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ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE :
AUTONOMIE, ENCASTREMENT ET REGULATIONS
Eme Bernard
Résumé
Cette contribution interroge les bĂ©nĂ©fices thĂ©oriques de la notion dâencastrement au regard de
lâĂ©conomie sociale et solidaire. Dans un premier temps, elle reprend sa constitution historique
de Polanyi Ă la nouvelle sociologie Ă©conomique. Dans un deuxiĂšme temps, elle sâinterroge sur
sa pertinence au regard des âsociĂ©tĂ©s surfaceâ oĂč sâentrecroisent de multiples rĂ©gulations.
Enfin, elles suggĂšrent les apories auxquelles conduisent son usage normatif.
Abstract
This text demands theoric benefits of the term of embededdness. First of all, it takes up his
historical constitution from Polanyi to New Economic Sociology. Secondly, it questions its
legitimity according to âsurface societiesâ where several regulations are entwined. At last, it
is treating of contradictions where to the normatif use of embededdness is leading.
INTRODUCTION
Il sera ici question de la notion dâencastrement. Au-delĂ de lâenvoĂ»tement que cette notion
suscite au sein de la nouvelle sociologie Ă©conomique dans le sillage de Polanyi, elle est
dâabord une figure de rhĂ©torique qui ne doit pas ĂȘtre prise Ă la lĂ©gĂšre, surtout dans ses usages
rigoureux par les disciplines scientifiques. Lâhistoire des sciences et des techniques apprend Ă
entretenir un certain doute Ă lâĂ©gard de ces figures qui, pendant un temps, parfois long,
constituĂšrent un obstacle Ă©pistĂ©mologique, Ă lâavancĂ©e dâune rationalitĂ© scientifique
(BACHELARD, 1967, p. 97 sq). Toute figure doit ĂȘtre passĂ©e au crible de ses attendus et
prĂ©supposĂ©s et certaines ne sâen remettent jamais, fleurs mortes dans lâĂąge de la rigueur.
Non sans charme, la notion dâencastrement, inscrite dans une tradition, ne peut dĂ©roger Ă la
rÚgle de son examen au-delà de son « obscurité », son « flou » conceptuel (CAILLE, 1993,
p. 225, p. 251) et des prĂ©supposĂ©s quâelle induit, mĂȘme si lâorigine, castrare, est
heureusement trĂšs improbable. Donne-t-elle autant quâelle promet Ă la sociologie
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Manuscrit auteur, publiĂ© dans "VIIIemes Rencontres internationales du RĂ©seau Inter-Universitaire de lâEconomie Sociale etSolidaire, Barcelone : Espagne (2008)"
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Ă©conomique ? Ou bien promet-elle plus quâelle ne produit en termes de comprĂ©hension des
rapports entre lâĂ©conomie, les sphĂšres de la sociĂ©tĂ© et celle-ci ? Sâest-elle constituĂ©e en
concept assurĂ© ? Au regard de la sociologie Ă©conomique, lâhypothĂšse dĂ©fendue est que cette
notion constitue peut-ĂȘtre une difficultĂ©, voire un obstacle Ă©pistĂ©mologique Ă la
comprĂ©hension des rapports Ăconomie/sociĂ©tĂ©, voire individus/sociĂ©tĂ©s, mais aussi du
fonctionnement des sociétés entre globalisation des échanges (pas seulement économiques) et
territoires politiques, entre lâĂ©conomie et les instances politiques ainsi quâavec le social ou la
culture.
Mettant lâaccent sur les dĂ©terminations, les contraintes, les influences, toutes globales et trop
gĂ©nĂ©ralisantes, elle empĂȘcherait dâune part de comprendre les innombrables rĂ©gulations
croisées et réciproques (macro, méso et microsociales) qui se construisent, se formalisent ou
non, se rectifient dans des rapports sociaux de pouvoir. Sait-on au bout du compte quelle est
la sphĂšre qui englobe les autres et selon quelle hiĂ©rarchie les sphĂšres sâencastrent les unes
dans les autres ? Le mystĂšre demeure souvent entier.
Dâautre part, une reprĂ©sentation de la sociĂ©tĂ© sâen dĂ©gage (encastrement de sphĂšres selon une
sociologie des profondeurs sociétales) qui est sans doute la question implicite posée par cette
notion. Cette représentation a-t-elle encore une quelconque pertinence dans les fabriques des
sociĂ©tĂ©s par elles-mĂȘmes ? Enfin, la lutte ou la conflictualitĂ© nây a guĂšre de place dans une
espĂšce de neutralitĂ© inscrite dans la quĂȘte des modes de coordination des actions des acteurs.
Plus encore, cette notion dâencastrement renvoie Ă une normativitĂ© explicite qui, parfois
sâassume, mais aussi, le plus souvent, Ă une normativitĂ© implicite qui confond examen des
pratiques et rĂ©flexion sur ce quâelles devraient ĂȘtre.
AprĂšs un regard sur ses contours thĂ©oriques de la notion dâencastrement qui suggĂšrent
dâillusoires profondeurs sociĂ©tales en reprenant sans le dire la mĂ©taphore corporelle de la
sociĂ©tĂ©, on voudrait la mettre Ă lâĂ©preuve du paradigme de lâentrelacement des rĂ©gimes
dâexistence des individus qui, dans un troisiĂšme temps, permet de dĂ©faire les paradoxes
quâelle crĂ©e entre perspective Ă©pistĂ©mologique comprĂ©hensive et approche normative de la
société.
1. LâHYPOTHESE DE LâENCASTREMENT
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1.1. Encastrant et encastré : le monde de la rigidité au temps de la toile
AdĂ©quation des formes et des contours, lâencastrement est cette « liaison rigide qui fixe
complĂštement les Ă©lĂ©ments entre eux » et nâadmet « aucune translation aucune rotation
relative⊠»1. Si société il y a, elle suppose des parties sans flexibilité, sans mobilité, sans
dĂ©perdition dâĂ©nergie dans des frottements. Elle est ainsi Ćuvre artisanale ou industrielle,
Ćuvre dâenchĂąsser et de sceller qui doit rĂ©sister au temps, lâenchĂąssement mĂȘme du temps
dans la matiĂšre, souvent noble. De maniĂšre minutieuse, au millimĂštre prĂšs, la fabrication dâun
encastrant, le plus parfait possible pour éviter les torsions doit recevoir un encastré qui, de
maniÚre tout aussi minutieuse, lui correspond dans ses plus infimes détails millimétriques.
Prenant lâimage au pied de ses sous-entendus, on aurait affaire Ă des sous-ensembles de la
société, consistants, réifiés, solides et valant comme autant de mondes propres sous
lâenglobant final que serait la sociĂ©tĂ© qui les dĂ©termine et qui encastre tous les sous-
encastrants. Centrale dans la ânouvelle sociologie Ă©conomiqueâ (GRANOVETTER, 1985), cette
figure engage ainsi le socle épistémologique de cette approche.
Lâaffaire nâest pas mince, dâautant plus quâil faut aussi entendre, dans certains discours, une
supĂ©rioritĂ© axiologique ou normative implicite de lâencastrant sur lâencastrĂ©, le premier
exerçant des « effets », des « influences », des « contraintes » bénéfiques sur le second
comme si lâencastrĂ© ne pouvait produire en retour des effets sur lâencastrant.
1.2. Economie et société, un encastrement réversible
On le sait, câest Ă POLANYI que lâon doit cette notion dâembededdness, forgĂ©e pour penser les
rapports de lâĂ©conomie et de la sociĂ©tĂ© et, plus spĂ©cialement, dĂ©signer ces rapports dans les
sociétés prémodernes2.
1.2.1. Encastrement ou prépondérance
Dans le prolongement de sa dĂ©finition substantive de lâĂ©conomie â procĂšs institutionnalisĂ© de
satisfaction de lâexistence matĂ©rielle des hommes qui met lâaccent sur leur interdĂ©pendance
avec les milieux (PONAYI, 1986, p. 21) â, lâĂ©conomie dans ces sociĂ©tĂ©s ne possĂšde pas de sens
et de valeurs spĂ©cifiques, mais ceux-ci proviennent de la âsociĂ©tĂ©â et sâimposent aux activitĂ©s
Ă©conomiques. Contre la dĂ©finition formelle de lâĂ©conomie qui, restreinte Ă la relation entre
1 Acierconstruction.com. 2 On ne questionne pas la validitĂ© du contenu de lâencastrement au cours de lâhistoire (surestimation de lâencastrement prĂ©moderne de lâĂ©conomie ou de son dĂ©sencastrement moderne), mais sa logique.
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moyens et fins au regard de la raretĂ©, aurait Ă©tĂ© naturalisĂ©e et universalisĂ©e, lâĂ©conomie se
dévoile comme encastrée dans un englobant sociétal qui permet de comprendre ses finalités
non-utilitaristes, subordonnĂ©e quâelle est Ă des normes socioculturelles : « âŠles relations
sociales de lâhomme englobent, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, son Ă©conomie. Lâhomme agit, de maniĂšre,
non pas Ă protĂ©ger son intĂ©rĂȘt individuel, Ă possĂ©der des bien matĂ©riels, mais de maniĂšre Ă
garantir sa position sociale, ses droits sociaux, ses avantages sociaux. » (POLANYI, 1983,
p. 74-75). Contrairement Ă la conception marxiste qui joue dâune autre image, ce serait ainsi
la superstructure qui dĂ©termine lâinfrastructure et constitue en dâautres termes le « grand
intĂ©grateur », ainsi de la « citoyennetĂ© » dans les citĂ©s Ătats grecques ou de la « religion
chrétienne » au Moyen Age (BAREL, 1991, p. 43). La satisfaction des besoins a comme
condition de possibilitĂ© des structures institutionnelles oĂč le marchĂ© ne joue pas un « rĂŽle
important » et nâa « jamais Ă©tĂ© que secondaire dans la vie Ă©conomique », voire insignifiante
(POLANYI, 1983, p. 71, p. 73).
La notion clef ne serait-elle pas celle de prĂ©pondĂ©rance ? JusquâĂ la fin du Moyen Ăge, le
« gain nâoccupe pas la premiĂšre place », « les marchĂ©s ne jouent aucun rĂŽle important »
puisque « dâautres modĂšles institutionnels prĂ©dominaient » (POLANYI, 1983, p. 86) :
réciprocité, redistribution domestique, administration domestique ou, encore, une
combinaison des trois. De mĂȘme, plus que lâencastrement, câest bien le rapport de
prĂ©dominance qui le plus souvent fonde lâanalyse des rapports entre Ă©conomie et sociĂ©tĂ© entre
le XVIe siĂšcle et lâĂšre industrielle chez POLANYI : si les marchĂ©s se font plus nombreux et
importants, il nâen demeure pas moins quâ« aucun signe, pourtant, nâannonçait encore la
mainmise des marchés sur la société humaine » (POLANYI, 1983, p. 86). En rivalité avec la
notion dâencastrement, la prĂ©pondĂ©rance dans une conflictualitĂ© de logiques nâest peut-ĂȘtre
pas sans intĂ©rĂȘt dâun point de vue Ă©pistĂ©mologique.
Avec lâavĂšnement « dâun systĂšme de marchĂ©s autorĂ©gulateurs et [âŠ] la naissance dâune
sociĂ©tĂ© nouvelle oĂč le travail et la terre ont Ă©tĂ© transformĂ©s en marchandises » (SALSANO,
1986, p. 28), un renversement majeur sâopĂšre Ă lâĂšre industrielle â la premiĂšre transformation
â oĂč lâinstitution du marchĂ©, « vouĂ©e Ă une fonction unique » (POLANYI, 1983, p. 88), encastre
la rĂ©ciprocitĂ© et la redistribution (registre des rapports intra-Ă©conomiques), sâautonomise de la
sociĂ©tĂ© (registre des rapports entre Ă©conomie et sociĂ©tĂ©) en lâenglobant si bien que « la sociĂ©tĂ©
doit prendre une forme telle quâelle permette Ă ce systĂšme de fonctionner suivant ses propres
lois. » (POLANYI, 1983, p. 88). Soumise aux « exigences » du marché (POLANYI, 1983,
p. 106), elle est « gérée en auxiliaire du marché » selon une expression devenue fameuse.
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Inversion du mode dâencastrement qui enseigne quâ« au lieu que lâĂ©conomie soit encastrĂ©e
dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le systÚme
Ă©conomique » (POLANYI, 1983, p. 88) : ce constat est au fondement de nombres dâanalyses en
termes de sociologie Ă©conomique, plus particuliĂšrement dans leurs dimensions normatives â
assumées ou non.
1.2.2. La production performative de la société de marché
Un regard Ă©pistĂ©mologique sur la discipline de lâĂ©conomie dans ses relations Ă la sociĂ©tĂ© est
aussi en jeu : devenue « catégorie de pensée autonome » (BERTHOUD, 1986, p. 57),
lâĂ©conomie façonne la « conscience sociale » des hommes (POLANYI, 1983, p. 121). Doctrine,
lâĂ©conomie classique produit de maniĂšre performative la sociĂ©tĂ© comme « sociĂ©tĂ© de marchĂ© »
(CUSIN, BENAMOUZIG, 2004, p. 68), mais cette puissance de changement est fondée sur une
grossiÚre erreur logique (la « fallace économique ») qui « a consisté à poser une équivalence
entre lâĂ©conomie humaine en gĂ©nĂ©ral et sa forme marchande » (POLANYI, 1986, p. 12).
Illusion funeste : le âdĂ©terminisme Ă©conomiqueâ conduit Ă confondre une institution
dĂ©terminĂ©e â lâĂ©conomie de marchĂ© â avec « une loi naturelle de lâhistoire humaine »
(BERTHOUD, 1986, p. 58).
La pensĂ©e Ă©conomique fallacieuse sâest ainsi rĂ©pandue dans la sociĂ©tĂ© comme « une exigence
pratique [âŠ] jusquâĂ produire « une sociĂ©tĂ© entiĂšrement encastrĂ©e dans sa propre Ă©conomie â
une âsociĂ©tĂ© de marchĂ©â » (POLANYI, 1986, p. 15, p. 16). Ontologie de lâHomo Oeconomicus,
lâĂ©conomie imposait lâexigence normative dâen rĂ©aliser lâassomption. La âcontre-rĂ©formeâ
Ă©conomique dĂ©nature lâhomme au regard dâune multiplicitĂ© de motivations et la notion
dâencastrement, dans un double sens, devient un enjeu tout Ă la fois Ă©pistĂ©mologique â
repenser lâĂ©conomie â et normatif â inventer une autre sociĂ©tĂ©, non infĂ©odĂ©e au gain.
1. 3. Une multiplicitĂ© de contextes et dâencastrements
Le renouveau dâune sociologie Ă©conomique dans les annĂ©es soixante et soixante-dix reposa Ă
nouveaux frais la question de lâencastrement dans une concurrence avec la thĂ©orie
économique standard. Explicative ou compréhensive, ce renouveau se gardait de toute
approche normative.
Outil conceptuel majeur, lâencastrement « dĂ©finit une approche interprĂ©tative et analytique qui
soutient que les conduites et les prĂ©fĂ©rences Ă©conomiques [âŠ] dĂ©pendent Ă©troitement des
contextes dans lesquels les acteurs agissent, entendus comme des rĂ©seaux dâinteraction sociale
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et comme des institutions, des normes et des habitudes politiques, cognitives et
culturelles » (MINGIONE, 2004, p. 26). Mais, de multiples conceptualisations se font jour oĂč
prolifĂšrent les contextes â politique, social, culturel, cognitif â des agirs Ă©conomiques qui les
influent, les dĂ©terminent, les contraignent comme si jamais ces agirs nâavaient eux-mĂȘmes
dâinfluence sur ces contextes.
GRANOVETTER livre deux versions successives qui, ultérieurement, se voudront
complémentaires. Premier temps, il y a encastrement dans des réseaux sociaux et les
interactions sociales (GRANOVETTER, 1985) oĂč est passĂ©e sous silence la question de la
rĂ©gulation politique et institutionnelle des agirs Ă©conomiques ; deuxiĂšme temps, il sâagit de
porter lâattention sur les institutions, cristallisations de rĂ©seaux sociaux : « les institutions se
sont formées par des réseaux complexes de rapports personnels qui, à leur tour, forment ces
mĂȘmes rĂ©seaux. » (GRANOVETTER, 1995, p. 12)3 Soit le principe dâun agir Ă©conomique qui
dĂ©pend de lâinfluence de âcontextesâ dĂ©finis Ă deux niveaux, celui des interactions sociales
formant réseaux et celui des institutions (valeurs, normes, rÚgles). Une troisiÚme acception
« soutient que la culture ne constitue pas seulement une instance qui réfléchit les pratiques et
les institutions Ă©conomiques, mais quâelle contribue Ă les mettre en forme »4.
Si la sociologie anglophone insiste sur ces modes dâencastrement, la francophone porterait
davantage son attention sur lâencastrement politique « qui Ă©mane des limites posĂ©es Ă la
logique du marché par la communauté des citoyens à travers des droits et protections accordés
aux parties prenantes autres que les propriétaires » (LAVILLE, 1997, p. 234). Dans le cadre
dâune Ă©conomie plurielle (EME, LAVILLE, 1994), la redistribution publique serait ainsi
lâinstitution qui incarnerait lâ« encastrement de lâĂ©conomie dans la politique » tandis que la
rĂ©ciprocitĂ© « traduit parallĂšlement un encastrement de lâĂ©conomie dans la culture » (LAVILLE
et al, 2000, p. 16).
1.4. Des déterminations simples aux influences réciproques
Société comme chez POLANYI dans une vision holiste trop surplombante, mais aussi réseaux
sociaux, institutions, culture, politique forment autant de âcontextesâ dâencastrement de lâagir
Ă©conomique, quâil soit rĂ©duit au marchand dans la plupart des analyses ou quâil soit Ă©tendu, ce
3 Sur cette émergence des institutions, il nous faut croire en cette affirmation, sans que beaucoup de preuves ne soient administrées de maniÚre convaincante. 4 LEVESQUE et al, 2001, p. 138 qui renvoie à DIMAGGIO P. (1994), « Cultural aspects of economic action and organization », in FRIEDLAND R., RICHARDSON A. F., Beyond the Market Place : Rethinking Economy dans Society, Aline de Gruyter, New York, p. 113-136.
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qui nâest pas sans poser dâautres problĂšmes, au non-marchand et Ă la rĂ©ciprocitĂ©. PolysĂ©mie
qui, sans doute, peut donner lieu Ă une mobilisation conjointe pour une sociologie
Ă©conomique (LAVILLE et al, 2000, p. 16), mais qui nâen demeure pas moins prĂ©occupante du
point de vue du statut de la notion dâencastrement, de sa comprĂ©hension et de ses usages.
Quâest-ce qui encastre et quâest-ce qui est encastrĂ© ? Ces sphĂšres encastrĂ©es ou encastrantes,
rĂ©ifiĂ©es pour les besoins de lâanalyse, ont-elles cette consistance quâon leur prĂȘte ou bien leurs
frontiÚres ne deviennent-elles pas indéfinissables comme le souligne HONNETH pour
lâĂ©conomie et la culture, le systĂšme et le monde vĂ©cu (HONNETH, 2006, p. 276) ?
La rĂ©ciprocitĂ© â ou le capital social â qui serait encastrĂ©e dans les mondes vĂ©cus nâest-elle pas
parfois encastrĂ©e â et plus souvent quâil nâest dit â dans le monde des entreprises â et, dans
certaines situations, encastrante de celui-ci ? Se focaliser sur un socioculturel ou du politique
qui encastrerait le marchĂ©, nâest-ce pas dâune certaine façon occulter bien des actions
rĂ©ciproques oĂč lâĂ©conomie transforme aussi les autres sphĂšres dâactivitĂ© qui, Ă leur tour,
peuvent influer sur lâagir Ă©conomique. Reprenant un mot de BACHELARD, la figure de
lâencastrement ne surdĂ©termine-t-elle pas la pensĂ©e alors quâelle « masque la dĂ©termination »
(BACHELARD, 1967, p. 89-90) ? Ne surdĂ©termine-t-elle pas la relation dâenglobement
intériorité-extériorité, infériorité-supériorité, informé-informant entre des sphÚres réifiées tout
en occultant des déterminations plus fines qui se seraient jamais que réciproques et
sâinscriraient dans des rapports sociaux (de pouvoir) en suggĂ©rant des liens
dâinterdĂ©pendance, dâinteraction ou dâinterconnexion entre des acteurs ?
2. UNE SOCIETE SURFACE SANS ENCASTREMENT Cet encastrement aurait plus à voir avec une ancienne psychologie des profondeurs sociétales
â un sociĂ©tĂ© organique â quâavec une sociĂ©tĂ© de la seconde modernitĂ© qui sâaplatit jusquâĂ un
horizon mondialisĂ© et dont les logiques â Ă©conomiques, sociales, culturelles â
sâinterpĂ©nĂštrent et sâinfluencent rĂ©ciproquement tant dans la vie ordinaire des individus quâau
niveau de leurs sphĂšres dâactivitĂ©.
2.1. Une ancienne société des profondeurs
HypothĂšse, lâencastrement ne renverrait-il pas Ă la rĂ©surgence dâune vieille reprĂ©sentation de
la société, sans doute fatiguée mais pertinente encore du temps de POLANYI5, qui de la
5 On pense Ă la synthĂšse de PARSONS T. et SMELSER N. (1956), Economy and Society. A Study in the Integration of Economic et Social Theory, Routledge & Kegan Paul, London, in SWEDBERG, 1994, p. 119 sq.
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cosmologie grecque au structuro-fonctionnalisme, exprime lâidĂ©e dâun grand corps
théologique, social ou politique, un grand Tout unitaire qui englobe ses parties comme autant
dâorganes liĂ©s dont certains influent sur dâautres qui en dĂ©pendent ?
Pour ce qui concerne les sociĂ©tĂ©s, et dans le cas de la France, on a pu faire lâhypothĂšse de la
persistance dâune reprĂ©sentation thĂ©ologico-politique de la souverainetĂ© (EME, 2006). Câest
que dans le prolongement de la philosophie politique et sociale depuis Platon, bien des
sociĂ©tĂ©s sâĂ©taient reprĂ©sentĂ©es comme unitĂ© et entiĂšretĂ© corporelle thĂ©ologico-politique,
incorporant leurs membres par lâintĂ©gration (religieuse, puis par le travail couplĂ© Ă la
citoyenneté) qui sera plus tardivement pensée comme mécanique ou organique (DURKHEIM,
1986). Tout au long de lâhistoire, lâintĂ©gration ne fut jamais reprĂ©sentĂ©e quâĂ travers la
métaphore corporelle (BALANDIER, 1985), argumentée de maniÚre théologico-politique au
cours du Moyen Age et fondations des argumentations ultĂ©rieures. La sociĂ©tĂ© Ă©tait un corps â
corpus mysticum de la sociĂ©tĂ©-Ăglise dans le Christ comme corps mortel et immortel, puis,
corps du roi, âun et indivisibleâ, âmortel et Ă©ternelâ, corps de la RĂ©publique âune et
indivisibleâ, corps imaginaire des travailleurs produit par le droit du travail et crĂ©ant la
fraternité (SUPIOT, 1994).
Cette représentation de la société peut-elle encore prétendre à une quelconque validité ? Il y a
peu encore dans les annĂ©es soixante, une telle reprĂ©sentation pouvait sans doute sâadmettre.
Lâincorporation citoyenne dans lâĂtat-nation (SCHNAPPER, 1991) sâarticulait Ă©troitement Ă
lâunitĂ© identifiante du salariat (CASTEL, 1995), fondĂ©e sur le droit du travail ; malgrĂ© bien des
ombres, cette alchimie politico-Ă©conomique dâune Ă©conomie salariale nationale formait un
grand tout dont le fondement, un temps, fut le fordisme qui sâappuyait sur « une organisation
quasi-militaire de la production, donnant le tout comme primant sur la partie » (COHEN, 1999,
p. 78) selon le métarécit du progrÚs à travers la valeur travail. Cette représentation était
renforcĂ©e par lâentrelacement de formes sociĂ©taires et communautaire, ces derniĂšres
garantissant lâunitĂ© de certains corps et une normativitĂ© commune (la famille organique
patriarcale complĂ©mentaire de lâĂtat social, les solidaritĂ©s ouvriĂšres, les communautĂ©s
rurales) tandis que les institutions imposaient des normes légitimes. Malgré la pauvreté, les
inĂ©galitĂ©s, les mouvements sociaux, tout semblait âse tenirâ de maniĂšre intĂ©grative autour de
lâutopie politique de « la sociĂ©tĂ© du travail » (HABERMAS, 1990, p. 109) construite sur
lâarticulation de la sociĂ©tĂ© industrielle, lâĂtat et la nation.
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2. 2. La crise de la notion de société
Il nous faut passer par lâhypothĂšse dâune crise de la notion mĂȘme de sociĂ©tĂ©. Selon TOURAINE,
la société comme « ensemble fonctionnel national » (DUBET, 1994, p. 51) ou, encore, comme
âsociĂ©tĂ© nationale salarialeâ (EME, LAVILLE, 1994) ne serait plus objet recevable de la
sociologie, poursuivant ainsi une crise de la sociologie classique qui ne date pas des décennies
80-90. Si crise de la reprĂ©sentation sociologique de la sociĂ©tĂ© il y a, celle-ci pourrait nâĂȘtre
pas sans rapport avec la globalisation comme « circulation », comme « accélération des flux
de capital, dâĂȘtres humains, de marchandises et dâimages et dâidĂ©es » (ABELES, 2008, p. 37-
38).
Ainsi, dans une perspective culturelle qui met en question toute forme dâencastrement, il en
résulte de constantes recompositions identitaires, des cultures métisses, hybrides « faisant
appel à différents registres de significations issus de flux différents » (ABELES, 2008, p. 48) et
imposant des processus constants de traduction, loin du multiculturalisme qui finalement
renvoie à un essentialisme des cultures (BHABHA, 2007, p. 16). Un détour par les études
postcoloniales offre un nouveau regard sur les sociĂ©tĂ©s : ce qui serait lâobjet de la sociologie
ne serait plus tant ces sociétés que les interactions incessantes et les flux entre des ensembles
humains, les emprunts réappropriés et transformés et les exportations réutilisées et traduites,
les hybrides sociétaux qui sont autant de lisiÚres sociétales. Emprunts traduits et réciproques
dâimaginaires, de symboliques, dâargent, de marchandises dans des flux qui ne cessent de se
croiser, dans leurs remaniements constants tant politiques, sociaux ou culturels, dans leur
appropriation dans un chassĂ©-croisĂ© constant dâinventions de codes et de normes hybrides. Ce
nâest pas tant le plein des sociĂ©tĂ©s qui paraĂźt prometteur que leurs lisiĂšres, tant internes que
âfrontaliĂšresâ, oĂč se jouent les inventions de leurs interactions croisĂ©es, dans les tensions
entre global et local (ABELES, 2008). Le local ne cesse de sâhybrider dans ses tensions avec
les flux hybrides du global qui parcourent un monde-surface6
2.3. Une monde de régulations multiples
Ă lâancienne reprĂ©sentation, ne faut-il pas en substituer une autre, sociĂ©tĂ© cartographique
mondialisée à plat (SLOTERDIJK, 2006) de captation et de mise en formes des ressources
naturelles, artificielles et humaines oĂč se brouillent les frontiĂšres entre les sphĂšres dâactivitĂ©
des individus, oĂč le global nâest que du localisĂ©, sans englobement, et le local du globalisĂ©
6 Un livre offre un Ă©tonnant travail sur « lâAtlantique noir » (GILROY, 2003, p. 19).
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sans encastrement (LATOUR, 2006), sans supĂ©rioritĂ© de lâun sur lâautre, les deux Ă©tant inscrits
dans des rĂ©seaux dâacteurs en interdĂ©pendance dans des rapports de pouvoir. Dans les
Ă©conomies de proximitĂ©, dans les pratiques dâinsertion (EME, 2006), des ârĂ©gulations de
contrĂŽleâ (REYNAUD, 1988, 2003) sâexercent sous de multiples modes (LAVILLE, NYSSENS,
2001) et, parfois, non sans contradictions.
Mais, elles sont en tension Ă travers des processus de nĂ©gociation, dâalliance, de conflit entre
les acteurs avec la production de normes locales et autonomes qui, à un moment donné,
peuvent devenir globales. Ainsi, la norme du âparcours individualisĂ© dâinsertionâ qui sâest
gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă partir du RMI et du CFI provient dâune production locale dâacteurs associatifs et
administratifs (EME, 2006), issue du refus de la norme dâassistance, considĂ©rĂ©e comme
illĂ©gitime. Le local devient global. Et, dâautres fois, le global se localise tout en Ă©tant traduit et
reconfiguré.
Dans son ontologie des profondeurs, lâencastrement ne rend guĂšre compte de la complexitĂ© de
rĂ©gimes dâexistence pluriels qui sâentrelacent, se connectent et se dĂ©connectent dans de
multiples modes dâinfluence rĂ©ciproque sur une « sociĂ©tĂ© surface » (LATOUR, 2006).
Cette figure de lâentrelacement, et celle du nĆud (nodus) qui lui est liĂ©e, exprime les
interactions entre des rĂ©gimes dâexistence, souvent complexes et, parfois, insolubles dans leur
rĂ©solution (le nĆud gordien). Des principes sâen dĂ©gagent : celui de la multiplicitĂ© des
rĂ©gimes dâexistence qui sâentrelacent au sein de champs diluĂ©s de la sociĂ©tĂ© (social, culture,
économique), celui de la distinction qui suppose de dégager les sinuosités de chaque régime
dâexistence et sans les confondre, celui de la prĂ©dominance dâun rĂ©gime dâexistence sur les
autres7 â dans lâentrelacement mĂȘme de leur multiplicitĂ© â Ă un moment donnĂ©, dans une
situation dĂ©terminĂ©e sans que dâailleurs les acteurs collectifs ou individuels ne vivent ou ne se
reprĂ©sentent la situation de la mĂȘme maniĂšre en suscitant des disputes ou des controverses
(LATOUR, 2006), soit un autre principe, celui de la dispute qui permet de dégager les principes
de justification des acteurs, et, enfin, celui du principe de nĆuds qui, dispositifs, objets,
personnes, sont des échangeurs, tout à la fois « médiateurs-transformateurs » et connexions de
rĂ©gime dâexistence par des « traducteurs » (LATOUR, 2006). Ces principes se substitueraient Ă
une pensée du contexte.
7 Les termes employĂ©s par POLANYI ne sont pas sans ambiguĂŻtĂ©s de ce point de vue : mainmise, prĂ©pondĂ©rance, subalternitĂ©, ne renvoient pas forcĂ©ment Ă une reprĂ©sentation de lâencastrement, mĂȘme si lâon ne peut dĂ©nier la âprĂ©pondĂ©ranceâ de lâembededdeness.
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2.4. Singularités et régulations
En deçà de toute pensĂ©e gĂ©nĂ©ralisante en termes dâencastrement, il faut ĂȘtre attentif aux
singularitĂ©s, aux Ă©vĂšnements dans leur maillage et leur gĂ©nĂ©alogie; lâencastrement gĂ©nĂ©ralise
trop vite et trop tĂŽt. Quâest-ce que cet objet quâon appelle âentreprise dâinsertionâ. Non pas
lâentreprise dâinsertion, mais une entreprise dâinsertion, telle celle du Ciedil dans le bassin
stĂ©phanois dans les annĂ©es 80-90 qui surgit Ă un moment donnĂ© de lâhistoire de lâinsertion par
un travail aidĂ© en critique radicale des formes antĂ©rieures dâinsertion (EME, 2006) : le travail
social nâa produit que des pseudo-entreprises qui conduisent Ă une forme dâassistance par un
travail sur des marchés protégés ; elles se refusent à affronter la concurrence sur les marchés
locaux et ne peuvent ainsi former que des salariés déclassés, peu performants car inattentifs
aux contraintes des marchés et aux exigences des clients.
Mais, paradoxalement, elle inscrit aussi son action Ă©conomique et formative dans lâimaginaire
dâune solidaritĂ© ouvriĂšre (le bassin de Saint Etienne) qui, pourtant, sâeffondre aprĂšs les
convulsions des années 70. Nul encastrement, mais des généalogies de la solidarité portées
par le directeur et les encadrants (ouvriers ùgés au chÎmage). Figure syndicale reconnue dans
les luttes antérieures, le directeur est le traducteur entre les multiples cultures du bassin
stĂ©phanois, le patronat chrĂ©tien quâil a combattu dans les annĂ©es 70, le syndicat CFDT,
lâuniversitĂ© de Saint Etienne, des rĂ©seaux de bĂ©nĂ©voles, les instituts de formation, les acteurs
du dĂ©veloppement local. Les rĂ©seaux sociaux nâencastrent rien, sinon eux-mĂȘmes, ils se
construisent, ils sâamplifient, ils se ramifient, ils produisent des idĂ©es, des mĂ©diations, des
transformations (idĂ©es, savoirs, savoir-faire). Le Ciedil devient le dispositif/Ă©changeur oĂč
lâĂ©conomique, la formation et le dĂ©veloppement local sâarticulent en mettant en forme locale,
en les reconfigurant, en les liant les diverses politiques sectorielles publiques.
Le local est bien aussi la traduction, mais aussi la mise en cohérence du global. Chargé de
mission Ă lâANPE, le directeur est aussi le lien avec le global (ANPE et UNEDIC) qui
cherche à produire une innovation locale. Ce local comme quatre autre expériences devient le
âmodĂšleâ pour la production de nouvelles normes centrales des entreprises dâinsertion8. Le
local devient, transformé et traduit, de la norme centrale qui se diffusera, non sans des
réappropriations locales (EME, 2006). Le Ciedil est le lieu de régulation stratégique entre de
multiples logiques et rÚgles locales des pouvoirs : rÚgles des administrations décentralisées,
des collectivités territoriales, rÚgles et normes réinvesties de la solidarité ouvriÚre, rÚgles des
8 Circulaire du 24 avril 1985 relative au programme de soutien aux entreprises intermédiaires.
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syndicats et des associations multiples. Ainsi, cette entreprise dâinsertion rĂ©gule, non sans
difficultĂ©, une pluralitĂ© de rĂ©gimes dâexistence des individus, des objets (les machines outils
récupérées dans de grandes entreprises), des textes et des discours qui renvoient à des régimes
de justification multiples de lâaction.
2.5. âPetites citĂ©sâ et tensions entre des logiques dâaction
Concernant la pluralitĂ© des rĂ©gimes dâexistence, ce qui fait ainsi une des spĂ©cificitĂ©s de
lâĂ©conomie sociale et solidaire, câest « cette pluralitĂ© des intervenants, des ressources et des
registres de justification de lâaction » (GADREY, 2000). Mais, les ressources marchandes,
ressources publiques, ressources de la réciprocité ou du capital social relÚvent, elles aussi,
dâune multiplicitĂ© de rĂ©gulations croisĂ©es et de principes de justification quâil faut dĂ©mĂȘler
patiemment. Au regard des âĂ©conomies de la grandeurâ (BOLTANSKI, THEVENOT, 1991 ;
BOLTANSKI, CHIAPELLO, 1999), on pourrait engager un travail sur de âpetites citĂ©sâ, hybrides
ou non, pour affiner les régimes de justification des actions. Si en premiÚre approximation,
lâĂ©conomie sociale et solidaire renvoie Ă des mondes composites qui hybrident plusieurs citĂ©s,
en particulier â et de maniĂšre primordiale â, celles du civique et du domestique familier et
localisĂ©, en mĂȘme temps on peut questionner une trop grande montĂ©e en gĂ©nĂ©ralitĂ© de ces
cités pour rendre compte finement des pratiques et des organisations de cette économie.
Seule, sans doute, une sociologie pragmatique pourrait rendre compte de mondes plus âpetitsâ
et de leurs tensions.
Un exemple, la citĂ© civique renvoie chez BOLTANSKI et THEVENOT Ă lâeffacement des
individualitĂ©s au profit de lâattachement aux personnes collectives qui reprĂ©sentent la volontĂ©
commune et lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ; lâindividualitĂ© reprĂ©sente un âĂ©tat de petitesse et de dĂ©chĂ©ance
de la citĂ© civiqueâ. Mais nâassiste-t-on pas Ă un remodelage profond de ce civique ancien dans
nombre dâexpĂ©riences ? On constate lâĂ©mergence de nouveaux engagements, « plus
distanciĂ©s » (ION, 1997), qui mettent en avant le je au dĂ©triment du nous et sâinscrivent dans
une action immĂ©diate et localisĂ©e (BARTHELEMY, 2000), sans grande rĂ©fĂ©rence Ă un intĂ©rĂȘt
gĂ©nĂ©ral et Ă un rĂ©cit collectif ; mĂ©fiants Ă lâĂ©gard des anciennes formes de dĂ©lĂ©gation qui
reprĂ©sentaient lâordre de grandeur de la citĂ© civique (ION et al, 2005), ils promeuvent
davantage un civique délibératif, sans hiérarchie, ou, encore, un civique de coordination en
rĂ©seau sur des problĂšmes ad hoc : une autre citĂ© sâest instituĂ©e dans les pratiques â une citĂ©
civique individualisée et ramifiée.
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En retenant le principe thĂ©orique de lâĂ©laboration de citĂ©s plus petites, assises Ă partir dâune
sociologie pragmatique, la sociologie Ă©conomique se pencherait ainsi sur les tensions entre
des logiques plurielles dâaction, parfois antagonistes. En cela, elle serait respectueuse de la
pluralitĂ© des mondes dâexistence des choses et des ĂȘtres ainsi que de leurs reconnaissances
socioculturelles. Rompant avec une sociologie des profondeurs, la sociologie Ă©conomique
deviendrait dâune certaine façon deleuzienne, multiplicitĂ© de devenirs rhizomiques (DELEUZE,
GUATTARI, 19769).
3. SOCIOLOGIE ECONOMIQUE ET PATHOLOGIES
3.1. Normativité et apories
Question normative, lâencastrement lâest aussi. Lâutopie de lâĂ©conomie de marchĂ© entraĂźne
des effets désastreux : « Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir
la substance humaine et naturelle de la sociĂ©tĂ©, sans dĂ©truire lâhomme et sans transformer son
milieu en désert » (POLANYI, 1983, p. 2210). Bien que légitime dans les disciplines sociales
(CAILLE, 1993), cette approche mĂ©rite dâĂȘtre distinguĂ©e de la dĂ©marche Ă©pistĂ©mologique.
Dâun point de vue normatif, lâencastrement est affirmation, dâune maniĂšre ou dâune autre, de
la régulation souhaitable ou désirable des pratiques économiques par une extériorité
(relations sociales, institutions) qui en restreint les pathologies. EncastrĂ© dans dâautres
sphĂšres, lâagir Ă©conomique est dirigĂ© par un sens et des normes qui, analytiquement, relĂšvent
pour partie de celles-ci ; plus encore, normativement, il serait ainsi maßtrisé dans ses
débordements pathogÚnes.
Pourtant, et dans le mĂȘme temps, bien des courants paraissent dĂ©noncer lâautonomisation
dĂ©sencastrĂ©e de lâĂ©conomie, productrice de pathologies, qui obligerait Ă la rĂ©encastrer dans
une extĂ©rioritĂ© politique. Plus ou moins implicitement, ce rĂ©encastrement est condition dâune
âvie bonneâ oĂč sâatteignent des normes justes de sociabilitĂ© ou de solidaritĂ©. Aporie donc : on
analyse lâĂ©conomie comme encastrĂ©e, mais au regard de certaines normes de la vie bonne on
la montre du doigt comme désencastrée en entraßnant des pathologies sociales et
individuelles. Pour Ă©viter lâaporie, on peut concevoir les relations entre Ă©conomie et sociĂ©tĂ© en
termes de tension entre dĂ©sencastrement et « rĂ©encastrement dĂ©mocratique de lâĂ©conomie
9 Il est ainsi parlĂ© de « la structure fractale et ryzomorphique de cette formation internationale et transculturelle » appellĂ©e Atlantique noir (GILROY, 2003, p. 19). 10 Mais, selon POLANYI, les mesures que la sociĂ©tĂ© a dĂ» prendre pour Ă©viter dâĂȘtre dĂ©truite par le marchĂ© autorĂ©gulateur a conduit Ă de nouveaux dangers, totalitaristes.
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dans lequel la rĂ©fĂ©rence Ă la solidaritĂ© sâavĂšre primordiale » (LAVILLE, 2006, p. 254).
Assisterait-on Ă des mouvements incessants dâencastrement et de dĂ©sencastrement Ă propos
desquels on nous dit trop peu ?
Néanmoins, dans cette perspective, un autre problÚme théorique apparaßt : le réencastrement
social, culturel ou politique est (pratiquement) toujours reprĂ©sentĂ© comme une âbonne choseâ.
En particulier, le rĂ©encastrement politique comme si lâĂtat Ă©tait monolithique, homogĂšne,
mais aussi garant dâune neutralitĂ© axiologique, de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et dâune dĂ©mocratie
vivante. Câest sans doute faire lâimpasse dâune sociologie du fonctionnement de lâĂtat au
regard dâun Ătat figĂ© dans des discours normatifs.
3.2. Economie sociale et solidaire et Ătat
Ce thĂšme se retrouve dans les critiques de lâĂ©conomie sociale et solidaire (HELY, 2008) ;
celle-ci, plus encore depuis son institutionnalisation sans débats à la fin des années 1990,
thĂšse qui nâest guĂšre juste, oeuvrerait Ă la dĂ©rĂ©gulation des institutions publiques (« la
âprivatisation du public ») et Ă une « publicisation du privĂ© » (entreprises citoyennes,
responsabilité sociale (HELY, 2008)11. Réencastrée au sein des politiques publiques, cette
Ă©conomie serait avant tout un « monde du travail » et lâoutil dâune recomposition du salariat,
de plus en plus précaire, en brouillant les frontiÚres entre le public et le privé autour de la
notion dâutilitĂ© sociale qui se substituerait Ă celle dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
On concentrera lâattention sur lâargument logique de lâĂtat et des institutions publiques. Si
HELY appelle à « entreprendre une véritable sociologie du travail associatif » (HELY, 2008),
câest aussi Ă une vĂ©ritable sociologie de lâĂtat quâil faut se rĂ©fĂ©rer. En creux de lâargument, on
est renvoyĂ© Ă un Ătat qui, en dĂ©finitive, « dispose du monopole de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral » (HELY,
2008) et qui lâincarnerait dans la rĂ©alitĂ© socio-politique. Privatisation associative du public,
publicisation entrepreneuriale du privĂ© visent Ă remettre en cause ce monopole dâun Ătat qui
serait âbonâ dans sa figure de grand garant de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Ce supposĂ© Ătat est-il bien
celui que lâon voit fonctionner, dans ses multiples rouages, depuis sa construction progressive
au XIXe siĂšcle ? Est-il aussi le garant dâun rĂ©encastrement dĂ©mocratique de lâĂ©conomie
(LAVILLE, 2006, p. 254) ? Il y a lĂ matiĂšre Ă interrogation.
Sans entrer dans une perspective marxienne âdureâ oĂč lâĂtat nâest finalement que le reflet de
lâinfrastructure productive, on peut mettre en doute, dans la fabrique des politiques publiques,
11 Sous de multiples formes, cette analyse est récurrente depuis le XIXe siÚcle.
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la visĂ©e et lâatteinte dâun intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dont beaucoup ont montrĂ© depuis longtemps quâil
nâest quâun leurre (CHEVALLIER). Cet Ătat purement rationnel â proprement hĂ©gĂ©lien â dans
ses attendus de gĂ©nĂ©ralitĂ© nâest-il pas quâun Ătat purement formel et idĂ©al perpĂ©tuel qui serait
garant dâun intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dont la rĂ©alitĂ© relĂšve en fait dâune vulgate peu sociologique et peu
comprĂ©hensive des phĂ©nomĂšnes socio-Ă©conomiques et sociopolitiques du rĂŽle de lâĂtat dans
ses rapports Ă la sociĂ©tĂ© civile engagĂ©e et Ă lâĂ©conomie de marchĂ© ?
Aporie, cette privatisation associative du public et cette publicisation entrepreneuriale du
privĂ© ne sont possibles que grĂące Ă lâĆuvre lĂ©gislative, mais aussi idĂ©ologique, de lâĂtat. Sous
ses multiples sous-systĂšmes, lâĂtat est de fait un acteur multiple en conflit, en nĂ©gociation, en
alliance avec dâautres acteurs ; ses actions demandent Ă ĂȘtre jugĂ©es du point de vue de leur
justification et de leur rĂ©alisation concrĂšte en termes de justice, dâĂ©galitĂ© des citoyens, de
redistribution et de solidaritĂ©, et dâun supposĂ© intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dont il serait le garant.
Pour dâautres dâauteurs qui planchent sur lâĂ©conomie sociale et solidaire, lâencastrement dans
le politique, le social (les réseaux sociaux) et le culturel serait finalement bénéfique. Cette
âinfluenceâ du socioculturel ou du politique ne peut-elle ĂȘtre aussi productrice de pathologies
et dâeffets pervers ? Exemple sans doute extrĂȘme, lâencastrement de lâagir Ă©conomique dans
les rĂ©seaux maffieux nâest peut-ĂȘtre pas si digne et Ă©mancipatoire que cela. Lâencastrement de
lâĂ©conomie dans le politique peut conduire au nĂ©olibĂ©ralisme ou Ă des connivences malsaines
du politique avec les sphĂšres Ă©conomiques contrairement aux principes de justice de WALZER
(1997) et il nâest nâest sans doute pas plus digne et Ă©mancipatoire. On peut autant en dire de
lâencastrement des pratiques Ă©conomiques dans des communautĂ©s fondĂ©es sur des traditions
et non ouvertes, des réseaux de notables qui visent à la reproduction du pouvoir.
La problématique des sphÚres de justice de WALZER ainsi que celle des économies de la
grandeur de BOLTANSKI et THEVENOT suggĂšrent dâautres approches que celle de
lâencastrement. Sans tomber dans un relativisme postmoderne, ne faut-il pas ĂȘtre attentif Ă une
pluralité de mondes socio-économiques et culturels qui, en concurrence, possÚdent leurs
propres grammaires et leurs façons « de spécifier le bien commun » légitime (BOLTANSKI,
THEVENOT, 1991, p. 28) ? Si des controverses entre ces mondes sont possibles et souhaitables
dans des sociĂ©tĂ©s dites de dĂ©libĂ©ration dĂ©mocratique, il faut cependant ĂȘtre attentif aux
situations oĂč des jugements dĂ©passent leur sphĂšre de pertinence et sâappliquent Ă des actions,
des ĂȘtres et des organisations dâun autre monde dont les principes de justice (WALZER, 1997)
ou les ordres de grandeur sont diffĂ©rents. Un principe de non pertinence sâen dĂ©gage qui
invalide les jugements portĂ©s. Câest cette pluralitĂ© de mondes quâil faut dĂ©gager en suggĂ©rant
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leurs grammaires spĂ©cifiques que la notion dâencastrement, dans sa vision normative, tend Ă
effacer. De ce point de vue normatif, on pourrait sans doute parler de la nécessaire séparation
des mondes comme principe de justice, mais aussi de vérité.
3.3. Encastrement et rapports sociaux de pouvoir
Dans sa dimension normative, la notion dâencastrement renvoie ainsi Ă des sphĂšres dâoĂč
sâĂ©vapore la question principielle des rapports sociaux de pouvoir entre acteurs, au sein et
entre les institutions, entre sphĂšres instituĂ©es dâactivitĂ©s, entre sociĂ©tĂ© civile, Ă©conomie de
marchĂ© et Ătat, entre globalisation Ă©conomique et territorialisation politique.
Lâautonomie de lâĂ©conomie sociale et solidaire, canonisĂ©e dans nombre de textes de ces
groupements ou de paragraphes publics sâen trouve questionnĂ©e. Si encastrement politique il
y a, celui-ci ne serait pas sans travers : selon des effets de pouvoir qui tiennent aux cordons
publics de la bourse, il déporte les associations de leurs orientations axiologiques propres en
sapant leur autonomie â principe dâune division dĂ©mocratique de la sociĂ©tĂ© (LEFORT, 1983) â
vers la rĂ©alisation de valeurs dâefficience et dâefficacitĂ© qui sont ceux dâune bureaucratie
fonctionnelle dont lâemprise rend hĂ©tĂ©ronome la sociĂ©tĂ© civile et lâampute de ses capacitĂ©s de
changement. Cette Ă©conomie nâest pas encastrĂ©e, mais inscrite dans des rapports de pouvoir et
de ârĂ©gulations de contrĂŽleâ dans des tensions avec de multiples pouvoirs politico-
administratifs dont la logique nâest pas uniforme, mais pluraliste.
Mais, lĂ encore, il faut se mĂ©fier dâune thĂšse trop globale pour ĂȘtre plausible, celle dâune
domination politique sans partage sur ces Ă©conomies. Elles font preuve dâune inventivitĂ© qui
transgresse leurs normes propres ou des normes publiques et dont on peut mesurer les apports
de sens et de valeurs à la société (utilité sociale, capital social, développement humain ou
durable, exercice dâune dĂ©mocratie pratique, solidaritĂ©s vĂ©cues). Mais, cette inventivitĂ© est
souvent masquĂ©e par les procĂ©dures de contrĂŽle ou les mĂ©thodes dâĂ©valuation, issues
dâinstances publiques : au lieu de prendre en compte le fourmillement inventif et transgressif
des pratiques, souvent désordonné, ces procédures ou ces méthodes se penchent avant tout sur
la mesure de lâĂ©cart Ă une normativitĂ© dont les dispositifs de gestion sont lâincarnation12. Au
12 Les normes sont faites pour ĂȘtre dĂ©tournĂ©es par lâaction des individus qui ne cessent de produire des Ă©carts dans leur vie Ă la norme. Câest revenir Ă Canguilhem, le si rigoureux philosophe/mĂ©decin du ânormal et du pathologiqueâ (CANGUILHEM, 1975) pour qui « ⊠une norme ne vaut que par les Ă©carts quâelle institue. LâĂ©cart, loin de sâopposer Ă la norme, en rĂšgle donc le cours. » (BLANC LE, 2007a, p. 39-40). Voir aussi BLANC LE, 2007b.
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lieu de produire des controverses fécondes à partir de ces pratiques qui sont toujours écart à la
norme, évaluations et contrÎle les gomment de la réalité sociale.
Cette thĂšse globale de la domination et de lâhĂ©tĂ©ronomisation se heurte dâautre part Ă la
coproduction politique de pratiques, de politiques, de régimes de coordination par les acteurs
privĂ©s et publics. Les pratiques et politiques dâinsertion furent pour beaucoup dâentre elles le
fruit dâune co-production entre les milieux associatifs et les diverses instances politico-
administratives et nombre dâentre elles sont issues dâacteurs associatifs qui, aprĂšs-coup,
reçurent une reconnaissance publique, non sans standardisation bien entendu. MĂȘme si les
rapports de pouvoir sont asymétriques, les logiques publiques dépendent réciproquement
dâune constellation dâorganisations dâĂ©conomie solidaire. Tout dâabord, du fait de leur
capacité créatrice inventant des organisations nouvelles et mettant en cause certaines
institutions. Ensuite, par la mise en cohérence des logiques sectorielles politico-
administratives. Enfin, par la crĂ©ation dâinstitutions intermĂ©diaires dans les territoires locaux
favorisant des passerelles entre des demandes sociales, souvent issues de la sphÚre privée, et
des rĂ©ponses locales. Instrumentant lâĂ©conomie solidaire, les acteurs publics ne cessent de
dĂ©pendre de ce quâils instrumentent. Ces pratiques socio-Ă©conomiques obligent lâĂtat Ă
lĂ©gitimer de nouvelles dĂ©marches, Ă valider comme bien public des biens divers, quâils soient
communs ou dâutilitĂ© sociale tels quâils ont Ă©tĂ© soumis Ă lâĂ©preuve publique. Dans ces
rapports ambivalents, les acteurs publics sont ainsi contraints Ă une tĂąche de renouvellement
du bien public.
Si cette thÚse dans sa globalité mérite circonspection, en revanche, on constate depuis plus de
dix ans un renforcement du « processus dâautonomisation sous contrĂŽle de la sociĂ©tĂ© civile »
et de ses acteurs (EME, 2006) Ă travers une double rĂ©gulation globale, lâune verticale et
hiĂ©rarchisĂ©e, lâautre horizontale et territoriale. Bien entendu, lâune et lâautre sont multiples,
non sans tensions, entre de multiples sphĂšres dâexpertise et de technicitĂ© des institutions
politiques et des gouvernances partenariales et territoriales qui tentent dâimposer leurs normes
gestionnaires. Il nâest pas certain que la notion dâencastrement puisse en rendre compte.
CONCLUSION
Si on devait en rester Ă cette notion dâencastrement, un tel geste ne signifie-t-il pas que lâon
doit avant tout se pencher sur lâindividu lui-mĂȘme qui se dĂ©sencastrerait dorĂ©navant, telle la
figure tourainienne du Sujet, tout Ă la fois des mondes socioculturels et des institutions
affaiblies tout en étant encastré de plus en plus dans des structures économiques en
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renouvellement (consommation, production) ? Une problĂ©matique de lâencastrement /
dĂ©sencastrement concernerait finalement les sujets (sociaux) dans leur rĂ©alisation de soi, Ă
distance réflexive et subjective du social, des rÎles sociaux et des contexte socioculturels
dâaction, mais, en mĂȘme temps, encastrĂ©s dans une production/consommation Ă©conomique
dont la âtoileâ devient lâinscription en faisant appel Ă la subjectivitĂ© des individus ? Tension
nouvelle dans ses modalités et perçues par les sujets sociaux dans leurs mondes vécus
fragilisés.
Câest que du cĂŽtĂ© des supports sociaux, culturels et institutionnels des individus, ceux-ci se
fragilisent devant la montĂ©e de lâidentitĂ© de lâindividu-trajectoire dans lâeffritement des
anciennes communautĂ©s (ouvriĂšres, rurales, de voisinage), des identitĂ©s dâappartenance
(eux/nous) et les identités liées à la famille patriarcale organique malgré les persistances
dâethnonationalismes, de communautĂ©s et de certaines identitĂ©s religieuses : la crise majeure
des identifications collectives â la crise des identitĂ©s (DUBAR, 2000) â qui faisaient sens pour
chacun et donnaient des contextes et supports sociaux est désormais un constat banal.
Progressivement, aux imaginaires collectifs et aux trajectoires collectives de métarécits,
inscrits par des pratiques symboliques dans la réalité sociale (GODELIER, 2007), se substitue la
prĂ©dominance de la figure de la trajectoire individuelle, de lâindividu-trajectoire, « institution
du soi » (ERHENBERG, 1998, p. 15 ; DUBAR, 2000) qui doit sâidentifier Ă soi-mĂȘme, produire
ses propres normes de vie, ĂȘtre responsable de soi, âentrepreneur de soiâ (BECK, 2001),
construire son identité narrative (RICOEUR, 1990; DUBAR, 2000) en tentant sans cesse de
donner cohĂ©rence Ă ce cheminement (EME, 2006). Travail des individus sur eux-mĂȘmes, sans
cesse remis en chantier. Renversement des rapports entre les individus et les collectifs oĂč ces
derniers perdent leur prépondérance et deviennent un réservoir de ressources pour les
premiers dans leur dĂ©sir de se rĂ©aliser et dâatteindre ce quâils se sont promis dâeffectuer.
Lâencastrement dans des contextes signifiait influences, contraintes, pressions,
ordonnancement des rĂŽles sociaux. Quâen est-il dĂ©sormais de ces extĂ©rioritĂ©s individuelles
quand les acteurs sociaux en jouent comme dâimmenses rĂ©servoirs de pouvoir pour assumer
leur trajectoire individuelle ? Un déplacement du sens des rapports entre individus et
collectifs se joue sans quâon puisse bien le nommer et lâapprĂ©hender. Sâil y a
dĂ©sencastrement, câest bien celui-ci qui paraĂźt prĂ©pondĂ©rant, mettant au dĂ©fi lâĂ©conomie
sociale et solidaire dâinventer de nouveaux rapports entre les individus et les collectifs.
BIBLIOGRAPHIE ABELES M. (2008), Anthropologie de la mondialisation, Payot, Paris.
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BACHELARD G. (1967), La formation de lâesprit scientifique, Librairie philosophique J. Vrin, Paris.
BALANDIER G. (1985), Le détour. Pouvoir et modernité, Fayard, Paris.
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