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Chapitre 2

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Chapitre 2

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2-le morpho indigo

Aux premières lueurs de ce nouveau matin, AURORE et VESPERALE s’observent encore, inlassablement fières et immobiles. La journée s’annonce, une fois de plus, belle et douce.

Le grand condor a achevé sa ronde et tenu sa promesse : il sera là ce soir… et le soir d’après.

« UNE FLÈCHE » finit, calmement, de saluer les autres Indiens, le regard un peu moins paisible que d’ordinaire. Il pose debout, les yeux fixés sur son silence. Les plis de son front dessinent les vagues ondulations de ses inquiétudes. L’observation et les mots des anciens lui auront appris à devenir un chasseur efficace et un fort guerrier. Il aura dû gagner en sérénité pour parvenir à être un chef de tribu respecté. Que faut-il à présent ajouter à tout cela pour être un bon père ?

ETSI vient le rejoindre, elle aussi très anxieuse. Elle hésite puis se place à côté de lui :

« — Sais-tu où il est parti ? » Lui demande-t-elle à peine distinctement, comme pour ne pas le déranger.

« — Oui. Il est parti dans la forêt magique pour voir le saule pleureur. »

À ces mots, ETSI se fige. Elle contient difficilement son émotion. Son cœur s’emballe comme celui d’une mère qui craint pour son fils. Elle ne pensait pas que tout cela se ferait si tôt. Il n’a que dix ans à peine.

« UNE FLÈCHE » reprend : « — Je sais que ce voyage est risqué. YUMA est maintenant en âge

de comprendre et d’apprendre. Il ne lui arrivera rien tant que sa raison le

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guidera. Sa raison est juste. S’il n’est pas rentré ce soir, j’irai moi-même le chercher. Il a voulu partir seul, c’est un choix ! »

Sur ces mots, l’indien achève cette brève discussion. Il laisse ETSI,

seule, avec ses doutes et ses questions.

« UNE FLÈCHE » savait déjà, lors de sa conversation avec son fils, la veille au soir que celui-ci partirait. Le condor lui a confirmé ce matin. Le chef indien pense qu’il y a des choses qu’il ne peut lui apprendre et ces choses-là, YUMA doit les découvrir par lui-même. Il ne peut que poser des repères sur une route qu’il ne pourra jamais emprunter à sa place. Ce chemin est un voyage nécessaire. Les pièges seront nombreux, mais « UNE FLÈCHE » a confiance, l’oiseau lui a dit que son enfant était accompagné.

ETSI reste quelques instants à fixer l’horizon espérant secrètement le voir revenir, mais en vain. Le garçon doit être loin maintenant… beaucoup trop loin d’elle.

Les poules, les chèvres, les chevaux pie observent discrètement.

Un léger vent se lève, celui de l’inquiétude.

YUMA est parti très tôt ce matin sans réveiller ses parents et sans même les avertir. Il a pris la route avant que le soleil ne se montre, dans le silence et poussé par sa curiosité. Il n’y a pas de plus beaux alizés que ceux soufflés par le besoin de savoir pour gonfler les voiles des plus jeunes voyageurs. Des alizés qu’il faut apprendre à maîtriser, mais que l’on ne doit jamais combattre.

ETSI retourne dans le tipi. Elle est certaine qu’« UNE FLECHE » a raison, mais sa peur est plus forte. Une larme coule sur sa joue. Elle va espérer, elle va croire et elle va attendre. Que peut-elle faire d’autre ?

__

L’enfant ne connaît pas cet endroit. Il ne s’est jamais écarté autant du village… autant de son père. Il est partagé entre la déception qu’il ressent et ce besoin d’aventure, toujours là, qui le pousse à aller plus loin et puis… juste un peu plus loin encore. C’est cependant la première fois, le premier voyage où son cœur semble fuir. Pourquoi s’est-il moqué de lui ?

Le paysage est magnifique, le garçon se reprend.

Ici, l’herbe est aussi verte, les arbres aussi grands, l’air aussi tiède et relaxant, mais tout a une autre odeur. Peut-être que c’est celui-ci, le parfum de l’inconnu dont on lui parle souvent ?

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YUMA profite de chaque image, de chaque bruit nouveau, de chaque animal rencontré pour trouver l’énergie de découvrir et pour se forger des souvenirs qu’il ne manquera pas de raconter à son retour, ce soir.

Partir loin des siens n’est pas chose facile pour un enfant de son âge et il n’aurait sans doute pas pu le faire sans la compagnie de son amie. La rivière est là, protectrice et maternelle, bienveillante et entrainante. Son eau lui chante doucement sa présence et habille ses craintes d’un peu plus de courage. Elle avance sereinement au rythme de ses propres pas lui envoyant de temps en temps quelques embruns tièdes comme autant de baisers rassurants. Elle ne l’abandonnera jamais.

Après plusieurs heures de marche, les deux voyageurs traversent un vallon caché entre deux basses collines arrondies. De gros rochers rouges servent de refuge à une multitude de fleurs aux couleurs éclatantes et de plantes aux formes extraordinaires.

Tout dans cet endroit semble différent. Le vent est plus chaud, les arbres moins hauts. C’est un univers à part, une sorte de paysage dans un autre paysage.

YUMA est émerveillé.

Ici, les animaux sont moins farouches, ils se laissent regarder sans appréhension. Ils ne s’enfuient pas. Sans doute n’ont-ils pas appris à craindre l’homme.

Sur la gauche, une femelle blaireau surveille ses trois petits qui

jouent au bord de l’eau. Un peu plus loin, un renard sort de son terrier avec un peu de glaise rouge sur le museau. À côté, deux ou trois pies cherchent entre les racines leur repas de midi en bondissant nerveusement comme si le sol leur brûlé les pattes.

Quel spectacle magnifique ! pense YUMA.

Il voudrait s’asseoir là et le contempler toute la journée, mais il n’a pas le temps. La route est encore longue et il ne peut pas s’attarder. Alors, il continue en ralentissant cependant le pas pour ne rien rater.

Alors qu’il adresse un regard complice à la rivière, une branche craque. La femelle blaireau rappelle ses blaireautins, le renard regagne son terrier et les pies s’envolent brusquement.

YUMA s’arrête puis se retourne.

L’eau gronde, elle s’inquiète.

Comme une caresse, un petit morpho indigo vient se poser sur l’épaule du garçon. YUMA sourit, mais la présence du papillon ne suffit malheureusement pas à le rassurer complètement. Il se passe quelque chose. Il se sent en danger.

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Jamais le silence n’a été aussi assourdissant. L’indien observe les environs, il n’est pas serein. Qu’est-ce qui a fait ce bruit ? Et pourquoi ce calme tout à coup ?

La réaction des animaux confirme ses doutes. Ils se sont tous abrités, seul le morpho reste. Ce dernier s’éloigne de quelques mètres puis revient se poser sur l’épaule du jeune indien. À plusieurs reprises, l’insecte recommence son étrange balai. Il revient puis il repart.

Le message est clair et le papillon a raison, il n’est plus question de traîner dans le coin. S’il y a danger, mieux vaut quitter cet endroit le plus vite possible. L’enfant presse le pas, bientôt suivie par la rivière qui en fait autant.

Le Morpho s’envole et disparaît.

__

Au village, la journée n’est pas à la bonne humeur pour ETSI qui s’interroge de plus en plus.

Le repas n’aura pas le même goût sans YUMA. Elle le prépare malgré tout, calmement, en attendant l’arrivée d’« UNE FLÈCHE ».

Assise sur une pierre, elle effeuille quelques épis de maïs devant l’entrée du tipi.

 « UNE FLÈCHE » ne tarde pas à rentrer. Son allure fière dissimule à peine son inquiétude. Il pénètre dans la tente en passant à côté d’ETSI sans même la regarder ni lui adresser la parole. L’Indienne le rejoint, le cœur bas.

Le repas s’annonce silencieux.

__

YUMA a quitté la petite vallée et, même si la route n’est pas encore terminée, il aperçoit au loin la forêt, la forêt soi-disant magique dont parlaient SASA et KOGA. D’ici, elle n’a vraiment rien d’extraordinaire. Elle est immense, mais aucune « magie » particulière ne s’en dégage.

L’enfant se rassure de voir son but aussi proche, il accélère pour en finir rapidement.

En levant la tête vers le ciel, YUMA se rend compte que le climat a changé. Les arbres de la vallée, même moins hauts, lui ont masqué l’arrivée de tous ces nuages gris qui barrent le chemin du soleil et de

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CUMULO. Il n’est pas inquiet. Il sera sûrement rentré avant que le temps ne se gâte réellement.

Même si ces nuages donnent au paysage un aspect un petit peu moins accueillant, il en faut plus pour mettre à mal la détermination du jeune garçon, qui continue sa route en sifflotant.

Ce n’est que lorsqu’il jette un regard sur le chemin qui lui reste à parcourir qu’il prend soudain conscience que, depuis qu’il a quitté la petite vallée, il n’a croisé aucun animal. Il n’a vu aucun hérisson, aucun crapaud aucun oiseau… aucune présence.

En temps normal, ça n’inquiéterait pas YUMA, mais, dans un endroit aussi sauvage et après ce qu’il s’est passé tout à l’heure, il se pose des questions. Les chasseurs sioux savent qu’en cas de danger la nature et sa faune sont les premières à sonner l’alerte et ils la donnent paradoxalement en se taisant. Et si l’alerte était donnée ?

À partir de maintenant, tout s’accélère.

Autour de l’enfant, le silence devient palpable. Ce même silence qui s’est abattu plus tôt, dans le vallon, et qui est omniprésent, mais encore plus pesant et déstabilisant.

La peur sourit.

L’insouciance du jeune sioux lui a joué un mauvais tour et c’est seulement maintenant qu’il remarque que, depuis le craquement de branche, il n’a plus rien entendu. YUMA se croyait hors de danger en quittant les lieux, mais... si le danger l’avait suivie... si cette chose était encore là... et si les animaux, par leur absence, avaient effectivement donné une alerte que l’enfant n’avait pas comprise ? Si en plus d’avoir été observé, il était à présent traqué ?

La peur s’amuse, elle lui caresse le ventre.

Le souffle de YUMA se fait court, il s’accélère. Le garçon s’arrête, se fige, fixe l’horizon, tend l’oreille, mais toujours... aucun bruit.

Le petit indien saisit alors son arc ainsi qu’une flèche qu’il dépose en tremblant sur la corde. Le silence lui parle de plus en plus. L’oxygène lui manque comme si cette angoisse lui en demandait encore davantage.

La peur s’allonge.

Même le vent se tait à présent. Les nuages s’arrêtent, YUMA ne respire plus.

La rivière est totalement muette et immobile.

À ce moment précis, le temps s’étale lourdement sur les épaules du jeune chasseur. Les secondes se confondent aux heures. L’instant devient insupportable. Il va se passer quelque chose.

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La peur exulte, elle ricane.

Soudain, un grognement terrifiant déchire le silence et renverse YUMA, qui se retrouve sur le sol, surpris et terrassé. Un grognement tellement fort et puissant que l’enfant est cloué sur place.

Qu’est-ce qui peut faire un bruit pareil ?

Ça ne peut être qu’une créature énorme. Il n’y a qu’une créature énorme pour émettre un son aussi fort.

La peur éclate de rire.

__

Au village, le repas s’achève dans le calme qui l’annonçait.

ETSI et « UNE FLÈCHE » sont face à face, mais s’évitent des yeux mutuellement.

Les questions secrètes de l’Indienne se heurtent aux réponses muettes du chef de la tribu.

L’inquiétude s’est invitée à table et le silence monopolise la parole.

ETSI ne se doute de rien… pas encore.

Brusquement, « UNE FLECHE » se lève et sort du tipi pour observer le ciel. L’Indienne l’accompagne sans le lâcher des yeux. Elle devine que cette attitude ne présage rien de bon. Le front du chef indien se plisse, ses paupières se ferment : il écoute le vent, il entend la peur.

Il ne lui a fallu qu’une seconde pour comprendre, mais il ne peut rien faire maintenant.

En se retournant, il évite soigneusement le regard de sa femme en poussant la peau de bison pour pénétrer à l’intérieur.

ETSI reste dehors quelques instants de plus puis entend à son tour. La peur fait bien trop de bruit.

Elle connaît suffisamment bien « UNE FLÈCHE » pour en déduire qu’il se passe quelque chose de grave avec YUMA. Le guerrier le sait et pourtant il ne fait rien.

Pour la première fois, ETSI lui en veut, elle ne le rejoindra pas tout de suite. À ses yeux, son fils est bien trop jeune… il le sera toujours.

Le chef indien prend son arc et part à la chasse le regard éteint. Son index tapote nerveusement la pierre fixée sur la poignée de son arme…

Il part à la chasse… son fils est en danger.

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__

YUMA est sur le sol. Il a échappé son arc et sa flèche, ils sont tombés à côté de lui. Son cœur bat à toute vitesse. Il est tétanisé et incapable de faire le moindre geste.

Lorsque le deuxième grognement se fait entendre, l’enfant comprend que la créature arrive et qu’elle doit être encore plus grosse qu’il ne l’avait imaginé.

Sous ses mains, il semble que le sol tremble, elle doit courir et courir très vite dans sa direction.

Qu’est-ce que ça peut bien être ?

Comme un coup de sifflet strident près d’une oreille surprise, la peur hurle son rire diabolique à celle du jeune indien. YUMA est étourdi, sans défenses, hypnotisé, KO sur place. Il faut à ce moment un appel différent, une autre musique pour le ramener à la raison. Alors que la peur semble contraindre le garçon tétanisé à attendre le monstre, celui-ci entend la rivière à côté de lui. Elle n’a jamais était aussi rapide et aussi puissante. Son débit s’accélère, ses eaux bouillonnent, elle aussi hurle aux oreilles de YUMA. Elle l’encourage à fuir. Elle est assez rapide et puissante et fait à présent assez de bruit pour donner la force à YUMA de ramasser son arc et sa flèche, de se lever et de s’enfuir sans craindre une seconde de plus que cette chose n’arrive sur lui.

Devant l’enfant, le petit Morpho qui s’était posé sur son épaule a encore une fois était le seul à braver les dangers. Il vole à toute vitesse pour, lui aussi, encourager le garçon à fuir. YUMA aimerait pouvoir remercier la nature pour tous les signes qu’elle lui envoie et pour toute l’énergie qu’elle lui transmet, mais il n’en a pas le temps.

Les premières foulées sont fébriles, mais rapidement ses jambes le portent comme il ne l’aurait jamais cru. Il court puis accélère encore en suivant celle qui lui a donné le courage de fuir. Il ne veut surtout pas se retourner. Il entend les grognements, derrière lui, qui se rapprochent, toujours aussi puissants et terrifiants.

Après quelques mètres, la rivière change brusquement de direction et s’enfonce dans un petit bois sur la droite. Elle espère distancer la créature.

YUMA trouve cette idée excellente et choisit d’en faire autant.

Une fois à l’intérieur du taillis, les deux compagnons accélèrent encore.

Tandis que l’un survole les talus, enjambe les souches en laissant les branches lui fouetter son visage, l’autre contourne les gros rochers à la

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vivacité d’un l’éclair et franchis les crevasses en transformant ses chutes en magnifiques cascades.

Malgré toute leur agilité, le monstre se rapproche. Ils entendent le bois qu’il fracasse, les pierres qui succombent à son poids et même les troncs qui tremblent à son passage.

Son courage ne suffit pas, le jeune indien commence à s’essouffler car la peur est lourde. Tous ces obstacles l’entravent. La créature, elle, ne ralentit pas. Épuisé, il pose sa main droite sur un arbre pour reprendre sa respiration. Une douleur violente et soudaine lui transperce la paume. Sans s’en rendre compte, il vient de prendre appui trop près d’une petite guêpe bleue qui lui signale sa maladresse. YUMA repart rapidement en se secouant le bras. L’adrénaline de la douleur expulse la peur des épaule de l’enfant quelques secondes. Encore un signe, une aide peut-être, mais toujours pas le temps de remercier qui que ce soit.

Il est vraiment à bout de force. Ce n’est pas grave, il doit continuer, il ne doit pas renoncer.

L’enfant comprend que la fuite va être difficile. Terrassé par le désespoir, il appelle son père au secours.

« — PAPA !!! PAPA !!! VIENS M’AIDER s’il te plaît !!! »

« UNE FLECHE » a toujours été là, il l’a toujours protégé. Il est impossible qu’il ne soit pas avec lui aujourd’hui.

« — AU SECOURS !!! PAPA !!! NE ME LAISSE PAS !! »

YUMA doit se rendre à l’évidence, c’est un deuxième message très lourd de la part de son mentor. Son père est trop loin, il ne le sauvera pas aujourd’hui. Il ne doit compter que sur lui-même. Le garçon a toujours cru que dans ce genre de situation, son héros serait là, surgissant de nulle part comme un ange gardien descendu du ciel, le prenant alors sous son bras comme il l’a fait avec cette fillette devant le grand chien blanc. Sans doute cette fillette était-elle plus importante que lui. Une larme de déception vient se mêler à celles que la peur fait ruisseler sur ses joues depuis quelques minutes, la couleur est la même, mais son sel bien plus amer.

Comme un dernier espoir, un triste rempart, une butte de terre de quelques mètres de haut se dresse devant le jeune sioux. Il veut la franchir, car peut être qu’une fois derrière, le monstre ne sera plus là. Il essaye d’accélérer encore pour l’escalader, mais, arrivées à deux pas du sommet, ses forces l’abandonnent. Il chute lourdement et glisse tout en bas.

La chose se rapproche.

YUMA se relève péniblement, il n’a pas le choix, il faut grimper. C’est la seule solution. Il tente à nouveau, mais en vain. C’est trop dur, ses jambes sont trop vides.

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Il n’y a plus qu’une issue possible : FAIRE FACE.

La rivière est là, elle aussi, elle s’est arrêtée pour l’aider.

Le dos contre la bute, face au danger, l’enfant brandit son arc en direction des buissons qui bougent sous la puissance du monstre. La première flèche est prête à partir, mais ses mains, ses bras, son corps entier et même son cœur tremblent malgré lui.

Sans même avoir aperçu quoi que ce soit, YUMA tire sa flèche en direction du bruit. Elle se plante sans succès dans l’écorce d’un jeune chêne qui se trouve sur la trajectoire. L’enfant prépare alors une autre flèche, la décoche, mais sa visée manque encore une fois de précision et le projectile finit sa course sur le sol.

Face à lui, un rideau de végétation dense l’empêche de voir ce qui arrive. C’est maintenant juste là, devant lui, invisible.

Quelques instants, le silence revient, il n’y a plus aucun bruit, le

temps semble arrêté.

La peur se tait. Elle se cache pour mieux ressurgir.

L’espoir tente de renaître, mais il renonce.

Un nouveau grognement terrible lui glace le sang. La bête est tout près, derrière le buisson.

Les branches s’écartent, l’enfant ne respire plus, l’eau de la rivière est immobile.

YUMA aperçoit maintenant le monstre.

Il est… Énorme. Son poil est sombre, de la bave coule le long de sa mâchoire impressionnante.

C’est un grizzly immense de plus deux mètres de haut qui se tient debout, devant lui. La bête l’a traquée jusqu’ici comme un chasseur le fait avec une proie. Il est gigantesque, ses deux yeux noirs fixent le jeune indien et sa truffe remue de droite à gauche comme pour mieux appréhender l’odeur de son futur repas.

YUMA n’a jamais été aussi terrorisé, il sait que c’est terminé pour lui. Il n’a plus le temps ni la force de fuir.

C’est fini.

Il n’aurait jamais dû s’éloigner du village, ses dernières pensées sont pour ETSI. YUMA en veut à son père de l’avoir laissé partir seul.

L’ours s’avance vers lui, de la rage mousse sur ses babines : il est affamé.

Le garçon ferme les yeux en pleurant.

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La peur s’interroge sur sa présence, elle n’a plus aucun sens.

À environ un mètre, l’animal se dresse sur ses postérieures et arme ses puissantes griffes en direction du jeune indien.

Les yeux fermés, YUMA sent alors quelque chose d’étrange tout contre son dos, comme une présence chaude et rassurante. Il veut comprendre ce qu’il se passe, mais, avant qu’il n’y parvienne, l’ours s’est remis sur ses quatre pattes et regarde juste au-delà de l’enfant.

YUMA aimerait se retourner, mais ses yeux ne peuvent s’ouvrir.C’est incroyable, la bête baisse la tête, se dandine de droite à

gauche puis de gauche à droite. Lentement, elle recule en direction du buisson.

YUMA sent que son assaillant hésite, il ouvre enfin les yeux.

Il a alors l’impression que l’animal a peur de... lui. Il en profite pour vérifier derrière lui, mais il ne voit rien.

Le grizzly continue de battre en retraite jusqu’à disparaître complètement.

La créature est partie et c’est lui petit homme de dix ans qui l’a terrassée.

Quel soulagement ! YUMA est pris d’un fou rire nerveux qu’il a du mal à contrôler. La peur est vaincue, l’ours aussi !!

Ce dénouement est inespéré. Que s’est-il passé ? Pourquoi l’ours a-t-il eu cette réaction ? pourquoi la peur a-t-elle décidé de changer de camps ? Tout ça a-t-il un rapport avec cette présence qu’il a ressentie ? Il se retourne encore une fois, mais il ne voit toujours rien. La peur a dû lui jouer un de ses tours. C’est certain maintenant, il a fait fuir la créature. Quand il va raconter ça aux autres habitants du village, ils ne le croiront jamais. Il l’a fait, il a mis en déroute un grizzly de deux mètres de haut.

Malgré cet exploit, YUMA ne se sent pas très bien. Il se relève, mais ses jambes qui tremblent encore ont du mal à le maintenir debout. Quelques minutes sont alors nécessaires pour qu’il retrouve enfin son équilibre.

Son regard ne cesse de fixer l’endroit d’où l’ours est apparu craignant qu’il ne revienne. Au fond de lui, il a tellement eu peur qu’il aimerait rentrer tout de suite au village, mais, après tout, s’il a terrassé un grizzly, qu’est-ce qui pourrait bien lui faire renoncer maintenant ? Et puis... Il ne peut pas retourner en arrière sans risquer de retomber nez à nez avec lui.

Il l’a suffisamment effrayé comme ça, il ne souhaite pas plus de mal à cet animal...

Une fois sur pied, il se remet en marche vers la forêt magique qui n’est plus très loin, à peine à quelques centaines de mètres… encore un peu plus loin.

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Le temps s’est encore dégradé. Les nuages grisâtres devenus noirs enserrent le soleil qui lutte pour les écarter.

C’est dans cette atmosphère étrange que YUMA remarque le

caractère inquiétant de VESPERALE. Cette montagne immense, qu’il connaît depuis tout petit, ne lui a jamais paru aussi particulière aussi... vivante. Elle semble à la fois menaçante et attirante, terriblement attirante.

__

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ETSI aura attendu presque deux heures avant de rentrer dans le tipi, mais lorsqu’elle y retourne « UNE FLÈCHE » n’y est pas, il est encore à la chasse. L’Indienne tourne en rond, elle ne sait ni quoi faire ni quoi penser. Elle a une confiance aveugle dans son mari, mais, cette fois, elle n’accepte pas sa réaction, elle ne comprend pas pourquoi il n’agit pas. S’il pressent un danger pour YUMA alors, il y a urgence.

Cependant, elle n’a pas d’autre choix que d’attendre, il lui a promis d’intervenir si leur fils n’était pas rentré ce soir et il le fera, elle en est sûre.

__

YUMA arrive maintenant à l’orée de la forêt magique. Depuis quelques dizaines de mètres, il est seul : la rivière a étrangement changé de direction. Elle n’a visiblement pas l’intention de s’y rendre, à moins qu’elle ne puisse pas. L’enfant appelle son amie, mais elle reste à distance. Ce choix inquiète un peu YUMA même s’il ne l’admet pas. La solitude est un petit caillou sous ses pieds nus, il veut en supporter la douleur avec fierté. Malgré tout, il n’est jamais parti sans elle. Il

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souhaiterait se faire croire qu’il en est capable, mais il doute. Ce qui l’alarme le plus c’est ce renoncement. Elle l’a toujours accompagné même dans les moments les plus délicats. Pourquoi ne vient-elle pas ?

Il l’appelle de nouveau. La rivière reste silencieuse et immobile. L’enfant doit se rendre à la raison, il reviendra la chercher plus tard. Après un dernier signe de la main, il se retourne et poursuit sa route, le pas un peu moins sûr, sans son amie, sans son père.

La forêt est là : elle paraît encore plus immense que tout à l’heure. Le jeune explorateur doit se dépêcher de trouver le saule pleureur même s’il sait maintenant qu’il ne pourra pas être rentré avant la nuit.

Il ira seul.

Alors qu’il s’apprête à pénétrer à l’intérieur du bois, entre deux grands chênes, il entend une voix tremblante derrière lui qui l’interpelle.

« — Où vas-tu comme ça, mon garçon ? »

YUMA est surpris, il ne s’attendait pas à rencontrer quelqu’un ici. Il se retourne et sursaute en apercevant le vieil homme très étrange qui lui parle.

Le visage de l’homme est très laid, il a de grosses cicatrices sur la peau et son âge très avancé lui a dessiné sur le front et les joues des rides tellement profondes que YUMA a du mal à discerner ses yeux. Lorsqu’il les voit enfin, l’enfant découvre qu’ils sont tous les deux blancs comme la neige : ce vieux monsieur est aveugle. Autour de son cou, l’indien remarque un étrange sifflet lumineux.

« Alors YUMA, tu terrasses un grizzly les yeux fermés et tu as peur d’un vieil homme comme moi ! »

Comment ce vieillard sait-il tout ça ? Son prénom et son aventure avec l’ours. Qui est-il ? YUMA le rencontre pour la première fois c’est sur et pourtant, lui, semble le connaître.

« Qui êtes-vous ? » Lance alors timidement l’enfant.

L’homme se rapproche en riant. La bouche ouverte, il dévoile ainsi malgré lui la seule dent qui lui reste. Le jeune indien recule et tourne la tête de dégoût.

« — Je suis le gardien de cette forêt et ici, je suis le seul à poser des questions. “UNE FLÈCHE” ne t’a pas prévenu ? »

« — Vous connaissez mon père ! »

« — Je viens de te dire que je suis le seul à poser des questions, le fils du plus grand guerrier de la vallée ne peut-il pas comprendre une chose aussi simple ? »

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YUMA commence à avoir peur. Le vieil aveugle le fait reculer en donnant des coups sur sa poitrine avec son gros doigt tordu, durs comme de la pierre. Les mains du vieillard sont à l’image du personnage. Elles sont rugueuses, solides et de larges veines bleutées et boursouflées les rendent vraiment repoussantes.

« — Je sais que tu viens voir le saule pleureur, mais crois-tu que tu mérites de rentrer dans cette forêt magique ? »

Et avant même que l’enfant ne puisse répondre, le vieillard change d’attitude. Il semble subitement énervé :

« — Ne dis rien ! C’est inutile ! Ta voix m’agace. J’ai besoin de réfléchir »

Le vieil homme se tait, il se tient le menton en faisant la moue.

YUMA a du mal à supporter son regard et tourne sans arrêt la tête.

« — Je vais te poser une question, ou plutôt une énigme. Si tu y réponds correctement, je te donnerai ce bâton et te laisserai pénétrer à l’intérieur de la forêt sinon, tu retourneras d’où tu es venu et tu continueras à nourrir ta tribu de tes pêches si fructueuses. »

En disant ces mots, le vieil homme se met à rire tellement fort qu’il fait, encore, sursauter YUMA.

L’enfant ne sait plus s’il doit continuer à avoir peur ou s’il doit être vexé par ce qu’il vient d’entendre. Cependant, il n’a guère d’autre choix que d’attendre patiemment quelques minutes que ce drôle de vieil homme termine de lui recracher son arrogance au visage.

Une fois chose faite, il peut enfin écouter la fameuse énigme.

« Je suis aussi grand qu’un arbre et aussi léger que l’air. Fille de la lumière, je me déplace lentement au fil du jour, mais, tout comme elle, je reste insaisissable. »

YUMA se met alors à réfléchir. Cette façon de raisonner lui est très familière et les réponses de son père ressemblent souvent à ce genre d’énigme. Il doit pouvoir trouver.

« — Ne réfléchis pas trop ! Tu n’es pas équipé pour. » Lance le vieillard en gloussant à s’en étouffer.

La peur laisse maintenant clairement place à l’agacement dans le cœur de YUMA qui commence sérieusement à ne plus supporter les allusions de ce drôle d’énergumène. L’enfant sait qu’il doit se contrôler.

Ce rire strident l’empêche de réfléchir correctement.

Soudain, YUMA sourit et s’écrit :

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« — C’est son ombre !! L’ombre de l’arbre, bien sûr !! »

Le vieil homme se tait brusquement et observe nerveusement l’enfant. Il lui jette le bâton sans ménagement et se retourne en bougonnant :

« — Sale petit garnement ! Vous pouvez pénétrer dans cette forêt tous les deux si ça vous chante, moi je vais me reposer je suis fatigué par tout ce cirque. »

YUMA est étonné.

« — Tous les deux ? Je suis seul, la rivière n’a pas voulu… »

« — Tais-toi !! Je ne parlais pas de la rivière ! »

YUMA ramasse le bâton et s’éloigne le sourire aux lèvres : quel drôle de personnage !

En pénétrant dans la forêt, l’enfant écoute un long sifflement s’élever dans le ciel. Sans doute est-ce le gardien qui s’amuse avec son étrange instrument.

Impatient, YUMA ne s’aperçoit pas que le vieil homme s’est retourné pour le voir disparaître. Le sifflet lumineux à la bouche, son visage a radicalement changé. Il a dans les yeux, redevenus curieusement noirs, une expression particulière, une sorte... D’admiration. Ce n’est plus le même homme, mais l’enfant ne le voit pas.

YUMA n’a même pas eu le temps de lui demander à quoi sert ce bâton. Peu importe, s’il le lui a donné c’est qu’il doit avoir une utilité… Quoi que !

Le soir est là, la nuit tombe peu à peu.

Dès ses premiers pas dans la forêt magique, YUMA remarque qu’elle est différente des forêts qu’il connaît.

Les troncs des arbres sont fins et noirs et presque sans branches ni feuilles. Ils sont disposés de telle sorte qu’ils forment de longs couloirs étroits qui n’offrent d’autre alternative que de les suivre. Lorsque le garçon emprunte un de ces couloirs et pense parvenir à son extrémité, cette dernière s’éloigne progressivement comme par... magie.

La notion de distance semble ne plus exister. À la fois droit et simple, son itinéraire est pourtant très déroutant. Au bout de quelques instants de marche, du moins le suppose-t-il, l’enfant est incapable de se repérer.

Il se retourne, mais ne voit alors que d’autres couloirs aux issues tout aussi floues et incertaines. Il est impossible de prendre ces repères.

Tout se ressemble, la rivière n’est plus là et le temps s’assombrit de plus en plus.

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Sans soleil pour situer sa journée, sans eau qui coule pour rythmer ses pas, sans buissons, arbustes, talus ou bosquets pour poser ces yeux, YUMA se perd très vite.

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Ce doit être la première fois qu’« UNE FLÈCHE » rentre de la chasse

aussi tôt et les mains vides. Il s’assoit dans le tipi, les jambes en tailleur, et se recueille quelques

instants. ETSI l’observe en espérant qu’il lui dise enfin quelque chose.

« — Je suis allé sur le grand rocher prendre conseil auprès de l’aigle blond aujourd’hui. Sa vision est juste et ses idées rejoignent les miennes. Il m’a confirmé que notre fils avait couru un grand danger aujourd’hui. Il m’a dit aussi que son chemin sera long et riche d’enseignement, mais qu’il doit le faire… Sans moi. »

ETSI comprend à ces mots que YUMA va bien et elle s’assoit à son tour en poussant un discret soupir de soulagement.

« Quand iras-tu le chercher ? » Lui demande-t-elle.

« Lorsque son chemin prendra fin je serai là pour l’accueillir, pour l’instant quelqu’un veille sur lui. »

« — Qui ? »

« — Je ne sais pas, mais il n’est pas seul. »

Sur ses mots, « UNE FLÈCHE » se lève et sort du tipi.

« — Où vas-tu si tard ? » Demande la belle Indienne.

Le chef ne répond pas.

ETSI se sent à la fois soulagée de savoir son fils en bonne santé, mais terriblement inquiète, car elle vient de comprendre qu’elle ne le reverra pas tout de suite. Elle devra attendre encore et elle ignore combien de temps.

Comment va-t-il survivre sans elle ?

Comment va-t-elle survivre sans lui ?

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Le temps tourne maintenant à l’orage, le ciel est noir comme l’ébène et le soleil complètement étouffé par l’armada sombre et menaçante qui a pris possession de son territoire.

Une goutte de pluie perle, épaisse et lourde, sous le ventre de CUMULO. Son poids la fait lentement tomber jusqu’à ce qu’elle se détache totalement et commence son interminable chute. Une trajectoire rectiligne qui l’attire irrémédiablement vers le sol où elle sait qu’elle finira son voyage.

À pleine vitesse et en quelques secondes, elle transperce l’air, évite miraculeusement les feuilles des arbres de la forêt magique et achève sa course sur l’épaule droite de YUMA. Elle reste là quelques secondes, un peu étourdie, puis elle glisse le long du bras du jeune indien jusqu’à

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tomber lentement sur la terre sèche. Une petite coccinelle rouge vif passe alors entre les jambes de l’aventurier.

L’enfant lève les yeux au ciel et s’inquiète en voyant l’orage qui se prépare au-dessus de lui. Il presse le pas, mais cette forêt est immense. Il est sûrement un peu tard pour se poser la question, mais il ne sait même pas où il doit se rendre. Très vite, ce sont des dizaines, des centaines, des milliers de grosses gouttes qui viennent s’écraser en soulevant chacune, un petit nuage de poussière sur le sol aride de ce sinistre bois.

La nuit tombe. YUMA est trempé. Il a peur, son ventre vide se plaint de la faim et il est épuisé. Il n’a qu’une envie : dormir, dormir pour se réveiller plus tard, ailleurs, mieux.

L’enfant aperçoit alors d’étranges et magnifiques traits lumineux entre les branches des arbres inquiétants. Il semble que cette lumière fine et légère traverse la forêt comme si elle fuyait cette atmosphère de plus en plus lourde. Pendant qu’il l’observe, une de ces traces magiques dessine plusieurs cercles au-dessus de lui, comme pour attirer son attention quelques secondes puis repart dans le bruit sourd d’un battement d’ailes. Sans qu’il ne le remarque, une minuscule plume scintille et virevolte à côté de lui.

Peut-être aurait-il dû suivre cette lumière ?

L’enfant continue sa route. YUMA trouve un endroit un peu plus sec que les autres abrité par

quelques branches d’arbre pauvres en feuilles, et se couche par terre. Il va tenter de dormir ici, demain sera un autre jour. Il joue machinalement avec le bâton que le gardien de la forêt lui a donné. S’il y avait eu la rivière sans doute le lui aurait-il lancé pour qu’elle le lui ramène, mais… Il est seul.

La peur, déjà bien présente, le submerge bientôt et tout son corps tremble sans qu’il sache qui, de cette peur ou de la pluie, en est vraiment responsable.

Une obscurité totale s’est maintenant abattue sur la forêt, le jeune garçon blotti sur le sol lutte contre le froid.

En face, un énorme crapaud gonfle sa gorge. Ses deux orbites sombres posées sur une peau pustuleuse à la singulière couleur cyan métallique fixent l’enfant étonné. YUMA soutient son regard quelques secondes, mais sa laideur l’inquiète, il choisit de fermer les yeux. Étrangement, la présence du batracien finit malgré tout par le rassurer. C’est l’unique forme de vie qu’il ait rencontrée dans cette étrange forêt… au moins, il n’est plus seul. Sans doute aurait-il préférait un animal plus doux… plus chaleureux… Moins laid. Sans doute aurait-il préféré quelque chose de plus gros, de plus sécurisant... Quelque chose ou quelqu’un qui le prenne dans ses bras… Sans doute aurait-il préférait une… Maman ou un papa.

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Il entrouvre rapidement une paupière, le crapaud est toujours là. Il va falloir s’en contenter. Que pourrait-il y avoir d’autre dans une forêt aussi lugubre ? L’étrange musique qui s’échappe de la gorge gonflée de l’animal pourrait, avec beaucoup d’imagination, ressembler au roulis tendrement soporifique de son amie la rivière. La berceuse n’est pas aussi douce, mais elle fonctionne malgré tout.

Les yeux fermés, le sommeil s’impose lentement.

Soudain, la pluie cesse aussi rapidement qu’elle avait commencé. La forêt silencieuse de son arrivée se transforme en forêt aux mille et un bruits, tous plus inquiétants les uns que les autres : des branches qui craquent, des feuilles qui tombent sur le sol et puis d’autres encore que YUMA ne connaît pas et dont il craint la provenance mystérieuse.

Une coccinelle se place sur son épaule, le crapaud disparaît.

L’enfant ferme les paupières de toutes ses forces comme un écran de protection illusoire qui suffit à le rassurer. Ce qu’il ne verra pas n’existera pas. Très vite, son corps grelottant, il s’endort. Mais juste avant, juste avant de basculer dans la vallée des rêves, il y a cette chaleur qu’il sent contre lui. Une chaleur venue de nulle part contre laquelle il se blottit presque inconsciemment. Quelque chose est là, quelque chose qui veille sur lui, quelqu’un peut-être. Il n’a plus la force d’ouvrir les yeux.

Ce contact est agréable… très agréable.

Il est profondément bien d’un seul coup, profondément rassuré... Un « merci » s’échappe de ses lèvres endormies.