D'Études en histoire et civilisation / N°: 10 (2021), p 01-34
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ISSN 3772-3734
Observations sur les expressions funéraires latines
de la région de Guelma.
ملاحظاث حىل الخعابير اللاجينيت المنقىشت على النقشاث الجنائزيت بمنطقت قالمت
Observations on Latin funerary expressions from
the Guelma region
Mohand Akli Ikherbane, MCA, Université Mouloud Mammeri, Tizi–
Ouzou
:لخص الم
)كلاما( والمدن المجاوزة لها عدة هقىش كما هى الحال بكل المدن السوماهيت، وجدث بقالمت
لاجينيت جخعلق بمجالاث مخخلفت ًخصدزها المجال الجنائزي وأغلبها حعىد إلى الفترة الىثنيت.
من خلال هرا المقال المخىاضع، حاولنا حسليط الضىء على بعض محخىياث النقىش
اث التي كان ًنعم بها عندما وبالأخ جلك العبازاث المخعلقت بالجاهب السوحي للمخىفى)ة(، الصف
كان على قيد الحياة، علاقخه بالأهل والأقازب، مخخلف الخمنياث للساحت الأبدًت المقدمت من
طسف المهدًين وكرلك عدة ملاحظاث جخمحىز حىل الجاهب الجنائزي والخازيخي لهره العبازاث
المعخادة على النقىش والمندشسة بصفت مخفاوجت.
عيناث قليلت من وزغم العدد الهائّل للنقىش المدوهت، لم جقدم منطقت دزاسدنا إلا
العبازاث إذا اسخثنينا جلك المكسست بصفت همطيت.
: قالمت، هقىش جنائزيت، حعابير، الصيغت، المىث، المقبرة.... الكلماث المفخاحيت
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Résumé:
Comme c’est le cas à travers la majorité des villes romaines, de
nombreuses inscriptions latines furent trouvées à Guelma (Calama) et
dans les parages. Elles sont aussi nombreuses que variées mais
essentiellement funéraires et remontent pour la plupart à l’époque païenne.
A travers cette contribution, nous avons essayé de mettre en évidence
certaines caractéristiques inhérentes à ces épitaphes, notamment les
expressions se rapportant de près à l’aspect spirituel du défunt mettant en
exergue les qualités dont il jouissait de son vivant, ses relations avec les
parents ou sa progéniture, les différents souhaits pour son repos eternel
ainsi que quelques remarques axées sur les aspects mortuaires et
historiques de ces expressions dont certains sont habituellement plus ou
moins répandues sur les épitaphes.
Néanmoins, nonobstant leur nombre considérable, les expressions
relevées sur les inscriptions de la région sont relativement très peu
représentatives.
Mots clés : Guelma, épitaphe, expressions, formule, mort,
nécropole.
Abstract
As is the case throughout the majority of Roman cities, many
inscriptions were found in Guelma (Calama) and the surrounding area.
They are as numerous as they are varied but mainly funerary and mostly
date back to pagan times. Through this contribution, we have tried to
highlight certain characteristics inherent in these epitaphs, in particular the
expressions closely related to the spiritual aspect of the deceased,
highlighting the qualities he enjoyed during his lifetime, his relations with
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the parents. Or his offspring, the various wishes for his eternal rest as well
as some remarks focused on the mortuary and historical aspects of these
expressions, some of which are usually more or less widespread on the
epitaphs. Nevertheless, notwithstanding their considerable number, the
expressions found on the inscriptions of the region are relatively very
unrepresentative
Keywords: Guelma, epitaph, expressions, formula, death, necropolis.
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Introduction:
A l’instar des autres villes romaines, la région de Guelma, comprenant
dans les découpages antiques des sites situés aussi bien dans les provinces
antiques de Numidie que dans celle de la proconsulaire, a livré un nombre
considérable d’inscriptions.
Les Inscriptions à caractère funéraire comme c’est le cas un peu
partout, représentent la grande masse des textes recueillis et consignés dans
les corpus et quelques revues spécialisées.
C’est assurément une lapalissade ou un fait commun de dire que tout
être humain est destiné à mourir, par contre les pratiques relevant du
domaine funéraire, sont différentes d’une société à une autre.
Louis Vincent Thomas, un des fondateurs de la thanatologie (Science
ou étude de la mort), révèle que : « chaque société à ses propres rituels
funéraires pour conjurer le désarroi de la mort »1
. « D’une manière
générale, l’humanité partage inconsciemment les mêmes fantasmes et
illusions liés, premièrement au foisonnement des morts, deuxièmement à
leurs volontés de nous entrainer dans leur sillage, et troisièmement, à la
peur de leur éventuel retour »2.
Nous nous attèlerons dans cette contribution à décortiquer ces textes
latins et extraire les expressions funéraires d’usage gravées sur les
épitaphes.
1- Quelques observations générales sur les épitaphes : A l’instar de
tous les textes funéraires trouvés dans de nombreuses ville romaines, ceux
de Guelma et ses différents sites se ressemblent à s’y méprendre et
comportent d’une manière générale des traits communs assez stéréotypes à
travers toutes les contrées du monde romain et dans ce contexte, on peut
énumérer pèle – mêle les constatations suivantes :
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Les épitaphes écrites avant ou après la mort, se composent de
plusieurs éléments et elles s’affichent dans plusieurs espaces. Elles sont
destinées à reconstituer et à réconcilier l’homme dans sa totalité avec lui-
même par le triptyque suivant :
La personne (l’identité) - le monde (la société et la famille), - l’au-
delà (la croyance et la religion). Ainsi donc, c’est l’homme tel qu’il était,
tel qu’il a vécu et tel qu’il espère devenir qui est présenté à travers le
« discours » nécrologique3.
Les inscriptions funéraires constituant l’essentiel de notre
documentation sur le monde romain, sont le plus souvent tournées vers
l’extérieur et vers la route, et s’adressent parfois directement aux passants,
elles se situent de ce fait, dans une position complexe, à l’articulation des
sphères du public et du privé4.
Les inscriptions sont d’un extrême laconisme (le ciseau n’étant pas
aussi maniable que la plume) jusque vers la fin du 1er siècle. Le plus
souvent elles se bornent à mentionner le nom du défunt, puis à y associer
celui des dédicants. L’apparition de ce (s) dernier (s), a permis la
caractérisation des relations et sentiments qui unissaient le ou les dédicants
au défunt5.
Les épitaphes des nécropoles sont d’une grande banalité et se
répètent inlassablement quasiment dans le même style. Cependant; cette
uniformité n’empêche pas de relever certaines originalités et un soupçon de
sentimentalisme.
L’indication des qualités que l’on prête aux défunts (rareté, chasteté,
incomparabilité…). Les termes relatifs à ces qualités morales, reviennent
avec fréquence, ils peuvent indiquer celles qui étaient les plus recherchées
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ou les plus appréciées dans la société romaine ou bien la conception que
l’on se faisait des vertus domestiques ou sociales6.
L’univers romain est réputé pour son « flegme », il semble donc
peu propice à l’étude du sentiment faute de matière exploitable.
L’expression de l’émotion ainsi que les autres passions sont considérées à
juste titre, comme antinomique du «métier » de citoyen, et à fortiori de
celui du dirigeant. C’est ainsi que les femmes et les jeunes considérés
comme étant guidés par leurs passions, sont théoriquement exclus de la
sphère du politique, cependant ; l’affection n’est pas totalement bannie de
l’univers objectif et subjectif du monde7.
Dans leur immense majorité, ces épitaphes africaines finissent toutes
par des formules si banales et si courantes, qu’on les transcrit à l’aide
d’abréviations ou de lettres initiales8.
Le monument funéraire dont l’inscription n’est qu’une composante,
est en quelque sorte l’ultime manifestation du défunt dans l’espace social,
empreint du désir de pérennité9.
La stéréotypie ou l’uniformité évoquée plus haut, ne facilite guère
de mesurer la part du client commanditaire et celle de l’artisan, ni
d’entrevoir dans l’atelier même une éventuelle division du travail
(lapicida, scalptor, lapidarius, scriptor, titularium, ordinatio…) 10
.
2- Remarques sur quelques formules consignées sur les épitaphes :
Le dépouillement des ouvrages ou furent publiées les différentes
inscriptions de la région de Guelma (Calama) et ses environs : Ain
Nechma, Thibilis, Henchir El Hammam, Guelaat Bou Atfan, Hammam El
Meskhoutine, Oum Krekeche, Nechmaya, Henchir Loulou, Kaf Bouzioun),
nous a permis d’établir une ébauche d’un tableau recelant certaines
formules très usitées dans l’épigraphie funéraire.
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De prime abord, il faut souligner que le nombre de ces formules (45
au total) est relativement faible dans la région comparativement à
l’extraordinaire nombre d’inscriptions recueillies (hormis les
omniprésentes formules: Diis Manibus Sacrum, pius et Hic Situs Est), si
banales qu’elles figurent souvent quasiment abrégées.
A) L’invocation des Mânes / DM ou DMS : Dans ces textes souvent
très sobres, la place aux sentiments qu’inspirent la mort et l’au-delà est
souvent insignifiante.
Par contre, il est notoirement admis que les Romains (indubitablement
comme tous les autres peuples), se sentaient entourés de démons ou de
puissances souvent innommées, surgissant de l’au-delà pour tourmenter les
vivants. Les ancêtres des familles ne restaient pas enfermés dans leurs
tombeaux, croyait- on ; à certains jours de l’année, les portes des Enfers
s’ouvraient et les âmes descendaient pour y être jugées et recevoir le
châtiment ou la récompense. Il est du devoir des vivantes d’apaiser les
Mânes, mais que représente t-ils au fait ?
Ils expriment la foi en l’immortalité de l’âme qui demeure auprès de
ses descendants qui lui doivent respect et vénération, car les morts
peuvent à tout moment se venger, à punir les injustes, ils sont plus
redoutables que bienveillants, c’est pourquoi l’inscription Diis Manibus
est souvent usitée sur les monuments funéraires et le restera même à
l’époque chrétienne. Le culte des mânes est célébré à travers plusieurs
cérémonies publiques et privées pouvant durer plusieurs jours11
.
Dès l’époque d’Auguste, le formulaire funéraire se complexifie et la
raison essentielle est l’évolution de la signification religieuse de la tombe
qui est désormais conçue comme un monument aux Dieux Mânes
particulièrement fêtés durant les Parentalia du 13 au 21 février12
.
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La formule se limitait à Manibus, puis Diis Manibus et à partir du
3eme siècle, apparition du terme sacré (DMS)13
.
En Afrique, la formule apparait surtout au 2eme siècle ou à la fin du
1er ap. J-C, et se généralise à Carthage à l’époque des Sévères, mais
n’apparait qu’au 2eme- 3eme siècle à Lambèse et à Sétif14
.
L’expression complète DMS, indique que le lieu ou l’objet sur
laquelle elle est inscrite, a « été consacrée », c'est-à-dire transférée dans la
propriété des dieux et dans le droit romain, il est considère comme un lieu
religieux (Locus religiosus) inaliénable et inviolable15
.
La formule n’apparait qu’au 2eme siècle sous sa forme abrégée en
dehors de Rome et persiste jusqu’au 4eme siècle. 16
Il est à signaler qu’elle ne figure par sur les épitaphes de Calama du
1er siècle
17.
Si habituellement l’absence de la formule sur les épitaphes est un
critère d’ancienneté relative ou datation précoce (au plus tard fin 1er siècle
ap .J-C), sa présence les placerait plutôt au 2eme siècle. Il ya lieu de se
questionner sur l’efficacité de ce procédé de datation un peu ambigu,
sachant qu’elle figure sur certaines épitaphes chrétiennes des sites de
l’ouest algérien. Tout indiquerait donc un usage stéréotype se limitant à la
symbolique tout comme le Hic Situs Est18
.
A cette formule quasi omniprésente, s’ajoute particulièrement au
3eme siècle, Memoria Aeterna et une autre relative à la tranquillité
perpétuelle : Perpetuae Securitate qui a connu un certain succès parmi les
militaires en Italie et surtout le long du Limes Rhénan et Danubien19
.
B) La piété : cette vertu ou ce sentiment formulé sur les épitaphes par
l’épithète PIUS* signifie littéralement : qui reconnait et rempli ses devoirs
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envers les dieux, les parents, la patrie, il peut aussi signifier : attention,
dévouement.20
L’adjectif pius, sous différentes variantes piissimus, pientissimus,
apparait de façon assez précoce au début du 2eme siècle et se banalise très
rapidement, il s’applique principalement, mais pas exclusivement, aux
relations sociales ascendantes (de l’enfant vers les parents).21
Une fois sur deux, l’époux est qualifié de pius ou de piissimus. Aux
parents (père et mère) qui bénéficient rarement d’un poème funéraire
(carmina), le formulaire dans la moitié des cas, en Italie et en Afrique,
donne le titre de pius /a, piissimus /a22
.
On décèle des habitudes ou des procédés régionaux à l’instar de celui
qui en Afrique privilégie l’association de l’adjectif pius à l’indication de
l’âge (Pius vixit) qui depuis le milieu du 1er siècle ap. J-C, gagne à partir de
Carthage la proconsulaire, touche à la Byzacène et affleure la Numidie 23
Dans ce contexte, on remarquera que l’épithète pius accompagne
toujours l’âge dans la Proconsulaire, mais manque le plus souvent en
Numidie et n’apparait pratiquement jamais dans les Maurétanie24
.
Une étude a noté sa fréquence notamment à Hippone 8%, Theveste
10%, Mascula 20 %, Sicca Venaria 23% et Calama 39%25
.
C) Hic Situs / a Est : La formule souvent abrégée (HSE, HS), par
laquelle s’achève le texte des épitaphes, indique la présence de restes
funèbres, particulièrement au 1er siècle ap. J-C, et conclut au 2 ème, celles
qui portent une dédicace aux dieux Mânes. HSE est fréquemment usité en
Espagne et en Afrique où elle se montre bien après le 1er siècle ap. J-C
26.
Dans l’état actuel des recherches, il est tôt pour confirmer si formule à
elle seule, illustre la pratique exclusive de l’incinération27
.
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La formule hic ad quiscit ou ses synonymes hic quiescit ou hic
requiescit, (Ci gît, l’équivalent de l’anglais RIP : rest in peace), sont des
variantes pour le hic situs est. Elle sert à désigner l’emplacement des restes
mortuaires, elle introduit toutefois l’idée supplémentaire du repos ou du
sommeil du mort, connotation absente du HSE28
.
Pour ce qui concerne notre région d’étude, on peut avancer tout au
moins pour le site de Thibilis qui a livré le gros des textes, que le HSE
apparait sur les plus anciennes tombes29
.
D) Sit Tibi Terra Levis: (Que la terre te soit légère), c’est la plus
familière des formules funéraires latines, acclamation finale gravée sur les
épitaphes, vœu ou sentence que les morts réclament au passant de leur
adresser (les cimetières s’implantant souvent en bordure des
routes).Formule attestée déjà sous la République dans les carmina comme
dans la prose sous sa forme abrégée STTL particulièrement à Rome, en
Bétique et dans la région de Mérida alors que l’Afrique préfère plutôt la
formule : Otbq)30
.
E) Ossa Tibi bene quescant : (que tes os reposent bien/ en paix),
cette formule récurrente sur les épitaphes, n’est pas seulement un souhait,
mais une indication formelle que la dépouille et non ses cendres contenus
dans une urne cinéraire, repose effectivement dans la tombe 31
.
Dérivée d’une tradition grecque par Virgile, cette clausule attestée à
Rome, est très en vogue en Afrique32
. Cette formule est très répandue dans
la Proconsulaire, en Numidie, Maurétanie Setifienne, assez rare dans la
Césarienne, à Rome, Campanie, Etrurie et dans d’autres provinces
romaines33
.
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F) l’expression des liens affectifs : carrissimus, rarissimus,
dulcissimus Dès le 3ème
siècle ap. J-C, on voit une tendance exponentielle à
l’accumulation et l’hyperbole pour exprimer l’importance de la perte vis-à-
vis du survivant.
Des adjectifs tels que : incomparabilis, rarissimus, innocentissimus,
dulcissimus… apparaissent parmi tant d’autres et appartiennent à l’éloge
public34
.
L’apparition du dédicant sur les épitaphes, a permis la caractérisation
des relations et sentiments unissant le ou les dédicants au défunt. A la fin
du 1er siècle, apparait le qualificatif de « carissimus/a » signifiant très
cher(e) et souvent usité au datif pour exprimer l’affection liant le défunt au
dédicant.
L’adjectif carissimus a été le plus tôt et le plus largement utilisé, il
s’applique indifféremment aux époux entre eux (mais en majorité aux
épouses vues par leurs maris), aux parents vus par leurs enfants et aux
enfants de sang ou d’éducation (alumni) vus par leurs parents, aux frères et
sœurs entre eux ou encore aux Co-affranchis entre eux.
L’adjectif ou l’épithète dulcissimus /a apparait plus tardivement,
mais il est tout aussi fréquent que le précédent, son usage est très nettement
intégré aux rapports hiérarchisés descendants, plus que cela, il est réservé
principalement aux enfants de bas âge et aux femmes (épouses, sœurs ou
mères). Il est aussi sexué, du moins réservé aux personnes ne présentant
pas les caractéristiques du masculin adulte.
Le terme Dulcis, évoque étymologiquement une sensation gustative
que seul le miel suscite : la douceur qui s’oppose à « l’amarus »
(amertume).35
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Carissimus, dulcissimus, piissimus (pius), se partagent dans les
inscriptions romaines les 3/4 des textes, un peu plus fréquent
qu’incomparables36
, sanctissimus.
La coniux (l’épouse) est particulièrement célébrée par certains de ces
adjectifs très souvent répétés : en Afrique c’est carissima, pia et optima, en
Italie c’est souvent pientissima et dulcissima tandis que la Cisalpine par
exemple, préfère obsequentissima 37
.
G) Le Mérite : il est souvent représenté par la formule Bene merenti,
merenti ou merentibus, (bien mérité, qui mérite) est très fréquente, elle
renvoie très distinctement à la sphère des rapports normés non à ceux liés à
l’Amor ou l’affection. Au même titre que la pietas, elle rentre dans le cadre
du comportement et non du sentiment38
.
La formule souvent utilisée au datif, elle indique le mérite et elle est
empruntée au lexique de l’élogium (l’éloge) politique, mais elle est utilisée
dès le 1er siècle ap. J-C sur les inscriptions funéraires, particulièrement
celles des petites gens39
.
La formule bene merenti est si fréquente qu’elle a fini par être abrégée
en BM vers la seconde moitié du 1er siècle ap. J-C
40.
Bien qu’il soit difficile à prouver, il semblerait que cette formule ait
été utilisée pour caractériser non seulement l’identité individuelle des
femmes, mais aussi pour mettre l’accent sur la position sociale entre celles
qui sont libres de naissance et les libérées41
.
H) L’obéissance (Obsequens): les épitaphes des femmes portent le
plus souvent des épithètes élogieux évoquant l’affection qu’elles inspirent,
mais aussi sa conduite d’épouse : pia (pieuse), Casta, catissima (chaste),
pudica (pudique)… Ces qualités, ainsi que l’obéissance qui n’est pas
des moindres, sont exclusivement réservées aux femmes mariées. Il va
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s’en dire qu’il existe des préférences régionales, ainsi donc, en Afrique, on
optait volontairement aux adjectifs préalablement cités, l’Italie méridionale
la déclarait souvent pientissima, dulcissima tandis que la Cisalpine préfère
obesquentissima 42
.
I) La demeure éternelle (Domus Aeterna): à partir du 3eme siècle,
la structure du formulaire funéraire change un tant soit peu, elle est
marquée par une tendance à l’inflation verbale avec l’ajout de formules
laudatives notamment memoria, memoria aeternae etc…43
.
La formule memoria est utilisée afin d’immortaliser la mémoire du
défunt et son apparition remonterait au 3eme siècle ou à la fin du 2eme ap.
J-C. 44
En parallèle, pour renforcer l’idée de l’évocation du refuge, on utilise
la formule domus aeterna qui s’étend de l’Italie à l’Afrique dont la variante
Domus aeternalis n’est attestée que tardivement45
.
Par extension, le terme peut également signifier le lieu de
l’ensevelissement, l’inscription ou le monument qui la porte46
.
J) Repos dans la paix (In pace): L’épigraphie chrétienne longtemps
influencée par les formulaires païens, commence à se démarquer par
l’usage du terme pax (paix) lui-même tributaire d’une longue tradition
biblique.
Au 4éme
siècle, tout particulièrement en Afrique, la pax finit par
prendre une valeur rétrospective d’une vie antérieure au sein de l’Eglise
(notamment par l’expression : vixit fidelis, vixit in pace).
Dès cette période là, la dédicace aux Mânes (sauf exception car il n’est
guère aisé de renoncer au conformisme de la tradition !) n’introduit plus
l’épitaphe47
.
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Bien évidemment, il n’est pas de notre intention dans ce cadre précis,
d’énumérer toutes les formules funéraires en usage à l’époque chrétienne,
ni tous les verbes relatifs au repos éternel. Dès le 4ème
siècle toujours, le
mot pax se retrouve inclus dans diverses formules telles que : hic quiescit,
hic resquiescit) complétée par in pace, in somno pacis ou plus
particulièrement en Gaule par in hoc tumulo 48
et au milieu du 5 ème
pour
l’Afrique et la Maurétanie Césarienne.49
Dans ce contexte, il ya lieu de signaler que même si ce n’et pas
inconnu en Afrique, particulièrement à partir du 2 ème
siècle ap. J-C, on ne
rencontre guère dans la région des dédicaces avec assemblage
anachronique du genre : DMS + somno + aeternae.
K) Les Carmina: poèmes funéraires ou se mêle des souvenirs de la
poésie païenne et des réminiscences bibliques. Ces textes versifiés
proviennent essentiellement de Rome (40 %), d’Italie puis de Gaule (25 %)
et enfin d’Afrique 10 %, ils appartiennent surtout aux milieux
aristocratique et clérical datables du 4 ème
au milieu du 7 ème
siècle50
.
Notre région d’étude n’a livré qu’un seul exemplaire d’inscription
métrique trouvé à Guelma (ILA I, 326= CIL 5370) dont l’auteur Seius
Fundanus à fait graver de son vivant un poème grammaticalement très
incorrect. 51
L’inscription a été trouvée réutilisée dans la muraille byzantine, mais
elle devait garnir un mausolée familial des Seius aménagé
vraisemblablement à l’extérieur de la ville dans un domaine agraire
appartenant à la famille52
.
Cet unique sénaire iambiqué (ne figure pas sur le tableau), exprime la
tristesse d’un père à cause de la mort de ses deux fils pour lesquels il a tant
investi dans leurs études. 53
Tableau des inscriptions de la région de Guelma comportant
différentes expressions funéraires.
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NB : les formules habituellement répétitives telles que DMS, PIUS et
HSE, figurent abondamment dans leur grande majorité sur les épitaphes des
sites de la région. Trop nombreuses, nous avons donc délibérément choisi
de ne pas les recenser dans ce tableau.
Conclusion :
A l’instar des inscriptions funéraires de la sphère civilisationnelle
romaine, celles de Guelma et de ses alentours, n’échappent pas à la
stéréotypie et la banalité caractérisant la plupart de ces textes.
Nonobstant leur relative insignifiance quantitative, certains traduisent
tant bien que mal les émotions, les regrets et les liens unissant les proches
aux défunts ainsi que leurs souhaits, les éloges, les vertus et les qualités.
Du style le plus dépouillé au lyrisme éploré, les épitaphes nous
renseignent sur les défunts et les survivants au-delà des considérations
religieuses.
Tout indique que nous sommes dans des régions lointaines de Rome
et des grands foyers de la civilisation latine et que dans ces contrées, la vie
tout comme la mort étaient modestes et indubitablement autarciques, les
gens, y compris les élites municipales, ne s’embarrassaient pas outre
mesure de rhétorique, de carmina ou d’acrostiches, ils se sont contenté de
consigner l’essentiel sur les épitaphes en adoptant un style aussi banal que
leurs vies rarement trahi par des expressions d’affection.
1- THOMAS, Louis Vincent. Civilisations et divagations, mort, fantasmes, science-
fiction, Paris : Payot 1979 p. 95.
2 -THOMAS, Louis Vincent. Mort et pouvoir, Paris, Payot, 1978, p. 39-42.
3- HIRRECHE BAGHDAD, Mohamed. Les inscriptions funéraires au cimetière d’Ain
El Beida (Oran) : état des lieux », Revue algérienne d’anthropologie et des sciences
sociales, 2013, p. 49.
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4- ARNAUD, Paul. Le vocabulaire romain de l’affection dans les sphères du public et
du privée aux trois premiers siècles de l’ère chrétienne », Noesis 16, 2010 p. 31.
5 - ARNAUD, Paul. Le vocabulaire…op cit, p. 32.
6- LASSERE, Jean- Marie. Sentiments et culture d’après les épitaphes latines, Bulletin
de l’Association Guillaume Budé, N° 02 juin 1965, p. 209.
7 - ARNAUD, Paul. Le vocabulaire...op cit, p.27.
8- LASSERE, Jean -Marie. Sentiments…op cit, p. 218.
9 -LAUBRY, Nicolas. Les inscriptions funéraires des monuments lyonnais. Christian
Goudineau.
Rites funéraires à Lugdunum, Errance, 2009, pp.135-153,.
10- PIETRI, Charles. Inscriptions funéraires latines », Ecole Française de Rome : 1997,
p.1409.
11 -Dossier : Rites et monuments funéraires chez les Gallo –romains, extrait d’une
publication du CRDP de Reims, inscriptions funéraires du musée Saint Remi, pour une
initiation à l’épigraphie latine, mars 1998, p. 02.
12- LAGALL, Joël. La religion romaine de l’époque de Caton l’ancien au régime de
l’empereur Commode, Paris 1975, p. 113.
13 -Cours d’épigraphie latine, ausonius.u- Bordeaux montaigne.fr/.../Jérôme.
France/M1%20 Cours %20 d'épigraphie%...p. 20
-PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1412.
14- Ibid, p. 1413.
15 -LAUBRY, Nicolas. Les inscriptions…op cit, p. 1412.
16- AUGUSTA- BOULAROT, Suzanne. Les références épigraphiques aux Grammatici
et Γραμματικοì de l'Empire romain (Ier s av J -C -IVe s. ap. J-C.) », Mélange de l’Ecole
Française de Rome (Antiquité) T.106, N°2. 1994, p. 677.
17- LASSERE, Jean- Marie. Remarques sur la chronologie des épitaphes païennes de
l’Africa », Antiquités. Africaines, Vol 7 N° 7, 1973, p.130.
18 -LAPORTE, Jean - Pierre. L’ouest algérien avant l’islam : archéologie, histoire et
patrimoine », Actes du colloque international tenu à l’Université Abu Bakr Belkaid,
Tlemcen, 17-19 octobre 2011, 711-2011, treize siècles partagés, essai de bilan et
perspectives d’avenir, pp. 44-45.
19 -LASSERE, Jean - Marie. Remarques …op cit, p.130.
*Sur le sens de l’adjectif pius voir entre autres : Brisson (JP), « Le pieux Enée »,
Latomus T 30-2, 1972, p. 379 -412.
20- http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php, p. 1185.
D'Études en histoire et civilisation / N°: 10 (2021), p 01-34
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ISSN 3772-3734
21- ARNAUD, Paul. Le vocabulaire...op cit, p. 34.
22- PIETRI, Charles. Inscriptions… op cit, p. 1417.
23- Ibid, p. 1416.
24 - LASSERE, Jean- Marie. Recherches…op cit, p. 21.
25 - Ibid, p. 126.
26- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p.1418.
27- Ibid, p. 1418.
28- LAUBRY, Nicolas. Les inscriptions...op cit.
29 -LASSERE, Jean- Marie. Recherches … op cit, p.128 N° 5.
30 - PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1423.
31 - http://lettres.ac-amiens.fr/sites/lettres.ac-
amiens.fr/IMG/html/inscriptions_funeraires.html
32 - PIETRI, Charles. Inscriptions …op cit, p. 1423.
33 - MARTI, François. Stèles funéraires et éléments architecturaux antiques d’Afrique
du Nord conservés à Istres, Bulletin des amis du vieil Istres N° 31, 2009, p. 28.
34 - ARNAUD, Paul. Le vocabulaire …op cit, p. 34.
35 -Ibid, pp. 32-33.
36 -LAUBRY, Nicolas. Les inscriptions…op cit.
37- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p.1416.
38 -ARNAUD, Paul. Le vocabulaire… op cit, p.34.
39- LAUBRY, Nicolas. Les inscriptions …op cit
40 -PIETRI, Charles. Inscriptions...op cit, p.1416.
41 -THOMPSON, Kori. “Bene Merenti: an epigraphic display of social identity and
expectational difference between roman freeborn and freed women”, Thesis Master of
Arts, Northern Arizona University 2011 p. 04.
42- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1415.
43 - Cours…op cit, p. 21.
44- GROSLAMBERT, Agnès. Populations civiles à Lambèse : étude onomastique »
Revue des Etudes Anciennes, 2003 T 105, N° 01 p. 178.
45- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1421.
46- PIETRI, Charles. La mort en occident dans l’épigraphie latine : de l’épigraphie
païenne à l’épitaphe chrétienne, 3-6 ème siècle », la Maison - Dieu, 144, 1980 p. 1525.
47- Ibid, p. 1530-1533.
48- Ibid, p. 1534-1535.
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ISSN 3772-3734
49- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1454.
51- PIETRI, Charles. Inscriptions…op cit, p. 1460.
52 -Poètes latins auteurs et/ou destinataires d’épigrammes funéraires
http://books.openedition.org/enseditions/5829
53 -LASSERE, Jean- Marie. Ubique Populus : Peuplement et mouvements de
population dans l’Afrique romaine de la chute de Carthage à la fin de la dynastie des
Sévères (146 av. J-C- 235 ap. J-C), Paris 1977 p. 323 N° 121.
54- HAMDOUNE, Christine. Vie, mort et poésie d’après un choix de Carmina Latina,
epigraphica, Bruxelles, 2011 p.144.