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Ni dieu ni maˆ ıtre : les r´ eseaux Manuel Castells To cite this version: Manuel Castells. Ni dieu ni maˆ ıtre : les r´ eseaux. FMSH-WP-2012-02. 2012. <halshs- 00677225> HAL Id: halshs-00677225 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00677225 Submitted on 7 Mar 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Ni dieu ni matre : les reseaux

    Manuel Castells

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    Manuel Castells. Ni dieu ni matre : les reseaux. FMSH-WP-2012-02. 2012.

    HAL Id: halshs-00677225

    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00677225

    Submitted on 7 Mar 2012

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  • Fondation Maison des sciences de lhomme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.msh-paris.fr - FMSH-WP-2012-02

    Working Papers Series

    Ni dieu ni matre : les rseaux

    Manuel Castells

    N2 | fvrier 2012

    Un nouveau systme de communication a merg : une auto-communication de masse travers les sites de rseaux sociaux, les blogs... Ce nouvel environnement communicationnel modifie profondment les relations de pouvoir. travers plusieurs analyses de cas, dont les rcents vnements du printemps arabe et le mou-vement des Indignados , M. Castells montre dans sa confrence les consquences de cette volution sur les processus politiques et les mouvements sociaux.

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    Ni dieu ni matre : les rseauxManuel Castells28 juin 2011

    LauteurProfesseur lAnnenberg School of Communication (University of Southern California) et directeur de lInternet Interdisciplinary Institute de Barcelone, universit virtuelle mondiale. Manuel Castells est un des sociologues fondateurs de lcole franaise de sociologie urbaine au cours des annes 1970. Son premier livre intitul La question urbaine (Maspero, 1972), est devenu une rfrence mondiale. Avec sa trilogie consacre Lre de l information (Fayard, 1996-1998), il devient le spcialiste internationalement reconnu de la socit de linformation et des rseaux. Dans Communication Power (Oxford University Press, 2009), il se base sur son analyse des rseaux et des technologies de communication pour dvelopper une nouvelle thorie du pouvoir lre de linformation.

    Le texteLeon inaugurale de la Chaire Analyse interdisciplinaire de la socit en rseaux, 28 juin 2011, Collge dtudes mondiales, Fondation Maison des sciences de lhomme, Paris. http://www.college-etudesmondiales.org/fr/content/analyse-societe-en-reseaux

    Pour citer ce documentManuel Castells, Ni dieu ni matre : les rseaux, FMSH-WP-2012-02, fvrier 2012.

    Fondation Maison des sciences de lhomme - 2012Informations et soumission des textes : [email protected] Maison des sciences de lhomme190-196 avenue de France75013 Paris - Francehttp://www.msh-paris.frhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/FMSH-WP http://wpfmsh.hypotheses.org

    Les Working Papers et les Position Papers de la Fondation Maison des sciences de lhomme ont pour objectif la diffusion ouverte des tra-vaux en train de se faire dans le cadre des diverses activits scientifiques de la Fonda-tion : Le Collge dtudes mondiales, Bourses Fernand Braudel-IFER, Programmes scien-tifiques, hbergement la Maison Suger, Sminaires et Centres associs, Directeurs dtudes associs...Les opinions exprimes dans cet article nen-gagent que leur auteur et ne refltent pas ncessairement les positions institutionnelles de la Fondation MSH.

    The Working Papers and Position Papers of the FMSH are produced in the course of the scientific activities of the FMSH: the chairs of the Institute for Global Studies, Fernand Braudel-IFER grants, the Founda-tions scientific programmes, or the scholars hosted at the Maison Suger or as associate research directors. Working Papers may also be produced in partnership with affiliated institutions.The views expressed in this paper are the authors own and do not necessarily reflect institutional positions from the Foundation MSH.

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    RsumUn nouveau systme de communication a merg : une auto-communication de masse travers les sites de rseaux sociaux, les blogs... Ce nouvel environnement communicationnel modifie profondment les relations de pouvoir. travers plusieurs analyses de cas, dont les rcents vnements du printemps arabe et le mouvement des Indignados , M. Castells montre dans sa confrence les consquences de cette volution sur les processus politiques et les mouvements sociaux.

    Mots-clefsInternet, auto-communication, pouvoir, printemps arabe, Indigns, Espagne

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    Introduction : pouvoir et communicationLes rapports de pouvoir sont les rapports consti-tutifs de la socit. Car ceux qui sont en situation de pouvoir faonnent les institutions et normes de la socit en fonction de leurs intrts et valeurs. Toutefois, le pouvoir nest pas une chose. Cest une relation, toujours construite et reconstruite. tra-vers le conflit et la ngociation entre les acteurs, et cristallise en dernire analyse dans les institu-tions qui rglent notre vie. Et donc, l o il y du pouvoir, il y a du contre-pouvoir, et cest travers le pouvoir institutionnalis comme domination et les dfis cette domination par des acteurs sous-represents dans les institutions ou porteurs de valeurs alternatives quvolue et se transforme lorganisation sociale dans un mouvement sans fin.Tout au long de lhistoire, le contrle de la com-munication et de linformation ont t des sources fondamentales de pouvoir et contrepouvoir. Cest le cas plus que jamais dans une socit comme la ntre qui est, comme dit Alain Touraine, une socit de communication, ou plus prcisment, structure autour de rseaux de communication. La bataille du pouvoir se joue essentiellement sur la pense des gens, car ce que nous pensons dtermine lacceptation, le soutien ou lopposi-tion par rapport aux intrts et valeurs la base des institutions. Le pouvoir, en dernire ana-lyse, rside dans nos cerveaux, dans un processus complexe o nos dcisions, comme la montr la neuroscience actuelle, Damasio par exemple, sont largement conditionnes par nos sentiments, eux-mmes dpendants de nos motions.Je sens donc jexiste. Et quiconque peut modeler ce que je sens a du pouvoir sur moi. Mais si je peux intervenir dans le processus collectif de for-mation des motions et des consciences, jai, moi aussi, du pouvoir. Bien sr, le pouvoir est aussi fonde sur le mono-pole, lgitime ou illgitime de la violence et la capacit dintimidation qui en rsulte, suivant une vieille tradition de la pense sociale de Machiavel Max Weber. Mais une autre tradition, pensons Bertrand Russell ou Michel Foucault, a mis lac-cent sur le rle essentiel de la persuasion, directe ou indirecte sur notre mode de penser. Une pers-pective qui, au niveau de laction collective se rap-proche de la notion gramscienne dhgmonie.

    Violence et persuasion sarticulent de faon variable dans chaque contexte. Mais un pouvoir essentiellement fond sur la violence (y compris violence institutionnalise) est, sur le long terme, un pouvoir faible, quand il perd sa lgitimit dans nos consciences. Mais comment construisons-nous nos cat-gories et comment percevons nous le monde ? Comment ressentons-nous notre environnement social et naturel ? Fondamentalement travers les signaux qui nous arrivent de notre environ-nement de communication individuelle et sociale. Et quand il sagit de la communication sociali-se, cest--dire celle qui arrive potentiellement lensemble de la socit, il sagit de la commu-nication de masse, dont le contenu et les formes dpendent de la technologie et lorganisation de la communication. Cela a toujours t le cas, mais il est plus essen-tiel que jamais dans notre socit, la socit en rseaux, socit globale qui se fonde dans larti-culation de rseaux multi-niveaux de commu-nication multimodale de base numrique dans toutes les dimensions de lorganisation et la pra-tique sociales, comme javais analyse il y a quelque temps dans ma trilogie sur lre de linformation. Et bien, lenvironnement de communication qui met les signaux partir desquels nous sentons, nous pensons et nous agissons est en train de subir une transformation profonde, qui sacclre, avec lavnement de que je nomme lauto-com-munication de masse. A savoir: Communication de masses : message dun met-teur une foule de rcepteurs avec interactivit limite et contrle. Auto-communication de masses, mission de messages de beaucoup a beaucoup, interactive (tout metteur est aussi rcepteur), multimodale, en temps choisi, la fois locale et globalise, travers des rseaux de com-munication largement incontrls.Ainsi largument que je prsente est trs simple: le pouvoir se joue fondamentalement dans notre relation complexe notre environnement de communication ; la communication de masses organise autour des moyens de communication traditionnels a chang les formes dexercice de la dmocratie depuis belle lurette, imposant la poli-tique mdiatique comme forme fondamentale de politique. Mais depuis un certain temps, l avne-ment de lauto-communication de masses est en train de transformer les rapports de pouvoir en

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    largissant le champ daction des contre-pouvoirs dans la socit. Pour dvelopper cette analyse je vous prsente les rsultats de la recherche empirique que jai men ependant dix ans sur cette problmatique et que je continue mener en ce moment. Pour me cen-trer sur les vnements actuels je rendrai compte de lessentiel sans trop marrter sur les donnes de lensemble, me permettant de vous renvoyer aux analyses prsentes dans mon livre Commu-nication et Pouvoir, publi par Oxford University Press en 2009 et que vous pourrez lire bientt en franais aux ditions de la Maison des sciences de lhomme.Permettez moi dabord de vous rappeler quelques informations succinctes sur la transformation technologique et organisationnelle de lenviron-nement communicatif.

    Les donnes de lauto-communication de masseConcrtement parlant: Internet, communication mobile, rseaux sociaux, social media. Dfinition : Masses: on peut potentiellement atteindre lensemble de la socit et mme du monde. Auto: autonomie dans la construction et mission des messages, dans la slection de la rception des messages, dans lorganisation de rseaux propres de relation sociale, dans la produc-tion collective dun hypertexte dinformation et de communication et dans la slection autonome dlments de cet hypertexte pour construire son propre mta-texte. Quelques donnes...Internet est une vieille technologie car elle a t dploye pour la premire fois, dans sa version Arpanet, aux tats-Unis en 1969. Mais cest partir de 1995 quInternet sest tendu dans le monde. 1996: 40 millions dinternautes, mi-2011 : 2,2 milliards, dont 44% en Asie, 30% en Europe, 13% en Amrique du Nord. La diffusion sac-clre avec lavnement de la communication sans fil. Lessentiel est lexplosion sur plateforme portable sans fils: 1991 : 16 millions, 2011 : 5,3 milliards dabonns (numros) ce qui fait prati-quement que la grande majorit de la population mondiale est connecte : en 2014 il y aura plus dusagers dInternet sans fils que sur ligne fixe.Transformation de lusage dInternet: depuis une dizaine dannes la communication se dplace sur

    des rseaux sociaux construits partir des usagers eux-mmes en utilisant des plateformes fournies par des entreprises mais dans un march faibles barrires dentre o quelques jeunes avec peu dargent peuvent crer un rseau nouveau et atti-rer des usagers insatisfaits des autres plateforme, comme en tmoigne lhistoire trs courte des rseaux sociaux. Le nombre dusagers de rseaux sociaux a surpass, en juillet 2009 le nombre dusagers demail. Internet est redevenu (comme il ltait lorigine) fondamentalement un espace social usages multiples. 2/3 des usagers dInter-net dans le monde communiquent travers des rseaux sociaux ou blogs. Croissance exponen-tielle: a commenc peine en 2002 avec Friends-ter San Francisco. Maintenant dans le monde 1,4 milliards dusagers des rseaux. Facebook a 550 millions dusagers actifs, 60% y sont chaque jour et en moyenne ont 150 amis. YouTube, le rseau dimages vido a 500 millions dusagers, et on streame 2 milliards de vidos par jour. Il y a 163 milliards de blogs. Et il y a presque un mil-lion de nouveaux posts dans les blogs chaque jour. Twitter a 200 millions dusagers et ajoute 300.000 par jour. Les top en termes de trafic, Facebook, Twitter and LinkedIn. Mais il y a bien dautres social networking sites, en plusieurs langues. En France: Facebook, Skyrock, My Space. En Chine Badoo, au Brsil Orkut.La France est le 4e pays en nombre dusagers des rseaux sociaux, peu prs 40 millions. Et le premier pays du monde en blogs par internaute. Chacun a son journal.Il y a aussi une articulation croissante des moyens de communication de masse et dauto-commu-nication de masses. Les moyens traditionnels de communication souvrent a linteractivit et au journalisme citoyen. Le rsultat est lvolution vers une communication plus libre. Et ceci a des consquences considrables sur la capacit de mobilisation sociale et politique.

    La transformation de la mobilisation sociale et politiqueLauto-communication de masses rend possible la capacit instantane ou rgulire de commu-nication et construction autonome de rseaux de communication en chappant largement au contrle des gouvernements et des grandes entre-prises mdiatiques.

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    Sur la base dtudes de cas, je propose une typo-logie de mouvements qui se sont renforcs avec lauto-communication de masses.

    A) Mouvements sociauxAgissant sur des valeurs de la socit. Mouve-ments dides plutot quorganisations dappareilsLe mouvement global contre le changement cli-matique. Stratgie multimdia qui arrive chan-ger la conscience des citoyens et ventuellement les politiques des tats - ainsi, la politique devient verteLe mouvement global contre la globalisation injuste rseaux de coordination et de dbat. Quoiquil y a une volution et un passage de lor-ganisation laction dcentralise.

    B) Insurrection PolitiquePolitiques de rvolte qui surgissent des marges du systme institutionnel pour agir sur les processus institutionnels politiques.:Communauts de pratique politique instanta-nes, utilisant communication mobile et rseaux sociaux. Elles sont lorigine des rvoltes popu-laires mues par lindignation. En mars 2004 Madrid avec la mobilisation contre les mensonges du parti populaire sur lorigine des attentats dAl Qaeda qui aboutit un renversement des ten-dances lectorales au bnfice des socialistes. Des phnomnes semblables observs partout dans le monde (Core du Sud, Philippines, quateur, Ukraine). En Iran 2009, un mouvement appuy sur Twitter, sms et des vidos sur YouTube, ouvre une brche dans le rgime des Ayatollahs. Malgr la rpression, cela continue, car les jeunes (70% de la population) ont t transforms par leur exprience.Intervention dans le systme politique institu-tionnel :Surveillance de la classe politique et des abus de pouvoir, les petit frres portables dans les mains de millions confrontent Big Brother de la sur-veillance de lInternet. Les mchants passent la clandestinit.Campagnes politiques et mobilisation autonome. Dans la campagne dObama il y a eu un rle essentiel dInternet. Tout ceci est analytique, pas normatif. Aux USA, la droite utilise maintenant les mmes mthodes, cest lirruption largement autonome des citoyens dans la politique, comme

    le montre le Tea Party Movement, mme sil sagit dun mouvement financ par des lments de la droite capitaliste amricaine (Koch Indus-tries en particulier)

    C. Mouvements socio-politiquesqui articulent la proposition de nouvelles valeurs dorganisation sociale avec une critique radicale du systme politique visant a crer des institu-tions rpondant ces nouvelles valeurs.Je prsenterai brivement mon analyse de ces mouvements socio-politiques partir de lobser-vation que je mne actuellement de deux sries de mouvements socio-politiques dans deux contextes bien diffrents : les rvolutions arabes et le mouvement des indigns en Espagne, avec des ramifications potentielles en Europe.

    Le printemps arabeLhistoire est bien connue et donc je veux sim-plement souligner quelques lments qui ont une valeur analytique.Le processus typique : ltincelle (une grande tradition rvolutionnaire, de laction exemplaire anarchiste au journal de Lnine). A partir dun vnement qui touche les motions et suscite lindignation dans une ambiance charge dop-pression, humiliation et rage contenue, en fai-sant exploser la rage. Lessentiel cest de dpasser la peur, car la peur est la plus fondamentale des six motions primordiales la base du comporte-ment humain. La peur se surmonte en se joignant dautres, et la manire la plus directe, rapide et, en principe, moins risque, cest sur les rseaux sociaux, o la plupart des jeunes se trouvent. Des rseaux sociaux lespace public urbain, dans les rues pour se manifester et dans les places o la communaut sorganise et cre un dedans et un dehors, toujours le rle essentiel des barricades. De par lexistence de cet espace public occup et libre, les mdias portent leur attention (ici la communication globale est essentielle pour des tlvisions moins contrles) et lensemble de la socit sengage dans un dbat. Mais il est essen-tiel que des partis ou des groupements idolo-giques ne prennent pas contrle du mouvement car alors la communaut scartle autour des anciens clivages. Dans ces conditions, un mouve-ment se forme, autour dune revendication cen-trale: changement politique, laquelle sajoutent demandes et plaintes de toute sorte, car il devient lgitime de contester et projeter revendications et

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    rves. Quant les rvoltes expriment ce que bien des gens pensent, le mouvement slargit. Les contradictions internes des rgimes saccentuent et des nouveaux groupes lintrieur des lites tentent de coopter et utiliser le mouvement pen-dant que le mouvement utilise ces contradictions pour slargir et pour approfondir sa contestation. Une nouvelle situation de pouvoir se cre.Concrtement: limmolation du vendeur ambu-lant Mohamed Bouazizi Sidi Bouzid, en Tuni-sie, a fait plus pour changer des socits arabes politiquement assujetties que 30 ans de conflits et conspirations provenant de toutes sortes dido-logies. Le fait et les images sur YouTube ont incendi les rseaux sociaux, des rvoltes sponta-nes ont clat, des jeunes surtout, la rpression a t montre par Al Jazeera, et damples secteurs de la population se sont mobiliss, y compris une partie des mdia jusqu provoquer le change-ment de rgime.La rvolte tunisienne qui en a termin avec la dic-tature de Ben Ali, condamn il y a 8 jours 35 ans de prison, a t a son tour ltincelle qui a allum la rvolte en gypte. La Tunisie est la solution remplace lIslam. Pas Dieu mais les rseaux. Wael Ghonim: Si tu veux librer la socit donne lui lInternet Pas exactement, mais il est vrai que les rseaux ont t la base de la mobilisation en gypte, convoquant les gens dans la rue et la fin, organisant une communaut de rvolte sur la Place Tahrir (Libration). Il y a des racines pra-lables, bien sr, on peut dire que linsurgence gyp-tienne est ne le 6 avril 2008 dans la ville ouvrire textile dEl Mahalla-el-Kubra, ou des dizaines de milliers de travailleurs ont fait grve et ont occupe la ville avant dtre lobjet dune rpression sau-vage. Le mouvement du 6 avril a continu la lutte et a t lauteur dun des appels manifester, sur Internet, en janvier 2011 en profitant de lespoir gnr par la rvolution tunisienne. a a t la confluence de lindignation vis--vis la brutalit policire, la misre conomique et la corrup-tion politique qui ont aliment la rponse mo-tionnelle qui est passe des rseaux numriques aux rseaux urbains. Une fois le mouvement en marche, la force brute nas pas pu le dominer, la diffrence de lIran, pour des conditions sp-cifiques chaque pays. Donc rle essentiel des rseaux Internet lorigine et pour la communi-cation interne du mouvement et avec le monde: systme interactif de Al Jazeera pour lenvoi et la rception de video. Usagers dInternet : 20% en

    gypte mais, parmi les gens gs de 20-40 ans au Caire et Alexandrie, 60% sont usagers. Il en va de mme avec Twitter Donc, on ne twitte pas la rvolution, mais sans Twitter, cette revolution concrete, empiriquement parlant, naurait pas eu lieu.La tentative de Mubarak de couper Internet. La grande dconnexion a dur pendant 5 jours. Il a arrt 93% du trafic en obligeant les grandes compagnies de service dinternet arrter leur connexion, mais le mouvement tait dj dans la rue, il aurait fallu une dconnexion prven-tive dInternet, difficile faire quand toutes les fonctions essentielles de la socit, y compris la bourse, en dpendent.Mais, en plus, la communication avec lgypte et en gypte, nas pas t vraiment interrompue. Je lai tudi. Il y a des dtails techniques que je peux expliquer, mais lessentiel:Des lignes de tlphone fixe nont pas t coupes (impossible). Donc, on pouvait faire des appels ltranger en utilisant un modem, en marquant des numros dentreprises solidaires, dont la premire, FDN Paris, qui rpercutaient les messages sur des rseaux Internet. Des rseaux mondiaux de hackers comme TOR ou HotSpotShield ont proportionn des sites proxy avec connexion dis-ponible et avec antonymie des communications. Google et Twitter ont cr un systme speak-totweet pour connecter des rpondeurs auto-matiques de tlphone pour renvoyer le message sous forme de tweet au point denvoi. Les hac-kers du rseau Telecomix ont cr un programme qui permettait que tout message tlphone tait renvoy en gypte tous les numros de Fax du pays, moyennant un programme automatique, donc Mubarak a bien d recevoir pas mal de ces messages, mais il ny avait rien de confidentiel, il sagissait de maintenir vif le mouvement travers la communication.

    Les autres rvolutions arabesLtincelle gyptienne a, son tour, allum des feux de libert un peu partout dans le monde arabe, car lessentiel tait de surmonter la peur et de se trouver dabord en Internet et de la dans la rue. Tout dun coup la rsistance tait pos-sible. Mais les conditions propres chaque pays ont modifi le contour des rvoltes. Dabord, les dictateurs leur tour ont eu peur, et ont dcid dutiliser la violence extrme : Bahrein, Libye,

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    Ymen, Syrie Dans ces conditions, un mou-vement populaire et spontan pour la libert est devenu le dclencheur dune guerre civile, sur des clivages religieux (Bahrein) et surtout tribaux, Ymen, Libye, ou lon sest engag dans une lutte de longue dure malgr une rpression meur-trire, comme en Syrie. Dans ces conditions, des facteurs gopolitiques se sont greffs dans chaque pays et les rvoltes se sont transformes. Ceci tant, lorigine, il sagissait dune mobilisation spontane, organise dabord sur Internet par des jeunes et les secteurs les plus duqus qui ont arti-cul graduellement lensemble de lindignation et des revendications de chaque socit. Quel que que soit lavenir, le monde arabe a chang de base.

    Le mouvement des indigns en EspagneMa recherche actuelle, avec un groupe de jeunes chercheurs observation participante.Description rapide (car la presse internationale a mal inform): le 15 mai, lections municipales le 22, indignation sur le discours vide des partis au milieu dune crise de perspectives, avec 21% de chmage, 45% chez les jeunes, et des politiques daustrit en mme temps que les banques font des profits record et la corruption politique se multiplie, ainsi que lanimosit entre les partis. Un petit groupe, Dmocratie Relle Maintenant !, cr en mars dernier. Manifeste par Internet et manif. Succs, des dizaines de milliers. Aprs 20 Barcelone, 50 Madrid campent sur la place principale et passent la nuit. Le lendemain ils twittent leurs copains et ils arrivent par centaines. 3 jours plus tard plusieurs milliers. But: dnon-cer la fausse dmocratie des partis, laborer des propositions pour une autre forme de politique, y compris la rforme de la loi lectorale, contrle des banques, contrle de la corruption politique, non laustrit budgtaire, politiques de loge-ment pour les jeunes, partage du travail etc Mais lessentiel est dans lorganisation et le pro-cessus. Assemble chaque jour pour tout dcider. Des commissions pour laborer des propositions, tout le monde peut faire une commission, pas dorganisation, pas de leaders, chacune se repr-sente soi mme, rotation des modrateurs des assembles et des porte-paroles avec les mdias, chaque assemble est souveraine. Toute dcision est rversible. Cest lent. On est lent parce quon va loin . Interdiction dalcool et drogues. Pas de violence, principe fondamental. Pas de soutien

    un parti ou idologie, refus de se transformer en force politique. Les lections sont une dbcle socialiste, car bien de leurs votants ne les suivent plus. Mais beaucoup dans le mouvement partici-pent aux lections. Le vote nul multipli par 3, le vote blanc doubl. Aprs 12 jours, la police catalane (pas espagnole) attaque Barcelone sans justification (prtexte net-toyer la place, les campeurs le faisaient). Rsis-tance passive, 147 blesss par coups de matraque et balles en caoutchouc contre de gens assis par terre qui ne bougeaient pas, la Gandhi. Rac-tion, des milliers et des milliers rejoignent la place, la police se retire, le campement reprend. Mais quelques jours plus tard les assembles Madrid, Barcelone et ailleurs dcident de lever le campement et remplacer lorganisation par des assembles de quartier et de village, avec une assemble centrale par semaine pour coordonner des actions. Lopinion publique soutient amplement le mou-vement, car les citoyens partagent leurs vues : 81% pensent que les indigns ont raison, 84% quils traitent des vrais problmes, 51% pensent que les partis sintressent aux partis et non pas aux citoyens, 70% ne sidentifient aucun parti et 90% pensent que les partis doivent changer. Sym-pathie pour le mouvement : 78% des socialistes, 46% des populaires.Mais Barcelone lune des actions dcide est de bloquer lentre des dputs au Parlement catalan le jour du vote du budget daustrit le 15 juin. Un petit groupe et peut tre des policiers infil-trs, films par les manifestants, en profitent pour gnrer une chauffoure limite (ils ne frappent personne mais insultent et jettent de leau et de la peinture sur des parlementaires) Cest le scan-dale, tous les partis sunissent dans la condam-nation du mouvement comme une menace la dmocratie, malgr le rejet total de ces tactiques par limmense majorit du mouvement (il y avait 20 violents dans les 2000 manifestants ce jour-l). Un barrage mdiatique unanime tombe sur le mouvement. Ctait fini, semblait-il. Mais le 19 juin il y avait des manifs convoques dans toute lEurope contre la gestion de la crise. Sans par-tis, sans syndicats, sans organisation. Par Inter-net, surtout Twitter et Facebook et sms. Dans lensemble de lEspagne des dizaines de milliers de personnes manifestent. 100.000 Barcelone, 60.000 Madrid, et ainsi dans 50 villes. Tous ges et conditions, dans la fte et lhumour, sans

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    leaders. Et pas un seul incident, pas de violence, la police aussi se contrle, surtout Madrid. Le mouvement renat, passe loffensive dcentra-lise mais en ayant comme priorit absolue de maintenir la non violence.L essentiel, du point de vue analytique:

    Initiative spontane de quelques personnes. Lance par Internet, coordonne par Inter-net, dbattue sur lInternet. Mais occupation de lespace publique pour se retrouver: lagora dInternet et lagora de la ville, troitement ar-ticules. Rfrence au mouvement mondial: lIslande, la Grce, les Arabes : la Place Catalogne est renomme Tahrir Square.Refus de leaders et de toute organisation qui ne soit pas lassemble et les commissions. Et pourtant, miraculeusement a marche.

    Les deux grands thmes : ne pas payer la crise cre par les banques et critique du systme poli-tique : Ils ne nous reprsentent pas . A part a, on verra, on construit lavenir dune nouvelle dmocratie en la faisant, en sorganisant pour savoir comment on fait et en luttant contre des mesures conomiques et politiques qui aggravent les conditions de vie et sur lesquels le peuple nest pas consult. On a le droit de se tromper, mais on veut pas payer les erreurs de ceux qui ont fait la crise. Dmocratie relle contre fausse dmo-cratie. On en est l.

    ConclusionPour un chercheur comme moi, quelles ques soient mes sympathies, qui sont videntes, les-sentiel est dobserver et dcouter des mouvements qui se cherchent. Qui savent ce quils ne veulent pas mais qui sont en qute de ce qui veulent. Les hommes et femmes politiques, tous, ont dabord ignor ces mouvements, les qualifiant de mar-ginaux ou les accusant de violence. Aprs avoir constat la force et lappui social du mouvement, politiciens et intellectuels essaient dappliquer leurs catgories au mouvement, en posant des fausses questions. Quelle organisation ? Quels leaders ? Quel programme? Ce ne sont pas les questions du mouvement. Ils savent quils ne veu-lent rien dautres que lorganisation ad hoc qui apparat chaque moment pour rsoudre certains taches. Et celui qui se prsente en leader est tout de suite mis de ct. Une vieille utopie politique

    assemblaire ? Oui, mais cette fois-ci les rseaux numriques pourvoient des formes flexibles et changeantes dorganisation et de dbat, dappel au secours, de distribution dides et dinitiatives, de dcision collective distribue. Les braves gens du mouvement ne sont jamais seuls, sont toujours connects, et donc, ensemble nont pas peur. Leur mot: Toutes ensemble, nous pouvons. Pouvoir quoi? Pour le moment, dans le discours du mou-vement, lessentiel est de pouvoir tre ensemble et, ensemble, dcouvrir une autre dmocratie che-min faisant. Dans larrire plan: la crise conomique, des ban-quiers qui en profitent de la crise, tout en faisant de la fraude fiscale (Banco Santander), la gestion dsastreuse de cette crise par une classe politique vnale, corrompue et arrogante. La marginali-sation croissante de jeunes trs duqus, dfini-tivement coups de partis bureaucratiss et de syndicats corporatistes. La gigantesque crise de lgitimit des institutions politiques et des poli-ticiens, montre par toutes les enqutes. La fer-meture de toute voie de reforme qui ne passe pas par les partis. Mais aussi lmergence de cultures alternatives qui renouent avec des cultures non capitalistes qui existaient sous le radar dans la pratique des gens daprs les rsultats dune recherche que je termine en ce moment. Par exemple presque un tiers des Barcelonais prtent de largent sans int-rt en dehors de la famille pour soutenir ceux qui en ont besoin. Et une longue liste de pratiques de solidarit et partage qui touchent entre 20% et 50% de la population. La crise semble sonner le glas dun modle de capitalisme financier spculatif qui a entrain dans sa chute une classe politique apeure vis--vis des pouvoirs conomiques et mprisante via--vis des citoyens quils croyaient apprivoiss par les mdia. Et voici que les citoyens, du Caire Barcelone en passant par Reyjkjavik, ont construit leur com-munication autonome et se sont organiss dans des rseaux de leur choix pour changer leur vie. Et cest ainsi que les dieux de largent (car le Bon Dieu nest pour rien dans cette crise) et les matres de la dmocratie se trouvent confronts une pratique collective dont ils ignorent tout: les rseaux construits partir des projets dacteurs qui cherchent se constituer en sujets de la nou-velle histoire.

  • Ni dieu ni matre : les rseaux 10/10

    Fondation Maison des sciences de lhomme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.msh-paris.fr - FMSH-WP-2012-02

    Working Papers et Position Papers parus

    Herv Le Bras, Jean-Luc Racine & Michel Wieviorka, National Debates on Race Statistics: towards an International Comparison, FMSH-WP-2012-01, fvrier 2012.Manuel Castells, Ni dieu ni matre : les rseaux, FMSH-WP-2012-02, fvrier 2012.Franois Jullien, Lcart et l entre. Ou comment penser l altrit, FMSH-WP-2012-03, fvrier 2012.Itamar Rabinovich, The Web of Relationship, FMSH-WP-2012-04, fvrier 2012.Bruno Maggi, Interprter l agir: un dfi thorique, FMSH-WP-2012-05, fvrier 2012.

    Informations et soumission des textes : [email protected] http://halshs.archives-ouvertes.fr/FMSH-WP http://wpfmsh.hypotheses.org