Michel
Damiens
Le cabaret de la Belle Alliance
Au cœur de la bataille
2
Sommaire
Un cabaret bien situé… .............................................................................. 5
Une inoubliable rencontre au sommet : légende et vérité… ...................... 9
Les auteurs ........................................................................................... 10
Des témoins ......................................................................................... 14
L’avis du duc ........................................................................................ 16
Le lieutenant Basil Jackson ................................................................. 19
Une plaque commémorative… ............................................................. 21
Jusqu’où pousse Wellington le soir du 18 juin ? ...................................... 23
Et Blücher ? .......................................................................................... 27
A quelle heure ? .................................................................................... 29
Qu’ont joué les musiques prussiennes le soir de Waterloo ? ................... 37
God save the King ................................................................................ 38
Heil Dir in Siegenkranz ........................................................................ 39
Deutschland über alles ......................................................................... 40
Erreur de lecture de carte… ..................................................................... 42
Un règlement de comptes ........................................................................ 47
© Michel Damiens 2012
3
Figure 1 : Berlin, Belle Alliance-Platz dans les années 1900.
En Allemagne, et tout particulièrement en Prusse, la bataille
de Waterloo est connue comme « Belle Alliance Sieg », la
victoire de Belle Alliance. L’une des principales places du vieux
Berlin portait le nom de « Belle Alliance-Platz » en souvenir de
la mémorable bataille. Depuis 1947, cette place s’appelle
Mehring-Platz. Les Berlinois parlent toujours de la Belle
Alliance-Platz et il ne fait pas de doute que tôt ou tard, la place,
appelée Rondell avant 1815 du fait de sa forme parfaitement
circulaire, ne retrouve son nom. Mais il existe encore une Belle
Alliance-Strasse – ainsi d’ailleurs qu’un quai appelé Waterloo-
Ufer.
Comme on le verra, la ferme de Belle Alliance, était au centre
du dispositif français le matin du 18 juin. Les Prussiens
observèrent la coïncidence extraordinaire qu’il y avait entre ce
lieu-dit et la situation politique et militaire qui avait mis bas
l’Empire napoléonien. Ainsi, à l’instar de Blücher lui-même,
prirent-ils l’habitude de désigner la bataille sous le nom de
« Belle Alliance ».
4
5
Un cabaret bien situé…
Le terrain sur lequel est construit la Belle Alliance s’appelait le Rond
Cheneau ; c’est du moins sous ce nom qu’on le retrouve dans les actes
officiels dès 1697 puis dans ceux de 1752, 1761, 1764 et 18131.
Il semble bien que le corps de logis principal ait été construit en 17642
par un certain Monnoie, originaire d’Arquennes. La pièce de terre qui fait
face à cette construction, et où Napoléon se tint à plusieurs reprises au
cours de la bataille, de l’autre côté du chemin de Plancenoit, porte le nom
de Champ du Tri-Motiau. La confusion entre le Tri-Motiau (Trimotiau,
Trimotia, Prémotiau) et le Rond Cheneau s’est faite après la construction
de la ferme. C’est ainsi qu’Henne et Wauters disent que la Belle Alliance
est construite sur le Trimotiau3. La Belle Alliance était certainement une
exploitation agricole à l’origine. Lorsque les époux Vandergote – Demoor
vendirent le bien à Nicolas Delpierre, l’acte de vente du 9 juillet 1813, la
décrit comme « Consistant en un corps de logis, grange et écurie y
contigus, cour, ensuite de laquelle est encore une grange et une écurie,
un jardin et des terres labourables, contenant ensemble deux hectares
vingt centiares, deux bonniers, vingt journaux ancienne mesure locale,
situé au champ du rond cheneau, vulgairement dit le premotiau…4 » La
grange située à l’arrière du corps de logis fut construite en 1772 en même
temps que le petit fournil qui est accolé au sud du bâtiment principal. La
grange qui prolonge le corps de logis au nord a été construite
postérieurement à la bataille.
1 V. à ce sujet TONDEUR, COURCELLE, PATTYN et MEGANCK – La Belle Alliance – Bruxelles, les
Carnets de Campagne, Ed. de la Belle Alliance, 2005, passim. Ces renseignements m’ont été aimablement confirmés par M. Claude Van Hoorebeeck qui a compulsé les Greffes scabinaux d’Ohain et de Plancenoit.. 2 Et non 1765, comme le dit Jacques Logie – Waterloo, l’évitable défaite – Paris, Gembloux, Duculot,
1984, p. 93 3TARLIER (Jules) et WAUTERS (Alphonse) – La Belgique ancienne et moderne. Géographie et
histoire des communes belges. Vol. 2 : Province de Brabant, arrondissement de Nivelles, canton de Genappe – Bruxelles, Decq et Duhent, 1859, p. 78. 4 Claude Van Hoorebeeck.
6
Figure 2: La Belle Alliance en 1880
Dans les environs immédiats, on aurait exploité au début du 19e siècle
une saline. C’est du moins ce que nous disent Tarlier et Wauters5.
Effectivement, on rencontre de l’autre côté de la chaussée, à quelques
dizaines de mètres plus au sud, une maison qui porte le nom de « La
Saline » et qui est aujourd’hui un restaurant6. La Saline est construite sur
un terrain connu jadis sous le nom de « Champ de Remeval (Reneval,
Runeval, etc.) On s’explique difficilement le nom de cette bâtisse : il
n’apparaît pas qu’il y ait jamais eu d’affleurement de sel à cet endroit et
l’appellation « La Saline » n’apparaît pas dans les textes avant le
deuxième tiers du XIXe siècle. Peut-être s’agissait-il d’un dépôt ou d’une
grange à sel.
En 1666, le chantier de pavage de la chaussée venant de Bruxelles
atteignait Mont-Saint-Jean et, en 1680, on entamait les travaux en
direction de Charleroi qui fut atteint en 1714. A l’époque autrichienne, au
cours de laquelle furent construites la plupart des routes pavées de
Belgique, les chaussées étaient construites selon le même modèle : un
coffre de sable profond d’environ 30 cm servait d’assise à un revêtement
de pavés battus à la sonnette7, très bombé pour faciliter l’écoulement des
eaux. Le pavé lui-même était flanqué de 2 cordons de puissantes
bordures et de chemins d’été larges de 3 à 4 mètres. Au total, les
chaussées ont, en principe, une largeur de 5 à 6 mètres et, au passage des
rivières, elles empruntent des ponts larges, tout au plus, de 2 à 3 mètres,
5 Id, p. 70
6 V. Institut géographique national – Carte 1 :10.000 Waterloo 39/3. Le bâtiment est légendé : « La
Saline, Fme ». 7 Charpente en forme de pyramide pour le guidage du mouton dans le battage des pieux ou des
palplanches ou des pavés. (Petit Larousse, 1999).
7
ce qui correspond à la largeur du pavé lui-même8. La circulation était
relativement dense sur la chaussée : c’est par là, en effet, que passait le
lourd charroi transportant le charbon de terre de Charleroi vers la zone
industrielle de Bruxelles. Inévitablement, la route se couvrait de
poussière de charbon et, quand il pleuvait, cette poussière se
transformait en une assez peu appétissante boue noire.
La situation en haut d’une côte du bâtiment à étage unique de la Belle
Alliance, le long de la route, en faisait un endroit idéal pour permettre
aux attelages de souffler. La contrée est assez sèche mais les gravures
anciennes nous montrent un puits dans la cour de la Belle Alliance. Donc,
malgré – ou à cause de – la rareté de l’eau à cet endroit, on pouvait y
désaltérer les chevaux… et les conducteurs. C’est tout naturellement
qu’en 1815, la Belle Alliance se trouvait être un cabaret, appartenant à un
brasseur-distillateur de Plancenoit nommé Nicolas-Antoine Delpierre,
mais exploité par Jean-Joseph Dedave. Inutile de préciser que pendant la
bataille, Dedave était réfugié quelque part et que le cabaret était
abandonné.
Mais pourquoi cet estaminet portait-il le joli nom de « Belle Alliance » ?
C’est semble-t-il Walter Scott qui attacha le grelot. Il raconte en effet
qu’une femme qui habitait là et qui était deux fois veuve épousa en
dernier ressort son valet de ferme et que la population voisine fit des
gorges chaudes à propos de cette « Belle Alliance ». Une autre tradition
veut que ce soit le curé de Plancenoit qui, à l’annonce de ce mariage,
s’exclama par dérision : « Nous allons conclure une belle « alliance »9.
D’après ce que rapporte Jacques Logie, il semblerait que Joseph
Monnoie, qui construisit la Belle Alliance, ait épousé en 1764 une
certaine Barbe-Marie Tordeur et qu’il mourut un an après. La veuve se
serait remariée une première fois en 1766 avec un fermier de Plancenoit,
Jacques Dedave, qui décéda en 1770, puis elle convola une troisième fois
avec un certain Jean-Jacques Delbauche avant de mourir elle-même en
1777. C’est ce dernier qui aurait été son valet de ferme et qui aurait
suscité la verve des villageois de Plancenoit10. Que faut-il penser de tout
cela ? C’est bien difficile à dire… Il faudrait que nous ayons un peu plus
8 GÉNICOT (Léopold) – Histoire des routes belges depuis 1704 – Bruxelles, Office de Publicité, 1948,
passim. 9 Tarlier et Wauters, p. 78.
10 Logie, Evitable défaite, pp. 93-94.
8
de renseignements qu’une simple inscription dans les registres
paroissiaux.
Une autre tradition, rapportée par Henry Houssaye, dit que : « Le nom
de Belle Alliance avait été donné ironiquement à cette chaumière en
souvenir d’un mariage du premier propriétaire, qui était vieux et laid,
avec une jolie paysanne.11 » Cette explication n’est pas absolument
contradictoire avec la précédente.
En tout cas, pour autant que nous sachions, le nom « Belle Alliance »
n’apparaît officiellement dans les actes pour la première fois qu’en 1781,
alors qu’il est question de Jean-Baptiste Taymans, locataire entre 1775 et
environ 1780, qui est qualifié d’ « ancien fermier de la maison d’auberge
et de la ferme nommée Belle Alliance sous la paroisse de Plancenoit…12 »
Mais l’usage devait en être établi puisque la carte de Ferraris, levée entre
1771 et 1777, fait bien mention de la Belle Alliance.
11
HOUSSAYE (Henry) – 1815, t. 2 : Waterloo – Paris, Christian de Bartillat, éditeur, 1987, p. 265, note 1. 12
Claude Van Hoorebeeck.
9
Une inoubliable rencontre au sommet : légende et vérité…
Le cabaret de la Belle Alliance ne joua aucun rôle dans la bataille et subit
peu de dégâts. Il ne fut jamais mis en défense ; il ne fut jamais l’objet
d’un quelconque combat. Il ne doit sa célébrité qu’au fait que, bien visible
de partout, il marque le centre de la position de l’armée française au
début de la bataille. Seule une annexe subit quelque dégât, d’ailleurs peu
important. Par ailleurs, il semble bien que, à un moment où l’autre de la
journée, Napoléon se soit porté sur la petite hauteur qui domine le
chemin qui s’embranche à la Belle Alliance pour rejoindre Plancenoit ; à
d’autres moments, il se tint, nous l’avons dit, au Champ du Tri Motiau.
Néanmoins, ce bâtiment sans aucune importance acquit une célébrité
universelle : c’est à cet endroit que Blücher et Wellington se
rencontrèrent au soir de la bataille. C’est du moins ce que racontent les
auteurs et ce que semble confirmer la plaque en marbre blanc que l’on
apposa au-dessus de la porte du cabaret (fig. 3) :
« Belle Alliance / Rencontre / des généraux / Wellington et Blücher / lors
/ de la mémorable / bataille du XVIII juin / M.D.CCC.XV / se saluant
mutuellement vainqueurs. »
Cette plaque, usée par le temps, a été remplacée et se trouve actuellement
au Musée du Caillou. Il est impossible de dire quand et par qui cette
plaque fut placée, mais il ne fait pas de doute que ce fut très peu de temps
après la bataille. La plaque conservée au Caillou porte en tout cas la
mention « Estaminet » mais alors que le reste de l’inscription a été
régulièrement entretenue depuis sa pose, le mot « Estaminet » ne l’a pas
été et est ainsi devenu relativement difficile à lire.
10
Figure 3 : La première plaque posée au-dessus de la porte de la Belle Alliance. Remarquez au bas
l'inscription, à moitié effacée : "Estaminet".
Les auteurs
Les auteurs ne s’accordent pas – c’est le moins qu’on puisse dire – sur
l’endroit exact où se rencontrèrent réellement Wellington et Blücher au
soir du 18 juin. Petite revue de textes…
11
Figure 4 : Daniel Maclise : The Meeting of Wellington and Blücher (1861), détail. Westminster,
House of Parliament, Royal Gallery.
Thiers :
« Le duc de Wellington et le maréchal Blücher se rencontrèrent
entre la Belle Alliance et Plancenoit et s’embrassèrent en se
félicitant de l’immense succès qu’ils venaient d’obtenir.13 »
Houssaye :
« Vers neuf heures et quart,… Blücher et Wellington se
rencontrèrent devant la Belle Alliance…14 »
Chastenet :
« Pendant ce temps et tandis que Prussiens et Français se battent
encore à Plancenoit, Wellington, à la suite de ses troupes, a fait
descendre à son cheval la pente de Mont-Saint-Jean et a gravi la
rampe opposée. A neuf heures et demie il est devant l’auberge de la
Belle Alliance où arrive Blücher.15 »
Andrew Roberts :
13
THIERS (Adolphe) – Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XX – Paris, Lheureux et Cie, éditeurs, 1862, p. 253. 14
Houssaye, p. 414. 15
CHASTENET (Jacques) – Wellington – Paris, Tallandier, 1979, pp. 207-208.
12
« L’enseigne Gronow eut la chance – inestimable pour un
mémorialiste assidu – de se trouver présent à l’auberge de la Belle
Alliance, où Blücher retrouva Wellington vers 21 heures, le 18
juin. 16»
Henri Bernard :
« Vers 21 heures 15, près de la Belle Alliance, à moins que ce ne soit
quelques centaines de mètres plus au sud, Arthur [Wellington]
rencontre le vieux Blücher qui a mené la dernière phase des
opérations prussiennes, avec son allant habituel, mais aussi avec sa
haine tenace et aux cris de « Pas de quartier ». Le maréchal
prussien se précipite vers le duc : « Mein lieber Kamerad », dit-il,
puis il ajoute, en français, les deux seuls mots qu’il connaît dans
cette langue : « Quelle affaire ! » 17 »
Desoil :
« Vers 9 heures, Wellington et Blücher s’étaient rencontrés à la
Belle Alliance.18 »
Jacques Logie est un peu moins laconique :
« Entre neuf heures et demie et dix heures du soir, Wellington
revenant de la Maison du Roi où il venait de donner l’ordre de
bivouaquer à ses troupes harassées, s’en retourna vers Waterloo
par la chaussée, accompagné d’un petit groupe d’officiers. L’un
d’entre eux, le lieutenant Basil Jackson relate en ces termes sa
rencontre avec le maréchal Blücher :
16
ROBERTS (Andrew) – Waterloo, 18 juin 1815. Le dernier pari de Napoléon – Paris, Editions de Fallois, 2006, p. 143. En réalité, Gronow écrit : « Après notre charge finale et la retraite de l’armée française, nous arrivâmes et primes notre bivouac vers neuf heures dans le verger de la ferme de la Belle Alliance, à environ une centaine de mètres de la ferme où Napoléon était resté quelques heures. Nous fumes à ce moment dérangés par le son de trompettes ; je me précipitai immédiatement avec quelques autres officiers et nous constatâmes que ce bruit provenait d’un régiment de cavalerie prussien avec, à sa tête, Blücher. Le duc de Wellington, qui avait donné rendez-vous à Blücher à cet endroit, s’avança et les deux généraux victorieux se serrèrent la main de la manière la plus cordiale et la plus sincère. Après une courte conversation, notre chef partit pour Bruxelles, tandis que Blücher et les Prussiens rejoignaient leur armée qui, sous le général Gneisenau, poursuivait déjà activement les Prussiens. Après quoi, j’entrai fans la ferme où Napoléon avait passé une partie de la journée. Le mobiliers avait selon toute apparence été détruit mais je trouvai un immense feu fait de boiseries de lit et de pieds de chaises qui, d’après les braises, devait avoir brûlé pendant un temps considérable. » (Captain GRONOW’s Recollections and Anecdotes of the Camp, the Court, and the Clubs, at the close of the last war with France – London, Smith, Elder &Co, 1864, p. 199-200. 17
BERNARD (Henri) – Le duc de Wellington et la Belgique – Bruxelles, Renaissance du Livre, 1983, p. 239. 18
DESOIL (Paul) – La Chute de l’Aigle – Bruxelles, Editions du Marais, 1956, p. 57.
13
« En approchant de la ferme de la Belle Alliance, nous vîmes un
groupe de cavaliers traversant les champs à notre droite. C’était le
maréchal Blücher et sa suite. Les deux grands chefs se serrèrent
cordialement les mains et restèrent ensemble environ dix minutes.
Il faisait si noir que je ne pouvais distinguer les traits de Blücher et
que je dus demander à un officier prussien le nom de la personne
avec qui le duc conversait ; j’étais cependant tout près de lui mais
pas assez pour entendre ce qu’ils disaient. En quittant Blücher le
duc se dirigea vers Waterloo en marchant au pas.19 »
« Wellington, vingt-cinq ans plus tard, rapporta au cours d’un
dîner, cette entrevue : « Je rencontrai Blücher près de la Belle
Alliance, nous étions tous deux à cheval, néanmoins, il me donna
l’accolade et m’embrassa en s’exclamant : Mein lieb Kamerad !
Quelle affaire ! ce qui était à peu près les seuls mots français qu’il
connaissait.20 » 21»
Figure 5 : Adolph von Menzel (1815 - 1905) : Blücher und Wellington bei Belle Alliance,
Münich, Neue Pinakotek.
19
Logie cite en référence : « Lt. Col. Basil Jackson, Waterloo et Sainte-Hélène – Souvenirs d’un officier d’état-major, Paris 1912, p. 72. » 20
Référence de Logie : « Philipp Henry, 5th Earl Stanhope, Notes of conversations with the Duke of
Wellington, London, 1888, p. 245. » 21
Logie – Évitable défaite, pp. 98-99.
14
Le fin mot de l’histoire serait-il donc du côté des auteurs anglais ? Le
sergent-major Edward Cotton raconte :
« Le duc… resta quelques temps avec ses troupes avancées sur la
droite de Rossomme, à converser avec le général Vivian, le colonel
Colborne et d’autres ; après quoi, ayant promis d’envoyer les
provisions, Sa Grâce fit faire demi-tour à son cheval et s’en alla. En
retournant à son aise vers Waterloo, vers dix heures, il aperçut un
peu avant d’arriver à la Belle Alliance à l’aide d’une lune un peu
obscure, un groupe d’officiers montés qui, venant du côté de
Frischermont, se dirigeait vers la grand’route de Genappe ; le duc
se détourna pour les rejoindre, il se trouva que c’étaient Blücher et
son état-major ; ils se complimentèrent mutuellement de la façon la
plus cordiale, du glorieux résultat de la lutte, dans laquelle ils
avaient été engagés. L’entretien avait duré environ dix minutes,
lorsque le vétéran Blücher, après avoir promis de ne pas laisser à
son ennemi invétéré le temps de se rallier de ce côté-ci de ses
frontières, échangea une poignée de main avec Sa Grâce et partit
pour Genappe, ayant envoyé au général Gneisenau, qui
commandait l’avant-garde, l’ordre de presser et de harceler
l’ennemi, et ne pas laisser l’herbe croître sous ses pieds, ni de lui
permettre même de reprendre haleine.22 »
Des témoins
Jacques Logie avait cité l’ouvrage de sir Basil Jackson. Mais cet officier
qui appartenait en 1815 au Corps royal d’Etat-Major (Royal Staff Corps)
donne ailleurs une autre version. Dans une série d’articles parue en 1847
dans le Colburne’s United Service Magazine23, il écrivait :
« Un peu avant qu’il [Wellington] n’atteigne la Belle Alliance, les
silhouettes d’un nombreux groupe à cheval entouré d’une troupe
d’infanterie apparurent, malgré l’obscurité, marchant vers la route
en provenance de Papelotte et La Haye. Au moment où on
l’aperçut, ce groupe était distant d’environ cinquante yards de la
route et, à sa vue, le duc, peut-être au courant du fait qu’il s’agissait
22
COTTON (Edward) – Une voix de Waterloo. Histoire de la bataille livrée le 18 juin 1815. Trad. Gust. Cluse – Bruxelles, Imprimerie Jules Combe, 1874. La première édition de cet ouvrage en anglais A voice from Waterloo parut à Bruxelles en 1845. Le sergent-major Cotton, en tout état de cause, n’a pas assisté à l’entrevue. 23
JACKSON (Lt-Col Basil) – Recollections of Waterloo, by a Staff Officer, Colburn’s United Services Magazine, part III , septembre, octobre et novembre 1847.
15
du maréchal Blücher et de son état-major, obliqua pour aller à la
rencontre du brave vieux Prussien. J’étais très proche des deux
héros pendant leur courte entrevue qui dut durer environ dix
minutes ; mais il faisait trop noir pour que je distingue les traits du
vieux Blücher. Le fait que cette rencontre ait eu lieu à deux ou trois
cents yards de La Belle Alliance est une coïncidence remarquable ;
et très certainement, Blücher dut émettre le souhait que la bataille
porte ce nom, comme nous l’avons dit. Il devait être environ neuf
heures et demie quand ces hommes remarquables se serrèrent la
main et se quittèrent. Le duc regagna la chaussée et avança au pas
comme auparavant.24 »
Adkin qui fait cette citation, donne un autre avis : celui du général de
Constant-Rebecque, qui accompagnait Wellington. D’après le chef d’état-
major néerlandais, la rencontre avec Blücher eut lieu non loin du
Caillou :
« Nous étions proches de la ferme de Rossomme. Comme nous
avancions vers cet endroit, le duc, parlant de la bataille, dit : « Bien,
qu’en pensez-vous ? » Je répondis « Je crois, Monsieur, que c’est la
plus belle chose que vous ayez accomplie ». Il répondit : « Bon
Dieu, j’ai sauvé moi-même quatre fois la bataille ». Sur quoi, je lui
dis : « Je suppose qu’on appellera la bataille Mont-Saint-Jean ». Il
répondit : « Non, Waterloo ». Nous atteignîmes Rossomme et
trouvâmes la route bloquée par l’artillerie que l’ennemi avait
abandonnée. Nous eûmes de grandes difficultés à traverser le
hameau de Maison du Roi à cause des pièces abandonnées là ; nous
prîmes donc à droite à travers champs et, comme il était dix heures
et qu’il faisait complètement noir, le duc ordonna aux troupes de
faire halte. Je portai cet ordre à la brigade du colonel Detmers qui
bivouaqua entre la Maison du Roi et le bois de Caillois. Nous
revînmes sur la grand-route entre la ferme du Caillou et la Maison
du Roi et c’est là que nous rencontrâmes le Feldmarshall Blücher, le
général Bülow et leur état-major. Nous nous félicitâmes
mutuellement et il fut convenu que les Prussiens continueraient à
poursuivre ; en effet, le général Gneisenau commandait en
personne et avait reconduit l’ennemi d’un bivouac à l’autre ; il avait
24
Cité par ADKIN (Mark) – The Waterloo Companion – Londres, Aurum Press, 2005, p. 401. Nous avons retrouvé ce texte dans le Colburne’s United Service Magazine, septembre 1847, pp. 5 et sq.
16
pris Genappe l’épée à la main et avait capturé le personnel
appartenant à Bonaparte qui s’était enfui vers Paris…25 »
C’est aussi l’avis de Jean-Pierre de Potter :
« Blücher dira longtemps, pour appuyer sa thèse26, que les deux
généraux en chef se sont rencontrés, au soir du 18 juin, à la hauteur
de cette ferme [Belle Alliance]. Ils se sont mutuellement
congratulés dans le hameau la Maison du Roi, plus au Sud.
« Wellington nie la rencontre avec Blücher à la Belle Alliance, il
prétend n’avoir vu celui-ci que vers Genappe.27 »
Tiens, tiens… Logie ne nous a-t-il pas cité un texte du comte Stanhope
qui prétend avoir entendu raconter la rencontre de Wellington et de
Blücher par le duc lui-même : « Je rencontrai Blücher près de la Belle
Alliance » ?…
L’avis du duc
C’est que, aussi ahurissant que cela puisse paraître, ni Logie ni les autres
–sauf Henry Houssaye – n’ont consulté sérieusement ni les Despatches
ni les Supplementary Despatches de Wellington. En tout cas, Logie ne les
mentionne pas dans sa bibliographie même si à cinq reprises, il cite cette
correspondance28 à propos de faits connexes à la campagne proprement
dite.
Rappelons que la correspondance complète de Wellington à partir de
1799 fut publiée intégralement : tout d’abord The Dispatches of Field-
Marshal the Duke of Wellington during his various Campaigns (W.D.)
compilées par le lieutenant-colonel Gurwood. Le volume qui porte plus
25
Constant-Rebecque in FRANKLIN (John) – Waterloo ; Netherlands Correspondence – Ulverston, 1815 Limited, 2010. 26
Il s’agit de sa volonté d’appeler la bataille du nom de la Belle Alliance. 27
DE POTTER (Jean-Pierre) – 1815, mise à mort de l’Empire par Napoléon – Wezembeek-Oppem, Editions Graffiti, 1981. L’ouvrage n’est pas paginé. 28
Voir Logie – Evitable défaite, p. 209, note 2 : une lettre à Lord Bathurst du 2 juillet 1813 (W.D. VI, p. 576) qui a trait à l’armée anglaise placée sous son commandement contenant la fameuse phrase : « C’est l’écume de la terre, recrutée pour boire ». Cette note est reprise sous le n° 7 dans LOGIE (Jacques) – Napoléon, la dernière bataille – Bruxelles, Racine, 1998, p. 22. Voir Logie – Evitable défaite, p. 209, note 6 : un rapport à Wellington sur l’état d’esprit dans l’armée française (W.S.D. X, p. 365), reprise sous le n° 2 dans Dernière bataille, p. 17. Voir Logie – Evitable défaite, p. 209, note 18 à propos d’une lettre du 27 juin 1815 au roi des Pays-Bas concernant le comportement des troupes néerlandaises (W.S.D. XII, p. 514). Cette note est reprise dans Dernière bataille, p. 44. Voir Logie –Evitable défaite, p. 209, note 20 à propos d’une lettre à Lord Lynedoch du 13 juin 1815 (W.D., XII, p. 432) reprise sous le même numéro dans Dernière bataille, p. 46. Voir Logie – Dernière bataille, p. 50, note 21 à propos d’un rapport du général Dörnberg du 6 juin 1815 (W.S.D., X, pp. 423-424).
17
spécialement sur la campagne de Belgique porte le numéro 12. Plus tard
furent publiées The Supplementary despatches and memoranda
(W.S.D.) en quinze volumes de 1858 à 1872. Dans cette série, c’est le
volume 10 qui concerne plus particulièrement la campagne de 1815 ; et
enfin The Despatches, Correspondence and memoranda, publiées en
huit volumes de 1867 à 1880 par le petit-fils du duc, concerne les années
postérieures à 1815.
Si Logie avait été un peu plus attentif, il serait inévitablement tombé sur
une lettre du duc de Wellington, datée du 8 juin 1816 et adressée à un
certain W. Mudford, Esq., lequel sollicitait avec insistance l’autorisation
de lui dédier un ouvrage consacré à la bataille de Waterloo. Mudford
avait écrit le 13 avril et Wellington lui avait répondu le 2 mai qu’il ne
voulait pas qu’on lui dédicaçât un quelconque ouvrage s’il n’en avait pas
préalablement pris connaissance. Le duc précisait qu’il était
particulièrement sensible aux récits concernant la bataille de Waterloo. Il
constatait – en 1816 ! – que l’on avait plus écrit au sujet de cette bataille
que sur n’importe quel événement et que, le plus souvent, ces écrits
étaient décevants :
« Ceux qui ont écrit à ce sujet ont estimé qu’ils possédaient toutes
les informations voulues dès qu’ils avaient eu une conversation
avec un paysan de l’endroit ou avec un officier ou un soldat engagé
dans la bataille. De tels comptes-rendus ne peuvent être
véridiques… »
Et le duc concluait en mettant son correspondant en garde contre ces
auteurs lorsqu’il rédigerait son ouvrage29. W. Mudford répondit en
insistant et demanda au duc où il pourrait trouver des informations
dignes de foi. Le 8 juin 1816, le duc reprenait la plume et répétait les
raisons qui l’incitaient à être méfiant à l’égard des ouvrages qu’on voulait
lui dédicacer ; il poursuivait :
« En réponse à votre demande je ne peux que vous renvoyer à mes
propres dépêches publiées dans la London Gazette. Le compte-
rendu du général Alava est plus proche de la réalité que n’importe
quel autre rapport officiel publié mais il contient certaines
affirmations qui ne sont pas exactement correctes. On ne peut faire
29
W. S. D., X, p. 508 n° 891. Soit dit en passant, cette remarque de Wellington explique la méfiance qu’il manifestera plus tard à l’égard de l’ouvrage de Siborne qui, précisément, est une compilation de témoignages.
18
confiance à aucun des autres rapports que j’aie eus sous les yeux.
On peut attribuer à certains d’entre eux l’origine des contrevérités
qui circulent par le moyen de publications non-officielles dont la
presse a regorgé… »
Le duc – et c’est ici que la chose devient intéressante – continue en citant
un exemple :
« Parmi ces contrevérités, il en est un exemple très remarquable :
l’histoire d’une rencontre entre le maréchal Blücher et moi à la
Belle Alliance ; et certains ont même été jusqu’à prétendre avoir vu
la chaise sur laquelle je me serais assis dans cette ferme. Il se fait
que cette rencontre a eu lieu après dix heures du soir dans le
village de Genappe30 ; et quiconque voudra décrire avec vérité les
opérations des différentes armées verra qu’il ne pouvait pas en être
autrement.31 »
Voilà qui semble définitif… Il n’y a en effet aucune raison sérieuse pour
négliger les affirmations de Wellington, émises moins d’un an après des
événements dont le souvenir est frais dans son esprit, pendant que l’on
prend en considération une conversation tenue par Wellington avec lord
Stanhope et rapportée – Dieu sait comment ! – par celui-ci près de 70
ans après les faits. S’il y a bien un exemple de témoignage indirect, c’est
ici qu’il faut le trouver…
Rassurons le lecteur à propos de Mudford : il publia effectivement son
livre en 1817 à Londres, chez Colburn : An Historical Account of The
Campaign in the Netherlands, in 1815, under His Grace the Duke of
Wellington and Marshal Prince Blucher. Comprising the Battles of
Ligny, Quatre-Bras, and Waterloo, with a Detailed Narrative of the
Political Events Connected with Those Memorable Conflicts, Down to
the Surrender of Paris, and the Departure of Bonaparte for St. Helena.
Cet ouvrage est remarquable du fait des trente-six gravures dessinées sur
le terrain quelques semaines après la bataille par James Rouse. Ces
gravures ont une importance particulière pour l’histoire de la bataille.
Nous y reviendrons.
30
C’est le duc qui souligne. « It happens that the meeting took place after ten at night, at the village of Genappe… » Il est à remarquer que Houssaye (p. 414, note 1) « fausse » ce texte en écrivant : « Cette rencontre, écrit-il à Mudford (Supplem. Dispatches, X, 508), n’a eu lieu qu’à Genappe et passé 11 heures du soir. » Or ce n’est pas ce que Wellington a écrit. Si Houssaye « interprète » la lettre de Wellington, c’est pour les besoins d’une démonstration sur laquelle nous reviendrons. 31
W.S.D., pp. 508-509 n° 892.
19
Quant à Basil Jackson, réglons la question une fois pour toute. Le lecteur
aura peut-être été surpris de constater la différence qu’il y a entre le texte
cité par Logie et celui donné par Adkins. Il y a une explication à cela.
Le lieutenant Basil Jackson
En 1815, le lieutenant Basil Jackson était âgé de 20 ans et occupait les
fonctions de Deputy-Assistant Quartermaster General soit « attaché
adjoint quartier-maître général ». Il faisait donc partie de l’état-major
britannique mais à un rang relativement subalterne. Cet officier a pu être
considéré comme l’un des derniers survivants de la bataille puisqu’il
mourut, retraité colonel, en 1889, à l’âge de 94 ans. Chose curieuse : son
père – prénommé également Basil – participa aussi à la bataille de
Waterloo : à l’âge de 58 ans, il était capitaine au Royal Wagoon Train ; il
mourut à l’âge de 92 ans…
Comme nous l’avons dit, c’est en 1847 que Jackson se décida à publier ses
notes sur la campagne de 1815 dans une revue essentiellement destinée
aux militaires : le Colburne’s United Service Magazine. A cette époque le
duc de Wellington était encore vivant et, le cas échéant, aurait pu émettre
un avis sur le compte-rendu de Jackson. Celui-ci se montre donc très
prudent puisqu’il est toujours susceptible de démenti et constitue donc
une source crédible pour les historiens. Wellington n’émit jamais aucun
avis sur le travail de Jackson. De là à en conclure que tout ce que dit
Jackson est vrai, il y a un pas. Nous l’avons dit : le duc de Wellington
n’était pas très bavard et parlait fort peu de la bataille de Waterloo.
Certains historiens qui se sont intéressés à la personnalité du duc n’ont
pas hésité à dire que la journée du 18 juin 1815 et la nuit qui suivit
constituèrent pour lui un véritable choc traumatique dont il ne se remit
jamais. Pour Wellington, la plus sanglante bataille à laquelle il eût à
participer était un très mauvais souvenir. Il est très significatif que
Wellington, sollicité par tous les éditeurs britanniques et américains,
n’ait jamais voulu écrire ses Mémoires, ce qui eût été passionnant. Il se
contenta d’accepter que sa correspondance fût publiée par le colonel
Gurwood, en qui il avait confiance et à qui il remit la totalité de ses
archives. C’est ce qui nous vaut, au total, les 35 volumes des Despatches
dont la publication s’échelonna sur 46 ans, de 1834 à 188032.
32
Ce qui n’empêcha pas, chose tout à fait extraordinaire, le duc de prendre la plume en 1842, lors de la publication de la Campagne de 1815 par Clausewitz, pour rédiger un Memorandum. Il est vrai que
20
Malheureusement, après sa mort, le malheureux Jackson, fut victime
d’un véritable hold-up intellectuel. En 1903, un certain R. C. Seaton
s’empara des articles publiés en 1847 et les « aménagea » à son goût. Cela
donna un livre intitulé Notes and Reminiscences of a Staff Officer33. En
réalité, Seaton avait pour but de mettre les écrits de Jackson « en
conformité » avec l’histoire de Siborne. Ce qui donne d’énormes
distorsions entre le texte original et la version publiée en 1903. L’ouvrage
publié par Seaton n’est donc plus fiable du tout. C’est pourtant celui-ci
qui fut traduit en français et publié sous le titre : « Waterloo et Sainte-
Hélène. Notes et souvenirs d’un officier d’État-Major 34 » sous la
signature du lieutenant-colonel Basil Jackson et publié à Paris chez Plon
et Nourrit. C’est la deuxième édition de cet ouvrage, parue en 1912,
qu’utilise et que cite Jacques Logie. Hamilton-Williams a pointé de
nombreuses différences entre la version originale de Jackson et celle de
Seaton au point que, dans son apparat critique, il en arrive à écrire que
les deux versions sont très différentes en leur contenu : « Seaton publia
Jackson pour le conformer à Siborne et connaissait si mal l’original de
Jackson qu’il donne des dates incorrectes de publication de celui-ci en
parlant d’octobre et novembre 1843 et de mars 1844.35 ». Par exemple,
dans le récit de la bataille des Quatre-Bras, Seaton fait dire à Jackson que
des « étrangers » – entendez des Hollando-Belges – « fuyaient lâchement
le long de la route de Bruxelles » ; dans la version originale, Jackson
parle seulement des « quelques étrangers qui aidaient les blessés alliés ou
qui étaient blessés eux-mêmes »36.
En conclusion, nous dirons donc qu’il faut rejeter le témoignage de
Jackson s’il n’est pas pris dans sa version de 1847, considérer l’édition de
1903 comme un faux et la flanquer à la corbeille sans la moindre pitié. La
traduction française de 1912 doit évidemment subir le même traitement
radical.
Clausewitz émettait un jugement particulièrement sévère sur les dispositions prises par le duc dans les premiers jours de la campagne. 33
JACKSON (Lt-Col Basil) – Notes and reminiscences of a staff officer chiefly relating to the Waterloo campaign and to St. Helena matters during the captivity of Napoleon ; edited by R. C. Seaton – London, J. Murray ; New-York, E.P. Dutton & Co, 1903. 34
JACKSON (Basil Lt Col) – Waterloo et Sainte-Hélène. Notes et souvenirs d’un officier d’Etat-major, édités par R.C. Seaton – trad. Em. Brouwet, 2
e éd. – Paris, Plon Nourrit et Cie, 1912
35 HAMILTON-WILLIAMS (David)– Waterloo. New perspectives. The great battle reappraised –
London, Arms ans Armour, 1993, p. 374, note 40. 36
Jackson, Recollections, pp. 7 (1847). Jackson (Seaton), Reminiscences., p. 20.
21
Une plaque commémorative…
Revenons-en donc à notre sujet. Que reste-t-il des témoignages qui
parlent de la Belle Alliance comme lieu de rencontre des deux généraux
en chef le soir du 18 juin 1815 ? Nous ne pouvons accepter les
témoignages de deuxième main, c’est-à-dire ceux qui sont basés sur des
données invérifiables. Si les auteurs parlent pratiquement tous de la Belle
Alliance, c’est qu’ils sont abusés par ce qu’a raconté Blücher après la
bataille et par des témoignages « truqués » à commencer par la fameuse
plaque en marbre placée peu de temps après la bataille au-dessus de la
porte du cabaret (fig. 3). On connaît mal l’histoire de cette plaque. Mais il
est une chose certaine, c’est qu’elle n’a pas été posée par une autorité
officielle. En témoigne l’inscription « Estaminet » à demi-effacée au bas
de cette plaque aujourd’hui conservée au Musée du Caillou.
Il faut savoir qu’avant l’érection de la butte du Lion, entamée en 1824 et
terminée en 1826, et du petit hameau qui l’entoure, le lieu de rendez-
vous des touristes désireux de visiter le champ de bataille était
précisément le cabaret de la Belle Alliance. C’est ainsi que l’on vit se
succéder à cet endroit la moitié des têtes couronnées d’Europe : Frédéric-
Guillaume III de Prusse, le roi Guillaume des Pays-Bas (en juillet 1815),
le tsar Alexandre (en octobre 1815), le roi George IV d’Angleterre, guidé
par Wellington37 lui-même, en 1821, sans compter les souverains et
princes de moins hauts parages. A cette époque, le cabaret était donc
mieux exploité qu’il ne l’avait jamais été. Une bonne affaire !…
Le tenancier, tout en ignorant le sens du mot marketing, n’en appliquait
pas moins les règles les plus pointues. Quelques semaines après la
bataille, il fit peindre sous l’enseigne située au-dessus de la porte les mots
« Hôtel Wellington »38 et « Hôtel » au-dessus de l’enseigne placée sur le
pignon. Ainsi donc, en quelques coups de pinceau, le cabaret de rouliers
était-il transformé en « Hôtel » et s’enorgueillissait-il du nom du héros
britannique auquel les foules de touristes venaient rendre hommage.
37
Lequel constatait à cette époque qu’ « on lui avait bien changé son terrain ». 38
C’est ce qu’on remarque sur la gravure de James Rouse, publiée en 1817 (voir fig. 6).
22
Figure 6 : James Rouse : La Belle Alliance. Gravure aquatinte coloriée à la main. Illustration du
livre de W. Mudford, An historical Account of The Campaign in the Netherlands in 1815... Londres, Henry Colburn, 1817. (Courtesy CVH)
On raconte d’ailleurs que le cabaretier qui n’était pas la moitié d’un
malin, montrait le clou où Napoléon avait accroché son chapeau durant
la journée du 18 juin. Le touriste, avide de souvenirs, cherchait à acheter
le fameux clou que le cabaretier, très réticent, finissait par lui céder à prix
d’or. A peine le visiteur avait-il tourné les talons qu’un autre clou venait
prendre la place du précédent39.
Toujours est-il que, le 17 décembre 1815, le cabaret, dans l’état où il était,
fut revendu par Nicolas Delpierre à un certain Richard Matthew Ramsey,
natif de Glasgow, qui déboursa la somme astronomique pour l’époque de
12 500 francs-or40. L’érection de la butte du Lion constitua pour les
exploitants de la Belle Alliance une véritable catastrophe. Il est donc
vraisemblable que la fameuse plaque mentionnant la rencontre,
aujourd’hui au Caillou, ait été placée à cette époque, soit entre 1815 et
1824, et sans doute par les soins des propriétaires eux-mêmes.
Ceci étant dit, il est bien évident que ce n’est pas sur le terrain que nous
trouverons une solution à notre problème. Peut-être pourrions-nous
suivre le conseil de Wellington et nous intéresser aux opérations des
diverses armées, comme il nous le suggère.
39
Brabant wallon au fil des jours et des saisons – Lasne, Éditions de l’ARC, 1998 – p.162. 40
Id., ibid. ; Claude Van Hoorebeeck.
23
Jusqu’où pousse Wellington le soir du 18 juin ?
Tous les témoignages immédiats que nous avons cités semblent
d’accord : c’est en revenant vers Waterloo que Wellington rencontra
Blücher. Mais d’où revenait-il ?
Après l’échec de la dernière attaque de la Garde impériale, Wellington
ordonna l’avance générale de ses troupes après 20 h 00. Seul auteur à
être un peu plus précis : le général Desoil écrit : « Marche en avant des
Anglais : 8 heures et quart du soir.41 » Admettons cette heure.
Il reste à ce moment aux Anglo-Néerlandais à refouler leurs ennemis vers
le sud. Nous savons d’autre part, que certains bataillons français, réunis
en carrés, offrent une belle résistance et reculent lentement. Par ailleurs,
les Français n’abandonnent Plancenoit qu’à 21 h 30 et gagnent la
chaussée de Charleroi, vivement poussés par les Prussiens. Combien de
temps les débris des carrés de la Moyenne Garde42 mettent-ils pour
rejoindre les carrés du 1er Grenadiers situés 400 m environ au sud de la
Belle Alliance sur la route ? Autrement dit, combien de temps la
Moyenne Garde met-elle à parcourir quelque 1 400 m ? Nous savons à
quel point ces derniers combats ont été violents. La retraite de la
Moyenne Garde a été lente, entrecoupée d’arrêts43, rendue difficile par
l’état du terrain jonché de cadavres. Cette lente et difficile retraite n’a pas
pu prendre moins d’une heure et demie. Les restes de la Moyenne Garde
une fois recueillis par le 1er Grenadiers, il reste encore à celui-ci à
retraiter vers Rossomme, huit cents mètres plus au sud, ce qu’il fait
lentement et en bon ordre, non sans s’arrêter d’ailleurs à plusieurs
reprises pour livrer une salve ou pour recueillir le plus de fuyards
possible.
On ne peut dès lors pas admettre comme vraisemblable que Wellington,
après avoir ordonné l’avance générale de ses troupes à 20 h 00 au plus
tôt, ait pu pousser jusqu’à Rossomme ou au-delà pour revenir à Belle
Alliance avant 21 h 15. C’est de la simple logique. Il est donc tout à fait
exclu qu’il ait pu rencontrer Blücher à la Belle Alliance à 21 h 15 ou
auparavant.
41
Desoil, p. 56. 42
Nous utilisons cette expression pour la facilité. Dans les faits, les bataillons de la garde impliqués dans cette dernière attaque appartenaient à la Vieille Garde. 43
Rappelons qu’il est rigoureusement impossible de recharger un fusil sans être debout à l’arrêt.
24
La question est donc de savoir jusqu’où les Anglo-Alliés ont avancé le soir
du 18 juin. Il s’agirait, tout simplement, de savoir où ils ont bivouaqué
dans la nuit du 18 au 19 juin 1815. Mais la chose n’est pas aussi simple
qu’elle paraît. Très étrangement, la plupart des auteurs semblent se
désintéresser de la question. Pas une trace de ces cantonnements chez
Logie ni chez Desoil. Houssaye est à peine plus bavard :
« L’armée de Wellington s’arrêta. Les soldats saluèrent d’un triple
Hip ! hip ! hurrah ! les Prussiens qui les dépassaient et ils
s’établirent au bivouac, en plein charnier.44 »
Cette allusion au charnier signifie, si nous lisons bien, que les Anglo-
Alliés ne sont pas allés au-delà de Rossomme.
Devos est un peu plus précis quand il écrit :
« Wellington s’avança jusqu’au Caillou, puis il décida de faire
cantonner ses troupes épuisées. Les bivouacs installés le plus au
sud se trouvaient aux environs de Rossomme et de Maison du
Roi.45 »
Devos situe la rencontre avec Blücher après cet ordre de cantonnement.
C’est Henri Bernard qui est le plus exact :
« Wellington fait mettre ses unités au cantonnement : les plus
avancées s’établissent dans la région Maison du Roi, Rossomme,
fermes de Hélicourt (sic) et de Neuve-Cour.46 »
Retenons cette localisation, nous y reviendrons.
44
Houssaye, p. 415. 45
DE VOS (Luc) – Les 4 jours de Waterloo – Bruxelles, Didier Hatier, 1990, p. 133. 46
Bernard, Wellington, p. 239.
25
Figure 7 : "Hilaincour" et "Neuvecour" sur la carte marchande de Ferraris.
William Siborne faisait une allusion évasive à cette localisation :
« Pendant ce temps, Vivian, appuyant un peu sur sa droite,
conduisit ses hussards beaucoup plus loin en avant de l’armée, du
côté français de l’observatoire [de Callois] et établit son bivouac
non loin du hameau de Hilaincourt.47 »
Puisqu’il s’agit ici de l’armée britannique, on devrait s’attendre à ce que
les auteurs anglais contemporains soient un peu plus précis. Or
Hamilton-Williams est muet et Mark Adkin ne dit rien de plus… C’est
dans la correspondance publiée par H.T. Siborne que l’on trouve
quelques données qui nous ramènent aux positions données par Henri
Bernard dont nous connaissons donc la source.
Nous connaissons bien la Maison du Roi et Rossomme, mais les fermes
d’ « Hélicourt » et de « Neuve-Cour » nous sont encore inconnues.
Penchons-nous donc sur la carte de Ferraris. En cherchant un peu, nous
trouvons sans difficulté Neuvecour (sic) et Hilaincour (sic) (voir fig. 7).
Ces lieux-dits se retrouvent sur l’actuelle carte de l’I.G.N. sous les
graphies « Neuve-Cour » et « Hulencourt ».
47
Siborne, p. 383.
26
Un coup d’œil à la carte nous indique donc que l’armée anglo-
néerlandaise à poussé au plus loin jusqu’à hauteur de Glabais, sur la
latitude (54° 10’) passant par Hulencourt et Bruyère Madame et, sans
doute, selon les témoignages, à l’ouest de la route de Genappe. Van
Zuylen, chef d’état-major de Perponcher, semble indiquer que la 2e
division néerlandaise continua la poursuite jusqu’en vue de Genappe :
« Près de Genappe, l’armée française s’arrêta un instant : la
multitude de voitures qui encombraient la tête du défilé lui avait
fait espérer qu’on ne la poursuivrait pas plus loin : l’arrière-garde
mit quelques pièces en batterie à droite et à gauche de la route pour
couvrir la position, mais quelques coups de canons que nous
lançâmes éteignirent bientôt leur feu et l’infanterie, s’étant glissée
entre les voitures, la força à fuir sans arrêt.
« Les tirailleurs de nos troupes qui avaient suivi l’ennemi sur les
talons, voyant que l’armée anglaise était relevée par l’armée
prussienne, revinrent en partie près de leurs corps ; d’autres,
épuisés de fatigue, bivouaquèrent près de Genappe et rejoignirent
seulement le lendemain.48 »
William Siborne, dans une note, remarque :
« Le lieutenant-colonel Halkett, avec le bataillon hanovrien de
Landwehr d’Osnabrück, ayant continué devant la brigade d’Adam,
le long de la grand-route et n’ayant pas reçu l’ordre de s’arrêter,
marcha avec les Prussiens jusqu’à ce qu’il atteigne quelques
maisons à gauche de la chaussée, près de Genappe ; jugeant alors
ses hommes fatigués, et se rendant compte qu’il n’avait aucune
troupe britannique derrière lui, il fit halte et occupa ces maisons
durant la nuit, après avoir détaché dans (into) Genappe le major du
bataillon avec une compagnie, afin de voir ce qui se passait à cet
endroit.49 »
Comme on le voit, tout cela n’est pas très précis… Mais au moins
connaissons-nous le point que n’ont certainement pas dépassé les Anglo-
Alliés le 18 juin au soir.
Cela ne nous indique pourtant pas jusqu’où le duc de Wellington et son
état-major ont, eux, poussé. Néanmoins, les ordres de cantonnements
48
Van Zuylen – Relation historique de la 2e division…, p. 351.
49 Siborne, p. 383, note *.
27
que donne le duc ne l’ont été que quand la position des unités en pointe a
été connue et avant qu’il rebrousse chemin vers Waterloo et qu’il
rencontre Blücher ; ceci n’est pas contesté. Il est donc vraisemblable que
le duc a poussé sur la route jusqu’à la ferme du Gras-Fromage, à la borne
kilométrique 2450, d’où il a une belle vue sur le village de Genappe. Le
duc n’a nul besoin de pousser plus loin pour voir que les Prussiens de
Gneisenau, qui commande l’avant-garde, sont aux prises avec les
Français qui, dans leur fuite, tentent désespérément de traverser le
village. D’autre part, le duc a certainement eu l’œil attiré par les lueurs
des incendies qui ravageaient alors le village et n’a certainement pas
manqué de curiosité au point de ne pas gravir la côte jusqu’au Gras-
Fromage pour aller voir ce qui se passait.
Et Blücher ?
Mais, pour que deux personnes se rencontrent, il faut… qu’il y ait deux
personnes… Puisque nous ne savons pas exactement jusqu’où Wellington
a été sur la chaussée de Charleroi – même si nous nous en doutons –
peut-être est-il possible de savoir quel est le chemin pris par Blücher ?
Retour donc aux auteurs.
Houssaye :
« Blücher suivait celles des troupes de Bülow qui avaient refoulé
Lobau.51 »
Le fait qu’au début de l’action, Blücher suivait Bülow – ou, du moins,
l’accompagnait – est confirmé par Logie :
« Vers deux heures, l’avant-garde de Bülow commença à franchir la
vallée [de la Lasne]. La tâche était pénible vu le mauvais état des
chemins délabrés par l’orage de la veille. Le vieux Blücher
encourageait lui-même ses hommes…52 »
A vrai dire, le trajet suivi par les Prussiens du 4e corps est assez difficile à
suivre dans ce que raconte Jacques Logie53, mais retenons pour l’instant
que c’est dans le village même de Lasne qu’il franchit la rivière. Si nous
suivons le chemin principal qui part du pont – ou plutôt de la passerelle
50
Ce point est à l’altitude de 150 m. De ce point le terrain descend jusque Genappe où la Dyle coule à une altitude de 100 m. 51
Houssaye, p. 413. 52
Logie – Evitable défaite, pp. 165-166. 53
Mais reconnaissons qu’il est le seul à donner quelque précision à ce sujet.
28
– de Lasne, nous arrivons immédiatement à Fichermont si, au bois
Lionnet, nous prenons à droite, ou à Plancenoit, si nous prenons à
gauche.
Dans une suite de cartes extrêmement détaillées54, Mark Adkin
représente l’attaque prussienne contre Plancenoit et contre le 6e corps de
Lobau placé au nord du village. Nous n’entrerons pas ici dans le détail
des opérations contre le 6e corps, mais nous retiendrons que ce sont
essentiellement les 15e (Losthin) et 13e (Hake) brigades qui se trouvèrent
en face des bataillons de Lobau. Dès lors, si nous en croyons Houssaye –
et il n’y a pas de raison ici pour ne pas le faire – c’est sans doute sur le
chemin qui mène de Lasne à Plancenoit et en arrière de ces deux
brigades, plus que vraisemblablement avec la réserve de cavalerie du
prince Guillaume de Prusse, que se trouve Blücher vers 20 h 00, alors
que le combat fait rage dans le village même.
Le rapport de Gneisenau nous apprend que :
« L’ennemi, quoi qu’il en soit, préserva ses lignes de retraite,
jusqu’au moment où le village de Plancenoit, situé sur ses arrières
et qui était défendu par la garde, fût, après plusieurs attaques
sanglantes, emporté de haute lutte. Dès ce moment, la retraite
tourna à la déroute qui emporta bientôt l’ensemble de l’armée
française laquelle, dans une épouvantable confusion, poussait
devant elle tout ce qui tentait de l’arrêter. Cette déroute prit bientôt
l’apparence de la fuite d’une armée de barbares. Il était neuf heures
et demie. Le Feld-Maréchal réunit tous les officiers supérieurs et
donna l’ordre que le dernier cheval et le dernier homme soient
envoyés à la poursuite de l’ennemi.55 »
Il apparaît donc clairement, selon le témoignage du chef d’état-major
prussien, que Blücher donna les ordres de poursuite – et les plus
vigoureux… – avant de rencontrer Wellington. Gneisenau affirme que ces
ordres furent donnés après la prise de Plancenoit, c’est-à-dire après 21 h
30. Il est dès lors exclu que Blücher et Wellington se soient rencontrés
avant 21 h 30.
Cela dit, une fois ces ordres donnés, vers où se dirige Blücher ? Personne
ne nous le dit, sauf Hamilton-Williams : 54
Adkin, carte 36, p. 384 ; carte 37, p. 385 ; carte 38, p. 387. 55
Gneisenau : compte-rendu de la campagne de 1815 in Christopher Kelly. A Full And Circumstantial Account Of The Memorable Battle of Waterloo. (London: 1836).
29
« Blücher, laissant à Pirch le massacre des Français encerclés à
Plancenoit, avait, en contournant le village avec une partie du 4e
corps, gagné la route de Genappe où il rejoignit Wellington.56 »
Donc Blücher contourne le village. Par le nord ou par le sud ? Là, nous
sommes dans le noir absolu. Aucune précision nulle part… Mais la
logique nous inciterait à penser que, puisqu’il est en compagnie de
quelques éléments du 4e corps qui poursuivent le 6e corps français, ce soit
par le nord et en direction du sud-ouest. Que ce soit par le nord ou par le
sud, cela n’a guère d’importance pour notre propos. Ce qui est important,
c’est que, puisque l’armée française fuit vers le sud, que l’armée
prussienne la talonne, Blücher ne peut pas prendre vers le nord-
ouest où se trouve la Belle Alliance et tourner ainsi le dos à ses
troupes en marche, mais obligatoirement vers le sud-ouest, en
direction générale de Genappe. Voilà qui exclut définitivement la
Belle Alliance des lieux où Blücher et Wellington ont pu se rencontrer.
Où le feld-maréchal va-t-il rejoindre la route de Genappe ? Presque à
coup sûr entre la Maison du Roi et le Caillou. En effet, s’il avait infléchi sa
route plus au sud, il aurait eu à franchir le fossé au fond duquel coule la
Lasne, qui à cet endroit s’appelle le ruisseau des Brous, et à traverser le
bois qui entoure la ferme de Chantelet, ce qui est inutile et difficilement
praticable. C’est alors qu’il se trouve sur le chemin entre Plancenoit et
Maison du Roi que les Britanniques qui sont à hauteur du Caillou et qui
reviennent vers Waterloo, l’aperçoivent et vont à sa rencontre. Bref,
exactement ce que raconte le général de Constant-Rebecque…
A quelle heure ?
Quelle heure est-il au moment où Blücher et Wellington se rencontrent ?
Wellington, nous l’avons vu, dit : « Il se fait que cette rencontre a eu lieu
après dix heures du soir dans le village de Genappe. » Les auteurs, nous
l’avons vu, nous donnent toute une palette d’heures allant de 21 h 00 à 22
h 00. Nous avons déjà exclu que la rencontre ait pu avoir lieu avant 21 h
30. Idéalement, nous devrions savoir à quelle heure Wellington donne à
ses troupes l’ordre de s’installer au bivouac. Mais nous n’avons aucune
donnée précise à ce sujet. Il nous faut donc essayer de trouver à quelle
heure Wellington tourna bride pour revenir vers Waterloo ou combien de
temps mit Blücher pour contourner Plancenoit et se diriger vers
56
Hamilton-Williams, p. 347.
30
Genappe. Le seul élément dont nous disposions ici est la vraisemblance.
Plancenoit tombe à 21 h 30 et les éléments qui défendaient le village
s’enfuient vers le sud-ouest. La route est donc encombrée des derniers
débris de l’armée française jusqu’à cette heure-là au moins. Il est donc
impossible à Wellington de prendre cette route et de passer devant
Rossomme avant 21 h 30. Admettons cette heure. Pour aller jusqu’au
Caillou (environ 1 700 m à la suite de ses troupes, il lui faut environ un
peu moins d’une demi-heure57. Si, comme nous le pensons, il pousse
jusqu’au Gras-Fromage, soit 1 500 mètres de plus, nous pouvons compter
une vingtaine de minutes de plus. Cela nous mène aux environs de 22 h
15. De là, le retour vers Maison-du-Roi (presqu’exactement 2 000
mètres) prendra environ un quart-d’heure.
La rencontre avec Blücher doit donc se situer aux environs de 22 h 30.
C’est exactement ce que le duc nous dit quand il situe ce moment « après
dix heures ». Le même raisonnement doit être tenu en ce qui concerne
Blücher. S’il contourne Plancenoit par le nord, ce qui est le plus
vraisemblable compte tenu du terrain, en partant vers 21 h 30, il lui faut
certainement une heure pour se trouver en vue de la Maison du Roi.
N’oublions pas que la garde ne se replie pas en désordre et que les
combats n’ont pas totalement cessé : le général Duhesme est grièvement
blessé entre Plancenoit et Rossomme58. Dès lors se trouve confirmée
l’heure de la rencontre : 22 h 30 au plus tôt. Si la rencontre avait eu lieu
beaucoup plus tard, Wellington aurait plutôt parlé de 23 h 00 que de 22
h 00.
Résumons-nous en une phrase : Blücher et Wellington se sont
rencontrés entre le Caillou et la Maison du Roi, plutôt un peu à
l’est de la route que sur la route elle-même, entre 22 h 30 et 22
h 45.
On objectera que Wellington, lorsqu’il situe cette rencontre, parle du
« village de Genappe ». L’objection est valable. Il est en effet totalement
exclu que Wellington ait poussé jusqu’à Genappe même qui, entre 22 h
00 et 23 h 00, est encore le théâtre de sanglants combats. Mais, comme
nous l’avons dit, il n’est pas impossible qu’il ait été jusqu’en vue de
Genappe qui, du fait des incendies, devait être aisément visible d’assez
57
Les témoins nous disent que le duc marchait au pas ; la vitesse d’un cheval au pas s’évalue entre 6 et 7 km/h. 58
Houssaye, p. 421.
31
loin. S’il a fait demi-tour à hauteur de la ferme du Gras-Fromage (voir
fig. 7) comme nous le pensons, c’est à dire à hauteur de ses troupes qui
cantonneront à Hulencourt, il n’a dû avoir aucune difficulté à apercevoir
les lueurs des incendies et à percevoir les rumeurs du combat de
Genappe. Il aura observé que faire intervenir une de ses unités à l’aide
des Prussiens n’aurait fait qu’ajouter à la confusion qui régnait dans ce
village et aura, par conséquent, donné ses ordres de cantonnements. Au
retour, il rencontre Blücher qui, lui, poursuivra jusqu’à Genappe pour
parachever la déroute des Français avant de prendre ses quartiers à
l’auberge du Roy d’Espagne en plein village.
Autre objection : tous les auteurs nous disent que lors de leur rencontre,
Wellington demanda à Blücher de continuer la poursuite, arguant que ses
troupes étaient épuisées. Effectivement, cela ne serait possible que si la
rencontre avait eu lieu à Belle Alliance. A cela nous répondrons par trois
arguments : 1° personne ne nous dit quel est le contenu de la
conversation qu’ont tenue les deux généraux en chef. Tout au plus avons-
nous retenu cette phrase de Blücher : « Mein lieber Kamerad ! Quelle
affaire ! » rapportée, non sans malice, par Wellington. 2° Nous savons
que Wellington donne l’ordre de cantonner ses troupes avant de tourner
bride au Gras Fromage et de revenir vers Waterloo, donc avant de
rencontrer Blücher. 3° De même, s’il faut en croire Gneisenau, qui était
vraiment l’homme le mieux placé pour le savoir, Blücher lui donne
l’ordre de poursuivre avec « le dernier cheval et le dernier homme » vers
21 h 30, soit avant de rencontrer Wellington.
Dès lors, il ne fait aucun doute que la « répartition des tâches », oserions-
nous dire, avait été concertée avant cette rencontre qui ne revêt dès lors
plus qu’un aspect strictement symbolique. Il ne faut quand même pas
perdre de vue que les deux généraux en chef sont restés en rapport
constant toute la journée grâce à leurs officiers de liaison. Ils n’avaient
aucun besoin de se rencontrer pour prendre leurs dispositions.
Nous voyons déjà les auteurs, grands ou petits, se lever d’un seul bond :
« Mais puisque vous faites à ce point confiance à Gneisenau, comment
pouvez-vous ignorer la fin de son rapport :
« Peu de victoires ont été aussi achevées ; et il n’y a certainement
aucun exemple qu’une armée, deux jours après avoir perdu une
bataille, ait engagé une telle action et l’ai parachevée aussi
glorieusement. Honneur soit rendu à des troupes capables d’une
32
telle fermeté et d’une telle valeur ! Au milieu de la position tenue
par l’armée française, exactement au sommet d’une hauteur, se
trouve une ferme appelée La Belle Alliance. La marche de toutes les
colonnes prussiennes était dirigée vers cette ferme, laquelle était
visible de toutes parts. C’est là que se tenait Napoléon durant la
bataille ; c’est de là qu’il donnait ses ordres, là qu’il se flattait des
espoirs de victoire et c’est là que sa ruine fut consommée. C’est là,
également, que par un heureux hasard, le Feld-Maréchal Blücher et
Lord Wellington se rencontrèrent dans l’obscurité et se saluèrent
mutuellement comme vainqueurs. En commémoration de l’alliance
qui subsiste à l’heure actuelle entre les nations anglaises et
prussiennes, de l’union des deux armées et de leur confiance
réciproque, le Feld-Maréchal souhaita que cette bataille portât le
nom de La Belle Alliance.59 »
L’objection, cette fois, ne tient pas pour quatre excellentes raisons : 1°
Cette conclusion a manifestement été rédigée après coup. Elle vient –
logiquement pour une conclusion – après la description des combats de
Genappe et même après la mention de la fuite de l’armée française au-
delà de la frontière. 2° Tout aussi manifestement, elle a été rédigée dans
une intention politique : l’allusion à la parfaite entente qui règne entre
Britanniques et Prussiens en est la preuve suffisante. 3° Elle est
manifestement destinée à soutenir Blücher et à expliquer son désir de
voir la bataille porter le nom de Belle Alliance. 4° Elle est, dans ce
rapport, la seule allusion à la rencontre entre Blücher et Wellington, à
laquelle Gneisenau ne participa pas. En effet, c’est précisément à
Gneisenau que Blücher ordonna de prendre le commandement de la
poursuite vers 21 h 30. Le chef d’état-major prussien était donc avec
l’avant-garde prussienne, devant Genappe au moment où les deux
généraux en chef se rencontrèrent. Il ne pouvait donc connaître
l’emplacement exact auquel cette rencontre eut lieu.
Venons-en enfin, comme promis, à ce qu’écrit Houssaye à ce propos :
« Blücher, frappé que sa rencontre avec Wellington eût lieu
précisément devant la Belle Alliance, pensa à donner ce nom à la
bataille où l’alliance des Anglais et des Prussiens avait produit un si
grand résultat. Mais Wellington voulait que la victoire – sa victoire
59
Gneisenau, op. cit.
33
– portât le nom du village qui avait eu l'honneur, la nuit
précédente, de lui servir de quartier-général.60 »
Et l’académicien assortit cette sentence d’une note :
« 1. Rapport de Gneisenau. Müffling, Aus meinem Leben, 217. Hist.
36-37. Von Ollech, Geschichte der Feldzuges von 1815, 252. Lettres
d’officiers des brigades Adam et Maitland. (Waterloo Letters, 245,
298,)
« Jaloux sans doute de prouver qu’il n'aurait pas eu besoin des
Prussiens pour poursuivre l’armée française, Wellington a nié avoir
vu Blücher à la Belle Alliance. Cette rencontre, écrit-il à Mudford
(Supplem. Dispatches, X, 508), n’a eu lieu qu’à Genappe et passé 11
heures du soir. Cette dénégation ne saurait prévaloir contre le
témoignage de Gneisenau, dans un rapport public écrit le
lendemain de la bataille. Il y a encore le témoignage de Müffling,
présent à l’entrevue (Aus Meinem Leben, 217, et Hist., 36-37); –
de Pozzo di Borgo61 (Rapport à Wolkonsky, 19 Juin); – du général
Hegel (Lettre au roi de Wurtemberg, 23 juin). – Il y a enfin celui
du général Vivian (Waterloo Letters, 153)62 : « Il n’y a pas de doute
pour moi que, quand j’ai vu le duc (près de Rossomme), il avait
rencontré Blücher. Je lui proposai de poursuivre l’ennemi, mais il
me dit : Nos troupes ont eu une journée bien dure. Les Prussiens
vont poursuivre. Vous, arrêtez votre brigade.
« Wellington, après avoir vu Blücher, poussa jusqu'à Rossomme ou
jusqu’au hameau de la Maison du Roi. (Lettre de Hervey, Ninetenth
Century, mars 1893 ; Kennedy, 151), où s’arrêta la tête de ses
troupes, mais il n'alla pas ce soir-là à Genappe. Cela ressort des
Mémoires de Müffling, où il est dit (211) que Müffling63 vint rendre
60
Houssaye, p. 414. 61
Pozzo di Borgo n’a pas assisté à la rencontre : il avait été blessé, sans gravité d’ailleurs. 62
Remarquons que Vivian n’affirme rien : il se contente de dire ce qu’il croit et sa conviction se base sur le fait que Wellington lui affirme que les Prussiens se chargent de la poursuite. Or il est certain qu’il voit le duc alors que celui-ci revient des hauteurs de Genappe et qu’il a constaté de ses propres yeux que les Prussiens poursuivent effectivement les Français. Par ailleurs, si, comme Houssaye le fait, on prend ce témoignage au pied de la lettre et si l’on admet que Vivian rencontre Wellington « près de Rossomme », il faudrait obligatoirement admettre que le duc est passé à Rossomme après avoir vu Blücher à la Belle Alliance. Or nous savons que c’est exactement l’inverse. Au reste, le témoignage de Vivian ne prouve qu’une seule chose : il n’a pas assisté à l’entrevue entre les deux maréchaux. 63
Müffling assista presque certainement à l’entrevue. Il ne quitta pas le duc durant son parcours jusqu’aux hauteurs devant Genappe et puis durant son retour vers Waterloo. Cela n’exclut pas qu’il ait peu après poussé jusqu’à Genappe, à la suite de Blücher et qu’il soit venu rendre compte des derniers événements durant la nuit.
34
compte au duc à Waterloo, de ce qui avait eu lieu à Genappe ; du
récit de Cotton (156) ; et de maint passage des Waterloo Letters. »
Le lecteur en sait assez pour écarter lui-même les témoignages – tous
indirects – et citations accumulés par Houssaye. Ce qu’il faut retenir ici,
c’est que Houssaye affirme que la « répartition des tâches » eut lieu lors
de la rencontre entre Blücher et Wellington, ce que nous nions
absolument. L’auteur a l’invraisemblable culot de citer à l’appui de cette
affirmation le rapport de Gneisenau dont nous avons déjà parlé et qui dit
exactement le contraire de ce qu’il affirme. Rappelons que, d’après
Gneisenau lui-même, c’est au moment où Plancenoit tombe que Blücher
donne ses ordres de poursuite et que c’est Gneisenau lui-même qui est
chargé de les exécuter. Or le chef d’état-major prussien ne dit jamais – et
pour cause ! – que ces ordres sont consécutifs à la rencontre des deux
généraux en chef ! S’il rapporte cette rencontre, c’est en conclusion de
son rapport, pour les motifs que nous avons dits. Il n’affirme en tout cas
jamais qu’il a assisté à cette rencontre, ce qu’il n’eût pas manqué de faire
si tel avait été le cas.
Quant au dernier paragraphe de la note de Houssaye, nous ne la
contestons que sur un point : Wellington a très certainement poussé plus
loin que Rossomme et ses troupes ont stationné beaucoup plus loin que
l’endroit que l’auteur nous suggère mais il est effectivement exclu que le
duc ait été jusqu’à Genappe même. Nous nous sommes assez expliqué à
ce sujet. Or Houssaye affirme que c’est après avoir rencontré Blücher
qu’il pousse plus au sud. Or tous les témoignages affirment que c’est bien
alors qu’il revient vers Waterloo qu’il rencontre Blücher64, donc après
qu’il ait donné ses ordres de cantonnements.
Houssaye pour mettre le lecteur tout à fait hors du coup va jusqu’à
modifier l’heure que donne Wellington, dans sa lettre à Mudford. De
« after ten of night », il fait « 11 heures »… Tout cela a, naturellement
une raison précise : étayer l’affirmation : « Jaloux sans doute de prouver
qu'il n'aurait pas eu besoin des Prussiens pour poursuivre l’armée
française… ». Or, précisément, Wellington affirme lui-même que ses
troupes étaient épuisées et qu’il comptait sur les Prussiens pour
parachever la déroute française. La dépêche qu’il envoie à Lord Bathurst
64
Constant-Rebecque, Jackson (dans sa version originale), Cotton, etc.
35
de Waterloo, le 19 juin, et où il rend compte de la bataille, porte en toutes
lettres :
« I continued the pursuit till long after dark, and then
discontinued it only on account of the fatigue of our troops, who
had been engaged during twelve hours, and because I found
myself on the same road with Marshal Blücher, who assured me of
his intention to follow the enemy throughout the night. »
Ce que le lecteur n’aura aucune peine à traduire :
« Je continuai la poursuite jusque tard après l’obscurité et ne
l’interrompis qu’à cause de la fatigue de nos troupes qui avaient été
engagées durant douze heures et parce que je me trouvai moi-
même sur la même route que le maréchal Blücher qui m’assura de
son intention de suivre l’ennemi durant toute la nuit.65 »
Wellington ne dit pas qu’il a demandé à Blücher de poursuivre les
Français mais bien que Blücher lui a fait part, au hasard d’une rencontre,
de son intention de poursuivre durant la nuit. Le duc n’a pas besoin
d’apprendre que les Prussiens poursuivent à ce moment les Français,
puisque, en se portant sur les hauteurs devant Genappe, il l’a constaté de
visu ; en conséquence de quoi il met ses troupes au repos. Blücher ne fait
que lui confirmer ses intentions en précisant qu’il ne lâchera pas sa proie,
dût-il courir après elle toute la nuit.
Ainsi donc, Henry Houssaye, en tordant les textes dans tous les sens,
parvient-il à leur faire dire exactement le contraire de ce qu’ils disent…
C’est-à-dire qu’il situe la rencontre des deux généraux avant que le duc se
porte vers Rossomme (selon lui). Ce qui, en plus d’être faux comme nous
l’avons suffisamment démontré, est absurde : il est évident que si tel
avait été le cas, le duc et le prince Blücher auraient cheminé ensemble…
Cela crève à ce point les yeux que personne n’a vu ce contresens !
Et comme la plupart des auteurs francophones suivent Houssaye sans
discernement, ces inexactitudes se retrouvent un peu partout66. C’est
ainsi que l’on raconte au touriste en visite sur le champ de bataille que le
65
Wellington, Despatches, XII, p. 894. A remarquer que, dans une lettre privée écrite à Lady Frances Webster, le 19 juin, 08.30 hrs, le duc confirme : « …and Blücher, who continued the pursuit all night, my soldiers being tired to death, sent me word this morning that he had got 60 [pieces of cannon] more. » W.S.D., X, p. 531 (895). 66
Rendons hommage à Logie qui, cette fois, ne se laisse pas entraîner sur le terrain des suppositions douteuses…
36
duc quittant l’orme sous lequel il s’était tenu durant la bataille se dirigea
lentement vers les fonds (il s’agit du fond Pauquet) puis remonta vers la
Belle Alliance où vint à sa rencontre le prince de Blücher. Après une
brève conversation et une solide poignée de main, le duc reprit le chemin
de Waterloo, « laissant aux Prussiens le soin de saigner l’armée
française ». Cette simpliste relation, pour contraire à la vérité qu’elle soit,
a au moins le mérite de ne pas encombrer l’esprit des touristes avec des
détails « sans importance »…
37
Qu’ont joué les musiques prussiennes le soir de Waterloo ?
Puisque nous en sommes à parler de détails sans importance, attaquons-
nous à la légende tenace qui veut que les musiques militaires prussiennes
aient joué le « God save the King » en l’honneur de leurs alliés
britanniques lors de la rencontre de Wellington avec Blücher.
Personne n’ignore qu’au Royaume-Uni, lors de chaque manifestation
officielle, et très souvent dans des occasions particulières, on entonne le
God save the Queen :
God save our gracious Queen,
Long live our noble Queen,
God save the Queen !
Send her victorious,
Happy and glorious,
Long to reign over us, God save the Queen !
Cette prière, puisqu’il s’agit bien d’une prière, dont nous donnons la
première strophe – officiellement, elle en compte cinq – est
généralement considérée comme l’hymne national du Royaume-Uni. En
réalité, aucun Acte du Parlement n’a jamais désigné d’hymne officiel pour
le royaume. Il s’agit donc plutôt d’une coutume. Heureuse coutume ! Le
God save the Queen présente toutes les qualités requises pour un hymne
national : court, immédiatement identifiable, facile à exécuter et texte
aisé à retenir…
Henry Houssaye écrit :
« Vers neuf heures et quart (…) Les deux généraux s’abordèrent et,
selon l’expression de Gneisenau, « ils se saluèrent mutuellement
vainqueurs. » Des musiques de cavalerie prussienne jouaient en
passant le God save the King ; au loin le bruit de la fusillade
décroissait. 67 » .
J. Lucas-Dubreton68 en rajoute :
« Du côté de Mont-Saint-Jean, on entend maintenant les fanfares
prussiennes, qui, poliment69, jouent le God save the King. »
67
Houssaye, p. 413 68
LUCAS-DEBRETON – Le maréchal Ney – Paris, Fayard, 1941. 69
C’est nous qui soulignons.
38
Imprudemment entraîné sur ce terrain par ce poliment, Georges
Jacquemin70 se laisse prendre au piège et s’envole :
« Les Prussiens, malgré leur rudesse de comportement, ont la
délicatesse de jouer dans la nuit noire de la victoire, sur ce qui fut
un champ d’horreur, l’hymne national britannique : c’est le salut
cordial d’un loyal allié au frère d’armes, au grand vainqueur de la
journée, le field-marshall Arthur Wellesley, duc de Wellington. Un
honneur pour le généralissime anglais ! »
Que l’excellent auteur qu’est Jacquemin ne nous en veuille pas, mais ce
qu’il écrit là est une ânerie…
God save the King
L’origine de la musique et du texte du « God save the King » reste très
controversée. Il est vrai que les Britanniques, sans être exagérément
« jingoists », admettent très difficilement que leur hymne national puisse
provenir de l’étranger… Une tradition attribue en effet la composition de
ce thème à Jean-Sébastien Bach. Une autre tradition plaît infiniment aux
Français et se trouve reprise par des auteurs sérieux. D’après elle, il était
de tradition, à l’arrivée du roi de France, de chanter dans les cérémonies
le motet Salvum fac regem. En 1686, lorsque Louis XIV vint inaugurer la
maison d’éducation de Saint-Cyr, Mme de Maintenon fit chanter à ses
élèves une nouvelle version de ce répons, en français et sur une musique
de Lully. C’est cette hymne que Mme de Maintenon aurait réussi à faire
adopter à la cour anglaise en exil à Saint-Germain-en-Laye et qu’auraient
chanté les partisans des Stuarts lors du débarquement raté de Charles III
– le Bonnie Prince Charlie – en 1745. Les Hanovre se seraient emparé de
la musique et en auraient fait leur hymne71.
Très longtemps, en Angleterre, on a voulu croire que texte et musique
étaient le fait d’un certain Henry Carey (1687 – 1743), musicien et poète,
qui aurait entonné le fameux air en 1740. On a voulu croire également
que le compositeur en était Thomas Arne (1710 – 1778), l’auteur du
célèbre « Rule Britannia ». En réalité, le morceau est beaucoup plus
ancien : on en trouve la trace très nette – la première en Grande-
70
Jacquemin (Georges) – les Boteresses liégeoises à la butte du Lion de Waterloo (1826) – Braine-l’Alleud, J.-M. Collet, (2000), p.56. 71
C’est l’explication que donne le Quid 1999, lequel, au passage confond Jacques III Stuart attribuant à celui-ci le débarquement de 1745, et son fils Charles III. Ce qui prouve que nul n’est à l’abri d’une erreur. Qui n’a jamais péché…
39
Bretagne – dans une composition de John Bull, « Doctor of Musique »,
compositeur gallois né en 1563, décédé à Anvers en 1628, membre de la
Chapelle royale, jouée en l’honneur du roi Jacques Ier au lendemain de la
Conspiration des Poudres (1605)72. Cette pièce fut rendue populaire lors
de son exécution le jeudi 16 juillet 1607 au cours du gala donné en
l’honneur du roi par la Corporation des Marchands Tailleurs de Londres.
Cette mélodie eut tant de succès que, dès cette époque, on en trouve
quantité d’arrangements et de versions différentes, tant pour la musique
que pour les paroles, et qu’il devint pratiquement impossible d’en
retrouver l’origine.
Heil Dir in Siegenkranz
Il est certain que l’air fit la navette entre Londres et Paris, à l’époque de
l’exil de Jacques II et des tribulations des Jacobites. Il est encore plus
certain qu’elle parcourut l’Europe en tous sens. En tout cas, elle
n’échappa pas à l’oreille du Dr Heinrich Harries, un pasteur de Flensburg
– alors au Danemark – lequel écrivit un chant destiné à célébrer
l’anniversaire du roi Christian VII. Le titre de cette pièce, telle que parue
dans le Flensburger Wochenblatt du 27 janvier 1790 est le suivant « Lied
für den dänischen Untertan, an seines Königs Geburtstag zu singen in
der Melodie des englischen Volksliedes « God save great George the
King ». Il est donc bien clair que Harries, de son propre aveu, a transposé
la mélodie anglaise.
Moins scrupuleux, un certain Balthazar Gerhard Schumacher réduisit le
poème de Harries à cinq strophes et, sans fausse honte, le publia comme
étant de sa propre composition sous le titre « Berliner Volksgesang »
dans la « Speyerschen Zeitung » du 17 décembre 1793. La pièce était
dédiée au roi de Prusse Frédéric Guillaume II. La « chanson populaire »
eut tant de succès qu’elle ne tarda pas à passer pour l’hymne national
prussien sous le titre « Heil Dir in Siegenkranz », constitué par son
premier vers. Au cours du XIXe siècle, une grande partie des principautés
allemandes l’adoptèrent avec des textes légèrement différents. Ce fut le
cas de la Bavière (dès 1806), du Wurtemberg, de la Saxe, du grand-duché
de Bade, du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin, de la Hesse, du
duché d’Anhalt, etc. Rien d’étonnant donc qu’à la création de l’Empire
72
CLARK (Richard) – An account of the National Anthem entitled God save the King – London, W. Wright, 1822.
40
allemand en 1871, on en vint à considérer cet hymne comme celui du
Reich.
Il n’en reste pas moins qu’après la Guerre de Libération allemande de
1813, « Heil Dir in Siegenkranz » était considéré comme l’air national
prussien. Et c’est ainsi qu’au soir de Waterloo, les musiques prussiennes
jouaient avec un bel enthousiasme leur propre air national… Les témoins
britanniques en furent frappés et se méprirent assez généralement sur les
intentions nourries par les Prussiens alors qu’ils jouaient « Heil Dir… »…
Méprise nourrie et entretenue avec amour par les auteurs qui en vinrent
à écrire que les Prussiens jouaient le « God save the King » en l’honneur
de leurs alliés…
« Heil Dir… » servit à la Prusse jusqu’en 1918.
Deutschland über alles
L’hymne allemand Deutschland über alles (officiellement
Deutschlandlied), dont la musique est de Joseph Haydn, est un
« piratage » pur et simple… C’est en 1795 que Joseph Haydn, revenant
d’Angleterre où il avait été frappé par la popularité du « God save the
King », émit l’opinion que l’Autriche devrait, en cette époque troublée,
bénéficier d’un tel « Volksgesang ». Son ami, le baron van Swieten qui
était préfet de la Bibliothèque impériale et royale, trouva l’idée
intéressante et commanda un poème à Lorenz Haschka qu’Haydn devait
mettre en musique. Le texte souhaitait bonheur et prospérité à
l’empereur. Le nouveau morceau fut exécuté pour la première fois le 12
janvier 1797, à l’occasion de l’anniversaire de l’empereur du Saint Empire
romain germanique François II. Les Viennois furent conquis par ce
nouvel hymne qui, progressivement, devint officiel. Haydn l’inclut dans
son Quatuor à cordes en do op. 76 n° 3 dont il constitue le deuxième
mouvement. La composition de Haydn connut quelques modifications de
texte mais servit d’hymne officiel à l’Autriche-Hongrie jusqu’en 1918.
En 1841, un poète allemand, Henri Hoffmann von Fallensleben, adapta
de nouvelles paroles sur la mélodie de Haydn. Le poème commençait par
« Deutschland über alles… » (L’Allemagne avant tout…). Fallensleben
était un partisan acharné de l’unité allemande, laquelle n’était encore à
cette époque qu’un rêve. C’est une mauvaise interprétation de son texte
qui a permis à certains de dire que le poète voyait l’Allemagne au-dessus
des autres nations. En réalité, il voulait dire que l’idée allemande devait
41
surpasser les particularismes locaux d’une Allemagne divisée en une
multitude de principautés indépendantes. Le Deutschland über alles,
quoique parfois joué au cours de certaines manifestations patriotiques,
avait un ton républicain – toute référence à un souverain quelconque en
étant rejetée et l’idéal d’unité allemande allant souvent de pair avec
l’idéologie libérale – qui ne plaisait guère aux autorités constituées. Ce
n’est donc qu’en 1922 que la République de Weimar fit du poème de
Fallensleben et de la musique de Haydn son hymne officiel.
Le IIIe Reich, opérant un glissement sémantique sur la formule
« Deutschland über alles » que l’on comprit alors comme « L’Allemagne
au-dessus de tout », estima que l’hymne correspondait parfaitement à
l’idéologie de domination mondiale véhiculée par les nazis. Il conserva
donc l’hymne de Weimar mais rendit obligatoire l’enchaînement de la
mélodie de Haydn et du « Horst-Wessel-Lied » qui était l’hymne officiel
du NSDAP depuis 1930.
C’est sans doute au fait que le Deutschlandlied avait été choisi par la
République de Weimar – de même d’ailleurs que le drapeau noir-rouge-
or – que l’hymne allemand doit d’avoir survécu au IIIe Reich, en
remplaçant, pour éviter toute équivoque, le premier couplet par le
troisième : « Einigkeit und Recht und Freiheit für das Deutsche
Vaterland » (Unité, Droit et Liberté pour la Patrie allemande). Quant à
l’Autriche, après avoir chassé les Habsbourg du pays, elle abandonna le
« Gott erhalte… » pour adopter une mélodie de Mozart sur des paroles
très bucoliques.
42
Erreur de lecture de carte…
Très récemment, un excellent auteur, M. Bernard Coppens, dans un
ouvrage sur les mensonges de Waterloo a émis une hypothèse que l’on
peut sans crainte qualifier de révolutionnaire. Le plus simple est de lui
donner la parole :
« Pendant près de deux siècles, historiens et stratèges se sont
penchés sur la bataille de Waterloo et ont tenté d’en résoudre les
énigmes. Une donnée essentielle semble cependant avoir toujours
échappé aux analystes : Napoléon et son état-major avaient une
vision fausse du champ de bataille, et cette erreur de localisation a
logiquement entraîné des erreurs de commandement et
d’exécution.
« Cette mauvaise perception porte sur deux points :
- Napoléon s’est trompé sur la situation du village de Mont-Saint-
Jean, dont il se croyait plus proche qu’il n’était en réalité, et il a
cru que l’armée anglaise était retranchée dans ce village, alors
qu’elle était disposée 1 000 mètres en avant de celui-ci ; (…)73 »
S’en suit une longue démonstration dont il ressort que Napoléon a décalé
les localisations et a pris la ferme de Mont-Saint-Jean pour le hameau de
Mont-Saint-Jean, la ferme de la Haye-Sainte pour celle de Mont-Saint-
Jean, la Belle Alliance pour la Haye-Sainte et Rossomme pour la Belle
Alliance. Cela est résumé en un croquis qui fait toute la page 158 de son
ouvrage.
Disons-le tout de suite : cette hypothèse est intéressante à examiner et
expliquerait sans doute quelques détails bizarres relevés par Coppens
dans les écrits des témoins français de la bataille. A l’époque où il émit
pour la première fois cette hypothèse sur son site Internet74, Coppens
suscita la colère de Jacques Logie qui, révolté par l’idée que l’on puisse
suspecter Napoléon de ne pas savoir lire une carte, lui répondit par une
lettre sans aménité. Le débat fut interrompu par la mort de Logie. Mais
dans sa réfutation, on ne trouve pas l’élément qui, à lui seul, suffit à
renverser l’hypothèse de Coppens : la Belle Alliance.
73
COPPENS Bernard – Les Mensonges de Waterloo – Paris-Bruxelles, Jourdan Editeurs, 2010, p. 149. 74
www.1789-1815.com
43
Nous avons expliqué que la Belle Alliance était un cabaret. Comme tout
cabaret, celui-ci, en activité depuis une trentaine d’année sans doute,
portait une enseigne. Et même une enseigne que l’on voyait de très loin
puisqu’elle était posée sur le pignon de la maison, ce pignon caché
aujourd’hui par la grange construite postérieurement à la bataille. Au-
dessus de la porte un panonceau portait la mention : « A la Belle
Alliance ». En témoignent quatre estampes ou gravures que nous
reproduisons.
Figure 8 : La Belle Alliance. Gravure aquatinte coloriée à la main, par James Rouse. Illustration du livre de W. Mudford : "An historical account of The Campaign in the Netherlands in 1815..."
Londres, Henry Colburne, 1817.
Le croquis de cette belle gravure (fig. 8) de James Rouse a, selon toute
vraisemblance, été exécuté sur place quelques mois après la bataille. On y
remarque le panneau, enrichi de la mention « HOTEL » sur le pignon du
bâtiment et le panonceau au-dessus de la porte d’entrée portant la
mention « A la Belle Alliance Welling(ton) Hotel ». Rouse a
manifestement voulu montrer l’état de la Belle Alliance le lendemain
même de la bataille. C’est ce qu’indiquent les morts et les blessés qui
jonchent le terrain et même la route. Le petit groupe de cavaliers à
gauche de l’image est, sans doute, une évocation du duc de Wellington. Il
est évidemment totalement invraisemblable que le 19 juin 1815, le
cabaretier ait eu le temps de récupérer sa maison et d’y faire « enrichir »
44
ses enseignes. C’est ce qui, paradoxalement, plaide en faveur de la
véracité de la gravure. Rouse a en effet « photographié » la Belle Alliance
au moment où il l’a vue : en témoigne le puits qui, vraisemblablement, a
dû souffrir durant la bataille et être reconstruit peu de temps après. Nous
ne le voyons en effet pas sur l’estampe d’E. Walsh publiée en 1815 et
datée, en bas à gauche, « 25th June 1815 » (fig. 9). Le titre de cette
estampe est assez significatif : « Burial Party Near la Belle Alliance 7
days after the Battle »
Figure 9 : "Burial Party Near la Belle Alliance 7 days after the Battle"". Estampe d’E. Walsh, datée
« 25th June 1815 ».
L’estampe de Walsh a été intégralement recopiée par le peintre allemand
Friedrich Fleischmann (1791-1834) dans une petite aquarelle conservée à
Paris au Musée Carnavalet (fig. 10).
45
Figure 10 : La Belle Alliance après la bataille de Waterloo" par F. Fleischmann. Musée de la Ville
de Paris , Musée Carnavalet."
Quand à la figure 11, il s’agit d’une estampe signée Jazet et publiée à
Paris, chez Ostervald l’aîné, Editeur, rue de la Parcheminerie, n° 2 dès
1816. Sa légende complète est « Champ de Bataille de Mont-Saint-Jean
le 21 juin 1815 près de la Ferme de la Belle Alliance ». De toutes les
gravures que nous avons présentées, c’est celle-ci qui est la plus
anciennes. C’est elle qui a très vraisemblablement inspiré Walsh et
Fleischmann. La forme générale de la grange incendiée, la présence de la
Saline, celle de l’observatoire du Caillois ainsi que la forme de l’arbre qui
longe la route indiquent à suffisance que ces trois images sont très
cousines…
Mais ces quatre illustrations ont en tout cas un point commun : elles
montrent toutes la Belle Alliance avec ses enseignes…
46
Figure 12 : Champ de bataille de Mont-Saint-Jean, le 21 juin 1815, près de la Ferme de la Belle
Alliance. Gallica, Bibliothèque nationale de France.
Il n’y a donc aucune exagération à affirmer que, le 18 juin 1815, le
bâtiment était orné de ses panneaux et que quiconque sachant lire
pouvait dire à coup sûr quel était son nom.
Or nous lisons dans Houssaye :
« Vers six heures et demie (du soir, le 17 juin), Napoléon atteignit
avec la tête de colonne les hauteurs de la Belle Alliance… La nuit
approchait, et presque toute l’infanterie se trouvait encore très en
arrière. L’empereur fit cesser le feu. Pendant la canonnade, il était
resté près de la Belle Alliance, exposé aux boulets que le capitaine
Mercer, qui l’avait reconnu, dirigeait sur l’état-major…75 »
Donc, à 18 h 30, le 17 juin, en plein jour, Napoléon est passé devant la
Belle Alliance. Même s’il pleuvait, il est impossible qu’il n’ait pas aperçu
les enseignes de la Belle Alliance. Dès lors, dès le 17 au soir, il était
75
Houssaye, p. 266.
47
parfaitement fixé sur l’identité exacte du lieu et il n’a pas pu le confondre
avec la Haye-Sainte ni avec rien d’autre.
A moins d’admettre que l’empereur ne savait pas lire du tout…
Un règlement de comptes
Après cela, Coppens pourra toujours, sans même essayer de prendre
contact avec nous, se répandre en gémissant sur tous les forums
qu’Internet met à sa disposition pour dire que nous négligeons les
documents :
« Mais non, Monsieur Damiens raisonne à l'envers. Il omet de
reprendre les arguments que j'ai donnés, et qui sont bien plus forts
que son hypothèse. Les textes sont là, qui montrent qu'il y a eu
erreur de lecture de carte. Son raisonnement est simpliste : il devait
y avoir une enseigne, donc Napoléon l'a vue, donc Napoléon savait
où il était.76 »
Voilà qui est extraordinaire. Quels sont les « arguments » de Coppens,
bien plus forts que notre hypothèse ? L’auteur cite dans son ouvrage77 :
Un passage dû au colonel Petiet, datant de 1844, et qui a trait à la
diminution de la forme physique de l’empereur.
Baudus, sur le même sujet, dans une publication de 1841.
Le chef de bataillon Bergère qui dit, en l’espèce que « en 1809,
l’Empereur se fût levé plus tôt » et eût étudié le terrain avec plus de
soin. Ce texte est cité par d’Avout dans un article publié dans les
Carnets de la Sabretache en 1905.
Trois textes, donc, dont le seul but est de démontrer que Napoléon était
diminué physiquement, ce que nous ne contestons pas, mais qui n’ont
aucun rapport avec une prétendue erreur de lecture de carte.
Puis :
Un texte de Marmont – qui était à Gand le 18 juin 1815 – estimant
que « la perte de la bataille de Waterloo a été causée par la
direction incertaine, le décousu des attaques et l’éloignement du
champ de bataille de Napoléon. » Un texte publié en 1857 !...
76 76 http://www.empereurperdu.com/forum/phpBB2/viewtopic.php?f=30&t=4588&start=110 77 Coppens, op. cit., pp 147 à 159.
48
Une remarque du général Rogniat : « Cette charge déplacée se fit
sans doute à son insu : mais pourquoi se tenait-il hors de portée de
bien voir ?... » Rogniat écrivait en 1816, ce qui nous rapproche un
peu de cœur du débat.
Une phrase d’un « général de l’état-major de Napoléon » anonyme
dans une lettre écrite le 20 juin 1815 et dont Coppens prétend avoir
trouvé la copie « d’époque » (quelle époque ?) à Vincennes mais
sans en donner la référence : « L’Empereur ne visite plus le champ
de bataille, donne des ordres rares et décousus, de façon qu’il n’y a
aucun ensemble dans les dispositions ni l’exécution. »
Donc, trois autres textes pour reprocher à Napoléon d’être négligent et de
ne pas se trouver assez près de l’action pour pouvoir exercer efficacement
son commandement. Mais rien à propos d’une erreur de lecture de carte.
Coppens entreprend alors de nous décrire le terrain ou plutôt ce que
l’empereur en voyait. Pas une seule citation ! Et pour cause : dans ses
dictées, Napoléon ne décrit le terrain que très sommairement. Et
remarquons-le, il ne se trompe pas en décrivant le déploiement de
l’armée anglo-néerlandaise. Mais Coppens, lui, sait ce que Napoléon
voyait et ne voyait pas !... Comme si Coppens avait vécu dans la peau de
Napoléon alors que celui-ci observait le terrain… d’un endroit que
Coppens serait bien en peine de préciser. Et pour cause : jusqu’ici – et
sans doute jusqu’à la fin des temps – il y a toujours eu et il y aura
toujours un doute sur les endroits précis où s’est tenu Napoléon durant
cette journée.
Pardon ! Qu’on veuille bien nous excuser : Coppens cite un témoin : le
mameluck Saint-Denis qui écrit (dans une publication de 1926) :
« Nous nous trouvâmes sur un terrain élevé qui domine le vaste
bassin bordé au Nord par le rideau de la forêt de Soignes. »
Or, selon Coppens, il y avait, entre la position anglaise et la forêt de
Soignes une distance « d’un peu plus de deux kilomètres ». « Il y a donc
« écrasement » de la perspective accentué par la mauvaise visibilité »,
poursuit Coppens78. Admettons…
78 Encore faut-il se méfier. Cet écrasement de la perspective ne vaut qu’en cas de vision monoculaire. Mais peut-être expliquerait-elle en partie la raison pour laquelle la grande batterie était si éloignée de la ligne anglo-alliée.
49
Et Coppens nous assène alors l’argument-massue : l’ordre de 11.00
heures et le Bulletin du 20 juin montrent que « l’Empereur croit que le
village ou hameau de Mont-Saint-Jean se trouve devant lui,
immédiatement derrière la crête, alors qu’en réalité, il se trouve 1 000
mètres plus loin ». Coppens fait justement remarquer que, dans l’ordre
de 11.00 heures, Napoléon précise la situation du village de Mont-Saint-
Jean : « à l’intersection des routes »… Mais il en déduit que Napoléon
confondait la route de Nivelles (prétendument invisible depuis les
positions françaises, mais dûment reconnue par les piquets du général
Piré, dès le 17 dans la soirée) et le chemin de la Croix. Preuves : l’ordre
donné aux batteries de 12 de tirer sur les troupes de Mont-Saint-Jean,
alors que celles-ci sont hors de portée d’une pièce de 12 (ce qui est
exact) ; l’ordre donné aux sapeurs du 1er corps de se barricader à Mont-
Saint-Jean.
En fait, l’ordre de 11.00 hrs résonne comme suit :
« A chaque commandant de corps d’armée.
« 18 juin 1815, 11 heures du matin.
« Une fois que toute l’armée sera rangée en bataille, à peu près à
une heure après midi, au moment où l’Empereur en donnera
l’ordre au maréchal Ney, l’attaque commencera pour s’emparer du
village de Mont-Saint-Jean, où est l’intersection des routes. A cet
effet, la batterie de 12 du 2e corps et celle du 6e se réuniront à celles
du 1er corps. Ces vingt-quatre bouches à feu tireront sur les troupes
de Mont-Saint-Jean, et le comte d’Erlon commencera l’attaque, en
portant en avant sa division de gauche et la soutenant suivant les
circonstances par les divisions du 1er corps. Le 2e corps s’avancera à
mesure pour garder la hauteur du comte d’Erlon. Les compagnies
de sapeurs du 1er corps seront prêtes pour se barricader sur-le-
champ à Mont-Saint-Jean.79 »
Il est évident que Napoléon doit donner une direction de tir à ses
artilleurs. Il est évident aussi qu’il ne va pas commencer à entrer dans des
détails encombrants pour la leur donner. « En direction de Mont-Saint-
Jean » est très largement suffisant pour indiquer le centre de la ligne
anglo-néerlandaise (ou du moins, ce que Napoléon pense être le centre
de l’armée anglo-néerlandaise). Il est clair aussi que l’artillerie, si elle
79 Napoléon – Correspondance, t. XXVIII, p. 292 – n° 22060.
50
soutient de son feu le 1er corps, progressera avec lui et se trouvera
rapidement à même de causer les plus graves dégâts dans la réserve
anglo-alliée que Napoléon suppose (justement) en arrière de la crête du
chemin d’Ohain80. Quant aux sapeurs du 1er corps, il est clair qu’une fois
arrivés à Mont-Saint-Jean, ils ont pour tâche d’empêcher les Anglo-
Néerlandais de reprendre le village en le fortifiant quelque peu.
L’erreur de Coppens est facile à comprendre. Il n’aperçoit pas que l’ordre
de 11.00 hrs est un ordre dynamique : il s’agit de porter l’attaque sur le
front de l’ennemi et non de s’établir sur une position défensive.
Coppens prend ensuite argument d’une phrase du Journal de Gourgaud
(publié en 1896) :
« La position des Anglais était superbe ; ils couronnaient la
sommité d’un rideau de terrain dont la pente douce jusqu’à nous,
favorisait singulièrement le feu de leur artillerie. Cette position
avait en outre le grand avantage de former légèrement le demi-
cercle ; leur centre, sur la grande route, était soutenu par le village
de Mont-Saint-Jean, où ils avaient établi une mauvaise traverse. »
Or, ce que dit Gourgaud (après coup) est parfaitement exact : il y avait
bien une traverse établie sur la chaussée un peu avant Mont-Saint-Jean,
à hauteur de la ferme et, naturellement, il est évident que la ferme et le
village de Mont-Saint-Jean constituent tous deux un excellent point
d’appui pour la ligne anglo-néerlandaise en cas de recul.
Mais, du fait qu’une autre traverse bloquait la route entre le corps de
bâtiment principal de la Haye-Sainte et la sablonnière, Coppens tire la
conclusion que Gourgaud prend la Haye-Sainte pour une « partie du
village de Mont-Saint-Jean », tout en faisant remarquer qu’entre la
Haye-Sainte et Mont-Saint-Jean, il n’y a qu’une maison, la maison
Vallette, et donc pas trace d’agglomération…
Coppens continue sur une citation du général Rogniat, qui en 1816,
écrivait que le centre de l’armée anglaise était « fortifié par le village de
Mont-Saint-Jean au nœud des routes de Charleroi et de Nivelles à
Bruxelles ». M. Coppens a décidément le sens de l’humour. Il nous a dit
que l’état-major français avait pris le croisement entre la chaussée et le
chemin d’Ohain, où il n’y a qu’une maison (et encore doit-on parler de
80 Sinon, pourquoi attendre pendant de longues heures que le terrain sèche ?...
51
masure plutôt que de maison) pour le carrefour des chaussées de
Nivelles et de Charleroi à Bruxelles où se trouve une petite
agglomération. Et maintenant, il vient nous expliquer que Rogniat a pu
croire qu’il était possible de fortifier un village qui n’existe pas, puisqu’il
n’y a pas de village au croisement du chemin d’Ohain.
Vient enfin la citation du général Foy destinée à éteindre toute
discussion. Le général Foy aurait en effet déclaré le 23 juin :
« L’Empereur s’est placé d’abord sur un pic peu élevé derrière la
Belle-Alliance ; je l’ai vu avec ma lunette, se promener de long en
large, revêtu de sa redingote grise, et s’accouder souvent sur la
petite table qui porte sa carte. Après la charge de la cavalerie
française, il s’est porté à la Haye-Sainte ; à la fin du jour, il a chargé
avec sa garde. »
Or, comme le fait remarquer Coppens, Napoléon a commencé par se
placer sur la hauteur de Rossomme. Puis, il est allé à la Belle-Alliance et,
enfin, il est descendu dans les alentours de la Haye-Sainte pour mettre en
place les bataillons de ce que nous nommons la Moyenne Garde81. Le fait
que Foy ne cite pas Rossomme induit Coppens à conclure que le général
Foy confond la Belle-Alliance et la Haye-Sainte :
« Il faut donc en conclure que Foy dit Belle-Alliance pour
Rossomme, et la Haie-Sainte pour la Belle-Alliance. Il a donc dû,
par suite logique, prendre la Haie-Sainte pour la ferme de Mont-
Saint-Jean, et le carrefour de la route et du chemin creux pour le
hameau de Mont-Saint-Jean. Il y a donc un glissement, un décalage
entre la perception de Foy et la situation réelle des différents
points.
« Et Napoléon a fait la même erreur. Et Drouot aussi. Et Gourgaud.
Et probablement aussi toute l’armée française. »
Il y a une explication à toute cette confusion. Attention, le lecteur
n’aurait-il que cela à lire, il ne peut manquer l’explication de Coppens :
« Mais pourquoi Foy et Napoléon auraient-ils pris la Haie-Sainte
pour la ferme de Mont-Saint-Jean ? Retournons à la carte
chorographique de Ferraris, et à celle de Capitaine, les deux cartes
81 En fait, dans l’état actuel de nos recherches, nous croyons pouvoir dire que Napoléon a occupé cinq positions sur le terrain, sans qu’il nous soit possible de dire avec certitude à quelle heure et pour combien de temps.
52
dont dispose l’état-major français. Toutes deux montrent la route
de Bruxelles passant derrière la ferme de Mont-Saint-Jean (à l’est),
alors qu’en réalité elle passait devant, à l’ouest. Il en était ainsi au
moment de la bataille, comme le montre le plan de Craan, établi en
1816. Il en était également ainsi en 1771, au moment de la levée de
la carte de Ferraris, comme on le voit sur l’exemplaire manuscrit,
appelé Carte de cabinet. Mais on voit qu’un sentier, bordé de haies,
contournait la ferme. C’est cette haie qui soulignait le sentier, qui
aura induit en erreur le graveur de la carte chorographique, et lui a
fait dessiner la route à l’est de la ferme. Et quand Capitaine a copié
la carte chorographique de Ferraris, il a copié l’erreur. Et cette
erreur pourrait expliquer le fait que Foy et Napoléon ont pris la
ferme de la Haie-Sainte pour celle de Mont-Saint-Jean. »
Soyons bien clair : la carte manuscrite de Ferraris montre bien la
chaussée passant à l’ouest de la ferme. La carte chorographique la
montre bien passant à l’est. Une petite image valant mieux qu’une longue
explication, voici deux illustrations de cet état de fait.
Figure 11 : Détail de la feuille 78 de la carte de cabinet de Ferraris
53
Figure 12 : Détail de la feuille XIII de la carte chorographique des Pays-Bas de Ferraris
Il est difficile de dire exactement à quoi est due cette différence. Le plus
vraisemblable est que Ferraris, lorsqu’il dessinait la carte de cabinet,
travaillait « pour l’avenir ». C'est-à-dire que la carte de cabinet, une fois
dessinée (à la main), n’était pas destinée à être reproduite
périodiquement. Le cartographe a donc tenu compte des projets de
construction annoncés par l’administration bruxelloise pour un avenir
proche. Or, précisément, à cette époque, il était question de rectifier la
chaussée. Ces travaux eurent lieu vers 1776. Le relevé des élèves de l’école
de Malines est donc exact et le tracé de la chaussée a été modifié par
après. Jacques Logie écrit à ce propos : « Les bâtiments furent
transformés et agrandis en 1776-1778 par l’Ordre de Malte (…) On
modifia le tracé de la chaussée de Bruxelles mais la porte qui donnait sur
l’ancienne route à l’est de la ferme existe toujours au fond de la cour. »82.
Le graveur de la carte chorographique n’avait pas la même
préoccupation : la carte soumise au public était destinée à être rééditée
82 Jacques Logie – Waterloo, l’évitable défaite, Paris-Gembloux, Duculot, 1984, p. 148 Jacques Logie – Napoléon, la dernière bataille – n’en souffle pas un mot.
54
périodiquement avec les modifications subies par le terrain dans
l’intervalle de deux éditions.
Veut-on une preuve de tout ceci : voici le détail d’un plan terrier de la
seigneurie de Braine-l’Alleud exécuté en 1754 :
Figure 13 : Détail d'un plan terrier de la seigneurie de Braine-l'Alleud
On voit que l’actuelle chaussée n’était alors qu’une « piécente » – soit un
sentier pédestre – qui passait à l’ouest de la ferme.
Remarquons bien que tout ce que nous disons ici n’est là que pour la
beauté du geste et l’information du lecteur. Tout cela est inutile à la
démonstration…
En effet, quel que soit l’endroit où Napoléon a pu se poster sur le champ
de bataille, il lui a toujours été impossible d’apercevoir la ferme de Mont-
Saint-Jean. Tout au plus, en faisant preuve de la meilleure volonté du
monde, a-t-il éventuellement pu observer le toit du porche-pigeonnier,
mais avec beaucoup de difficulté, tenant compte du temps qu’il faisait.
55
Figure 14 : Vue en direction de Mont-Saint-Jean. La tâche blanche au centre du cliché est l'actuel hôtel 1815. Un peu au-dessous, on aperçoit le pignon de la Haye-Sainte. La ferme de Mont-Saint-
Jean devrait se trouver juste à droite du petit bouquet d'arbre. Le cliché a été pris du pseudo-observatoire de Napoléon, chemin de la Belle Alliance à Plancenoit.
En tout état de cause, même en faisant cette mince concession, une chose
reste absolument certaine : il est impossible d’apercevoir la chaussée qui
passe au pied de la ferme de Mont-Saint-Jean et il est donc impossible
de voir si elle passe à gauche ou à droite de la ferme. Cette discussion est
donc totalement inutile et la raison que donne Coppens de l’ « étrange
erreur de lecture de carte » de Napoléon tombe d’elle-même.
Revenons à nos enseignes. Coppens écrit :
« Mais rien ne prouve qu'il y avait une enseigne le 17 juin, ni qu'elle
était bien visible. »
Nous avons démontré par la reproduction de quatre documents datant
des années suivant immédiatement la bataille et souvent « croqués » le
lendemain-même de celle-ci qu’il y avait bien des enseignes sur le cabaret
de la Belle Alliance. Inutile d’y revenir : ces documents sont
péremptoires.
« Et quand bien même il y en avait une, rien ne prouve que
Napoléon y ait prêté attention. Par contre, le bulletin de la bataille,
56
le discours de Drouot et le premier récit de Gourgaud montrent
qu'il y a eu erreur de lecture de carte. »
Nous l’avons dit : aucun de ces documents ne prouve quoi que ce soit. Il
est quand même fort étrange de les opposer à un fait aussi physique que
la présence d’une enseigne sur un bâtiment… Par ailleurs, l’argument
selon lequel Napoléon n’y aurait pas prêté attention est singulièrement
faible. Nous pourrions citer des études comportementales qui montrent
que le regard d’un être humain sachant lire, lorsqu’il regarde un paysage,
est invariablement attiré par un texte écrit qui s’inscrit dans ce paysage.
Les publicitaires et les constructeurs de site web en savent quelque chose.
Napoléon était-il construit autrement que les autres hommes ? Nous ne
le pensons pas… Du reste, rien ne prouve que Napoléon N’a PAS eu
l’attention attirée par ces panneaux.
« Ceci dit, chacun croit ce qu'il veut. Mais pour moi, l'histoire se fait
d'abord à partir des documents, et en premier lieu des documents
écrits. Si l'on refuse d'en tenir compte, on peut arriver à prouver
n'importe quoi. »
Que l’on nous pardonne, mais, ici, c’est l’hôpital qui se moque de la
charité. Nous prouvons par des documents péremptoires qu’il y avait des
enseignes sur la Belle-Alliance et l’on vient nous dire que nous ne tenons
pas compte des documents…
« Si l'on suivait Monsieur Damiens, on en arriverait à croire que les
hommes ont toujours un comportement très rationnel, et que leur
attention n'est jamais distraite par rien. Je ne partage pas ce point
de vue. Dans la situation où se trouvait Napoléon le 17 juin au soir à
la hauteur de la Belle-Alliance, il n'était certainement pas au mieux
de sa forme, et son attention était mobilisée par ce qui se passait
devant lui. En outre, le temps était exécrable. »
Donc Napoléon avait des œillères, ne voyait que ce qu’il avait devant lui,
sans s’occuper du reste. Et puis, n’est-ce pas, l’empereur n’était pas au
mieux de sa forme… Allons donc… Bien la peine de venir nous parler du
regard d’aigle, etc. Le temps était mauvais ?… D’accord, mais nous
savons aussi que la pluie s’était ralentie et que s’il n’était pas possible de
bien voir ce qui se passait sur la crête du chemin de la Croix, il était facile
de voir et de lire des panneaux situés à deux mètres en hauteur.
57
« Ali et Gourgaud disent tous deux que la nuit approchait, et
Drouot que le temps était affreux. Pluie, vent et pénombre (et
quelques boulets de canon), voilà des conditions idéales pour
observer les alentours. Comment peut-on dès lors affirmer que
Napoléon était parfaitement fixé sur l'identité du lieu ? J'avoue que
je suis sidéré par cette affirmation... que les textes écrits par
Napoléon viennent démentir. »
Soyez sidéré, M. Coppens ! Vous ne le serez certainement jamais autant
que moi lorsque je lis que Napoléon ne savait pas lire une carte… Et,
d’ailleurs, où Napoléon dit-il qu’il n’était pas fixé sur l’endroit où il se
trouvait ? C’est vous qui dites qu’il se trompait… Pas lui !
« Napoléon (quoiqu'en pensent certains) était un être humain, et
comme tel, il ne voyait que ce qu'il voulait bien voir.
« Monsieur Damiens nous fait voir dans son texte que lui aussi ne
voit que ce qu'il veut bien voir :
Et de nous citer :
« Or nous lisons dans Houssaye :
«Vers six heures et demie (du soir, le 17 juin), Napoléon
atteignit avec la tête de colonne les hauteurs de la Belle
Alliance… La nuit approchait, et presque toute l’infanterie se
trouvait encore très en arrière. L’empereur fit cesser le feu.
Pendant la canonnade, il était resté près de la Belle Alliance,
exposé aux boulets que le capitaine Mercer, qui l’avait
reconnu, dirigeait sur l’état-major… »
« Donc, à 18 h 30, le 17 juin, en plein jour, Napoléon est passé
devant la Belle Alliance. Il y a peut-être même stationné. Même s’il
pleuvait, il est impossible qu’il n’ait pas aperçu les enseignes de la
Belle Alliance. Dès lors, dès le 17 au soir, il était parfaitement fixé
sur l’identité exacte du lieu et il n’a pas pu le confondre avec la
Haye-Sainte ni avec Rossomme. A moins d’admettre que
l’empereur ne savait pas lire du tout… » (Fin de citation)
Et Coppens reprend :
« Houssaye écrit : "la nuit approchait", ce qui, pour M. Damiens
devient "en plein jour" !...
58
« Quand on refuse de tenir compte des documents écrits...83
On peut bien dire ce que l’on veut, mais, même lorsqu’il fait très mauvais,
quand le soleil se couche à 19.56 hrs, qu’il y a encore en plus trois-quarts
d’heure de crépuscule, il faut admettre qu’à 18.30 hrs, on est encore en
plein jour. De nos jours, avec l’heure d’été, il serait 16.30 hrs. « La nuit
approchait. » Evidemment ! Même à midi, la nuit approche… La nuit
approche toujours… Quand on refuse de tenir compte d’éléments aussi
« simplistes » que le coucher du soleil… Il est vrai que c’est une donnée
qu’il est impossible de trafiquer.
Ajoutons qu’il est quand même fort piquant de voir M. Coppens se
réfugier derrière Henry Houssaye dont il ne cesse – souvent à raison, il
faut le dire – de critiquer le travail.
Quant aux allusions à peine polies à propos de notre prétendu mépris
pour les documents écrits, nous nous contenterons de dire que le
dessinateur qu’est M. Coppens, qui n’apporte à sa démonstration qu’un
seul document, tardif et de seconde main, le témoignage de Foy, sait trop
où peut mener une consultation de documents tardifs, faussés ou
imaginaires : à une argumentation boiteuse et à des raisonnements
primaires sinon puérils.
Et nous terminerons en confirmant notre raisonnement « simpliste » :
Le cabaret de la Belle-Alliance portait de très visibles enseignes.
Napoléon les a aperçues et les a lues. Quand, le 17 juin au début de
la soirée, Napoléon quitte la Belle-Alliance pour aller prendre du
repos au Caillou, il sait exactement où il est. Si, d’aventure, il
n’avait pas aperçu les enseignes de la Belle-Alliance, les officiers de
son entourage n’auraient pas manqué de le faire.
Et comme nous ne sommes pas rancunier, nous offrons à M. Coppens
une superbe image : un très beau lavis de Dennis Dighton exécuté d’après
nature et qui représente la Belle Alliance. C’est certain : c’est écrit dessus,
sur le pignon et au-dessus de la porte !...
83 http://www.empereurperdu.com/forum/phpBB2/viewtopic.php?f=30&t=4588&start=110
59
M.D.