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World Bank Documentdocuments.worldbank.org/curated/en/... · « Les pionniers revu est corrigé »s Sir Hans Singer 429 Le commerce internationa etl le cadr e institutionnel nationa

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  • Awcfrontires de Vconomie du dveloppement

  • Awcfrontires de l'conomie du dveloppement LE FUTUR EN PERSPECTIVE

    Traduction de Marc Rozenbaum

    BANQUE MONDIALE W EDITIONS ESKA

  • Pour la prsente dition : Aux frontires de l'conomie du dveloppement Copyright 2002 by The International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank 1818HStreet , N.W. Washington, D.C. 20433, USA ISBN 2-7472-0414-6

    ditions ESKA 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris, France Tl. : 33 (1) 42 86 55 73 Fax : 33 (1) 42 60 45 35 | http://www.eska.fr |

    Publi dans sa version originale en anglais sous le titre Frontiers of Development Economies 2002 by The International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank 1818HStreet , N.W. Washington, D.C. 20433, USA ISBN 0-19-521592-3 par Oxford University Press pour la Banque mondiale

    This work was originally published by the World Bank in English as Frontiers of Development Economies : The future in Perspective in 2001 . this French translation was arranged by Editions ESKA. Editions ESKA is responsible for the accuracy of the translation. In case of any discrepan-cies, the original language will govern.

    Ce travail a t publi en anglais par la Banque Mondiale sous le titre " Frontiers of Development Economies : The future in Perspective in 2001 ". La traduction franaise est produite par les di-tions ESKA. Les ditions ESKA sont responsables de l'exactitude de cette traduction. En cas d'in-exactitudes, la langue d'origine sert de rfrence.

    Les observations, interprtations et conclusions exprimes ici sont celles du (des) auteur(s) et ne refltent pas forcment le point de vue du comit d'administration de la Banque Mondiale ou des gouvernements qu'il reprsente. La Banque Mondiale ne garantit pas l'exactitude des donnes incluses dans cet ouvrage. Les frontires, couleurs, valeurs ou autres informations inscrites sur les cartes de cet ouvrage n'impliquent aucun jugement de la part de la Banque Mondiale concernant le statut lgal de ces territoires, ainsi que l'approbation ou l'admission de leurs frontires.

    Tous droits rservs. Aucune partie de la prsente publication ne peut tre reproduite, mise en mmoire ou transmise sous aucune forme, ni par aucun moyen, lectronique ou mcanique, par photocopie, enregistrement, ou de toute autre faon, sans l'autorisation pralable de la Banque mondiale.

    http://www.eska.fr

  • Table des matires

    Avant-propos Nicholas Stem vii

    Prface Gerald M. Meier et Joseph E. Stiglitz ix

    Introduction : Des ides pour le dveloppement Gerald M. Meier 1

    GERALD M. MEIER 1

    L'ancienne gnration d'conomistes du dveloppement et la nouvelle 13 Commentaire Philippe Aghion 42 Commentaire Hla Myint 46

    KAUSHIK BASU A propos des objectifs du dveloppement 49 Commentaire Paul P. Streeten 72 Commentaire Michael Lipton 78

    IRMA ADELMAN Les ides fausses de la thorie du dveloppement et leurs implications pratiques 87 Commentaire David Vines 113 Commentaire Sir Hans Singer 122

    V I N O D THOMAS Le dfi du dveloppement revu et corrig 125

    RAVI KANBUR ET LYN SQUIRE L'volution de notre manire d'envisager la pauvret: analyse des interactions 155

    SHAHID YUSUF ET JOSEPH E. STIGLITZ A propos du dveloppement: questions rgles et questions en suspens 189

  • VI TABLES DES MATIERES

    PRANAB BARDHAN Conflits de distribution, action collective et conomie institutionnelle 225 Commentaire Irma Adelman 242 Commentaire Paul Collier 246

    NlCHOLAS CRAFTS Perspectives historiques sur le dveloppement 251 Commentaire Avner Greif 276 Commentaire David Landes 280

    MERILEE S. GRINDLE

    En qute du politique: l'conomie politique de la gestion du dveloppement 285 Commentaire Gustav Ranis 314 Commentaire Timothy Besley 317

    KARLA H O F F ET JOSEPH E. STIGLITZ

    La thorie conomique actuelle et le dveloppement 321 Commentaire Gustav Ranis 378 Commentaire Abhijit V. Banerjee 382 Commentaire Debraj Ray 393

    Appendices

    RFLEXIONS DES PRIX NOBEL 401 Des priorits pour la recherche Lawrence R. Klein 403 Une thorie des changes s'impose Douglass C. North 405 Quand les tincelles et les particules

    jaillissent de l'enclume de la croissance Paul A, Samuelson 406 Le dveloppement, de quoi s'agit-il? Amartya K. Sen 418 Des questions que l'on peut se poser en conomie du dveloppement Robert M. Solow 425

    RFLEXIONS DES PIONNIERS 427 Les pionniers revus et corrigs Sir Hans Singer 429 Le commerce international et le cadre institutionnel national Hla Myint 432 conomie et stagnation dmographique W. W. Rostow AA1 Les processus et les politiques de dveloppement

    vus par un professionnel de terrain Arnold C. Harberger 452

  • Avant-propos

    CET OUVRAGE EST UNE PRCIEUSE CONTRIBUTION notre connaissance de l'volution dela pense cono mique et de la manire dom celle-ci apprhende la noti on de dveloppe-ment, Il nous perm et aussi de comprendre le lien qu i unit la pense cono mique aux pol i-tiqu es de d veloppement. Tout au lon g de ces 50 dern ires annes, deux gnrationsd'conomistes ont cherch analyser le processus du d veloppem ent et dfinir des poli-tiques susceptibles de faire reculer la pauvret dans le monde. En se fond ant sur leursconclusions sur ce qu e nou s savons - et sur ce que nous ignorons - du d veloppernenr,les auteurs du pr sent ouvrage mertenr l'accen t sur les qu estion s qui se poseront la pro -chaine gnration d'conomi stes du d veloppem ent et autres spcialistes.

    L conomie du d veloppement trai te de questions fondamentales: de la manire domles socits se forme nt et voluent. Ces qu estion s ont constitu l'essen tiel des ouvrages desconom istes classiqu es - Smith , Ricardo et M arx en particulier, Les pionniers " de l'co-nomie du d veloppement , qu i ont comme nc crire peu de temps aprs la SecondeG uerre mondiale, taient bien conscien ts de ces pr c dents et de la relation qui existaitem re leurs travaux et ceux des classiques. Ils ont reconnu ds le dbut cet hritage. Ils sesom aussi proccups du rle de l'volution des mentalits et des institution s dans le pro-cessus de d veloppem ent, un problm e par lequel ils se sen taien t di rectem ent conce rns ,et sur lequel les spcialistes de l'conomie du d veloppement ont fort ement insist aucours de ces derni res annes. C'est pourquoi il est im por tant qu e les cono mis tes dud veloppem ent de la nouvelle gn ration se confro nte nt ceux des gnrations prc-dentes, Ils ont beauco up y apprendre, non seuleme n t en termes d'ides et de concepts,mais aussi en term es de capacit juger de l'importance relative des choses. Le pr sentouvrage met notamment en lum ire les questions non rsolues ce jour, qu i som parti -culirernent d'actualit pour les recherches futures.

    Tout au lon g de ces 50 derni res an nes, les cono mistes se som forrement int ress saux qu estion s de politique cono mique. Cet intrt parti culier supposait qu e l'Etat y jou etoujours un rle fondam ental. A ce propos, la pense cono mique a conn u un tou rnantimportan t. Au dbut, au lendem ain de la Seconde Guerre mondiale, on assistai t, globale-ment parlant, un e dfiance gnrale vis--vis des marchs, due en grande parti e au sou-venir de la Grande dpression. On consid rait par ailleurs qu e les gouvernements taientcapables de diri ger efficaceme m , et de faon productive, l'or ientation de l'investissem ent.Ce tte confiance dans les gouverneme ms s'est trouve contredite par l'exprience des

    VII

  • viii AVANT-PROPOS

    annes cinquante et soixante, et elle a fait place dans les annes soixante-dix et quatre-vingt une nette tendance la libralisation et la privatisation.

    A la fin des annes quatre-vingt-dix, on a vu un certain nombre de pays se lancer dans des rformes de march. L encore, l'exprience a t instructive. Elle a montr que les rformes de march pouvaient tre un moteur de la croissance, ce qu'elles ont t dans l'en-semble. Cependant, l'exprience a galement montr que ces rformes pouvaient s'enliser ou chouer, si elles ne bnficiaient pas d'institutions et adquates et d'un contexte de ges-tion des affaires publiques favorable. C'est ainsi qu'aujourd'hui, les conomistes mettent l'accent sur les relations entre les institutions et les marchs.

    Le caractre central de la politique dans l'conomie du dveloppement suppose aussi une spcificit des objectifs. Ici, le domaine d'tude s'est largi. Si la distribution du reve-nu tait dj considre comme une question essentielle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle a pris davantage d'importance encore dans les annes soixante. En 1974, Robert McNamara, dans son discours annuel, Nairobi, fit de la victoire sur la pau-vret un objectif majeur de la Banque Mondiale, dont il tait alors le prsident. Davantage que le revenu, c'est la comprhension des mcanismes du bien-tre, et donc de la pauvre-t, qui est passe au premier plan, et pour la plupart des spcialistes qui travaillent actuel-lement sur ce sujet, l'amlioration des conditions sanitaires et le progrs de l'ducation sont devenus des composantes majeures des objectifs du dveloppement et des facteurs essen-tiels de la croissance du revenu. De manire encore plus gnrale, on considre de plus en plus que le dveloppement conduit davantage de libert de choix et d'action.

    Au moment du millnaire, cette perspective largie des objectifs du dveloppement et ce retour aux centres d'intrt de certains pionniers de la pense conomique donnent au prsent ouvrage une actualit et une pertinence particulires. L'largissement du champ d'action et l'importance accorde aux institutions nous rappellent galement que les co-nomistes du dveloppement doivent tenir compte des contributions qu'apportent au dbat les autres sciences sociales : ils ont beaucoup apprendre, par exemple, des historiens de l'conomie, des spcialistes en science politique et des anthropologues. Le prsent ouvra-ge illustre bien la manire dont ces nouvelles interactions entre disciplines diverses pour-raient s'avrer fructueuses.

    Les auteurs et commentateurs du prsent ouvrage nous fournissent des points de vue varis, et le fait qu'ils abordent des questions nouvelles rendent le dbat d'autant plus int-ressant, mais en mme temps plus difficile. Il est vrai qu'au cours de ce dernier demi-sicle, nous avons beaucoup appris sur l'efficacit de diverses structures et de diverses politiques d'intervention. En fait, l'une des avances les plus riches est l'importance prise par l'obser-vation des faits, en partie en rponse, et en partie grce une plus grande disponibilit des donnes. Le dfi qui se prsente aujourd'hui est d'appliquer ce que nous savons, avec juge-ment et sagesse, dans la poursuite de nos travaux de recherche et de leurs graves enjeux. Dans cette tche, il est de la responsabilit de la Banque Mondiale de travailler en troite collabo-ration avec les chercheurs, dans ce contexte d'un monde industriel en dveloppement.

    NlCHOLAS STERN Responsable conomique et Vice-Prsident senior

    pour l'Economie du Dveloppement Banque Mondiale

  • Prface C'EST AUJOURD'HUI QUE SE PRSENTE LE DFI d'apprhender l'avenir du dveloppement conomique la lumire d'un demi-sicle d'exprience de pense et de pratique du dve-loppement. C'est l'objet du prsent ouvrage, qui fait suite un symposium inter gnra-tions sur l'avenir de l'conomie du dveloppement, qui s'est tenu Dubrovnik en mai 1999 sous les auspices de l'Universit de Zagreb et de la Banque Mondiale. Cette derni-re avait auparavant organis une srie de confrences rtrospectives par les conomistes du dveloppement de la premire gnration (de 1950 1975 environ). Ces confrences ont t publies dans Pioneers in Development (1984) et Pioneers in Development - Second Sries (1987).

    Les textes prsents Dubrovnik par les reprsentants de la premire gnration d'co-nomistes du dveloppement et de la seconde (de 1975 nos jours, approximativement) ont t rviss pour le prsent ouvrage. La plupart des auteurs sont en train de former la prochaine gnration d'conomistes du dveloppement. Ayant pris pour point de dpart l'observation du pass ainsi que les deux ouvrages prcdemment publis par les pionniers, ils se consacrent actuellement aux problmes non rsolus auxquels la prochaine gnration devra se confronter. Une quinzaine de participants ont t convis commenter les prin-cipaux articles. Deux annexes prsentent les rflexions sur l'avenir de plusieurs prix Nobel et pionniers de la premire gnration.

    Les diteurs tiennent exprimer leur reconnaissance aux nombreux auteurs, dont ils apprcient le travail. Tous ceux qui ont assist au symposium de Dubrovnik expriment galement leur reconnaissance au Professeur Soumitra Sharma et la Facult de Sciences Economiques de l'Universit de Zagreb pour leur merveilleuse hospitalit. La Banque Mondiale a fourni ces rencontres son soutien logistique, mais les points de vue exprims par les auteurs sont les leurs, et ne sauraient lui tre attribus.

    Les diteurs ont grandement profit de l'assistance de David Ellerman, de Noemi Giszpenc et de Paola Scalabrin la Banque Mondiale, ainsi que de l'assistance de Kenneth MacLeod la Oxford University Press. L'aide de Yuri Woo, de l'Universit de Stanford, qui a assur le suivi global du manuscrit et homognis les divers styles de bibliographies, nous a t particulirement prcieuse. Elle a fait montre d'une patience et d'une comp-tence insurpassables jusque dans les moindres dtails, du premier courrier lectronique la dernire note de bas de page. Sans son attention zle aux besoins des diteurs et des si nombreux auteurs, le manuscrit n'aurait jamais pu aboutir sa prsente forme.

    GERALD M. MEIER Universit de Stanford

    JOSEPH E. STIGLITZ Universit de Stanford

  • Introduction : Des ides pour le dveloppement

    Gerald M. Meier

    Au COURS DE CE DERNIER DEMI-SICLE, nous avons assist un effort sans prcdent de la part de la communaut internationale pour acclrer le dveloppement des pays pauvres. Cet effort rsulte d'une volution dans la manire d'envisager le dveloppement conomique, sa nature, ses causes et le choix des politiques permettant d'amliorer le ryth-me et la qualit du processus de dveloppement. Bien que l'histoire rcente de ce dve-loppement offre divers exemples de russites, elle comprend aussi des checs et des dcep-tions. Si les deux premires gnrations d'conomistes du dveloppement ont fait pro-gresser considrablement la connaissance de ce sujet, il revient la prochaine gnration de rsoudre un certain nombre de problmes et de rpondre un certain nombre de ques-tions encore en suspens. Les auteurs du prsent ouvrage abordent donc l'avenir de l'co-nomie du dveloppement sous l'angle de la mesure du dveloppement et de la pense co-nomique du dveloppement.

    Les ides comme cadre de travail et comme facteurs productifs

    Dans tous les articles rassembls ici, le rle fondamental des ides dans le progrs futur du dveloppement est en toile de fond. Le dveloppement ne se rduit pas on ne sait quelle formule. L'aide seule n'apporte pas le dveloppement. Comme l'a fait remarquer un ancien responsable conomique de la Banque Mondiale :

    [P]lus que jamais auparavant, la principale priorit de la Banque Mondiale (...) est de crer et d'aider mettre en uvre de meilleures stratgies pour le dveloppe-ment conomique. Ces stratgies doivent reposer, dans une plus grande mesure qu'auparavant, sur le transfert et la transformation du savoir, de manire com-penser le manque prvisible d'assistance au dveloppement (...) Pour le dire cr-ment, comme dans la prochaine dcennie, il n'y aura pas beaucoup d'argent pour le dveloppement, mieux vaut qu'il y ait beaucoup de bonnes ides (Summers, 1992:2).

    Dans un souci de faire admettre que le foss de la connaissance entre les pays riches et les pays pauvres est aussi important que le dcalage en termes de ressources financires ou en termes d'changes extrieurs, la Banque Mondiale avait consacr son Rapport sur le

    1

  • 2 GERALD M. MEIER

    dveloppement dans le monde 1998/'1999'au thme de la connaissance au service du dve-loppement. Comme l'a fait remarquer Joseph E. Stiglitz, responsable conomique de la Banque Mondiale au moment de la confrence de Dubrovnik :

    De nos jours, la Banque Mondiale a mis bien davantage l'accent sur les notions intangibles de savoir, d'institutions et de culture, dans un souci de btir un nou-veau cadre de dveloppement pour notre travail qui soit plus tendu. Nous sou-haitons, par exemple, tre une banque du savoir, et non pas simplement une banque pour le financement des infrastructures. Nous voyons aujourd'hui le dve-loppement conomique moins comme une affaire de construction, de montage, et davantage comme un problme d'ducation, au sens large, englobant les notions de savoir, d'institutions et de culture. (Stiglitz, 1999a)

    Dans le mme esprit, l'conomiste Paul Romer, spcialiste de la croissance, dclare :

    Les ides devraient constituer notre principale proccupation (...) [L]es ides sont des biens conomiques d'une importance extrme, bien plus grande que celle des lments sur lesquels la plupart des modles conomiques mettent l'accent. Dans un monde physiquement limit, c'est la dcouverte de grandes ides, conjointe-ment avec la dcouverte de millions de petites ides, qui rend possible une crois-sance conomique durable. Les ides sont les instructions qui nous permettent d'organiser des ressources physiques limites selon des combinaisons toujours plus performantes. (Romer, 1993b: 64)

    Mme si la Banque Mondiale s'est affirme en tant qu'acteur intellectuel (Stern, 1997), les ides pour le dveloppement sont plus naturellement venues des conomistes universi-taires et des instituts de recherche. Le prsent ouvrage traite de l'avenir de l'conomie du dveloppement du point de vue des avances dans la pense conomique ralises par la Banque Mondiale aussi bien que par les conomistes universitaires. Cette volution, en termes d'analyse et d'implications politiques, s'apprhende selon plusieurs dimensions. Notre cheminement suit l'ordre indiqu par la figure 1.

    Comme Irma Adelman le fait remarquer dans le prsent ouvrage, il s'est produit des tournants dans l'volution de la pense conomique du dveloppement. Le contenu de la science conomique du dveloppement n'en a pas moins volu avec une rigueur analy-tique accrue, et les implications politiques sont devenues plus videntes. Yusuf et Stiglitz considrent ainsi sept problmes majeurs comme rsolus, et comme faisant dsormais par-tie de la science ordinaire et de la sagesse populaire.

    L'objectif ultime est de voir les ides pertinentes sur le dveloppement adoptes et mises en pratique dans les pays en dveloppement. Ces ides peuvent tre aussi bien des concepts de politique de dveloppement, d'un point de vue macroconomique, que des ides de progrs technique, d'un point de vue microconomique ou du point de vue de l'entreprise.

    La nouvelle thorie de la croissance insiste sur le rle des ides dans la promotion de la croissance, travers l'accumulation des progrs raliss au niveau microconomique. Dans un pays en dveloppement, la mise en pratique des ides joue un rle essentiel dans

  • Figure 1. rvolution de la pense conomique du dveloppement

    OBJECTIFS DE DVELOPPEMENT

    Dveloppementdurable

    Comptenceset aptitudes1

    Rduction:~ de la pauvret

    Indieat~ur.s 1 ! 1 1 1 1 1nonmonetaires

    (Indicedu 1 -dveloppement humain)1 1 1 1 1 1 1 1 1

    -PIB relpar habitant-Produit intrieurbrut (PIB)THORIEMACROCONOMIQUE DE LACROISSANCE

    AnalysedeHarrod-Domar

    _ 1 .Sources de la 1-+croissance de Solow

    Nouvelle thoriede la croissance.

    ACCUMULATION DE CAPITAL

    Capitalphysique - Capitalhumain - Capital deconnaissance - Capitalsocial

    ETAT ET MARCH

    Insuffisances Insuffisances Nouvelles 1 1 Interventionsdu march - - insuffisances - gouvernementalesautres du march

    INSUFFISANCES INSTITImONNELLES

    Programmation Gouvernement Complmentarit- -+ du gouvernementet planification minimaliste et du marchRFORMES POLmQUES

    La pauvret l Les politiques 1 I ~ 1 liti l iA ' 1onsidrantla auvret -+ outes es po mques _ vOIr escomme une fatalit - comme une fatalit - leurvraie place. bonnes institutions

    . leur vraie place.

  • 4 GERALD M. MEIER

    l'amlioration de la productivit globale des facteurs. (Voir le chapitre de Meier et celui de Crafts, dans le prsent ouvrage.)

    L'importance que Schumpeter attache aux innovations prend tout son sens propos du dveloppement. Schumpeter tablit une distinction entre les inventions - c'est--dire les ides et les concepts - et les innovations (1939). Pour que le dveloppement soit pos-sible, il faut que les ides produisent de nouvelles combinaisons des moyens de produc-tion - c'est--dire des innovations. Cette notion recouvre aussi bien l'introduction sur le march d'une nouvelle marchandise ou d'une nouvelle qualit d'un produit, que le lance-ment d'une nouvelle mthode de production, l'ouverture d'un nouveau march, l'appari-tion d'une nouvelle source d'approvisionnement ou la mise en place d'une nouvelle orga-nisation dans une industrie (Schumpeter, 1949). De telles innovations peuvent compen-ser des rendements dcroissants.

    La concurrence fonde sur l'innovation, au sens o l'entend Schumpeter, est lie la performance des dirigeants. Pour permettre une acclration du dveloppement, il faut que l'offre en direction d'entreprise s'accroisse. Cela peut se faire lorsque les ides sont acceptes en tant que savoir particulier et mises en pratique travers des capacits humaines. La comptence dirigeante est donc une forme de capital humain.1

    Au-del de son rle dans l'volution des technologies et dans la hausse du taux de crois-sance, la pntration des ides peut aussi faciliter la transformation structurelle de l'co-nomie, permettre un meilleur contrle de l'volution de la dmographie et permettre d'amliorer la distribution du revenu. Dans un sens plus large encore, les ides scienti-fiques et la rationalit scientifique peuvent permettre de changer les valeurs de la socit et favoriser sa modernisation.

    Le retard qui caractrise les individus en tant qu'agents conomiques est une cons-quence de la pauvret, mais il en est aussi une cause malheureuse. On considre gnrale-ment que l'cole et la formation sont des moyens d'augmenter la capacit crative et de permettre la russite des individus. Au-del de cet aspect, il doit tre possible d'amliorer le contexte gnral, travers l'institution et la protection (sans que celle-ci devienne exces-sive) des droits de la proprit intellectuelle, travers le recours des rglementations et des mesures fiscales favorisant les entreprises qui innovent, et travers une intensification de la concurrence entre les entreprises.2

    Un pays en dveloppement a certainement, de lui-mme, un grand rle jouer dans la production des ides, du savoir et de l'information. Cependant, au cours des premires phases du processus de dveloppement, il faut sans doute pouvoir compter sur la trans-mission des ides par le biais des changes internationaux, de l'investissement extrieur direct et du transfert de technologie. Plutt qu'aux importations de biens matriels, peut-tre faut-il en effet accorder davantage d'importance encore l'effet ducatif fonda-mental du commerce (Myint, 1971). Une dficience du savoir est un plus grand obstacle au dveloppement que le dfaut de tout autre facteur. Le savoir est cependant un bien public (Stiglitz, 1999b), et les contacts avec des conomies plus avances constituent sans doute le meilleur moyen de pallier cette dficience3. L'importation de savoir-faire techno-logique et de comptences est une source indispensable de progrs technique, et l'impor-tation des ides en gnral reprsente un potentiel certain de stimulation du dveloppe-ment. Il s'agit d'un facteur vital non seulement pour le progrs conomique, mais aussi pour les progrs politiques et socioculturels qui en sont souvent les conditions pralables. En permettant un pays en dveloppement de tirer les leons des russites et des checs

  • INTRODUCTION 5

    des conomies plus avances, ainsi qu'en lui permettant de choisir sa manire de s'adapter, le commerce extrieur peut jouer un rle considrable dans l'acclration de son dvelop-pement.

    Au milieu du dix-neuvime sicle, J. S. Mill remarquait : On saurait difficilement sur-estimer, compte tenu du faible niveau actuel du progrs humain, l'intrt que reprsente la mise en contact des tres humains avec des personnes qui leur sont dissemblables, et qui ont des modes de pense et des manires d'agir diffrents de ceux auxquels ils sont habi-tus (...) ce genre de mise en communication a toujours t, et est toujours, particulire-ment l'heure actuelle, une des principales sources du progrs. 4 Au 21e sicle, les dter-minants des changements et leur rythme restent diffrents selon les pays, et les changes d'ides restent donc des sources dynamiques d'enrichissement. Romer (1993a, 543) est fond crire que certaines nations sont pauvres parce que leurs citoyens n'ont pas accs aux ides au moyen desquelles les nations industrialises produisent de la valeur cono-mique. 3

    Si la cration des ides est une condition ncessaire au dveloppement, elle n'en est pas une condition suffisante. La capacit d'absorption des pays en dveloppement joue ici un rle crucial. Si les conomistes du dveloppement et les dlgations en visite ne sont pas couts, leurs ides n'aboutiront rien. Il en sera de mme si des ides en matire de rformes politiques ne bnficient pas des conditions politiques ncessaires leur applica-tion, ou si les rformes institutionnelles ncessaires pour qu'un pays acquire une certaine capacit d'absorption de ces ides ne se produisent pas. Pour l'organisation gouvernemen-tale comme pour la conception de l'information et d'un systme d'incitations, l'accepta-tion et la mise en pratique des ides supposent la ralisation de certaines conditions pra-lables. Dans le prsent ouvrage, l'article de Grindle apporte, sur ce problme, un nouvel clairage.

    Le rejet des mauvaises ides n'a pas moins d'importance que l'acceptation des bonnes ides. Dans les annes soixante, l'importation irrflchie de l'analyse de Harrod-Domar a abouti accorder une importance exagre l'accumulation de capital physique, et inter-prter de travers une ide suppose s'appliquer d'une certaine manire aux pays industria-liss et non aux pays en dveloppement. De mme la reprise de certaines ides concernant l'industrialisation comme substitut l'importation a-t-elle eu des consquences regret-tables. Ainsi donc, au niveau microconomique galement, a-t-on appliqu certaines ides tort et travers. L'investissement extrieur direct peut tre profitable un pays, mais il peut aussi se traduire par un excs d'intensit capitalistique, en cas de main-d'uvre pl-thorique. Il peut galement arriver que l'implantation des multinationales reprsente, pour le pays hte, un cot croissant dans le temps, qui se traduise au bout du compte par un ratio cot/bnfice dfavorable.

    Le fait de suivre des ides qui ne sont pas les bonnes peut rendre ncessaire d'inverser ou d'arrter la politique suivie, ce qui est une tche difficile. En gnral, lorsque des ides viennent constituer un savoir et former ainsi un capital humain, il faut que ce soit un savoir appropri, de la mme manire qu'une technologie doit tre approprie. En fait, un capital humain inappropri peut constituer un handicap, davantage encore qu'un capi-tal physique inappropri, car il n'est pas possible de se dbarrasser du capital humain. On ne met pas fin aisment une pratique mauvaise, et une ide mauvaise peut en chasser une bonne.

    Que les ides soient importes de l'tranger ou qu'elles soient produites par les pays en

  • 6 GERALD M. MEIER

    dveloppement, il importe qu'elles ne soient pas fausses par l'idologie. La pense cono-mique du dveloppement ne s'est dj que trop facilement imprgne de croyances ido-logiques. Avec la dcolonisation qui a suivi la guerre, on a souvent commenc par voir dans l'conomie du dveloppement l'conomie du ressentiment et du mcontentement, et par considrer que les catgories de pense en jeu taient d'ordre motif, et non logique. Impliquant une orientation politique et ayant vocation rsoudre des problmes concrets, l'conomie du dveloppement tait souponnable aussi bien de servir les idologies de la droite que les idologies de la gauche. On a trop souvent nglig de s'astreindre une pen-se rationnelle, propos de l'quilibre trouver entre l'Etat et le march (voir Stiglitz, 1999a).

    Pour que des ides dbouchent davantage sur une application concrte, il faut qu'elles procdent d'une analyse rigoureuse et d'une preuve empirique. Il serait souhaitable, dans cette optique, de promouvoir diverses sources d'argumentation analytique et d'observation empirique, aussi bien dans les pays industrialiss que dans les pays en dveloppement. A l'avenir comme par le pass, ce sont les leons de l'exprience, et la soumission des ides sur le dveloppement aux dbats ouverts, qui permettront celles-ci de progresser. Il s'agit donc de renforcer la crdibilit de l'conomie du dveloppement en y rduisant l'emprise de l'idologie et de l'motion subjective au profit de l'analyse rigoureuse.

    Contenu du prsent ouvrage C'est en gardant ces prmisses l'esprit que nous aborderons les chapitres qui suivent, la recherche de nouvelles ides sur le dveloppement. En procdant ainsi, nous pouvons faire ntre cette remarque de Samuelson (1996: 27) : Dans le domaine des sciences, c'est une erreur de croire qu'une gnration arrive trop tard la table du banquet, une fois la fte termine. Le travail scientifique n'est jamais accompli. La science volue rapidement. La rsolution d'un problme dbouche sur un certain nombre de nouvelles questions qui leur tour appellent la recherche de solutions. Non seulement la nouvelle gnration d'conomistes du dveloppement aura de nouveaux problmes rsoudre, mais elle dis-posera de davantage de techniques analytiques plus harmonieuses pour affiner et compl-ter les dcouvertes des gnrations prcdentes.

    Dans le prochain chapitre, L'ancienne gnration d'conomistes du dveloppement et la nouvelle, Gerald M. Meier rsume le pass et l'avenir de l'conomie du dveloppement du point de vue de l'ancienne gnration. Pour mettre l'avenir de l'conomie du dve-loppement en perspective, Meier passe en revue les ides de la premire gnration d'co-nomistes du dveloppement (de 1950 1975 environ) et de la seconde (de 1975 nos jours). C'est dans ce contexte qu'il aborde les questions non rsolues et les tches qu'il incombera la prochaine gnration d'accomplir, notamment : l'largissement de la notion de dveloppement conomique ; une attention plus grande donner au rsiduel (dans la productivit totale des facteurs) dans l'approche des dterminants de la croissan-ce par la fonction de production ; affiner et complter les nouvelles thories de la crois-sance, en tenant compte de l'conomie des ides et du savoir ; l'interprtation du concept de bonnes institutions ; la dtermination des sources du capital humain ; l'analyse plu-ridisciplinaire ; les leons de l'histoire ; l'analyse des opportunits et des problmes engen-

  • INTRODUCTION 7

    drs par la mondialisation ; la dcouverte des nouvelles perspectives concernant l'interd-pendance entre l'Etat et le march dans le processus de dveloppement.

    Meier tablit une distinction entre l'analyse conomique noclassique habituelle du dveloppement et une approche plus exhaustive, prenant en compte la ralisation de chan-gements innovateurs de grande ampleur et les problmes politico-conomiques que pose le dveloppement aux dcideurs politiques. Toutes ces considrations se rejoignent dans la question gnrale de savoir si l'conomie du dveloppement doit tre simplement consi-dre comme de l'conomie applique, ou s'il est ncessaire d'ajouter la thorie cono-mique gnrale une thorie particulire du dveloppement.

    Dans A propos des objectifs du dveloppement, Kaushik Basu affirme que le mou-vement vers un dveloppement humain ou vers un dveloppement tendu suppose de nouveaux objectifs pour le dveloppement - autres que la simple augmentation du taux de croissance conomique. Cependant, peut-on donner ces objectifs sociaux et politiques largis une signification plus prcise, au-del de la possibilit de les mesurer et de les sou-mettre certaines oprations mathmatiques en vue de les valuer ? Basu accorde cette question l'attention qu'elle mrite. Dans la mesure o se pose le problme de la croissan-ce du revenu, l'auteur propose de s'intresser avant tout la situation des personnes les plus pauvres et au taux de croissance du revenu par habitant du cinquime le plus pauvre de la population. Il est un sujet qui reste relativement nglig, et qui est pourtant particulire-ment intressant, l'interaction stratgique entre les objectifs des diffrents pays et le pro-blme de moralit conditionnelle qu'ils posent. Une telle analyse est pertinente dans le cadre de la conception des actions coordonnes effectuer par les pays concerns pour atteindre leurs objectifs de dveloppement.

    Dans Les faux raisonnements dans la thorie du dveloppement et leurs consquences en politique, Irma Adelman distingue principalement trois contrevrits courantes : (a) le sous-dveloppement aurait une cause unique (que ce soit la faiblesse du capital phy-sique, la pnurie d'entrepreneurs, une chelle des prix incorrecte, des obstacles aux changes commerciaux internationaux, un gouvernement trop omniprsent, un capital humain inappropri, ou un gouvernement inefficace) ; (b) un seul critre suffirait pour valuer la performance en termes de dveloppement ; (c) le dveloppement serait un pro-cessus linaire. Selon Adelman, le dveloppement doit tre analys comme un processus dynamique, complexe et non linaire, constitu de divers schmas d'interaction qui se suc-cdent, et impliquant des rformes politiques et institutionnelles au cours du temps.

    Trois chapitres sont consacrs la manire dont les stratgies de dveloppement pro-poses par le world Development Reports de la Banque Mondiale, au dbut des annes quatre-vingt-dix, ont t appliques. Dans Le dfi du dveloppement revu et corrig, Vinod Thomas explique l'exprience de ces dernires dcennies, en matire de dveloppe-ment, et confirme le rle essentiel des mesures visant libraliser les marchs, mais il sou-ligne aussi les lments ngligs ou manquants. Parmi ces derniers figurent en bonne place la distribution du dveloppement humain, la protection de l'environnement, la mondiali-sation et la rgulation financire, et la qualit de la gestion des affaires publiques. En accor-dant une vritable priorit ces problmes, on intgrerait la dimension de la qualit dans les approches du dveloppement, au lieu de continuer se focaliser sur la maximisation de la croissance court terme. De mme, au lieu de chercher simplement acclrer le ryth-me de la libralisation du march, on essayerait davantage de construire de manire consensuelle la socit civile, tout en se proccupant des rformes politiques.

  • 8 GERALD M. MEIER

    Dans L'volution de la pense sur la pauvret : l'analyse des interactions, Ravi Kanbur et Lyn Squire montrent l'largissement progressif de la dfinition et de l'valua-tion de la pauvret, depuis la mesure du pouvoir d'achat (le revenu) jusqu'aux autres aspects du niveau de vie que sont la longvit, le degr d'alphabtisation, la sant, et, depuis peu de temps, les soucis de risque et de vulnrabilit, l'impuissance et l'impossibi-lit de se faire entendre. Selon Kanbur et Squire, mme s'il existe une corrlation entre ces divers lments, cette dfinition largie change de faon significative notre manire de concevoir les moyens de faire reculer la pauvret. L'largissement du concept va de pair avec l'largissement de l'ventail des mesures envisager, mais il entrane aussi la ncessi-t, dans les stratgies de rduction de la pauvret, d'admettre les interactions entre les poli-tiques menes : l'impact d'un ensemble de mesures pertinemment calibres sera plus grand que l'impact de la somme des parties, selon les auteurs, des recherches complmentaires s'imposent, pour permettre une meilleure comprhension de ces interactions. Seules des tudes de cas approfondies permettront de rechercher les meilleures politiques globales pour des pays dont les problmes rsoudre varient, ainsi que les capacits y faire face. Enfin, il s'avre ncessaire d'valuer avec attention les innovations possibles en matire ins-titutionnelle, en vue de pouvoir compenser les carences en termes d'information et le foss de la connaissance.

    Dans Problmes de dveloppement : problmes rsolus et rsoudre, Shahid Yusuf et Joseph E. Stiglitz distinguent les problmes d'conomie du dveloppement qui semblent rsolus de ceux qui rclament une attention future. Les questions rsolues sont les sui-vantes : Quels sont les dterminants de la croissance ? La stabilit macroconomique est-elle quelque chose d'important, et comment peut-on l'assurer ? Les pays en dveloppement doivent-ils libraliser leurs changes commerciaux ? Quel est le degr d'importance des droits de proprit ? La rduction de la pauvret est-elle affaire de croissance et d'accumu-lation de capital, ou doit-on mettre en place des garde-fous ? Les pays en dveloppement peuvent-ils faire abstraction des problmes cologiques, ou en diffrer la prise en compte ? Dans quelle mesure revient-il l'Etat de grer et de rguler le dveloppement ?

    La tendance actuelle est de voir affleurer une srie de problmes propres susciter de nouvelles analyses et de futures actions. Ces problmes concernent essentiellement la mon-dialisation, la dlocalisation, la dgradation de l'environnement, l'volution de la dmo-graphie, l'approvisionnement en nourriture et en eau, et l'urbanisation. On peut les regrouper en deux rubriques : (a) les problmes de gouvernance et de rgulation diff-rents niveaux (mesures participatives, capacit organisationnelle, dcentralisation, ingali-t, gestion des affaires urbaines), et (b) les problmes relatifs la gestion du capital humain et des ressources naturelles (migrations transfrontalires, vieillissement et offre de capital humain, gestion des ressources globales, approvisionnement en nourriture et en eau). En rsolvant ces problmes, on faciliterait la convergence entre les niveaux de revenu et les niveaux de dveloppement humain. De nouvelles ides sur la gestion des affaires publiques, les institutions, les politiques rgulatrices et les mesures prendre pour mieux grer les ressources, devraient ncessairement porter leurs fruits.

    Les institutions et les structures incitatives tiennent galement une place centrale dans l'argumentation de Pranab Bardhan sur Les conflits de distribution, l'action collective et l'conomie institutionnelle. Tout en montrant les liens entre la nouvelle conomie insti-tutionnelle et l'conomie du dveloppement, Bardhan accorde une attention particulire certaines questions que la littrature conomique sur la thorie des institutions a jusqu'ici

  • INTRODUCTION 9

    laisses de ct, notamment (a) la persistance d'institutions dficientes dans les pays pauvres, (b) les obstacles institutionnels en tant que consquences de conflits de distribu-tion, (c) les problmes d'action collective que ces conflits aggravent, et (d) le rle plus com-plexe et plus nuanc de l'Etat, vis--vis du besoin de coordination. L'auteur centre son ana-lyse sur les effets des conflits de distribution parmi diverses couches sociales, et sur le ds-quilibre des pouvoirs de ngociation. A la lumire de cette analyse, il explique les carences institutionnelles et souligne les invitables problmes d'action collective au niveau tatique comme au niveau local.

    Dans Perspectives historiques sur le dveloppement, Nicholas Crafts se demande si l'conomie du dveloppement a beaucoup gagner se rapprocher de l'histoire cono-mique. Cette question conduit l'auteur valuer l'hritage des deux gnrations prc-dentes d'historiens de l'conomie : les pionniers de l'aprs-guerre qui ont li ensemble l'histoire conomique et l'conomie du dveloppement, et, plus rcemment, les tenants de la nouvelle histoire conomique de la fin des annes soixante et des annes soixante-dix. L'analyse se prolonge au-del des baisses de croissance, pour privilgier, plutt que la pro-duction, les niveaux de vie - un domaine dans lequel, selon Crafts, les conomistes du dveloppement et les historiens de l'conomie doivent pouvoir entretenir des changes fructueux.

    Les changements technologiques et institutionnels endognes jouent un rle central, la fois dans l'histoire de l'conomie long terme et dans le dveloppement. Crafts souligne l'enjeu que reprsente la rsolution des problmes d'institutions et d'appropriation dans la cration d'un environnement favorable l'innovation et l'amlioration de la productivi-t. Esprant une future collaboration entre les historiens et les conomistes du dveloppe-ment, il met en garde contre les tentatives de faire rentrer la croissance conomique et le dveloppement dans le cadre du modle de croissance noclassique de Solow largi. Crafts met l'accent sur les institutions, mais admet que l'on peut s'attendre voir un certain nombre de pays diverger dans leur manire d'organiser celles-ci. Il fait remarquer le chan-gement qui se produit dans la relation entre, d'une part la croissance en termes de salaires rels et en termes de produit intrieur brut (PIB) par habitant, et d'autre part l'amliora-tion du niveau de vie. Selon l'auteur, la prochaine gnration d'conomistes du dvelop-pement devrait pouvoir s'appuyer sur l'histoire conomique mieux que la seconde gnra-tion n'a pu le faire.

    Malgr les progrs accomplis dans la comprhension des liens avec la politique, Merilee S. Grindle (En qute du politique : la politique et l'conomie du dveloppement) dcla-re que d'un point de vue politico-conomique, bien des aspects de la politique de dve-loppement restent claircir. Grindle dcrit deux traditions divergentes en matire d'co-nomie politique, fondes sur l'conomie et sur la thorie sociologique, qui permettent des interprtations diffrentes de la prise de dcision et du processus de rforme politique. Selon l'auteur, aucun de ces deux paradigmes ne convient pour la comprhension de quatre vritables casse-tte : pourquoi et quand les hommes politiques sont-ils disposs favoriser les rformes ? De quelle manire les institutions politiques affectent-elles les choix des hommes politiques ? Comment cre-t-on de nouvelles institutions, et comment les transforme-t-on ? Quelles sont les consquences des nouvelles rgles du jeu sur l'interac-tion entre conomie et politique ?

    Selon Grindle, les analyses politico-conomiques devraient pouvoir modeler la ralit et reflter la dynamique des interactions qui accompagnent la conception et la mise en

  • 10 GERALD M. MEIER

    uvre d'une politique de dveloppement, ainsi que la cration ou la transformation des institutions. L'analyse politico-conomique peut donc fournir des ides utiles sur ce qui pourrait tre fait non seulement pour amliorer la gestion macroconomique, mais aussi pour affronter un ensemble de nouveaux problmes lis aux changements institutionnels, aux politiques sociales et aux diverses formes de gestion des affaires publiques dcentrali-ses et participatives. L'auteur souligne que si les conomistes du dveloppement veulent comprendre comment se fait la prise de dcision politique, un examen des processus poli-tiques s'impose. Par ailleurs, le leadership, les ides et l'amlioration des institutions sont des dterminants essentiels de la russite, que la thorie de l'conomie politique a trop ngligs jusqu' prsent.

    Deux questions cls dominent le prsent ouvrage : Quelles sont les mcanismes qui peuvent expliquer les divergences de revenu d'un pays l'autre ? Quels types d'interven-tions seraient le plus susceptibles de favoriser le dveloppement ? Dans le dernier chapitre, La thorie conomique actuelle et le dveloppement, Karla Hoffet Joseph E. Stiglitz se confrontent directement ces questions. Les rponses qu'ils proposent refltent les rcentes avances ralises dans une science conomique prenant en considration le carac-tre imparfait de l'information et les carences en matire de coordination. Plutt que de supposer que les cots que reprsente l'information sont ngligeables et que la capacit de contracter est sans limite, Hoff et Stiglitz formulent des hypothses explicites sur les contraintes spcifiques l'individu en matire d'information et sur les conditions de faisa-bilit des transactions. En fin de compte, les conomistes du dveloppement devront faire le point des institutions dont dpendent les cots de l'information et de la mise en pra-tique des ides. Ceci traduit l'importance des institutions, de l'histoire et des problmes de rpartition, et la ncessit que l'analyse s'tende au-del des notions habituelles de res-sources, de technologie et de prfrences. En effet, ni les distorsions introduites par les gou-vernements ni la faible accumulation du capital ne se sont avres pertinentes pour expli-quer le sous-dveloppement. Plutt que de se focaliser sur les diffrences entre les pays industrialiss et les pays en dveloppement, en matire de niveau de capital physique, de capital humain ou de distorsions introduites par les gouvernements, Hoffet Stiglitz s'atta-chent montrer que ces deux groupes de pays sont caractriss par des fonctions de pro-duction et par des modes d'organisation diffrents.

    Par contraste avec les modles plus anciens d'conomie du dveloppement, les auteurs proposent divers exemples de modles quilibres multiples, susceptibles d'expliquer pourquoi les pays pauvres peuvent se retrouver prisonniers de situations dfavorables d'quilibre faible niveau, dont les mcanismes du march ne peuvent les librer. Ils expo-sent trois hypothses complmentaires concernant le foss de la connaissance, les dysfonc-tionnements des institutions, et une perspective cologique des institutions sociales, co-nomiques et politiques. Ils formulent plusieurs modles dans lesquels les carences de la coordination induisent des trappes de dveloppement, consquence des effets d'interac-tion entre les agents que le systme des prix ne suffit pas arbitrer. Ces modles se carac-trisent par des quilibres de Pareto multiples.

    Dans le contexte de la thorie actuelle, sur laquelle ce chapitre met l'accent, la dmons-tration est particulirement intressante, selon laquelle la modlisation des carences de la coordination fournit effectivement des moyens de rsoudre les problmes de politique co-nomique. De ce point de vue innovant, il devient possible de recommander des politiques susceptibles de mener des situations d'quilibre favorables, d'amliorer la circulation et

  • INTRODUCTION 11

    la disponibilit de l'information ou de faire voluer les structures incitatives et organisa-tionnelles.

    Le prsent ouvrage se termine par deux sections consacres des rflexions de prix Nobel et de pionniers sur l'avenir de l'conomie du dveloppement.

    Notes 1. Le rle central de la direction d'entreprise est depuis longtemps soulign dans la littratu-

    re consacre au dveloppement. Voir Leibenstein (1968). 2. A propos des diverses approches de l'incitation la production et la ralisation des ides,

    voir Romer (1993b). 3. Dans la mesure o une ide, mme non contredite en tant que bien, est cependant sus-

    ceptible d'tre rejete, elle est un bien public imparfait. 4. Mill (1848): vol. 2, livre 3, ch. 17, sect. 5. 5. Pour une analyse des ides en tant que biens incontestables permettant d'accrotre les pro-

    fits et la non-convexit, voir Romer (1993a) et les considrations sur la nouvelle thorie de la croissance dans les chapitres de Meier et Adelman, dans le prsent ouvrage. A propos des rela-tions entre le commerce, l'innovation et la croissance, voir Grossman et Helpman (1991).

  • L'ancienne gnration d'conomistes du dveloppement et la nouvelle

    Gerald M. Meier

    VERS LA FIN DU DIX-NEUVIME SICLE, dans un article rtrospectif sur la thorie cono-mique intitul L'ancienne gnration d'conomistes du dveloppement et la nouvelle, Alfred Marshall parlait du travail que l'ancienne gnration d'conomistes, qui arrive la fin de son activit, laisse la gnration suivante (Marshall, 1897: 115). Aujourd'hui, au tournant du 21e sicle, nous pouvons envisager un cas de figure similaire pour les co-nomistes du dveloppement.

    C'est l'objet de ce chapitre, qui tente d'valuer les progrs accomplis dans l'volution des ides, au cours de ces 50 dernires annes, par les deux premires gnrations d'co-nomistes du dveloppement. Les deux prochaines sections sont consacres la premire gnration (1950 1975 environ) et la seconde (1975 nos jours). La dernire section traite des questions non rsolues et des tches qu'il incombera la prochaine gnration de terminer. L'intention n'est pas ici de prsenter un nouvel aperu de la littrature exis-tante, mais plutt de proposer une valuation subjective condense du pass et du futur de l'conomie du dveloppement, du point de vue des anciennes gnrations.1

    La premire gnration Aprs la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements nouvellement indpendants des pays mergents cherchrent comment acclrer leur dveloppement. C'est dans ce contex-te que les conomistes se trouvrent confronts la question du dveloppement. Pour l'in-dpendance politique, l'on pouvait se tourner vers Whitehall, mais pour l'indpendance conomique, les nouveaux gouvernements d'Asie et d'Afrique s'adressrent aux cono-mistes du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Toutefois, en tant que discipline, l'conomie du dveloppement restait redcouvrir, ou recrer.2

    A la fin des annes cinquante, les conomistes du dveloppement avaient davantage confiance en l'avenir qu'aujourd'hui. Ils formulaient de grands modles de stratgies de dveloppement, qui prenaient en compte les transformations structurelles, ainsi que le rle corrlatif de l'implication des gouvernements dans la programmation ou la planifica-tion du dveloppement.3 Ces modles tenaient compte galement des conditions nces-saires la hausse du revenu rel par habitant. La population - qui tait le dnominateur - tant en augmentation, il s'agissait de privilgier un taux de croissance rapide du num-rateur, le produit intrieur brut (PIB). L'accumulation de capital, condition ncessaire,

    rs

  • 14 GERALD M. MEIER

    tait au centre du modle. Pour estimer le niveau de capital ncessaire dans les pays en dveloppement, on appliquait l'quation de Harrod-Domar, bien qu'elle ait t, l'origi-ne, formule pour une situation de pleine croissance dans une conomie industrielle.4

    La comptabilit de la croissance allait aussi dans le sens de cette prdominance du rle du capital. La simple dcomposition de la croissance en contributions des facteurs et par-tie rsiduelle, selon Solow (1957), se fonde sur la diffrentiation d'une fonction de pro-duction, Y = F (K, L, t), o Y est l'output, K le capital, L le travail et t le temps, pour obte-nir:

    Y lFKK\ K tFLL\L Ft Y \ Y I K + \ Y I L + Y

    (les symboles en indice dsignent des drives partielles.) La contribution de l'accumulation de capital la croissance se mesure par le rapport

    (K7K) multipli par la part du capital dans le revenu national (Stern, 1991). La partie rsi-duelle - la croissance en productivit totale des facteurs (TFP) - tait suppose s'expliquer de manire exogne par le progrs technique.

    Les autres modles de stratgie de dveloppement de la premire gnration mettaient galement en jeu l'accumulation de capital: les degrs de croissance de Rostow, la croissance quilibre de Nurkse, les conomies externes et le big push de Rosenstein-Rodan, le modle d'offre illimite de main-d'uvre double secteur de Lewis, les hypo-thses de Prebisch-Myrdal-Singer sur les termes de l'change et la substitution l'import, la thse de l'effort minimum critique de Leibenstein, et le modle double dficit de Chenery.5

    Les implications politiques de ces modles et de ces hypothses supposaient une action dterminante de la part de l'Etat. Pour un grand nombre d'conomistes du dveloppement de la premire gnration, ce qui caractrisait une conomie peu dveloppe, c'taient les carences flagrantes du march. Pour corriger ou pour viter ces carences, ils taient parti-sans d'une coordination centralise dans l'allocation des ressources. L'conomie du bien-tre, ce nouveau domaine en expansion, fournissait galement de prcieux outils tho-riques pour une action gouvernementale destine corriger les carences du march. Par ailleurs, l'cole structuraliste critiquait le systme des prix du march en en soulignant les rigidits, les lenteurs, les pnuries et les excdents, la faible lasticit de l'offre et de la demande, l'inflation structurelle et la vision pessimiste de l'activit d'export.6

    Pensant que dans un pays en dveloppement, il n'existait pas de systme de prix fiable, que l'offre de comptences en direction d'entreprise y tait limite, et que de grands chan-gements structurels - et non de simples ajustements par-ci par-l - y taient ncessaires, les conseillers en dveloppement de la premire gnration firent de l'Etat le principal acteur du changement. Ainsi le gouvernement d'un pays en dveloppement devait-il favo-riser l'accumulation de capital, utiliser les rserves de main-d'uvre excdentaire, mener des politiques d'industrialisation force, soulager la contrainte des changes extrieurs au moyen de la substitution l'import, et coordonner l'allocation des ressources travers une programmation et une planification.

    Des conseillers et des missions trangres, en nombre croissant, se mirent cooprer avec les organismes locaux de planification et les entreprises de dveloppement industriel,

  • L'ANCIENNE GENERATION ET LA NOUVELLE 15

    pour produire des analyses et des recommandations destines servir de rfrence aux plans nationaux de dveloppement. Afin de tester la consistance, l'quilibre et la faisabili-t de ces plans, ils recoururent aux techniques modernes de l'analyse conomique, en par-ticulier l'analyse de type input-output, la programmation dynamique et la simulation l'aide de modles de croissance.

    Si les pays en dveloppement se voyaient conseiller des politiques fondes sur le repli sur soi, c'tait en raison d'une croyance selon laquelle les revenus des exportations seraient inlastiques. C'est ainsi que l'on favorisa le modle double dficit d'pargne et d'inves-tissement, et la balance commerciale (Bruno et Chenery, 1962). Selon ce modle, l'pargne excdentaire ne peut tre transforme en importations de biens de capital, elle est donc vaine ; en revanche, l'aide extrieure peut faciliter l'expansion de l'investissement, en soulageant la contrainte des changes extrieurs. On croyait aussi au caractre structu-rel de l'inflation - la propension marginale importer excdant la propension marginale exporter - ainsi qu' la ncessit d'une croissance quilibre (Lewis, in Meier et Seers, 1984).

    Au moment mme o l'on parvenait des conclusions pessimistes sur la capacit des pays en dveloppement exporter des produits de base et poursuivre un dveloppement orient vers l'export, des conclusions optimistes se faisaient jour propos de la possibilit d'acclrer le dveloppement, grce l'extension du secteur public et des politiques gou-vernementales de grande envergure. Ce mlange de pessimisme propos de l'conomie externe et d'optimisme propos de l'conomie interne fut caractristique de la pense de la premire gnration.

    Dans l'optique de ces stratgies macroconomiques, on pensait qu'un gouvernement d'un pays en dveloppement pouvait raliser une transformation structurelle de l'cono-mie, et donner une ralit aux slogans d'alors: briser le cercle vicieux de la pauvret de Nurkse l'aide du big push de Rosenstein-Rodan, dans le cadre d'une croissance qui-libre qui crerait une complmentarit dans la demande, parvenir l' effort minimum critique de Leibenstein, sortir d'une trappe d'quilibre faible niveau, et satisfaire aux conditions du dcollage de Rostow.7

    Par la suite, les modles de la premire gnration, aussi bien que les orientations poli-tiques qu'elle prconisait, furent l'objet de critiques.8 Ces modles pchaient par l'insuffi-sance de leur contenu empirique. Par ailleurs, comme Krugman le fait observer, les tho-riciens du dveloppement des annes cinquante taient:

    tout d'abord incapables, et ensuite peu disposs formaliser [leurs ides] sous forme de modles clairs et cohrents. A la mme poque, la pense conomique s'imprgnait peu peu de la rigueur que l'on tait en droit d'en attendre. En cons-quence, l'conomie du dveloppement, en tant que discipline particulire, se trou-va mise l'cart du courant dominant en conomie. En fait, les ides de la gran-de thorie du dveloppement (des annes cinquante) finirent par sembler non pas tant fausses qu'incomprhensibles (Krugman, 1993: 29).

    Par ailleurs, dans les annes soixante, l'importance accorde initialement l'accumula-tion de capital physique cda la place au concept d'investissement en capital humain et ses consquences sur le dveloppement. On commenait admettre, de plus en plus sou-vent, que le dveloppement dpendait d'agents humains productifs qui, grce l'acquisi-

  • 16 GERALD M. MEIER

    tion d'un savoir, de meilleures conditions de sant et une meilleure alimentation, et grce une comptence accrue, pouvaient faire crotre la productivit totale des facteurs.

    Plus que toute autre chose, l'exprience des effets nfastes de l'intervention de l'Etat vint alimenter la critique des premiers modles. La programmation et la planification du dveloppement cessrent de sduire les conomistes. Malgr l'optimisme de la premire gnration et les efforts dlibrs des gouvernements pour acclrer le dveloppement, il ne devint malheureusement que trop vident, dans un certain nombre de pays, que la pau-vret en masse persistait, que de plus en plus de gens taient au chmage ou en sous-emploi, que le nombre de personnes au-dessous du seuil de la pauvret absolue ne fai-sait que crotre, et que la distribution du revenu et des capitaux tait de plus en plus inga-le.

    Pour expliquer ces dceptions, nombreux furent ceux qui critiqurent les distorsions induites par la politique et ses effets pervers, et plus particulirement la ngligence de l'agriculture, l'inefficacit des entreprises nationalises, les effets nfastes de l'industrialisa-tion de substitution l'import, et les dficits de la balance des paiements.

    En 1952, W. Arthur Lewis pouvait dclarer:

    La planification dans les pays conomiquement en retard reprsente une tche bien plus ardue pour les gouvernements que la planification dans les pays avancs. Les gouvernements doivent assumer trop de choses qui, dans les pays dvelopps, seraient plutt du ressort des chefs d'entreprise. Il leur faut crer des centres indus-triels, entreprendre une rvolution agricole, contrler plus troitement les taux de change, et paralllement tout cela, assurer toute une frange de services publics et/ou une lgislation de l'conomie. Et tout ceci doit tre ralis par les soins d'une administration gnralement bien moins structure et moins efficace que celle des pays dvelopps. Pourquoi, dans ces conditions, les pays moins avancs se lancent-ils plus volontiers dans la planification? Parce qu'ils ont aussi, bien videmment, des besoins bien plus grands. Et c'est aussi ce qui leur permet de la mettre en uvre, malgr les erreurs et les incomptences. En effet, si la population est du ct du gouvernement, motive par le sentiment national, consciente de son retard cono-mique et soucieuse de progresser, elle supportera volontairement de nombreuses privations, tolrera un certain nombre d'erreurs, et entreprendra avec enthousias-me de travailler reconstruire le pays. L'enthousiasme populaire est la fois le lubri-fiant de la planification et le carburant du dveloppement conomique - une force dynamique grce laquelle presque tout devient possible (Lewis, 1952: 128).

    A la fin des annes soixante et au dbut des annes soixante-dix, cependant, les dfi-ciences de la programmation industrielle et de la planification tendue apparaissaient de plus en plus proccupantes. Les anciens partisans de la planification du dveloppement commencrent dplorer la crise de la planification (Streeten et Lipton, 1969; Faber et Seers, 1972). Les critiques mentionnrent alors les causes de la faillite tatique: les dfi-ciences de la planification, l'inadquation de l'information et des ressources, les drange-ments imprvus de l'activit conomique intrieure, les faiblesses institutionnelles, et les carences et manquements de l'administration (Killick, 1976: 164; Chakravarty, 1991).

    Bien que sa justification thorique ait t de remdier aux imperfections du march, l'intervention de l'Etat n'a que trop souvent abouti la faillite politique. Les effets nfastes

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    des distorsions de prix en ont t l'exemple flagrant - des distorsions particulirement visibles en ce qui concerne les taux de salaires, les taux d'intrt et les taux de change. Obtenir un systme de prix cohrents est devenu un objectif politique privilgi. Pourtant, comme le noteTimmer (1973), l'obtention d'un systme de prix cohrent ne garantit pas le dveloppement conomique, en revanche, l'obtention de prix incohrents signifie souvent la fin du dveloppement. En analyse conomique, la logique du choix s'est sou-vent elle-mme redfinie. Il incombait la seconde gnration d'conomistes du dvelop-pement d'apporter son soutien une rsurgence de l'conomie noclassique (Little, 1982: ch. 9-10).

    La seconde gnration

    Si la premire gnration d'conomistes du dveloppement tait visionnaire, et si elle s'tait consacre aux grandes thories et aux stratgies gnrales, la seconde gnration a t plutt moraliste, et a donn dans un ralisme sombre fond sur les principes fondamen-taux de l'conomie noclassique. Harberger pouvait dire aux gouvernements des pays en dveloppement : l'conomie est pour vous une bonne chose - et par conomie, il enten-dait l'analyse noclassique, comme fondement de la politique conomique (Harberger, 1993).

    On demanda aux gouvernements non seulement de mettre fin aux distorsions des prix mais aussi de veiller maintenir de bonnes politiques . Ce n'taient plus des diffrences de contexte initial mais des diffrences de politiques qui expliquaient la disparit des per-formances des pays en dveloppement. Un pays tait pauvre non plus cause du cercle vicieux de la pauvret, mais cause de politiques dficientes. Les questions essentielles, en politique conomique, devaient tre les marchs, les prix et les incitations.

    Il tait devenu vident que la rationalit conomique tait le fait des agents cono-miques des pays en dveloppement aussi bien que des agents conomiques des pays dve-lopps. Invoquant une applicabilit gnrale des postulats habituels de rationalit et des principes de maximisation et de minimisation, certains conomistes mirent l'accent sur le caractre universel de l'conomie noclassique, et abandonnrent l'ide de la premire gnration selon laquelle l'conomie du dveloppement tait en elle-mme une branche particulire. Krueger, par exemple, dclarait :

    Une fois admis que les individus ragissent des incitations, et que la faillite du march est la consquence d'incitations inappropries plutt que d'un manque de ractivit, la spcificit de l'conomie du dveloppement en tant que discipline dis-parat en grande partie. Celle-ci devient alors un champ d'application, dans lequel les outils et les ides de l'conomie du travail, de l'conomie agricole, de l'cono-mie internationale, de la finance publique et d'autres disciplines sont mis au servi-ce des problmes de politique particuliers qui surgissent dans le contexte du dve-loppement (Krueger, 1986: 62 0 9-

    En accord avec la thorie conomique noclassique, la seconde gnration abandonna les modles haut degr de superposition au profit de micro-tudes dsagrges, dans les-quelles les units d'analyse taient les units de production et les mnages. Pour conseiller

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    les dcideurs, on en vint considrer que les grandes thories taient moins utiles que les applications trs spcifiques. Les micro-tudes, plutt que les modles visionnaires plus largis de la priode prcdente, devaient davantage dboucher sur des applications directes des politiques spcifiques, par exemple pour rformer les tarifs douaniers ou les subventions l'agriculture (Arrow, 1988). L'intrt des conomistes se reporta nettement du processus de dveloppement vers des aspects particuliers du sous-dveloppement. On recourut de manire plus extensive aux outils de l'analyse quantitative, surtout pour l'ana-lyse empirique des micro-phnomnes spcifiques aux pays, aux secteurs ou aux projets tudis. La plus grande disponibilit des donnes microconomiques permit de modliser le comportement des mnages, ainsi que les investissements en capital humain dans l'du-cation et la sant.

    Des tudes montrrent que l'allocation du capital comptait davantage que le niveau d'accumulation du capital. La croissance pouvait tre lente malgr de forts taux d'pargne, comme en Inde. On considra que des taux d'pargne levs n'taient pas une condition ncessaire ni une condition suffisante la russite conomique. Reconnaissant l'impor-tance de l'allocation du capital, les analystes accordrent davantage d'attention l'affinage des techniques d'analyse en termes de cots et de profits, et des techniques d'apprhension de la tarification opaque, pour une meilleure valuation des projets.

    Dans les approches antrieures de la fonction de production cumule, on considrait la partie rsiduelle comme un coefficient de progrs technique. La seconde gnration, cependant, envisagea le processus de croissance d'un point de vue plus microconomique. On admit que la partie rsiduelle tait une combinaison d'effets de divers facteurs : (i) des amliorations de la qualit du travail grce l'ducation, l'exprience et la formation per-manente, (ii) de la rallocation des ressources vers des activits plus productives, soit par les forces naturelles du march, soit par la rduction des obstacles ou des distorsions, (iii) de l'exploitation des conomies d'chelle, (iv) de meilleures manires de combiner les res-sources en vue de produire des biens et des services, non pas simplement par l'apparition de nouvelles machines ou de nouveaux procds, mais aussi par certaines rorganisations, plus ou moins limites aux aspects matriels, au niveau de l'usine ou de la ferme (Harberger, 1983: 864 ff)

    Les distorsions des prix, les tarifs douaniers levs et la tendance de l'Etat tirer des rentes de certaines situations firent l'objet d'un certain nombre de critiques. Dans de nom-breux travaux, ce n'tait pas une conjoncture extrieure dfavorable mais une politique intrieure inadquate qui expliquait pourquoi certains pays n'avaient pas profit des opportunits conomiques qui se prsentaient sur les marchs extrieurs. Par contraste, les conomies nouvellement industrialises du Sud-Est asiatique furent considres comme des success stories du dveloppement. 10 Les bonnes politiques consistaient abandonner les stratgies de repli sur soi pour instituer un rgime de libralisation des changes ext-rieurs et promouvoir les exportations, mettre sur pied des programmes de stabilisation, privatiser les entreprises du secteur public, et se soumettre au systme des prix du mar-ch. On pensait qu'en montrant la voie vers les bonnes politiques, l'conomie noclassique constituait un bon garde-fou contre les distorsions induites par la politique et les dfi-ciences non lies au march.

    Le capital humain et le pouvoir de l'innovation A propos de la question du rle stratgique du capital physique, on accorda davantage

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    d'importance au capital humain - la cration d'agents conomiques susceptibles de deve-nir plus productifs par le biais de l'acquisition de la connaissance, d'une meilleure sant et d'une meilleure alimentation, et d'une qualification renforce. On s'intressa au savoir en tant que source de gains de productivit. Vers la fin du 19e sicle, Marshall (1890) avait dclar: bien que la nature soit sujette des rendements dcroissants, l'homme est sujet aux rendements croissants (...) Le savoir est le principal moteur de la production, c'est lui qui nous permet de soumettre la nature et de satisfaire nos dsirs. Un peu plus tard, J. M. Clark nota que le savoir est le seul outil de production qui ne soit pas sujet aux rende-ments dcroissants (1923: 120). Aujourd'hui, au dbut du 21e sicle, nous retrouvons cette ide dans la nouvelle (ou nouvellement redcouverte) thorie de la croissance, laquel-le considre le savoir comme un bien non interchangeable, et met l'accent sur les non-convexits cumules qui accompagnent l'investissement en capital savoir (Romer, 1986). La thorie explique que le progrs technique provient de l'accumulation du savoir par des agents prvoyants qui maximisent les profits (Romer, 1986: 1003). Ce qui com-plte le modle de Solow, qui mettait l'accent sur l'accumulation du capital. Mme si la nouvelle thorie de la croissance n'est pas vritablement nouvelle, elle accorde une nou-velle importance la nouveaut dans les fonctions de production et dans les biens pro-duits (Romer, 1994a, 1994b). L'introduction de nouveaux biens joue un rle important dans le dveloppement et soulve le problme de la satisfaction des conditions globales (la mise en place d'une industrie) plutt que des conditions marginales des noclassiques (la production d'units supplmentaires).11

    En mettant l'accent sur le savoir et sur les ides, la nouvelle thorie de la croissance endogne des annes quatre-vingt et quatre-vingt-dix aura apport un net changement dans l'analyse des fonctions de production cumules (Romer, 1986, 1989, 1990; Lucas, 1988). Au lieu de considrer sparment, comme dans le modle initial de Solow, les ren-dements marginaux dcroissants du capital physique et ceux du facteur travail, tout en considrant ensemble les rendements constants de ces deux inputs, avec comme partie rsi-duelle le progrs technologique, la nouvelle thorie de la croissance tudie des fonctions de production dont les rendements augmentent du fait de la revalorisation du capital humain, comme consquence de la spcialisation et de l'investissement en capital savoir.12 Le progrs technologique et la formation du capital humain sont intgrs dans des modles d'quilibre gnral de croissance. Les nouvelles connaissances sont la cons-quence des investissements raliss dans la recherche, et le progrs technologique, en tant que partie rsiduelle, se justifie en tant que formation endogne de capital humain et crois-sance du stock public de savoir. Dans un contexte de concurrence imparfaite, la perspec-tive de profits monopolistiques encourage l'innovation. La connaissance ou l'information, une fois acquises, peuvent tre rutilises indfiniment sans aucun cot additionnel. Les nouveaux procds de production et les nouveaux produits sont alors sources de profits induits pour les autres entreprises. [L] a cration, par une entreprise, d'un nouveau savoir, est cense avoir un effet externe positif sur le potentiel de production des autres entreprises (...)[de sorte que] la production de biens de consommation, comme fonction du stock de connaissance, est source de rendements croissants ; plus prcisment, la productivit mar-ginale du savoir peut tre croissante (Romer, 1986: 1003). C'est ce qui permet l'inves-tissement cumul dans le stock public de la connaissance d'avoir des rendements d'chel-le croissants, de persister indfiniment, et d'assurer une croissance long terme du revenu par habitant.

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    Dans le cas des pays en dveloppement, la nouvelle thorie de la croissance exige qu'une importance plus grande soit donne au capital humain (y compris par l'ducation), plus grande encore qu'au capital physique, et que l'on tienne davantage compte de l'int-rt des changes internationaux d'ides qui accompagnent l'intgration d'une conomie ouverte dans l'conomie mondiale. La nouvelle thorie de la croissance s'applique gale-ment la question de la convergence13, phnomne que l'on observe lorsque les pays pauvres tendent combler le foss technologique qui les spare des pays riches, et les rattraper grce une croissance plus rapide. Une libre mobilit du capital d'un pays l'autre devrait permettre de favoriser cette convergence, au fur et mesure que crot le taux de diffusion du savoir.

    L'apprentissage par l'action (Arrow, 1962) et l'apprentissage par l'observation (King et Robson, 1989) sont galement des activits productrices de savoir et des sources d'conomies d'chelle. Cependant, contrairement la thorie de la croissance, qui mise sur des innovations discrtes, le modle de l'apprentissage par l'action privilgie comme essentiel le processus du progrs continu (Solow, 1997: 40 f, 66 0 pour la croissance de la productivit.

    La nouvelle conomie politique et l'Etat

    La seconde gnration, qui s'est montre capable d'une rflexion portant sur deux ou trois dcennies d'exprience du dveloppement, a admis l'htrognit croissante des pays en dveloppement, et s'est davantage soucie d'expliquer la disparit de leurs taux de perfor-mance. Les tudes conomtriques compares des dterminants de la croissance cono-mique se sont multiplies. Les conomistes ont adopt une approche comparative dans le souci de comprendre pourquoi certaines politiques, et pas certaines autres, s'avraient inef-ficaces dans un pays donn, et pourquoi le mme type de politique s'avrait efficace dans un pays et pas dans un autre.

    Des recherches sur les causes de la disparit des performances en matire de dvelop-pement ont amen accorder davantage d'attention la politique conomique, et for-muler les lments d'une nouvelle conomie politique - une thorie positive de la poli-tique. Selon ce point de vue, les principes et les concepts analytiques permettant de dter-miner les raisons pour lesquelles les gouvernements agissent comme ils le font sont sem-blables ceux de l'analyse conomique noclassique. Les postulats de rationalit, le concept d'intrt goste ou de choix goste et les techniques d'analyse marginale et d'aboutissement l'quilibre ont t appliqus aux marchs et aux fonctions objectives de la politique. Alors que la premire gnration s'en tait tenue l'approche habituelle de l'analyse conomique normative, qui considrait qu'un gouvernement est constitu de gar-diens platoniques et que l'Etat agit de manire dsintresse dans le sens de l'intrt public, les promoteurs de la nouvelle conomie politique envisagent aujourd'hui d'autres types d'Etat - l'Etat Lviathan, l'Etat bureaucratique, ou l'Etat factieux. Alors que pour la pre-mire gnration, le gouvernement tait une force exogne, les tenants de la nouvelle co-nomie politique tentent d'intgrer dans leurs modles les dcisions des responsables poli-tiques, administrateurs et autres bureaucrates. Ils cherchent percer une fentre dans cette bote noire qu'est l'Etat, au moyen de diverses notions: choix du public, choix collectif, cots de transaction, droits de proprit, tendance de l'Etat tirer des rentes de certaines situations, et activits gnratrices de profit carrment improductives.

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    Que l'on se rfre au modle de l'Etat Lviathan, bureaucratique ou factieux, la force de la nouvelle conomie politique est de tenir compte du fait qu'une conomie sous-dve-loppe a souvent eu pour corollaire un Etat omniprsent et nfaste ou exploiteur. C'est ce qui ressort des textes consacrs aux distorsions des prix (tendance de l'Etat tirer des rentes, activits gnratrices de profit et improductives), aux entreprises nationalises (pro-tection et bureaucratie), la rpression financire (allocation des crdits politiquement oriente, crdits moins chers pour les agents politiquement favorables), aux marchs agri-coles (distorsions en faveur des urbains), l'inflation (populisme), aux tarifs douaniers et aux quotas (lobbying).

    Les nouvelles carences du march

    L'analyse noclassique a connu un tournant majeur dans les annes quatre-vingt et quatre-vingt-dix, avec l'analyse des nouvelles carences du march. La prise en compte de l'exis-tence d'une information imparfaite, de son cot, de marchs incomplets et de cots de transaction, et de l'absence de marchs futurs, a permis d'tendre la notion de carence du march au-del du domaine des biens publics et des effets externes qui ne ncessitaient qu'une intervention slective de l'Etat (Stiglitz, 1989b). Les imperfections de l'conomie, lies aux notions de risque et d'information, sont devenues un facteur hautement dter-minant dans l'analyse du dveloppement. La correction des nouvelles carences du march est devenue la justification d'une nouvelle forme d'intervention de l'Etat. Toujours est-il que dans les annes quatre-vingt-dix, on s'est davantage souci des carences de l'Etat que de celles du march, et les problmes de rformes politiques ont domin le dbat (Krueger, 1990). La prise en compte des imperfections que reprsentent le risque et l'information a nanmoins permis d'enrichir l'analyse de deux secteurs que la premire gnration avait relativement ngligs : l'agriculture et la finance.

    Par opposition avec l'accent que la premire gnration avait mis sur l'industrialisation, la seconde gnration s'est occupe d'valuer les politiques susceptibles de promouvoir le dveloppement rural. Les effets de l'intervention du gouvernement dans la fixation des prix des produits agricoles sont devenus un important sujet d'tude. De nombreux travaux ont alors montr qu'une mauvaise politique de fixation des prix des produits agricoles pou-vait aggraver les diffrences de revenu entre les zones urbaines et les zones rurales, exercer un effet ngatif sur l'incitation produire des denres alimentaires ou des biens expor-tables, rduire la capacit de l'Etat constituer des rserves alimentaires, et rduire les pos-sibilits d'emplois dans l'agriculture et les industries rurales. La thorie de l'organisation rurale a pris corps, taye par les notions de risque, d'utilisation de l'information et d'ana-lyse contractuelle (Binswanger et Rosenzweig, 1981 ; Braveman et Guasch, 1986; Stiglitz, 1986). L'analyse microconomique du secteur rural a intgr l'organisation et les liens entre le travail, le territoire et les marchs des crdits. La prise en compte des contraintes lies l'information et aux cots de transaction a aid expliquer dans quelle mesure les institutions rurales apportent une rponse au dfaut de certains marchs, et elle a permis de mieux cerner les situations dans lesquelles les avantages potentiels de l'intervention de l'Etat sont les plus grands.14 Les facteurs de dcision des mnages ruraux ont t tudis du point de vue du comportement de maximisation d'une entreprise mnage (Singh, Squire et Strauss, 1986).

    La premire gnration avait laiss de ct les institutions financires et les marchs

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    financiers. L'approche choisie tait trop simpliste, comme le suggre ce commentaire de Joan Robinson : lorsque l'entreprise dirige, la finance suit. Cependant, l'exprience des goulots d'tranglement financiers et de la rpression financire a amen la seconde gn-ration se proccuper davantage de concevoir des systmes financiers qui permettraient au systme bancaire, aux marchs montaires et aux marchs de capitaux d'exercer leurs fonc-tions lgitimes d'allocation efficace de l'investissement et d'intermdiation financire entre les pargnants et les investisseurs. Les nouvelles carences du march ont aussi donn leur juste importance aux cots de transaction, la slection contre-productive et au risque moral dans l'analyse des imperfections du march des capitaux. Enfin, elles ont abouti renforcer l'exigence de politiques financires plus efficaces (Stiglitz, 1989a).

    Les ides de la premire gnration revues et corriges

    Un regain d'intrt s'est fait jour pour les modles de la premire gnration relatifs l'al-location de l'investissement et aux activits de coordination, du fait de la prise en compte, par la seconde gnration, des nouvelles carences du march, mais aussi en raison des l-ments de la nouvelle thorie de la croissance (savoir, effets externes, rendements croissants dynamiques), de la nouvelle conomie institutionnelle (information, contrats, raction face aux marchs dfaillants) et de la nouvelle conomie internationale (concurrence imparfaite, thorie du commerce stratgique). Cette analyse noclassique nouvelle ou tendue apporte des lments de rflexion sur les rendements croissants et sur la coordi-nation des effets externes de l'accumulation du capital. On assiste donc un retour de la tendance qui tait celle de la premire gnration insister sur l'importance des rende-ments croissants et des conomies externes, en tant qu'effets de la taille du march.

    Comme le constate Krugman, c'est un ensemble d'ides utiles qui furent au cur des premires analyses, dans les annes cinquante, qui permet aujourd'hui d'en restaurer la crdibilit intellectuelle.

    L'ironie de l'histoire est qu'une orthodoxie noclassique de la concurrence occupa le terrain, dans le domaine du dveloppement, au moment mme o l'orthodoxie se retrouvait taille en pices dans les autres domaines. Nous pouvons nous rendre compte aujourd'hui que quelles qu'aient t les mauvaises politiques suivies au nom de la grande thorie du dveloppement, cette thorie elle-mme garde toute sa vali-dit. En fait, par certains cts, elle aura constitu une remarquable anticipation des ides qui devaient, d'un point de vue analytique, porter leurs fruits trente ans plus tard, par exemple dans le domaine du commerce international ou dans celui de la croissance conomique. (Krugman, 1993: 29).

    Selon Bardhan (1993: 139), au fur et mesure que la thorie conomique s'est orien-te davantage vers l'tude des carences du march lies au problme de l'information, des carences de la coordination, des divers rles des prix, et vers l'ide gnrale de la complexit potentielle des interactions du march, elle s'est oriente invitablement vers des questions dont les conomistes du dveloppement s'taient proccups depuis longtemps.

    Mme si l'on est mieux arm aujourd'hui pour apprcier la pertinence d'un big push ou d'une croissance quilibre (Murphy, Shleifer et Vishny, 1989), l'exprience de la faillite tatique continue d'inspirer fortement la dfiance vis--vis de l'intervention de

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    l'Etat. Dans les annes quatre-vingt-dix, la promotion des rformes politiques faisait plus ou moins l'unanimit. On considrait que l'Etat tait trop omniprsent. Pour corriger les prix, un systme de prix de march tait ncessaire, et pour que les politiques soient bonnes, il fallait davantage de stabilisation, de libralisation, de drgulation et de privati-sation. Les conditions auxquelles le Fonds Montaire International (FMI) soumettait ses prts, et l'assistance de la Banque Mondiale aux ajustements structurels, allaient dans ce sens.

    Aujourd'hui, en fin de compte, il est admis que les bons prix et les bonnes politiques supposent aussi que l'on ait les bonnes institutions. Comme le fait remarquer Nordi (1997), nous avons maintenant une bonne connaissance de ce qui permet un dveloppe-ment russi, mais nous en savons encore trs peu sur la manire d'y parvenir - et surtout sur la manire de mettre en place la structure institutionnelle et organisationnelle qui per-mettra d'obtenir le rythme et les caractristiques voulues du changement conomique.

    Les tches qui incombent la nouvelle gnration Bien que la seconde gnration d'conomistes du dveloppement, la fin du 20e sicle, ait fait avancer considrablement le sujet par rapport l'tat des lieux au milieu du sicle, il est clair que le travail est loin d'tre termin, et que la nouvelle gnration ne manquera pas de terrains d'investigation. Prescrire une planification des recherches effectuer serait prsomptueux et irraliste, mais nous pouvons suggrer quelques sujets centraux qui mri-tent une attention particulire.

    Au-del de la croissance du revenu: structure de la croissance et distribution du revenu

    Il appartient encore la nouvelle gnration de commencer par prendre la mesure de la notion de dveloppement conomique. Pour l'ancienne gnration, l'objectif du dve-loppement tait d'accrotre le revenu rel par habitant (ou le revenu par habitant en termes d'indice de parit de pouvoir d'achat), par le biais de la croissance du PIB. Cependant, on ralisait de plus en plus que dveloppement signifie croissance avec changement, et que le changement suppose d'autres objectifs que la simple croissance du PIB. D'o l'accent mis sur la notion de croissance qualitative ou sur une certaine structure souhaitable de la croissance, et par consquent la prise en compte de critres de dveloppement plus larges: rduction de la pauvret, distribution plus galitaire, protection de l'environne-ment; de mme, chez Sen, la notion d' habilitation et de renforcement des aptitudes humaines (Sen, 1983), et, plus rcemment, de dveloppement comme libert (Sen, 1999). De ce point de vue plus large, la croissance du revenu rel et de l'output doit trou-ver sa vraie place, savoir, en fin de compte, celle d'un moyen - une cause qui condition-ne profondment la porte d'objets ayant intrinsquement davantage de valeur (Sen, 1994: 367). Une politique de dveloppement efficace doit ncessairement dterminer non seulement dans quelle mesure il est possible d'acclrer la croissance du revenu rel, mais aussi de quelle manire ce revenu rel pourra servir atteindre les autres objectifs que recouvre la notion de dveloppement.

    Ce dont il s'agit ici, ce n'est pas seulement du taux de croissance, mais aussi de la struc-ture de la croissance, surtout si l'on souhaite mieux comprendre le rle que joue la distri-

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    bution du revenu dans le processus du dveloppement. La persistance de la pauvret -mme avec des taux de croissance apprciables - est la honte d'une politique de dvelop-pement inadquate. Selon les estimations de la Banque Mondiale (Banque Mondiale, 2000: 25), prs de 1,5 milliard d'individus, dans les pays en dveloppement, vivent actuel-lement avec moins de 1 dollar US par jour (aux prix de 1985). Si l'on veut faire reculer la pauvret, l'analyse conomique devra, l'avenir, se proccuper davantage de la manire dont la structure de la croissance dtermine qui seront les bnficiaires de celle-ci. Il fau-dra concevoir une structure de la croissance qui vite le dsquilibre en faveur des zones urbaines, le dplacement de la main-d'uvre non qualifie, une volution des prix relatifs aux dpens des pauvres, des carts entre les sexes, la dgradation des conditions de vie des enfants, et l'rosion des comptences traditionnelles qui ont jou jusqu' prsent le rle de garde-fous. Par ailleurs, dans la mesure o l'exprience montre que la croissance cono-mique n'entrane pas toujours une amlioration gnrale des conditions sanitaires et de l'ducation, il sera ncessaire, pour atteindre de tels objectifs, de mettre en uvre des poli-tiques spcifiques - et non pas simplement des politiques pour accrotre le revenu (Squire, 1993:379).

    La cration d'emplois

    Lorsque, dans certains types de croissance conomique, certains facteurs peuvent plonger des groupes humains dans la pauvret, il n'en est que plus crucial de mettre en uvre des politiques gouvernementales appropries pour y remdier. En matire de dveloppement, le problme de la main-d'uvre excdentaire restera longtemps prdominant. Le besoin de crer des emplois sera particulirement pressant, sachant que la population active mon-diale devrait augmenter de 40 % au cours des deux dcennies venir, et que cet accroisse-ment se produira pour 95% dans les pays en dveloppement, qui dans le mme temps recevront moins de 15% de l'investissement mondial en capital (Summers, 1991: 5). Pour pouvoir rduire la pauvret grce une hausse de la productivit et des revenus, les gou-vernements devront mettre en uvre des politiques appropries dans quatre secteurs cls de l'conomie : le secteur rural, le secteur urbain informel, le secteur des exportations et le secteur social.

    Comprendre les dterminants de la croissance

    Dans l'avenir, les critres de dveloppement qui devront guider les politiques prendront peut-tre un sens encore plus large, pour englober, dans un souci de meilleure gouvernan-ce, des objectifs politiques tels que les liberts civiles, la participation du peuple et la dmo-cratie. Quelle que soit la ncessit de stratgies spcifiques pour atteindre des objectifs non montaires, la croissance et le changement resteront au centre de toute analyse des dter-minants du dveloppement.