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Analyse des alternances codiques dans la production orale
des futurs enseignants en classe de français langue
étrangère (FLE) a l’école normale supérieure de Somanya
au Ghana.
James Kofi Agbo (PhD)
Department of Applied Modern Languages & Communication
Ho Technical University
Résumé Cette recherche porte sur l’alternance codique dans la production orale
des futurs enseignants en classe de français langue étrangère (FLE. L’étude vise à
examiner comment les futurs enseignants déploient l’alternance codique comme
stratégie de communication orale au cours de FLE. Pour effectuer ce travail, notre
étude adopte une approche mixte (quantitative et qualitative d’analyse des données.
Les instruments utilisés pour la collecte des données comprennent questionnaire et
l'enregistrement audiovisuel. La population cible de notre étude comprend 77
apprenants de l’École Normale Supérieure de Somanya au Ghana. Les résultats de
l’analyse quantitative nous servent d’indices pour appréhender l’intensification de
l’emploi alternatif des deux langues (français et anglais) dans la production orale.
Par ailleurs, l’articulation des deux approches, macro et micro, nous permet de
mettre en valeurs les fonctions que revêt l’alternance codique aussi bien dans le
discours épilinguistique des locuteurs que dans leurs pratiques langagières réelles.
L’étude montre également que l’alternance codique est une façon de parler, qui
contribue chez nos enquêtés, d’une part au développement du répertoire verbal en
interaction et amène à une convergence codique. D’autre part, elle remplit
plusieurs fonctions en tant que stratégie stylistique et fonctionne comme une
ressource permettant de réguler les tours de parole en interaction.
Mots-clés : Alternance codique, production orale, choix de langue, discours
épilinguistique, FLE
Abstract This research focuses on code switching in the oral presentation of trainee
teachers in French as a foreign language (FLE) class. The study seeks to examine
how future teachers deploy code switching as an oral communication strategy
during FLE. To draw on the intricacies of this phenomenon, this study adopts a
mixed approach (quantitative and qualitative data analysis. The instruments used
for data collection include questionnaire and audiovisual recording. The target
population of our study includes 77 learners from the Mount Mary College of
Education Somanya in Ghana. The results of the quantitative analysis serve as clues
to comprehend and appreciate the intensification of the alternate use of the two
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languages (French and English) in oral presentation. Moreover, the articulation of
the two approaches, macro and micro, allows us to highlight the functions of code
alternation both in the epilinguistic discourse of the speakers than in their actual
language practices. The study also shows that code switching is a way of speaking,
which in our investigations contributes on the one hand to the development of the
verbal repertoire in interaction and leads to code convergence. On the other hand,
it fulfills several functions such as serving as a stylistic strategy and a resource for
regulating turns during a speech event.
Keywords: Code switching, oral presentation, choice of language, epilinguistic
discourse, FLE
1. Introduction
L’emploi d’une langue autre que la langue cible dans un cours de langue a
été le sujet de réflexion de nombreux chercheurs notamment Causa (2002),
Christensen et Palani (1999), Cambra et Naussbam (1997), Castelloti
(1991) et Kramsch (1991). Ces études considèrent le passage d’une langue
a l’autre dans un cours de langue comme un fait ordinaire. La plupart des
chercheurs ont noté même que l’alternance codique est une stratégie
d’appui importante dans la classe de langue puisqu’elle remplit des
fonctions importantes comme encadrer les activités et aussi organiser les
activités et la circulation de la parole en classe. Selon Hamers et Blanc
(1983) : « L’alternance de codes (code-switching) est une stratégie de
communication utilisée par des locuteurs bilingues entre eux ; cette
stratégie consiste à faire alterner des unités de longueur variable de deux ou
plusieurs codes à l’intérieur d’une même interaction verbale. » C’est l’une
des stratégies les plus courantes des bilingues entre eux, l’alternance met en
œuvre des stratégies verbales qui construisent du sens et elle constitue une
ressource communicative complexe au service des bilingues. En ce qui
concerne la problématique, la présente étude est née d’une interrogation sur
les phénomènes d’alternance et de mélange de langue, sur ce qui permet,
dans des situations de contacts de langues, de les identifier, de les
comprendre et de les différencier. L’alternance et le mélange du français
avec l’anglais ont attiré notre attention dès la première recherche que nous
avons effectuée au niveau de master sur l’analyse des interactions verbales,
il y a de cela 5 ans. Notre questionnement sur le mélange de ces langues a
pris forme lors de nos enquêtes de terrain effectuées à l’École Normale
Supérieure de Somanya où nous avions eu l’occasion d’observer des
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pratiques langagières diverses. Les apprenants de français au Ghana ne
peuvent pas s’exprimer à l’oral (Associates for Change, 2010 : 32). Bien
peu d’entre eux sont capables de soutenir une petite conversation
improvisée en français après des centaines d’heures de cours. Notre
observation aussi révèle que les futurs enseignants ont tendance à alterner le
code pour assurer la communication en classe.
Dans cet article, nous examinons l’emploi d’alternance codique comme
stratégies de communication orale dans la production orale en classe.
Comme problématique, nous partons du fait qu’une étude sur l’acquisition
d’une langue étrangère (LE) ne peut faire abstraction du rôle joué par les
langues en présence et en contact, ce qui nous amène à prendre en compte
les phénomènes de l’alternance quoiqu’autrement dit en acquérant une LE,
l’apprenant peut faire appel à ces connaissances antérieures. La recherche
que nous nous proposons de mener part de l’hypothèse que l’emploi de
l’alternance codique en classe de langue, loin de représenter une solution de
facilité pour l’apprenant ou un simple indice d’incompétence, constitue une
aide, qui assure l’efficacité de la communication et constitue un tremplin
pour l’apprentissage (Moore 1996).
Notre recherche s’articule autour des questionnements suivants : 1)
Quel est l’apport de l’alternance codique dans la prise en charge des
difficultés d’expression pouvant survenir lors de la communication orale ?
2) Faut-il sanctionner les différents recours à la langue seconde, ou bien au
contraire permettre la compréhension des interlocuteurs ? 3 Est-ce que les
professeurs de français encouragent les futurs enseignants à l’emploi de
l’anglais durant les cours de français ?
Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons proposé
trois hypothèses :
1. les futurs enseignants de FLE à l’école Normale Supérieure
sont persuadés que l’usage d’anglais dans un cours de français
est efficace.
2. l’alternance codique est employée pour éviter les difficultés de
compréhension.
3. le professeur exige que les futurs enseignants recourent à
l’anglais d’un temps à l’autre.
L’alternance codique comme stratégie de communication orale a suscité
beaucoup d’intérêts chez des linguistes et des didacticiens. La manifestation
de cet intérêt se définit par les nombreuses études réalisées dans le domaine
surtout en français langue étrangère. Yiboe (2010) a effectué une étude sur
« Enseignement/Apprentissage du Français au Ghana : Écarts entre la
culture d’enseignement et la culture d’apprentissage ». Joakim (2011) a
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effectué un travail intitulé l’alternance codique dans l’enseignement du
FLE. Kodjo (2012) a aussi travaillé sur l’alternance codique dans la classe
de FLE au niveau Junior High School. Abdelmalek & Adel (2016), ont
travaillé sur l’alternance codique dans l’enseignement/apprentissage des
langues étrangères au lycée : cas de Bejaia. Boukhemis & Redjeb (2017) a
abordé un travail sur l’alternance codique chez les apprenants du cycle
secondaire Cas des apprenants de la troisième année du cycle secondaire.
En considérant les études abordées par les chercheurs ci-dessus et d’autres,
nous avons constaté que leurs travaux portent sur l’interaction verbale en
classe de FLE. Nous voulons aussi indiquer que ces études que nous avons
citées, se situent dans le même contexte que la nôtre. Notre article est
subdivisé en quatre parties. Dans un premier temps, nous avons commencé
par l’introduction. La deuxième partie est consacrée au cadre théorique et
les études empiriques. Ensuite, nous avons présenté la méthodologie du
travail. Nous consacrons la quatrième partie à l’analyse des données
recueillies et enfin tiré une conclusion.
2. Cadre théorique
Dans cette partie, nous abordons la notion d’alternance codique dans un
cours de FLE. Nous définissons quelques concepts pertinents pour notre
travail. En plus, nous présentons quelques travaux relatifs à notre sujet.
Nous présentons ensuite quelques-unes des caractéristiques définitoires de
l’alternance codique afin de mettre en valeur quelques aspects communs à
toutes les définitions, et ce, dans le but de rendre compte des critères qui
amènent à caractériser les pratiques langagières « bilingues » entre
locuteurs apprenants/enseignants.
Théorie du choix des langues
Pour l’application de certains procédés dans notre travail, il est nécessaire
pour nous d’inscrire notre analyse à une théorie étant donné les
caractéristiques sociales des participantes et de leurs pratiques langagières.
Découvrir comment se fait le choix des langues chez un locuteur bilingue
n’est pas une chose aisée vu le nombre de facteurs d’ordre différents
(sociologiques, psychologiques et situationnels) qui le motivent.
Les dimensions socio-psychologiques : la théorie de l’accommodation
Les recherches en psychologie sociale ont contribué à l’enrichissement de
l’étude sociolinguistique sur la question du choix de langue et sur le
bilinguisme. La théorie de l’accommodation de Giles, et al., 1987 ; Giles et
150
al., 1991) s’est appuyée, en partie, sur les facteurs proposés par Fishman,
Blom et Gumperz (1986) en prenant en compte à la fois les facteurs
psychologiques et les facteurs sociaux pour déterminer le choix des
langues. La théorie de l’accommodation est une théorie de la psychologie
sociale de la communication qui met l’accent sur l’ensemble des
comportements relatifs au changement de langue et aux modifications
langagières qui résultent de l’interaction entre les interlocuteurs. À côté de
ces considérations on peut ajouter les stratégies d’accommodation de Giles
et al. (1991) divisées en stratégies de convergence et de divergence. Pour la
première, les locuteurs s’adaptent au comportement communicatif de leurs
interlocuteurs, ce qui donne à ces derniers l’avantage de réduire les écarts.
Pour la seconde, le locuteur cherche la conformité à la situation tout étant
conscient des différences. En s’intéressant au phénomène de choix des
langues comme un cas de divergence ou de convergence, aux niveaux
macro-sociolinguistique et micro-sociolinguistique, la théorie de
l’accommodation adoptée par Giles et al. (ibid.) distingue entre
l’accommodation totale et partielle. Ce qui a amené, au plan micro-
sociolinguistique, à différencier l’alternance codique comme un cas
d’accommodation totale, du mélange de codes comme un cas
d’accommodation partielle.
Parler bilingue, locuteurs bilingues, plurilinguisme
L’étude de l’alternance codique (ou « code switching » dans la terminologie
anglosaxonne) comme phénomène résultant du bilinguisme remonte au
début des années soixante-dix, notamment avec Gumperz (1972). Cela
s’explique que l’usage alternatif de deux langues était si longtemps défini
comme une incapacité langagière et non comme une compétence bilingue.
Depuis un certain temps, l’étude de l’alternance codique a connu un nouvel
essor notamment avec l’élargissement du champ conceptuel autour du
terme de bilinguisme. La notion de parler bilingue permet de mettre
l’accent sur la compétence bilingue du sujet parlant qui lui permet « de
passer d’une langue à l’autre dans de nombreuses situations si cela est
possible ou nécessaire, même avec une compétence considérablement
asymétrique » (Lüdi & Py, 2003 : 131). Être bilingue, c’est choisir lors des
échanges des formes linguistiques appartenant aux langues que le locuteur
maîtrise peu ou prou. Ainsi, dans une perspective plus large, on a tendance
à parler de plurilinguisme en s’écartant des points de vue qui mettent
l’accent sur l’usage parfait de deux langues comme le souligne Matthey
(2000 : 5) : « mettre l’accent sur le plurilinguisme revient souvent à
valoriser les compétences partielles dans les différentes langues du
151
répertoire, alors que le terme bilinguisme renvoie le plus souvent à une «
maîtrise parfaite » des deux ».
La notion d’alternance codique
Il convient de souligner de prime à bord, que les recherches portant sur
l’alternance codique ont fourni une terminologie abondante (Zongo, 2004 :
14) du fait de la complexité de chaque situation observée et/ou étudiée sous
des angles divers. Dans la configuration des conversations des locuteurs
immigrés/non-immigrés, l’examen de l’alternance codique constitue un
observable essentiel pour mettre en évidence les caractéristiques du parler
bilingue comme conséquence du contact des deux langues. La mobilisation
stratégique des ressources langagières bilingues au niveau de la
conversation montre en effet la complexité de la tâche aussi bien au niveau
de la connaissance des langues que la capacité de communiquer en se
servant de celles-ci. Comme tous les phénomènes qui découlent des
contacts des langues, l’alternance codique requiert une attention particulière
dans la recherche sociolinguistique du fait des caractéristiques des pratiques
langagières de chaque communauté linguistique et des langues qu’elle
emploie. En effet, l’étude de cas permet d’une manière ou d’une autre de
dégager des types d’alternance codique et par conséquent de proposer
d’autres traits définitoires. À la différence de l’emprunt lexical, l’alternance
codique apparaît comme un phénomène englobant tous les autres
phénomènes qui découlent du plurilinguisme. De même, pour Hamers et
Blanc (1983 :445), il s’agit « d’une stratégie de communication utilisée par
des locuteurs bilingues entre eux ; cette stratégie consiste à faire alterner
des unités de longueur variable de deux ou plusieurs codes à l’intérieur
d’une même interaction verbale ». Quant à Lȗdi et Py (2003 : 146), ils
confirment que « l’alternance codique est un passage d’une langue à l’autre
dans une situation de communication définie comme bilingue par les
participants”, cette définition s’avère peu satisfaisante dans la mesure où
elle n’apporte pas assez de précision sur la manière qui permet de passer
d’une langue à l’autre. Calvet (2003 :28) dit : « Lorsqu’un individu est
confronté à deux langues qu’il utilise tour à tour, il arrive qu’elles se
mélangent dans son discours et qu’il produise des énoncés bilingues ».
[Ceci s’explique que dans une situation de communication où l’individu
s’est confronté par le manque du lexical], il ou elle est obligé(e) d’utiliser
une autre langue pour combler le vide.
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L'alternance codique d'un point de vue interactif et communicatif Le code linguistique est l’une des stratégies d’expression et de
communication, le sujet bilingue peut, à travers ce dernier, résoudre des
problèmes, s’exprimer librement et intervenir dans des échanges
quelconques. En Algérie, en tant que pays plurilingue, ce phénomène est
trop remarqué dans des différentes situations de communication et les gens
parlent environ quatre langues. Ils ont l’habitude d’alterner l’arabe dialectal
et le français dans leurs discours d’une manière quotidienne. Dans le
domaine éducatif, l’arabe est la langue dominante depuis les années 1962.
Par contre, le français et l’anglais sont présents beaucoup plus dans le
domaine scientifique. Comme nous avons déjà signalé, l’alternance ne peut
être réalisée si un locuteur maîtrise seulement une seule langue. Par ailleurs,
le changement du sujet de discussion n’a aucune relation avec le passage
d’une langue à une autre parce que ce dernier est lié au statut de seconde
langue. Si un algérien discute sur un sujet d’informatique, il parle en arabe
mais il faut exprimer les instruments de l’informatique en français
puisqu’ici il s’agit d'un sujet scientifique. Les types de l'alternance codique
: La typologie de code switching se diffère d'un chercheur à un autre selon
la vision de chacun. Selon Gumperz (1989), l'alternance codique peut avoir
deux types majeurs :
L'alternance codique situationnelle : Ce type est caractérisé par les
circonstances de la communication, c’est-à-dire, tous ce qui concernent la
conversation, les changements de sujet ou l’objet de discussion, le contexte,
le lieu et les interlocuteurs, « […] l’alternance codique situationnelle qui
prévaut dans le cadre d’une diglossie voire d’un bilinguisme attesté ou des
variétés distinctes ». L’alternance situationnelle est également présente
dans tous les échanges diglossiques qui sont en contact d’un bilinguisme et
elle dépend des variétés utilisées dans diverses situations associées avec le
genre d’activité et le contact entre le locuteur et l’interlocuteur doit être
différent.
L’alternance codique conversationnelle (métaphorique) : Elle représente
les différentes modifications inconscientes qui se fournissent d'une façon
automatique dans un même échange verbal, contrairement au premier type,
sans changer le sujet de discussion ou d'interlocuteur à condition que le
code utilisé soit compréhensible pour les usagers, c'est-à-dire, ils doivent
avoir des langues dans lesquelles leurs façons d’interpréter sont communes
pour les participants. Elle est aussi appelée code switching ou code mixing,
utilisée dans les conversations quotidiennes et familières des locuteurs.
Selon la perspective de Poplack (1988), pour distinguer les types de
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l'alternance, il faut analyser la structure syntaxique des segments combinés.
Par la suite, elle a constaté qu'il existe trois types d'alternances :
Intra-phrastique
Inter-phrastique
Extra-phrastique
L’alternance intra-phrastique : Elle se manifeste par la combinaison de
deux structures syntaxiques de deux langues différentes à l'intérieur d'une
même langue, « des structures syntaxiques appartenant à deux langues
coexistent à l'intérieur d'une même phrase. » (Poplack1988). Par exemple :
Demain, je serai à Ain-Timouchent inchallah. Dans cet exemple, le type de
l'alternance est marqué par la juxtaposition de deux structures qui
appartiennent à des langues différentes (français et arabe) dans un même
énoncé.
L’alternance inter-phrastique : Elle concerne l'association de deux unités
plus longues dans une même chaîne parlée. Le locuteur fait le recours à ce
type pour faciliter l'échange ou pour éclaircir la conversation (le tour de
parole est partagé par deux locuteurs différents).
Exemple : My name is Mohamed, je suis un étudiant à l'Université de
Tébessa.
3. L’alternance extra-phrastique : Ce type intervient lorsqu' il s'agit des
proverbes ou des expressions idiomatiques. Aussi, Gumperz (1989) ajoute
que l'alternance codique conversationnelle est composée, à son tour, d'une
multitude de fonctions en citant : la citation, la désignation d'un
interlocuteur, la réitération qui désigne la reformulation de discours,
personnalisation vs objectivation qui sert à insister sur le degré
d'implication du locuteur dans un message, c’est-à-dire, exprimer le point
de vue de l'interlocuteur. Selon Dabene et Billiez (1984) : cette typologie
consiste à analyser les parlers des jeunes immigrés, elle s'appuie beaucoup
plus sur l'intégration des éléments des langues en présence. Il s'agit ici, de «
l'alternance - intervention » selon la prise de parole de chaque locuteur dans
un échange verbal. D'une manière complémentaire, ces deux sociologues
ajoutent une autre classification en ce qui concerne leurs typologies de
code-switching : l’alternance interintervention qui ne peut être réalisée qu'à
l'intérieur d'une même intervention. En outre, celle-ci est segmentée en
deux catégories : (i) l'alternance inter-acte : réalisée entre deux actes de
parole différents. (ii) l'alternance intra-acte : qui se produit dans un même
acte de parole.
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Études empiriques
Cette partie de notre article évoque quelques thèses et articles
portant en partie sur notre sujet.
Ali-Bencherif, (2009) a fait une étude sur « l’alternance codique arabe
dialectal/français dans des conversations bilingues de locuteurs algériens
immigrés/non-immigrés ». L’objectif principal de sa recherche est de
décrire et de comprendre les usages alternatifs de l’arabe dialectal et du
français dans les pratiques langagières des locuteurs immigrés/non-
immigrés et leur impact sur la réactivation et la transformation des
répertoires verbaux lors des conversations. Son étude a privilégié une
approche mixte d’analyse des données. Ses instruments de collecte des
données comportent une observation participante de classe, un
questionnaire et un entretien semi-dirigé adressé aux immigrés/non-
immigrés. Les analyses des données quantitatives tirées de l’enquête
‘‘macro’’ (questionnaire écrit et un entretien semi-dirigé), qui concernent
les contributions des enquêtés sur les langues qu’ils pratiquent ou qu’ils
estiment maîtriser, ont permis de constater que les faits résultant de la
présence de plusieurs langues, que ce soit l’immigré ou les non-immigrés,
s’accompagnent de différentes représentations et attitudes envers les
pratiques socio-langagières. En fait, les enquêtés sont conscients des
caractéristiques bilinguistiques nées du contact de l’arabe dialectal avec le
français, notamment de la pratique courante de l’alternance codique que la
majorité juge nécessaire et normale.
Yiboe (2010) a effectué une étude intitulée
Enseignement/Apprentissage du Français au Ghana : Ecarts entre la culture
d’enseignement et la culture d’apprentissage. Il consacre une partie de son
étude à l’alternance codique en classe de FLE, ce que nous trouvons
nécessaire pour notre étude. Dans cette thèse, Yiboe explique que
l’alternance des langues joue plusieurs rôles pouvant faciliter l’acquisition
de la langue étrangère dans un milieu où le français n’est parlé qu’en classe
de FLE. Selon lui, l’alternance codique constitue une source de motivation
pour le jeune apprenant à qui les expressions manquent pour s’exprimer
dans la langue étrangère. Yiboe avance donc une hypothèse selon laquelle
les perceptions de l’alternance qu’ont les lycéens ghanéens opèrent
prioritairement dans l’expression de leur point de vue en anglais dans le
cours de français. Il dit, alors, que les apprenants n’ont pas de besoin
linguistique en français pour communiquer. Un discours métalinguistique
en français n’intéresse pas les apprenants, ajoute-t-il. Le changement de
code en classe de FLE vise donc à faciliter la compréhension des notions
grammaticales plutôt que de contribuer à une pratique de communication.
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Nous allons aller au-delà des affirmations de Yiboe pour voir les formes de
la notion d’alternance des langues qui se jouent en classe de FLE et
comment l’enseignant les emploie en tant que stratégie interactive.
Joakim (2011) a abordé un travail sur l’alternance codique dans
l’enseignement du FLE sur l’étude. Étude quantitative et qualitative de la
production orale d’interlocuteurs suédophones en classe de lycée. L’objectif
de son étude est d'étudier la quantité de suédois et de français produite par
les enseignants et les élèves dans la classe de langue étrangère et, d'autre
part, d'examiner dans quelles situations les interlocuteurs commutent les
codes et à quelles fins les deux langues sont utilisées. Son étude est basée
sur des données empiriques consistant en enregistrements audio
d'interactions ayant lieu dans deux classes différentes en Suède. L'étude est
menée dans une perspective interactionniste sur l'enseignement et
l'apprentissage des langues, en soulignant que l'apprentissage se situe dans
les pratiques sociales et interactionnelles des apprenants. Le matériel
empirique a été classé en cinq groupes différents selon la structure de
participation de chaque interaction, puis analysé en deux parties différentes,
l’une est quantitative et l’autre est qualitative. L'analyse quantitative du
corpus a établi que la langue suédoise est présente dans chacune des
catégories. Les résultats du décompte de chaque tour et mot prononcé dans
chaque langue du corpus montrent que de nombreux tours exprimés par les
enseignants et les élèves consistent en un mélange de suédois et de français.
Cette commutation entre différents codes est l'objet principal de l'analyse
qualitative du corpus. Les résultats de l’analyse qualitative indiquent que la
structure de participation et le choix des types d’activités et la manière dont
ils sont organisés en classe sont déterminants pour le changement de code
des enseignants et des élèves. En outre, les actions des enseignants
concernant le choix de la langue pour l'interaction ainsi que leurs stratégies
pour faire face à la présence des deux langues sont concluantes pour la
production orale des élèves en français en classe. L'analyse révèle
également que plus les enseignants utilisent la langue cible de manière
cohérente, plus les élèves essaient de s'exprimer en français même s'ils
changent souvent de code. L'étude souligne la complexité de parler français
dans un contexte de classe, où les enseignants doivent faire face au fait que
la langue suédoise est presque toujours présentée et utilisée par les
apprenants à des fins différentes.
Une autre étude qui mérite notre attention est celle de Kodjo (2012). Ce
dernier a travaillé sur l’alternance codique dans la classe de FLE au niveau
Junior High School à Ho. Selon le chercheur, la problématique à enquêter
consiste à déterminer, à partir des pratiques pédagogiques, la place de
156
l’alternance codique en classe de FLE. Il a indiqué que le problème n’est
pas seulement ce qu’il faut enseigner mais comment l’enseigner. En ce qui
concerne les instruments pour la collecte des données, Kodjo (2012) a
déployé l’observation et le questionnaire pour recueillir des informations
fiables : (a) la fréquence de l’alternance codique chez les apprenants de
français au Collège, (b) les méthodes employées par les enseignants dans
l’enseignement du FLE au Collège, et (c) les conditions dans les écoles, sur
le plan de l’effectif par niveau, les manuels et les compétences et diplômes
des enseignants. Il a utilisé un appareil enregistreur pour recueillir le corpus
oral. Enfin, dans cette étude, il a voulu focaliser son attention sur le
traitement d’un phénomène linguistique circonscrit, à savoir les passages
d’un code à l’autre dans les interactions entre l’enseignant et de l’apprenant
en classe de FLE. Cette étude a également comme finalité de proposer des
pistes pédagogiques pouvant contribuer à l'amélioration de l'enseignement
et favoriser la pratique du FLE au Junior High School au Ghana.
Marte (2013) a abordé un travail sur l’usage de l’alternance codique dans
les cours de français en Norvège : Analyse de son utilisation dans trois
cours de première année au lycée. L’objectif de ce travail est d’examiner si
l’usage de l’alternance codique favorise la communication ou
l’apprentissage dans les cours. La problématique posée dans ce travail est
comme ceci : « comment est-ce que l’alternance codique est utilisée dans
l’enseignement au lycée en Norvège chez l’enseignant et l’apprenant ?» Le
chercheur a employé la méthodologie qualitative pour les collectes des
données. Les instruments utilisés pendant la recherche sont notamment les
entretiens et l’observation durant trois cours de langue étrangère au lycée.
Les participants sont des enseignantes et des apprenants et aussi une
assistante française qui a été observée et interviewée. Les entretiens et les
observations sont enregistrés en audio et ensuite les enregistrements sont
transcrits. Les enseignantes changent de langue le plus souvent, notamment
en basculant vers la LM. Cependant, quand il y a des séquences plutôt
spontanées nous remarquons que les apprenants prennent l’initiative de
changer le code. Ces choix peuvent avoir plusieurs raisons, mais la
compréhension est souvent impliquée soit par les enseignantes soit par les
apprenants. Les apprenants, dans tous les cours observés emploient la LM
parce qu’il est plus facile de s’exprimer dans celle-ci plutôt qu’en LM. De
plus, il nous semble qu’ils se sentent plus à l’aise quand ils emploient le
norvégien. Alors, les apprenants utilisent leur LM pour faciliter la
communication et la compréhension.
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Enfin, l’étude de Boukhemis & Redjeb (2017) porte sur
l’alternance codique chez les apprenants du cycle secondaire Cas des
apprenants de la troisième année du cycle secondaire. L’objectif de cette
recherche est de démontrer que les apprenants alternent les codes après un
sentiment d’insécurité linguistique en français. Pour la réalisation de cet
article, il a opté pour une méthode d’investigation et de la recherche du
terrain. Il a élaboré alors des questionnaires à l’intention des apprenants et
des professeurs. Le questionnaire vise à recueillir des données qui pourront
répondre à nos hypothèses du départ qui est le rôle de l’alternance des
codes dans le processus de l’apprentissage du français comme étant une
langue étrangère. En ce qui concerne le résultat, nous avons constaté qu’à
partir de son enquête effectuée sur le terrain et en analysant les réponses des
apprenants nous concluons que ces derniers éprouvent une grande difficulté
en communiquant en français, ils considèrent ainsi qu’il s’agit d’une langue
assez difficile pour la majorité d’où le recours à l’alternance des codes. Il
faudrait ajouter également que de ce fait, le passage à la langue française
qui est une langue cible se fait par un va-et-vient à la langue maternelle
(langue source) qui appuie leurs communications en français. De même,
notre recherche nous révèle que l’apprenant est partagé entre deux milieux
différents, un milieu formel, son lycée et son milieu informel, sa famille,
son entourage, qui devraient éveiller son intérêt à l’apprentissage du
français vu la place primordiale qu’il occupe dans la société algérienne et
surtout qu’il est la première langue des études académiques cependant, ces
apprenants sont confrontés au manque de motivation et d’aide parentale.
Pour conclure cette partie de l’étude, nous pouvons dire que les
concepts et les travaux évoqués dans cette partie sont très importants pour
notre étude dans la mesure où ils nous expliquent et nous présentent des
exposés sur notre domaine d’étude, alternance codique en classe de FLE.
Par exemple, nous sommes exposés aux différentes théories et concepts qui
sont à la base de la communication orale dans une classe de langue. Nous
pouvons aussi parler des méthodologies employées pour chercher des
solutions aux problèmes identifiés dans les travaux empiriques.
3. Méthodologie de la recherche
Cette étude est une recherche exploratoire en classe de FLE à
l’Ecole Normale Supérieure de Somanya au Ghana. Ce travail relève d’une
recherche menée dans le but d’enquêter sur analyse des alternances
codiques dans la production orale des futurs enseignants en classe de FLE à
l’École Normale Supérieure de Somanya au Ghana. Notre étude a adopté
158
une approche mixte (quantitative et qualitative) d’analyse des données.
Alors, afin de collecter des données sur la stratégie (alternance codique) en
question, nous avons utilisé deux outils de collecte des données qui
comprennent le questionnaire et l’enregistrement audiovisuel. Le
questionnaire a permis de recueillir des données quantitatives sur les
procédés adoptés par les futurs enseignants pendant les cours en classe
tandis que la production orale a permis d’enregistrer des données verbales
se prêtant à une analyse qualitative. Notre public d’enquête est composé de
80 futurs enseignants en deuxième année de licence qui sont à la formation
initiale à l’Ecole Normale Supérieure de Somanya. Pour remplir le
questionnaire, 77 sur 80 futurs enseignants en cours de licence au
Département de français de l’École Normale Supérieure de Somanya se
sont portés volontaires. En ce qui concerne l’enregistrement audiovisuel
comme outil de collecte des données, nous avons d’abord sélectionné 34
futurs enseignants par échantillon aléatoire simple au sein de 2 groupes. Par
l’usage d’une caméra et d’un enregistreur numérique, les échanges
caractérisant la partie compréhension et argumentation de l’épreuve ont été
enregistrés. Ce dispositif d’enregistrement nous a permis de collecter des
données extra-langagières (gestuelles, mimiques, signes d’inconfort,
silences et pauses, bégaiements, signes de panique, etc.) qui révèlent le
handicap des étudiants et permettent aussi de vérifier les données recueillies
par questionnaire. Alors 34 futurs enseignants (soit 60,1%) ont fait l’objet
de notre enregistrement. Pour identifier les participants aux échanges
communicationnels, nous avons adopté les abréviations suivantes : EN :
représente l’enseignant, A1, A2, etc. renvoient aux participants au débat A
qui correspond aux futurs enseignants du premier groupe (première séance).
B1, B2, etc. renvoient aux participants au débat B qui correspond aux futurs
enseignants du deuxième groupe (deuxième séance). L’abréviation Einc:
représente l’apprenant inconnu. L’identité de ces futurs enseignants n’est
pas connue parce qu’ils ne sont pas captés par l’appareil quand ils prennent
la parole et GC : représente le groupe classe, tous les futurs enseignants.
Nous allons à présent présenter les résultats de l’enquête. Dans ce qui suit,
nous allons analyser l’alternance codique des apprenants dans les deux
cours que nous avons enregistrés.
159
4. Présentation et analyse de données quantitatives et qualitatives
Analyse quantitative : description du questionnaire
Cette partie prend en compte l’analyse de données quantitatives et
qualitatives. En ce qui concerne le questionnaire, des diverses questions
posées et les réponses fournies ont permis d’obtenir des taux de
pourcentages par question. Pour permettre une meilleure visibilité des
données recueillies, nous les avons rangées dans des tableaux.
Tableau 1 : Fréquence de communication en classe
Réponse Fréquence
Pourcentage
Souvent 28 36,4
Quelquefois 38 49,4
Rarement 6 7,8
Non réponse 5 6,5
Total 77 100
Dans les salles de cours, la présence des enseignants oblige les futurs
enseignants à communiquer en français. Selon le tableau ci-dessus, 28
apprenants, soit 36,4%, disent qu’ils parlent souvent le français en classe de
FLE. Quant au thème choisi par leur enseignant en classe de FLE, 38
apprenants, soit 49,4%, stipulent qu’ils parlent parfois le français durant un
cours de français. Par contre, 6 apprenants, représentant 7,8%, disent qu’ils
parlent rarement le français en classe.
Tableau 2 : Pourcentage des enquêtés ayant des difficultés à
communiquer avec les professeurs
Réponse Fréquence Pourcentage
Oui 62 80,5
Non 15 19,5
Total 77 100
Le tableau 2 montre qu’une majorité des apprenants, soit 80,5%, éprouvent
des difficultés à communiquer oralement en français avec leurs professeurs
de français, alors que 15 apprenants, soit 19,5%, indiquent qu’ils n’ont pas
de difficultés à parler en français avec leurs professeurs de français.
160
Tableau 3 : La langue la plus parlée par les professeurs en classe
Réponse Fréquence Pourcentage
Anglais 72 6,5
Français 5 93,5
Total 77 100
Le tableau 3 montre la langue la plus parlée par les professeurs de FLE au
cours de français. À partir de ce tableau, nous avons remarqué que 72
apprenants, soit 93,5 %, indiquent que la langue la plus parlée par les
professeurs est le français, 5 apprenants, soit 6, 5%, stipulent que la langue
la plus parlée par les professeurs est l’anglais.
Nature de difficultés à communiquer avec les professeurs
Tableau 4 : Pourcentage des enquêtés ayant difficultés à communiquer
avec les professeurs
Réponse Fréquence Pourcentage
Oui 62 80,5
Non 15 19,5
Total 77 100
Le tableau 4 ci-dessous montre qu’une majorité des apprenants, soit
80,5%, éprouvent des difficultés à communiquer oralement en français avec
leurs professeurs de français, alors que 15 apprenants, soit 19,5%, indiquent
qu’ils n’ont pas de difficultés à parler en français avec leurs professeurs de
français.
Tableau 5 : Nature des difficultés des enquêtés à communiquer avec
leurs professeurs de français
Réponse Fréquence Pourcentage
1 Peur de faire des fautes 38 22,1
Manque de vocabulaire pour
exprimer.
55 31, 9
2
Problème de conjugaison en
grammaire
29 16,9
3
Difficulté de constructions
grammaticales
29 16,9
4 Manque de fluidité 21 12,2
Total 172 100
161
D’après le tableau 5, les difficultés des enquêtes peuvent être catégorisées
sous formes de :
Difficultés d’ordre psychologique (réponse 1), Difficultés d’ordre
linguistique : lexique (réponse 2) et morphosyntaxe (3 & 4), Difficultés
liées à la prosodie (réponse 5).
Considérant le tableau ci-dessus, nous avons constaté que 38 apprenants,
soit 22,1%, affirment avoir peur de faire de fautes (difficulté d’ordre
psychologique). Ils semblent être concernés par le souci de ménager leur
image devant leurs camarades. Alors que, les difficultés d’ordre
linguistique sont prédominantes. Pour la majorité des enquêtés, les
problèmes de communication se manifestent en terme de lacunes lexicales
(réponse 2) morphosyntaxiques (réponses 3& 4). Pour ces enquêtés, les
problèmes de communication en français concernent la compétence
linguistique, à savoir la maitrise des règles syntaxiques et l’utilisation du
vocabulaire approprié. De ce fait, 55 apprenants, (représentant 31,9%), ont
signalé qu’ils manquent de vocabulaire pour s’exprimer en français au
cours de FLE, alors que 29 apprenants, soit 16,9%, ont aussi indiqué qu’ils
ont des problèmes de conjugaison en grammaire quand ils parlent en classe
de français ; de plus, 29 futurs enseignants, soit 16,9%, ont dit qu’ils ont
des difficultés de constructions en grammaire.
Enfin, pour le manque de fluidité des apprenants enquêtés, les difficultés
portent sur des phénomènes prosodiques. 21 apprenants enquêtés, soit
12,2%, affirment que la lenteur du débit est un frein à une communication
fluide lorsqu’ils sont en cours de FLE. Il est effectivement probable que
cette lenteur du débit soit interprétée comme un signe d’incompétence par
les apprenants. Par ailleurs, le manque de fluidité peut ralentir la
communication dans certaines situations et provoquer le changement de
code.
Tableau 6 : Utilisation de l’alternance codique en classe
Item Fréquence Pourcentage
Jamais 11 14,3
Rarement 19 24,7
Quelquefois 30 39,0
Souvent 12 15,5
Toujours 5 6,5
Total 77 100
162
Selon le tableau 6, 30 apprenants, soit 39,0%, ont répondu qu’ils alternent
quelquefois le code dans une classe de FLE, 19 apprenants, soit 24,7%, ont
dit qu’ils alternent rarement le code en classe. En plus, 12 apprenants, soit
15,6%, ont indiqué qu’ils alternent souvent le code pendant les cours de
classe, 5 apprenants, représentant 6,5%, ont affirmé qu’ils alternent
toujours les langues en classe de FLE ; quant à 11 apprenants, soit 14,3 %,
ils ont répondu qu’ils n’alternent jamais le code au cours de français.
Analyse qualitative des matériaux enregistrés
Les séquences ci-dessous montrent bien le recours à l’alternance codique
qui est provoqué, soit par la non-connaissance de certains mots en français,
soit par le manque lexical dans la langue cible.
Recours à alternance codique (emploie de l’anglais)
Les recours à l’anglais dans les extraits ci-dessous (exemples…), la
difficulté lexicale se manifeste dans la plupart des cas par une hésitation
suivie d’une pause et/ou par une répétition qui indique l’activité de
recherche lexicale effectuée par le sujet qui opte finalement pour
l’alternance codique (passage à l’anglais) comme stratégie de
compensation. La séquence suivante, tirée de la production orale des
apprenants, aborde le phénomène de manque lexical dans les interactions
orales.
Cours I
Extrait I
A3 Mais ce qu’on va faire, par exemple prenons le cas de la
Ghana, le Ghana ce n’est pas un pays c’est-à-dire l’Anglais
n’est pas notre langue maternelle donc arrive à le parler, donc
depuis ce CP ou bien à base âge, on introduit à l’enfant, donc
il arrive à acquérir les mots et les vocabulaires, donc de CEP1
let’s say class 6, de basic up
to basic six.
En ce qui concerne extrait 1 du premier cours, on constate que l’apprenant,
au cours de son interaction, recours à l’anglais « … donc il arrive à acquérir
les mots et les vocabulaires, donc de CEP1 « let’s say class 6, de basic up
to basic six ». Cette attitude de l’apprenant n’est pas considérée comme
manque de vocabulaires mais plutôt l’apprenant a choisi d’employer
l’anglais pour transmettre son message.
163
Extrait 2
A8 Les pays Francophones et Ghana sont des voisins, donc, c’est
nécessaire pour prendre leur culture euh au nous sommes euh,
euh…
EN1 Tu peux dire ça en anglais, c’est-ce que tu …
A8 When we come together, we all perform our culture to
appreciate it.
EN1 C’est-à-dire si euh nous nous réunissons, euh c’est bon
d’apprécier les cultures des uns et des autres. N’est-ce pas ?
A8 Oui
Extrait 5
A8 Quand euh personne, euh va apprendre euh euh langue
étrangère euh que cette personne ne peut pas prêter lui-même
ou bien parler avec d’autre personne qui n’est pas euh, il ne
peut pas parler cette langue-là. Donc que euh cette personne
associe lui-même avec d’autre personne et parler avec euh avec
leur euh il va euh euh monsieur I forgot
Comme montre l’extrait 2, l’apprenant A8 est confronté à la difficulté
lexicale. Celle-ci se manifeste par une hésitation suivie d’une pause et/ou
par une répétition qui indique l’activité de recherche lexicale par
l’apprenant. Il opte finalement pour l’alternance codique (le recours à la
langue anglaise) comme stratégie de compensation pour résoudre ses
lacunes d’expression. En effet, en observant cet exemple, nous constatons
que l’apprenant A8 a du mal à achever son énoncé. Il a beaucoup hésité et a
essayé de chercher un mot approprié pour transmettre son message.
Toutefois, il n’a pas réussi à le trouver, car il ne dispose pas du terme
adéquat dans son répertoire. Devant cette situation, il n’a pas décidé
d’utiliser l’anglais « when we come together we all perform our culture to
appreciate it » pour combler sa lacune lexicale momentanée et pour ne pas
rompre la chaîne parlée. Cet emploi l’a vraiment aidé à surmonter ce
malaise. Les mots qui lui manquent montre ainsi sa tentative d’éviter la
rupture de l’interaction comme le souligne Causa (2002 : 24) :
Dans une situation de contact des langues, la réussite de la
communication tient à la capacité qu’ont les interlocuteurs en
présence de saisir et de s’adapter linguistiquement à la situation
dans laquelle ils sont engagés. Différentes stratégies sont mises
en œuvre pour s’adapter à son interlocuteur pour atteindre un but
164
communicatif commun et dans certains cas pour résoudre un
problème qui pourrait empêcher l’efficacité de l’échange.
D’ailleurs, les extraits ci-dessus montrent le nombre de recours à
l’anglaise par des apprenants se manifestent également par le manque du
lexical de la langue cible.
Extrait 3
A5 Il a dit quelque chose là-bas mais il a dit que c’est nécessaire
pour introduire la langue à euh…
EN
1
à l’enfant oui
A5 à l’enfant, dans le première classe, class one to three je veux
dire que là-bas ce n’est pas nécessaire donc quand on enseigne
enfant il n’a pas utilisé les, la langue français, donc nous avons
au Ghana, nous avons va utiliser nos euh nos langue maternelle
pour leur enseigne donc je vais euh if I remember the euh l’école
que je, j’ai, je, j’ai fréquenté on n’a pas utilisé français pour
enseigne, français seulement pour enseigne, SHS.
L’extrait 3 ci-dessus, révèle que l’apprenant A5 fait recours à l’anglais
deux fois dans ses énoncés, « … class one to three …», « je vais euh if I
remember the euh… ». De façon générale, le recours à l’alternance codique
met en relief un effort de la part des apprenants par tous les moyens
possibles et par l’exploitation des ressources linguistiques disponibles dans
leur langue seconde. La partie suivante nous amène à discuter l’emploi des
alternances codiques dans le deuxième cours.
Cours II
Extrait 1
B12 …Avec la presse, le gouvernement peut envoyer ses informations
ou bien ses paroles tout le monde peut écouter ça et comme on
peut savoir et on peut savoir aussi ce qui se passe dans les autres
pays et euh back to on peut développer nos pays, ce que les autres
pays font pour développer leurs pays, nous aussi avec la presse on
peut faire ça, pour que notre pays soit développé.
Dans l’extrait 1 ci-dessus, nous avons remarqué dans le discours de
l’apprenant B12 fait recours à l’alternance codique « et euh back
to on peut développer nos pays ». Dans ce cas on peut dire que
l’apprenant manque les mots a employé alors décide de faire
recours à l’anglais pour combler le vide. Ceci peut être confirmé
dans l’énoncé de l’apprenant, quand il a utilisé la pause
d’hésitation avant d’enchainé avec l’alternance codique.
165
Extrait 3
B1 On utilise langue comme Twi, Asante and the rest, donc tout le
monde a dit que even, même le prix du cacao dans le marché
international sans la presse nous ne saurons pas, nous les
cultivateurs qui n’ont jamais été à l’école nous ne saurons le prix
sur le marché international, donc la presse qui nous montre que le
cacao se vend à tel prix, dans le marché de cacao international,
donc euh la porte de la presse de doit pas être négligé dans notre
société.
Dans l’extrait 3 ci-dessus, nous avons noté que l’apprenant B1 fait recours à
l’alternance codique deux fois dans son énoncé. « On utilise langue comme
twi, Asante and the rest, donc tout le monde a dit que even, même le prix
du cacao dans le marché international ». L’apprenant a utilisé alternance
codique ou le mélange de code à cause de manque de lexique. Cette
stratégie leur permet d’éviter la rupture de l’interaction, de maintenir un
équilibre interactionnel et de créer une sorte de « passerelle facilitant
l’accès à L2 à partir de L1. » (Py, 1991 : 130) ou encore « un pont vers
l’autre langue » (Moore, 1996 : 95). L’alternance codique peut donc
constituer une source de motivation et de sécurité pour les apprenants à qui
les expressions manquent pour s’exprimer dans le FLE. Ces conclusions
rejoignent largement celles de Lüdi (1999) qui souligne le fait que la grande
majorité des apprenants n’atteindront jamais un degré de maîtrise natif en
L2, mais devront se débrouiller avec des compétences approximatives. La
valorisation des modes de communication bilingues ou en classe de FLE
devrait, selon l’auteur, amener les apprenants à apprendre à exploiter au
maximum les ressources communicatives dont ils disposent pour continuer
à communiquer et à apprendre en dehors de la classe. Bref, nous venons de
présenter, d’expliquer, d’analyser et d’interpréter les résultats des stratégies
déployées par nos enquêtés quant à l’alternance codique en classe de FLE à
l’École Normale Supérieure de Somanya.
166
Synthèse
Le tableau ci-dessous donne toutes les alternances codiques déployées par
les apprenants des deux groupes durant la production orale en classe.
Les stratégies
déployées
Fréquences d’emploi des stratégies
Groupe 1 Groupe 2 Total
L’alternance codique 5 7 12
D’après tous ce dont nous avons discuté ci-dessus, nous sommes
arrivés à confirmer que le phénomène de l’alternance codique se manifeste
toujours dans les échanges verbaux des futurs enseignants consciemment ou
inconsciemment dans une situation de communication. D’une part,
l’alternance codique représente un secours pour ceux qui peuvent perdre le
fil de discussion à cause de fatigue, mal concentration, insécurité
linguistique ou pauvreté lexicale. D’autre part, nous le considérons comme
une preuve de compétence que possède un bilingue pour des fins
communicatives dans une situation de communication.
5. Conclusion
Il était question dans ce travail d’analyser l’emploi d’alternance
codique dans la production orale des futurs enseignants en classe de
français langue étrangère (FLE) à l’École Normale Supérieure de Somanya
au Ghana. Cette étude nous a révélé que les futurs enseignants appliquent
souvent l’alternance codique comme stratégie pour compenser des
difficultés lexicales pendant des interactions orales en FLE. Les données
ont mis en évidence un certain nombre d’alternance codique qui sont
déployées par les futurs enseignants pendant un cours de FLE. Dans ce
sens, l’alternance codique ne devrait pas être sanctionnée au cours des
interactions en classe. Elle doit au contraire être exploitée comme un outil
pédagogique. Donc le répertoire langagier des apprenants est une ressource
qu’il faut exploiter pour faciliter l’apprentissage de la langue cible et pour
ne pas rompre l’échange dans la conversation en classe de FLE. Il peut
ensuite répondre à un besoin d’ordre essentiellement interactionnel. Le
recours à la langue seconde par les futurs enseignants éviterait alors des
interruptions gênantes dans le déroulement communicatif comme c’est
167
d’ailleurs le cas dans des interactions ordinaires. Enfin, l’enseignant peut
exprimer la volonté de s’intégrer, voire de s’assimiler, à la communauté
d’accueil. Ces trois aspects, qui apparaissent souvent simultanément,
montrent qu’une description de ce phénomène ne peut que prendre en
compte des enjeux socio-culturels qui dépassent l’espace-classe.
Enfin, nous pouvons dire que les alternances codiques jouent un
rôle important dans l’organisation de la parole en interaction dans ses
dimensions bilingue et exolingue. Elles apparaissent tout à la fois comme
indices de la dynamique interactionnelle et comme signaux vivants de
l’interlocution. L’alternance codique est aussi une ressource exploitée,
adaptée et «bricolée » compte tenu du contexte et de la situation pour servir
ainsi de stratégie à la régulation et à l’organisation de la parole en
interaction. Il ressort également de l’analyse quantitative de la composition
codique des dyades que les énoncés mixtes sont majoritaires. Ceci nous
permet de valider notre hypothèse sur le rôle de l’alternance codique
comme alternative permettant de réduire l’asymétrie et d’assurer la
convergence codique.
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