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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : EUR 70/013/00 DOCUMENT PUBLIC Londres, mars 2000 RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE (KOSOVO) Une attitude exemplaire ?La réaction de la MINUK et de la KFORface à la violence à Mitrovica Résumé * Au mois de février 2000, la ville de Kosovska Mitrovica (Mitrovica), localité divisée du Kosovo (Kosova), a été le théâtre d'une flambée de violence qui a fait plus de 13 morts et 50 blessés et a contraint plus de 1 500 personnes à quitter leur domicile. Les événements survenus à Mitrovica en février 2000 témoignent des tensions qui perdurent entre les différentes communautés ethniques du Kosovo. La violence qui continue de ronger cette ville divisée souligne également l’incapacité de la communauté internationale à mettre un terme aux atteintes aux droits humains et à trouver des solutions durables aux problèmes du Kosovo. * La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Federal Republic of Yugoslavia (Kosovo). Setting the Standard? UNMIK and KFOR’s Response to the Violence in Mitrovica. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL – ÉFAI – juin 2000. Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet : http://efai.i-france.com Le présent document expose les préoccupations d’Amnesty International concernant la réaction des forces de sécurité internationales (KFOR, Force internationale de paix au Kosovo) et des forces civiles internationales (MINUK, Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo) face à l’escalade de la violence à Mitrovica. Il s’intéresse plus particulièrement aux évé-nements survenus le 13 février 2000, marqués notamment par des échanges de coups de feu dans les rues de la ville. Lors de ces échauffourées, deux soldats français de la KFOR, déployée sous l’égide de l’ONU, ont été blessés par balle. À la suite de ces incidents, un habitant de Mitrovica, Avni Hajredini, a été abattu dans des circonstances qui restent contestées. Un peu plus tard

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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : EUR 70/013/00

DOCUMENT PUBLIC Londres, mars 2000

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE (KOSOVO)

Une attitude exemplaire ?La réaction de la MINUK et

de la KFORface à la violence à Mitrovica

Résumé*

Au mois de février 2000, la ville de Kosovska Mitrovica (Mitrovica), localité divisée du Kosovo (Kosova), a été le théâtre d'une flambée de violence qui a fait plus de 13 morts et 50 blessés et a contraint plus de 1 500 personnes à quitter leur domicile. Les événements survenus à Mitrovica en février 2000 témoignent des tensions qui perdurent entre les différentes communautés ethniques du Kosovo. La violence qui continue de ronger cette ville divisée souligne également l’incapacité de la communauté internationale à mettre un terme aux atteintes aux droits humains et à trouver des solutions durables aux problèmes du Kosovo.

* La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Federal Republic of Yugoslavia (Kosovo). Setting the Standard? UNMIK and KFOR’s Response to the Violence in Mitrovica. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL – ÉFAI – juin 2000. Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet : http://efai.i-france.com

Le présent document expose les préoccupations d’Amnesty International concernant la réaction des forces de sécurité internationales (KFOR, Force internationale de paix au Kosovo) et des forces civiles internationales (MINUK, Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo) face à l’escalade de la violence à Mitrovica. Il s’intéresse plus particulièrement aux évé-nements survenus le 13 février 2000, marqués notamment par des échanges de coups de feu dans les rues de la ville. Lors de ces échauffourées, deux soldats français de la KFOR, déployée sous l’égide de l’ONU, ont été blessés par balle. À la suite de ces incidents, un habitant de Mitrovica, Avni Hajredini, a été abattu dans des circonstances qui restent contestées. Un peu plus tard

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dans la soirée, quelque 49 personnes ont été arrêtées et placées en détention dans un gymnase par des soldats français de la KFOR. Certaines ont été ainsi détenues pendant cinq jours.

Amnesty International est consciente de la complexité des tâches qui doivent être assumées par la MINUK et la KFOR, à Mitrovica et au Kosovo en général. Le mandat de la force internationale au Kosovo est d’une ampleur écrasante, étant donné la poursuite du conflit dans la région, l’absence de solution politique concernant le statut du territoire et le peu d’empressement des États membres de l’ONU à fournir les moyens humains et financiers susceptibles de permettre à cette force de mener à bien sa mission. Amnesty International n’en rappelle pas moins que, si difficile que soit la situation, la KFOR et la MINUK ont envers la population du Kosovo l’obligation de respecter les normes internationalement reconnues en matière de droits humains dans la conduite de leur mission.

Amnesty International constate avec préoccupation que ni la KFOR ni la MINUK n’ont mené une enquête indépendante sur la mort d’Avni Hajredini et sur les viola-tions des droits fondamentaux des 49 personnes placées en détention le 13 février 2000 ; selon l’organisation de défense des droits humains, ces carences montrent bien que ces deux forces doivent intensifier leurs efforts pour garantir que leur personnel respectera en permanence les droits humains de l’ensemble des habitants du Kosovo. L’Organisation estime que la conduite de la MINUK et de la KFOR constituera une référence, au Kosovo et dans la République fédérale de Yougoslavie dans son ensemble, en ce qui concerne la manière dont les respon-sables de l’application des lois et les forces chargées d’assurer la sécurité et l’ordre publics s’acquittent de leur mission.

Amnesty International prie instamment la KFOR et la MINUK d’ouvrir une enquête indépendante et impartiale, de manière automatique, à chaque fois qu’un responsable de l’application des lois est accusé d’avoir violé les droits humains d’un individu. De plus, Amnesty International prie instamment la KFOR et la MINUK de veiller à ce que toute arrestation ou mise en détention effectuée au Kosovo réponde à des motivations et soit menée selon des modalités conformes aux normes internationales en matière de droits humains. La KFOR et la MINUK doivent veiller à ce que toute personne arrêtée ou placée en détention puisse bénéficier de tous les droits que lui garantissent les normes internationales relatives aux droits humains. Tout individu privé de sa liberté par la MINUK ou la KFOR doit être traitée humainement, dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

Ces quelques lignes résument un document publié en mars 2000

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par Amnesty International sous le titre République fédérale de Yougoslavie (Kosovo). Une attitude exemplaire ? La réaction de la MINUK et de la KFOR face à la violence à Mitrovica (index AI : EUR 70/013/00). Pour plus d’informations ou si vous voulez agir à ce sujet, vous êtes invités à prendre connaissance du document intégral. Vous trouverez une documentation abondante sur cette question sur notre site Internet (http://www.amnesty.org).

Les communiqués de presse d’Amnesty International sont disponibles par courrier électronique (http://www.amnesty.org/news/emailnws.htm).

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AMNESTY INTERNATIONAL ÉFAI Index AI : EUR 70/013/00

DOCUMENT PUBLIC Londres, mars 2000

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE

YOUGOSLAVIE (KOSOVO)

Une attitude exemplaire ?La réaction de la MINUK et de la

KFORface à la violence à Mitrovica

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SOMMAIRE

Introduction page 3

Historique page 4

La KFOR et la MINUK page 6sont tenues de respecter la législationen vigueur et les normes internationalesrelatives aux droits humains

Mitrovica, ville divisée page 8

Février 2000 : explosion de violence à Mitrovica page 9

Deux soldats français de la KFOR page 10blessés par balle ; Avni Hajredini tué

Placement en détention de 49 personnes page 13par la KFOR

Les conditions de détention page 14

Le droit de bénéficier de conditions page 15de détention humaines

Le droit de ne pas être soumis à une arrestation page 16ou à une détention arbitraire

Le droit d’être informé des raisons de l’arrestation page 18et le droit de toute personne d’être informée de ses droits

Le droit d’être assisté par un avocat page 18

Le droit de tout détenu d’informer page 19ou de faire informer sa famille de la mesurede privation de liberté le frappant et du lieude sa détention

Le droit d’être amené dans les meilleurs page 19délais devant un juge ou une autorité judiciaireet le droit de contester la légalité de la détention

Les mécanismes relatifs aux droits humains page 21au Kosovo – le droit exécutoire aux réparations

Recommandations page 22

À l’intention de la MINUK et de la KFOR page 22

À l’intention de la KFOR page 23

À l’intention de la MINUK page 23

À l’intention de la communauté internationale page 24

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Introduction Au mois de février 2000, la ville de Kosovska Mitrovica (Mitrovica), localité divisée du Kosovo (Kosova), a été le théâtre d'une flambée de violence qui a fait plus de 13 morts et 50 blessés et a contraint plus de 1 500 personnes à quitter leur domicile. Les événements survenus à Mitrovica en février 2000 témoignent des tensions qui perdurent entre les différentes communautés ethniques du Kosovo. La violence qui continue de ronger cette ville divisée souligne également l’incapacité de la communauté internationale à mettre un terme aux atteintes aux droits humains et à trouver des solutions durables aux problèmes du Kosovo.

Le présent document expose les préoccupations d’Amnesty International concernant la réaction des forces de sécurité internationales (KFOR, Force internationale de paix au Kosovo) et des forces civiles internationales (MINUK, Mission d’administration intérimaire des nations unies au Kosovo) face à l’escalade de la violence à Mitrovica. Il s’intéresse plus particulièrement aux événements survenus le 13 février 2000, marqués notamment par des échanges de coups de feu dans les rues de la ville. Lors de ces échauffourées, deux soldats français de la KFOR, force déployée sous l’égide de l’ONU, ont été blessés par balle. À la suite de ces incidents, un habitant de Mitrovica, Avni Hajredini, a été abattu dans des circonstances qui restent contestées. Un peu plus tard dans la soirée, quelque 49 personnes ont été arrêtées et placées en détention dans un gymnase par des soldats français de la KFOR. Certaines ont ainsi été détenues pendant cinq jours1.

Amnesty International est consciente de la complexité des tâches qui doivent être assumées par la MINUK et la KFOR, à Mitrovica et au Kosovo en général. Le mandat de la force internationale au Kosovo est d’une ampleur écrasante, étant donné la poursuite du conflit dans la région, l’absence de solution politique concernant le statut du territoire et le peu d’empressement des États membres de l’ONU à fournir les moyens humains et financiers susceptibles de permettre à cette force de mener à bien sa mission. Amnesty International n’en rappelle pas moins que, si difficile que soit la situation, la KFOR et la MINUK sont tenues, vis-à-vis de la population du Kosovo, de respecter dans la conduite de leur mission les normes internationalement reconnues en matière de droits humains.

1. Les informations contenues dans ce rapport sont basées sur des entrevues qu’ont pu avoir des

délégués d’Amnesty International avec des témoins des violences du 13 février 2000, des

représentants de la MINUK, de la KFOR et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en

Europe (OSCE), des juristes nommés au sein du système judiciaire de la MINUK et cinq personnes

qui se trouvaient ce jour-là en détention entre les mains de la KFOR et de la MINUK.

Amnesty International constate avec préoccupation que ni la KFOR ni la MINUK n’ont mené une enquête indépendante sur la mort

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d’Avni Hajredini et sur les violations des droits fondamentaux des 49 personnes placées en détention le 13 février 2000 ; selon l’organisation de défense des droits humains, ces carences montrent bien que ces deux forces doivent intensifier leurs efforts pour garantir que leur personnel respectera en permanence les droits humains de l’ensemble des habitants du Kosovo. L’organisation de défense des droits humains estime que la conduite de la MINUK et de la KFOR constituera une référence, au Kosovo et dans la République fédérale de Yougoslavie dans son ensemble, en ce qui concerne la manière dont les responsables de l’application des lois et les forces chargées d’assurer la sécurité et l’ordre publics s’acquittent de leur mission.

Amnesty International prie instamment la KFOR et la MINUK d’ouvrir une enquête indépendante et impartiale, de manière automatique, à chaque fois qu’un responsable de l’application des lois est accusé d’avoir violé les droits humains d’un individu. De plus, Amnesty International prie instamment la KFOR et la MINUK de veiller à ce que toute arrestation ou mise en détention effectuée au Kosovo réponde à des motivations et soit menée selon des modalités conformes aux normes internationales en matière de droits humains. La KFOR et la MINUK doivent veiller à ce que toute personne arrêtée ou placée en détention puisse bénéficier de tous les droits que lui garantissent les normes internationales relatives aux droits humains. Tout individu privé de sa liberté par la MINUK ou la KFOR doit être traité humainement, dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

Historique Le conflit armé interne qui a opposé, au Kosovo, les forces de la République fédérale de Yougoslavie, la police et les paramilitaires serbes aux combattants de l'Ushtria Çlirimtare e Kosovës (UÇK, Armée de libération du Kosovo) s’est internationalisé avec l’entrée en scène de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui a déclenché en mars 1999 une campagne de bombardements contre la République fédérale de Yougoslavie, avec le but déclaré d’empêcher une catastrophe dans le domaine des droits humains (voir Yougoslavie (Kosovo). Les préoccupations d’Amnesty International concernant les bombardements de l’OTAN, index AI : EUR 70/69/99, paru en mai 1999). À la suite de cette intervention, les atteintes aux droits humains commises par les forces yougoslaves se sont intensifiées et les membres de la communauté albanaise et de certaines minorités ont pris la fuite, essentiellement vers deux pays voisins, la Macédoine et l’Albanie (voir Ex-République yougoslave de Macédoine. La protection des réfugiés albanais du Kosovo, index AI : EUR 65/03/99, paru en mai 1999, et République fédérale de Yougoslavie (Kosovo). Prison de Smrekovnica : des centaines de détenus sont portés disparus après avoir été torturés ou maltraités, index AI : EUR 70/107/99,

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paru en octobre 1999). Après la conclusion d’un accord avec les autorités de la République fédérale yougoslave, en juin 1999, l’OTAN a cessé ses bombardements et la police et les paramilitaires serbes, ainsi que l’armée yougoslave, se sont retirés du Kosovo. Avec ce retrait prenait fin plus d’une décennie d’atteintes aux droits humains perpétrées au Kosovo par les autorités yougoslaves à l’encontre de la communauté albanaise kosovare (voir Dix ans de vaines mises en garde. Les préoccupations d’Amnesty International au Kosovo, volumes 1 et 2, index AI : EUR 70/40/99, parus en avril 1999).

Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 10 juin 1999 la résolution 1244, qui autorisait (paragraphe 5) le « déploiement au Kosovo, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, de présences internationales civile et de sécurité ». Cette résolution chargeait la MINUK de fournir au Kosovo une administration intérimaire. Aux termes de son mandat, la MINUK est responsable de la défense et de la promotion des droits humains au Kosovo. Le secrétaire général des Nations unies a nommé son représentant spécial à la tête de cette mission, en lui conférant tous les pouvoirs législatifs et exécutifs, y compris l’administration du système judiciaire et pénal.

La résolution 1244 chargeait en outre la présence internationale de sécurité (KFOR) d’établir « un environnement sûr pour que les réfugiés et les personnes déplacées puissent rentrer chez eux... » (paragraphe 9-c). La KFOR a également pour mission d’ « assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité publics jusqu’à ce que la présence internationale civile puisse s’en charger » (paragraphe 9-d). La KFOR est donc chargée de faire la police dans le territoire du Kosovo jusqu’à ce que la police civile internationale soit en mesure d’assumer pleinement ses fon-ctions. Depuis son déploiement, en juin 1999, la KFOR arrête et place en déten-tion des personnes soupçonnées d’infractions graves (crimes de guerre, meurtres, tentatives de meurtre, viols, infractions à la législation sur les armes), agissant ainsi pour les besoins du maintien de la sécurité et de l’ordre publics au Kosovo.

La MINUK est principalement chargée de faire respecter la loi et l’ordre civils. Elle a déployé une force internationale de police civile. Toutefois, les États membres de l’ONU n’ont pas fourni les moyens et le personnel susceptibles de permettre à cette force de s’acquitter de sa mission2. La présence civile internationale n’a par conséquent pas pu prendre en charge l’intégralité du maintien de l’ordre public et partage cette responsabilité avec la KFOR dans bien des zones du Kosovo. Le 4 juillet 1999, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies a déclaré que la MINUK et 2. Au 21 février 2000, seuls 2 163 policiers internationaux étaient arrivés au Kosovo, alors que le

secrétaire général des Nations unies a déclaré que plus de 6 000 policiers internationaux civils

étaient nécessaires.

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la KFOR étaient conjointement responsables de l’application des lois et que les tâches liées à cette mission devaient être accomplies dans le respect des normes internationales relatives aux droits humains3. Depuis le déploiement de la MINUK et de la KFOR, des infractions graves et des atteintes aux droits humains continuent d'être commises au Kosovo à un rythme inquiétant. La police civile internationale de la MINUK et la KFOR s’efforcent de faire respecter la loi, de maintenir l’ordre et d’empêcher que des atteintes aux droits humains ne soient perpétrées, notamment à l’encontre des minorités. Depuis juin 1999, les Serbes et les membres d’autres minorités se sont réfugiés dans d’autres régions de la République fédérale de Yougoslavie ou se sont regroupés dans des enclaves, au Kosovo même, de peur d’être victimes d’homicides, d’enlèvements ou d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux, telles que l’exclusion des services publics ou la privation d’autres droits économiques, sociaux ou culturels. Amnesty International craint que le retard apporté à la mise en place d’un système de justice pénale conforme aux normes internationales relatives aux droits humains ne contribue à la création d’un climat dans lequel certains, au Kosovo, s’estimeraient libres de commettre crimes et atteintes aux droits humains en toute impunité (voir FRY (Kosovo): Amnesty International’s recommendations to UNMIK on the Judicial System [République fédérale de Yougoslavie (Kosovo). Recommandations d’Amnesty International à la MINUK concernant le système judiciaire] (index AI : EUR 70/006/00) publié en février 2000.

La KFOR et la MINUK sont tenues de respecter la législation en vigueur et les normes internationales relatives aux droits humains

3. D’après une déclaration sur le droit de la KFOR d’appréhender et de placer en détention les

personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions à la sécurité et à l’ordre publics.

Le mandat des Nations unies et de la KFOR au Kosovo est à la fois original et d’une ampleur écrasante. L’ONU a été investie de tous les pouvoirs législatifs et exécutifs. Elle a en outre été chargée de « défendre et promouvoir les droits de l’homme » (paragraphe 11-j de la résolution 1244). Lors de la création de la mission, le secrétaire général de l’ONU a insisté sur le rôle central qu’il convenait d’accorder aux droits humains, déclarant notamment que la MINUK « se guidera sur les normes internationalement reconnues en matière de droits de l’homme, fondement de l’exercice de son autorité au Kosovo ». Étant donné l’immense responsabilité de l’ONU vis-à-vis de la population du Kosovo, cette organisation est particulièrement liée par l’obligation de respecter les normes qu’elle a instaurées.

Le secrétaire général des Nations unies a déclaré que les droits humains consti-tuaient une priorité dans toutes les missions de

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l’organisation mondiale. Bien que la KFOR ne soit pas directement sous le commandement et le contrôle des Nations unies, elle a été déployée « sous l’égide de l’Organisation des Nations unies » (résolution 1244, paragraphe 5). Amnesty International estime que toute force mandatée par l’ONU et recevant de celle-ci son autorité doit respecter les normes de l’ONU en matière de droits humains. La Charte des Nations unies, traité fondateur de l’organisation mondiale, dispose, en son article 1-3, que l’ONU a pour but, entre autres, de faire respecter les droits humains et les libertés fondamentales. La Charte des Nations unies précise clairement qu’aucun État membre ne doit se comporter d’une manière qui ne soit pas en accord avec les buts proclamés du traité. Le secrétaire général de l’organisation a en outre déclaré que les forces déployées sous l’égide des Nations unies, comme la KFOR, devaient respecter les normes de l’ONU en matière de droits humains.

Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU a déclaré que toute personne investie d’une mission publique ou exerçant une fonction publique au Kosovo, ce qui inclut tous les responsables de l’application des lois, doit se conformer à la législation en vigueur et aux normes internationalement reconnues en matière de droits humains (décret 24/1999). La législation en vigueur au Kosovo comprend la réglementation promulguée par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et, entre autres, les lois en vigueur dans le territoire au 22 mars 1989. Les normes internationalement reconnues en matière de droits humains qui doivent être respectées comprennent notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme, CEDH). Le PIDCP fait partie des instruments en vigueur dans l’ensemble de la République fédérale de Yougoslavie et s’applique, par conséquent, au Kosovo. L’obligation de se conformer au PIDCP est renforcée par l’obligation, indépendante, où se trouvent les soldats des contingents fournis à la KFOR par les États parties au traité : ils doivent en effet respecter les dispositions du Pacte, quel que soit le théâtre des opérations. Amnesty International estime que les membres de la KFOR et de la MINUK participant à une mission d’application des lois sont clairement tenus de respecter les dispositions du PIDCP.

Bien que la République fédérale de Yougoslavie ne soit pas partie à la CEDH, le décret 24/1999 de la MINUK précise que cette convention est également au nombre des normes qui doivent être respectées par toute personne investie d’une mission publique au Kosovo. Cette obligation reflète les intentions exprimées à Rambouillet, à savoir que « les droits et libertés énoncés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses Protocoles s’appliquent directement

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au Kosovo » et que « lesdits droits et libertés prévalent sur toute autre loi ». De plus, la jurisprudence de la CEDH indique que tous les soldats de la KFOR venant de pays ayant ratifié la Convention (comme la France, par exemple) peuvent être tenus de veiller au respect des droits et libertés définis dans ce traité, même lorsqu’ils exercent un contrôle dans une zone située en dehors du territoire national4.

Amnesty International considère que, lorsque la KFOR et la MINUK accomplissent des missions de maintien de l’ordre (lutte antiémeutes, dispersion des attroupements, fouilles et perquisitions, interpellations, arrestations, mises en détention, interrogatoires, etc.), elles doivent également être guidées par d’autres normes des Nations unies, réglementant la conduite des responsables de l’application des lois, l’usage de la force et des armes à feu, ou encore le traitement des prisonniers5.

La conduite de la MINUK et de la KFOR servira de référence au Kosovo et dans l’ensemble de la République fédérale de Yougoslavie en ce qui concerne la manière dont les responsables de l’application des lois et les forces chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics s’acquittent de leur mission6. Les membres de ces deux instances doivent par conséquent respecter les normes les plus strictes en matière de droits humains et faire voir qu’ils les respectent.

4. Voir par exemple l’affaire Loizidou c. Turquie, jugement (sur le fond) de la Cour européenne des

droits de l’homme de Strasbourg (40/1993/435/514), en date du 18 décembre 1996, paragraphe

52. 5. Citons notamment l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, l’Ensemble de

principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de

détention ou d’emprisonnement, le Code de conduite pour les responsables de l’application des

lois, les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les

responsables de l’application des lois et les Principes relatifs à la prévention efficace des

exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur

ces exécutions. 6. Amnesty International recommande que les règles de combat et l’accord sur le statut des forces

reflètent rigoureusement les dispositions du PIDCP, de la CEDH et des normes de l’ONU relatives

à la conduite des responsables de l’application des lois, et que les soldats participant à des

opérations de police soient formés à la mise en œuvre pratique de ces normes.

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Mitrovica, ville divisée Avant l’intervention de la communauté internationale au Kosovo, Mitrovica était en grande majorité peuplée d’Albanais. Un nombre relativement important de Serbes et de Rom habitaient également la ville. Il reste aujourd’hui quelques Rom dans les quartiers nord. Toutefois, la plupart des quelque 6 000 Rom qui vivaient dans la partie sud de la ville ont pris la fuite depuis juin 1999. Avant les bom-bardements de l’OTAN, 50 p. cent de la population de la partie nord de la ville était composée d’Albanais. Aujourd’hui, environ 7 000 personnes appartenant à cette population – ce qui en représente la majorité – se trouvent déplacées dans le sud de Mitrovica, dans l’impossibilité de regagner leurs domiciles au nord.

Depuis le mois de juin 1999, Mitrovica est devenue un des points où se concen-trent toutes les tensions entre communautés serbe et albanaise ; on assiste à une partition de fait de la ville. Mitrovica est traversée par une rivière, l’Ibar, qui sépare les quartiers nord des quartiers sud. La partie nord est aujourd’hui peuplée en grande majorité de Serbes, dont environ un millier de personnes déplacées originaires du sud de la ville et un nombre assez important de Serbes ayant fui d’autres zones du Kosovo. Jusqu’en février 2000, plus de 4 000 Albanais, Turcs et Slaves musulmans vivaient toujours sur la rive nord. Environ 2 000 Albanais et quelque 1 700 Slaves musulmans habitaient le centre de la ville, notamment le quartier de Bosnjacka Mahala.

La mine de Trepca, qui se trouve dans le nord de Mitrovica, est considérée comme l’une des sources potentielles de revenus les plus importantes du Kosovo. Elle est au centre des tensions entre communauté serbe et communauté albanaise depuis 1988-89, date à laquelle la direction et les employés albanais ont été renvoyés ou placés dans une situation telle qu’ils ont été contraints de démissionner. D’autres infrastructures publiques situées dans la partie nord de Mitrovica font également l’objet d’un contentieux entre les deux communautés depuis la partition de facto de la ville, en juin 1999. L’hôpital se trouvant dans le nord de la ville, les Albanais ne peuvent ni y travailler ni s’y faire soigner. La KFOR autorise les civils de la partie sud de Mitrovica à utiliser l’un de ses hôpitaux militaires.

La municipalité de Mitrovica est située dans le secteur de la brigade multi-nationale Nord de la KFOR, qui est sous commandement français et intègre les troupes d’autres pays participant à la KFOR. Depuis juin 1999, la KFOR contrôle les ponts qui relient les deux parties de la ville et limite les déplacements des habitants d’une rive à l’autre, dans le souci, manifestement, d’empêcher les violences entre les deux communautés. La KFOR est stationnée à Mitrovica afin d’y créer un environnement sûr et détient ce que l’on appelle la primauté tactique, c’est-à-dire une responsabilité globale en matière de sécurité. La police civile internationale de la

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MINUK exerce, quant à elle, ce que l’on appelle la primauté de police, c’est-à-dire qu’elle est chargée de la sécurité et de l’ordre publics et est habilitée à mener des enquêtes sur les faits relevant du droit commun et à procéder à des arrestations. En vertu de ce système, lorsque la KFOR appréhende un individu, celui-ci doit être immédiatement remis aux autorités de la MINUK. La coopération entre la MINUK et la KFOR en matière d’application des lois est malheureusement fort restreinte. La police civile internationale de la MINUK présente à Mitrovica affirme que les soldats français de la KFOR l’empêchent de procéder à des enquêtes.

Il existe un centre de détention officiel administré par la MINUK dans la partie nord de Mitrovica. Prévu pour héberger 63 détenus, il accueille actuellement surtout des Serbes. Les Albanais arrêtés à Mitrovica par la MINUK sur ordre d’une autorité judiciaire sont généralement transférés vers des centres de déten-tion situés ailleurs au Kosovo.

Carte

Février 2000 : explosion de violence à Mitrovica Le 2 février, vers 16 heures, un autocar du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) escorté par la KFOR, avec à son bord 49 Serbes venant de Mitrovica et se dirigeant vers l’enclave serbe de Banja, a été atteint par un missile antichar, aux abords du village de Cubrelj (Cubril), à 15 kilomètres à l’ouest de Mitrovica. Deux personnes âgées ont été tuées sur le coup. L’attaque a également fait trois blessés graves, dont l’un est décédé un peu plus tard. Cette agression a entraîné la suspension des huit lignes d’autocar mises en place par le HCR, qui constituent un lien vital avec l’extérieur pour de nombreuses communautés minoritaires isolées du Kosovo. Elle a également déclenché une flambée de

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violence dans le nord de Mitrovica.

Le 3 février, vers 21 heures 30, plusieurs grenades ont été lancées dans des cafés serbes du nord de la ville. L’une de ces attaques aurait fait 10 blessés – de jeunes Serbes – et un mort – une jeune Albanaise de dix-sept ans qui se trouvait apparemment là en compagnie d’amis serbes. Des Serbes s’en sont alors pris à des Albanais et à leurs biens, ainsi qu’à des agents de la force internationale de police de la MINUK. Neuf véhicules des Nations unies et d’organismes internationaux ont été endommagés et des locaux ont été mis à sac. Dans la soirée, Serbes et Albanais se sont rassemblés en nombre de chaque côté de l’Ibar. La KFOR a fermé les ponts qui enjambent la rivière. Dans la nuit, huit personnes, appartenant aux communautés albanaise ou turque, ont été tuées et une trentaine d’autres blessées. Les victimes, parmi lesquelles de nombreuses personnes âgées, ont été abattues à leur domicile ou mortellement blessées par des grenades. Suite à cette explosion de violence sur la rive nord de l’Ibar, quelque 1 500 Albanais se sont enfuis de chez eux pour se réfugier sur la rive sud. Quelques Serbes ont également quitté le nord de la ville pour gagner la Serbie et le village de Zvecan. Bien que la KFOR et la MINUK se soient engagées à retrouver les auteurs des crimes violents commis cette nuit-là, aucune arrestation n’a pour l’instant eu lieu en relation avec les homicides et les agressions perpétrés lors de ces événements7.

Les 4 et 5 février, des manifestants albanais se sont heurtés à la KFOR sur le pont principal de Mitrovica et 16 soldats de la force multinationale ont été légèrement blessés. La presse albanophone locale a publié des articles selon lesquels des Albanais vivant dans la partie nord de la ville avaient été battus et expulsés de chez eux par des Serbes, devant des soldats français de la KFOR, qui n’avaient rien fait pour s’y opposer. Hashim Thaci, chef du Partia për Progres Demokratik të Kosovës (PPDK, Parti du progrès démocratique du Kosovo) et commandant de l’ex-UÇK, a déclaré que la KFOR et la MINUK avaient fait preuve de négligence dans la recherche d’une solution à la partition de Mitrovica. Quant aux Serbes, ils ont accusé le contingent français de la KFOR de ne pas avoir réagi assez vite aux violences. Le 7 février, environ 2 000 Serbes ont manifesté contre la MINUK, lui reprochant de ne pas leur fournir la protection nécessaire. Oliver Ivanovic, maire autoproclamé de Mitrovica et chef du conseil exécutif du Conseil national des Serbes (du Kosovo), s’est prononcé en faveur du retour des forces yougoslaves pour protéger les Serbes.

Deux soldats français de la KFOR blessés par balle ; Avni Hajredini tué

7. Le procureur du tribunal de Mitrovica a envoyé, le 7 février, une lettre à la police civile

internationale de la MINUK, dans laquelle il s’inquiétait de n’avoir reçu aucune information

concernant d’éventuelles enquêtes sur ces crimes et priait instamment la MINUK d’entreprendre

dans les meilleurs délais des investigations approfondies.

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Le 13 février, vers 8 heures, deux grenades ont été lancées à Bosnjacka Mahala, un quartier du nord de Mitrovica encore habité par des Albanais, des Slaves musulmans et des Turcs. Au moins sept Albanais ont été blessés, dont deux grièvement. L’un d’eux est décédé un peu plus tard. Une série de fusillades a alors éclaté dans le nord de la ville. Selon un observateur, « il était impossible de dire qui tirait sur qui, mais les Albanais, les Serbes et les soldats chargés du maintien de la paix participaient apparemment tous aux escarmouches8. » Vers 11 heures du matin, deux soldats français ont été blessés par balle – l’un au ventre, l’autre au bras – près du pont oriental de Mitrovica. Selon la KFOR, des soldats italiens qui se trouvaient stationnés à proximité immédiate des Français blessés ont immédiatement riposté et des éléments de la force multinationale ont été déployés pour tenter de retrouver les tireurs. Des responsables de la KFOR auraient déclaré qu’après que les deux Français eurent été blessés, les soldats de la force multinationale auraient été explicitement autorisés par leurs officiers à ouvrir le feu sur les « tireurs isolés9 ». Au cours de la fusillade qui s’est ensuivie, un Albanais de trente-sept ans, Avni Hajredini, a été atteint. Il a succombé à ses blessures peu après son arrivée à l’hôpital.

Le lendemain de la mort d’Avni Hajredini, le 14 février, la MINUK a déclaré qu’un tireur isolé avait été tué dans le nord de Mitrovica, lors des échanges nourris de coups de feu qui s’étaient déroulés pendant quatre heures, entre la KFOR et des tireurs10. Le même jour, un porte-parole français de la KFOR a annoncé qu’Avni Hajredini avait été abattu par des soldats français de la force multinationale parce qu’il tirait depuis un balcon sur des soldats français et qu’il était probablement l’auteur des coups de feu qui avaient blessé, un peu plus tôt, l’un de leurs camarades. Le major Phillip Ando a déclaré que « le tireur isolé tué [avait] été mortellement blessé par des soldats français vers 12 heures 3011». Selon ses explications, « les soldats de la KFOR ont échangé des coups de feu avec des tireurs isolés. Deux de ces derniers ont été capturés ; tous deux étaient blessés. Ils ont été conduits à l’hôpital de campagne marocain de la KFOR, où l’un d’eux a succombé à ses blessures12. »

8. Gunfire Shatters Kosovo Sunday Morning Calm [Au Kosovo, des coups de feu font voler en éclats

le calme d’un dimanche matin], Reuters, 13 février 2000. 9. Violence Escalates in Kosovo [Escalade de la violence au Kosovo], Washington Post, 14 février

2000. Un soldat français de la KFOR a déclaré à l’AFP avoir reçu l’ordre explicite de tirer sur toute

personne en possession d’une arme. Entretien entre l’AFP et Amnesty International à Pristina, en

février 2000. 10

. UNMIK News, n28, 14 février 2000. 11

. Firefight in Kosovo Town Leaves Sniper killed, Peacekeepers Wounded [Un tireur isolé tué et des

soldats de la force de maintien de la paix blessés lors d’une fusillade dans une ville du Kosovo],

AFP, 12 février 2000. 12

. Lieutenant-colonel Henning Philipp, porte-parole de la KFOR, point à l’intention de la presse à

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Les témoignages recueillis par des délégués d’Amnesty International et une vidéo montrant ce qui s’est passé juste avant et juste après les coups de feu ayant causé la mort d’Avni Hajredini contredisent les informations données à la presse par la KFOR. La vidéo en question montre que, quelques secondes avant d’être abattu, Avni Hajredini était debout sur le trottoir, à plusieurs rues de distance de l’endroit d’où seraient partis les coups de feu tirés contre les soldats français ; il ne se trouvait pas à un balcon, comme le prétend la KFOR. Cette vidéo montre en outre qu’Avni Hajredini n’a pas été « capturé » par la KFOR, mais qu’il a été emmené par un groupe d’Albanais après avoir été blessé par balle13. Amnesty International ne peut exclure la possibilité qu’Avni Hajredini ait participé aux échanges de coups de feu survenus un peu plus tôt, mais la vidéo ne montre à aucun moment que cet homme était armé au moment où il a été abattu.

Le 17 février, la KFOR est revenue sur ses déclarations selon lesquelles Avni Hajredini était un « tireur isolé » qui avait ouvert le feu sur certains de ses soldats. La KFOR a en outre déclaré qu’elle n’avait finalement pas la certitude d’être en mesure de préciser l’appartenance ethnique des « tireurs isolés » qui avaient sévi à Mitrovica ce jour-là. Toujours selon la KFOR, « il semblait avéré, au vu des premières indications, qu’Avni Hajredini était l’un des tireurs isolés qui avaient participé aux fusillades ayant éclaté dimanche dans le nord de la ville, mais les investigations menées ultérieurement brossent un tableau moins clair de la situation14. » Le 18 février, la KFOR a une nouvelle fois modifié sa version des faits, expliquant qu’Avni Hajredini n’avait finalement peut-être pas été abattu par des soldats de la force internationale et qu’en outre « il n’est toujours pas certain qu’il ait [...] fait partie du groupe de tireurs ».

Pristina, le 14 février 2000. Il faut noter que le lieu où se trouve l’autre « tireur isolé » présumé qui,

selon la KFOR, aurait été blessé par des soldats de la force internationale fait toujours l’objet d’une

controverse. 13

. Vidéo tournée par APTN, Mitrovica, 13 février 2000, et visionnée par des délégués d’Amnesty

International. 14

. NATO Backtracks on Kosovo Sniper Claim [Au Kosovo, l’OTAN revient sur ses déclarations

concernant le tireur isolé], Reuters, 17 février 2000.

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L’hôpital de la KFOR a remis le corps d’Avni Hajredini à sa famille sans avoir procédé à une autopsie. Il a été enterré le lendemain, 15 février. Selon une déclaration de la KFOR, « tous les éléments médico-légaux concernant les circonstances exactes de la mort de M. Hajredini ont [...] été enterrés [...] Par conséquent, il n’est toujours pas certain qu’il ait lui-même fait partie du groupe de tireurs15 ».

Amnesty International déplore qu’aucune enquête n’ait été ouverte sur les échanges de coups de feu et sur la mort d’Avni Hajredini. L’organisation de défense des droits humains continue de prier instamment la KFOR et la MINUK de mener une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort d’Avni Hajredini16. Elle considère que, tant qu’une telle enquête n’aura pas eu lieu, l’identité des auteurs des coups de feu mortels et les circonstances dans lesquelles ils ont été tirés resteront incertaines.

Amnesty International recommande que toute enquête sur la mort d’Avni Hajredini s’inspire des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions. Au cas où l’enquête en question révélerait qu’il existe de bonnes raisons de croire qu’Avni Hajredini a été tué par une balle tirée par une arme tenue par un membre de la KFOR, cette enquête devra déterminer si un tel recours à une force meurtrière est conforme au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Ces principes disposent notamment (article 3 du Code de conduite pour les responsables de l’application des lois) que les « responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force seulement lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions ». Les principes 5 et 9 des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (repris par les articles 2 et 5 de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme) disposent en outre que, lorsque « l’usage légitime de la force ou des armes à feu est inévitable, les responsables de l’application des lois en useront avec modération » et « s’efforceront de ne causer que le minimum de dom-mages et d’atteinte à l’intégrité physique et de respecter et de préserver la vie humaine... » Les personnes engagées dans des opérations de maintien de l’ordre ne peuvent par conséquent faire un usage

15

. Communiqué de presse de la KFOR, Pristina, 17 février 2000. 16

. Le principe 9 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires,

arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions dispose :

« Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l’on

soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires »

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intentionnellement meurtrier de leurs armes que lorsque cela est strictement inévitable pour sauver une vie et une sommation doit être faite, le cas échéant, avant un tel recours17. Tout responsable de l’application des lois agissant en contravention avec ces principes est sus-ceptible de commettre une atteinte au droit à la vie..

17

. Principes 5 et 9 des Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des

armes à feu par les responsables de l’application des lois. Les articles 2 et 5 de la Convention

européenne des droits de l’homme, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de

l’homme, imposent des conditions tout aussi sévères.

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Si, à l’issue d’une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les cir-constances de la mort d’Avni Hajredini, il ressort qu’un responsable de l’ap-plication des lois a pu faire usage d’une force meurtrière de manière contraire aux normes internationales, Amnesty International insistera pour que celui-ci soit traduit en justice et pour que les autorités responsables accordent des réparations à la famille d’Avni Hajredini18.

Placement en détention de 49 personnes par la KFOR Le 13 février, entre 17 et 18 heures, soit plusieurs heures après la fusillade, des groupes de soldats français de la KFOR ont encerclé plusieurs maisons du quartier de Bosnjacka Mahala. Ils ont frappé aux portes et ont ordonné à plus d’une cinquantaine de personnes de sortir dans la rue. Les soldats de la KFOR ont forcé ces personnes à s’aplatir contre les murs des maisons, en leur demandant de mettre les mains sur la tête et d’écarter les jambes, avant de les fouiller. Un homme a affirmé qu’au moment où on le poussait contre un mur, un soldat avait préparé son arme et la lui avait mise dans le dos. Un autre aurait dit aux soldats qu’il ne pouvait pas lever un bras en raison d’une blessure causée le matin même par un éclat de grenade, mais ceux-ci n’auraient tenu aucun compte de cette information. Selon des témoins, les soldats criaient en français. Une personne a déclaré avoir vu un homme en uniforme qui parlait albanais, mais d’autres ont assuré n’avoir à aucun moment entendu parler albanais et n’avoir vu aucun interprète. Une personne a déclaré que, pendant les opérations, un militaire, qui semblait être « un général », avait arpenté la rue en criant en anglais : « Deux de mes hommes ont été touchés par des balles aujourd’hui ; le premier qui bouge, je le tue ! » Selon un autre récit, un « chef », s’exprimant en anglais, aurait dit au groupe : « Je suis furieux que deux de mes hommes aient été blessés et cela me ferait plaisir de vous tuer. »

Après les avoir fouillées, les soldats français de la KFOR ont rassemblé la plupart des personnes interpellées. Parmi elles figuraient une femme et deux mineurs. Ils ont ordonné à leurs prisonniers de marcher, les mains sur la tête, jusqu’à des véhicules militaires qui attendaient 200 mètres plus loin. Les soldats n’ont donné aucune explication sur l’endroit où ils les emmenaient ni sur les raisons de leur arrestation. Une fois à bord des véhicules militaires, ils ont été directement conduits au camp du contingent français de la KFOR, dans le sud de Mitrovica. Là, ils ont été placés en détention dans un gymnase. Certains d’entre eux y sont restés cinq jours. Les détenus ont tous été interrogés par des soldats de la KFOR. Certains ont également été interrogés par des membres de la police civile internationale de la MINUK pendant leur détention.

18

. Marié, Avni Hajredini était père de cinq enfants. Son épouse, Meleqe Hajredini, a demandé à la

MINUK et à la KFOR de mener une enquête sur la mort de son mari.

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Le lendemain de ces arrestations, la presse internationale indiquait que « les Albanais s’étaient plaints de la conduite des Français, qui avaient perquisitionné sans ménagement les maisons et avaient tout simplement fait une rafle dans une rue, emmenant tous les hommes qui y habitaient19. »

Les conditions de détention

19

. NATO Shocked by Violence, Arrests 40 – L’OTAN, sous le choc de la violence, procède à

40 arrestations, Reuters, 14 février 2000.

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Toutes les personnes arrêtées dans la soirée du 13 février 2000 ont été examinées par un médecin de la KFOR au moment de leur arrivée au gymnase dans lequel elles ont été placées en détention. Aucun interprète n’était présent pour leur expliquer les raisons de leur arrestation, ce que l’on attendait d’elles et ce qui allait leur arriver. Les détenus étaient incapables de préciser combien ils étaient et combien de soldats les gardaient, car ils n’étaient pas autorisés à regarder autour d’eux. La femme et les deux mineurs arrêtés par la KFOR lors de cette opération ont été détenus dans le gymnase, avec les autres prisonniers20.

Les détenus ont été obligés de rester assis sur des chaises, face au mur, avec inter-diction de regarder autour d’eux et de parler. Selon les témoignages des détenus, un soldat donnait un coup de pied dans la chaise à chaque fois qu’un détenu ne se comportait pas conformément aux consignes, pour bien signifier à celui-ci qu’il devait rester assis et regarder le mur. Un détenu a raconté qu’il avait voulu se lever et regarder autour de lui et qu’un soldat s’était mis en rage, l’avait emmené dans les toilettes, puis l’en avait sorti, avant de lui mettre les mains autour du cou en faisant mine de l’étrangler. Toujours selon son propre témoignage, ce détenu aurait ensuite été enfermé dans les toilettes, sans chauffage, pendant une ou deux heures.

La première nuit, après être restés assis face au mur de 19 à 23 heures, les détenus ont reçu chacun un lit pliant et une unique couverture. On a leur a fait comprendre qu’ils devaient se coucher et dormir. Tous les détenus interrogés ont déclaré qu’ils n’avaient pas pu dormir à cause du froid et qu’au bout d’une journée de détention, ils ont commencé à éprouver des douleurs dans le dos, en raison non seulement de la température, mais aussi du fait qu’ils avaient été contraints de rester longtemps assis sur des chaises. Certains détenus ont déclaré qu’on ne les avait autorisés à parler entre eux ou à se dégourdir les jambes qu’au troisième jour de détention. Lorsqu’ils avaient besoin d’aller aux toilettes, les soldats les emmenaient en leur serrant fermement les poignets et les forçaient à garder la tête baissée. Les détenus ont affirmé que ce traitement leur faisait mal aux mains et leur faisait redouter de demander à aller aux toilettes. Selon les détenus, les soldats chargés de les surveiller se sont mis à porter des masques après la première nuit de détention. Les soldats ainsi masqués se tenaient derrière les détenus et tenaient en permanence entre les mains un fusil d’assaut automatique.

20

. Les normes internationales relatives aux droits humains disposent que les femmes et les enfants

placés en détention doivent être séparés des hommes adultes. Les règles 8-a et 53 de l’Ensemble

de règles minima pour le traitement des détenus disposent que les femmes en détention doivent

être séparées des hommes et surveillées par du personnel féminin. L’article 10-2 du PIDCP

dispose que les mineurs doivent être séparés des adultes. Voir également l’article 37 de la

Convention relative aux droits de l’enfant.

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Le droit de bénéficier de conditions de détention humaines Des délégués d’Amnesty International ont visité le gymnase le 17 février. La majorité des détenus avaient déjà été remis en liberté, après avoir été interrogés par la KFOR. Quatorze personnes se trouvaient toutefois encore en détention, et ce depuis quatre jours. Les délégués d’Amnesty International ont attendu sept heures de pouvoir voir les détenus, mais la police civile internationale de la MINUK ne leur a pas permis de leur parler21.

21

. Un représentant de l’OSCE, à qui on avait refusé la veille l’accès au local de détention, a

finalement pu voir les détenus et parler avec eux.

La température dans le gymnase avoisinait 0 C dans la journée et le représentant de la MINUK qui accompagnait les délégués d’Amnesty International s’est lui-même plaint d’avoir froid au bout de cinq minutes dans le local. Il n’y avait aucune forme de chauffage dans le gymnase et les détenus tentaient de se réchauffer en se blottissant sous leurs couvertures. Le sol du gymnase où étaient détenus les prisonniers nuit et jour était couvert de boue. On a signalé aux délé-gués d’Amnesty International que les détenus n’avaient pas pu se laver avant le cinquième jour de leur détention. La KFOR a déclaré à l’organisation de défense des droits humains que les détenus n’avaient pas eu le droit de prendre de l’exercice ou de marcher à l’air libre et qu’ils avaient en fait été contraints de rester en permanence tournés vers le mur. Un conseiller juridique de la KFOR qui a pu constater les conditions de détention des prisonniers a déclaré que « personne ne devrait être détenu plus de douze heures dans de telles conditions ».

L’article 10 du PIDCP dispose : « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. » Un détenu a un certain nombre de besoins essentiels : manger, se laver et disposer d’installations sanitaires, ainsi que de literie, de vêtements, de soins médicaux, d’un éclairage naturel, de moments de détente et d’exercice. La règle 10 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus dispose : « Les locaux de détention, et en particulier ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne [...] la surface minimum, l’éclai-rage, le chauffage et la ventilation. » Les délégués d’Amnesty International ont pu constater que les conditions qui régnaient à l’intérieur du gymnase n’étaient pas conformes à ces normes.

Lorsque les délégués d’Amnesty International ont souligné que les conditions de détention des prisonniers pouvaient être améliorées, les responsables de la MINUK et de la KFOR ont déclaré que les circonstances qui prévalaient à Mitrovica étaient exceptionnelles et que ni la MINUK ni la KFOR n’avaient les moyens ou la capacité de proposer un lieu de détention plus adapté. Ces responsables ont

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expliqué qu’ils n’étaient « tout simplement pas préparés à cela ». Pourtant, étant donné la violence et la montée des tensions constatées depuis sept mois entre les deux communautés de Mitrovica, la KFOR et la MINUK auraient dû se douter qu’elles pouvaient être amenées à placer des personnes en détention. Et pour avoir la capacité de détenir des suspects dans des conditions satisfaisantes, la MINUK aurait dû affecter à Mitrovica les moyens matériels nécessaires. Dans une interprétation faisant autorité de l’article 10 du PIDCP, le Comité des droits de l’homme a estimé que le manque de moyens matériels ou les difficultés financières ne pouvaient être invoqués pour justifier un traitement inhumain.

Répondant aux délégués d’Amnesty International, qui suggéraient que la KFOR pourrait peut-être chauffer un peu et nettoyer le gymnase, un responsable français de la KFOR a déclaré, en parlant des détenus : « Ce ne sont pas des anges [...] ces gens-là ont tiré sur mes hommes. »

Le droit de ne pas être soumis à une arrestationou à une détention arbitraire

L’article 9-1 du PIDCP dispose : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. »

Des représentants de la KFOR ont informé les délégués d’Amnesty International que la détention des 49 personnes arrêtées le 13 février à Mitrovica avait été décidée en vertu de l’autorité qui leur était conférée par le paragraphe 9-d de la Résolution 1244, donnant pour mission à la KFOR d’« assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité publics jusqu’à ce que la présence internationale civile puisse s’en charger ». Des représentants de la KFOR ont expliqué, en contra-diction flagrante avec la législation internationale relative aux droits humains, que les pouvoirs que leur conférait le paragraphe 9-d les autorisaient à maintenir indéfiniment un individu en détention, sans garanties, jusqu’à ce qu’une autorité judiciaire de la MINUK puisse examiner l’affaire. De même, dans d’autres cas, les conseillers juridiques de la KFOR ont affirmé que, même lorsqu’une affaire avait fait l’objet d’un examen judiciaire ayant donné lieu à une décision de remise en liberté de la personne détenue, le paragraphe 9-d les autorisait à prolonger la détention de ladite personne si, à leurs yeux, celle-ci constituait une menace pour la sûreté et l’ordre publics ou pour les soldats de la KFOR22. Amnesty International estime que de tels propos sont

22

. Sept personnes au moins sont actuellement maintenues en détention par la KFOR dans le secteur

placé sous commandement des Nations unies, sur autorisation du commandant en chef de la force

multinationale, et ce en dépit du fait que leur remise en liberté a été ordonnée par un juge nommé

par la MINUK. Ces personnes ne font plus l’objet d’aucune enquête ou information et ne peuvent

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incompatibles avec l’obligation où se trouve la KFOR de respecter les normes internationales en matière de droits humains.

pas contester la légalité de leur détention devant un tribunal. La question de la prolongation de leur

détention n’a pas non plus été soumise à l’avis d’un tribunal ou d’une autorité judiciaire. Bien que la

KFOR ait affirmé que ces personnes pouvaient être maintenues indéfiniment en détention sans

bénéficier des garanties d’une procédure légitime, Amnesty International considère qu’elles sont

actuellement victimes de détention arbitraire, en violation de la législation internationale relative aux

droits humains.

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Lorsque la KFOR interprète les pouvoirs que lui confère la résolution 1244, en considérant que celle-ci lui donne le droit de placer en détention des personnes sans se préoccuper de la procédure prévue par la législation en vigueur23, comme elle l’a fait à Mitrovica, la KFOR se rend coupable d’arrestation et de détention arbitraires. Amnesty International estime que les personnes arrêtées et placées en détention sur la seule foi de la résolution 1244 sont victimes d’arrestation et de détention arbitraires, car l’autorité en vertu de laquelle elles sont privées de liberté est illimitée, vague et ne tient pas compte de la procédure que peuvent prévoir d’autres législations. L’organisation de défense des droits humains insiste sur le fait que le paragraphe 9-d de la résolution 1244 ne contient ni ne spécifie aucune procédure ou norme juridique que la KFOR aurait à suivre lorsque celle-ci procède à une arrestation ou à une mise en détention. Amnesty International constate par conséquent avec inquiétude que les arrestations ou mises en dé-tention effectuées uniquement en invoquant les pouvoirs conférés par cette résolution sont inopportunes, imprévisibles, et peuvent déboucher sur une injus-tice. Toute arrestation ou mise en détention de ce type ne peut qu’être arbitraire, au sens de l’article 9-1 du PIDCP24.

L’article 5-1-c de la CEDH expose également de façon détaillée le droit de ne pas être soumis à une arrestation ou à une détention arbitraire. Cet article exige, entre autres conditions pour qu’une arrestation soit légale, qu’il y ait des « raisons plausibles de soupçonner » que la personne interpellée a commis une infraction. Bien que la KFOR prétende que l’interrogatoire des 49 détenus avait pour but de recueillir des renseignements, les détenus rencontrés par les délégués d’Amnesty International affirment, quant à eux, que les questions qui leur ont été posées par les militaires de la KFOR portaient essentiellement sur les événements du 13 février 2000 et sur l’identité des personnes ayant ouvert le feu sur les soldats français – donc, manifestement, sur une 23

. Le décret 2/1999 autorise les responsables de l’application des lois compétents à détenir

temporairement, pour une durée maximum de douze heures, une personne si celle-ci menace la

paix et l’ordre publics. Ce décret ne prévoit cependant aucune procédure obligeant à informer le

détenu de ses droits, à lui donner accès à un avocat, à lui signifier les raisons de son arrestation

dans une langue qui lui soit compréhensible et à le traiter humainement, ni aucune procédure lui

permettant de contester la légalité de sa détention. Qui plus est, rien dans ce texte n’indique qu’un

individu arrêté en vertu de ses dispositions doit être raisonnablement soupçonné d’une infraction

pénale quelconque. Le décret 2/1999 apparaît donc incompatible avec les normes internationales

en matière de droits humains et notamment avec l’article 5 de la CEDH. Amnesty International

continue de prier instamment la MINUK de faire en sorte, de toute urgence, que tous les décrets

pris sous son autorité soient conformes aux normes internationales des droits humains adoptées

par les Nations unies. 24

. Dans l’une de ses communications, le Comité des droits de l’homme précise que la notion

d’« arbitraire » ne doit pas être confondue avec celle de « contre la loi », mais être interprétée

d’une manière plus large pour inclure des aspects inappropriés, injustes et imprévisibles (Albert

Womah Mukong c. Cameroun, communication 458/1991, 21 juillet 1994, CCPR/C/51/D/458/1991,

paragraphe 9-8).

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infraction pénale grave. L’existence de « raisons plausibles de soupçonner » la participation à cette infraction, indis-pensable à la légalité d’une arrestation et d’une mise en détention, est loin d’être avérée pour chacune des 49 personnes placées en détention. Un repré-sentant de la police civile internationale de la MINUK s’occupant de cette affaire a déclaré aux délégués d’Amnesty International : « D’un point de vue militaire, il y avait peut-être une bonne raison d’arrêter ces personnes. Toutefois, du point de vue de la police, il n’y avait aucune cause probable » (ou « raisons plausibles de soupçonner » que les personnes interpellées avaient commis une infraction). Si la KFOR n’avait pas de « raisons plausibles de soupçonner » que chacune des 49 personnes arrêtées et placées en détention à Mitrovica le 13 février 2000 avait commis une infraction, les arrestations et mises en détention de ces personnes étaient illégales au regard de la CEDH25.

Le droit d’être informé des raisons de l’arrestation et le droit de toute personne d’être informée de ses droits

25

. Dans le cadre d’une procédure judiciaire de contestation de la légalité de l’arrestation et de la

détention, la KFOR aurait la charge de démontrer qu’il existait des « raisons plausibles »

permettant d’invoquer l’article 5-1-c pour fonder l’arrestation de chacune des 49 personnes

interpellées et mises en détention.

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L’article 9-2 du PIDCP et l’article 5-2 de la CEDH, qui précisent que tout individu doit être informé des raisons de son arrestation, dans une langue qu’il comprend, constituent l’une des garanties les plus fondamentales contre toute arrestation ou mise en détention arbitraire. Or, lorsqu’elle a arrêté ces 49 per-sonnes à Mitrovica, le 13 février, la KFOR ne s’est pas adressée à elles par le canal d’un interprète. Aucune des personnes arrêtées n’a été informée des raisons de sa mise en détention dans une langue qu’elle comprenait. D’ailleurs, quatre jours plus tard, lorsque les délégués d’Amnesty International se sont présentés à la base du contingent français de la KFOR, ni la KFOR ni la MINUK n’ont pu clairement préciser quel était le fondement juridique exact de la détention de ces personnes ni si elles étaient officiellement aux mains de la MINUK26. De plus, contrairement aux normes internationales, les détenus n’avaient pas été informés de leurs droits par les autorités.

Le droit d’être assisté par un avocat Les normes internationales relatives aux droits humains disposent que toute personne privée de liberté, que ce soit ou non en raison d’une infraction pénale, a le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat à tous les stades de la procédure, y compris pendant les interrogatoires (principe 1 des Principes de base sur le rôle du barreau). De plus, tout détenu doit être informé dans les meilleurs délais après son arrestation de son droit à bénéficier des services d’un avocat (principe 17-1 de l’Ensemble de principes). Qui plus est, l’article 37-d de la Convention relative aux droits de l’enfant précise que tout enfant privé de sa liberté a le droit de bénéficier dans les meilleurs délais des services d’un avocat. Les délégués d’Amnesty International ont appris qu’aucune des personnes détenues dans le gymnase par la KFOR et la police civile internationale de la MINUK, entre le 13 et le 18 février 2000, y compris les deux mineurs, n’avait eu accès à un avocat et que la majorité de ces personnes n’avaient même pas été informées de leur droit de bénéficier d’une telle assistance.

Le droit de tout détenu d’informer ou de faire informer sa famille de la mesure de privation de liberté le frappant et du lieu de sa détention

Amnesty International a appris de la bouche de personnes détenues à Mitrovica que les familles de ces dernières n’avaient pas été officiellement informées de leur détention par la KFOR ou la police

26

. Dans la matinée du 17 février, un conseiller juridique de la KFOR a déclaré aux délégués

d’Amnesty International que les 14 personnes encore en détention se trouvaient sous la juridict ion

du juge international, mais ce dernier leur a affirmé le même jour qu’ils se trouvaient sous l’autorité

de la KFOR. Ce juge international, nommé le 14 février à la tête du tribunal de district de Mitrovica,

a expliqué qu’il ne pouvait exercer sa compétence sur les détenus. Il a déclaré que cette situation

était due au fait qu’à son arrivée à Mitrovica, il ne disposait d’aucun procureur international avec qui

travailler et que le procureur local, craignant pour sa propre sécurité, avait, pour sa part, refusé de

collaborer avec lui.

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civile internationale de la MINUK. De plus, comme les détenus n’ont pas pu contacter leur famille pendant leur détention, certains de leurs proches ignoraient où ils se trouvaient. Les normes internationales relatives aux droits humains reconnaissent à toute personne privée de sa liberté le droit d’informer – ou de faire informer par les autorités – sa famille, ou d’autres personnes de son choix, de son lieu de détention et des éventuels transferts intervenant au cours de celle-ci (principes 15 et 16 de l’Ensemble de principes).

Le droit d’être amené dans les meilleurs délais devant un juge ou une autorité judiciaire et le droit de contester la légalité de la détention

Tout détenu a le droit d’être présenté dans les meilleurs délais devant un juge ou une autorité judiciaire. L’article 9-3 du PIDCP dispose : « Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré... » L’article 5-3 de la CEDH contient une disposition similaire. Bien que le terme « dans le plus court délai » (« promptly », en anglais) ne soit pas défini de façon quantitative par le droit international relatif aux droits humains, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le fait de détenir une personne pendant quatre jours et six heures avant de la présenter à un juge, sans que les garanties nécessaires soient mises en place, était contraire à cette exigence de « promptitude » et constituait donc une violation de l’article 5-3 de la CEDH27.

Le Code de procédure pénale de la République fédérale de Yougoslavie (le Code) dispose qu'un juge doit signifier à tout détenu, dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation, la décision de le maintenir ou non en détention. Ce Code autorise toutefois dans des circonstances exceptionnelles les responsables de l’application des lois à détenir un individu pendant soixante-douze heures avant examen judiciaire de son dossier et avant qu’une enquête ne soit ouverte28. Aucune des personnes détenues dans le gymnase de la KFOR, y compris celles qui y ont passé cinq jours, n’a été présentée à un juge ou une autorité judiciaire compétente29. Dans un 27

. Brogan et autres c. Royaume-Uni, 1998, Cour européenne des droits de l’homme, série A,

n 145-B. 28

. Il faut toutefois noter que le fait de détenir une personne pendant soixante-douze heures avant de

la présenter à une autorité judiciaire constitue une mesure exceptionnelle, envisageable dans des

cas où il s’avère nécessaire de vérifier l’identité de la personne ou un alibi, de s’assurer que des

éléments de preuve ne sont pas détruits ou de réunir d’autres « précisions essentielles » à la

poursuite de la procédure pénale. Voir le Code de procédure pénale de la République fédérale de

Yougoslavie, articles 192-1 et 3 et 196-1, 2 et 3. 29

. La Déclaration de la MINUK, qui insiste sur l’obligation faite à la KFOR de respecter les normes des

droits humains internationalement reconnues, définit la procédure à suivre par la KFOR lorsqu’elle

place un individu en détention. Cette procédure n’a cependant pas été suivie par la KFOR dans le

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entretien avec les délégués d’Amnesty International, la police civile internationale de la MINUK a assuré qu’elle disposait de soixante-douze heures après le début de son enquête pour traduire les détenus devant un juge ou les libérer. Elle a cependant déclaré que son enquête n’avait commencé que quatre-vingt-onze heures après la mise en détention initiale30. Ainsi, selon la MINUK, ces personnes auraient pu être détenues pendant sept jours pour interrogatoire, sans jamais voir un avocat ni être traduites devant un juge.

cas des 49 personnes interpellées le 13 février 2000.

30. Le conseiller juridique du contingent français de la KFOR a déclaré qu’il avait l’impression qu’une

enquête de la police civile internationale de la MINUK avait été ouverte le 15 février, mais

l’enquêteur de la police civile de la MINUK qui a rencontré les délégués d’Amnesty International a

affirmé que son enquête avait débuté le 17 février. Il a en fait prétendu que cette enquête avait

commencé une demi-heure à peine avant son entrevue avec les délégués d’Amnesty International,

le 17 février à 13 heures 51 exactement.

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Au moins 14 des personnes arrêtées ont été détenues à Mitrovica par la KFOR et la MINUK pendant environ cent vingt heures, soit bien au-delà de la limite normale de vingt-quatre heures et de la limite exceptionnelle de soixante-douze heures prévues par la loi nationale en vigueur. Aucune de ces personnes n’a été traduite devant un juge31. Le Code de procédure pénale de la République fédérale de Yougoslavie indique pourtant clairement que toute personne placée en détention doit être traduite devant un juge au plus tard soixante-douze heures après son arrestation32. En omettant de se conformer à cette disposition de la loi nationale en vigueur, la KFOR, comme la MINUK, a manifestement manqué à son obligation de traiter les détenus selon la procédure prescrite par la loi, violant ainsi l’article 9-1 du PIDCP et l’article 5-1 de la CEDH. En outre, en omettant de traduire dans les meilleurs délais chaque détenu devant un juge, la KFOR et la MINUK ont violé l’article 9-3 du PIDCP et l’article 5-5 de la CEDH.

En vertu de l’article 9-4 du PIDCP et de l’article 5-5 de la CEDH, tout détenu a le droit de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention et d’être remis en liberté si ladite détention est déclarée illégale. Amnesty International rappelle qu’il n’existe pour l’instant dans la législation en vigueur au Kosovo aucune disposition permettant à une personne placée en détention à Mitrovica d’exercer ce droit. Aucun des détenus de la KFOR, y compris les 14 qui ont été retenus pendant cinq jours, n’a eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. L’organisation de défense des droits humains prie instamment la MINUK de mettre en place sans attendre une telle procédure, conformément aux normes internationales relatives aux droits humains.

Les mécanismes relatifs aux droits humains au Kosovo – le droit exécutoire aux réparations

L’article 2-3 du PIDCP et l’article 13 de la CEDH imposent aux autorités de veiller à ce que toute personne dont les droits garantis par ces traités ont été violés puissent s’adresser à une autorité compétente, afin d’obtenir des réparations réelles et exécutoires. Les articles 9-5 du PIDCP et 5-5 de la CEDH définissent un droit exécutoire à des réparations pour toute personne ayant été victime d’une mesure d’arrestation ou de détention illégale. 31

. Alors que le Code de procédure pénale de la République fédérale de Yougoslavie oblige toute

autorité ayant procédé à une arrestation ou à un placement en détention à en informer

immédiatement un procureur ou un juge d’instruction, le président du tribunal de Mitrovica, nommé

par la MINUK, et l’un des procureurs de ce même tribunal ont déclaré aux délégués d’Amnesty

International qu’ils n’avaient jamais été officiellement informés de la détention des 49 personnes

retenues au gymnase. 32

. Soulignons qu’Amnesty International a exprimé ses préoccupations quant au non-respect de ces

dispositions du Code par la police serbe et les autorités yougoslaves lors de l’arrestation et de la

détention d’Albanais du Kosovo avant juin 1999. Voir République fédérative de Yougoslavie. les

droits humains bafoués dans la province du Kosovo, série A, document n4 (index AI : EUR

70/35/98).

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Les 49 personnes interpellées le 13 février à Mitrovica par le contingent français de la KFOR n’ont pas été immédiatement informées des raisons de leur arrestation ni de leurs droits, et notamment de leur droit à bénéficier de l’aide d’un avocat ; elles n’ont pas eu accès à un avocat, y compris avant et pendant leur interrogatoire, et elles n’ont pas été détenues dans des conditions humaines. Qui plus est, 14 d’entre elles n’ont pas été traduites dans les meilleurs délais devant un juge, comme le veut la législation nationale en vigueur. Aucun des détenus n’a été en mesure de contester la légalité de sa détention. La légalité de l’arrestation et de la détention subséquente de ces personnes reste d’ailleurs très contestable. Il n’existe cependant actuellement au Kosovo aucun mécanisme permettant d’examiner une plainte concernant la légalité d’une mesure d’arrestation ou de détention prise par la KFOR ou par la police civile internationale de la MINUK et permettant aux éventuelles victimes d’obtenir des réparations.

Le secrétaire général des Nations unies a déclaré qu’un bureau du médiateur serait créé, avec pour mission d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains par les autorités en place au Kosovo. Amnesty International déplore que le bureau du médiateur, actuellement en projet au sein de l’OSCE, n’ait toujours pas été instauré. Il n’existe donc pour l’instant aucun mécanisme dans la région permettant d’enquêter sur les atteintes présumées aux droits humains imputées à la KFOR ou à la MINUK et de recommander des réparations. L’organisation de défense des droits humains prie instamment la MINUK de créer de toute urgence un tel mécanisme.

Le secrétaire général des Nations unies a déclaré que le médiateur pourrait « connaître des allégations d’atteinte aux droits de l’homme du fait de toute personne ou entité au Kosovo ». Amnesty International suppose que ce médiateur devrait être habilité, entre autres, à examiner les allégations d’atteintes aux droits humains imputées non seulement à la MINUK, mais également à la KFOR. Amnesty International prie instamment la KFOR de reconnaître l’autorité du médiateur et de permettre à ses services d’enquêter sur les atteintes présumées aux droits humains attribuées à ses membres.

L’organisation de défense des droits humains note en outre que l’OTAN, à laquelle appartiennent la majorité des pays fournissant un contingent à la KFOR, n’a pas de politique définie permettant aux personnes dont il est prouvé qu’elles ont été victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux d’obtenir réparation. Il n’existe par conséquent à l’heure actuelle aucun droit exécutoire à réparation pour les personnes ayant été reconnues victimes de violations des droits humains commises par la KFOR. Amnesty International continue de prier instamment la KFOR de mettre en

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place un mécanisme indépendant et impartial de traitement des plaintes, afin que les allégations de violations des droits humains donnent effectivement lieu à une enquête, en attendant que le poste de médiateur ait été créé et que la KFOR ait reconnu sa compétence. L’organisation de défense des droits humains prie en outre instamment la KFOR de mettre en place un système permettant d’octroyer des réparations, et notamment des indem-nisations, aux victimes d’atteintes aux droits humains ou à leurs familles.

Recommandations Amnesty International est consciente de la complexité des tâches auxquelles sont confrontées la MINUK et la KFOR au Kosovo. Le mandat de la force inter-nationale au Kosovo est d’une ampleur écrasante, étant donné la poursuite du conflit dans la région et l’absence de solution politique concernant le statut du territoire. L’organisation de défense des droits humains insiste sur la nature particulièrement difficile de la mission de la MINUK et de la KFOR à Mitrovica, où des groupes organisés d’Albanais et de Serbes continuent de perpétrer quotidiennement des exactions contre les communautés minoritaires. Elle sou-ligne cependant que, malgré la difficulté de la situation, la KFOR et la MINUK doivent donner l’exemple au Kosovo, par un respect scrupuleux des droits humains en toute circonstance. Amnesty International formule par conséquent les recommandations suivantes :

À l’intention de la MINUK et de la KFOR

La MINUK et la KFOR doivent : · ouvrir sans délai une enquête indépendante et impartiale sur la

mort d’Avni Hajredini, qui devra être menée en conformité avec les normes internationales et dont les méthodes et les conclusions devront être intégralement publiées.

La MINUK et la KFOR doivent prendre sans attendre des mesures pour que toute personne arrêtée et placée en détention soit traitée conformément aux normes les plus strictes en matière de droits humains. Elles doivent notamment veiller aux points suivants :

· toute personne arrêtée ou placée en détention, pour quelque raison que ce soit, doit être informée, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci et de l’endroit où elle est placée en détention ; tout transfert subséquent vers un autre lieu de détention doit également être notifié ;

· toute personne privée de liberté doit être informée dans les meilleurs délais des charges retenues contre elle et de son droit à consulter un avocat de son choix ;

· toute personne privée de liberté doit avoir sans délai la possibilité

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d’être assisté par un avocat, y compris pendant son interrogatoire ; des dispositions doivent être prises en vue d’assurer la confidentialité des entretiens entre l’avocat et le détenu ;

· les droits des mineurs doivent être intégralement respectés, y compris en cas de détention et d’interrogatoire, et les mineurs ne doivent être placés en détention qu’en tout dernier ressort et le moins longtemps possible ; en cas de détention d’un mineur, celui-ci ne doit être interrogé qu’en présence d’un adulte dont la présence est justifiée et de son avocat ;

· toute personne privée de liberté doit être présentée dans les meilleurs délais, et au plus tard dans les soixante-douze heures suivant son arrestation, à un juge ou à une autorité judiciaire ;

· toute personne privée de liberté doit être autorisée à contacter sa famille dans les meilleurs délais après son interpellation, afin de l’informer de son arrestation, à moins que les autorités exerçant la détention n’aient pour consigne de le faire à sa place ;

· toute personne privée de liberté doit être détenue dans un lieu de détention officiellement reconnu, auquel le Comité international de la Croix-Rouge et les observateurs des droits humains aient totalement accès, sans la moindre entrave ;

· toute personne privée de liberté doit être détenue dans des conditions humaines et répondant, au moins, aux normes minima des Nations unies.

À l’intention de la KFOR

La KFOR doit : · revoir les décrets, code de conduite et procédures applicables à

son personnel et prendre toutes les mesures pratiques nécessaires, y compris la mise en place de programmes de formation visant à mettre les actions dudit personnel en conformité totale avec les normes internationales relatives aux droits humains, ainsi qu’avec la législation en vigueur, notamment en cas de recours à la force et lors d’opérations d’application des lois ;

· créer un mécanisme de traitement des plaintes uniforme, aisément accessible et transparent, garantissant que les enquêtes menées à la suite de plaintes, nota-mment pour violations des droits humains, sont confiées à un organisme indépendant de ceux contre qui la plainte a été portée ; ce mécanisme devra fonctionner au moins jusqu’à ce que le bureau du médiateur devienne opéra-tionnel et que sa compétence soit reconnue par la KFOR ;

· prendre des mesures pour que toute personne dont il est

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démontré qu’elle a été victime de violations des droits humains de la part de membres de la KFOR – y compris de la part de pays apportant une contribution à l’OTAN – bénéficie du droit de recours et reçoive des réparations adéquates, et notamment une indemnisation ;

· autoriser le bureau du médiateur, une fois qu’il sera en place, à enquêter sur les atteintes aux droits humains qui auraient été perpétrées par des membres de la KFOR.

À l’intention de la MINUK

La MINUK doit : · mettre en place une procédure claire permettant à toute

personne arrêtée de contester la légalité de sa détention devant un tribunal, qui pourra statuer sans retard sur celle-ci et ordonner la libération du détenu au cas où la mesure le concernant serait jugée illégale ;

· veiller à ce que tous les détenus, y compris ceux de Mitrovica, soient hébergés dans des conditions conformes aux normes internationales en matière de droits humains ;

· procéder dans les meilleurs délais à une révision de toutes les lois en vigueur, y compris les décrets de la MINUK, dans le souci de garantir leur totale conformité aux normes internationales relatives aux droits humains ;

· continuer de s’efforcer de mettre en place sans retard un système judiciaire opérationnel, doté d’un personnel correctement formé aux normes relatives aux droits humains ;

· créer sans plus de retard un bureau du médiateur ;

· veiller à ce que tous les responsables de l’application des lois de la MINUK soient formés aux normes relatives aux droits humains.

À l’intention de la communauté internationale

La communauté internationale doit : · fournir sans plus tarder à la MINUK le personnel et les moyens

nécessaires à la mise en place d’une véritable force de police au Kosovo, en totale conformité avec les normes internationales en matière de droits humains ;

· fournir immédiatement à la MINUK les moyens et le personnel nécessaires à l’établissement d’un système judiciaire opérationnel indépendant et impartial, ayant reçu une formation correcte portant sur la législation en vigueur et les normes relatives aux droits humains ;

· fournir à la MINUK les moyens nécessaires à la création et à l’entretien de locaux de détention totalement conformes aux normes internationales relatives aux droits humains ;

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· fournir à la MINUK les fonds nécessaires à la mise en place d’un pouvoir judiciaire opérationnel, indépendant et impartial.

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La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Federal Republic of Yugoslavia (Kosovo). Setting the Standard ? UNMIK and KFOR’s Response to the Violence in Mitrovica. Seule la version anglaise fait foi.

La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL – ÉFAI – juin 2000.

Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet : http://efai.i-france.com

Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à :