IIème Congrès International : Bandes Dessinées et Humour Graphique
Contraintes et explorations narratives sur les réseaux sociaux : la case de la bande dessinée dans tous ses pixels
Pauline Escande-GauquiéValérie Jeanne-Perrier
Maîtres de conférences – laboratoire de recherche GRIPIC, CELSA Paris Sorbonne(CELSA : école des hautes études en sciences de l’information et de la communication,
école interne à l’université Paris IV – Sorbonne)
Introduction : la case au filtre de sa mise en pixels
La bande dessinée, dans tous ses genres, thèmes et écoles est présente sur l’internet, ce
depuis l’émergence du web. Les auteurs BD explorent les possibilités offertes par ce
média, à la fois en tant qu’espace éditorial permettant des recherches sur les formes et
sur les structures de la narration. Ils tentent également d’établir des relations
renouvelées avec les internautes amateurs de cases et de bulles transposées sur des
écrans multiples (ordinateurs, téléphones mobiles et tablettes).
Internet a ainsi obligé la bande dessinée à sortir de ses champs traditionnels de
productions et de consultations. Parmi les nouveaux usages très emprunts à la BD, ce
qui a retenu particulièrement notre attention est le phénomène de circulation de la
« case » signe majeur du code BD, souvent convoqué dans les structures des sites au-
delà des sites BD. Dans le cadre de cet article nous nous arrêterons sur la « case » en la
définissant par deux critères essentiels à nos yeux afin de saisir au mieux sa circulation
et sa transformation sur la « toile » : la case est d’une part un contenant formel délimité
par un cadre, d’autre part elle est en général installée dans une sérialisation appelée le
strip (de l'anglais « bande »).
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Avec les réseaux, cette sérialisation est programmée, standardisée et industrialisée, pour
proposer ensuite une industrialisation des processus de création laissés à la marge de
manœuvre des usagers. Par exemple, si on prend le smartphone, la case est en effet
convoquée dans des applications comme Path et Instagram. Ces applications invitent
non seulement la case dans son identité et singularité visuelle (via la vignette) mais
proposent aussi une créativité narrative à leurs usagers grâce à sa propriété « stripée ».
La case dans ce dispositif est donc bien une « petite forme » mise en série dès la
programmation informatique de l’application.
Ainsi, nous montrons que la « case » ne semble plus être un terme et une pratique
relevant de l’apanage d’un art, celui de la bande dessinée. Le terme est parfois utilisé
par les programmateurs et les informaticiens, développeurs des sites et des applications
dont nous abordons les exemples : la case recouvre la « cellule » de la base informatique
à la source des dispositifs informatisés permettant la production des sites et des
applications.
Cette proposition de communication présente certaines transformations sur les réseaux
de cette unité centrale qu’est la case à travers l’illustration d’exemples représentatifs du
phénomène. Les illustrations ont été choisies après une première approche de longue
lecture flottante, liée à une étude des usages des réseaux sociaux. De cette étude initiale,
de type ethnographique a surgit la récurrence de la présence de la vignette, comme
fantôme et avatar convoqué à l’écran du genre bande dessinée. Même si toute image
cadrée ne peut être désignée nécessairement sous le terme de « case », il semble bien
que cette unité est sollicitée à nouveau dans de nombreuses situations d’énonciations et
de narrations dans les médias désormais assis que sont les sites sur l’internet et les
applications pour téléphonie mobile. Cette présence spectrale tisse des filiations de
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processus narratifs et communicationnels que nous nous proposons d’exposer à travers
des exemples typiques sélectionnés et rapprochés, en raison même de la mobilisation
plus ou moins discrète de ce rappel à la case, lui offrant ainsi de nouveaux départs
digitaux.
En effet, le site internet, ses logiques de passage d’un espace à un autre (par le lien
hypertexte, la consultation par l’activation d’outils de navigation tel que l’ascenseur, les
sites de micro-blogging, les sites de publication d’une présence en ligne ou de
publication rapide de médias - photos, vidéos, textes) et le « réseau social » comme
Twitter ou GooglePlus (avec leur ligne de temps et le profil à remplir) offrent de
nouvelles possibilités pour la case BD.
1. Méthodologie et approche disciplinaire : la sémiologie et les sciences de
l’information et de la communication
Pour établir cette analyse - travaillée par un double questionnement portant d’une part
sur les conséquences induites par la multiplication de la case dans les contrats de
communication propres au web et d’autre part sur les effets produits par la montée en
puissance des réseaux sociaux sur les transformations de la case - est mise en place une
analyse sémiologique.
Notre analyse s’attache en effet à repérer les présences fortes ou sous-jacentes de la case
et ses mobilisations. Le corpus de l’analyse a été établi à partir de la consultation
régulière de sites proposant des exemples significatifs d’exploration de narrations
graphiques propres à la BD. Pour chaque temps de l’analyse, un exemple est finement
disséqué par un examen poussé des signes prélevés. Ces exemples ont été prélevés à la
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suite de la mise en place de profils utilisateurs sur différents sites de participation et de
réseaux sociaux. Chacun a semblé dessiner un genre de site, pouvant permettre de tracer
les pérégrinations de la case sur les réseaux. Au final nous avons observé que la case se
déployait sur la « toile » en étant mobilisée selon divers logiques communicationnelles.
Notre travail présente trois d’entre elles, représentatives du phénomène : la logique
« matricielle », la logique « diégétique » et la logique « programmatique ».
2. Les tribulations en pixels de la « case »
La logique matricielle
Elle procède de l’industrialisation et simplification de la case sur Twitter. Afin d’en
rendre compte, nous avons fait le choix d’explorer un corpus de profils identitaires
établis dans ce « réseau social ». Dans cet espace particulier qu’est Twitter, l’auteur
d’un profil devient un personnage soumis aux pouvoirs exorbitants du dispositif. Le
dispositif de communication établi par Twitter commence en effet dès la mobilisation
des interfaces d’inscription à la marque. Il est alors nécessaire d’établir une identité
narrative, autour de champs de formulaires. La notion d’avatar (et donc de personnage)
s’inscrit dès les premiers moments de Twitter.
C’est alors que, par des traits d’humour ou encore par la mobilisation de signes
iconographiques, la prise de parole du twittos (c’est ainsi que se désignent entre eux les
usagers de Twitter) s’individualise et se singularise. L’ensemble constitue une matrice
discursive dans lesquels les individus en conversation sont pris dans des scénarios de
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vie et mobilisent des types de caractères1 pour échanger dont la case et autres signes
emprunts de l’univers BD (notamment le personnage BD et le phylactère).
Ensuite, à l’usage régulier, et principalement sur les applications mobiles qui permettent
d’utiliser le site à partir d’un téléphone portable (applications Echofon, Twitter
principalement) des signes précisent les façons de parler dans le site : ces signes sont
ceux de la bande dessinée, avec notamment la présence signifiée de la bulle, de la
plume, du profil dessiné sous la forme d’une ombre. Ces icônes prescrivent l’usage :
dans l’espace des 140 caractères autorisés par l’outil, l’utilisateur est un scripteur,
soumis à la matrice narrative de Twitter. Cette matrice se déroule à la fois sur un axe
vertical (la ligne de temps) et sur un axe horizontal (les vignettes qui permettent de
collecter des images, des vidéos) proposant ainsi un système « tabulaire » de la case
(Illustration 1 : De la personne au personnage, au croisement d’un axe horizontal
et d’un axe vertical ou la mise en place d’un système « tabulaire » de la case). Mais
le support matériel de la case supporte2 d’autres expressions formelles dans un
mouvement du « tabulaire » vers le système en « gaufrier »3 typique de la bande-
dessinée traditionnelle.
En effet, sur Twitter, la mise en pixel peut également conduire à faire sérialiser l’empan
de la case : l’espace du site devient alors une scène numérique accueillant un spectacle
narratif (Illustration 2 : la mise en narration par les médias inscrits par la personne,
système de la case en « gaufrier ») rendant floues les frontières entre des formes
1 Voir le post d’A. Antheaume, responsable de la prospective de l’école de journalisme de Sciences Po Paris sur le site Work In Progress : http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2012/04/02/les-caracteres-de-journaliste/ : site exploré le 4 avril 2012. La journaliste y indique l’émergence de « types de journalistes », sur les réseaux, constitués par des usages différenciés de sites et d’énonciations éditoriales.2 FONTANILLE, J. (2005): «Du support matériel au support formel», L’écriture entre support et surface, Paris, L’Harmattan.3 FRESNAULT-DERUELLE, P. (1976): «Du linéaire au tabulaire», Communications, 24 : 18.
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d’expression telles que celles du cinéma et de la bande dessinée. Les auteurs procèdent
alors par collage et montage à l’intérieur des cases en gaufrier comme le montre
l’exemple.
Ce modèle de la rubrique s’inscrit donc dans une matrice composée principalement de
cases, en jeux de cascades. En explorant davantage le média Twitter, nous avons repéré
d’autres exemples d’incorporation de cette « petite forme » standardisée de la case selon
une logique communicationnelle matricielle.
En effet, nous avons remarqué qu’en tant que site extérieur au monde de l’édition de la
bande dessinée, le site Twitter incorpore également la forme case tel un « greffon »
provenant de l’extérieur. Les captures d’écrans qui suivent (Illustration 3 : lien vers un
site de partage de photos. Illustration 4 : un utilisateur pointe vers un site de vidéo
qui est formellement aussitôt remis dans le format « case ») démontrent ce processus
de greffage possible grâce à la logique matricielle. L’Illustration 3 montre qu’à la suite
d’un tweet, l’utilisateur indique un lien vers un site de partage de photos. Ce dernier est
prévisualisé dans Twitter, sous la forme du « gaufrier » déjà vu auparavant mais ici
proposée comme un greffon et non pas immanent au dispositif du Twitter. Ces quatre
premières illustrations montrent ainsi un processus d’expansion et de généralisation de
la case grâce à une logique matricielle propre au dispositif de Twitter.
Nous pouvons ici alors affirmer que la bande dessinée, en laïcisant sa valeur, est
devenue un médium de masse qui s’atomise sur les sites sociaux contemporains majeurs
comme Twitter. Les icônes des applications des téléphones mobiles de la marque sont
aussi des rappels évanescents de cette logique d’une narration par succession de
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fragments en cases. Les cases réunies sur l’interface d’un téléphone racontent en effet
l’expérience et la culture numérique de son propriétaire. Ces formes en « casiers »
circulent donc de manière globale.
La logique diégétique
Pour la logique diégétique nous nous sommes arrêtées sur le cas d’un site précis et
d’une série portant sur le récit de rencontres fantastiques, dans le monde urbain
japonais. Ce site est le suivant :
http://comic.naver.com/webtoon/detail.nhn?titleId=350217&no=31&weekday=tue .
Sur ce site présentant des bandes dessinées d’auteurs japonais, ce qui a retenue notre
attention c’est que l’espace éditorial est mobilisé d’une unique façon : la lecture et la
découverte de chaque unité narrative produite par un auteur se fait en descendant
verticalement le site. Ceci est possible car le montage des images s’apparente à la
bande-film en vignettes du cinéma analogique avec la présence de la saute (noir entre
chaque case). Le montage cinéma se déploie lors du mouvement de défilement du haut
vers le bas. Le strip vertical permet à ’histoire de se mettre alors en mouvement par le
défilement de la « case » tel un rotulus4 suivant le sens de lecture de la culture japonaise
(Illustration 5 : La case discrètement rappelée, mise en mouvement, avec la
présence de la « saute » de la bande film photographique ou cinématographique).
Par ailleurs, les images s’animent, faisant émerger un récit appelé la diégèse.
Cependant, les deux filiations particulières (BD et cinéma) ne sont pas tout à fait dans
leur « jus » original. En effet pour créer le récit, il est nécessaire que les deux
imaginaires, celui de la consultation de la bande dessinée et celui du visionnage
4 BARTHES, R. (2002), Œuvres complètes, tome 4, «Variations sur l’écriture», texte de 1973, Paris, Seuil.
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cinématographique, se mêlent. La diégèse n’émerge que parce que la case est prise dans
ce mouvement à la fois cinématographique (montage en bande film) et éditorial
(maitrise du défilement de lecture de haut en bas)
Ainsi l’espace éditorial de ce site convoque la case comme pour mieux établir un jeu de
connivence avec le lecteur et l’utilisateur. Des effets de surprise et d’humour surgissent
alors à un moment ou à un autre de sa visite et de son exploration de la bande.
Afin d’illustrer la logique diégétique, la version « mignonette » de la case (Illustration
6 : La case, devenue mignonette, comme signal d’une collection de l’éditeur) nous a
semblé représentative également du phénomène. Dans l’exemple retenu à travers
l’illustration 6, la case mignonette devient un signal pour marquer l’unité et le début
d’une narration. La logique diégétique de la case émerge non pas par le défilement de la
page comme antérieurement (Illustration 5) mais par le procédé de la répétition. En effet
dans l’Illustration 6 la diégése procède des cases-vignettes, toutes listées les unes après
les autres. Elles agissent comme l’incarnation visuelle de la « collection » de l’éditeur
qui amène à un récit.
La logique communicationnelle peut être qualifiée de logique « diégétique » car -
comme pour le site dédié thématiquement à la bande dessinée (Illustration 5) -le site de
l’Illustration 6 suit effectivement la logique de la consultation individuelle, sans
possibilité d’agir sur les contenus. Il s’agit ici de tirer la bande dessinée vers les univers
de l’image animée, autour de l’unité case qui dans son défilement devient le lieu
nécessaire à un récit (dans ce dernier exemple, celui de la vie de l’éditeur). La case
demeure l’unité première et indispensable à la narration. Elle est une forme rémanente,
mise en mouvement.
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La logique « programmatique »
La logique programmatique, nous l’avons localisée en nous arrêtant sur les « murs » des
sites des marques telles que celles de Facebook et GooglePlus.
Dans les deux cas, la case est immanente au dispositif. Elle n’est pas signifiée fortement
à l’écran, mais elle est en permanence rappelée et convoquée pour structurer la prise de
parole. Cette dernière est co-produite par l’incitation des marques à faire produire des
contenus à ses utilisateurs. Par la prise de parole régulière dans les cadres proposés, les
individus co-produisent, avec les marques, un récit fonctionnant par bandes
horizontales, mises en rouleau.
Dans l’exemple ci-dessous tiré de GooglePlus (Illustration 7 : la co-production, dans
le cadre du programme ouvert par le dispositif GooglePlus) le récit se construit par
bandeaux successifs. La case est alors présente, mais de manière discrète de manière à
provoquer la capacité de co-production, dans le cadre du programme ouvert par le
dispositif. Ces prises de paroles au-delà de la case rappellent les cartouches de la bande-
dessinée, encadrés rectangulaires contenant des éléments narratifs et descriptifs assumés
par le narrateur.
Dans l’Illustration 8 (Le back-office de co-production GooglePlus ouvre à des choix
limités et contraints), chaque post (ou bandeau de texte) est à produire dans le cadre
d’un champ ouvert, proposant quelques options de manipulation, signifiées par des
boutons d’insertion soit d’un lien, soit d’une image, soit d’une vidéo. L’écriture du
bandeau est accompagnée dans sa production dès l’amont en « back-office » de
l’espace, rendu ensuite visible aux publics toujours selon une logique de la case qui
contraint.
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La case est ainsi présente pour construire l’identité à inscrire dans ces bandeaux : elle
est là afin de permettre l’incorporation, par montage, d’autres morceaux médiatiques
(images, graphiques, liens). La case est l’occasion de faire la démonstration attendue
d’une nouvelle compétence narrative, celle du collage numérique de fragments
discursifs et narratifs pour atteindre une performance médiatique.
L’un des principes fondamentaux de GooglePlus consiste ainsi à construire des
personnages qui sont présents et tiennent des rôles par des prises de paroles courtes,
rythmées ainsi que le montrent les exemples ci-dessus (Illustrations 7 et 8). En effet, par
le rappel de l’avatar du personnage-utilisateur, la parole est accrochée à une identité, qui
« parle » par l’inscription de prises de paroles à la première personne (métaphore de la
bulle Illustration 8), complétée par le collage de documents sources dans une case
(document By 2015 de l’Illustration 7)
Comme le montrent les deux illustrations ci-dessus, la labilité de l’affichage numérique
propre à GooglePlus organise donc la production symbolique de la case vers un autre
type d’usage : celui de la programmation5. En effet le « flux » des prises de parole
implique des traces circulantes sur les réseaux numériques. La logique
communicationnelle est donc bien celle de la programmation car l’usager-lecteur
s’inscrit dans une gamme d’actions possibles et de choix déterminés de montage et de
diffusion de « contenus ».
Ce dispositif de diffusion spécifique fait que le geste éditorial va de pair avec une
programmation : les conditions sont réunies pour que le lecteur participe à l’élaboration
5 AÏM, O. (2007), «L’énonciation éditoriale à l’épreuve de la traduction», Communications et Langages, L’énonciation éditoriale en question, 154: 93.
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du document « final ». La case est alors expressive : son fantôme permet l’expression
d’une capacité à mobiliser des répertoires de formes, de médias et de prises de paroles6.
Autre fait notable que nous avons pu relever, dans la capture d’écran ci-dessous tirée de
GooglePlus (Illustration 9 : la logique programmatrice de la case par la
compétence de publication propre à l’utilisateur : 1/2) c’est que la stratégie narrative
établie est globalement cohérente dans sa programmation. En effet, il y a une continuité
visuelle entre la photo de l’utilisateur et le publipostage qu’il effectue dans les visuels
en bandeau qui reprennent la même logique de la photo en noir et blanc pour
progressivement la décliner. Ici, l’utilisateur se construit une identité propre à
GooglePlus en essayant d’exploiter les possibilités de programmation offertes par les
cases du réseau social de manière homogène.
Pour certains utilisateurs, d’autres stratégies sont mises en œuvre, éclatant les
énonciations produites, d’un site social à un autre. Les genres empruntés
successivement ne mettent pas en cohérence les « cases ». Chaque case sera alors
retravaillée, dans le cadre de l’énonciation spécifique de la marque proposée comme le
montre l’Illustration 10, qui prélève la logique programmatrice de la case par la
compétence de publication propre à l’utilisateur (2/2).
Selon cette illustration, l’usager reprend sur GooglePlus son avatar déjà mobilisé sur
autre site, en l’occurrence Facebook. Cet avatar est accolé à un espace qui dessine une
possibilité ouverte d’ajouter d’autres médias. Le choix est fait de se mettre en scène par
des photos, un individu agile avec les réseaux sociaux, signifiés par leurs petites icônes,
miniaturisées.6 CANDEL E.; JEANNE-PERRIER V.; SOUCHIER E. (2012): «Petites formes, grands desseins : d’une grammaire des énoncés éditoriaux à la standardisation des écritures», L'Économie des écritures sur le web, sous la dir. de J. Davallon, Hermès Lavoisier.
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Ainsi, pour les sites dits de micro-blogging comme pour les sites proposant des
stratégies de présence individuelle en ligne, tels Google Plus ou Facebook, la case
devient un prétexte pour accueillir d’autres médias (vidéos, schémas, images,
photographies). L’auteur étant un scripteur, la case BD n’est alors qu’un genre prétexte.
Au total, l’écriture est celle d’une bande mais qui procède par collage et montage de
zones s’apparentant à l’unité « case ».
Conclusion : la case, une forme plastique et malléable sur les scènes numériques
Sur le web, la performance de cohérence (propre la case de la bande dessinée) est
difficile à atteindre, puisque, comme nous l’avons vu, les tribulations des cases
lorsqu’elles se pixellisent, procèdent de plusieurs processus. Ces derniers relèvent de la
standardisation, de l’expansion ou de la percolation. D’un espace à un autre, la case est
réinventée, entre processus de mises à dispositif, de jeux de formes et tactiques
énonciatives des usagers, tour à tour narrateurs, auteurs et personnages d’un récit. La
bande dessinée est donc constitutive des nouvelles cultures du numérique et de
l’humanisme numérique en émergence, tel que décrit par des auteurs, comme Milad
Doueihi7.
Notre communication a tenté d’explorer certaines tribulations de la case - en tant que
forme soit réduite, soit étendue ou soit ouverte - en mettant en exergue les logiques
communicationnelles (matricielle, diégétique, programmatique) qui motivent ces
transformations.
D’autres éléments constitutifs de l’univers de la bande dessinée, survolés ici, pourraient
être ainsi passés au filtre. Ces éléments sont de type graphique (la bulle) ou de type 7 DOUEIHI, M. (2011): Pour un humanisme numérique, Paris, Lavoisier.
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linguistique (les onomatopées) : de telles unités constitutives conservent une force
signifiante qui, sur les réseaux, permettent aux utilisateurs de retrouver des repères.
Plus globalement, nous pouvons constater que les sites sur l’internet, quelque soit leur
nature et le projet communicationnel, sont fortement imprégnés de l’imaginaire de la
bande dessinée. Ils constituent des espaces narratifs et énonciatifs multi-cadres,
constituant un système spatio-topique (GROENSTEEN, 1999), dans lequel la prégnance
de la case reste intangible.
13
Bibliographie indicative
AÏM, O. (2007), «L’énonciation éditoriale à l’épreuve de la traduction», dossier
L’énonciation éditoriale en question, Communications et Langages, 154: 93.
BARTHES, R. (2002), «Variations sur l’écriture», texte de 1973, Paris, Seuil, Œuvres
complètes, tome 4: 267-317.
DOUEIHI, M. (2011), Pour un humanisme numérique, Paris, Lavoisier.
ESCANDE-GAUQUIE, P. (2011), «Bande dessinée : le pari de la matérialité»,
Communication et Langages, 167.
FRESNAULT-DERUELLE, P. (1976), «Du Linéaire au Tabulaire», Communications,
n° 24:18, Paris, Seuil.
FONTANILLE, J. (2005), «Du support matériel au support formel», L’écriture entre
support et surface, Paris, L’Harmattan, p. 188.
GROENSTEEN, T. (2011), Bande dessinée et narration, Paris, Presses Universitaires
de France.
GROENSTEEN, T. (1999), Système de la bande dessinée, Paris, Presses Universitaires
de France.
JEANNE-PERRIER, V. (2010), «Plumes et pixels : produire, signer, diffuser et exister.
Mille fois sur les réseaux tu feras circuler ton identité. Ou le travail de portfolio mené
par l’auteur sur internet», à paraître dans les actes du colloque L’auteur en réseau, les
réseaux de l’auteur, 2 et 3 juillet 2010, pôle métiers du livre, ENS Cachan. Actes à
paraître courant 2012, sous la direction de Sylvie Ducas et Oriane Deseilligny, maîtres
de conférences, dans la collection des Presses Universitaires de l’université de Paris
Ouest.
14
JEANNE-PERRIER, (V.), « Parler de la télévision sur Twitter : une réception oblique à
partir d’une conversation numérique ? »Communication & langages, n°166, janvier
2011.
15