r é s , é p i c e r i e s , l i q u e u r s , l ' É g y p t e c o n t r i b u a i t à l a

p r o s p é r i t é d ' i n d u s t r i e s q u i f a i s a i e n t v i v r e p l u s i e u r s d e s p r o v i n c e s

f r a n ç a i s e s . E l l e f o u r n i s s a i t , d ' a u t r e p a r t , à l a c o n s o m m a t i o n d u

r o y a u m e q u e l q u e s - u n e s d e s e s m a t i è r e s p r e m i è r e s e t d e s e s d e n -

r é e s , c o t o n , l i n , c a f é , r i z , é p i c e s , d r o g u e r i e s » 2. E n 1 4 4 7 s e r e s s e r -

r è r e n t l e s r e l a t i o n s q u i e x i s t a i e n t e n t r e B o u r g e s e t L e C a i r e :

C h a r l e s V I c h a r g e a s o n n e v e u , J e a n d e V i l l a g e , d e p o r t e r d e s

p r é s e n t s a u S u l t a n d ' É g y p t e ; il e n r é s u l t a p o u r l e s d e u x É t a t s u n e s o r t e d e t r a i t é d e c o m m e r c e .

S i , a v e c l a d é c o u v e r t e d u C a p d e B o n n e - E s p é r a n c e , e n 1 4 9 7 ,

V é n i t i e n s , A n g l a i s e t H o l l a n d a i s s e r e t i r è r e n t d e l ' É g y p t e , l e s

1. Benjamin de Tudèle : Voyage, éd. P. Bergerson, La Haye, 1735, 2, 66, 67. Cf. Ebersolt, II, 15-16.

2. F. Charles-Roux : Les origines de l'expédition d'Égypte, 5.

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marchands français y demeurèrent et poursuivirent, malgré la tyrannie des Mamelouks, les opérations d'un faible transit survivant. Qansuh al-Ghüri, un des derniers souverains Mame- louks, que les Portugais avaient suffisamment importuné, cher- cha à se concilier le roi de France. Il envoya à Paris un mar- chand ragusain porteur de lettres pour Louis XII et d'un acte qui confirmait aux Français la liberté de commercer dans les ports d'Égypte et de Syrie. Louis XII, à son tour, lui dépêcha son ambassadeur André Le Roy, accompagné d'une nombreuse suite, et Jean Thenaud, qui faisait partie du voyage, nous en laissa le récit 1. Par les Capitulations, signées en 1535, la France voulait protéger non seulement les catholiques, mais avant tout ses négociants et les intérêts de son commerce dans les différents pays de l'empire ottoman, y compris l'Égypte. Toutefois ces commerçants français qui venaient et vivaient au Caire, à Alexan- drie et à Rosette, n'étaient ni des observateurs curieux ni des écrivains de profession ; ils restaient peu sensibles aux manifes- tations de la vie intellectuelle ou artistique de l'un ou de l'autre pays 2.

Le moyen âge, si commerçant qu'il fût, n'avait assurément pas l'esprit cosmopolite. Il était figé dans ses croyances. « Le monde matériel apparaît à l'imagination, — dit Gaston Paris, — comme aussi stable que limité, avec la voûte tournante et constellée de son ciel, sa terre immobile et son enfer ; il en est de même du monde moral... Personne ne songe à protester contre la société où il est, ou n'en rêve une mieux construite... Le monde d'alors est étroit, factice, conventionnel » '. Ce qui caractérise le moyen âge, en Occident, c'est « la haine du musulman » 4) et en Orient, c'est la méfiance et la fierté à l'égard des Francs. Les Croisades, en engendrant ces sentiments, ont creusé entre les deux mondes un grand abîme.

Le repli de l'Islam sur lui-même a cependant été plus rigoureux et plus long. Nous ne pouvons pas nommer de voyageurs orien- taux en France pendant les siècles où Pierre Belon, Thévenot e t t a n t d ' a u t r e s v i s i t e n t l ' É g y p t e 5. O n n e s a u r a i t e n i n c r i m i n e r

l a d i f f i c u l t é d e s c o m m u n i c a t i o n s . « L e m o y e n â g e , — r e m a r q u e

u n a r a b i s a n t , — a v e c s e s d é c h i r e m e n t s p o l i t i q u e s , s e s g r a n d e s

1. Id. : L'Isthme de Suez et les rivalités européennes art XVIe siècle ; cf. J.-M. Carré : Voyageurs, I, 3.

2. Le Mascrier : Description de l'Egypte, p. vi. 3. G. Paris : La littérature française au moyen âge, 31. 4. P. Martino : L'Orient dans la littérature française aux XVIIe et XVII Ie siècles, 6. 5. J.-M. Carré : Voyageurs, I.

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i n v a s i o n s , e t l e s r é a c t i o n s d u m o n d e c h r é t i e n , o b l i g e l e m u s u l -

m a n à s e t e r r e r e n q u e l q u e s o r t e c h e z l u i . L e d o g m e , e n s e c a n -

t o n n a n t d a n s l ' é t u d e d e q u e s t i o n s s e c o n d a i r e s , v i e n t a u g m e n t e r

c e t é l o i g n e m e n t p o u r t o u t c e q u i n ' e s t p a s m u s u l m a n ; l e s r è g l e s

q u ' i l d i c t e r e c o m m a n d e n t i n s t a m m e n t d ' a v o i r l e m o i n s p o s s i b l e

d e c o n t a c t a v e c l ' i n f i d è l e ; n ' e s t - c e p a s e n p a y s é t r a n g e r s q u e l e

m u s u l m a n é p r o u v e l a p l u s g r a n d e g ê n e d a n s l ' a c c o m p l i s s e m e n t

d e s d e v o i r s f o n d a m e n t a u x d e s a r e l i g i o n c o m m e l a p r i è r e e t

l e j e û n e ? E t n e r i s q u e - t - i l p a s , e n l e s n é g l i g e a n t p a r p u d e u r

p l u s q u e p a r i n d i f f é r e n c e , d ' e n c o u r i r l e c h â t i m e n t d i v i n a p r è s

s a m o r t ? L e m y s t i c i s m e d e s o n c ô t é , d a n s s e s f o r m e s d i v e r s e s ,

e n p r o c l a m a n t q u e l a v i e i n t é r i e u r e s e u l e c o m p t e e t q u ' i l e s t

i n u t i l e d ' a l l e r c h e r c h e r b i e n l o i n c e q u ' o n p o r t e e n s o i , a i d e à

c o n s o m m e r l a r u p t u r e a v e c l e m o n d e e x t é r i e u r » 1.

Liée à Constantinople depuis 1517, l 'Égypte ne se tourne point vers l 'Occident. Cette indifférence se prolonge jusqu 'à la fin du XVIII siècle. En France, on é ta i t persuadé qu ' un oriental préférait rester chez lui. Dans les « Instruct ions pour M. Vansleb s'en allant au Levant le 17ème mars 1671 » rédigées pa r Carcavy, le bibliothécaire de Louis XIV, on lit : « Pendan t ses recherches^ et dans ses voyages, s'il peut t rouver un honnes t ' homme qui sçache esgalement bien plusieurs langues orientales, comme l 'arabe, le turc, le persan et l 'arménien, il taschera. de l 'engager au service de sa majesté, et à l 'obliger de venir icjt, luj& faisant espérer une condition avantageuse et honorable.. . Mais a v a n t qu'il s'engage avec personne, il examinera exac tement ceux qui luy seront proposez, non seulement en ce qui regarde la connaissance des langues, qui est la part ie la plus nécessaire, mais aussy en ce qui concerne les mœurs , la probité, et la permanence en ce pays icy, les or ientaux é tan t pour l 'ordinaire inconstants. . . » 2. Dans son journal de voyage, Vansleb ne cache pas sa déception. Fa isant le por t ra i t des Égyptiens, il s 'é tend sur leurs « vices ». « Ils sont ex t rêmement ignorans, — dit-il ,— en toute sorte de Sciences et de Lettres : ils sont superbes et glorieux, et quoy qu'ils sçachent fort bien qu'ils ont ent ièrement perdu leur Noblesse, leur Pays, les Sciences, l 'Exercice des Armes, avec leur propre

1. H. Pérès : « Voyageurs musulmans en Europe ». 2. H. Omont : Missions archéologiques françaises en Orient aux XVIIe et X V I I I e siècles,

1, 59-60.

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langue, leur principaux livres et Histoires publiques, et d'une Nation illustre et vaillante qu'ils estoient autrefois, ils soient devenus esclaves, et un Peuple vil et odieux : Néanmoins leur orgueil va jusqu'à croire qu'ils n'ont pas besoin de quoy que ce soit : ils s'offensent même quand nous autres Francs les exhor- tons d'envoyer leurs enfants en nostre Pays, pour apprendre les Sciences, et pour voir comme nous nous y gouvernons » 1.

Il faut chercher dans l'isolement même de l'Égypte la cause de sa décadence. En vain la France essayait d'attirer chez elle quelques enfants de cette « nation illustre ». La même torpeur avait paralysé les Coptes aussi bien que les Musulmans. Après Vansleb, le consul Benoît de Maillet tâchait, dès 1699, sur ordre formel de sa cour, de recruter trois jeunes Coptes de bonne famille, de douze à dix-huit ans, pour être envoyés en France 2. S'étant adressé aux Jésuites, aux Pères de Terre-Sainte et aux Capucins, qui dirigeaient au Caire des écoles où venaient des enfants « schismatiques », tous ses efforts échouèrent. Sa décep- tion, à lui aussi, éclata dans une page de son livre : « On croirait peut-être, — dit-il, — qu'en élevant parmi nous quelques enfants Coptes, cette méthode pourroit avoir des suites avantageuses pour la Religion. Je veux bien aussi le croire de même. Cependant, l'expérience fait assez connaître le contraire. On sait qu'il y a plusieurs Collèges à Rome, où on entretient un grand nombre de jeunes gens de toutes les Nations Schismatiques de l'Orient, dans la vûe de les employer un jour à la conversion de leur Patrie... En supposant qu'il n'en fût pas de même des enfants de Coptes, peut-on se flatter, que de retour dans leur pays, ils conservassent longtemps les sentiments qu'on leur auroit inspirés ; surtout si l'on fait attention à la haine et au mépris qu'ont les Coptes pour nous et notre Religion. Quelle apparence que de jeunes gens, qui ne sont entretenus que de discours à notre désavantage et auxquels on n'inspire que des sentiments odieux de notre Reli- gion et de nos mœurs, préfèrent la foi que des étrangers leur ont enseignée, à celle de leurs compatriotes et de leurs ancêtres ! Car l'aversion que ces peuples ont pour nous, est si violente, que quand ils veulent mettre le comble à l'insulte qu'ils font à un homme, ils l'appellent « Franguis ». Par là, le mépris est exprimé, selon eux, dans toute son étendue » 3.

Un petit incident arrivé en 1701, lors de l'embarquement de

1. Père J. M. Vansleb : Nouvelle relation en forme de journal d'un voyage fait en Égypte, 42. 2. Saint-Aymour, 186. 3. Benoîl de Maillet, G7.

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C h a r l e s P o n c e t 1 à B ü l a q p o u r M a r s e i l l e , c o n f i r m e e n c o r e c e t t e

i n t r a n s i g e a n c e d e l ' e s p r i t o r i e n t a l v i s - à - v i s d u m o n d e f r a n c .

P e n s a n t d o n n e r à s o n v o y a g e p l u s d e c o u l e u r l o c a l e e n e m m e -

n a n t u n j e u n e A b y s s i n , P o n c e t a s o u l e v é c o n t r e l u i l e s h a b i t a n t s

d u C a i r e e t s ' e s t e x p o s é à l a f u r e u r d e s j a n i s s a i r e s q u i s o n t v e n u s

se saisir de l'Abyssin 2. En effet, d'après les lois et les usages des Turcs, il était défendu, sous peine de mort, de faire passer en pays de chrétienté, sans autorisation spéciale, des noirs ou des hommes de couleur non chrétiens 3.

A aucun moment, pourtant, l'ambition de la France ne s'est détournée de l'Égypte. Une chronique anonyme, La Devise des chemins de Babiloine, à peine postérieure à Louis IX, n'est qu'un plan de conquête du pays 4. En 1510, Louis XII préparait, avec le concours de Jacques IV, roi d'Ecosse, une expédition pour punir le sultan al-Ghüri des vexations infligées par lui aux chrétiens, mais l'affaire s'est résolue dans la paix, par l'envoi r é c i p r o q u e d e s d e u x a m b a s s a d e s q u e n o u s a v o n s m e n t i o n n é e s 5 .

Le Discours de Du Plessis Mornay, adressé à Henri III en 1584, envisageait déjà de « redresser l'axe commercial du monde, en ramenant vers Suez le trafic des épices et des produits d'Extrême Orient » 6. Cette restauration du commerce de la France est deve- nue la préoccupation de Colbert qui, on le sait, a fondé la fameuse Compagnie des Indes. Alors que les négociations s'engageaient entre Versailles et la Sublime Porte, alors que l'ambassade pit- toresque de Suleiman Aga inspirait à Molière la « turquerie » du Bourgeois Gentilhomme, et que le marquis de Nointel, accom- pagné de lettrés et d'artistes se rendait à Constantinople puis prenait la route de l'Égypte à travers la Syrie et la Palestine 7, Louis XIV écartait la proposition de conquérir l'Égypte que Leibniz venait lui soumettre, en 1672, pour éloigner ses armées de la Hollande 8. On n'a pas besoin, après l'ouvrage de Jean- Marie Carré, d'énumérer ici tous les voyageurs qui se dirigeaient vers l'Égypte. « Une première vague d'intérêt, dit-il, déferle vers 1650 et son remous dure environ un siècle » 9. Pendant tout le XVIII siècle, l'Angleterre se montre plus lente que la France

1. Sur Ch. Poncet, cf. J.-M. Carré : Voyageurs, 1, 42. 2. J. Bruce : Voyage en Nubie et en Abyssinie, II, 533. 3. Saint-Aymour, 190. 4. Schefer : « Étude sur la Devise des chemins de Babiloine ». 5. V. note 1, p. 20. 6. F. Charles-Roux : Ibid. 7. Vandal : Les voyages du marquis de Nointel (1670-1680). 8. Id. : Louis X I V et l'Égypte. 9. 1, p. xiv.

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à s'intéresser aux affaires d'Égypte 1. En 1737, un rapport sug- gérait déjà de transporter d'Alexandrie à Paris la colonne de Pompée et de la dresser sur une place de la capitale, surmontée d'une statue de Louis XV 2. Avec la guerre turco-russe, déclarée en 1768, réapparaît en France, dans les papiers des Affaires étrangères, l'idée traditionnelle de s'emparer de l'Égypte, desti- née désormais à se détacher de l'empire ottoman. Si les signataires successifs de ces papiers changent de nom, le fond de l'exposé reste le même, de Choiseul à Lauzun, au duc d'Aiguillon, à Saint- Didier, au baron Tott, à Talleyrand 3. Ce sont là les origines de l'expédition de Bonaparte 4.

A la fin du XVIII siècle, nous assistons donc à une recrudes- cence d'intérêt de la France pour l'Égypte. « On ne parle que des anciennes villes de Thèbes et de Memphis, — écrivait l'abbé Le Mascrier, — des déserts de Libye, des grottes de la Thébaide. Le Nil est aussi familier à beaucoup de gens que la Seine. Les enfants même ont les oreilles rabattues de ses cataractes et de ses embouchures. Tout le monde a vu des momies ou en a entendu

parler. En un mot, le puits de Joseph, la colonne de Pompée, le phare d'Alexandrie, les pyramides d'Égypte sont des objets dont on a été si souvent entretenu, qu'entreprendre d'ajouter aux connaissances qu'on en a, ce serait vouloir apprendre à des Parisiens ce qu'est Saint-Denis ou faire connaître le tombeau d e s a i n t M a r t i n à u n h a b i t a n t d e l a T o u r a i n e » 5.

Mais jamais l'isolement de l'Égypte n'avait été aussi absolu. Quelques jours avant l'arrivée de la flotte française transportant l'armée d'Orient, Nelson, qui en surveillait les mouvements, se hâta de gagner Alexandrie où il fut éconduit par Muhammad Kurayyim, le gouverneur de la ville, qui lui fit cette réponse dédaigneuse : « Il n'est pas possible que les Français viennent dans notre pays ; ils n'ont rien à y faire » 6. Ce mot, prononcé à la veille du débarquement de Bonaparte sur la côte d'Égypte, souligne toute la brutalité d'un contact inattendu qui vient enlever le pays à sa sereine indifférence.

1. F. Charles-Roux : L'Angleterre, l'isthme de Suez et l'Égypte au XVIIIe siècle. 2. Id. : La politique française en Égypte à la fin du XVIIIe siècle. 3. Id. : Le projet français de la conquête de l'Égypte sous le règne de Louis XVI. 4. Id. : Les origines de l'expédition d'Égypte. 5. T.e Mascrier : Description de l'Égypte, p. III-IV. 6. Kicoias Turc : Chronique d'Égypte, pllbt. par G. Wiet, texte arabe, p. 6.

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II

Pour l'Égypte, c'est le commencement d'une ère nouvelle. Elle découvre l'existence d'un autre monde, bien meilleur que celui des Turcs et des Mamelouks. Elle renoue avec l'Occident, qui vise d'ailleurs à l'entraîner dans son orbite. Comme la France lui a révélé cette vie moderne, elle confie son équipement à des spécialistes français et envoie nombre de ses enfants en France puiser la science et les techniques qui lui manquent. Certains, dépassant les intentions des gouverneurs, se prennent à étudier les institutions sociales et démocratiques. Lorsque l'oppression de la politique khédiviale ou anglaise les étouffe, ils vont chez le peuple qui avait proclamé les Droits de l'Homme, plaider la cause de leur liberté et de leur indépendance. Tout le long du siècle, des voyages, de plus en plus fréquents, relient Alexan- drie à Marseille. Émigrés, réfugiés, étudiants, journalistes, hommes de lettres et touristes affluent tour à tour vers Paris ou s'arrêtent dans le midi de la France, et trouvent — selon une tradition qui s'établit — le foyer, l'école et la tribune mondiale qu'ils cherchent.

C'est Bonaparte lui-même qui voulait, quand il était encore au Caire, envoyer de jeunes Égyptiens en France ; mais les cir- constances de la guerre et les Anglais en vigie sur les eaux de la Méditerranée ne le permirent point. Pourtant, l'occasion s'offrit bientôt de transporter aux rivages français, avec la retraite de l'armée d'Orient, quelques centaines d'Égyptiens. Tout un projet de l'indépendance de l'Égypte se rattache à cette émigra- tion 1. Malheureusement, la mort de son chef Moallem Yacoub, pen- dant la traversée, porta un coup fatal aux négociations qu'il allait engager avec les gouvernements français et anglais. La dispari- tion de ce premier nationaliste transforma la « légation égyp- tienne » en « réfugiés égyptiens », vivant misérablement à Marseille et à Melun après avoir déployé une bravoure farouche sur tous les champs de bataille de l'Empire, de l'Espagne à la Russie.

Dans le domaine intellectuel, rien de comparable au mouve- ment des idées dans l'émigration française de 1789 à 1815 2. Ces

1. Georges Douin : L'Égypte indépendante. Projet de 1801. Le Caire, Soc. de géographie,

2. F. Baldensperger : fe mouvement des idées dans l'émigration française de 1789 à 1815. Paris, Plon, 1925, 2 vol.

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émigrés, illettrés pour la plupart, fournirent néanmoins des traducteurs et de remarquables professeurs d'arabe à l'École des Langues Orientales. Parmi ceux qui se distinguèrent, signa- lons deux hommes de grand mérite : Ellious Bocthor (1784- 1821), un talent méconnu, auteur d'un important Dictionnaire, et qu'une mort prématurée empêcha de donner toute sa mesure 1 ; et Joseph Agoub (1795-1832), aimable poète, dont les vers fran- çais jouirent d'un aussi vif succès dans le salon de Madame Dufré- noy que dans les revues de l'époque, et dont la traduction des maouals — chants populaires d'Égypte — fut appréciée par Lamartine 1. On oublie cependant trop le rôle qu'ils jouèrent dans la renaissance de l'orientalisme et l'élaboration des thèmes romantiques. Pour ne pas surcharger le présent volume, l'étude que nous avons consacrée à leur destinée et leur influence — en tête de notre thèse — fera l'objet d'une publication spéciale, enrichie de nouveaux documents : Les Émigrés d'Égypte et la genèse du romantisme français.

Dictée uniquement par les événements de la guerre et de la politique, cette rencontre entre l'Orient et l'Occident porta ses fruits surtout en France. L'expérience suivante, la mission sco- laire égyptienne que Jomard, réussissant enfin à détourner Méhémet-Ali de l'Italie, fit venir à Paris en 1826, offrira à l'Égypte les premiers artisans de sa Renaissance. Il suffit d'évoquer Rifâ'a at- Tahtawi. C'est en France qu'il conçut les éléments multiples de son œuvre. Sa relation de voyage, rédigée à Paris, contient les germes de son activité future, et constitue, par là même, un témoignage d'une haute valeur humaine et historique, tant sur cet ancien élève d'al-Azhar qui se convertit en apôtre du modernisme, que sur les sources de la rénovation de l'Égypte. Ce contact fécond avec la civilisation occidentale se poursuit méthodiquement et nous donne, au milieu du siècle, Ali Mubà- rak. Bien qu' « Ahmed le Fellah » d'Edmond About, ne soit que le héros fictif d'un roman, il reste vrai dans la mesure où il repré- sente, avec les problèmes qu'il pose, toute une classe de jeunes gens élevés en France et dont l'évolution de l'Égypte porte fortement la marque. « C'est le type du brillant élève de la mis- sion scolaire égyptienne qui revient dans son pays avec toutes les vertus et toutes les capacités, capable et désireux de le régé- nérer » 2.

1. A. Louca : « Ellious Bocthor, sa vie et son œuvre ", Cahiers d'histoire égyptienne, V, 5-6 (déc. 1953), 309-320 ; « Joseph Agouh ", ihid., IX, 5-6 (1958), 187-201.

2. J.-M. Carré : Voyageurs, II, 267.

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A c ô t é d e s q u e l q u e s c e n t a i n e s d ' é l è v e s q u i f o n t l e v o y a g e d e

F r a n c e d a n s l e s m i s s i o n s s u c c e s s i v e s , s u r g i s s e n t , v e r s l e d e r n i e r

q u a r t d u s i è c l e , d e s j o u r n a l i s t e s e t d e s h o m m e s d e l e t t r e s , b a n n i s

p a r l e s k h é d i v e s I s m a i l e t T a w f i q p o u r l e u r s o p i n i o n s l i b é r a l e s .

I l s n ' h é s i t e n t p a s à p a r t i r p o u r P a r i s o ù , d a n s u n c l i m a t s t i m u -

l a n t e t g r â c e a u x r i v a l i t é s i n v é t é r é e s e n t r e l a F r a n c e e t l ' A n g l e -

t e r r e , i l s r e p r e n n e n t l a l u t t e c o n t r e l ' h y p o c r i s i e k h é d i v i a l e e t l a

t y r a n n i e b r i t a n n i q u e . I l s p u b l i e n t l e u r s j o u r n a u x p l u s v i r u l e n t s

q u e j a m a i s . P a r m i e u x s e d é t a c h e d ' a b o r d l a f i g u r e o r i g i n a l e d e

J a m e s S a n u a , q u i d i r i g e a i t a u C a i r e u n t h é â t r e p o p u l a i r e e t r é d i -

g e a i t , e n p r o s e e t e n v e r s , u n e r e v u e h u m o r i s t i q u e e t s a t i r i q u e .

S a r e v u e , A b o u N a d d a r a , s ' a c h a r n a n t c o n t r e l e s k h é d i v e s e t d é n o n -

ç a n t l e s a b u s a v e c t o u t e s l e s h a r d i e s s e s d e l a l a n g u e v u l g a i r e , p é n è -

t r e c l a n d e s t i n e m e n t e n É g y p t e . I l y a j o u t e s o u v e n t d e s p a g e s e n

f r a n ç a i s . P r e s q u e s i m u l t a n é m e n t , A d i b I s h â q , j e u n e j o u r n a l i s t e

a r d e n t , d e c u l t u r e f r a n ç a i s e , p u b l i e « à P a r i s , s o u s l e c i e l d e l a

l i b e r t é » s a r e v u e « L ' É g y p t e T r i o m p h a n t e » ( M i s r a l - Q a h i r a ) .

B i e n t ô t , l e u r m a î t r e J a m â l a d - D i n , c e t h o m m e q u i a a g i t é l ' o p i n i o n

d a n s t o u t l ' O r i e n t m u s u l m a n , e t s o n d i s c i p l e , le c h e i k h M u h a m m a d

' A b d u h , l e s r e j o i g n e n t e t l a n c e n t a l . ' U r w a a l - w u t h q a , o r g a n e d u

t r a d i t i o n a l i s m e m i l i t a n t . D e v e n u s p l u s p a t r i o t e s e n s ' e x p a t r i a n t ,

c e s j o u r n a l i s t e s l e t t r é s o n t t r o u v é , p e n d a n t l e u r s é j o u r e n F r a n c e ,

d e s i d é e s e t d e s t e c h n i q u e s n o u v e l l e s , a u t a n t d e n o u r r i t u r e p o u r

l e l i b é r a l i s m e e t l a p r e s s e d e l ' É g y p t e r e n a i s s a n t e .

É m i g r é s , é t u d i a n t s , e x i l é s , t o u s l e s É g y p t i e n s q u ' o n a r e n c o n -

t r é s e n F r a n c e , j u s q u ' i c i , n e s o n t p a s d e v é r i t a b l e s v o y a g e u r s .

L e c a r a c t è r e p l u s o u m o i n s i n v o l o n t a i r e d e l e u r d é p a r t , l a p r é o c -

c u p a t i o n p r e s s a n t e q u i d é t e r m i n e l e u r d é p l a c e m e n t , e n l è v e n t a u

v o y a g e c e p l a i s i r d e d é p a y s e m e n t e t d e d é c o u v e r t e p e r s o n n e l l e

q u ' i l c o m p o r t e . I l f a u t a t t e n d r e l e s d e r n i è r e s d é c a d e s d u x i x e s i è c l e ,

e t s u r t o u t l e s a n n é e s 1 8 8 9 e t 1 9 0 0 , p o u r v o i r d e s v o y a g e u r s é g y p -

t i e n s , d a n s l e s e n s t o u r i s t i q u e d u m o t , v e n i r à P a r i s v i s i t e r l e s

E x p o s i t i o n s u n i v e r s e l l e s . C e u x - c i p a r t e n t i n d i v i d u e l l e m e n t , v o y a -

g e n t p o u r v o y a g e r e t t i e n n e n t s o u v e n t u n j o u r n a l d e r o u t e o ù

i l s c o n s i g n e n t l e u r s i m p r e s s i o n s 1. I l e s t i n t é r e s s a n t d e d é c e l e r

d a n s l e s r e l a t i o n s d e v o y a g e d ' A m î n F i k r i , d ' a l - B a j ü r i e t d ' A h m a d

Z a k i l e s m ê m e s r é a c t i o n s . C e s o n t l e s r é a c t i o n s d e l ' É g y p t e v i s - à - v i s d e l a c i v i l i s a t i o n o c c i d e n t a l e . C o n s c i e m m e n t o u i n c o n s -

c i e m m e n t , c e s v o y a g e u r s d e l a f i n d u s i è c l e s o n t a l l é s c h e r c h e r ,

1. Cf. Gabriel Ollivier : « Le tourisme à travers les âges », Annales du Centre universit. méditerranéen, II (1947-48), 241-42. — Pierre de Gorsse : « Histoire et technique du tou- risme », ibid., IV (1950-51), 238-41.

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outre les charmes d'une croisière, une information, une leçon, qu'ils se hâtent de communiquer à leurs compatriotes.

Ainsi notre sujet se fixe dans le temps. Avec les visiteurs des Expositions, la France devient un but de tourisme. Après l'émi- gré, l'étudiant et l'exilé, le touriste est l'aboutissement naturel de toute l'évolution de la qualité de voyageur. En traçant cette évolution, nous suivons en vérité jusqu'à son terme l'histoire de la compréhension progressive de la France par l'Égypte.

C'est là que se manifeste une « entente cordiale ». Celle de 1904, qui a profondément déçu Mustafâ Kàmil et le Parti National, paraît toutefois comme une fausse rupture entre les deux pays. La France, en renonçant solennellement à l'Égypte au profit de l'Angleterre, va s'efforcer d'exercer aux bords du Nil, faute d'une influence politique, une influence intellectuellex. La déception est bientôt oubliée, dépassée. Des missions d'étudiants partent encore au xxe siècle pour les villes universitaires de France, et tous les étés, outre les hommes d'affaires, une certaine bourgeoisie fait des voyages d'agrément aux stations balnéaires françaises. Beaucoup de congrès scientifiques et internationaux auront lieu à Paris, auxquels participent des Égyptiens qui, de retour, publieront leurs impressions de voyage. Si nous recon- naissons cependant avec Henri Pérès, que « la France a exercé au xixe siècle, une attraction incontestable qu'elle devait, à son insu peut-être, au rayonnement des idées de la Révolution française de 1789, au prestige de Napoléon et, ce qui est plus sûr, à la fascination de sa Ville-Lumière » 2, il nous semble assis- ter, en 1904, à la fin d'une époque. Au début du xxe siècle — en attendant que l'avion supprime les distances — les itinéraires, souvent, n'iront pas directement d'Alexandrie à Marseille, ni exclusivement en France. Désormais, dans une relation de voyage en Europe — sans parler de l'Amérique — la France occupe un chapitre à côté d'autres pays. Déjà en 1889 et 1900, c'est l'Expo- sition « universelle » qu'on venait visiter à Paris. Les fluctuations de la politique, la facilité des communications et le rythme fébrile de la vie mondiale pousseront les Égyptiens vers les horizons les plus divers.

Sur l'emploi des mots « voyageurs et écrivains égyptiens »,

1. Léon Blier : « La France en Égypte ». 2. H. Pérès : « Voyageurs musulmans en Europe ».

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certaines réserves s ' imposent . Nous venons de voir tou te la variété des caractères que doit désigner ici le t i t re de voyageur, de l 'émigré jusqu ' au touriste. Parmi ces voyageurs, nous ren- controns des journalistes e t des hommes de lettre, mais pas un grand écrivain a v a n t la dernière décade du x ixe siècle. C'est que les grands écrivains m a n q u e n t dans la l i t té ra ture arabe de cette époque. Après une longue s tagnat ion qui remonte au moyen âge, la tâche des premières générations du x ixe siècle é ta i t de secouer cette léthargie, avec plus ou moins de succès. Elles ne pouvaient pas encore donner de chefs-d 'œuvre ; elles se préoccu- paient d 'acquérir les éléments d 'une nouvelle vie intellectuelle, ce qu'elles allaient chercher en Europe. Rifâ 'a at- Tahtawi et Ali Muhiirak ne sont que deux précurseurs. Les suivre en France, c'est étudier l ' intéressante genèse de la l i t té ra ture égyptienne moderne. On ne saurai t t rop insister sur l ' importance de Takhlis al-ibriz, la relat ion de voyage de Rifa 'a. E t lorsque le premier romancier, al-MuwaylihI, écrira ar-Rihla ath-thaniya, il ne fau t pas perdre de vue la filiation qui ra t t ache cette œuvre au livre de Rifa 'a, en passant par 'Alam ad-Din d'Ali Mubârak. Les grands écrivains et les grands poètes de l 'Égypte , nous les verrons à leur tour voyager et se former en France, en rappor te r des idées, des formes et des modes lit téraires nouvelles. Les voyages d'al-Muwayliḥī et de Shawqî, à la fin du x ixe siècle, annoncent ceux de Tâha Husayn ,de Tawfiq al-Hakim, de Haykal , de Husayn Fawzi et de Yahyâ Haqqi. « Toute l 'histoire de la l i t té ra ture arabe moderne — déclare Kra tchkovski 1, — doit être considé- rée comme une histoire de l 'influence européenne », de l ' influence française — dirons-nous précisément t a n t qu' i l s 'agi t du x ixe siècle, et t a n t qu'influence veut dire s t imulant d 'une originalité renais- sante. Récepteurs d 'une culture humaniste , premiers interprètes de l 'âme égyptienne retrouvée, nos écrivains voyageurs, même les secondaires parmi eux, ont assumé une grande tâche. Leur étude n 'est donc pas ingrate. E t c 'est à leur profit que nous sacrifions les autres : techniciens, militaires, diplomates, etc.

L 'épi thète « égyptien » prend toute sa valeur q u a n d on l 'appl ique à ces voyageurs qui se s i tuent entre Moallem Yacoub et Mustafâ Kâmil, deux nationalistes qui cherchaient en France la libéra- t ion de leur patrie. Au cours du x ixe siècle, la nat ional i té égyp- tienne s'extériorise et s'affirme officiellement, à mesure que l 'Égypte se détache de l 'empire turc et que la dynast ie de Méhé-

1. Ellc. de l'Islam, lre éd., suppl., p. 27.

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met-Ali s'éloigne de ses origines. La notion confuse d'Orient englobait à la fois, — dans l'ambiguïté ottomane, — celles de Musulman, d'Égyptien, d'Arabe, de Levantin, de Turc, etc. Sous l'appellation de « réfugiés égyptiens », on trouve, dans les archives de Vincennes, tous les noms des Syriens, des Grecs, des Arméniens, voire des Italiens qui suivirent en France l'armée d'Orient. Les « missions scolaires égyptiennes » envoyées par Méhémet-Ali comptent plus d'Arméniens, de Circassiens et de Turcs que de véritables Égyptiens. Nous ne nous intéressons à ces hommes que dans la mesure où ils ont représenté ou servi l'Égypte.

Toutefois, l'histoire politique ne sera évoquée qu'à la manière d'une toile de fond, indispensable d'ailleurs pour l'intelligence de l'action, des déplacements de tel ou tel voyageur, de son acti- vité et de l'interprétation de ce qu'il observe. Nous demanderons à chaque voyageur sa qualité, son itinéraire, son dessein, ses réactions, sa vision de la France, ce qu'il doit de cette connais- sance à ses prédécesseurs, ce qu'il découvre personnellement et, surtout, ce qu'il apporte à ses compatriotes. Au-delà de l'intérêt historique, au-delà de l'érudition littéraire, le courant imposant des voyageurs égyptiens en France au xixe siècle nous offre un spectacle humain, celui du contact de deux mondes, celui des rapports si complexes entre deux peuples, deux civi- lisations.

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P R E M I È R E PARTIE

LES MISSIONS SCOLAIRES

1. L'ÉCOLE ÉGYPTIENNE DE PARIS (1826-1835).

2. RIFÂ'A AT-TAHTÃwi (1801-1873).

3 . L ' É C O L E M I L I T A I R E É G Y P T I E N N E ( 1 8 4 4 - 1 8 4 9 ) .

4. ALI MUBÃRAK (1824-1893).

5 . L E S M I S S I O N S S C O L A I R E S D A N S L A S E C O N D E M O I T I É D U

X I X E S I È C L E .

6 . R É S U L T A T S .

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C H A P I T R E 1

L'ÉCOLE ÉGYPTIENNE DE PARIS

(1826-1835)

Le lieutenant de vaisseau Robillard, commandant de la gabarre du Roi, La Truite, arrivé à Alexandrie au mois de mars 1826, voulut profiter de son passage en Égypte pour visiter les Pyra- mides 1. Avec les quatre officiers de son bord, il fut présenté, au Caire, à Méhémet-Ali. Le pacha se montra « très poli et très gracieux » à leur égard, leur dit les choses « les plus honnètes » 2, et leur demanda sans doute des nouvelles des frégates qu'on con- truisait à Marseille pour son compte. Encouragés par ce bon accueil, ils se rendirent non seulement à Guizeh, mais encore à Saqqâra, à Dahshùr et au camp d' Abü-Za 'bal, où le général Boyer formait les nouvelles troupes 3. A leur départ, le pacha les chargea d'embarquer quarante-quatre de ses sujets, envoyés à Paris pour faire leurs études 4.

L'idée d'envoyer une mission scolaire à Paris était déjà vieille d'une quinzaine d'années. Jomard, ancien ingénieur géographe de Bonaparte, devenu membre de l 'Institut et éditeur de la Description de l'Egypte, l'avait émise « dès avant 1812 »5. Il fit alors soumettre à Méhémet-Ali, par l'intermédiaire du consul Drovetti, « un plan pour la civilisation de l'Égypte par l'instruc- tion » 6. Le pacha, plus préoccupé d'installer son pouvoir que de civiliser le pays, avait négligé le projet. Pour parer aux besoins

1. Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris. « Correspondance consulaire, Le Caire », vol. 26, fO 278, 10 mars 1826.

2. Ibid. 3. Douin : Une mission militaire française auprès de Mohamed Aly. 4. Arch. du min. des Aff. étrangères, Paris. « Correspondance consulaire, Le Caire »,

vol. 26, fl 282, 4 avril 1826. 5. Sur la « Commission des Sciences et Arts » de l'armée d'Orient (1798-1801) et la Des-

cription de l'Égypte, v. J.-M. Carré : Voyageurs, I, 2e partie, chap. 3. 6. Jomard : Banquet de l'Expédition d'Égypte. Sur ce premier projet d'nne mission sco-

laire égyptienne en France, v. Notes complémentaires, n° 2.

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urgents de son gouvernement, il embauchait des techniciens et des spécialistes européens. La nécessité d'outiller l'adminis- tration d'une imprimerie le détermina cependant, vers 1815, à envoyer Nicola Massabiki, syrien d'origine, apprendre la typo- graphie en Italie 1.

En Italie, parce que c'était le pays de la latinité le plus orien- taliste. On sait qu'à Rome, les arabisants de l'expédition fran- çaise, sur leur route pour Alexandrie, avaient saisi l'imprimerie de la Propagande. L'italien, jusqu'au début du xixe siècle, était r e s t é l a l a n g u e e u r o p é e n n e l a p l u s r é p a n d u e e n O r i e n t 2. D e s

o f f i c i e r s , d e s m é d e c i n s e t d e s p r o f e s s e u r s i t a l i e n s s e r v a i e n t e n

É g y p t e 3. V e r s 1 8 1 9 , M a s s a b i k i r e n t r a d e M i l a n , m u n i d e l ' i m p r i -

m e r i e d o n t i l d e v i n t l e d i r e c t e u r e n 1 8 2 1 , à B u l â q m ê m e o ù i l

fut d'abord attaché à l'école d'Osman Noureddïn4. L'année suivante sortit le premier volume imprimé par ses soins : un dictionnaire italien-arabe 5. Quant à ses deux ou trois camarades d'études en Italie, l'histoire semble les ignorer 6.

Le Turc Osman Noureddin, après avoir visité la Suisse, l'Alle- magne et séjourné quelques années en Italie, fut le premier étu- diant envoyé en France. Ismail Gibraltar, un autre Turc, amiral et interprète de Méhémet-Ali, le prit à son bord de Livourne à Marseille où, avant de gagner la capitale, il régla certaines affaires de son maître, vers la fin de l'année 1818 7. A Paris, il étudia,

1. S u r N. Mass i ib ik i e t sa ca r r i è re , v . S â b â t : T â r ï k h a ṭ - ṭ ibā ' a , 148-151. 2. A r t i n : L ' I n s t r u c t i o n pub l i que en É g y p t e , 69. 3. S u r la p r é d o m i n a n c e d u p e r s o n n e l i t a l i en en E g y p t e a u d é b u t d u x i x e siècle, voi r

B o w r i n g : R e p o r t on É g y p t a n d C a n d i a , 139 ; D o u i n : U n e mis s ion mi l i ta i re , 40, l e t t r e de B o y e r à J o m a r d , 20 m a i 1825 ; Ange lo S a m m a r c o : Gli I t a l i a n i in Egi t to . A l e x a n d r i e , 1937.

4. D ' a p r è s le v o y a g e u r i t a l i en Brocch i , q u i v i s i t a c e t t e école le 5 d é c e m b r e 1822, il y a v a i t d e u x p r o f e s s e u r s i t a l iens , D o n Carlo B i lo t t i , ca l ab ra i s , e t l ' a b b é Scag l io t t i , p i é m o n - t a i s , a ins i q u e D o n R a p h a ë l de Monach i s , sy r i en d e c u l t u r e i t a l i enne , qu i a v a i t é té le r i v a l d ' E l l i o u s B o c t h o r à Par i s . G. B. Brocch i : G io rna le delle osservazioni faite ne ' v i agg i i n Eg i t t o , nel la S i r i a e ne l l a N u b i a , B a s s a n o , 1841, I, 159.

5. D i z i o n a r i o i t a l i ano-a rabo , Bo lacco , De l l a S t a m p e r i a Rea le , 1822. Cf. T. X. B i a n c h i : « C a t a l o g u e des l iv res a r a b e s , p e r s a n s et t u r c s i m p r i m é s à B o u l a c en É g y p t e depu i s l ' i n t r o - d u c t i o n de l ' i m p r i m e r i e d a n s ce p a y s )), NOlweau J o u r n a l as ia t ique , 1843, I I , 24-60.

L a l is te des 10 p r e m i e r s o u v r a g e s i m p r i m é s à B u l â q es t r e p r o d u i t e p a r A. Geiss : « His- t o i r e de l ' i m p r i m e r i e en É g y p t e (II) », Bul l , de l ' I n s t . d ' É g y p t e , 1908, II , 203-204.

6. Les h i s t o r i e n s d e l ' e n s e i g n e m e n t m o d e r n e en É g y p t e (Sa l ama , ' A b d a l - K a r i m e t H e y w o r t h - D u n n e , d a n s l eurs o u v r a g e s pub l i é s en 1938 e t 1939) se r é f è r e n t à T u s u n , qu i ignore , en 1934, j u s q u ' a u x n o m s des m e m b r e s de c e t t e p r e m i è r e miss ion scolaire. U n e l e t t r e c e p e n d a n t (publ iée en 1934 p a r G. Mar ro : Document i inedi t i , p. 19-21) ad re s sée de T u r i n le 12 févr ie r 1821 p a r César de Sa luces a u consu l D r o v e t t i , n o u s révè le q u ' E l i e S a b - b a g h e t R a p h a ë l Missabik i , s u i v a i e n t les cour s de c h i m i e e t de m a t h é m a t i q u e s r e spec t i - v e m e n t a u Collège des P r o v i n c e s (à Tu r in ) a p r è s u n s é j o u r m o i n s f r u c t u e u x à Milan, e t q u ' i l s d e m a n d a i e n t de c o n t i n u e r l eurs é t u d e s à L y o n ou à Pa r i s .

7. S u r ce v o y a g e d ' I s m a ï l G i b r a l t a r j u s q u ' à S t o c k h o l m , vo i r Arch. d u min. des Aff. é t rangères , P a r i s « C o r r e s p o n d a n c e consu la i re , A l e x a n d r i e », vol. 19, f , 278-281 ; la m o n o - g r a p h i e d ' A u r i a n t , « I s m a ï l G i b r a l t a r , a m i r a l é g y p t i e n », Rev. bleue, 1926, 626 e t su iv . e t l ' é t u d e de J . T a g h e r , « I s m a ï l G i b r a l t a r , p r e m i e r a m i r a l d e la f lo t te de M o h a m m a d Ali », Cah. d 'h is t . égypt ienne , IV, 2 (fév. 1952), 102-110.

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pendant un peu plus d'un an, le français, l'anglais, les mathé- matiques 1. Jomard ne manqua pas de lui confier une « dernière copie du plan » adressée au pacha 2. Mais, féru de tout ce qui est italien, Osman, de retour au Caire en 1820, remit sans enthousiasme le nouveau projet de Jomard à Méhémet-Ali qui, tout de suite, estima qu'il était prématuré de le mettre à exécution 3.

La carrière orageuse d'Osman est connue dans ses grandes lignes : professeur de français 4 et directeur de l'école de Bùlâq et de sa bibliothèque 5, il fut promu major-général en 1825, commandant de la marine en 1828, et finit par déserter en 1833 à la suite des troubles de Candie où il prit une attitude trop paci- fique pour plaire au vice-roi.

L'envoi d'une grande mission scolaire en Europe ne tarda pas à s'imposer. Il n'y avait point d'instruction publique en Égypte 6. Certes, il existait toujours, à l'ombre des mosquées et des mauso- lées, ces curieuses écoles élémentaires appelées kuttabs 7, où les enfants apprenaient, avec les rudiments de la religion musul- mane, la lecture et l'écriture. Les enfants coptes avaient aussi leurs écoles, adjointes aux églises 8. Quant à la vieille université d'al-Azhar, elle ne vivait plus que sur le prestige de ses brillantes annales du temps des Fatimides et des Ayyubides. Les études, altérées par les pratiques occultes du sûfism 9, n'y occupaient même plus la première place. Beaucoup d'étudiants pauvres y cherchaient surtout la nourriture gratuite et le gîte qu'elle assu- rait. Attirés par la sainteté des lieux et, pendant les nuits chaudes par la fraîcheur des cours pavées, commerçants, soldats, vaga- bonds se pressaient dans la mosquée, empiétaient sur les étudiants et jetaient dehors leurs livres et leurs affaires 10. Les professeurs,

1. Jomard : Banquet. 2. Ibid. 3. Douin : Une mission militaire, 110. 4. Brocchi, 1, 157-158. 5. Le Times du 4 juillet 1818 publia que 600 volumes français furent commandés par

Méhémet-Ali. D'après les Archives russes en Égypte, Osman procura « d'environ 50.000 roubles des livres élémentaires français, sur les sciences, les arts et l'économie politique » (Cattaoui, 387-388). A Bülaq, on s'occupait surtout de traduire ces livres. Il y avait beau- coup d'ouvrages italiens, encyclopédies, traités de mathématiques, de sciences militaires, etc. La littérature était représentée par Dante, Voltaire, Rousseau (Brocchi, I, 160-161).

6. « Les écoles publiques ne doivent leur existence qu'à la charité », dit Chabrol : Essai sur les mœurs des habitants modernes de l'Égypte, Description de l'Egypte, Paris, 1826, t. XVIII , p. 65.

7. Ibid., 64. 8. Ibid., 65. 9. Le professeur Cheikh Osman, imam de la mosquée d'al-Azhar croyait que des élèves

invisibles, des djinns, assistaient à ses cours. Voir Salama : L'Enseignement islamique en Égypte, 114.

10. Ibid., 130. — Rixes, vols, débauches se déroulaient dans al-Azhar à l'occasion des fêtes. V ollers : 1) al-Azhar », 542.

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i n c o n s c i e n t s de la s t é r i l i t é de l e u r é r u d i t i o n , i n c a r n e n t à nos y e u x

l ' é p u i s e m e n t d ' u n e c u l t u r e t r o p l o n g t e m p s r ep l i ée s u r e l l e - m ê m e ,

i so lée de t o u t s t i m u l a n t e x t é r i e u r . Ils n ' e n s e i g n a i e n t q u e la t h é o -

logie, y c o m p r i s le d r o i t m u s u l m a n , la l o g i q u e e t la r h é t o r i q u e 1.

Mai s d é t e n a n t la s ages se de la loi, se c r o y a n t c a s t e s u p é r i e u r e ,

ces a z h a r i s t e s n e d a i g n a i e n t p a s s ' i n t é r e s s e r a u x sc iences p ro -

f anes . M é h é m e t - A l i c o m p r i t q u e p o u r s ' é m a n c i p e r , il d e v a i t se d é t o u r n e r de c e t é t r o i t f o y e r de la t r a d i t i o n . Il a v a i t b e s o i n

d 'of f ic iers , de m a r i n s , de t e c h n i c i e n s , d ' h o m m e s c a p a b l e s d e dir i - ge r des a r s e n a u x , des c h a n t i e r s , des a t e l i e r s .

Il d é b u t a , a p r è s a v o i r m a s s a c r é les M a m e l o u k s e t v a i n c u les

W a h h a b i t e s , p a r c o n f i e r en 1816, à H a s a n ef fendi a d - D a r w i s h

a l -Maws i l ï , ses j e u n e s e sc l aves b l a n c s a f in de l e u r a p p r e n d r e , à la

C i t ade l l e , l a c a l l i g r a p h i e e t l ' a r i t h m é t i q u e 2 . L ' é c o l e se d é v e -

l o p p a ; le T u r c R ù h a d - D i n ef fendi y r e m p l a ç a a d - D a r w ï s h ;

les p r o g r a m m e s c o m p r e n a i e n t le C o r a n , le t u r c , le p e r s a n , l ' i t a -

l ien e t les exe rc i ce s m i l i t a i r e s . Ve r s 1820, u n e « école de g é o m é -

t r i e », à p e i n e c réée à la C i t a d e l l e auss i , f u t t r a n s f é r é e à B ü l a q

o ù l ' a r c h i t e c t e m a r s e i l l a i s P a s c a l Cos te s e m b l e a v o i r e n s e i g n é 3.

E n 1825, u n e a n n é e a p r è s l ' a r r i v é e d u g é n é r a l B o y e r e t de sa

m i s s i o n , elle f u t t r a n s f é r é e de n o u v e a u à Q a s r a l - ' A y n ï , sous le

n o m de l ' E c o l e P r é p a r a t o i r e Mi l i t a i r e , n ' a d m e t t a n t q u e des

é lèves t u r c s , c i r ca s s i ens , géo rg i ens , grecs , a r m é n i e n s e t k u r d e s ,

m é l a n g e o t t o m a n d o n t l ' é l é m e n t é g y p t i e n é t a i t e x c l u 4 . Af in

de h â t e r les r é s u l t a t s , M é h é m e t - A l i c r u t p r é f é r a b l e d ' e n e x p é d i e r

u n e p a r t i e p o u r s ' i n s t r u i r e en E u r o p e 5.

1. Cf. Gibb and Bowen : Islamic society and the West, I, Islamic society in the eighteenth century, part 11, chap. xi, Education, 139-164.

2. AI-Jabartï, IV, 225. 3. Envoyé par Jomard au service de Méhémet-Ali, Pascal Coste est surtout connu

comme précurseur de Prisse d'Avennes dans l'étude de l'architecture arabe (v. son Archi- tecture arabe ou monuments du Caire, Paris, Didot, 1837-1839 ; J.-M. Carré, Voyageurs, I, 283). D'après Planat (Histoire de la régénération de l'Égypte, 31-32, 86), il fonda et diri- gea à Bûlâq l'école des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Vaulabelle (Histoire de l'Égypte moderne, II, 255) dit que cette école « était destinée à l'enseignement des premiers élé- ments des arts et des sciences exactes ; un assez grand nombre de jeunes gens turcs et arabes y furent appelés, et malgré une foule d'obstacles suscités par l'ignorance et les pré- jugés religieux, il en sortit bientôt des élèves qui commencèrent le cadastre de la Basse- Égypte ». Un ordre de Méhémet-Ali, daté du 16 septembre 1820, nomme en effet un Euro- péen appelé Qusṭī comme professeur de dessin et de mathématiques à cinq ou six élèves de « Dâr al-Handasa » (Heyworth-Dunne, An Introduction to the history of education, 108). Mais dans ses mémoires, Pacal Coste ne parle point de cette école (Mémoires d'un artiste. Notes et souvenirs de voyages, 1817-1877. Marseille, Coyer, 2 vol., 1878).

4. Artin : L'Instruction publique en Égypte, 70. 5. « Cette résolution qui peut avoir des résultats si avantageux pour le pays par la

suite, a été prise par le Pacha, lorsqu'il a reconnu que ces élèves qui étaient au Collège établi pour leur instruction, ne faisaient pas les progrès qu'il s'en promettait : il a jugé avec raison que dans deux années de séjour en France, ils apprendraient plus que dans quatre ans employés ici ». Arch. du min. des Aff. étrangères, Paris : « Correspondance Con- sulaire, Le Caire », vol. 26, f° 282.

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Ce fut au mois de janvier 1826 que Boghos, ministre des Affaires étrangères, demandait à Drovetti dans quels pays, en Italie ou en France, un groupe de jeunes gens recrutés par le pacha, pourrait recevoir la meilleure instruction. Le Piémontais, faisant preuve d'un grand désintéressement, lui déconseilla sincèrement les institutions italiennes où la vie intellectuelle languissait sous un régime réactionnaire 1. « A Paris, — ajoutait-il en français, — la vue d'un Musulman n'y excite pas la même répugnance que dans les villes d'Italie, où les préjugés religieux sont plus actifs et dominants et où la circonstance de la guerre que fait mainte- nant S. A. contre les Grecs pourrait encore développer des sen- timents plus positifs d'aversion et amener des rencontres désa- gréables. D'ailleurs les Français ont de la bienveillance pour les Turcs ; en Italie, ils ne sont guère bien vus que dans les ports parce qu'ils y sont utiles pour le commerce ». Mais tout le monde ne partageait pas cet avis.

Malgré l'opposition du parti italien, du parti anglais, de Boghos et d'Osman Noureddin, la décision, après plusieurs semaines d ' i n t r i g u e s , f u t t o u t e f o i s p r i s e e n f a v e u r d e l a F r a n c e 2 . S a n s

p e r d r e p l u s d e t e m p s , M é h é m e t - A l i p r o f i t a d e l a b o n n e v o l o n t é

d u c o m m a n d a n t d e L a T r u i t e , e t o r d o n n a a u x j e u n e s g e n s d e

g a g n e r A l e x a n d r i e p o u r s ' y e m b a r q u e r .

L a t r a v e r s é e d u r a t r e n t e - d e u x j o u r s . L e 1 5 m a i , i l s d é b a r -

q u è r e n t à M a r s e i l l e e t f u r e n t d i r i g é s a u s s i t ô t v e r s l e l a z a r e t .

L ' a p p a r i t i o n e n F r a n c e d e c e s s u j e t s d u p a c h a d u C a i r e f i t s e n -

s a t i o n . D a n s c e p o r t a b r i t a n t d e s b a t e a u x g r e c s à c ô t é d u c h a n t i e r

o ù L e f é b u r e d e C e r i s y c o n s t r u i s a i t l e s f r é g a t e s d e M é h é m e t - A l i ,

p h i l h e l l è n e s e t t u r c o p h i l e s c h e r c h a i e n t t o u j o u r s d i s p u t e . D e u x

m o i s a v a n t , l e S p a r t i a t e a v a i t t e n t é d ' i n c e n d i e r l ' A m a z o n e e t

l a p r é s e n c e d e d e u x b â t i m e n t s d u R o i f u t n é c e s s a i r e p o u r a p a i s e r

les esprits 3. Si l'arrivée inattendue des Égyptiens ne donna lieu à aucun incident fâcheux, les libéraux se saisirent cependant de l'occasion pour dénoncer le ministère de Villèle, coupable de connivence avec le vassal du sultan. Les journaux publièrent et commentèrent la nouvelle, ceux de gauche comme un acte

1. Lettre du 7 janvier 1826, de Drovetti à Boghos, publiée par Marro : La personalità di Bernardino Drovetti, 86-87.

2. Lettre du 26 févr. 1826, de Boyer à Belliard, publiée par Douin : Une mission militaire, 110.

3. Cf. Douin : Les premières frégates de Mohamed A ly (1824-1827).

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d'accusation, ceux de droite pour riposter et réhabiliter le gouver- nement. L'association curieuse de cette mission scolaire avec la guerre d'indépendance grecque persista même dans des pério- diques aussi pondérés que la Revue encyclopédique. « Autant nous avons déploré, — dit-elle, — la politique fausse et cruelle dont le vice-roi d'Égypte a subi l'influence, en prenant, peut- être malgré lui, une part active à la guerre d'extermination dirigée contre l'héroïque nation grecque, autant nous aimons à citer avec éloge la détermination pleine de sagesse et féconde en résultats pour l'avenir que le même prince vient d'adopter et dont il a préparé de longue main les moyens d'exécution, et qui a pour objet de faire élever en France plusieurs jeunes Égyptiens, destinés à occuper plus tard des postes importants dans leur patrie » 1.

L'actualité transforma donc les véritables proportions des choses. Tel un grand événement, cette simple mission scolaire suscita un vif intérêt. Tout le monde en parlait, s'en informait, en suivait les déplacements. L'inlassable Jomard fournissait à la presse bulletin après bulletin, plaidant sa cause, rectifiant des inexactitudes, révélant de nouveaux détails.

Sortis du lazaret au bout de dix-huit jours, les eflendis 2 pas- sèrent encore les mois de juin et juillet à Marseille. Ils appre- naient, pour commencer, l'alphabet français, se promenaient dans les rues, admiraient les édifices ; ils entraient dans les cafés où ils purent voir pour la première fois des journaux ; ils rencon- trèrent des réfugiés égyptiens et syriens ; ils furent frappés de voir les femmes, non voilées, travailler dans les boutiques ; et leur émerveillement fut immense lorsqu'on les conduisit aux spectacles 3. Le 24 juillet, Agoub accompagna les trois chefs de la mission jusqu'à Paris où, dès leur arrivée, Jomard les invita à dîner chez lui, avec quelques membres de l'expédition d'Égypte, dont Belliard, qui trouva ces effendis « très bien » 4. Les autres, en quatre contingents placés sous la conduite de quatre inter- prètes désignés parmi la colonie égyptienne de Marseille, ne tardèrent pas à prendre successivement la diligence pour la capi- tale 5.

1. Rev. encyclopédique, XXX, 577. — Cf. Jean Dimakis : La guerre de l'indépendance grecque vue par la presse française, de 1821 à 1824. Thèse 3e cycle, Paris, 1962, dactyl.

2. Effendi : terme turc appliqué aux écoliers. Voir J. Deny : « Quatre lettres de Méhémet- Ali d 'Égypte ».

3. Outre les impressions de RiHi'a, voir plus loin la lettre rédigée par l'élève Mazhar. 4. Lettre de Belliard à Boyer, Paris, 4 août 1826, pub. par Douin : Une mission mili-

taire, 132. 5. Le 12 soûl I82G, à Marseille, « le conseil d'administration du dépôt des réfugié*

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IMPRIMERIE F. PAILLART

ABBEVILLE

N° d'impr. : 2001

Dépôt légal : 1er trim. 1970.

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