LA TENTATION DE LA GNOSE
Couverture : Cette peinture de JĂ©rĂŽme Bosch reprĂ©-sente la montĂ©e des Ăąmes au Paradis. En fait, elleexprime assez bien une caractĂ©ristique essentielle de ladĂ©marche gnostique : le dĂ©sir Ă©perdu dâĂ©chapper aumonde mauvais de la matiĂšre pour accĂ©der Ă lâautremonde immatĂ©riel et lumineux.
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C O M M U N I OR E V U E C AT H O L I Q U E I N T E R N AT I O N A L E
LA TENTATION DE LA GNOSE
« Lâamour divin seul octroie les clefs de la science. »Arthur Rimbaud, Une saison en enfer.
« Quâaucun de nous ne prĂ©tende avoir dĂ©jĂ dĂ©couvertla vĂ©ritĂ© : cherchons-la ensemble comme quelque chosequi nâest encore connu ni des uns ni des autres. Si nousnâavons pas lâaudacieuse prĂ©tention de lâavoir dĂ©jĂ dĂ©couverte, et de la possĂ©der, câest alors seulement quenous pourrons la chercher avec amour et avec sĂ©rĂ©nitĂ©. »
Saint Augustin, Contre la lettre des Manichéens 3.
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Sommaire
ĂDITORIAL ââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââ
Jean-Robert ARMOGATHE : Les enjeux doctrinaux de la gnose chrétienne
La gnose fut dâabord la connaissance de Dieu retrouvĂ©e dans les Ăcritures. Maisce mot devint trompeur lorsquâil fut utilisĂ© pour dissimuler des propos aventureuxpervertissant la connaissance de Dieu en son mystĂšre. Face Ă ces dĂ©rives dâhier etdâaujourdâhui, il revient au christianisme de revendiquer lâhonneur de la raison.
VRAIE ET FAUSSE GNOSE ââââââââââââââââââââââââââââââ
Ysabel de ANDIA : La gnose au nom menteur : séduction et divisions
Si la vraie gnose est lĂ©gitime, la « pseudo-gnose » se dĂ©finit comme une« connaissance qui apporte le salut », pervertie par la prĂ©tention humaine dâexer-cer un pouvoir sur lâEsprit. Lâarticle emprunte Ă IrĂ©nĂ©e de Lyon trois figuressignificatives des dĂ©rives gnostiques, montrant que, dans le recours Ă lâhermĂ©-neutique, aux pratiques magiques dâune culture, elles dĂ©truisent lâunitĂ© quifonde la foi trinitaire de lâĂglise.
Guy STROUMSA : La proximitĂ© cachĂ©e. Rabbins du Talmud etPĂšres de lâĂglise dans la gnose
Ă la fin de lâAntiquitĂ©, le judaĂŻsme et le christianisme sont affrontĂ©s Ă des pro-blĂšmes thĂ©ologiques qui sont souvent les mĂȘmes. Si lâĂąpretĂ© du dĂ©bat entre lesreligions masque cette « proximitĂ© », il nâen reste pas moins quâen face du paga-nisme, les grands penseurs chrĂ©tiens, tel OrigĂšne, laissent voir ce quâils ont decommun avec le judaĂŻsme, en particulier dans lâexĂ©gĂšse des Ăcritures.
LA TENTATION GNOSTIQUE ââââââââââââââââââââââââââââ
Joaquim CARREIRA das NEVES : La séduction actuelle de la gnose
La séduction actuelle de la gnose tient à une expérience immédiate de laconscience cosmique et divine, à une illumination subjective sans dogmes nicommandements, à la conviction que nous sommes étrangers au monde parceque nous sommes les élus de Dieu. Il demeure fondamental de savoir distinguerentre la foi et la science, entre le Créateur et les créatures.
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Jacques ARNOULD : Gnose et Ă©cologieLes progrĂšs de la science contemporaine ne cessent dâinterroger la foi chrĂ©tiennesur le mystĂšre du monde : comprĂ©hension de lâunivers, de la vie, de lâhommedans sa relation Ă la nature. Autant de questions qui suscitent les rĂ©ponses decourants de pensĂ©e assimilables Ă la gnose par les voies de salut quâils proposent.
PROBLĂMATIQUE ACTUELLE âââââââââââââââââââââââââ
MichaĂ«l FIGURA : LâĂglise face au dĂ©fi renouvelĂ© de la gnoseet du gnosticisme
Face au dĂ©fi toujours actuel (y compris dans lâĂglise) de la gnose, lâĂglise doitmĂ©diter, de maniĂšre encore plus vive, lâhumanitĂ© du Christ en croix et la rĂ©a-litĂ© des souffrances, vĂ©cues pour nous, du Fils incarnĂ©. Seule lâunicitĂ© delâIncarnation rĂ©duit Ă nĂ©ant toute vellĂ©itĂ© de croire en de multiples rĂ©incarna-tions des existences.
SIGNETS âââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââ
Joseph RATZINGER : LibertĂ© et VĂ©ritĂ©La libertĂ© qui serait pure disparition des normes conduit Ă lâautodestruction. Elledoit sâorienter vers la vĂ©ritĂ©, vers ce que nous sommes et qui correspond au plusintime de notre ĂȘtre. La raison humaine ne peut renoncer Ă lâidĂ©e de Dieu : seulela vĂ©ritĂ© rend libre.
Olegario GONZALES DE CARDEDAL : Au cĆur duChristianisme
Communio publie les bonnes feuilles du prologue du CĆur du christianisme, duP. GonzĂĄlez de Cardedal. Cet Ă©minent thĂ©ologien encore trop peu connu enFrance expose une approche existentielle et radicale du christianisme et de lâĂȘtrechrĂ©tien.
Georges CHANTRAINE : LâactualitĂ© de lâĆuvre du CardinalHenri de Lubac
La publication des Ćuvres complĂštes du Cardinal de Lubac, que viennentdâinaugurer les Ăditions du Cerf, fournit lâoccasion Ă Communio de rappeler, parla voix du P. Chantraine, lâorientation et les principales Ă©tapes de la vie et delâĆuvre du grand thĂ©ologien.
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« LA gnose au nom menteur » : lorsque saint IrĂ©nĂ©e, auIIe siĂšcle, Ă©crit « contre les hĂ©rĂ©sies », il prend biensoin de prĂ©ciser quâil attaque une rĂ©alitĂ© qui porte un
nom dâemprunt, contradictoire avec la rĂ©alitĂ© 1. Tandis que « gnose »veut dire « connaissance », « science vĂ©ritable », des hĂ©rĂ©tiquessâavançaient masquĂ©s, qui proposaient une pseudo-science, uneignorance divagante. Le terme est restĂ© marquĂ© par cet usage illĂ©gi-time, et les gnoses ont mauvaise presse aux yeux des orthodoxies.Pire encore, le « gnosticisme » dĂ©signe la mise en systĂšme de prin-cipes Ă©trangers Ă lâorthodoxie chrĂ©tienne.
La prĂ©paration du prĂ©sent cahier a connu cette difficultĂ© : une pre-miĂšre tentative avait Ă©tĂ© faite en 1988 pour publier un thĂšme inter-national sur les gnoses modernes, sous le titre « les religions desubstitution ». LâĂ©dition francophone avait alors offert Ă ses lecteursun cahier sur « les religions orientales » qui nâabordait que margina-lement le thĂšme international. Dix ans plus tard, lâĂ©dition de langueallemande a proposĂ© de coordonner un cahier sur ce thĂšme 2, et la
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Jean-Robert ARMOGATHE
Ăditorial
Les enjeux doctrinauxde la gnose chrétienne
1. Voir ci-aprĂšs lâarticle dâY. de Andia. Lâouvrage de rĂ©fĂ©rence est en alle-mand : K. Rudolph, Die Gnosis. Wesen und Geschichte einer spĂ€tantiken Reli-gion (UTB 1577) Göttingen, 31990 (1977). Sur la christologie des gnostiqueshĂ©rĂ©tiques, lâouvrage majeur reste A. Orbe, Cristologia Gnostica, B.A.C.,2 vol., Madrid, 1976. 2. Voir ici la contribution de M. Figura.
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question nous a semblĂ© dâautant plus importante que le terme« gnose » est perçu de maniĂšre diffĂ©rente selon les langues et lescultures.
Pour le comprendre, il faut remonter au grec, Ă la traductiongrecque de lâAncien Testament par les Juifs dâAlexandrie connuscomme les Septante, ainsi quâĂ la liturgie juive traduite en grecdâAlexandrie (dâoĂč la liturgie chrĂ©tienne, aussi bien romainequâalexandrine, est sortie). Il convient de souligner quâil sâagit bienlĂ dâun vocable authentiquement chrĂ©tien 3. Dans la premiĂšre lettreĂ TimothĂ©e (6, 20) 4, le disciple est mis en garde contre la fausse« gnose » :
« ĂŽ TimothĂ©e, garde le dĂ©pĂŽt ! Ăvite les discours creux et impies,les objections dâune pseudo-science 5. Pour lâavoir professĂ©e, certainsse sont Ă©cartĂ©s de la foi ».
Les textes orthodoxes les plus anciens ne permettent aucundoute : le mot grec gnĂŽsis est employĂ© sans hĂ©sitation pour dĂ©signerla connaissance de Dieu trouvĂ©e dans les Ăcritures, Ă partir des pro-phĂštes jusquâaux Ăvangiles de JĂ©sus. Le terme « gnose » contientcependant une Ă©quivoque, entre « vraie gnose » et « fausse gnose ».Dans GnĂŽsis : la connaissance de Dieu dans lâĂcriture (1988), leP. Bouyer a expliquĂ© cette apparente contradiction par la continuitĂ©directe de la filiation, « de la Synagogue Ă lâĂglise », attestĂ©e parlâemploi du mot dans deux sens spĂ©cialisĂ©s :
a â Le sens rabbinique, mais dâorigine sacerdotale, des prĂ©ceptesmoraux extraits de lâĂcriture (« gnose » dĂ©signe alors ce quâonappelle la halakah).
b â Le sens rĂ©pandu par les apocalypses, qui sâapplique aux mys-tĂšres eschatologiques, aux voies par lesquelles Dieu nous conduit ausalut (câest-Ă -dire quand « gnose » dĂ©signe le foyer de la haggadah).
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3. R.P Casey « The Study of Gnosticism » Journal of Theological Studies 36,1935 p. 45 s. ; Louis Bouyer, GnĂŽsis : la connaissance de Dieu dans lâĂcritureParis 1988. Le point le plus rĂ©cent est fait par Martin Hengel « Die Ursprungeder Gnosis und das Christentum » in J. Adna, S. F. Hademann et O. Hofius(Ă©d.), Evangelium-Schriftauflegung-Kirche, Göttingen, 1997, p. 190-223. 4. Sur la gnose dans les ĂpĂźtres pastorales, Jacques Dupont Gnosis, la connais-sance religieuse dâaprĂšs saint Paul, Louvain 1949 ; E. Schlarb, Die gesundeLehre. HĂ€resie und Wahrheit im Spiegel der Pastoralbriefe, Marbourg, 1990. 5. La Bible de JĂ©rusalem traduit ainsi hĂš pseudĂŽnumos gnĂŽsis, qui est lâexacteexpression quâutilisera IrĂ©nĂ©e : « la gnose au nom menteur ».
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Chez saint Paul, le premier sens est appliquĂ© au problĂšme desviandes immolĂ©es aux idoles (1 Corinthiens 8, 1) : les chrĂ©tiens pou-vaient-ils avoir part Ă leur consommation ? « Nous avons tous lascience (gnĂŽsis), câest entendu, mais la science (gnĂŽsis) enfle, lacharitĂ© Ă©difie ». Cette gnose-lĂ renvoie Ă la connaissance juridique etaux prĂ©ceptes de la Loi. Mais la charitĂ© est ici introduite par Paulcomme un nouveau concept, proprement chrĂ©tien : il lâoppose Ă lascience de la halakah. La charitĂ© est elle-mĂȘme une gnose, « quidĂ©passe toute connaissance » (ĂphĂ©siens 3, 19), lâauthentique gnĂŽsischrĂ©tienne.
Les ĂpĂźtres de la captivitĂ© (ĂphĂ©siens, Colossiens) utilisent plutĂŽtle deuxiĂšme sens : la connaissance est rĂ©vĂ©lation (on utilise ici lemot grec epignĂŽsis) de la croix salvifique du Christ.
Dans les deux cas, et dans les développements que ces sens reçoi-vent dans la littérature orthodoxe ultérieure, le concept de gnoseapparaßt comme essentiel au christianisme ; au deuxiÚme sens, il estcentral dans la Révélation. Deux formules eucharistiques conservéespar la DidachÚ, un texte daté du milieu du second siÚcle, en portenttémoignage :
« Nous te rendons grùce, Î notre pÚre, pour la gnose que tu nousas fait connaßtre par Jésus ton Serviteur » (IX, 3).
« Nous te rendons grĂące, ĂŽ pĂšre saint, pour ton saint Nom que tuas fait habiter en nos cĆurs, pour la gnose, la foi et lâimmortalitĂ© quetu nous as fait connaĂźtre par JĂ©sus ton serviteur » (X, 2).
Cette connaissance est le mode opĂ©ratoire de la prĂ©dication Ă©van-gĂ©lique. Elle est mĂȘme, fort exactement, ce qui rend possible le pas-sage des Gentils, des non-Juifs, Ă la foi. Elle Ă©claire par la raison lemystĂšre chrĂ©tien, elle est connaissance, apprentissage des vĂ©ritĂ©srĂ©vĂ©lĂ©es. On naĂźt juif, on devient chrĂ©tien, surtout lorsquâil sâagit dupassage du paganisme au christianisme. Texte aprĂšs texte 6, les pre-miĂšres gĂ©nĂ©rations chrĂ©tiennes ont parlĂ© de la gnose qui faitconnaĂźtre Dieu en son mystĂšre. Saint Ignace dâAntioche, dans salettre aux ĂphĂ©siens (18, 2) parle de « la gnose de Dieu, qui est JĂ©susChrist ». Ce nâest que plus tard, lorsque des Ă©crivains proposĂšrent desinterprĂ©tations sectaires, rejetĂ©es comme hĂ©rĂ©tiques par la GrandeĂglise, quâils tentĂšrent de dissimuler le caractĂšre aventureux de leurs
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6. On trouvera le dossier patristique dans le livre cité du P. Louis Bouyer,p. 155-168.
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propos sous le voile de la « gnose ». Câest ce « nom trompeur »quâIrĂ©nĂ©e a dĂ©noncĂ©.
M.-J. Le Guillou 7 a montrĂ© la continuitĂ© structurelle des rĂ©sur-gences du gnosticisme Ă diffĂ©rentes Ă©poques : dans le monde hellĂ©-nistique des second et troisiĂšme siĂšcles, au XIIIe siĂšcle, avec Joachimde Flore et avec les Cathares, aux dix-neuviĂšme et vingtiĂšme siĂšclesenfin. Ă chaque fois, il sâest agi de proposer une interprĂ©tation cultu-relle, sociologique du dogme chrĂ©tien, Ă©trangĂšre Ă celle dont lâĂgliseapostolique vit depuis les origines. En ce sens, non seulementla fausse gnose a constituĂ© une tentation permanente de la foi chrĂ©-tienne, une sorte de maladie de la RĂ©vĂ©lation, mais elle existeencore aujourdâhui, sous des formes Ă©tonnamment diverses, quicontiennent les mĂȘmes dĂ©nominateurs communs : un dualismeopposant la matiĂšre et lâesprit, lâautorĂ©demption par la connais-sance, une pensĂ©e mythologique.
On peut relever aujourdâhui trois formes de (fausse) gnose. Enpremier lieu, la tentation la plus grossiĂšre consiste dans lâimpuis-sance Ă interprĂ©ter les Ăcritures, dans leur lecture matĂ©rielle, littĂ©-rale. On refuse, par consĂ©quent, lâautoritĂ© mĂȘme de la RĂ©vĂ©lation,au profit de motifs de crĂ©dibilitĂ© Ă©noncĂ©s pour une culture donnĂ©e,ce que M.-J. Le Guillou appelait justement « hĂ©tĂ©ro-interprĂ©tation » :pour comprendre lâĂcriture, le sens de lâĂcriture nâa aucune auto-ritĂ©. Il ne sâagit plus alors dâinterprĂ©ter lâĂcriture, mais dây releverdes messages occultĂ©s : lâarticle du R.P. Carreira das Neves en donnedeux exemples contemporains. La doctrine catholique en devientinsignifiante, car son contenu dogmatique est asservi Ă une culture,voire Ă une simple « mentalitĂ© ».
Une forme plus Ă©laborĂ©e se prĂ©sente comme une transcendanceabsolutisĂ©e, totalement coupĂ©e du monde. Il sâagit dâun refus de lathĂ©ologie biblique de la CrĂ©ation Ce refus conduit Ă proclamerinutile (voire gĂȘnante) la lente pĂ©dagogie divine, qui prĂ©pare lâIncar-nation au long de lâAncien Testament (on se souvient que les hĂ©rĂ©-sies gnostiques diminuaient ou supprimaient la fonction de cestextes, au profit dâun corpus nĂ©o-testamentaire lui-mĂȘme Ă©ventuel-lement rĂ©duit et mutilĂ©). On trouve souvent, dans les dĂ©rives gnos-tiques anciennes et modernes, ce courant qui va contre lâhistoire etla Providence.
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7. (Avec Alain Besançon, Jean-Miguel Garrigues et Paul Toinet) Le mystÚre duPÚre, Paris, Fayard 1971.
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Enfin, la derniĂšre composante, plus subtile, du comportementgnostique revient Ă identifier lâĂȘtre au devenir de la conscience : Ă cemoment-lĂ , la signification des termes mĂ©taphysiques fondamen-taux (ĂȘtre, essence...) se prend en fonction de cette Ă©quivalence, ouse confond mĂȘme parfois avec elle. Il sâagit lĂ dâune position anti-mĂ©taphysique que lâon trouve frĂ©quemment dans certaines formesde lâidĂ©alisme allemand 8 et dont un avatar vulgaire est lâactuel pri-mat du subjectivisme (chaque conscience devient pour elle-mĂȘmelâabsolu et donc la norme de sa foi).
Les hĂ©rĂ©sies gnostiques, « la gnose au nom trompeur », sont laperversion, la maladie de la connaissance de Dieu en son mystĂšre.Cette pathologie semble aujourdâhui florissante 9 : nous assistons aureflux des assauts menĂ©s contre le mystĂšre chrĂ©tien au nom de la rai-son, dont les LumiĂšres du dix-huitiĂšme siĂšcle français sont commele symbole et le modĂšle. Ce dĂ©litement de la raison sâeffectue auprofit des mythes, des tentations quâoffre une transcendance coupĂ©edu monde. Les aspirations religieuses reviennent en force et sâen-gouffrent dans une connaissance dâautant moins critiquable ou rĂ©fu-table quâelle nâoffre pas de prise Ă lâanalyse et Ă la critique. Cetteattitude sâappuie sur les Ă©checs de la politique moderne Ă transformerle monde, sur lâexpĂ©rience que la science fait de ses propres limites,et flirte avec lâidĂ©al dâune nature rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e (Ă©cologisme radical 10).
Face Ă cette dĂ©rive, lâorthodoxie a maintenu la confession apos-tolique de lâĂglise, le tĂ©moignage trinitaire, lâactivitĂ© opĂ©ratoire dela priĂšre. Le credo contient les antidotes Ă la dĂ©rive gnostique : lâin-terprĂ©tation interne que la foi propose engage profondĂ©ment la ratio-nalitĂ© humaine. Car il convient dâinsister sur ce point : la gnose estla vraie connaissance de la rĂ©vĂ©lation divine. La formation philoso-phique du pape actuel le rend particuliĂšrement attentif Ă ces risques.Dans plusieurs de ses enseignements, et en particulier dans les deuxlettres encycliques Veritatis Splendor (1993) et Fides et ratio(1998), il a affirmĂ© comme une nĂ©cessitĂ© intrinsĂšque du mystĂšrechrĂ©tien lâaccĂšs rationnel aux vĂ©ritĂ©s de foi. En 1992, le centiĂšme
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8. Voir Henri de Lubac, La postérité spirituelle de Joachim de Flore, Paris-Namur 1978, t. 1, chap. VIII et IX. 9. Peter H. van Ness (éd.) Spirituality and the Secular Quest (« World Spiri-
tuality », vol. 22), New York, Crossroad, 1996 et Ewert H. Cousins, Christ ofthe 21st Century, Rockport, Mass.-Shaftesbury-Brisbane, ĂlĂ©ment B, 1992. 10. Voir plus bas lâarticle de Jacques Arnould.
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cahier de cette revue se donnait pour thĂšme : « Sauver la raison » 11.Le Dieu qui se rĂ©vĂšle est la raison en personne. Devant la crise desidĂ©ologies et la montĂ©e des gnoses rampantes, il revient au christia-nisme de revendiquer lâhonneur de la raison.
Jean-Robert Armogathe, nĂ© en 1947 Ă Marseille, prĂȘtre (Paris), aumĂŽnierdâĂ©tudiants, confĂ©rencier de CarĂȘme Ă Notre-Dame de Paris, il est aussi directeurdâĂ©tudes Ă lâĂcole pratique des hautes Ă©tudes (sciences religieuses, Sorbonne).Appartient depuis lâorigine au comitĂ© de rĂ©daction francophone de Communio.
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11. Communio XVII, 2-3 mars-juin 1992. Bien des articles de ce numérocomplÚtent le présent cahier.
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GNĂSIS 1, en grec, signifie la connaissance et ce terme, dans leNouveau Testament, est riche de sens : chez saint Jean (3-9),la connaissance est source de lumiĂšre â car « celui qui fait la
vĂ©ritĂ© vient Ă la lumiĂšre » â, et source de vie, car « la vie Ă©ternelle »câest de connaĂźtre (Dieu) et son « envoyĂ© JĂ©sus-Christ » (Jean 7-3).Elle est insĂ©parable de lâamour et vĂ©rifiĂ©e par lâamour : « celui quinâaime pas nâa pas connu Dieu car Dieu est amour » (4, 8). Chezsaint Paul, la connaissance, enracinĂ©e dans la PĂąque du Christ, estconnaissance de la « Sagesse crucifiĂ©e », de la « folie » (1 Corin-thiens 1, 21-25) de la croix, don de lâEsprit qui sâĂ©panouit en cha-rismes, elle est la connaissance de « la largeur, de la hauteur et de laprofondeur » de lâamour de Dieu dans le Christ (ĂphĂ©siens 3, 18), etdu Christ pour son Ăglise (ĂphĂ©siens 5, 25, 27-32).
Telle est la vraie connaissance, la connaissance de Dieu dans leChrist, transmise dans lâĂglise par la tradition apostolique, et IrĂ©nĂ©ede Lyon 2 a raison de dĂ©finir, face Ă la « pseudo-gnose » des gnos-tiques, la « vraie gnose » :
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Ysabel DE ANDIA
La gnose au nom menteur :séduction et divisions
1. Sur la Gnose, voir A. ORBE, Estudios valentinianos I-V, Roma 1956 - 1966et M. TARDIEU et J.-N. DUBOIS, Introduction Ă la littĂ©rature gnostique, Pressesdu CNRS, Paris, 1986. 2. Dans cette prĂ©sentation de trois « figures » de la gnose, jâai pris comme rĂ©fĂ©-rence principale la DĂ©nonciation et rĂ©futation de la gnose au nom menteur
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« Câest une connaissance vraie, comportant : lâenseignement desapĂŽtres ; lâorganisme originel de lâĂglise rĂ©pandu Ă travers le mondeentier ; la marque distinctive du Corps du Christ, consistant dans lasuccession des Ă©vĂȘques auxquels les apĂŽtres remirent chaque Ăgliselocale ; parvenue jusquâĂ nous, une conservation immuable des Ăcri-tures, impliquant trois choses : un compte intĂ©gral, sans addition nisoustraction, une lecture exempte de fraude et, en accord avec cesĂcritures, une interprĂ©tation lĂ©gitime, appropriĂ©e, exempte de dangeret de blasphĂšme ; enfin, le don surĂ©minent de lâamour, plus prĂ©cieuxque la connaissance, plus glorieux que la prophĂ©tie, supĂ©rieur Ă tousles autres charismes 3 » (AH III, 33, 8).
La vraie gnose est dĂ©finie par la tradition apostolique, la catholi-citĂ© de lâĂglise, la succession apostolique, gardienne de lâĂcriture etde la tradition, et enfin le don surĂ©minent de la charitĂ©.
Quelle est alors cette « pseudo-gnose » ou « gnose au nommenteur » ?
IrĂ©nĂ©e la dĂ©finit comme ProtĂ©e aux multiples aspects, comme unloup ou un renard qui se cache dans son fourrĂ© pour ne pas ĂȘtre vu.
« Lorsquâune bĂȘte sauvage est cachĂ©e dans une forĂȘt, dâoĂč elle faitdes sorties et cause de grands ravages, si quelquâun vient Ă Ă©carter lesbranches et dĂ©couvrir les taillis et rĂ©ussit Ă apercevoir lâanimal, pointne sera besoin dĂ©sormais de grands efforts pour sâen emparer : onverra Ă quelle bĂȘte on a affaire ; il sera possible de la voir, de se gar-der de ses attaques, de la frapper de toutes parts, de la blesser, de tuercette bĂȘte dĂ©vastatrice. Ainsi en va-t-il pour nous, qui venons de pro-duire au grand jour leurs « mystĂšres cachĂ©s et enveloppĂ©s », chez eux,« de silence » : nous nâavons plus besoin de longs discours pouranĂ©antir leur doctrine » (AH I, 31, 4).
La pseudo-gnose change au grĂ© des circonstances et rĂšgne danslâombre. Et lâunique « dĂ©nonciation et rĂ©futation de la pseudo-gnose » consiste Ă faire venir Ă la lumiĂšre cet animal malfaisant pourmontrer ce quâil est. Câest lâunique jugement de ceux qui prĂ©fĂšrentdemeurer dans les tĂ©nĂšbres (Jean 3), et la vĂ©ritĂ© est sa proprepreuve. IrĂ©nĂ©e de Lyon veut passer au crible leurs doctrines et opĂ©-rer un discernement entre la lumiĂšre et les tĂ©nĂšbres, la gnose et la« pseudo-gnose », la vĂ©ritĂ© et lâhĂ©rĂ©sie.
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VRAIE ET FAUSSE GNOSE --------------------------------------------- Ysabel de Andia
dâIrĂ©nĂ©e de Lyon, que lâon cite sous son titre latin Adversus haereses (= AH),consciente de cette limitation volontaire. Je cite la traduction française de DomAdelin Rousseau, Ăd. du Cerf, Paris 1984.3. Cf. 1 Coritnthiens 12, 31.
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Faute de sâappuyer sur le roc de la vĂ©ritĂ©, elle est aussi comme« lâeau fĂ©tide » qui remplit, les « citernes crevassĂ©es » (JĂ©rĂ©mie 2,13),par opposition Ă lâĂglise qui est le « vase » qui contient lâeau vive delâEsprit.
« ... De cet Esprit sâexcluent donc tous ceux qui, refusant dâaccou-rir Ă lâĂglise, se privent eux-mĂȘmes de la vie par leurs doctrinesfausses et leurs actions dĂ©pravĂ©es. Car lĂ oĂč est lâĂglise, lĂ est aussilâEsprit de Dieu, lĂ est lâĂglise et toute grĂące. Et lâEsprit est vĂ©ritĂ©.Câest pourquoi ceux qui sâexcluent de lui ne se nourrissent pas nonplus aux mamelles de leur mĂšre en vue de la vie et nâont point partĂ la source limpide qui coule du corps du Christ, mais « ils se creusentdes citernes crevassĂ©es », faites de trous de terre et boivent lâeau fĂ©tidedâun bourbier : ils fuient la foi de lâĂglise de crainte dâĂȘtre dĂ©mas-quĂ©s, et ils rejettent lâEsprit pour ne pas ĂȘtre instruits » (AH III, 24,1).
Ou encore comme du « sable » : « Devenus Ă©trangers Ă la vĂ©ritĂ©, il est fatal quâils roulent dans
toute erreur et soient ballottĂ©s par elle, quâils pensent diversementsur les mĂȘmes sujets suivant les moments et nâaient jamais de doc-trine fermement Ă©tablie, puisquâils veulent ĂȘtre sophistes de motsplutĂŽt que disciples de la vĂ©ritĂ©. Car ils ne sont pas fondĂ©s sur le Rocunique, mais sur le sable, un sable qui renferme des pierres mul-tiples » (AH III, 24,1).
Son origine est diabolique : câest « lâhomicide » ou le « pĂšre dumensonge » (Jean 8,44) qui, dĂšs le dĂ©but, a Ă©tĂ© « jaloux » delâhomme et lâa tentĂ© en lui offrant le fruit de lâarbre de la connais-sance du bien et du mal. La pseudo-gnose est, en elle-mĂȘme, unerĂ©pĂ©tition de lâacte du tentateur qui offre Ă lâhomme le fruit dâuneconnaissance qui le divinise sans la grĂące de Dieu.
La gnose se dĂ©finit comme une connaissance qui apporte le salut 4.Câest une connaissance qui est relative Ă la nature de ceux qui lareçoivent ou ne peuvent la recevoir. La doctrine gnostique des troisnatures â pneumatique ou spirituelle, psychique ou animale et matĂ©-rielle (hylique) ou charnelle â, dĂ©termine leur capacitĂ© Ă recevoir lagnose et Ă ĂȘtre sauvĂ©s : les spirituels ou gnostiques portent en euxcette connaissance spirituelle et sont destinĂ©s Ă ĂȘtre sauvĂ©s par la
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4. H.-C. PUECH, En quĂȘte de la Gnose, t. I. La Gnose et le Temps, Paris, 1978,p. 236 : « La gnose (du grec gnĂŽsis, « connaissance ») est une connaissanceabsolue qui sauve par elle-mĂȘme et le gnosticisme est la thĂ©orie de lâobtentiondu salut par la connaissance ».
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connaissance de leur propre nature spirituelle de mĂȘme nature quele PlĂ©rĂŽme divin, les psychiques sont les seuls Ă avoir une libertĂ© dechoix face Ă cette connaissance qui leur est proposĂ©e par les spiri-tuels, sâils lâacceptent ils suivront les spirituels dans leur ascensionvers le PlĂ©rĂŽme, sâils se tournent, au contraire, vers le monde matĂ©-riel et charnel, ils seront dĂ©truits, comme les charnels, Ă la fin dumonde. Quant aux matĂ©riels et charnels, ils nâont aucune libertĂ© dechoix et, par nature, ils sont destinĂ©s Ă ĂȘtre dĂ©truits, portant en euxles germes de corruption et de mort.
Ainsi la gnose rĂ©pond Ă la question rapportĂ©e par ClĂ©mentdâAlexandrie, dans les Extraits de ThĂ©odote (78) : « Qui Ă©tions-nous ? Que sommes-nous devenus ? OĂč Ă©tions-nous ? OĂč avons-nous Ă©tĂ© jetĂ©s ? Vers quel but nous hĂątons-nous ? », la question delâorigine, de la fin et de la nature de lâhomme. Lâhomme se lâest tou-jours posĂ©e et se la posera toujours, mais ce qui distingue la philo-sophie de la gnose, câest lâaspect sotĂ©riologique : la gnose est moinsprĂ©occupĂ©e de la contemplation de lâĂȘtre en tant quâĂȘtre que du salutde cette part spirituelle de lâhomme, Ă©tincelle divine incorruptible,Ă©chappĂ©e du PlĂ©rĂŽme divin et plongĂ©e dans la chair corruptible,comme la pĂ©pite dâor dans la boue.
Il y a derriĂšre la question de la gnose cette « anxiĂ©tĂ© » de lâAnti-quitĂ© tardive, Ă la recherche de nouvelles religions 5. Ă Rome,câĂ©taient les religions Ă mystĂšres venues dâOrient, de nos jourslâOccident se tourne vers lâInde et lâExtrĂȘme-Orient, lâhindouismeou le bouddhisme.
Mais, si le monde grĂ©co-romain sâouvrait aux religions orientales,le christianisme, de son cĂŽtĂ©, sâouvrait Ă la culture grĂ©co-latine etlâon a dit que la gnose Ă©tait le triomphe de lâhellĂ©nisme sur le chris-tianisme. Peut-ĂȘtre faut-il voir lĂ une dĂ©ception des courants messia-nistes, qui, aprĂšs la chute du Temple de JĂ©rusalem, ne voyant pasleurs espĂ©rances se rĂ©aliser dans lâhistoire, ont transposĂ© leur concep-tion de lâhistoire en une vision du PlĂ©rĂŽme. Le passage des apoca-lypses aux diffĂ©rentes gnoses se fait dans ce monde judĂ©o-chrĂ©tien,dont tĂ©moignent les ĂpĂźtres aux Colossiens et aux Corinthiens 6, et
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5. Cf. DODDS, Pagan and Christians in an Age of Anxiety, 1965, trad. fran-çaise : PaĂŻens et chrĂ©tiens dans un Ăąge dâanxiĂ©tĂ©, Paris, 1979. F. CUMONT, Lesreligions orientales dans le paganisme romain.6. Cf. 1 Corinthiens 3,18. Voir W. SCHMITHALS, Die Gnosis im Corinth, etR. MCL. WILSON, 2. « Le gnosticisme dans le Nouveau Testament, in : Gnoseet Nouveau Testament, Paris, 1969, p. 67-112.
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lâApocalypse qui parle de la prĂ©sence de gnostiques, les « Nico-laĂŻtes », au sein de la communautĂ© chrĂ©tienne.
Je voudrais prendre ici plusieurs figures emblĂ©matiques de lagnose, Simon le Mage, le « pĂšre » de la gnose et, Ă sa suite, Marc leMage, en second lieu PtolĂ©mĂ©e, « la fleur de lâĂ©cole de Valentin »(AH Pr. 2), et enfin Marcion, pour montrer Ă chaque fois la tentationet la dĂ©rive que leurs doctrines suscitent et entraĂźnent.
I. Simon le Mage et la possession de lâEsprit.
Lâobjet de la tentation, dans le rĂ©cit de la GenĂšse, est la posses-sion dâun pouvoir qui nâest pas donnĂ© par Dieu : Le diable suggĂšreĂ Adam et Ăve : si vous mangez du fruit dĂ©fendu, « vous serezcomme des dieux » (GenĂšse 3,5). Devenir dieu sans Dieu, telle estla plus haute tentation qui sâinsinue dans le cĆur de lâhomme,lâexaltation de soi que les anciens nomment la superbe ou lâorgueil.Tentation de sâemparer du fruit qui donne, au dire de lâange, cepouvoir.
1. Simon le Mage 7
Or cette mĂȘme tentation se retrouve dans lâhistoire de Simon leMage, au chapitre 8 (v. 9-24) des Actes des ApĂŽtres : « Simon, quifaisait profession de magie et tenait dans lâĂ©merveillement la popu-lation de Samarie », se faisait appeler « la Puissance de Dieu, cellequi sâappelle la Grande ». Il captivait les Samaritains « par ses sor-tilĂšges ». « Lorsque Philippe annonça la bonne nouvelle du RĂšgnede Dieu et du nom de JĂ©sus », il crut et reçut le baptĂȘme comme lesautres Samaritains.
Mais « quand il vit que lâEsprit Saint Ă©tait donnĂ© par lâimpositiondes mains des apĂŽtres, il leur proposa de lâargent : âAccordez-moi,leur dit-il, Ă moi aussi ce pouvoir, afin que ceux Ă qui jâimposerai lesmains reçoivent lâEsprit Saintâ. Mais Pierre lui rĂ©pliqua : âPĂ©risseton argent et toi avec lui, pour avoir cru que tu pouvais acheter, avecde lâargent, le don gratuit de Dieuâ » (v. 18-20).
Pierre transmet « le don gratuit de Dieu » quâil a reçu, Simon veutsâemparer de ce don de Dieu, lâEsprit, sans le recevoir de Dieu ou
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7. Sur Simon le Mage, voir K. BEYSCHLAG, « Zur Simon-Magus-Frage », ZKT68 (1971) 399.
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encore il veut sâapproprier avec de lâargent les dons et les charismesde lâEsprit sans se laisser dĂ©possĂ©der et conduire par lui. Le face Ă face de Simon Pierre et de Simon le Mage est apparu, aux commen-tateurs anciens, comme le face Ă face du prince des apĂŽtres et duprince des gnostiques, et IrĂ©nĂ©e de Lyon comme Hippolyte de RomeconsidĂšrent Simon comme le chef et le pĂšre de tous les gnostiques :
« Nous avons relevĂ© leurs divergences, leurs Ă©coles et leurs filia-tions, dĂ©crit toutes les sectes fondĂ©es par eux et montrĂ© que câest entirant leur origine de Simon que tous les hĂ©rĂ©tiques ont introduit en cemonde leurs doctrines impies et nĂ©gatrices de Dieu » (AH II, Pr. 1).
Dans cette gĂ©nĂ©alogie de la Gnose qui remonterait Ă Simon leMage, il y a une volontĂ© de la systĂ©matiser, plus apparente encorechez Hippolyte de Rome que chez IrĂ©nĂ©e de Lyon, mais lâĂ©cartentre le Simon des Actes des ApĂŽtres et celui des hĂ©rĂ©siologues estmanifeste.
Dans le premier livre de lâAdversus haereses, IrĂ©nĂ©e prĂ©senteSimon le Mage et MĂ©nandre, son successeur, comme les ancĂȘtresdes Valentiniens. Simon de Samarie Ă©difia sa secte sur une doctrinede rĂ©demption transposĂ©e de sa propre vie :
« ayant achetĂ© Ă Tyr, en PhĂ©nicie, une certaine HĂ©lĂšne qui exerçait lemĂ©tier de prostituĂ©e, il se mit Ă parcourir le pays en disant quâelleĂ©tait sa PensĂ©e premiĂšre, la MĂšre de toutes choses, tombĂ©e sous ladomination des Puissances angĂ©liques malĂ©fiques, et quâil vint pourla dĂ©livrer se rendant semblable aux PrincipautĂ©s aux Puissances etaux Anges et se montrant Ă©galement parmi les hommes comme unhomme, quoique nâĂ©tant pas un homme, et quâil parut souffrir enJudĂ©e sans souffrir rĂ©ellement » (AH I, 23, 2-3).
Simon se prĂ©sente comme le Sauveur de lâhumanitĂ© ou de lafemme dĂ©chue ; il apporte Ă la fois le salut et la libertĂ© :
« Aussi les fidĂšles de Simon et dâHĂ©lĂšne ne devaient-ils plus sesoucier dâeux, mais en hommes libres faire tout ce quâils voulaient :ce qui sauvait les hommes, câĂ©tait la grĂące de Simon, non les Ćuvresjustes, car il nây a point dâĆuvres justes par nature, mais seulementpar convention » (AH I, 23, 3).
Il y a deux propositions ici : câest la foi ou la grĂące qui justifie etnon les Ćuvres et il nây a point dâĆuvre juste par nature, mais parconvention. Nous retrouverons chez la plupart des gnostiques, et enparticulier dans la Lettre Ă Flora 8 de PtolĂ©mĂ©e, cette opposition de
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8. PTOLĂMĂE, Lettre Ă Flora, SC 24 bis, Paris, 1966.
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la Loi et de lâEsprit, parallĂšle Ă celle des deux Testaments, alorsquâIrĂ©nĂ©e dĂ©fend la loi qui « a appris, par avance, Ă lâhomme Ă suivre le Christ » (AH IV,12,5).
Si la morale est affaire de convention, la libertĂ© de mĆurs estacquise :
« Leurs mystagogues vivent donc dans la dĂ©bauche, et, dâautrepart, sâadonnent Ă la magie, chacun autant quâil peut. Ils possĂšdentune icĂŽne de Simon reprĂ©sentĂ© sous les traits de Zeus et une icĂŽnedâHĂ©lĂšne, sous ceux dâAthĂ©na, et ils les adorent. Ils portent aussi unnom dĂ©rivĂ© de Simon, lâinitiateur de leur doctrine impie, puisquâilssont appelĂ©s Simoniens, et câest dâeux que tire son origine la gnoseau nom menteur, ainsi quâil est loisible de lâapprendre par leursdĂ©clarations mĂȘmes » (AH I, 23, 4).
La premiĂšre tentation de la Gnose est la magie et câest pourquoila connaissance nâest pas purement intellectuelle, mais elle sâac-compagne de pratiques et de rites quâIrĂ©nĂ©e nâhĂ©site pas Ă appeler,par dĂ©rision, des « mystagogies », câest-Ă -dire des initiations à « leurssoi-disant mystĂšres ». La magie devient alors un substitut du sacre-ment et Marc le Mage nâhĂ©sitera pas Ă cĂ©lĂ©brer une eucharistie.
2. Marc le Mage
Irénée connaßt particuliÚrement bien les pratiques magiques et lesdébauches de Marc le Magicien qui a séduit, dit-il, « un grand nombrede femmes jusque dans nos contrées du RhÎne » (AH I,13,7) :
« TrĂšs habile en jongleries magiques, il a trompĂ© par elles beau-coup dâhommes et une quantitĂ© peu banale de femmes, les faisantsâattacher Ă lui comme au âgnostiqueâ et au âparfaitâ par excellenceet comme au dĂ©tenteur de la SuprĂȘme Puissance venue des lieux invi-sibles et innommables... Feignant dââeucharistierâ une coupe mĂȘlĂ©ede vin et prolongeant considĂ©rablement la parole de lâinvocation, ilfait en sorte que cette coupe apparaisse pourpre ou rouge... Ou bienencore, prĂ©sentant Ă une femme une coupe mĂȘlĂ©e, il lui ordonne delââeucharistierâ en sa prĂ©sence... Il semble quâil ait mĂȘme un dĂ©monassistant, grĂące auquel il se donne lâapparence de prophĂ©tiser lui-mĂȘme et fait prophĂ©tiser les femmes quâil juge dignes de participer Ă sa GrĂące » [AH I, 13,1-3].
Marc le Mage fait participer les femmes au culte eucharistique etĂ la prophĂ©tie, pour les corrompre : la « femme qui se prend pourune prophĂ©tesse » « sâapplique Ă le rĂ©tribuer, non seulement en luidonnant ses biens, mais en lui livrant son corps » (13,3). La magiede Marc, comme celle de Simon, apparaĂźt donc comme une volontĂ©
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de sâemparer de lâEsprit. Et cette magie sĂ©duit surtout les femmes Ă qui est confĂ©rĂ© un pouvoir ecclĂ©siastique, cultuel ou prophĂ©tique.Mais ce pouvoir est de source purement humaine.
Lâautre aspect de la doctrine gnostique de Marc le Magicien estlâexplication des noms des Ăons du PlĂ©rĂŽme par la grammatologieet lâarithmologie. Le corps de la VĂ©ritĂ© se prĂ©sente comme le corpsdâune femme nue dont les parties sont autant de lettres de lâalpha-bet grec avec leur Ă©quivalent numĂ©rique et leur valeur significative.Ainsi JĂ©sus, IĂ©sous, le « fruit » commun du PlĂ©rĂŽme, « selon lesnombres correspondant aux diffĂ©rentes lettres, Ă©quivaut Ă 888 »(= 8 + 80 + 800) (15,2).
Ces explications arithmologiques Ă©tranges dĂ©chaĂźnent lâironiedâIrĂ©nĂ©e :
« Qui ne haĂŻrait, en effet, le dĂ©plorable fabricant de pareils men-songes, en voyant la VĂ©ritĂ© travestie en idole par Marc, et une idolemarquĂ©e au fer rouge des lettres de lâalphabet ? » (AH I, 15,4).
En opposition Ă cette reprĂ©sentation de la VĂ©ritĂ© par Marc leMage, IrĂ©nĂ©e prĂ©sente la regula veritatis (AH I,10,1-3), confessionbaptismale de la foi de lâĂglise catholique :
« Ainsi en va-t-il de celui qui garde en soi, sans lâinflĂ©chir, la rĂšglede vĂ©ritĂ© quâil a reçue par son baptĂȘme : il pourra reconnaĂźtre lesnoms, les phrases et les paraboles provenant des Ăcritures, il nereconnaĂźtra pas le systĂšme blasphĂ©matoire inventĂ© par ces gens-lĂ .Il reconnaĂźtra les pierres de la mosaĂŻque, mais il ne prendra pas la sil-houette du renard pour le portrait du Roi. En replaçant chacune desparoles dans son contexte et en lâajustant au corps de vĂ©ritĂ©, il met-tra Ă nu leur fiction et en dĂ©montrera lâinconsistance » (AH I,9,4).
Comme les mosaĂŻstes se servent des pierres de la mosaĂŻque duRoi pour en faire une autre avec la silhouette dâun renard, les gnos-tiques se servent des mots de lâĂcriture Sainte pour Ă©crire un nouveautexte qui nâest plus une parole de Dieu. Il y a donc une dĂ©composi-tion et une recomposition du texte de lâĂcriture par la gnose en vuede la dĂ©monstration de ses propres doctrines.
IrĂ©nĂ©e reprendra lâanalyse des exĂ©gĂšses marcosiennes au secondlivre de lâAdversus haereses (AH II, 24,1-6) pour conclure sur lâor-gueil gnostique et la supĂ©rioritĂ© de lâamour sur la gnose (AH II,25,1 â 28,9).
« Il est meilleur et plus utile dâĂȘtre ignorant ou de peu savoir et desâapprocher de Dieu par lâamour, que de se croire savant et habile etde se trouver blasphĂ©mateur Ă lâĂ©gard de son Seigneur pour avoirimaginĂ© un autre Dieu et PĂšre que lui. Câest pourquoi Paul sâest
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Ă©criĂ© : âLa science enfle, tandis que la charitĂ© Ă©difieâ (1 Corinthiens8,1) » (AH II, 26,2).
Il y a deux critĂšres de discernement du blasphĂšme de la gnose : lavĂ©ritĂ© et la charitĂ©. Pour IrĂ©nĂ©e de Lyon comme pour ClĂ©mentdâAlexandrie, la vĂ©ritable gnose est insĂ©parable de la charitĂ© dont letĂ©moignage ultime est le martyre.
II. PtolĂ©mĂ©e et lâopposition de la chair et de lâEsprit.
Le systĂšme de PtolĂ©mĂ©e apparaĂźt comme la doctrine gnostique laplus Ă©laborĂ©e. Il vise Ă expliquer non seulement la constitution duPlĂ©rĂŽme divin par la gĂ©nĂ©alogie des trente Ăons qui le constituent, Ă partir du Pro-PĂšre ou Pro-Principe, mais aussi la genĂšse du mondepsychique et matĂ©riel par le mythe de la Sagesse crucifiĂ©e, SophiaAchamot, expulsĂ©e puis rĂ©intĂ©grĂ©e dans le PlĂ©rĂŽme grĂące au Sau-veur. Câest Ă la fois une cosmologie et une sotĂ©riologie. Câest aussiune exĂ©gĂšse des textes nĂ©otestamentaires, comme le Prologueauquel les noms des Ăons â PĂšre, MonogĂšne et Christ, Logos et Vie,GrĂące et VĂ©ritĂ© â, sont empruntĂ©s, ou la Ire ĂpĂźtre aux Corinthienssur la Sagesse crucifiĂ©e.
De ce systĂšme, on retiendra deux aspects, la christologie et lâan-thropologie 9.
1. La Christologie gnostique
La gnose ne peut penser lâunitĂ© du Christ ou lâunitĂ© de lâhomme.Elle conçoit une unitĂ© comme composition. Ainsi, JĂ©sus, le tren-tiĂšme Ăon, est le « Fruit parfait » du PlĂ©rĂŽme, « qui sâappelle aussiSauveur, et encore Christ et Logos » (AH I, 2, 5). Et le Christ ouSauveur, qui vient dans le monde pour sauver lâĂ©lĂ©ment pneuma-tique, comme lâĂ©lĂ©ment psychique, est lui-mĂȘme composĂ© dâunChrist pneumatique, lâĂon du PlĂ©rĂŽme, et dâun Christ psychique,celui qui se manifeste au monde :
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9. Pour cette partie, câest toute lâĆuvre dâANTONIO ORBE qui est sous-entendueet, en particulier, ses livres sur La cristologĂa gnostica, BAC 384-385, Madrid1976, et LâantropologĂa de san Ireneo, BAC 286, Madrid 1969. Sur la christo-logie, voir aussi A. HOUSSIAU, La christologie de S. IrĂ©nĂ©e, Louvain-Gem-bloux, 1955, et sur lâanthropologie, Y. DE ANDIA, Homo vivens. IncorruptibilitĂ©et divinisation de lâhomme chez saint IrĂ©nĂ©e de Lyon, Ătudes Augustiniennes,Paris 1976.
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Le Sauveur « a pris les prĂ©misses de ce quâil devait sauver : dâAcha-mot, il a reçu lâĂ©lĂ©ment pneumatique ; par le DĂ©miurge, il a Ă©tĂ© revĂȘtudu Christ psychique ; enfin, du fait de lââĂ©conomieâ, il sâest vu entou-rer dâun corps qui a une substance psychique, mais organisĂ© avec unart inexprimable de maniĂšre Ă ĂȘtre palpable, visible et passible ; quantĂ la substance hylique, il nâen a pas pris la moindre parcelle, disent-ils,car la matiĂšre nâest pas capable de salut » (AH I, 6, 1).
Seul le semblable connaĂźt le semblable, disent les philosophes, etles gnostiques ajoutent : seul le semblable peut sauver le semblable.Le Sauveur est formĂ© dâun Ă©lĂ©ment spirituel ou pneumatique, poursauver les spirituels ou gnostiques, et dâun corps psychique, pour sau-ver les psychiques. Mais la matiĂšre ou la chair, qui nâest pas capablede salut ne peut ĂȘtre attribuĂ©e au Sauveur. La consĂ©quence de cettedoctrine est la nĂ©gation de lâincarnation du Verbe et de la rĂ©sur-rection de la chair. Les gnostiques ne nient pas la divinitĂ© du Christ,mais la caro Christi « chair du Christ ». Câest lâincarnation du Verbequi est et demeure le grand scandale, la pierre dâachoppement, de laraison.
Les gnostiques adoptent, vis-Ă -vis du Christ, lâattitude des DocĂštes,qui pensent que le Christ est seulement apparu (dokein, signifie engrec, sembler, apparaĂźtre) dans la chair, mais quâil ne sâest pas faitvĂ©ritablement chair. Il est passĂ© « Ă travers Marie », comme « lâeau Ă travers un tube », sans rien prendre « de Marie » (AH I, 7, 2-V 1,2) :
« Ils confessent ainsi de bouche, dit IrĂ©nĂ©e en parlant des gnos-tiques, un seul Christ JĂ©sus, mais ils le divisent en pensĂ©e : car,dâaprĂšs leur systĂšme, ainsi que nous lâavons dĂ©jĂ dit, autre estle Christ qui fut Ă©mis par le MonogĂšne pour le redressement du PlĂ©rĂŽme, autre le Sauveur, qui fut Ă©mis pour la glorification du PĂšre,et autre enfin le JĂ©sus de lâĂ©conomie, quâils disent avoir soufferttandis que remontait dans le PlĂ©rĂŽme le Sauveur portant le Christ »(AH III, 16, 1).
Câest toujours lâunitĂ© du Christ qui est confessĂ©e par la foi delâĂglise, dans la formule christologique du Concile de ChalcĂ©doine,est rĂ©pĂ©tĂ©e lâexpression « Câest un seul et le mĂȘme qui... », tandisque lâhĂ©rĂ©sie divise le Christ : autre est le Christ, autre est le Sauveur,autre est le JĂ©sus de lâĂ©conomie. Et de mĂȘme que la gnose nie lâincar-nation du Verbe, elle nie sa Passion et sa RĂ©surrection dans la chair :câest un autre, le JĂ©sus de lâĂ©conomie, qui a souffert. Mais alors,demande IrĂ©nĂ©e,
« sâil sâagissait dâun Christ qui ne devait pas souffrir, mais sâenvolerde JĂ©sus, de quel droit exhortait-il ses disciples Ă porter leur croix et
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Ă le suivre, alors que lui-mĂȘme, dâaprĂšs les hĂ©rĂ©tiques, nâallait pasporter cette croix, mais dĂ©serter âlâĂ©conomieâ de la Passion ? »(AH III, 18, 5).
Mais le Christ sâest fait vraiment homme, nouvel Adam nĂ© de laVierge, afin que « le pĂ©chĂ© fĂ»t tuĂ© par un homme et que lâhommesortĂźt ainsi de la mort ».
« Si, sans sâĂȘtre fait chair, il nâavait pris que lâapparence de lachair, son Ćuvre nâeĂ»t pas Ă©tĂ© vraie. Mais ce quâil paraissait ĂȘtre, illâĂ©tait rĂ©ellement, Ă savoir Dieu rĂ©capitulant en lui-mĂȘme cet antiqueouvrage modelĂ© quâĂ©tait lâhomme, afin de tuer le pĂ©chĂ©, de dĂ©truirela mort et de vivifier lâhomme : câest pourquoi ses Ćuvres Ă©taientvraies » (AH III, 18, 7).
LâunitĂ© du Christ, vere homo, vere Deus, fonde la rĂ©capitulationde Tout en lui, comme en tĂ©moigne la doctrine paulinienne : « rĂ©unirlâunivers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieuxet ce qui est dans la terre » (ĂphĂ©siens 1,10), et du Christ tĂȘte ducorps, qui est lâĂglise :
« Tout est crĂ©Ă© par lui et pour lui, et il est, lui, par devant tout ; toutest maintenu en lui, et il est, lui, la tĂȘte du corps qui est lâĂglise. Il estle commencement, premier-nĂ© dâentre les morts, afin de tenir en tout,lui, le premier rang. Car il a plu Ă Dieu de faire habiter, en lui, toutela plĂ©nitude et de tout rĂ©concilier par lui et pour lui, et sur la terre etdans les cieux » (Colossiens 1, 16-20).
Le « plĂ©rĂŽme », câest la « plĂ©nitude » qui habite dans le Christ,vrai Dieu et vrai homme.
2. Lâanthropologie
Comme IrĂ©nĂ©e a dĂ©fendu les mystĂšres de la caro Christi, de sonincarnation aux souffrances de sa Passion et Ă sa RĂ©surrection dans lachair, il va dĂ©fendre, pour lâhomme, le salus carnis (salut de la chair).
Le livre V de lâAdversus haereses comporte un petit traitĂ© de larĂ©surrection de la chair (AH V, 1,1 -14,4) divisĂ© en trois parties :1. la rĂ©surrection de la chair postulĂ©e par lâincarnation qui rĂ©duitĂ nĂ©ant tous les hĂ©rĂ©tiques, DocĂštes et Valentiniens, Ăbionites etMarcionites, et par lâeucharistie, 2. la rĂ©surrection de la chair Ćuvrede la puissance de Dieu. Dieu nâest pas un dieu impuissant, aucontraire, Dieu peut vivifier la chair et la chair peut ĂȘtre vivifiĂ©e parDieu : « La chair nâest donc pas exclue de lâart, de la sagesse et dela puissance de Dieu, mais la puissance de Dieu, qui procure la vie,se dĂ©ploie dans la faiblesse, câest-Ă -dire la chair » (AH V, 3,2). Car
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le prĂ©tendu PĂšre, imaginĂ© par les hĂ©rĂ©tiques, nâest quâun impuissant,incapable de ressusciter la chair, ou quâun envieux. De nombreuxexemples bibliques illustrent la puissance vivifiante de Dieu : lâascen-sion dâĂnoch ou dâĂlie, les trois enfants, Ananias, Azarias etMisaĂ«l, jetĂ©s dans la fournaise ardente sans quâil leur soit fait aucunmal, 3. enfin les textes pauliniens attestant la rĂ©surrection de lachair. DâaprĂšs la doxologie de 1 Thessaloniciens 5, 23, lâhommeparfait est constituĂ© dâun corps et dâune Ăąme, auxquels se jointlâEsprit.
« Sont donc parfaits ceux qui, tout Ă la fois, possĂšdent lâEsprit deDieu demeurant toujours avec eux et se maintiennent toujours quantĂ leurs Ăąmes et quant Ă leurs corps, câest-Ă -dire conservent la foienvers Dieu et gardent la justice envers le prochain » (AH V, 6,1).
Or lâEsprit est donnĂ© dĂšs ici-bas aux croyants comme arrhes de larĂ©surrection finale.
« Ceux qui donc possĂšdent les arrhes de lâEsprit et qui, loin desâasservir aux convoitises de la chair, se soumettent Ă lâEsprit etvivent en tout selon la raison, lâApĂŽtre les nomme Ă bon droit âspiri-tuelsâ, puisque lâEsprit de Dieu habite en eux. Car des esprits sanscorps ne seront jamais des hommes spirituels ; mais câest notre sub-stance â câest-Ă -dire le composĂ© dâĂąme et de chair â qui, en recevantlâEsprit de Dieu, constitue lâhomme spirituel » (AH V, 8,2).
IrĂ©nĂ©e sâattaque ici Ă la thĂ©orie gnostique des trois natures : la« substance » de lâhomme nâest pas psychique ou charnelle, mais lecomposĂ© de ces deux Ă©lĂ©ments qui, « en recevant lâEsprit de Dieuconstitue lâhomme spirituel ». Le pneumatique, bien loin dâĂȘtre unesubstance Ă part, est le don de lâEsprit de Dieu, ou, en termes postĂ©-rieurs, de la grĂące, qui sâunit au composĂ© des deux autres Ă©lĂ©ments.Il nây a pas dâhomme spirituel qui ne soit en mĂȘme temps charnel.
Ce don de lâEsprit est ce qui fait lâhomme semblable Ă Dieu. CrĂ©Ă©par Dieu « Ă son image et Ă sa ressemblance » (GenĂšse 1,26),lâhomme a perdu, par le pĂ©chĂ©, lâEsprit Saint et la ressemblance.Mais le Christ, Image de Dieu (Colossiens 1,15), a restaurĂ© lâimagede Dieu en lâhomme et lui a rendu sa ressemblance Ă Dieu, par ledon de lâEsprit. Les gnostiques, au contraire,
qui, « Ă cause de leur incrĂ©dulitĂ© ou de leurs dĂ©rĂšglements nâobtien-nent pas le divin Esprit, qui, par des caractĂšres divergents rejettentloin dâeux le Verbe vivifiant, qui vivent au grĂ© de leurs convoitisesdâune maniĂšre contraire Ă la raison, â ces gens-lĂ , câest Ă juste titreque lâApĂŽtre les a nommĂ©s charnels et psychiques » (AH V, 8,3).
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IrĂ©nĂ©e a renversĂ© le discours des gnostiques : eux qui se nommentpneumatiques ou spirituels ne sont, en vĂ©ritĂ©, que des charnels carils ont rejetĂ© lâEsprit de Dieu et sa puissance.
3. La résurrection de la chair
a) La chair possĂ©dĂ©e en hĂ©ritage par lâEsprit
Les hĂ©rĂ©tiques « allĂšguent le texte de 1 Corinthiens (15,50) dansleur folie » pour « prouver quâil nây a pas de salut pour lâouvragemodelĂ© par Dieu ».
« Ils ne comprennent pas que trois choses constituent lâhommeparfait : la chair, lâĂąme et lâEsprit. Lâune dâelles sauve et forme, Ă savoir lâEsprit, une autre est sauvĂ©e et formĂ©e, Ă savoir la chair, uneautre enfin se trouve entre celles-ci, Ă savoir lâĂąme, qui tantĂŽt suitlâEsprit... tantĂŽt se laisse persuader par la chair et tombe dans desconvoitises terrestres... Ceux-lĂ sont et se verront appeler Ă bon droitâsang et chairâ » (AH V, 9,1).
Les gnostiques nâont pas compris la diffĂ©rence entre la chair, quisera sauvĂ©e par lâEsprit, et ceux qui sont « sang et chair » ou encore« morts », car « ils nâont pas lâEsprit qui vivifie lâhomme ». Aucontraire sont nommĂ©s « purs » ou « spirituels », ceux qui vivent delâEsprit de Dieu. Car si « la chair est faible », « lâEsprit est prompt »(Matthieu 26-41) et Sa promptitude lâemporte sur la faiblesse de lachair :
« Car la faiblesse de la chair, ainsi absorbĂ©e, fait Ă©clater la puis-sance de lâEsprit ; lâEsprit, de son cĂŽtĂ©, en absorbant la faiblesse,reçoit en lui-mĂȘme la chair en hĂ©ritage. Et câest de ces deux chosesquâest fait lâhomme vivant : vivant grĂące Ă la participation de lâEsprit,homme par la substance de la chair » (AH V, 9,2).
Cette force de lâEsprit se manifeste chez les martyrs, qui sont lesvrais spirituels, et câest encore elle qui triomphera au moment de larĂ©surrection de la chair. Donc « sans lâEsprit de Dieu, la chair estmorte, privĂ©e de vie, incapable dâhĂ©riter du royaume de Dieu, lesang est Ă©tranger Ă la raison, pareil Ă une eau que lâon aurait rĂ©pan-due Ă terre » (9,3) et les gnostiques ont raison.
« Mais, lĂ oĂč est lâEsprit du PĂšre, lĂ est lâhomme vivant : le sang,animĂ© par la raison, est gardĂ© par Dieu en vue de la vengeance ; lachair, possĂ©dĂ©e en hĂ©ritage par lâEsprit, oublie ce quâelle est pouracquĂ©rir la qualitĂ© de lâEsprit et devenir conforme au Verbe de Dieu »(AH V, 9,3).
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Si « la chair est possĂ©dĂ©e en hĂ©ritage par lâEsprit » et si elleacquiert la « qualitĂ© de lâEsprit », alors les gnostiques ont tort de direque le verset de 1 Corinthiens 15,50 nie la rĂ©surrection de la chair.
VoilĂ un bel exemple de lâexĂ©gĂšse gnostique et de lâexĂ©gĂšseirĂ©nĂ©enne : dans la premiĂšre, la « chair » a un sens univoque opposĂ©Ă lâEsprit, dans la seconde, elle a un sens Ă©quivoque, relatif Ă la prĂ©-sence ou Ă lâabsence de lâEsprit. LâexĂ©gĂšse gnostique sâappuie sursa thĂ©orie des « natures », celle dâIrĂ©nĂ©e sur la regula veritatis quiconfesse la rĂ©surrection de la chair, mais aussi sur lâunitĂ© du texte delâĂcriture quâil ne faut pas interprĂ©ter en sĂ©parant une partie du tout,le « corps de vĂ©ritĂ© », mais en comprenant cette partie, ou cemembre, par rapport au tout.
« Ainsi en va-t-il des hĂ©rĂ©tiques Ă propos de la phrase : âLa chairet le sang ne peuvent hĂ©riter du royaume de Dieuâ. En prenant Ă Paulces deux vocables, ils nâont ni perçu la pensĂ©e de lâApĂŽtre ni cherchĂ©Ă comprendre la portĂ©e de ses paroles ; cramponnĂ©s Ă de simples motssans plus, ils meurent contre ceux-ci, ruinant, autant quâil est en leurpouvoir, toute lââĂ©conomieâ de Dieu » (AH V, 13,2).
III. Marcion et la lettre sans Esprit.
Irénée rattache la doctrine de Marcion à Simon le Mage, à traversCerdon :
« Un certain Cerdon, prit, lui aussi, comme point de dĂ©part la doc-trine des gens de lâentourage de Simon, et enseigna que le DieuannoncĂ© par la Loi et les prophĂštes nâest pas le PĂšre de Notre SeigneurJĂ©sus-Christ : car le premier a Ă©tĂ© connu et le second est inconnais-sable, lâun est juste et lâautre est bon.
Il eut pour successeur Marcion, originaire du Pont, qui développason école en blasphémant avec impudence le Dieu annoncé par laLoi et les prophÚtes... » (AH I, 27, 1-2).
Ce serait donc Cerdon qui serait Ă lâorigine de cette thĂšse fonda-mentale du gnosticisme, Ă savoir la distinction de deux dieux,YahvĂ©, le Dieu crĂ©ateur de lâAncien Testament, et le PĂšre de JĂ©sus-Christ, rĂ©vĂ©lĂ© par lui dans le Nouveau Testament ; lâun est connu,lâautre inconnaissable, lâun, juste, lâautre, bon.
Nous avons dĂ©jĂ vu, dans le systĂšme valentinien, la distinctionentre le PĂšre, premier des Ăons du PlĂ©rĂŽme, lâorigine abyssale dumonde spirituel :
« Il existait, disent-ils, dans les hauteurs invisibles et innom-mables, un Ăon parfait, antĂ©rieur Ă tout. Cet Ăon, ils lâappellent Pro-
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Principe, Pro-PÚre et Abßme. Incompréhensible et invisible, éternel etinengendré, il fut en profond repos et tranquillité durant une infinitéde siÚcles... » (AH I, 1,1).
et le DĂ©miurge, de nature psychique et non pneumatique, « PĂšre etDieu des ĂȘtres extĂ©rieurs au PlĂ©rĂŽme, puisquâil Ă©tait lâAuteur de tousles ĂȘtres psychiques et hyliques » (AH I,5,2).
1. Marcion 10. Ăcriture et tradition
Le PĂšre est le Principe du monde spirituel et le DĂ©miurge, celuidu monde psychique et hylique. Mais ce que Cerdon et Marcion, Ă sa suite, ajoutent, câest lâidentification du DĂ©miurge et du Dieu delâAncien Testament. La dualitĂ© des dieux, supĂ©rieur et infĂ©rieur,implique la dualitĂ© des mondes, lâun cosmique et lâautre, le PlĂ©rĂŽmeau-delĂ du cosmos, et la dualitĂ© des temps de lâAncien et du NouveauTestament. Division qui entraĂźne Marcion Ă supprimer du NouveauTestament tous les textes qui affirment que le PĂšre de JĂ©sus-Christest en mĂȘme temps le Dieu crĂ©ateur :
« Marcion mutile lâĂ©vangile selon Luc, Ă©liminant de celui-ci toutce qui est relatif Ă la naissance du Seigneur, retranchant aussi nombrede passages des enseignements du Seigneur, ceux prĂ©cisĂ©ment oĂčcelui-ci confesse de la façon la plus claire que le CrĂ©ateur de cemonde est son PĂšre. Par lĂ Marcion a fait croire Ă ses disciples quâilest plus vĂ©ridique que les apĂŽtres qui ont transmis lâĂvangile, alorsquâil met entre leurs mains non pas lâĂvangile, mais une simple par-celle de cet Ăvangile. Il mutile de mĂȘme les Ă©pĂźtres de lâapĂŽtre Paul,supprimant tous les textes oĂč lâApĂŽtre affirme de façon manifesteque le Dieu qui a fait le monde est le PĂšre de JĂ©sus-Christ, ainsi quetous les passages oĂč lâApĂŽtre fait mention de prophĂ©ties annonçantpar avance la venue du Seigneur » (AH I, 27,2).
La premiĂšre consĂ©quence du marcionisme est la mutilation desĂcritures, ce qui posera la question de la canonicitĂ© des Ăcritures ;et la premiĂšre tĂąche de lâĂglise, en ce deuxiĂšme siĂšcle, sera dâĂ©ta-blir le canon des Ăcritures en relation avec la tradition apostolique.Câest bien lâĂcriture et la Tradition qui sont au cĆur du dĂ©bat avecle marcionisme. Les hĂ©rĂ©tiques, dit IrĂ©nĂ©e, « ne sâaccordent plus ni
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10. Sur Marcion voir également TERTULLIEN, Contra Marcionem ; B. ALAND,« Marcion. Versuch einer neuen Interpretation », ZTK 70 (1973) 420-447 etH. VON CAMPENHAUSEN, « Marcion et les origines du canon néo-testamentaire »,RHPR 465 (1966) 213-226.
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avec lâĂcriture, ni avec la Tradition » (AH III, 2,2). InversementlâĂglise conserve lâĂcriture dans la Tradition. DâoĂč la dĂ©finition, citĂ©eplus haut, de la « vraie gnose », par IrĂ©nĂ©e de Lyon, (AH III, 33,8).
Si lâĂcriture est transmise par la tradition apostolique, elle doitĂȘtre Ă©galement interprĂ©tĂ©e dans cette tradition. LâĂcriture, dit IrĂ©nĂ©e,doit ĂȘtre lue « auprĂšs des presbytres » (AH IV, 26,2), les vrais spiri-tuels qui, dâaprĂšs lâapĂŽtre Paul « jugent de tout et ne sont jugĂ©s parpersonne » (1 Corinthiens 2,15).
2. Ancien et Nouveau Testament
AprĂšs avoir montrĂ©, au livre III de lâAdversus haereses, commentla tradition apostolique se fonde sur la succession apostolique, enparticulier celle de lâĂglise de Rome, IrĂ©nĂ©e donne des exemples delecture ecclĂ©siale des Ăcritures, au livre IV, Ă propos de lâAncienTestament, prophĂ©tie du Nouveau. Contre la gnose qui divise Dieuen deux dieux et sĂ©pare les Testaments, IrĂ©nĂ©e, va montrer lâunitĂ© deDieu, CrĂ©ateur et PĂšre de JĂ©sus-Christ, auteur des deux Testaments.De mĂȘme que Dieu a tout crĂ©Ă© par son Verbe et son Esprit, câest parson Verbe et son Esprit quâil se manifeste Ă sa crĂ©ature,
« vu autrefois, selon le mode de lâEsprit, selon le mode prophĂ©tique,puis vu par lâentremise du Fils, selon lâadoption, il sera vu encore,dans le royaume des cieux selon la paternitĂ© : lâEsprit prĂ©parantdâavance lâhomme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduisant au PĂšre,et le PĂšre lui donnant lâincorruptibilitĂ© et la vie Ă©ternelle, qui rĂ©sul-tent de la vie de Dieu pour ceux qui le voient » (AH IV, 20,5).
De mĂȘme quâil y a une dimension trinitaire de la crĂ©ation, il y aun dynamisme trinitaire de lâĂ©conomie du salut, lâEsprit conduisantlâhomme au Fils, Ă travers les prophĂ©ties de lâAncien Testament, leFils le conduisant au PĂšre par la grĂące de lâadoption filiale, et lePĂšre lui donnant lâincorruptibilitĂ© dans la vision de gloire qui rendlâhomme vivant. Câest cette vision trinitaire de lâensemble de lâĂ©co-nomie du salut qui fonde lâunitĂ© des Testaments.
Le Christ est au centre, Nouvel Adam, rĂ©capitulant en lui lâori-gine, Ă savoir le premier Adam, Bon Pasteur, portant sur ses Ă©paulesla brebis Ă©garĂ©e, lâhumanitĂ©, et la conduisant aux gras pĂąturages dela vie Ă©ternelle. Il est le Verbe, semĂ© dans le champ de lâAncien Testa-ment avant dâĂȘtre moissonnĂ© dans le Nouveau, car « autre est lesemeur et autre le moissonneur » (Jean 4,35), les patriarches et lesprophĂštes ont semĂ© la semence, mais câest lâĂglise qui a rĂ©coltĂ©la moisson :
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... « Autre est le » peuple âqui sĂšme et autre celui qui moissonneâ(Jean 4,37), mais unique est le Dieu qui fournit Ă chacun ce qui luiconvient, au semeur la semence, au moissonneur le pain pour la nour-riture, tout comme autre est celui qui plante et autre celui qui arrose,mais unique est le Dieu qui fait croĂźtre. Patriarches et prophĂštes ontsemĂ© la parole concernant le Christ, et lâĂglise a moissonnĂ©, câest-Ă -dire recueilli le fruit » (AH IV, 23,1 et 25,3).
Autres sont les Testaments comme autres le semeur et le mois-sonneur, mais unique est le Dieu qui dispense Ă chacun, dans cetteunique Ă©conomie du salut, ce qui lui convient. LâunicitĂ© de Dieu etlâunitĂ© de lâĂ©conomie du salut fondent lâunitĂ© des Ăcritures.
Le Christ est le « Verbe, semĂ© dans le champ des Ăcritures »(IV, 26,1), et il ouvre, par sa passion et sa croix, le sens des Ăcri-tures, comme il lâa expliquĂ© aux disciples dâEmmaĂŒs :
« Il fallait que le Christ souffrĂźt et entrĂąt dans sa gloire » (Luc 24,26-46, 47), « et quâen son nom la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s fĂ»t prĂȘchĂ©e ».
Les nova et vetera des Testaments sont un seul « trĂ©sor » dispensĂ©par lâunique MaĂźtre de maison qui est Ă la fois lâAuteur de lâĂ©cono-mie du salut et lâInterprĂšte des Ăcritures qui parlent de lui. Et cetunique trĂ©sor, câest le Verbe, qui sâest entretenu avec Abraham etMoĂŻse avant de se faire lui-mĂȘme connaĂźtre :
« Ces deux Testaments, un seul et mĂȘme MaĂźtre de maison les aextraits de son trĂ©sor, le Verbe de Dieu JĂ©sus-Christ : câest lui quisâest entretenu avec Abraham et avec MoĂŻse, et câest Ă©galement luiqui nous a rendu la libertĂ© dans la nouveautĂ© » (AH IV, 9,1).
Or lâexĂ©gĂšse des Ăcritures faite par le Christ Ă ses disciples a Ă©tĂ©transmise, par ces mĂȘmes disciples, Ă lâĂglise : lâexĂ©gĂšse christolo-gique se transmet dans lâexĂ©gĂšse ecclĂ©siale. Câest pourquoi IrĂ©nĂ©eajoute que lâĂcriture doit ĂȘtre lue « auprĂšs des presbytres » (AH IV,26,2). Ils sont comme lâhomme spirituel, dont parle Paul, « qui jugede tout et nâest jugĂ© par personne » (1 Corinthiens 2,15). Cet hommevĂ©ritablement spirituel ou pneumatique, qui ayant reçu lâEsprit peutjuger la lettre de lâĂcriture quâil lit dans lâEsprit, juge tous les hĂ©rĂ©-tiques qui ont lu la lettre de lâĂcriture sans lâEsprit et tout dâabordMarcion (AH IV, 33,2) :
« Il juge aussi la doctrine de Marcion. Comment peut-il y avoir deuxdieux sĂ©parĂ©s lâun de lâautre par une distance infinie ? Ou commentsera-t-il bon, celui qui, alors quâils relĂšvent dâun autre, dĂ©tourne leshommes de leur CrĂ©ateur et les convie dans son propre royaume ?Pourquoi sa bontĂ© fait-elle dĂ©faut en ne les sauvant pas tous ? Pour-quoi, tout en paraissant bon envers les hommes, est-il souverainement
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injuste envers leur CrĂ©ateur, quâil dĂ©pouille de son bien ? Comment,si le Seigneur Ă©tait issu dâun autre PĂšre, pouvait-il dĂ©clarer sans injus-tice que le pain appartenant Ă la crĂ©ation Ă©tait son corps et affirmerque le mĂ©lange de la coupe Ă©tait son sang ? Pourquoi se dĂ©clarait-ilFils de lâHomme, sâil nâavait pas subi la naissance humaine ? Commentpouvait-il nous remettre des pĂ©chĂ©s qui faisaient de nous des dĂ©bi-teurs de notre CrĂ©ateur et Dieu ? Et, sâil nâĂ©tait pas chair, mais nâavaitque lâapparence dâun homme, comment put-il ĂȘtre crucifiĂ©, commentdu sang et de lâeau purent-ils sortir de son cĂŽtĂ© transpercĂ© ? Quel Ă©taitle corps quâembaumĂšrent les embaumeurs, et quel Ă©tait celui qui res-suscita dâentre les morts ? » (AH IV, 33,2).
IrĂ©nĂ©e envisage ici les consĂ©quences absurdes de la doctrine deMarcion concernant le salut des hommes et lâeucharistie, sans rela-tion Ă la crĂ©ation, la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s, la rĂ©alitĂ© de la Passion etde la RĂ©surrection : comme il nây a pas de dualitĂ© substantielle entrele pain consacrĂ© et le corps du Christ, il nây a pas deux corps duChrist, lâun mort et lâautre ressuscitĂ©, mais un seul et mĂȘme Christqui est mort et ressuscitĂ©. « Ce » JĂ©sus que vous avez crucifiĂ©, ditPierre aux Juifs, dans le discours de la PentecĂŽte, câest lui qui estressuscitĂ©... (Actes 2, 23-24). La rĂ©alitĂ© de lâincarnation du Verbe etlâidentitĂ© de son corps transpercĂ© et ressuscitĂ©, comme celle de soncorps ressuscitĂ© et du pain eucharistique, fondent la vĂ©ritĂ© de notrerĂ©demption et nous donne les prĂ©misses de la rĂ©surrection.
Le spirituel juge ensuite Valentin, les Ăbionites, les DocĂštes, lesfaux prophĂštes et les « fauteurs de schismes... ». « Il juge enfin tousceux qui sont en dehors de la vĂ©ritĂ©, câest-Ă -dire ceux qui sont endehors de lâĂglise ». Le spirituel lui-mĂȘme nâest jugĂ© par personne.Il interprĂšte les prophĂ©ties des Ăcritures, tandis que les hĂ©rĂ©tiques,Marcionites ou Valentiniens les ont mĂ©connues.
« Nous dirons donc Ă lâadresse de tous les hĂ©rĂ©tiques, et dâaborddes disciples de Marcion et de ceux qui comme eux prĂ©tendent queles prophĂštes relevaient dâun autre Dieu : Lisez avec attention lâĂvan-gile qui nous a Ă©tĂ© donnĂ© par les apĂŽtres, lisez aussi avec attention lesprophĂ©ties, et vous constaterez que toute lâĆuvre, toute la doctrine ettoute la Passion de notre Seigneur y ont Ă©tĂ© prĂ©dites. â Mais alors,penserez-vous peut-ĂȘtre, quâest-ce que le Seigneur a apportĂ© de nou-veau par sa venue ? â Eh bien, sachez quâil a apportĂ© toute nouveautĂ©,en apportant sa propre personne annoncĂ©e par avance : car ce quiĂ©tait annoncĂ© par avance, câĂ©tait prĂ©cisĂ©ment que la nouveautĂ© vien-drait renouveler et vivifier lâhomme » (AH IV, 34,1).
La nouveautĂ© du Nouveau Testament nâest pas due au fait quâilparle dâun Dieu autre que celui de lâAncien, mais Ă la venue du Roi
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dans son royaume qui « a apportĂ© sa propre personne et fait don auxhommes des biens annoncĂ©s par avance (1 P 1,12) » (34,1). La Nou-veautĂ© du Nouveau Testament, câest la venue dans la chair du Verbe.
« Tout cela, conclut IrĂ©nĂ©e, vaut contre ceux qui prĂ©tendentquâautre est le Dieu des prophĂštes et autre le PĂšre de notre Seigneur,pourvu toutefois quâils renoncent Ă une telle dĂ©raison. Car, si nousnous Ă©vertuons Ă fournir des preuves tirĂ©es des Ăcritures 11, câest afinde les confondre par les textes eux-mĂȘmes, autant quâil est en notrepouvoir, et pour les dĂ©tourner de ce blasphĂšme Ă©norme et de cetteextravagante fabrication de deux Dieux » (AH IV, 34,5).
Le blasphĂšme diabolique de la crĂ©ature vis-Ă -vis de son CrĂ©ateurest au fond de lâ« extravagante fabrication de deux Dieux » et de lasĂ©paration des Testaments.
3. Lâattitude gnostique vis-Ă -vis de lâAncien Testament
Simone PĂ©trement 12, lâamie de Simone Weil, considĂšre la divi-sion de deux dieux comme une doctrine fondamentale du gnosti-cisme. Quant Ă la distinction des deux Testaments qui en est laconsĂ©quence, elle indique que la gnose se situe Ă lâintĂ©rieur duchristianisme dans son rapport au JudaĂŻsme. Elle fait valoir cet argu-ment pour montrer, contre ceux qui soutiennent lâorigine extra-chrĂ©tienne de la gnose, lâimportance du dĂ©bat exĂ©gĂ©tique qui lasous-tend.
Il y a une maniĂšre gnostique de considĂ©rer le rapport de lâAncienau Nouveau Testament en dĂ©valuant lâimportance de lâAncien Testa-ment, sous prĂ©texte quâil a Ă©tĂ© dĂ©passĂ© par le Nouveau, et en lisantle Nouveau sans se rĂ©fĂ©rer Ă lâAncien dont il est lâaccomplissement.Lâoubli de lâAncien Testament ou sa mise Ă lâĂ©cart peut se transfor-mer en opposition de lâAncien et du Nouveau Testament, parallĂšleĂ lâopposition entre le JudaĂŻsme et le Christianisme. Cette tendance oucette tentation marcionite dans la lecture des Ăcritures sâaccompagne
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11. AprĂšs la regula veritatis, la « preuve tirĂ©e de lâĂcriture » est la secondemĂ©thode de rĂ©futation de la gnose, insĂ©parable de la premiĂšre. Cf. Y. DE ANDIA,« LâhĂ©rĂ©sie et sa rĂ©futation selon IrĂ©nĂ©e de Lyon », Eresia ed Eresiologia nellachiesa antica, (Roma, Maggio 1984), Augustinianum, 25 (1985) 609-644.12. S. PĂTREMENT, Le Dieu sĂ©parĂ©. Les origines du gnosticisme, Paris, 1984.Voir aussi sa thĂšse : Le dualisme chez Platon, les gnostiques et les manichĂ©ens,Paris 1947.
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dâun mĂ©pris du JudaĂŻsme et, en ce sens, le marcionisme est unesource de lâantisĂ©mitisme. Adolph Harnack 13 a placĂ© la figure deMarcion au dĂ©but de ce siĂšcle qui a amplement dĂ©montrĂ© que lemarcionisme nâĂ©tait pas mort. Et, si lâon constate la reviviscencede la gnose dans lâĂ©mergence de sectes multiples, on pense moins Ă son influence souterraine dans lâattitude gnostique vis-Ă -vis duJudaĂŻsme. Cette attitude est intĂ©rieure au Christianisme et câest surnotre maniĂšre de lire « lâun et lâautre Testament » 14 que nous devonsnous interroger.
Conclusion.
Avec les trois figures de Simon, PtolĂ©mĂ©e et Marcion, nous avonsvu trois tentations de la gnose, contre lâEsprit, contre la chair etcontre lâAncien Testament.
La gnose est la perte de lâunitĂ© 15 : lâunitĂ© de Dieu, qui est Ă lafois CrĂ©ateur du ciel et de la terre et PĂšre de JĂ©sus-Christ, lâunitĂ© duChrist, vrai Dieu et vrai homme, Fils unique de Dieu, selon unegĂ©nĂ©ration ineffable, et Fils de la Vierge Marie, selon une naissanceĂ©clatante, Premier-nĂ© dâentre les morts et Premier-nĂ© de la Vierge,lâunitĂ© de lâEsprit qui procĂšde du PĂšre, le mĂȘme qui a inspirĂ© lesprophĂštes de lâAncien Testament et a reposĂ© sur le Christ lors de sonbaptĂȘme au Jourdain, et a Ă©tĂ© rĂ©pandu sur lâĂglise Ă la PentecĂŽte,lâunitĂ© des Testaments qui sont comme les nova et vetera que leMaĂźtre de maison dispense dans lâunique Ă©conomie du salut, lâunitĂ©de lâhomme, composĂ© dâune Ăąme et dâun corps auquel sâunit lâEsprit,prĂ©misses de la rĂ©surrection de la chair, lâunitĂ© de lâĂglise, ce grandcorps glorieux du Christ que la gnose a dĂ©chirĂ©.
Elle est un blasphĂšme contre le CrĂ©ateur, dont lâĆuvre est« bonne » et pas seulement « juste », contre le PĂšre, qui nâest pas unDieu impuissant, mais le Tout-Puissant qui a fait le ciel et la terreet ressuscitĂ© le Christ dâentre les morts, contre le Verbe fait chair etcontre lâEsprit de vĂ©ritĂ© qui est lĂ oĂč est lâĂglise, comme lâĂglise est
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13. A. VON HARNACK, Marcion : Das Evangelium von fremden Gott, TU 45,Leipzig, 1924.14. Cf. P. BEAUCHAMP, Lâun et lâautre Testament, t. I, Paris 1977, t. II, Paris1990. 15. Cf. Y. DE ANDIA, « IrĂ©nĂ©e, thĂ©ologien de lâunitĂ© », NRT 109 (1987) 31-48.
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lĂ oĂč est lâEsprit. La gnose, principe de dualitĂ©, est un blasphĂšmecontre la TrinitĂ©. Et ce blasphĂšme est la perte de lâunitĂ© ; car le prin-cipe de lâunitĂ©, câest la TrinitĂ© qui fonde lâunitĂ© de lâĂ©conomie dusalut et des Testaments.
« Car, au-dessus de toutes choses, il y a le PĂšre, et câest lui la tĂȘtedu Christ ; Ă travers toutes choses, il y a le Christ, et câest lui la tĂȘtede lâĂglise ; en nous tous, il y a lâEsprit, et câest lui lâEau viveoctroyĂ©e par le Seigneur Ă ceux qui croient en lui avec rectitude, quilâaiment et qui savent quâil nây a quââun seul Dieu PĂšre, qui est au-dessus de toutes choses, Ă travers toutes choses et en nous tousâ(ĂphĂ©siens 4,6) » (AH V,18,2).
La gnose dĂ©truit lâunitĂ© de la foi de lâĂglise, affirmĂ©e dans la regulaveritatis, car la foi, comme la tradition, est « une et identique » :
« ayant reçu cette prĂ©dication et cette foi, lâĂglise, bien que dispersĂ©edans le monde entier, les garde avec soin, comme nâhabitant quâuneseule maison, elle y croit dâune maniĂšre identique, comme nâayantquâune seule Ăąme et quâun mĂȘme cĆur, et elle les prĂȘche, les enseigneet les transmet dâune voix unanime comme ne possĂ©dant quâune seulebouche » (AH I, 10,2).
Ă cette unitĂ© catholique de la foi de lâĂglise sâoppose la multi-plicitĂ© instable des doctrines des maĂźtres gnostiques.
Enfin la gnose dĂ©truit lâunitĂ© de lâhomme divisĂ© en trois « sub-stances », pneumatique, psychique et hylique : non seulement lesalut de la chair est niĂ©, mais le rĂŽle de la raison est diminuĂ© si cenâest anĂ©anti. Dans cette conception pneumatique de la connais-sance, lâEsprit se substitue au logos et lâon passe de lâinconnaissancedu Dieu inconnu ou mĂȘme inconnaissable Ă la gnose secrĂšte, sansmĂ©diation rationnelle. Ce passage de lâagnosticisme au gnosticismese rĂ©pĂšte de nouveau Ă notre Ă©poque qui, lassĂ©e du scepticisme dâunrationalisme sans Esprit, se tourne vers un spiritualisme oĂč la raisonnâa plus sa place. Câest encore une destruction de lâhomme qui,selon Athanase dâAlexandrie, est raisonnable, logikos, car il est Ă lâimage et Ă la ressemblance du Verbe, le Logos. Lâhomme est Ă lafois spiritualisĂ©, dans le composĂ© de son Ăąme et de son corps, parlâEsprit et « verbifiĂ© » par le Verbe.
Si la gnose est le principe multiplicateur de toutes les hĂ©rĂ©sies, audĂ©but du Christianisme, câest quâelle est lâĂ©clatement de lâunitĂ© vĂ©ri-table et originelle de Dieu et de lâhomme. La « gnose orgueilleuse »est semblable au fruit de lâarbre de la connaissance du bien et dumal, celui qui le goĂ»te est expulsĂ© de lâĂglise qui est le vrai paradisde la vie :
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------------------------------------- La gnose au nom menteur : séduction et divisions
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« LâĂglise a Ă©tĂ© plantĂ©e comme un paradis dans le monde.âTu mangeras de tous les arbres du paradisâ (GenĂšse 2-16), ditlâEsprit de Dieu. Ce qui veut dire : Mange de toute Ăcriture du Seigneur, mais ne goĂ»te pas Ă lâorgueil et nâaie nul contact avec ladissension des hĂ©rĂ©tiques. Car eux-mĂȘmes avouent possĂ©derla connaissance du bien et du mal, et ils lancent leurs pensĂ©es au-dessus du Dieu qui les a crĂ©Ă©s. Ils Ă©lĂšvent ainsi leur pensĂ©e au-delĂ de la mesure permise. Câest pourquoi lâApĂŽtre dit : âNâayez pas despensĂ©es plus Ă©levĂ©es quâil ne convient, mais que vos pensĂ©es soientempreintes de modĂ©rationâ (Romains 12-3), de peur que, goĂ»tantĂ leur gnose orgueilleuse, nous ne soyons expulsĂ©s du paradis de lavie » (AH V, 20,2).
Ysabel de Andia, agrĂ©gĂ©e de philosophie. Directeur de recherche au CNRS enphilosophie antique, thĂšse de thĂ©ologie : IncorruptibilitĂ© et divinisation delâhomme chez IrĂ©nĂ©e de Lyon, Ătudes Augustiniennes, Paris 1976 ; thĂšse dephilosophie : Henosis. Lâunion Ă Dieu chez Denys lâArĂ©opagite, Brill, Leiden,1996. Publication rĂ©cente : Denys lâArĂ©opagite et sa postĂ©ritĂ© en Orient et enOccident, Actes du Colloque international, Paris 21-24 septembre 1994,Ătudes Augustiniennes, Paris, 1997.
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CELA fait dĂ©jĂ plus dâun siĂšcle que lâon Ă©tudie la littĂ©raturechrĂ©tienne des premiers siĂšcles aussi dâun point de vue juif,câest-Ă -dire quâon se demande ce que les PĂšres de lâĂglise
peuvent nous apprendre, dâune part, sur les Juifs de leur Ă©poque, etdâautre part, sur les traditions juives qui leur Ă©taient connues. Nom-breux sont les domaines dans lesquels cette recherche a dĂ©jĂ contri-buĂ© â et il se peut quâelle contribue encore dans le futur â Ă prĂ©cisernos connaissances sur les Juifs et le judaĂŻsme des premiers siĂšcles,depuis la musique hĂ©braĂŻque, la situation sociale ou lĂ©gale des Juifs,jusquâaux restrictions imposĂ©es Ă la lecture du Cantique des cantiqueset de certains autres passages bibliques dans lâĂ©ducation juive 1.Cependant, il semble quâil nây ait pas de domaine qui ait mĂ©ritĂ© uneattention aussi grande que les traditions aggadiques qui sont entre-mĂȘlĂ©es dans les Ă©crits des PĂšres de lâĂglise 2.
Cependant, câest bien naturel, la grande majoritĂ© des chercheursqui se sont consacrĂ©s Ă des recherches de ce genre Ă©taient et sontencore des Juifs, qui sâintĂ©ressent avant tout au judaĂŻsme, et pas prĂ©-cisĂ©ment au contexte et Ă la signification quâont ces renseignements
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Guy STROUMSA
La proximitĂ© cachĂ©eRabbins du Talmud et PĂšres de lâĂglise contre la gnose
1. Voir G. Scholem, « The age of Shiur Komah speculation and a passage inOrigen », Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Talmudic Tradition,New York, 1965 (2e Ă©d.), p. 36-42.2. Voir E. Lamirande, « Ătude bibliographique sur les PĂšres de lâĂglise etlâAggadah », Vigiliae Christianae, 21, 1967, 1-11.
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dans la production et dans le monde des PĂšres de lâĂglise, et ce,bien quâil soit Ă©vident que le rapport aux Juifs et au judaĂŻsme occupeune place centrale dans la thĂ©ologie de tout penseur chrĂ©tien 3.
Cela vaut pour tous les Ă©crits des PĂšres de lâĂglise (exĂ©gĂšse,essais thĂ©ologiques, apologies contre le paganisme, polĂ©miquesentre Ăglises), et pas seulement quant aux textes de polĂ©miquecontre les Juifs. Il est bien connu que ces derniers Ă©crits ne brillentpas par leur profondeur, leur loyautĂ© et leur originalitĂ©, et le plus intĂ©-ressant de tous reste, sans nul doute, le premier de ceux-ci Ă nousĂȘtre parvenu : le Dialogue avec Tryphon de Justin 4.
Parmi tous les PĂšres de lâĂglise, OrigĂšne est celui dont les rap-ports avec le judaĂŻsme et les Juifs sont les plus curieux. Avant tout,il sâagit du penseur le plus indĂ©pendant et hardi qui ait surgi danslâĂglise des premiers siĂšcles, un penseur dont la bizarrerie et lâĂ©ten-due des Ă©crits Ă©taient dĂ©jĂ proverbiaux Ă son Ă©poque. Comme hĂ©ri-tier spirituel de ClĂ©ment dans lâĂglise dâAlexandrie, OrigĂšne est« grec » Ă lâexcĂšs dans sa mĂ©thode de pensĂ©e et dans son universconceptuel. MĂȘme si, de temps en temps, il Ă©met des rĂ©serves, aunom du christianisme, Ă lâĂ©gard des Ă©coles du paganisme, son mondeest aussi celui des philosophes du Moyen-platonisme 5. OrigĂšne qui,toute sa vie, nâa jamais cessĂ© de sâintĂ©resser de façon centrale Ă lâĂcriture sainte, a dĂ©veloppĂ© une mĂ©thode dâexĂ©gĂšse essentielle-ment allĂ©gorique et qui, Ă premiĂšre vue, ne sâattache pas sĂ©rieuse-ment au sens littĂ©ral de lâĂcriture. Cette qualitĂ© est caractĂ©ristique,aprĂšs lui, de lâĂ©cole exĂ©gĂ©tique dâAlexandrie, Ă la diffĂ©rence delâĂ©cole dâAntioche, qui est plus « historique », et dont on connaĂźt les
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3. On a un exemple rĂ©cent, et navrant, de cette façon de voir dans le travail deJ. Braverman, JĂ©romeâs Commentary on Daniel : a study of comparativeJewish and Christian interpretations of the Hebrew Bible, Washington, 1978.MalgrĂ© le titre de lâouvrage, on ne sent pas que Braverman se soit le moins dumonde intĂ©ressĂ© Ă lâexĂ©gĂšse de JĂ©rĂŽme pour elle-mĂȘme, mais seulement auxtraditions juives quâil connaissait.4. On peut trouver un exemple saillant de cette argumentation dans les Ă©critsde Tertullien. Son traitĂ© Contre les Juifs nâest pas lâendroit oĂč lâon trouve lesremarques les plus intĂ©ressantes sur le judaĂŻsme et les Juifs : celles-ci sont dis-persĂ©es dans une grande partie de ses Ă©crits. Voir Ă ce sujet le livre de C. Aziza,Tertullien et le judaĂŻsme, Paris, 1977.5. Voir surtout A. Miura-Stange, Celsus und Origenes : das Gemeinsame ihrerWeltanschauung, Giessen, 1926 ; H. Koch, Pronoia und Paideusis. StudienĂŒber Origenes und sein VerhĂ€ltnis zum Platonismus, Berlin et Leipzig, 1932.
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liens avec lâexĂ©gĂšse syriaque, laquelle rĂ©vĂšle aussi, sur beaucoup depoints, des influences juives.
Cependant, ce mĂȘme OrigĂšne est aussi, de façon surprenante, trĂšsproche du judaĂŻsme et des Juifs. Bien quâil nâait pas parlĂ©, comme lâafait JĂ©rĂŽme, de lâhebraica veritas, il se donna la peine dâapprendrelâhĂ©breu 6, mĂȘme si, apparemment, ses connaissances dans cettelangue ne furent pas vraiment solides, afin de se mesurer au texte ori-ginal de la Bible, quâil traduisit, Ă cĂŽtĂ© dâune transcription en carac-tĂšres grecs et de divers targums, dans ses cĂ©lĂšbres Hexaples. DemĂȘme, il avait un grand intĂ©rĂȘt pour les interprĂ©tations juives de cer-tains versets ou passages. Le fait quâil vĂ©cut pendant de nombreusesannĂ©es Ă CĂ©sarĂ©e de Palestine, pendant la premiĂšre moitiĂ© duIIIe siĂšcle, lâamena Ă avoir des contacts personnels avec plusieursJuifs, y compris des rabbins. Bien quâil ne nous livre guĂšre de ren-seignements prĂ©cis sur ces contacts, et bien que les rabbins du Talmudaient Ă©tĂ© encore plus discrets que lui quant Ă leurs contacts avec desnon-Juifs, il est clair que ces liens ne pouvaient pas rester Ă sensunique, et que leur influence dans le dialogue a dĂ» laisser des tracesdans la littĂ©rature talmudique elle aussi 7. Plusieurs aspects des liensdâOrigĂšne avec le judaĂŻsme et les Juifs ont Ă©tĂ© eux aussi dans le passĂ©lâobjet de plusieurs recherches, mais pas dâun traitement systĂ©matiqueet unifiĂ©. Câest un traitement de ce genre quâessaie de fournir â avecsuccĂšs â Nicolas De Lange dans son livre OrigĂšne et les Juifs 8.
Dans le cadre de dix chapitres, lâauteur examine les sourcesdâOrigĂšne, les Juifs et le judaĂŻsme dans ses Ă©crits, lâĂcriture, le cher-cheur et ses exĂ©gĂšses, la polĂ©mique avec le philosophe paĂŻen Celse,lâĂglise et les Juifs, et la Aggadah. Ces recherches ne prĂ©tendent pasĂȘtre exhaustives, mais, malgrĂ© cela, il semble quâelles contiennent laplupart de lâinformation, et quâelles organisent les recherches dĂ©jĂ effectuĂ©es de façon englobante, utile et agrĂ©able Ă lire. Le jugementĂ©quilibrĂ© de lâauteur et son approche mĂ©thodique prudente et critiquelâempĂȘchent de commettre la mĂȘme erreur que les autres, Ă savoirdâidentifier comme juives des traditions qui ne le sont pas vraiment.
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6. Voir EusĂšbe, Histoire ecclĂ©siastique, VI, 16, 1.7. Voir par exemple lâarticle de E. Urbach, « Les explications des rabbins duTalmud, les commentaires dâOrigĂšne au Cantique des cantiques, et le dĂ©batjudĂ©o-chrĂ©tien », [hĂ©breu]. Tarbiz, 30, 1961, p. 148-170.8. N. R. M. De Lange, Origen and the Jews : Studies in Jewish Christian rela-tions in the third century Palestine, Cambridge, 1976
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Dâun autre cĂŽtĂ©, cette prudence lâempĂȘche parfois de sâattacher Ă une information extrĂȘmement intĂ©ressante que nous transmet OrigĂšne.De Lange, par exemple, a tendance Ă ne pas attacher dâimportanceparticuliĂšre Ă lâattaque dâOrigĂšne contre lâanthropomorphisme juif,du fait que cette critique se trouve dĂ©jĂ chez Justin 9. De Lange sup-pose quâil sâagit lĂ dâune attaque gĂ©nĂ©rale stĂ©rĂ©otypĂ©e, sur la façonlittĂ©rale quâont les Juifs de lire lâĂcriture sainte 10. Il me semble que,si lâauteur avait reconnu lâĂ©tendue et la force des conceptions anthro-pomorphiques chez les Juifs, il se serait attachĂ© Ă cette remarquedâOrigĂšne avec plus de sĂ©rieux 11. Mais on du mal Ă en vouloir Ă unauteur dâavoir Ă©tĂ© trop prudent. Et le cadre du dĂ©bat quâil sâest fixĂ©Ă lui-mĂȘme, « OrigĂšne et les Juifs », et non « OrigĂšne et le judaĂŻsme »,est ce qui lâa entraĂźnĂ© Ă cette prudence. Il essaie au fond dâĂ©tudierles liens dâOrigĂšne avec les rabbins de Palestine, câest-Ă -dire queson intĂ©rĂȘt se concentre sur la pĂ©riode pendant laquelle OrigĂšne avĂ©cu Ă CĂ©sarĂ©e. Cette approche est, bien entendu, tout Ă fait lĂ©gi-time, mais il me semble que, si lâauteur sâĂ©tait attachĂ© avec autantdâattention Ă la pĂ©riode dâAlexandrie, il aurait pu nous prĂ©senter danstoute son Ă©tendue le parallĂ©lisme entre lâenseignement dâOrigĂšne etles idĂ©es et traditions juives (ce sont dans une large mesure cellesqui se font jour dans les Ă©crits de Philon), et le tableau aurait Ă©tĂ© pluscomplet. Il est vrai que, en ce qui concerne Philon en particulier, leproblĂšme se pose de savoir par quels canaux ses paroles ont pu par-venir Ă OrigĂšne. Dans tous les cas oĂč il y a parallĂ©lisme, on peut sedemander si OrigĂšne a reçu ce quâil dit directement de Philon, ou parle truchement de ClĂ©ment et de la tradition chrĂ©tienne dâAlexandrie.Mais, mĂȘme si cette question est importante pour une comprĂ©hen-sion gĂ©nĂ©tique des influences qui se sont exercĂ©es sur la pensĂ©edâOrigĂšne, elle nâest pas significative du point de vue dâune comprĂ©-hension structurale des ressemblances et des diffĂ©rences entre lui etPhilon ou dâautres traditions juives.
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9. De Lange, op. cit., p. 44.10. Et ce, en dĂ©pit du fait que, ailleurs, il souligne avec raison quâOrigĂšnesavait trĂšs bien que les Juifs ne lisent pas lâĂcriture uniquement selon son senslittĂ©ral, et que ses attaques contre « la comprĂ©hension selon la chair » des Juifsne se rapporte quâĂ leur refus de voir dans les prophĂ©ties des annonces de lafigure et de lâapparition de JĂ©sus-Christ.11. Il me semble, par exemple, que De Lange ne connaĂźt pas le travail deG. Scholem mentionnĂ© plus haut, n. 1.
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Selon lâapproche quâa choisie De Lange, il semble quâil a visĂ© Ă organiser ce que nous savions dĂ©jĂ plutĂŽt quâĂ innover. On sâatten-dait, de plus, Ă ce que lâauteur prĂ©sente ses paroles comme une syn-thĂšse venant de lui, câest-Ă -dire comme une façon nouvelle de voirles choses qui donne une image dâensemble des relations dâOrigĂšneet des Juifs. Lâabsence dâune telle synthĂšse a pour consĂ©quence que,au bout du compte, il nây a pas dans le livre de thĂšse ou dâidĂ©e cen-trale, ce que lâon peut regretter. Il est souhaitable, et mĂȘme possible,dâaborder ces questions sous une autre forme, Ă savoir : de quellenature est cet hĂ©ritage historique quâOrigĂšne reçoit de façonconsciente et volontaire, et comment cet hĂ©ritage se combine-t-ilavec la pensĂ©e qui agit dans une large mesure au moyen de catĂ©go-ries de la pensĂ©e philosophique grecque ?
Pour rĂ©pondre Ă ces questions, il nous faut revenir au conceptdâexĂ©gĂšse. LâexĂ©gĂšse des Ăcritures saintes est un point controversĂ©entre judaĂŻsme et christianisme, mais elle est aussi leur commundĂ©nominateur. OrigĂšne dĂ©ploie et Ă©largit lâusage de lâallĂ©gorie danslâexĂ©gĂšse de lâĂcriture sainte 12. (Et, dans lâattaque cinglante quâillance contre lui, Porphyre lui reproche dâavoir volĂ© le procĂ©dĂ© direc-tement aux exĂ©gĂštes des textes homĂ©riques.) Sur ce point, OrigĂšnesoutient sans Ă©quivoque, au moins en thĂ©orie, le principe exĂ©gĂ©tiquejuif selon lequel aucun texte biblique ne sort de son sens littĂ©ral. Surce point, la polĂ©mique qui lâoppose Ă Celse est trĂšs instructive.Celse reconnaĂźt que les ChrĂ©tiens qui se servent de lâallĂ©gorie pourinterprĂ©ter lâĂcriture sainte sont plus raisonnables que ceux qui lalisent selon son sens littĂ©ral. Mais malgrĂ© cela, objecte le penseurpaĂŻen, ils ne peuvent pas convaincre, parce quâils appliquent desmoyens Ă©prouvĂ©s pour lâexĂ©gĂšse des mythes Ă un texte qui nâa riende mythique, mais qui est historique et juridique ; or, un texte de cegenre se prĂȘte naturellement Ă une comprĂ©hension littĂ©rale. OrigĂšnelui rĂ©pond que le fait que les Ăcritures saintes aient aussi un sensclair selon la lettre est ce qui permet aux gens simples de comprendrelâenseignement moral et religieux qui sây trouve ; et câest justementce fait, qui dĂ©montre leur vĂ©ritĂ©, qui permet quâon en donne uneinterprĂ©tation allĂ©gorique sublime, alors quâappliquer une exĂ©gĂšsede ce genre aux textes mythiques grecs ou barbares, qui, si on lescomprend littĂ©ralement, sont choquants du point de vue de la
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12. P. 112-113, De Lange dĂ©signe la parabole comme correspondant Ă lâallĂ©-gorie dans la langue du Talmud.
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morale, est une tromperie 13. Lâattitude ambivalente dâOrigĂšne Ă lâĂ©gard du judaĂŻsme est parallĂšle, en fait, Ă son attitude envers laphilosophie grecque : lâune comme lâautre, et de façons diffĂ©rentes,expriment la vĂ©ritĂ© de maniĂšre partielle, et le thĂ©ologien chrĂ©tien,dans sa tentative pour comprendre et reprĂ©senter la vĂ©ritĂ© totale,peut sans hĂ©sitation sâappuyer sur dâautres pensĂ©es, que ceux qui lesexpriment soient des philosophes ou quâils soient des Juifs.
Les grands problĂšmes philosophiques prĂ©occupent OrigĂšne dupoint de vue de leurs aspects religieux. Ils ont occupĂ© aussi les pen-seurs du judaĂŻsme, pas moins que les PĂšres de lâĂglise, mĂȘme sâilsles ont exprimĂ©s sous des formes trĂšs diffĂ©rentes. Dans le cadre desa grande discussion sur la libertĂ© de la volontĂ© 14, OrigĂšne consacreun examen particulier et dĂ©taillĂ© au passage sur lâendurcissement ducĆur du pharaon (Exode 9, 12.35 ; 10, 20.27). Dans cet examen,OrigĂšne polĂ©mique contre les exĂ©gĂšses de diffĂ©rents gnostiques, quise servent des versets en question pour accuser le CrĂ©ateur dumonde dâĂȘtre mĂ©chant (Marcionites), ou pour soutenir quâil nây apas de volontĂ© libre, mais une dĂ©termination Ă©ternelle conforme Ă la nature de chacun (Valentiniens). Un contemporain dâOrigĂšne,Rabbi Yohanan, sâattache Ă ce genre dâobjections : « Rabbi Yohanan<bar Nappaha> a dit : « Pourquoi a-t-on donnĂ© un bon prĂ©texte (litt.:ouvert la bouche) aux hĂ©rĂ©tiques (minim) en disant : âil ne dĂ©pendaitpas du pharaon de se repentirâ? » [...] Rabbi SimĂ©on Ben Laqish luidit : « Que lâon ferme la bouche aux hĂ©rĂ©tiques. [...] Si le pharaon neretourne pas vers Dieu, câest Dieu qui ferme le cĆur du pharaonau repentir, afin de le punir de son pĂ©chĂ© 15 ». De Lange estconscient de ce parallĂ©lisme, mais il ne lui attribue pas dâimportanceparticuliĂšre 16.
Mais en fait, nous avons lĂ un tĂ©moignage trĂšs prĂ©cieux de ce quele mĂȘme problĂšme, liĂ© Ă ces versets, occupait aussi bien les gnostiquesqui combattaient de lâintĂ©rieur de la foi chrĂ©tienne, et les hĂ©rĂ©tiquesque connaissaient les Rabbins du Talmud 17. Cette connaissance est
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13. OrigĂšne, Contre Celse, I, 17-18 (SC n° 132, p. 120-123).14. OrigĂšne, Des principes (PeriarchĂŽn), III, 1 (§ 7s. ; Ă©d. Görgemans-Karpp,p. 480s.).15. Grand Midrash sur lâExode, 13, 3. Je remercie le Dr. A. Sinan qui sâestdonnĂ© la peine dâexaminer le manuscrit pour moi.16. De Lange, op. cit., p. 45 et n. 38.17. Voir par exemple le tĂ©moignage central de Tertullien, pour lequel on peuttrouver aussi chez les Juifs des Marcionites : « Parmi les hĂ©breux, tu trouveras
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extrĂȘmement importante pour comprendre que ce nâest pas seule-ment contre les paĂŻens, mais aussi contre les tentations de contesterla foi monothĂ©iste venues de lâintĂ©rieur, quâOrigĂšne et les Rabbinsdu Talmud se trouvaient du mĂȘme cĂŽtĂ© de la barricade, et que, faceĂ ces contestations, leurs rĂ©pliques Ă©taient tout Ă fait semblables.Il me semble quâil y a lieu de souligner ces choses dans un livre surOrigĂšne et les Juifs.
De ce point de vue, je vais fournir un autre exemple qui pourraitconcrĂ©tiser ce que je dis, et qui nâest pas mentionnĂ© chez De Lange.Quand OrigĂšne se met Ă expliquer le verset « YHWH mâa sĂ©duit etje me suis laissĂ© sĂ©duire » (JĂ©rĂ©mie 5, 7) dans son recueil dâhomĂ©-lies sur le livre de JĂ©rĂ©mie, il utilise sans aucune rĂ©ticence une tra-dition hĂ©braĂŻque (hebraikĂš paradosis) qui, Ă ce quâil dit, lui a Ă©tĂ©transmise par un juif renĂ©gat arrivĂ© Ă Alexandrie (et qui, semble-t-il, venait de Palestine) 18. Cette tradition, Ă savoir ce midrash (onpeut la comprendre comme un mythe, ou comme une introductionau verset, explique OrigĂšne) entend effectivement enseigner queDieu nâest pas un tyran (ou turannei), mais quâil rĂšgne sanscontraindre les hommes : il essaie de les convaincre et veut que sessujets acceptent spontanĂ©ment sa domination, afin que le bien delâhomme ne se rĂ©alise pas par nĂ©cessitĂ© (kata anankĂšn), mais selonsa volontĂ© libre (kata to hekousion autou). Selon cette tradition,poursuit OrigĂšne, Dieu envoie le prophĂšte avec « une coupe de vinbouillant » (JĂ©rĂ©mie 25, 15) pour en faire boire toutes les nations, etpas seulement le peuple dâIsraĂ«l. De la sorte, il lâinduit en erreurafin de lui rendre plus lĂ©gĂšre la peine quâimplique sa mission. La
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des chrĂ©tiens, et mĂȘme des marcionites » (Contre Marcion III, 12 [PL 2,337a]).18. HomĂ©lies sur JĂ©rĂ©mie, XX, 2. Le dernier Ă©diteur de ce texte, le professeurPaul Nautin, pense, sans justification suffisante, quâil sâagit du fils dâun rabbinpalestinien. Voir P. Nautin, HomĂ©lies sur JĂ©rĂ©mie, Ă©d. Sources chrĂ©tiennes,n° 238, Paris, 1977, p. 256, n. 1. OrigĂšne mentionne dans plusieurs de sesĂ©crits lâ« hĂ©breu » (ho hebraios), il ne fait aucun doute quâil sâagit lĂ dâun juifchrĂ©tien. Dans le Des Principes, IV, 3, 14 (Ă©d. Görgemanns-Karpp, p. 776s.),le hebraeus doctor identifie les deux sĂ©raphins (IsaĂŻe 6, 2-3) avec JĂ©sus-Christet lâEsprit Saint. Je ne vois pas clairement pourquoi De Lange doute de lâau-thenticitĂ© dâune tradition aussi claire (p. 25, n. 38 et p. 171). On peut trouverla mĂȘme exĂ©gĂšse chez JĂ©rĂŽme, Sur JĂ©rĂ©mie. Voir G. Bardy, « Les traditionsjuives dans lâĆuvre dâOrigĂšne », Revue Biblique, 34, 1925, p. 239-240.
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tradition interprĂšte de la mĂȘme façon IsaĂŻe 6, 8-10 : Dieu induit leprophĂšte en erreur en ce quâil ne lui explique pas dâemblĂ©e la signi-fication de sa mission et lâamertume quâelle comporte.
Je ne suis pas parvenu Ă trouver dans la littĂ©rature rabbinique uncorrespondant exact du midrash citĂ© par OrigĂšne 19. Mais il nây apas lĂ de quoi diminuer notre confiance Ă un midrash des Rabbinsdu Talmud, qui sâest perdu, et dont OrigĂšne nous restitue le contenu.Mais lâimportance rĂ©elle des paroles dâOrigĂšne tient Ă ce quâil sou-ligne la signification thĂ©ologique du midrash en termes philoso-phiques. Pour le transmetteur du midrash comme pour OrigĂšne, ilest clair que les rabbins du Talmud se sont attaquĂ©s, dans leur exĂ©-gĂšse, au problĂšme thĂ©ologique de la contradiction apparente quiexiste entre la providence du Dieu tout-puissant et la libre volontĂ©de lâhomme. Il est donc possible de traduire le midrash dans lalangue des concepts philosophiques grecs, de façon naturelle et sansaucune difficultĂ©. Cet exemple montre effectivement Ă quel point,par-delĂ les diffĂ©rences Ă©videntes entre les formes littĂ©raires et lesmĂ©thodes et instruments de pensĂ©e, les thĂ©ologiens chrĂ©tiens etles rabbins du Talmud sâoccupent des mĂȘmes questions, et sousdes formes semblables, voire parfois identiques 20.
Pour le dire en un mot : Ă la fin de lâAntiquitĂ©, le judaĂŻsme et lechristianisme sont affrontĂ©s Ă des grands problĂšmes thĂ©ologiquesqui sont, dans une large mesure, les mĂȘmes. Le degrĂ© de cette proxi-mitĂ© est parfois cachĂ© au regard, Ă cause de lâĂąpretĂ© du dĂ©bat entreles deux religions. Mais, dans lâaffrontement avec le paganisme, lesgrands penseurs chrĂ©tiens laissent voir trĂšs vite ce quâils ont encommun avec le judaĂŻsme. Chez OrigĂšne, cela se manifeste avanttout, bien entendu, dans son livre Contre Celse. Dans ce livre, ilprend plusieurs fois la dĂ©fense du judaĂŻsme attaquĂ©, et il souligneque lâunique erreur des Juifs est leur refus dâĂ©couter les prophĂštes
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19. Il est douteux quâil faille attribuer la mĂȘme signification quâĂ la dĂ©clarationdâOrigĂšne Ă la formule attribuĂ©e Ă Rabbi Yehoshua ben Levi : « Le Saint nâusepas de tyrannie (terÂșnyĂŠ = tyrannis) envers ses crĂ©atures » (Talmud de Babylone,Avodah Zarah, 2a).20. Sur les liens entre les rabbins du Talmud et la philosophie, voir les parolesde Z. Harvey, Ă paraĂźtre dans les actes du congrĂšs, Philosophy and Religion inLate Antiquity, organisĂ© par lâAcadĂ©mie des Sciences, JĂ©rusalem, 16-18 mars1981.
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au sujet de JĂ©sus 21. OrigĂšne rejette dâemblĂ©e lâaccusation de Celsecontre la magie juive, de mĂȘme que le juif Tryphon rejette les calom-nies paĂŻennes contre les chrĂ©tiens 22. Comme Justin, OrigĂšne saitencore tout ce quâil y a de commun entre le judaĂŻsme et le christia-nisme. Ce nâest quâau IVe siĂšcle que cette conscience claire commençaĂ sâobscurcir ; il devint alors possible de soutenir que le christianismeest intermĂ©diaire entre le judaĂŻsme et le paganisme 23.
Afin de comprendre plus prĂ©cisĂ©ment oĂč passe la frontiĂšre entreles deux religions, et quelle est la nature de la ressemblance entreleurs visions du monde, on pourrait peut-ĂȘtre mener des recherchescomparĂ©es par thĂšmes, par exemple lâanthropologie (lâhomme crĂ©Ă©Ă lâimage de Dieu), le rĂŽle de lâhomme dans le monde, la RĂ©demp-tion comme but de lâhistoire, la morale (ascĂ©tisme, morale conjugale,jeĂ»nes, etc.), ou sur la priĂšre et le culte (OrigĂšne a Ă©crit un De lapriĂšre aprĂšs la persĂ©cution de Septime SĂ©vĂšre en lâan 201, sur laconversion vers le judaĂŻsme ou le christianisme). En dâautres termes,
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------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ La proximité cachée
21. Voir par exemple I, (26 p. 144-147).22. Tertullien lui aussi dĂ©fend le judaĂŻsme contre le milieu paĂŻen. Voir Apolo-gĂ©tique, XXI, 15-16 (dans le livre dâAziza citĂ© plus haut, n. 4, p. 77). Il me fautsignaler ici que mon collĂšgue le Dr. David RokĂ©ah Ă©value dâune façon diffĂ©-rente les Ă©loges du judaĂŻsme contenus dans les Ă©crits apologĂ©tiques des PĂšresde lâĂglise. Voir par exemple « Les PĂšres de lâĂglise et les Juifs dans les trai-tĂ©s adextra et adintra », dans S. Almog (dir.), La haine dâIsraĂ«l Ă travers lesĂąges [hĂ©breu], JĂ©rusalem, 1980, p. 55-87. Selon lui, ces paroles Ă©logieuses nesont prononcĂ©es que pour les besoins de lâopposition chrĂ©tienne au paganisme,et ne reflĂštent pas le rapport authentique des PĂšres de lâĂglise au judaĂŻsme,lequel se manifeste dans leurs autres traitĂ©s, toute la littĂ©rature Adversusjudaeos. Il est clair que dans la polĂ©mique contre le judaĂŻsme et contre les ten-tations internes, en vue dâune dĂ©finition de soi, les penseurs chrĂ©tiens ont ten-dance Ă souligner les diffĂ©rences, et pas prĂ©cisĂ©ment les Ă©lĂ©ments communs,entre christianisme et judaĂŻsme. Il me semble pourtant que lâargument le plusfort en faveur dâune apprĂ©ciation thĂ©ologique sĂ©rieuse des dĂ©clarations posi-tives des PĂšres de lâĂglise sur le judaĂŻsme est la guerre totale que mĂšnent lesPĂšres de lâĂglise, entre le IIe et le IVe siĂšcle, contre toutes les variĂ©tĂ©s du dua-lisme gnostique, y compris le marcionisme et le manichĂ©isme, qui visent Ă rompre le lien entre judaĂŻsme et christianisme.23. Comme lâexprime, par exemple, GrĂ©goire de Nysse dans son DiscourscatĂ©chĂ©tique, III (2-3 ; Ă©d. MĂ©ridier, p. 18-21). Voir une expression trĂšs tardivede cette idĂ©e, citĂ©e dans P. Crone, « Islam, Judaeo-Christianity and ByzantineIconoclasm », Jerusalem Studies in Arabie and Islam, 2, 1980, p. 63, n. 14.
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bien que les concepts Ă©pistĂ©mologiques des PĂšres de lâĂglise aientĂ©tĂ© influencĂ©s de façon dĂ©cisive par lâunivers intellectuel de la philo-sophie grecque, leur intĂ©rĂȘt sotĂ©riologique (qui est central en ce quiles concerne) reste tout Ă fait juif.
En outre, une mĂ©thode thĂ©matique de ce genre doit ĂȘtre plusfĂ©conde quâun aperçu direct de plus sur les points qui opposent lesdeux religions. De par la nature des choses, lâintĂ©rĂȘt du christianismepour le judaĂŻsme Ă©tait plus grand que dans lâautre sens. Mais le faitque la littĂ©rature rabbinique est pauvre Ă ce point en mentions et enjugements sur toutes les diffĂ©rentes sortes dâhĂ©rĂ©sie, et en particuliersur le christianisme, a peut-ĂȘtre amenĂ© une aggravation de la rupturequi se dessinait entre judaĂŻsme et christianisme ; il nây a pourtant pasde raison de supposer que cette aggravation reflĂšte la rĂ©alitĂ© dansses justes proportions. En tout cas, une recherche par thĂšmes estsusceptible de montrer que, au IIIe siĂšcle, les « deux types de foi »,pour me servir de la formule de Martin Buber 24, sont encoreproches lâun de lâautre.
(Traduit de lâhĂ©breu par RĂ©mi Brague.)
Guy Stroumsa, nĂ© en 1948, mariĂ©, deux enfants. Ătudes en France, puis Ă JĂ©rusalem, enfin PhD Ă Harvard. Titulaire de la chaire Martin Buber de Reli-gion comparĂ©e Ă lâUniversitĂ© HĂ©braĂŻque de JĂ©rusalem. Publications : AnotherSeed, Studies in Gnosticism Mythology, Brill, Leyde, 1984 ; Savoir et salut,Paris, Ăd. du Cerf, 1992 ; Hidden Wisdom. Esoterie Traditions and the Rootsof Christian Mysticism Leyde, Brill, 1996. Le prĂ©sent article a Ă©tĂ© publiĂ© dansMehqarey Yerushalayim be-Makhsheveth Israel, 2, 1982, 170-175.
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VRAIE ET FAUSSE GNOSE --------------------------------------------------- Guy Stroumsa
24. Allusion au livre de Martin Buber (1878-1965), Zwei Glaubensweisen(1950) (N.d.T.).
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DANS Christi Fideles LaĂŻci, Jean-Paul II affirme que nousvivons, Ă lâaube du troisiĂšme millĂ©naire, « une heure magni-fique et dramatique de lâhistoire » au cours de laquelle le
monde exprime « de maniĂšre toujours plus vive et plus ample sonaspiration Ă une vision spirituelle et transcendante de la vie, auretour de la quĂȘte du religieux, au sens du sacrĂ© et Ă la priĂšre ». Enoutre il affirme que « de nos jours lâhomme ignore trĂšs frĂ©quem-ment ce quâil porte en lui-mĂȘme, au plus profond de son esprit et deson cĆur ». Câest prĂ©cisĂ©ment ce mystĂšre, dont on cherche le sens,qui est au cĆur du dĂ©bat actuel entre dâune part les systĂšmes religieuxclassiques judĂ©o-chrĂ©tiens et dâautre part les systĂšmes modernes defacture Ă©sotĂ©rique et gnostique qui ressuscitent dâantiques croyancesantĂ©rieures ou postĂ©rieures au Christ.
Afin de comprendre lâattrait quâexerce actuellement la gnosenous prĂ©senterons les gnoses rĂ©centes, qui mĂ©tamorphosent cellesdes premiers siĂšcles du christianisme â que ce soit sous la forme dela nouvelle somme thĂ©ologique du New-Age intitulĂ©e A Course InMiracles (Un enseignement des miracles) ou sous la forme durĂ©cent Code of the Bible (Code de la Bible) â puis nous tenterons decomprendre les raisons qui expliquent lâengouement actuel dont lagnose fait lâobjet.
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Joaquim CARREIRA DAS NEVES
La séduction actuellede la gnose
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I. Une interprétation sans limites.
Lâessayiste et sĂ©mioticien italien Umberto Eco, auteur du Pen-dule de Foucault, a prononcĂ© en 1988 Ă la fondation Gulbenkian, Ă Lisbonne, une confĂ©rence intitulĂ©e Lâirrationnel, le mystĂšre, lesecret. Il a citĂ© dâabord la cĂ©lĂšbre phrase de Chesterton : « Quand leshommes cessent de croire en Dieu, cela ne signifie pas quâils necroient plus en rien ; ils croient en tout ». Glosant cette maxime, ilajoutait : « Quand les jeunes gens ne croient ni en la rĂ©volution, nien la raison hĂ©gĂ©lienne et marxiste, cela ne signifie pas quâils croienten la raison capitaliste et dans la logique formelle : ils croient enle mystĂšre ». Par consĂ©quent, « il est frĂ©quent de rencontrer desquadragĂ©naires, qui en 1968 croyaient changer la sociĂ©tĂ©, et quiaujourdâhui militent dans des groupes nĂ©o-bouddhistes, des sectescharismatiques, des cĂ©nacles nĂ©o-traditionalistes ». Dans les librai-ries italiennes, celles-lĂ mĂȘmes qui Ă©taient connues il y a peucomme « de gauche », dans les prĂ©sentoirs oĂč lâon trouvait naguĂšreles textes de LĂ©nine et de Mao, « apparaissent maintenant les textesdes maisons dâĂ©dition spĂ©cialisĂ©es dans lâhermĂ©tisme, la cabale, lestarots, le spiritisme » 1.
Pour pouvoir discerner la vĂ©ritĂ© des manifestations religieusesdu supermarchĂ© religieux actuel, nous aurions besoin, comme ditUmberto Eco, dâune « rĂ©vĂ©lation au-delĂ des discours humains, quinous arrive Ă travers une annonce de la divinitĂ© mĂȘme, par lesmodes de la vision, du songe et de lâoracle. Mais une rĂ©vĂ©lationinĂ©dite, jamais entendue auparavant, devrait parler dâun Dieu encoreinconnu et dâune rĂ©vĂ©lation encore secrĂšte. Une sagesse secrĂšte estune sagesse profonde. [...] Ainsi la vĂ©ritĂ© sâidentifie avec ce quinâest pas dit, ou qui est dit de maniĂšre obscure, et qui doit ĂȘtrecompris au-delĂ de lâapparence de la lettre. Les dieux parlent (nousdirions aujourdâhui : lâĂȘtre parle) Ă travers des messages hiĂ©rogly-phiques et Ă©nigmatiques ». Et câest « en vĂ©ritĂ© quelque chose Ă cĂŽtĂ©de quoi nous habitons depuis les commencements du temps, maisque nous manquons. Si nous le manquons, quelquâun doit lâavoirconservĂ© pour nous, et nous ne sommes pas capables de comprendreses paroles. Cette sagesse doit ĂȘtre exotique ». Et il conclut : « Si,pour le rationalisme grec, Ă©tait vrai ce qui pouvait ĂȘtre expliquĂ©,
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1. La confĂ©rence dâU. Eco nous a Ă©tĂ© aimablement fournie par la prĂ©sidence dela RĂ©publique portugaise.
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maintenant est vrai ce qui ne peut pas ĂȘtre expliquĂ© ». [...] « Chaqueobjet, mondain ou cĂ©leste, cache un secret initiatique. Mais commelâaffirmait au XIXe siĂšcle SĂąr Peladan, un secret initiatique rĂ©vĂ©lĂ© nesert Ă rien. Ă chaque fois que nous croyons avoir dĂ©couvert unsecret, nous cherchons Ă voir un autre secret, dans un mouvementprogressif vers un secret final ». Mais il ne peut y avoir un secretfinal. Le secret final de lâinitiation hermĂ©tique est que tout estsecret. « Le secret hermĂ©tique doit ĂȘtre un secret vide, parce quecelui qui prĂ©tend rĂ©vĂ©ler un secret quelconque nâest pas un initiĂ©,puisquâil sâest fixĂ© Ă un niveau superficiel de conscience du mystĂšrecosmique ».
Ainsi sâexplique lâĆuvre dâUmberto Eco, Le Pendule de Foucault.Les derniers mots du Pendule se rĂ©fĂšrent Ă Malkhut, câest-Ă -dire auRoyaume de Dieu de la maniĂšre suivante : « Que jâaie Ă©crit ou non,ça ne fait pas de diffĂ©rence. Ils chercheraient toujours un autre sens,mĂȘme dans mon silence. Ils sont faits comme ça. Ils sont aveuglesĂ la rĂ©vĂ©lation. Malkhut est Malkhut et câest tout. Mais allez le leurdire. Ils nâont pas de foi. 2 »
Dans ces derniers mots se trouve la clĂ© de la pensĂ©e dâUmbertoEco. Au long de toutes ces pages, il nous a prĂ©sentĂ© un amas dedonnĂ©es sur la pensĂ©e hermĂ©tique, se servant des personnagescomme prĂȘte-noms. Fait-il siennes les idĂ©es de ses personnages ?Veut-il rĂ©duire Ă nĂ©ant lâĂ©pistĂ©mologie de cette pensĂ©e hermĂ©tique etĂ©sotĂ©rique, si envahissante Ă la fin du XXe siĂšcle ? Quant il affirme Ă la fin de son Ćuvre que toute la pensĂ©e Ă©sotĂ©rique est « aveugle Ă larĂ©vĂ©lation » parce que « Malkhut est Malkhut et câest tout », queveut-il indiquer ? Je pense que Eco se rĂ©fĂšre Ă Malkhut, câest-Ă -direau Royaume de Dieu annoncĂ© et rĂ©vĂ©lĂ© par JĂ©sus de Nazareth, quiachĂšve toute rĂ©vĂ©lation. Umberto Eco prend Malkhut dans sa puretĂ©de signe ouvert, polysĂ©mique, irrĂ©ductible. Ă ses yeux, la pensĂ©egnostique la met dans des cadres initiatiques et lâĂglise dans descadres dogmatiques qui sont tous deux rĂ©ducteurs. LâĂ©sotĂ©rismecomme la systĂ©matisation idĂ©ologique des Ăglises lui paraissentcontraires Ă la rĂ©vĂ©lation, et câest pourquoi il affirme clairement :« Ils sont aveugles Ă la rĂ©vĂ©lation ».
Cette fin du Pendule laisse le lecteur perplexe. JusquâĂ la derniĂšrepage, lâauteur apparaĂźt comme lâexpression de lâĂ©sotĂ©risme actuel,mais avec la reconnaissance de lâĂ©norme erreur dâinterprĂ©tation sur
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2. Trad. fr. Paris, 1990, p. 651.
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laquelle lâintrigue repose, comme avec cette conclusion, il montrequâil nâest pas dupe. On peut alors relire le Pendule comme une cri-tique radicale de lâinterprĂ©tation Ă©sotĂ©rique du monde. DepuisValentin et Marcion, par-delĂ les diffĂ©rentes maniĂšres de voir larĂ©demption des Ăąmes prisonniĂšres des tĂ©nĂšbres quâadoptent les cou-rants gnostiques, il y a toujours un dĂ©nominateur commun : enaucun cas la foi ne sauve ni ne rachĂšte. Ce rĂŽle est exclusivementdĂ©volu Ă la gnose, câest-Ă -dire Ă la connaissance. Quant au proces-sus initiatique et gnostique il sâagit dâun secret connu seulementdâun petit groupe dâĂ©lus qui ne sont justifiĂ©s que par la grĂące de leurgnose. Câest cet univers quâUmberto Eco dĂ©peint.
II. Les formes contemporaines de la gnose.
Comme lâa remarquĂ© Umberto Eco, les rayons des librairies ita-liennes, qui, il y a vingt ou trente ans, Ă©taient pleins de livres surles thĂ©ologies juive, catholique, protestante et sur lâhistoire desgrandes religions, sont aujourdâhui pleins de littĂ©rature sur lâĂ©sotĂ©-risme, lâastrologie, la voyance, les gourous, les mĂ©diums, le para-normal et la gnose. Le plus cĂ©lĂšbre, surtout aux Ătats-Unis, est uneĆuvre en trois gros volumes, qui gĂ©nĂ©ralement ne manque pas dansces prĂ©sentoirs : il sâappelle The Course in Miracles.
The Course in Miracles ou la somme théologique du gnosticisme
The Course in Miracles se prĂ©sente comme un manuel demiracles dâun type particulier puisque le terme miracle ne dĂ©signepas le sens classique que nous lui connaissons mais la lumiĂšre libĂ©-ratrice que reçoivent ceux qui Ă©tudient ce manuel, rĂ©alisĂ© en 1965par deux psychologues de New York, Helen Schucman et WilliamThetford. Cette Ćuvre est le fruit dâune sĂ©rie de visions, de songeset dâexpĂ©riences psychiques quâeut Helen Schucman, suivies plustard dâauditions de JĂ©sus qui aurait fini par lui dicter les troisvolumes qui servent de textes pour les Ă©lĂšves et les professeurs. LadictĂ©e fut achevĂ©e en 1975 et le livre fut publiĂ© en 1976.
La thĂšse fondamentale repose sur la fĂ©licitĂ© complĂšte avec Dieuet avec nous-mĂȘmes. Pourtant, partant du principe que nous avonstous des failles et des besoins de pardon, le Manuel enseigne commentacquĂ©rir ce pardon Ă travers un processus de gnose et de sagesse ; ilnous conduit Ă retourner Ă lâunitĂ© primordiale avec lâAutre, qui est
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notre Ătre propre, et avec Dieu qui nous a crĂ©Ă©s. Le manuel a despoints de vues communs avec la gnose des premiers siĂšcles aprĂšsJĂ©sus-Christ, et des points de divergence.
Il sâagit dâune vision holiste (unifiante) et non dâune vision dua-liste de la rĂ©alitĂ©, mais cette unitĂ© holiste part du principe que lemonde et le corps nâont pas Ă©tĂ© crĂ©Ă©s par Dieu mais quâils sont uneprojection selon laquelle nous pouvons nous sĂ©parer de Dieu. CettesĂ©paration rĂ©side dans notre « Ego », celui-ci est notre faux « Soi »comme il arrive dans les spiritualitĂ©s orientales. Le monde protĂšgele systĂšme de lâEgo, il entretient notre sĂ©paration vis-Ă -vis de Dieuet nous incite Ă le considĂ©rer comme notre ennemi. De ce point devue, la non-dualitĂ© entre notre Ego et Dieu est, pour une fois, unedualitĂ©. Mais il ne lâest quâapparemment, puisque notre monde(corps et histoire) comme expĂ©rience psychologique de lâEgo, estune pure illusion, un songe, que nous transformons en rĂ©alitĂ© parceque nous y croyons.
En quoi consiste la rĂ©demption et le salut ? Elle consiste Ă ĂȘtreattentif Ă la voix de lâEsprit Saint â qui nous rĂ©veille du songe de lasĂ©paration et nous enseigne comment atteindre lâunitĂ© universelle,fraternelle et cosmique, Ă travers le pardon. Plus quâune doctrinereligieuse, câest une doctrine gnostique de la psychologie des pro-fondeurs. La rĂ©demption, le salut et lâexpiation consistent dans ladĂ©couverte que la sĂ©paration entre lâEgo et Dieu nâa jamais existĂ©.Il nây a pas de Dieu crĂ©ateur, dâun cĂŽtĂ©, ni de crĂ©ation, tant cos-mique quâhumaine, de lâautre. Mais si le monde est une illusion,cela ne signifie pas que nous sommes hors de ce que nous rejetonscomme un mal. Ce qui importe est que lâEsprit saint â qui nâa rienĂ voir avec lâEsprit saint du dogme chrĂ©tien â avec son enseigne-ment (gnosis) nous conduit Ă la comprĂ©hension gnostique que lemonde nâexiste pas. Nous fonctionnons au niveau de la dualitĂ© et dela faute (pĂ©chĂ©), mais le Saint-Esprit nous enseigne que la vĂ©ritĂ©rĂ©side dans la non-dualitĂ©, Ă partir de laquelle nous nous intĂ©gronsdans lâunitĂ© cosmique par lâaction du pardon ou de la rĂ©conciliationavec le Soi cosmique. On passe de lâexpĂ©rience de la dualitĂ© Ă cellede lâunitĂ©.
Ă la fin comme au commencement, le manuel A course inMiracles veut rĂ©pondre aux vieux problĂšmes sur la crĂ©ation et sur lemal. Si Dieu est bon et saint, comment le mal est-il apparu dans sacrĂ©ation ? Si Dieu est lâUn, pourquoi y a-t-il le multiple, lâĂ©ternitĂ©et le temps ? Ce nouveau systĂšme de connaissance affirme que tout
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se rĂ©sout si nous concluons quâil nây a pas dâun cĂŽtĂ© le ciel, et delâautre la terre (corps, histoire), parce que le corps et lâhistoire sontune illusion de notre Ego. Et câest notre Ego qui nous condamne.Pour rĂ©soudre cette condamnation de notre Ego, lâEsprit Saint nousenseigne le chemin du pardon. Le monde matĂ©riel comme illusionâ et non comme mal â est lâinstrument dont se sert lâEsprit Saintpour que nous comprenions quâun tel monde est illusion. Plus nousnous sauvons de notre Ă©tat dâillusion par lâĆuvre de la grĂące duSaint-Esprit, plus nous sommes des « Fils de Dieu ». Entre le mondedâen haut et celui dâen bas, celui de lâinvisible et celui du visible, dusaint et du pĂ©cheur, il nây a pas de fossĂ© insurmontable, parce quenous atteignons la connaissance psychologique, mĂ©taphysique etspirituelle de notre unitĂ© et de notre pardon Ă mesure que nousdĂ©couvrons la rĂ©vĂ©lation ultime sur lâillusion du monde et du corps.Câest notre Ego qui nous trompe sur la rĂ©alitĂ© corporelle et mon-daine de la rĂ©alitĂ© du corps. Depuis que cette nouvelle « rĂ©vĂ©lation »nous conduit Ă la conclusion que Dieu nâa pas crĂ©Ă© lâunivers corpo-rel, mais que celui-ci fait partie de la guerre dĂ©fensive de notre Egocontre Dieu, les dualitĂ©s se dissolvent ; nous entrons dans lâunitĂ©rĂ©demptrice de nous-mĂȘmes.
Le manuel A Course in Miracles utilise le langage judĂ©o-chrĂ©-tien : il parle de Dieu, de JĂ©sus, du Christ, de lâEsprit Saint aussibien que du Fils de Dieu. Mais câest dans un sens trĂšs diffĂ©rent decelui de toute la tradition biblique, puisque Dieu nâest pas considĂ©rĂ©comme une personne et que le Fils de Dieu nâest pas le SeigneurJĂ©sus de la foi chrĂ©tienne. Il est en effet notre ĂȘtre spirituel, crĂ©Ă© parDieu. Notre ĂȘtre (ou notre Ego) sĂ©parĂ© qui dort dans le songe etlâillusion de ce monde a besoin dâĂȘtre Ă©veillĂ© pour accĂ©der Ă sapleine unitĂ©.
Cette nouvelle gnose, qui a fait plusieurs centaines de milliersdâadeptes et fait partie du mouvement envahissant du New-Age,sâoppose en plusieurs points Ă la foi chrĂ©tienne. Une de ses finalitĂ©sest, en premier lieu, de dĂ©sacraliser la crĂ©ation comme Ćuvre deDieu. Câest ainsi que le Cantique des CrĂ©atures de saint FrançoisdâAssise perd son caractĂšre sacrĂ© du seul fait quâil nâa pas Dieupour point de dĂ©part. En second lieu, ce mouvement sâoppose Ă larĂ©demption chrĂ©tienne qui sâopĂšre par le mystĂšre pascal. En troi-siĂšme lieu, parce quâil rejette le dogme chrĂ©tien de la divinitĂ© deJĂ©sus. Enfin, parce quâil conteste la place privilĂ©giĂ©e que Juifs etChrĂ©tiens accordent aux Saintes Ăcritures et Ă lâĂglise dans le plan
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de salut divin. Dans ce sens, cette nouvelle gnose veut se substituerĂ la tradition biblique et nâhĂ©site pas Ă se livrer Ă un rĂ©visionnismetotal envers les Ăcritures. Il est facile de percevoir lâhomologie entrecette nouvelle gnose et celle des premiers siĂšcles, comme avec laphilosophie platonicienne et nĂ©o-platonicienne de lâEgo 3. LâEspritde Sagesse nous enseigne comment notre aliĂ©nation en ce mondepeut ĂȘtre intĂ©grĂ©e dans lâunitĂ© divine Ă travers les Ă©tapes ascension-nelles dâinitiation gnostique, par lâexpĂ©rience du Manuel A Coursein Miracles, la Bible nouvelle et dĂ©finitive, ou la rĂ©vĂ©lation divinenouvelle et dĂ©finitive. Dans tout cela se trouve un syncrĂ©tisme dephilosophie platonicienne, de psychologie des profondeurs et degnose classique teintĂ© de culture biblique.
Le Code de la Bible
PrĂ©sentĂ© en 1997 par MichaĂ«l Drosnin, le Code de la Bible devaitconnaĂźtre rapidement un succĂšs inouĂŻ, garanti par des traductionsdans les langues principales et par des prĂ©sentations dans des revuesde grande diffusion (Time, Paris-Match, Newsweek, etc.) et desĂ©missions de grande audience. La thĂšse fondamentale consiste danslâaffirmation et la dĂ©monstration que la Bible de lâAncien Testamentenferme un enseignement occulte sur tous les Ă©vĂ©nements de lâhis-toire moderne qui est maintenant rĂ©vĂ©lĂ© par lâordinateur. Cela veutdire que la rĂ©vĂ©lation divine de la Torah a Ă©tĂ© cachĂ©e durant tous cessiĂšcles jusquâĂ nos jours, et que lâagent dĂ©terminant de cette rĂ©vĂ©la-tion est lâordinateur, car câest lâordinateur, Ă travers une program-mation adĂ©quate, oĂč entrent la mathĂ©matique et la physique la plusavancĂ©e, qui nous prĂ©sente finalement, la volontĂ© de Dieu pournotre temps, pour lâIsraĂ«l dâaujourdâhui.
Les lecteurs doivent se demander : quâest-ce que ceci a Ă voiravec la « sĂ©duction actuelle de la gnose » ? Dâabord, mĂȘme sâil nesâagit pas dâun ouvrage de gnose stricto sensu, il sâagit dâun ouvrageoĂč le mystĂšre, la cabale et la connaissance scientifique dĂ©terminent
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3. La gnose est-elle nĂ©e de la mĂ©taphysique de Platon et des mythes grecscomme le soutiennent H. Leisegang (o.c p. 15s.) et J. Doresse (cf. lâarticle « laGnose » de lâEncyclopĂ©die de la PlĂ©iade, Paris 1972) ou du monde mĂ©sopota-mien et de Babylone, qui influença la gnose judaĂŻque et, par ricochet, la gnosechrĂ©tienne comme le soutient C. V. Manzanares (Los Evangelios Gnosticos,Barcelona, 1991, p. 24s.) ?
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le sens vĂ©ritable et lâexĂ©gĂšse vĂ©ritable de la Bible. On peut dire, paranalogie, que si la gnose se prĂ©sente comme un syncrĂ©tisme de phi-losophie platonicienne et de religion judĂ©o-chrĂ©tienne, A course inMiracles rĂ©alise un syncrĂ©tisme entre ce syncrĂ©tisme, les religionsorientales et la psychologie ; et le Code de la Bible apparaĂźt davan-tage comme un syncrĂ©tisme qui, Ă la Bible, mĂȘlerait les mathĂ©ma-tiques et la physique moderne. Bien plus : Dieu a attendu quâarrivelâĂšre des ordinateurs pour rĂ©vĂ©ler son code biblique secret.
En effet, ce livre affirme et prĂ©tend dĂ©montrer que la Bible, prin-cipalement la Torah (ou Pentateuque) contient un code cachĂ© que lesordinateurs nâauraient percĂ© que trĂšs rĂ©cemment et qui permettraitde lire lâannonce dâĂ©vĂ©nements contemporains. Cette position partdu postulat que, durant tous les siĂšcles qui prĂ©cĂ©dĂšrent le nĂŽtre, laRĂ©vĂ©lation divine que contenait la Torah aurait Ă©tĂ© mĂ©connue et quecâest seulement par la grĂące de lâordinateur que nous pouvonsprendre connaissance du dessein de Dieu pour nous aujourdâhui. Etde fait, Ă lâaide de ce code, on trouve toutes les donnĂ©es relatives Ă lâIsraĂ«l dâaujourdâhui et Ă quelques Ă©vĂ©nements, gĂ©nĂ©ralement tra-giques, qui concernent notre sociĂ©tĂ©. Lâassassinat dâYitzak Rabin yfigure, de mĂȘme que le nom de son assassin, Ygal Amin, tout commeceux de Netanyahou, Saddam Hussein, John et Robert Kennedy,Khaddafi, Anouar el Sadate, Bill Clinton, Gandhi, Arafat, et NeilArmstrong. On y trouve Ă©galement mention dâOklahoma City,du tremblement de terre dâOkushiri au Japon, de lâholocaustedâAuschwitz, de lâattaque au gaz sarin perpĂ©trĂ©e Ă Tokyo par lasecte Shoko Asahara, de prophĂ©ties sur les deux derniĂšres guerresmondiales et sur Hiroshima... De la seule Ă©numĂ©ration de ces nomset de ces Ă©vĂ©nements, on en conclut quâil sâagit dâun code bibliqueun peu apocalyptique quant au prĂ©sent de lâhumanitĂ©. En fait, lâau-teur nâaboutit Ă aucune datation en ce qui concerne la fin du monde,mais il se contente de rappeler que celle-ci pourrait bien arriver siIsraĂ«l et les grandes puissances nâĂ©taient pas vigilants. Du point devue politique, la question est presque toujours la mĂȘme : il sâagit dupĂ©ril que reprĂ©senterait lâattaque atomique que des fondamentalistesarabes pourraient lancer contre IsraĂ«l et qui pourrait prĂ©cipiter lâhu-manitĂ© entiĂšre dans une troisiĂšme guerre mondiale.
Mais tout cet habillage politique nâest que lâaccomplissementvisible et historique de la rĂ©vĂ©lation du Code biblique. Lâerreur prin-cipale de ce livre rĂ©side dans le prĂ©supposĂ© historiciste et fonda-mentaliste que la Torah fut dictĂ©e directement par Dieu Ă MoĂŻse au
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XIIIe siĂšcle avant J.-C. pour nâĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©e quâaujourdâhui. Or lesĂ©tudes bibliques ont dĂ©montrĂ© quâelle avait connu plusieurs siĂšclesde tradition et de catĂ©chĂšses orales avant dâĂȘtre couchĂ©e par Ă©crit.Cela signifie quâavant sa transmission Ă©crite, la Torah a dâabord Ă©tĂ©vie de foi, catĂ©chĂšse et liturgie, quâelle a Ă©tĂ© en lien constant avecles vicissitudes que connurent les communautĂ©s juives et qui firentleur histoire. Cette tradition de vie et de foi ne passa par Ă©crit queprogressivement, Ă partir de la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant lâexil babylonien.La Torah ne fut donc pas Ă©crite afin de rester cachĂ©e pendant dessiĂšcles dans lâattente que des ordinateurs rĂ©vĂšlent sa signification,mais afin dâĂȘtre la parole de Dieu qui nourrit le peuple biblique,dâabord sous forme orale puis sous forme Ă©crite.
Ainsi, le Code de la Bible sâinscrit dans le contexte millĂ©naristequi imprĂšgne notre Ă©poque. Bien quâil ne soit pas gnostique en sonfondement, il est Ă©sotĂ©rique et, de ce fait, dangereux. Lâauteuraccorde beaucoup dâimportance Ă lâaspect mystĂ©rieux de la Torah etde la Bible en gĂ©nĂ©ral, comme un livre scellĂ© et qui, aujourdâhuiseulement, est descellĂ© et redĂ©couvert. Pour appuyer sa thĂšse il citele Livre de Daniel dans lequel Dieu sâadresse au ProphĂšte en cestermes : « Et toi, Daniel, garde ceci en secret et conserve scellĂ© celivre jusquâĂ la fin des temps » (Daniel 12, 9). Il nâhĂ©site pas parailleurs Ă citer lâApocalypse pour conforter sa thĂšse en Ă©voquant le« livre scellĂ© de sept sceaux » (Apocalypse 5, 1). Il nây a plus alorsquâĂ dĂ©duire que ce livre scellĂ© et cachĂ© par la volontĂ© expresse deDieu, destinĂ© Ă nâĂȘtre redĂ©couvert et compris quâĂ la fin des tempsest le Code de la Bible.
Mais cette conclusion repose sur plusieurs erreurs. Câest ainsi quelâApocalypse de Daniel dĂ©signe en fait une pĂ©riode prĂ©cise, compriseentre les annĂ©e 167 et 164 avant J.-C., qui correspond Ă la persĂ©-cution lancĂ©e par Antiochos Ăpiphane contre les Juifs. Dans cecontexte, « lâidole abominable » (Daniel 12, 11) ne dĂ©signe pas autrechose que la tĂȘte du Zeus olympien quâAntiochos avait fait placersur lâautel du temple de JĂ©rusalem. Quant Ă la « la fin des temps »,il ne sâagit que dâune erreur qui incombe au traducteur du Code dela Bible, puisque lâexpression hĂ©braĂŻque « aharit hayamim » 4 nesignifie pas, dans ce contexte, la fin chronologique des temps mais
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4. Qui apparaßt aussi en GenÚse 49, 1-2 ; Nombres 24, 14 ; Deutéronome 4, 30 ;31, 29.
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simplement le futur, lâavenir dans son sens le plus indĂ©terminĂ©.Enfin, lâauteur devrait savoir que, si lâApocalypse de saint Jean faitbien mention de sceaux (« qui est digne dâouvrir le livre et dâenbriser les sceaux ? » (Apocalypse 5, 2), ceux-ci seront descellĂ©s parlâAgneau au chapitre suivant (6, 1 : « Lâagneau brisa le premier dessept sceaux » ; cf. 6. 3. 12 ; 8, 1).
Ce livre entre dans le contexte millĂ©nariste dâune certaine culturereligieuse actuelle, qui, mĂȘme si elle nâest pas strictement gnostique,Ă©sotĂ©rique et cabalistique, est trĂšs dangereuse pour la stabilitĂ© psy-chologique des personnes concernĂ©es.
III. La séduction actuelle de la Gnose.
Il ne fait aucun doute que la gnose fait de nos jours un retour enforce dans le monde culturel religieux contemporain, qui peut ĂȘtrechiffrĂ© par la sociologie. Elle fut le grand dĂ©fi de lâĂglise des pre-miers siĂšcles et elle est de nouveau celui de lâĂglise dâaujourdâhui.Mais les principes de la gnose nâont pas changĂ© et elle attire aujour-dâhui de nombreux adeptes pour les mĂȘmes raisons quâhier.
Les gnostiques sont ceux qui connaissent et qui sont sauvĂ©s, nonpas par le mystĂšre pascal de la mort et de la rĂ©surrection du Christ,mais par leur propre connaissance gnostique. Ce nâest pas la foi nila grĂące qui fondent le salut, mais la connaissance initiatique. En cesens, le spiritisme dâAllan Kardec (1804-1869), lâoccultisme dâEliphasLevi (1810-1875), le thĂ©osophisme dâHelena P. Blavatsky (1831-1891), comme beaucoup dâautres mouvements (Rose-Croix, Frater-nitĂ© Blanche universelle, Ordre martiniste traditionnel, NouvelleAcropole, Atlantis, Metanoia, PensĂ©e nouvelle, Ăcole de lâarcane,Nouvel Age du Poisson ou New-Age) sont tous dĂ©biteurs directe-ment ou indirectement aux principes structurels de la gnose.
Selon Jean Vernette, spécialiste des nouveaux mouvements reli-gieux, un Européen sur cinq croit à la réincarnation 5 ; en 1986 il yavait en France 200 groupes et écoles initiatiques, 500 au Canada ;deux Français sur trois consultent chaque jour leur horoscope. Larevue Science et vie, en août 1997, à propos du phénomÚne du para-normal, indique les chiffres suivants : en France, 33 % des cadres
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5. Article « Gnosticisme » in Paul Poupard, Dictionnaire des Religions I(Paris,1984) 762-781, surtout 776 s.
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supĂ©rieurs croient aux phĂ©nomĂšnes paranormaux, 34 % de per-sonnes ayant fait des Ă©tudes supĂ©rieures scientifiques Ă©galement ;actuellement, 50.000 astrologues et voyants exercent en France ; ily a 400.000 personnes affiliĂ©es Ă des sectes, qui, en majoritĂ©, se rap-prochent du New-Age, 10 millions de Français consultent un horo-scope ou une voyante, 10 % des recettes de lâĂ©dition proviennent delivres du New Age, 71 % des Français croient Ă la transmissionde pensĂ©e ; 60 % croient Ă lâastrologie ; 46 % aux prĂ©visions desvoyants.
Toutes ces nouvelles gnoses affirment dĂ©pendre du grand courantde la Sagesse primordiale et intemporelle, oĂč rĂ©side la source de lavĂ©ritĂ©, corrompue ensuite par les Ăglises. Elles ne retiennent desĂvangiles canoniques et de la figure de JĂ©sus que quelques textesreliĂ©s Ă lâĂ©sotĂ©risme, susceptibles dâĂȘtre interprĂ©tĂ©s Ă leur maniĂšre.Par exemple, Marc 4, 11-12 : « Ă vous il fut donnĂ© de connaĂźtre lesmystĂšres du Royaume de Dieu mais Ă ceux-lĂ qui sont dehors toutarrive en paraboles », ou Jean 9, 14. 16, que les gnostiques interprĂš-tent comme si le monde nâĂ©tait quâune illusion. La Bible est consi-dĂ©rĂ©e comme exclusivement symbolique et secrĂšte, et câest seulementpar cette symbolique quâon peut atteindre les strates inconnues etsâidentifier Ă lâunitĂ© cosmique (ou PlĂ©rĂŽme cosmique) qui seconfond avec Dieu lui-mĂȘme. Enfin, lâĂ©poque de cette RĂ©vĂ©lationcorrespond Ă celle du nouveau millĂ©naire (ou du cinquiĂšme Ăvan-gile), Ăšre qui commence avec la dĂ©couverte Ă Nag Hammadi desĂvangiles gnostiques, qui sont les seuls authentiques parce que lesseuls spirituels.
Ce qui attire beaucoup de nos contemporains dans les groupesnĂ©ognostiques, câest cette expĂ©rience directe et immĂ©diate de laconscience cosmique et divine, qui se confond avec Dieu, avec lePlĂ©rĂŽme et avec la RĂ©demption. Câest cette illumination person-nelle, subjective, mystĂ©rieuse, qui ne part pas de dogmes, de comman-dements ou de catĂ©chĂšses venues du dehors. Câest la convictionque nous sommes des Ă©tincelles divines Ă©garĂ©es dans les tĂ©nĂšbresâ câest-Ă -dire le monde et le corps â, et que nous sommes Ă©trangersau monde parce que nous sommes les Ă©lus de Dieu. Câest la dĂ©cou-verte de notre Soi le plus profond, le Soi divin qui parcourt lemonde hylique (matĂ©riel) et psychique pour sâarrĂȘter au mondepneumatique ou spirituel. Câest la pensĂ©e quâentre lâhomme et ledivin, la terre et les cieux, le microcosme et le macrocosme, il existeune unitĂ© ontologique et divine. Câest cette libertĂ© des fils de Dieu
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qui est la seule norme, comme expĂ©rience intĂ©rieure qui nous Ă©lĂšveaux Ă©tats supĂ©rieurs de la conscience cosmique (ou Christ cosmique),et que lâon peut atteindre au moyen de la mĂ©ditation transcendantale(yoga, zen), ou grĂące Ă la contemplation du potentiel divin existantdans la nature toute entiĂšre.
Les formes, les Ă©coles, les mouvements peuvent ĂȘtre diffĂ©rents,mais la nouvelle gnose, de nos jours, la vĂ©ritĂ© divine de la personneest toujours intĂ©rieure, subjective, relative Ă lâespace et au temps,libre de tout dogme, commandement ou morale. Câest lâexpĂ©riencede lâEsprit dĂ©couvert dans la matiĂšre comme Ă©nergie divine, qui setrouve aussi bien dans les plantes que dans lâhomme ou dans toutlâunivers.
La seule innovation de la nouvelle gnose vient du New-Age.Câest la rĂ©cupĂ©ration de la physique quantique et du principe dedualitĂ© onde/corpuscule Ă©noncĂ© par le physicien Louis de Broglie,quâils interprĂštent ainsi : « la matiĂšre qui nous entoure nâest riendâautre quâun mĂ©lange dâondes dâĂ©nergie dont la substance est lamĂȘme que celle de lâesprit, donc immatĂ©rielle (...). Lâunivers avecses galaxies, ses planĂštes et ses ĂȘtres vivants serait une onde dâĂ©ner-gie immense et cohĂ©rente » 6. Mais les vrais physiciens, toutes ten-dances confondues sâaccordent tous Ă penser que « rien nâest enmesure dâindiquer que lâesprit, dont nous ne possĂ©dons mĂȘme pasune dĂ©finition claire, appartient au domaine de la physique quan-tique » 7. Savoir distinguer entre la foi et la science, entre le CrĂ©ateuret les crĂ©atures, demeure absolument fondamental tant pour la foique pour la science. Le contraire ne peut quâengendrer confusionĂ©sotĂ©rique et gnostique.
(Traduit et adapté par Denys Marion et Olivier Boulnois.)
Joaquim Carreira das Neves est nĂ© en 1934 au Portugal. Franciscain, il a obtenuson doctorat de thĂ©ologie biblique Ă lâuniversitĂ© pontificale de Salamanque en1967 avec une thĂšse intitulĂ©e : A teologia da traduçao grega dos LXX no livrode Isaias (CoĂŻmbra, 1973). Il est professeur de Nouveau Testament Ă la facultĂ©de ThĂ©ologie de lâuniversitĂ© catholique du Portugal.
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6. Science et vie, Août 1997, « Le paranormal », p. 66.7. Ibid.
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La gnose Ă grands traits.
De la gnose, HĂ©raclĂ©on donne la dĂ©finition suivante : « Ce nâestpas seulement le baptĂȘme qui est libĂ©rateur, mais câest aussi lagnose : Qui Ă©tions-nous ? Que sommes-nous devenus ? OĂč Ă©tions-nous ? OĂč avons-nous Ă©tĂ© jetĂ©s ? Vers quel but nous hĂątons-nous ?DâoĂč sommes-nous rachetĂ©s ? Quâest-ce que la gĂ©nĂ©ration ? Et larĂ©gĂ©nĂ©ration ? » La gnose, nous apprend ainsi ce gnostique, est uneconnaissance salvatrice qui rĂ©vĂšle Ă lâhomme son origine (une gĂ©nĂ©-ration, une descente ici-bas) et sa destinĂ©e possible (une rĂ©gĂ©nĂ©ra-tion, un retour Ă lâorigine). Origine et destinĂ©e : les deux termesdâune seule et mĂȘme interrogation, auxquels il convient toutefoisdâajouter dâautres traits pour lui donner toute son originalitĂ©. LeurcaractĂšre Ă©sotĂ©rique en est probablement un, tellement communcependant quâil ne permet pas de distinguer les Ă©coles appartenantĂ lâorthodoxie chrĂ©tienne (on parle ainsi dâune gnose chrĂ©tienne, Ă propos des Ă©crits de ClĂ©ment dâAlexandrie, voire dâOrigĂšne) decelles qui ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es hĂ©tĂ©rodoxes et auxquelles est habituel-lement confĂ©rĂ© le nom de gnosticisme. Un autre critĂšre mĂ©rite dâĂȘtreutilisĂ©, parce que plus discriminant, celui du rapport de la gnose Ă lamorale. La pensĂ©e gnostique prĂ©tend en effet ruiner la nĂ©cessitĂ©dâune morale, quâelle soit celle des chrĂ©tiens ou celle des philo-sophes : si nous ne sommes que des pantins entre les mains des forcessurnaturelles, si nous sommes, bien malgrĂ© nous, les prisonniers
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Jacques ARNOULD
Gnose et Ă©cologie
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dâune Puissance mauvaise, celle-lĂ mĂȘme qui a crĂ©Ă© le monde sen-sible, quelle part de responsabilitĂ© morale portons-nous rĂ©ellement ?Dans le systĂšme gnostique, la gĂ©nĂ©ration comme la rĂ©gĂ©nĂ©ration delâĂȘtre humain apparaissent extĂ©rieures Ă ce dernier, Ă sa volontĂ© et Ă sa libertĂ©, relevant plutĂŽt dâun conflit entre deux divinitĂ©s, unDĂ©miurge qui a crĂ©Ă© le monde sensible et un Dieu transcendant dontĂ©mane le monde intelligible. DĂšs lors, ajoutent les gnostiques hĂ©tĂ©-rodoxes, mieux vaut prendre partie pour le Serpent du rĂ©cit de laGenĂšse, autrement dit pour celui qui invite et conduit Ă la connais-sance (la gnose) du bien et du mal, et ce, contre le DĂ©miurge, jalouxde son pouvoir jusquâĂ interdire prĂ©cisĂ©ment Ă Adam et Ă Ăve lâaccĂšsĂ cette connaissance. Est-il besoin dâajouter quâune telle morale (ouplutĂŽt une absence de morale, diraient les opposants au gnosticisme)sâaccompagne dâun dĂ©dain pour le monde sensible, dâun pessi-misme Ă son endroit qui reflĂšte une pensĂ©e fortement dualiste : legnostique se considĂšre avant tout comme Ă©tranger au monde sen-sible, son Ăąme (son moi) est prisonniĂšre de son corps, sa seulesource dâoptimisme est dâespĂ©rer profiter du triomphe final sur cetterĂ©alitĂ© dâun Dieu qui en est lui aussi totalement Ă©tranger.
De ces quelques traits bien connus de la gnose, comprise dansson acception la plus large et intégrant par conséquent le gnosti-cisme, je retiendrai avant tout les points suivants :
1. la gnose sâinscrit au sein de la problĂ©matique de lâorigine ou,en termes gnostiques, de la gĂ©nĂ©ration de la rĂ©alitĂ©, quâelle soit cos-mique, biologique ou humaine. Ce faisant, elle prĂ©cise nĂ©cessaire-ment la place et le rĂŽle de lâespĂšce humaine au sein de cette rĂ©alitĂ© ;
2. la gnose offre Ă©galement une rĂ©ponse Ă la question de la desti-nĂ©e de ce monde : le salut pour les Ăąmes initiĂ©es, la dĂ©gradation pourcelles qui ne lâont pas Ă©tĂ© Ă lâinstar de la matiĂšre sensible ;
3. la gnose propose ainsi une solution de type dualiste aux diffi-cultĂ©s propres Ă toute doctrine crĂ©ationniste, avant tout celles liĂ©es Ă lâexistence du mal et du dĂ©sordre au sein de la rĂ©alitĂ© sensible : unesĂ©paration stricte entre la divinitĂ© crĂ©atrice, le DĂ©miurge, et la divi-nitĂ© rĂ©demptrice, le Dieu tout-puissant et omniscient ;
4. la connaissance ne se limite pas Ă lâobservation. Ă la fois rĂ©vĂ©-lation et participation, elle est un moyen, voire mĂȘme une forme desalut.
Le rappel de ces quelques traits des courants gnostiques ayant Ă©tĂ©fait, deux questions mĂ©ritent dâĂȘtre posĂ©es ici. La premiĂšre concerne
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lâactualitĂ© de ces idĂ©es ; la seconde leur lien avec les mouvementsdits Ă©cologistes. De fait, dans le cadre de cet article, je serai contraintde rĂ©pondre Ă ces deux questions de maniĂšre conjointe. Il se trouveen effet que la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle a vu apparaĂźtre descourants de pensĂ©e non dĂ©nuĂ©s de ressemblance avec la gnose. Jeme propose, dans un premier temps, de faire la prĂ©sentation et lâana-lyse de quelques-uns dâentre eux, dâen prĂ©ciser le caractĂšre gnos-tique, avant dâintroduire, dans un second temps, une problĂ©matiquethĂ©ologique.
Je ferai ainsi appel Ă trois auteurs, chacun correspondant Ă unequestion ou Ă un courant spĂ©cifique : Raymond Ruyer et la questiondâune religion « nĂ©e » de la science, Hans Jonas et le lien entre fina-lisme et Ă©thique, Arne Naess et le courant de lâĂ©cologie profonde.
Raymond Ruyer et la religion de la science moderne.
La Gnose de Princeton. Des savants Ă la recherche dâune reli-gion, publiĂ© en 1974, est le titre du plus cĂ©lĂšbre des ouvrages du phi-losophe Raymond Ruyer. Titre trompeur, prĂ©cise Jean Borella.« Ceux qui ont connu Ruyer, quâils aient Ă©tĂ© ses Ă©tudiants, ses col-lĂšgues ou ses amis, ou les trois, en Ă©taient informĂ©s dĂšs le dĂ©but.Ruyer nâavait pas cachĂ© quâil cherchait une affabulation, susceptiblede frapper le public, et dâattirer son attention sur des thĂšses quâilexposait depuis fort longtemps, depuis La Conscience et le corps etles ĂlĂ©ments de psychobiologie, et qui ont trouvĂ© leur expression laplus accomplie, Ă notre avis, dans NĂ©ofinalisme, sans obtenir dela part des scientifiques et mĂȘme des philosophes, autre chose quâunsuccĂšs dâestime 1. » Titre trompeur, donc, quant Ă lâexistence dumouvement que ce livre est censĂ© prĂ©senter ; mais titre Ă©galementsurprenant : quel rapport existe-t-il, relĂšve Borella, entre la « cosmo-lĂątrie » prĂ©sentĂ©e par Ruyer dans son ouvrage et la « misocosmie » dugnosticisme ? Câest la premiĂšre question Ă laquelle nous devonsnous confronter en rapprochant gnose et Ă©cologie.
Ruyer nâa pas ignorĂ© cette opposition vĂ©hiculĂ©e par le titre deson ouvrage et son contenu. Mais il porte son intĂ©rĂȘt ailleurs, en
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1. Jean BORELLA, « La gnose ruyĂ©rienne, religion de lâĂąge scientifique », dansLouis VAX et Jean-Jacques WUNENBERGER, Raymond Ruyer. De la science Ă lathĂ©ologie, Paris, Ăditions KimĂ©, 1995, p. 223.
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lâoccurrence et avant tout, sur la question de la connaissance et sur lamaniĂšre dont sâest progressivement constituĂ©e, au cours du XXe siĂšcle,une interface entre la science, la philosophie et la religion. Autre-ment dit, sâinscrivant dans une lecture historique qui remonte Ă laRenaissance, Ruyer choisit le terme de gnose non pour sa dimensiondualiste et anticosmique, mais pour dĂ©signer une doctrine qui voitdans la connaissance un moyen dâatteindre un salut, voire mĂȘmeune forme en soi de salut ; cette connaissance est acquise dans unedoctrine particuliĂšre, Ă©ventuellement Ă©sotĂ©rique. « La Gnose, Ă©crit-il dans lâintroduction de son livre, est la connaissance de la rĂ©alitĂ©suprasensible, invisiblement visible dans un Ă©ternel mystĂšre. LeSuprasensible constitue, au cĆur et au-delĂ du monde sensible,lâĂ©nergie motrice de toute forme dâexistence. » Et, en accord avecle rappel qui prĂ©cĂšde, il ajoute : « La Gnose nous rĂ©vĂšle ce que noussommes, ce que nous sommes devenus, le lieu dâoĂč nous venons etcelui dans lequel nous sommes tombĂ©s, le but vers lequel nous noushĂątons 2 ». Mais ce versant, traditionnel pourrait-on dire, de la gnosene paraĂźt pas prĂ©pondĂ©rant aux yeux de Ruyer.
Dans La Gnose de Princeton, le philosophe nancĂ©ien ne dĂ©niepas lâimportance de la science du vivant (il est devenu lui-mĂȘme unautodidacte compĂ©tent en ce domaine), mais il reconnaĂźt que « câestla physique qui pose les questions les plus radicales en ce quiconcerne le monde dans sa subsistance propre et sa nature dâuni-vers, câest-Ă -dire dans sa rĂ©alitĂ© de totalisation englobante 3 ». IdĂ©eimportante lorsque lâon connaĂźt la maniĂšre dont Ruyer conçoit ladĂ©marche scientifique qui consiste Ă sâinformer de la rĂ©alitĂ©. « Il y adeux maniĂšres dâĂȘtre informĂ© », Ă©crit-il : « par observation et parparticipation » (p. 181). Or prĂ©cisĂ©ment, « la Gnose consiste Ă vou-loir faire entrer les participables et la participation dans la sciencecomme dans la philosophie religieuse, par la grande porte, non parla petite porte dâune psychologie suspecte, Ă peine scientifique etvaguement occultiste » (p. 191). Ce faisant, insiste-t-il, « la Gnoseprend le contre-pied du scientifisme matĂ©rialiste. Tous les ĂȘtres sontconscients, signifiants â ou plus exactement pleins de sens â, infor-mants et sâinformant » (p. 60). « Il pense dans lâunivers » (p. 67),
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2. Raymond RUYER, La Gnose de Princeton. Des savants Ă la recherche dâunereligion, coll. « Pluriel », Paris, Fayard, 1977, p. 27. Les rĂ©fĂ©rences de pagesdonnĂ©es entre parenthĂšses dans cette partie renvoient Ă La Gnose de Princeton.3. J. BORELLA, op. cit., p. 231.
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lance Ruyer ; et pas seulement Ă cause de la prĂ©sence de lâespĂšcehumaine : tous les ĂȘtres sont Ă©galement intelligents. Seulement, dansun univers comparable Ă un immeuble Ă plusieurs Ă©tages, commu-niquer avec les locataires dâun Ă©tage diffĂ©rent du nĂŽtre (voire sim-plement du mĂȘme palier) nâest pas toujours aisĂ©. Il est pourtantpossible, Ă force dâattention et dâexercice, de sâouvrir aux autresformes dâintelligence, de passer dâune simple observation Ă une vĂ©ri-table participation Ă ce quâil convient dâappeler une « Consciencecosmique ». La sagesse gnostique, telle que lâentend Ruyer, unittous les domaines de la pensĂ©e humaine, scientifique, philosophiqueet religieux, pour ouvrir une nouvelle voie vers le divin.
La gnose dĂ©crite par Ruyer est en effet dĂ©iste. Dieu « est un Parti-cipable plutĂŽt quâun Observable » (p. 189). Au sein dâun cosmosmarquĂ© par le hasard, il est lâEsprit qui fait lâunitĂ©, la PensĂ©e dont lemonde est le cerveau, lâAnti-hasard, lâActualisateur de chaque ĂȘtre.Autant de termes pour qualifier le divin, auquel il convient dâajou-ter celui de « Nature-se-faisant » (p. 248). Cosmocentrique ou thĂ©o-centrique : il nây a, en fait, aucune diffĂ©rence fondamentale, tant quetoute forme dâanthropocentrisme ou dâhumanisme reste exclue :« lâhomme doit garder dans le monde sa place modeste de Simienqui a momentanĂ©ment rĂ©ussi » (p. 33).
Tout compte fait, Ruyer a raison de parler de « Nouvelle Gnose » :son systĂšme prĂ©sente quelques diffĂ©rences notoires avec les courantsgnostiques du passĂ©. Ainsi, la place accordĂ©e aux figures et auxrĂ©cits mythiques est-elle bien plus modeste ; de mĂȘme, les marquesdâun dualisme sont-elles moins Ă©videntes, sans pour autant ĂȘtre tota-lement inexistantes. Lâunivers nâest-il pas Ă la recherche de lalumiĂšre, autrement dit de lâĂ©mergence ou de la rĂ©alisation dâuneConscience cosmique toujours plus rĂ©elle ? Plus gĂ©nĂ©ralement,« lâEsprit domine le MatĂ©riel. Le sens lâemporte sur les moyenstechniques, la conscience sur ses organes » (p. 412). Ce mystĂšre esten mĂȘme temps une clĂ© qui ouvre Ă un Absolu transcendant. Quoi-quâil en soit, on comprend la remarque de Borella : mĂȘme si leterme de cosmolĂątrie est certainement excessif en ce qui concerneRuyer, il nây a pas chez lui de mĂ©pris pour la rĂ©alitĂ© naturelle. Elleest le lieu oĂč sâexercent des forces cosmiques et organiques, sous ladirection dâune Conscience. Par contre, rien nâest dit dâun quel-conque choix Ă©thique qui soit en accord avec la Nouvelle Gnose :est-ce Ă cause dâun dĂ©terminisme global, comme dans les anciennes
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gnoses ? Ruyer ne donne guĂšre de prĂ©cisions sur ce point. Ce nâestpas le cas de Jonas.
Hans Jonas et lâĂ©thique nĂ©ofinaliste.
Deux raisons, Ă premiĂšre vue indĂ©pendantes, invitent Ă Ă©voquermaintenant la figure et la pensĂ©e de Hans Jonas : son travail sur lesorigines du gnosticisme 4 dâune part ; la rĂ©flexion Ă©thique quâil livredans son Principe ResponsabilitĂ©, publiĂ© en 1979, dâautre part 5.Dans cet ouvrage, Jonas mĂšne une critique sĂ©vĂšre du rĂŽle dessciences et des techniques, au sein des sociĂ©tĂ©s occidentalescontemporaines. Si, par le passĂ©, avait pu ĂȘtre Ă©laborĂ©e une vĂ©ritableutopie technique, fondĂ©e sur la conviction que la maĂźtrise de la naturepar lâhumanitĂ© conduirait cette derniĂšre Ă son plein accomplisse-ment, cette espĂ©rance doit dĂ©sormais ĂȘtre abandonnĂ©e : la dyna-mique du progrĂšs par accumulation du savoir, de lâindustrie, de laconsommation sâest en fait rĂ©vĂ©lĂ©e destructrice et suicidaire. DĂ©sor-mais, le chĆur de lâAntigone de Sophocle est loin, lui qui affirmaitde lâhomme que « bien armĂ© contre tout, il nâest dĂ©sarmĂ© contre riende ce que lui peut offrir lâavenir » (p. 18). Lâavenir doit au contraireĂȘtre apprĂ©hendĂ© comme une rĂ©alitĂ© fragile, sans cesse mise en dan-ger par les actes humains. Autrement dit, et câest lĂ lâune des leçonsessentielles du Principe ResponsabilitĂ©, le pouvoir de lâhumanitĂ©doit dĂ©sormais intĂ©grer une responsabilitĂ© nouvelle, celle du soucipour les gĂ©nĂ©rations futures et lâavenir de la Terre. « Agis, Ă©critJonas en forme dâimpĂ©ratif catĂ©gorique, de façon que les effets deton action soient compatibles avec la permanence dâune vie authen-tiquement humaine sur terre [...]. Agis de façon que les effets de tonaction ne soient pas destructeurs pour la possibilitĂ© future dâunetelle vie » (p. 30-31). Ou encore : « Lâavenir de lâhumanitĂ© est la pre-miĂšre obligation du comportement » (p. 187).
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4. Voir, en langue française, La Religion gnostique. Le message du DieuĂtranger et les dĂ©buts du christianisme, coll. « IdĂ©es et recherches », Paris,Flammarion, 1978.5. Voir Le Principe ResponsabilitĂ©. Une Ă©thique pour la civilisation technolo-gique, coll. Passages, Paris, Ăd. du Cerf, 1990. Les rĂ©fĂ©rences de pages don-nĂ©es entre parenthĂšses dans cette partie renvoient au livre Le PrincipeResponsabilitĂ©.
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Apparemment, la pensĂ©e de Jonas est fortement teintĂ©e dâanthro-pocentrisme : le souci pour lâintĂ©gritĂ© de lâenvironnement semblemotivĂ© par celui de conserver Ă lâhumanitĂ© des conditions suffi-santes de survie. Et, de fait, Jonas nâest pas de ceux qui revendi-quent pour la nature des droits lĂ©gaux : « La nature nâest pas un sujetde droits. Nâayant pas dâobligations Ă notre Ă©gard, la nature nâa pasnon plus de droits au sens dâun sujet de droits 6 ». Cette positionexplique, pour une part, lâintĂ©rĂȘt mitigĂ© des milieux Ă©cologistes lesplus virulents (comme les GrĂŒnen) pour la pensĂ©e du philosopheallemand, alors quâelle a joui dâun vĂ©ritable engouement au sein dela classe politique allemande et de la littĂ©rature environnementalisteanglo-saxonne plus soft. Quel en est en effet le fondement majeur ?La position sommitale occupĂ©e par lâhumanitĂ©, au sein de lâĂ©volu-tion de la nature.
Parce quâelle correspond Ă la rĂ©alisation complĂšte dâune volontĂ©finalisatrice, lâhumanitĂ© nâa plus Ă Ă©voluer, affirme Jonas. Dâunetelle volontĂ©, les traces sont visibles dĂšs lâĂ©mergence des premiĂšresformes organiques et le sont encore dans les plus Ă©lĂ©mentaires. PourJonas, « une philosophie de la vie comprend une philosophie de lâor-ganisme et une philosophie de lâesprit. Câest mĂȘme lĂ une premiĂšreproposition de la philosophie de la vie, en fait lâhypothĂšse quâelledoit honorer au cours de sa mise en pratique. Car la dĂ©finition de saportĂ©e, comme sa contestation, exprime le fait que lâorganique,mĂȘme dans ses formes les plus infĂ©rieures, prĂ©figure lâesprit et quelâesprit, mĂȘme lorsquâil atteint des sommets, reste une partie de lâor-ganique 7 ». Jonas sâoppose ainsi clairement Ă ceux qui nient lâexis-tence dâune substance spirituelle au sein de la nature ou rĂ©duisentlâhomme Ă la nature. De fait, les sciences modernes (en particulier,celles de lâĂ©volution biologique) ont enlevĂ© Ă lâhumanitĂ© une grandepartie de sa prĂ©Ă©minence en mettant en Ă©vidence son appartenanceaux processus Ă©volutifs ; cette perte, selon Jonas, nâest acceptableque dans la mesure oĂč elle sâaccompagne dâun gain de dignitĂ© de lanature elle-mĂȘme, celle de possĂ©der une finalitĂ© propre. Jonas cri-tique ainsi un savoir trop soucieux de pouvoir-faire, une techniquetrop attirĂ©e Ă la performance, au point dâavoir exclu cette finalitĂ© et
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6. CitĂ© dans Dominique BOURG, Les ScĂ©narios de lâĂ©cologie, coll. « Questionsde sociĂ©tĂ© », Paris, Hachette, 1996, p. 67.7. Hans JONAS, The Phenomenon of Life. Toward a Philosophical Biology,New York, Harper & Row, 1966, p. 1.
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dâavoir Ă©cartĂ© de la civilisation technologique le souci dâĂȘtre « cos-mopolite ». Au sens oĂč, selon la dĂ©finition proposĂ©e par Jonas dansLa Religion gnostique, ĂȘtre cosmopolite signifie ĂȘtre un bon citoyendu cosmos.
Que possĂšdent ces idĂ©es en commun avec les courants gnos-tiques ? La rĂ©ponse est plus dĂ©licate Ă Ă©laborer quâil nây paraĂźt aupremier abord. Il ne suffit pas en effet de mettre en avant des impĂ©-ratifs catĂ©goriques et des exhortations dĂ©ontologiques soucieux dela qualitĂ© de lâenvironnement naturel, pour Ă©carter des propos deJonas tout caractĂšre gnostique. Ă mieux y regarder, on peut consta-ter que « dâune part, il fait de lâhomme un produit immanent de et Ă lâĂ©volution, le produit le plus achevĂ©, valorisĂ© comme tel par le pro-cessus final qui lâa engendrĂ©. Mais en mĂȘme temps, il absolutisecette valeur, la rend transcendante, câest-Ă -dire lâarrache au proces-sus Ă©volutionnaire auquel lâhumanitĂ© ne pourrait prendre part, alorsmĂȘme quâelle commence Ă sâen donner les moyens. Le dĂ©compte decette opĂ©ration contradictoire laisse une puissance infinie interditedâusage : toute cette durĂ©e cosmique Ă venir ouverte Ă la libertĂ©humaine qui ne peut sâen saisir 8 ». Ne retrouverait-on pas, si lâon encroit Hottois, le double caractĂšre de lâĂȘtre humain, Ă lâorigine Ă lafois mondaine et outremondaine ? Dans quelle mesure lâunivers duPrincipe ResponsabilitĂ© est-il vraiment diffĂ©rent de celui desanciens gnostiques, autrement dit « une vaste prison dont le cachotle plus profond est la terre 9 » ? Enfin, la terreur qui marque la visiongnostique du temps et de lâespace ne rĂ©apparaĂźt-elle pas, quoiquâat-tĂ©nuĂ©e, dans la peur dont Jonas souligne lâutilitĂ© pour la quĂȘte dubien et la prise au sĂ©rieux de ses nouveaux impĂ©ratifs ? Bref, mĂȘmesi une vision aussi achevĂ©e de lâhistoire que celle proposĂ©e par lephilosophe allemand ne permet probablement pas dâĂ©laborer unevĂ©ritable perspective sotĂ©riologique (un Ă©lĂ©ment important des cou-rants gnostiques), il nâen existe pas moins, me semble-t-il, unerĂ©elle consonance entre plusieurs traits du gnosticisme ancien et lapensĂ©e de Jonas.
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8. Gilbert HOTTOIS, « Une analyse critique du néo-finalisme dans la philoso-phie de H. Jonas », Laval théologique et philosophique, 50 (1994) 1, p. 105.9. H. JONAS, La Religion gnostique, p. 65.
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Au terme de cette prĂ©sentation succincte de la pensĂ©e de RaymondRuyer et de Hans Jonas, on peut lĂ©gitimement sâinterroger sur lâop-portunitĂ© de les rapprocher des courants gnostiques ; certes, la placeaccordĂ©e et reconnue au savoir et au pouvoir quâil confĂšre, lâaffir-mation de lâexistence dâune Conscience cosmique ou encore le fina-lisme, sous quelque forme que ce soit, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©scomme appartenant aux champs de pensĂ©e qui constituent habituel-lement la gnose. Toutefois, quand bien mĂȘme lâon pourrait parlerdâune idĂ©ologie pour dĂ©signer les propos de Ruyer ou de Jonas,force est bien de reconnaĂźtre que celle-ci nâest probablement pasaussi radicale que les principaux courants du gnosticisme. Ce sontplutĂŽt des orientations gĂ©nĂ©rales qui sâarticulent et sâaccordent avecdâautres opinions des sociĂ©tĂ©s contemporaines. Tel nâest pas le casdu troisiĂšme courant que je voudrais Ă©voquer ici, celui de lâĂ©cologieradicale.
Arne Naess et lâĂ©cologie radicale.
Il serait erronĂ© de « rĂ©duire » lâĂ©cologie radicale (appelĂ©e encoreĂ©cologie profonde, en anglais deep ecology) au seul Arne Naess ; jeme suis toutefois permis ce raccourci dans la mesure oĂč lâexpressionelle-mĂȘme a Ă©tĂ© proposĂ©e par ce philosophe norvĂ©gien dans unarticle intitulĂ© : « The Shallow and the Deep. Long-Range EcologyMovement. A Summary » 10. Dans ce texte, lâauteur distingue uneĂ©cologie dite « superficielle », uniquement prĂ©occupĂ©e par la luttecontre la pollution ou lâexploitation excessive des ressources ter-restres, et une Ă©cologie dite « radicale », ainsi dĂ©nommĂ©e Ă cause deson souci pour des intĂ©rĂȘts plus fondamentaux. Ă cette derniĂšre estliĂ©e une rĂ©flexion de type philosophique ou Ă©cosophie, « une philo-sophie de lâharmonie et de lâĂ©quilibre Ă©cologique 11 ».
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10. Dans Inquiry, 16 (1973) 1, p. 95-100. Je mâappuie, pour cette partie, surlâanalyse de Giovanni FILORAMO, « MĂ©tamorphoses dâHermĂšs. Le sacrĂ© Ă©sotĂ©-rique dâĂcologie profonde », publiĂ©e dans DaniĂšle HERVIEU-LĂGER (dir.), Reli-gion et Ăcologie, coll. « Sciences humaines et religions », Paris, Ăd. du Cerf,1993, p. 137-150.11. A. NAESS, op. cit., p. 99.
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Cette philosophie prĂ©sente des traits communs avec les courantsauxquels on peut rattacher Ruyer ou Jonas. Ainsi, pour ce qui est dela connaissance scientifique, lâĂ©cosophie est fondĂ©e sur une concep-tion de la science qui Ă©carte lâatomisme, le rĂ©ductionnisme ouencore lâinstrumentalisme de la science dite traditionnelle, pour pri-vilĂ©gier une approche holistique et symbiotique, intuitive et vision-naire, enfin finaliste. La communautĂ© de pensĂ©e avec Ruyer estassez Ă©vidente, de mĂȘme que la dette envers les travaux dâun FritjofCapra ou dâun David Bohm, quâils relĂšvent de la physique ou de lamĂ©taphysique ; de mĂȘme, le finalisme de la deep ecology nâest-il passans ressemblance avec celui de Jonas, dans une commune rĂ©fĂ©-rence Ă une vision organiciste du monde. Mais, ce qui caractĂ©riselâĂ©cosophie et lâĂ©cologie profonde, câest une sorte dâintensification,de radicalisation de ces diffĂ©rents aspects, en particulier dans leurdimension religieuse. En dâautres termes, il nâest pas exagĂ©rĂ© deparler dâun vĂ©ritable processus de sacralisation du monde.
Qui dit sacralisation, ne dit pas nĂ©cessairement ou uniquementretour, au sein des cultures occidentales, des anciens rites religieux« naturels », cosmolĂątriques ou non. Sans doute, Naess et ses amisnâhĂ©sitent pas Ă faire appel aux traditions cultuelles africaines ouamĂ©rindiennes, non pour revenir Ă lâĂąge de pierre, mais pour y trou-ver une source dâinspiration. Avec le chef Seattle, ils rĂ©affirmentque « la terre nâest pas faite pour lâhomme, mais lâhomme est faitpour la terre ». Comme dans lâapprĂ©hension magique de la naturequi Ă©tait celle de nos ancĂȘtres oĂč le numineux prenait une si grandeplace (pour reprendre les conclusions de Rudolf Otto), lâĂ©cosophiey voit un surdĂ©terminisme normatif : « il y a un ordre inhĂ©rent Ă lanature qui, bien que ne venant pas de nous, ne sâimpose pas moinsĂ nous 12 ». Ce faisant, la nature se voit confĂ©rer une valeur intrin-sĂšque et tous les ĂȘtres le statut de sujet de droit : le principe Ă©thiquede lâĂ©cologie radicale est avant tout un Ă©galitarisme biocentrique etholistique. Nul besoin de commenter longuement le rejet de touteforme dâanthropocentrisme qui est rattachĂ© Ă une telle idĂ©ologie.
Cette sacralisation possĂšde un autre aspect, plus esthĂ©tique pour-rait-on dire ; elle doit en effet conduire Ă une sorte de rĂ©enchante-ment de la rĂ©alitĂ©. Comme Ruyer, les « Ă©cosophes » voient en effetdans lâobservation et la contemplation de la nature une maniĂšre, une
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12. D. BOURG, op. cit., p. 34.
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voie de participation : lâauteur du Printemps silencieux, RachelCarson, parle ailleurs du « sens de lâĂ©merveillement », tandis queJohn Seed invite à « penser comme une montagne ». Câest Ă un vĂ©ri-table cheminement de croissance et de maturation spirituelle quâin-vite la deep ecology, de lâindividu comme de la sociĂ©tĂ©, au-delĂ dâunsentimentalisme superficiel. Naess lâavait Ă©voquĂ© dans son articlede 1973, mais Bill Devall et George Sessions lâont abondammentcommentĂ© : le principe de rĂ©alisation de soi, dâĂ©panouissement per-sonnel 13 occupe dĂ©sormais une place centrale, en Ă©cosophie ; il doittoutefois ĂȘtre correctement interprĂ©tĂ©. « Le vĂ©ritable travail, Ă©criventDevall et Sessions, peut ĂȘtre symboliquement rĂ©sumĂ© par la rĂ©alisa-tion du « soi-dans-le-Soi » oĂč « le-Soi » correspond Ă la totalitĂ© orga-nique » (p. 67), au fondement universel. Autrement dit, se rĂ©alisernâa pas de sens pour lâego isolĂ©, mais seulement au sein dâune iden-tification croissante et maximale du soi personnel avec ce « quelquechose qui est plus grand que leur ego » (p. 76), un Soi aux dimen-sions « ocĂ©aniques » (p. 76), cosmiques. Arne Naess prĂ©cise : « Entant quâĂ©cologistes radicaux, nous Ă©prouvons un plaisir naturel dansla diversitĂ©, aussi longtemps quâelle ne contient pas de formes intru-sives, comme la culture nazie, qui dĂ©truisent les autres » (p. 76).
Avec lâĂ©cologie profonde, retrouve-t-on tous les accents de lagnose ancienne ? Certes non. Quoi de commun, en effet, entre uneapparente sagesse de lâharmonie et de lâĂ©quilibre Ă©cologiques et undualisme entre lâhomme et le monde ? Comment accorder une placeĂ la faute ou Ă la chute, au rachat ou Ă la rĂ©demption, dans unevision essentiellement continue (pour reprendre lâexpression decreatio continua) du monde et de son histoire ? Pourtant, remarqueGiovanni Filoramo, lâĂ©cosophie nâest pas sans retrouver les Ă©chosdâune « perspective hermĂ©tique qui relie lâĂ©lĂ©ment divin prĂ©sentdans lâhomme Ă lâĂ©lĂ©ment divin prĂ©sent dans la Nature 14 » : quâilsâagisse dâune Conscience cosmique ou dâun Soi total, place estfaite Ă autre chose quâau seul ego humain. Une place tellementimportante quâelle finit par lâemporter sur les images dâharmonie et
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13. Voir le livre de Bill DEVALL et George SESSIONS, Deep Ecology, Salt LakeCity, Peregrine Smith Books, 1985. Les références de pages données entreparenthÚses dans cette partie renvoient au livre Deep Ecology.14. G. FILORAMO, op. cit., p. 138.
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dâĂ©quilibre : lâontologie non anthropocentrĂ©e de lâĂ©cologie radicaledevient aisĂ©ment un antihumanisme pratique. Il y a de fait un dua-lisme entre lâhomme et le monde, mais, cette fois, au profit dumonde, dans ce quâil possĂšde de « globalement » divin. Quitte Ă userdâune expression comme « nouvelle gnose », il nâest donc pas erronĂ©de parler dâĂ©lĂ©ments gnostiques Ă propos de lâĂ©cologie radicale.
Quâen est-il, alors, de la thĂ©ologie, face Ă ces courants liĂ©s Ă lafois Ă la gnose et Ă lâĂ©cologie ?
La théologie de la création en question.
Un constat immĂ©diat sâimpose : « Peu dâaspects de la foi chrĂ©-tienne, remarque Christoph ThĂ©obald, ont Ă©tĂ©, ces derniĂšres annĂ©es,autant interrogĂ©s que le « mystĂšre du monde », peu de parties de ladogmatique autant rĂ©amĂ©nagĂ©es que le traitĂ© de la crĂ©ation 15. » Lesraisons en sont multiples ; jâen retiendrai deux. La premiĂšre tient auprogrĂšs opĂ©rĂ© par les sciences contemporaines dans la comprĂ©hen-sion de lâunivers, de la vie et, enfin, de lâĂȘtre humain ; on se souvientque Freud a parlĂ© de trois rĂ©volutions successives, cosmologique,biologique et anthropologique, qui ont bouleversĂ© la conception queles sociĂ©tĂ©s et les personnes humaines avaient dâelles-mĂȘmes. Plusque jamais, la science, dans sa dĂ©marche comme dans ses rĂ©sultats,interroge les conceptions du monde et de son origine hĂ©ritĂ©es desgĂ©nĂ©rations antĂ©rieures, tant scientifiques que philosophiques etthĂ©ologiques, au point que sont apparus, au cours de la deuxiĂšmemoitiĂ© du XIXe siĂšcle, des mouvements dits crĂ©ationnistes, farou-chement opposĂ©s aux thĂšses Ă©volutionnistes et attachĂ©s Ă une lectureconcordiste de la Bible. Une deuxiĂšme raison tient Ă ce que lâondĂ©signe dĂ©sormais par les expressions de « crise Ă©cologique » ou de« prise de conscience Ă©cologique ». Quelles que soient les diffĂ©-rences entre les cultures dans leur apprĂ©hension de la nature, ellessont toutes confrontĂ©es aujourdâhui Ă une remise en cause de leursrelations avec lâenvironnement. Câest souvent par le biais de cetteproblĂ©matique que bon nombre de thĂ©ologiens contemporains en
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15. Christoph THĂOBALD, « La thĂ©ologie de la crĂ©ation en question. Un Ă©tat deslieux », RSR, 81 (1993) 4, p. 613.
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sont venus à « rĂ©amĂ©nager » le discours chrĂ©tien sur la crĂ©ation(voir, par exemple, JĂŒrgen Moltmann ou Alexandre Ganoczy).
Leur tĂąche est loin dâĂȘtre pour autant achevĂ©e. Si lâon sâen tientau seul domaine de lâĂ©cologie, les Ăglises, si elles ont su se rĂ©unir Ă plusieurs reprises (BĂąle, SĂ©oul) sur le thĂšme de lâĂ©cologie sontencore dans lâincapacitĂ© dâoffrir un message qui efface entiĂšrementles critiques lancĂ©es, il y a prĂšs de trente ans dĂ©jĂ , Ă lâencontre de latradition chrĂ©tienne et de son anthropocentrisme. Il en est de mĂȘme,du moins en partie, en ce qui concerne la prise en compte des thĂ©o-ries du big bang, de lâĂ©volution ou de la conscience, dans lâenjeu dela thĂ©ologie contemporaine qui est de « dire la crĂ©ation » : la ques-tion de lâorigine (Ă favoriser vis-Ă -vis de celle de commencement,les dĂ©bats autour de lâhistoricitĂ© des sept jours de la GenĂšse oudâAdam et dâĂve nâayant en fait quâun intĂ©rĂȘt second), celles de lafinalitĂ© ou encore du hasard restent largement ouvertes 16.
Gnose, écologie et foi chrétienne.
Ce qui prĂ©cĂšde ne permet Ă©videmment pas de bĂątir une thĂ©ologiede la crĂ©ation entiĂšrement nouvelle et « adaptĂ©e » aux propos de lascience contemporaine ; faut-il dâailleurs attendre cela dâun discoursthĂ©ologique ? Mais la lecture religieuse des propos Ă©cologiques ouconnexes, sur les rapports entre lâĂȘtre humain et la rĂ©alitĂ© qui lâen-vironne et quâil observe peut permettre de souligner ou de rappelerquelques caractĂ©ristiques propres Ă la foi chrĂ©tienne, Ă lâĂ©gard delâidĂ©e de crĂ©ation.
La premiĂšre concerne la juste comprĂ©hension de cette idĂ©e elle-mĂȘme. Pour la tradition judĂ©o-chrĂ©tienne, et contrairement auxthĂšmes de la procession, de lâĂ©manation ou de la transformation 17,la crĂ©ation dĂ©signe le pouvoir absolu par lequel Dieu promeut Ă
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16. Voir Jacques ARNOULD, La ThĂ©ologie aprĂšs Darwin, coll. « ThĂ©ologies »,Paris, Ăd. du Cerf, 1998.17. Il y a Ă©manation lorsquâun ĂȘtre tire de sa propre substance, Ă titre de rĂ©alitĂ©sĂ©parĂ©e, une substance semblable ou analogue, ou encore lorsque cet ĂȘtre pro-duit en lui-mĂȘme une nouvelle maniĂšre dâĂȘtre, Ă la fois distincte de lui-mĂȘme(il peut ĂȘtre sans elle) et indistincte (elle ne peut ĂȘtre supportĂ©e que par lui).Il y a transformation lorsquâun agent extĂ©rieur intervient pour changer lâĂ©tatdâun ĂȘtre.
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lâexistence et en dehors de lui, une rĂ©alitĂ© qui ne prĂ©existait enaucune maniĂšre. Relation singuliĂšre et, en mĂȘme temps, sĂ©parationstricte entre le CrĂ©ateur et chacune de ses crĂ©atures, qui est marquĂ©eau commencement par une crĂ©ation ex nihilo. Quand bien mĂȘme ilexisterait une forme de Conscience cosmique, universellementrĂ©pandue, elle ne saurait ĂȘtre assimilĂ©e au Dieu crĂ©ateur. Les anciensgnostiques lâavaient compris, eux qui croyaient en un Dieu trans-cendant qui sauverait lâĆuvre imparfaite dâun DĂ©miurge. Telle nâestpas la tradition chrĂ©tienne : câest le mĂȘme Dieu qui est crĂ©ateuret sauveur.
DĂšs lors, le salut ne peut pas correspondre Ă une fuite de la matĂ©-rialitĂ© ou encore Ă une fusion dans le Grand Tout : le salut« nâĂ©chappe » pas Ă la matiĂšre, elle aussi crĂ©ature de Dieu. Pour userdâun autre registre, le Christ ne sauve pas en sĂ©parant mais plutĂŽt enrĂ©capitulant. Les courants Ă©cologiques contemporains sont loindâavoir intĂ©grĂ© la richesse du thĂšme du Christ cosmique, tel que leXXe siĂšcle lâa redĂ©couvert 18.
Quant Ă la question de la finalitĂ©, face au nĂ©ofinalisme de HansJonas ou au dĂ©terminisme « biocentrique » de lâĂ©cologie profonde,la foi chrĂ©tienne place le sens de la rĂ©alitĂ© en Dieu seul ; selon lestermes de Jean LadriĂšre, il « introduit dans la nature non pas de nou-velles lois mais un sens que par elle-mĂȘme et en vertu de ses propreslois la nature nâavait pas 19 ». Ce qui, dans lâexpĂ©rience immĂ©diatedes choses et du temps laisse une place importante Ă lâĂ©vĂ©nement,ce « surgissement toujours advenant du monde, cette sorte de pulsa-tion instauratrice 20 » et, pourrait-on ajouter, Ă sa maniĂšre crĂ©atrice.
Vient enfin, et câest par lĂ que je conclurai ces lignes, la questiondu statut de lâhumanitĂ©. Ce statut est largement discutĂ© par les cou-rants tant gnostiques quâĂ©cologiques, pour ĂȘtre souvent dĂ©valorisĂ©,au nom de lâappartenance au monde spirituel ou Ă la communautĂ©des ĂȘtres qui composent la biosphĂšre. Sans doute, la tradition chrĂ©-tienne a-t-elle par le passĂ© trop facilement confondu singularitĂ© etdomination, oubliant par ailleurs que lâune comme lâautre nâavaient
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18. Voir Jacques ARNOULD, « Les derniers avatars du Christ cosmique », Trans-versalitĂ©s, 63 (1997), p. 229-245.19. Jean LADRIĂRE, « Le rĂŽle de la notion de finalitĂ© dans une cosmologiephilosophique », Revue Philosophique de Louvain, 67 (1969), p. 180.20. Jean LADRIĂRE, LâArticulation du sens. II. Les langages de la foi, coll.« Cogitatio Fidei » n° 125, Paris, Ăd. du Cerf, 1984, p. 298.
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de fondement que dans la toute-puissance crĂ©atrice et rĂ©demptricede Dieu. Sans doute aussi convient-il dâabandonner toute formedâanthropocentrisme spĂ©culatif pour prendre au sĂ©rieux lâanthro-pocentrisme pratique dont nous avons hĂ©ritĂ© de quatre siĂšcles deprogrĂšs 21. Nous nâavons pas Ă choisir entre la connaissance (techno-scientifique) et la contemplation (Ă©cologique) : le salut de lâhumanitĂ©nâest plus Ă acquĂ©rir par un surcroĂźt de maĂźtrise de la rĂ©alitĂ© ou parson abandon gĂ©nĂ©ralisĂ©. Il consiste plutĂŽt, pour le croyant, Ă faireconverger vers le Christ « les dĂ©sirs de lâhistoire et de la civilisation,le centre du genre humain, la joie de tous les cĆurs et la plĂ©nitudede leurs aspirations 22 ». Alors, au terme de lâhistoire, Dieu sera touten tous, la rĂ©demption de lâhumanitĂ© sâintĂ©grant Ă lâaccomplisse-ment de la crĂ©ation.
« Nous le savons en effet, toute la crĂ©ation jusquâĂ ce jour gĂ©miten travail dâenfantement. Et non pas elle seule : nous-mĂȘmes quipossĂ©dons les prĂ©mices de lâEsprit, nous gĂ©missons nous aussi intĂ©-rieurement dans lâattente de la rĂ©demption de notre corps. Carnotre salut est objet dâespĂ©rance ; et voir ce quâon espĂšre, ce nâestplus lâespĂ©rer : ce quâon voit, comment pourrait-on lâespĂ©rerencore ? Mais espĂ©rer ce que nous ne voyons pas, câest lâattendreavec constance. »
(Romains 8, 22-25)
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21. Avec Dominique BOURG (dans « Droits de lâhomme et Ă©cologie », Esprit,185 (1992) 10, p. 80-94), je distingue lâanthropocentrisme spĂ©culatif (ourevendicatif, mais le plus souvent sans rĂ©el effet) de lâanthropocentrisme pra-tique qui est la reconnaissance de la responsabilitĂ© que lâhumanitĂ© a acquise,au long de son histoire, vis-Ă -vis dâune biosphĂšre devenue progressivementson environnement.22. Constitution pastorale Gaudium et spes, n° 45.
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1. La situation présente.
RĂ©volution mondiale de lâĂąme, tel est le titre inhabituel dâunouvrage de rĂ©fĂ©rence sur la gnose de lâAntiquitĂ© tardive Ă nos jours 1.Les textes prĂ©sentĂ©s tĂ©moignent de ce que la gnose (savoir, connais-sance et science des secrets divins rĂ©servĂ©s Ă une Ă©lite 2) nâest passeulement un enseignement, un mouvement de libĂ©ration religieuseou une attitude du passĂ©, mais bien quelque chose dâactuel. DĂšs lors,la question peut ĂȘtre posĂ©e de la maniĂšre suivante : comment lâĂglisepeut-elle rĂ©agir Ă ce rĂ©veil de la gnose qui se manifeste de maniĂšresi diverse ? Les peuples, ceux tout au moins dâEurope et des Ătats-Unis dâAmĂ©rique, vivent dans une Ă©poque de rupture sociale et cultu-relle. Nous sommes passĂ©s dâune sociĂ©tĂ© industrielle Ă une sociĂ©tĂ©de lâinformation et du savoir (Internet). Un chapitre de cet ouvragesâintitule : « Lâautodivinisation gnostique du savoir ». La sciencedâun Nouvel Age accĂšde au rang de religion nouvelle 3. Ce qui estplus prĂ©occupant encore pour lâĂglise, câest cette religiositĂ© nouvelle,
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Michaël FIGURA
LâĂglise face au dĂ©firenouvelĂ© de la gnose
et du gnosticisme
1. Peter Sloterdijk und Thomas H. Macho (Hg), Weltrevolution der Seele. EinLese- und Arbeitsbuch der Gnosis von der SpĂ€tantike bis zur Gegenwart,ZĂŒrich, 1993.2. Voir Clemens Scholten, Gnosis II : Alte Kirche, in LThK IV, 1995, Sp. 804.3. Voir Norbert Brox, Erleuchtung und Wiedergeburt. AktualitĂ€t der Gnosis,MĂŒnchen, 1989, 7.
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non liĂ©e Ă elle, et qui choisit, parmi les diffĂ©rentes offres du marchĂ©mondial, lâoption religieuse qui rĂ©pond au goĂ»t propre de chacun.
Face Ă ce dĂ©fi renouvelĂ© par les diffĂ©rentes tendances et courantsgnostiques de notre Ă©poque, lâĂglise ne part pas de zĂ©ro. DĂ©jĂ lapremiĂšre ĂpĂźtre de Saint Jean, pour ne sâen tenir quâĂ un documentclassique du Nouveau Testament, combat les hĂ©rĂ©sies docĂ©tistes etgnostiques 4. Câest au deuxiĂšme siĂšcle que le dĂ©bat du premierchristianisme avec la gnose atteint son point maximal, comme lemontre lâĆuvre principale dâIrĂ©nĂ©e de Lyon, Contre les hĂ©rĂ©sies.Mais ce dĂ©bat de lâĂglise avec les mouvements gnostiques dut sepoursuivre aussi plus tard. Elle a ainsi accumulĂ© un tel trĂ©sor de foi,de sagesse spirituelle, et de force exemplaire quâelle peut sereine-ment rĂ©pondre au dĂ©fi renouvelĂ© de la gnose et du gnosticisme.Lorsque la jeune Ăglise combat la gnose et le gnosticisme, elle rĂ©agitpar lâĂ©tablissement du canon de lâĂcriture sainte, par la regula fideiou regula veritatis, la succession apostolique dans lâĂpiscopat. Cesont ces pieux profondĂ©ment plantĂ©s qui dĂ©terminent encore mainte-nant lâattitude de lâĂglise par rapport Ă ce nouveau rĂ©veil de la gnose.Le dĂ©bat actuel avec la nouvelle gnose est avant tout dĂ©terminĂ© parla signification que lâon donne Ă JĂ©sus Christ, Ă la figure humaine duChrist, au concept de RĂ©vĂ©lation, Ă la question des limites du savoir,au nouvel attrait de la doctrine de la rĂ©incarnation, Ă une comprĂ©hen-sion nouvelle des relations entre mystique et mĂ©ditation. Ces champsproblĂ©matiques, dans lesquels ne sâĂ©puise pas la nouvelle gnose, doi-vent ĂȘtre pensĂ©s comme des dĂ©fis posĂ©s Ă lâĂglise de notre temps.
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4. Pour rĂ©sumer, les docĂ©tistes (IIe et IIIe siĂšcles) pensaient que le Christ nâavaitquâune apparence (dokein, sembler) humaine. La gnose est une doctrine nonspĂ©cifiquement religieuse qui propose un salut fondĂ© sur une connaissance(gnĂŽsis) Ă©sotĂ©rique rĂ©servĂ©e Ă une Ă©lite ; ce salut ne peut ĂȘtre obtenu quâĂ lacondition de fuir le monde crĂ©Ă©, car la gnose considĂšre que la crĂ©ation estlâĆuvre du Mal et non lâĆuvre de Dieu. La gnose refuse ainsi lâIncarnation, etle salut par un Christ incarnĂ©. Le gnosticisme dĂ©signe plutĂŽt les hĂ©rĂ©sies chrĂ©-tiennes issues de la gnose. Les manichĂ©ens du IIIe siĂšcle, les bogomiles balka-niques des Xe-XIIe siĂšcles ou les cathares des XIe-XIIIe siĂšcles appartiennent Ă cemĂȘme courant. Il convient Ă©videmment de rappeler que le terme de gnosedĂ©signe historiquement la fausse connaissance sur Dieu, quand lâĂglise pro-pose, elle, la vĂ©ritable connaissance de Dieu par le Christ dans lâEsprit (N.d.T.).Sur lâusage de 1 Jean contre la gnose et le gnosticisme, voir Rudolf Schnac-kenburg, Die Johannesbriefe, Freiburg i. Brisgau, 1979, 15-23 ; Hans-JosephKlauck, Der erste Johannesbrief, ZĂŒrich-Neukirchen-Vluyn, 1991, 34-42.
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2. Les problÚmes posés par la gnose et le gnosti-cisme contemporains.
1. LâhumanitĂ© et lâhistoricitĂ© de JĂ©sus Christ
Dans le Nouveau Testament, la signification de lâhumanitĂ© et delâhistoricitĂ© de JĂ©sus Christ comme antidote Ă la pensĂ©e gnostiqueest clairement perceptible dans la premiĂšre ĂpĂźtre de Saint Jean.Face aux hĂ©rĂ©sies gnostique ou docĂ©tiste, qui tiennent lâhumanitĂ© deJĂ©sus pour nĂ©gligeable, ce texte nous donne des connaissanceschristologiques prĂ©cises par rapport Ă la croissance humaine deJĂ©sus et Ă sa mort sanglante sur la croix, afin de souligner lâhuma-nitĂ© et lâhistoricitĂ© rĂ©elles du Christ. Le texte dĂ©cisif de ce point devue est 1 Jean, 4, 2 et suivants : « Tout esprit qui confesse JĂ©susChrist venu dans la chair est de Dieu, et tout esprit qui ne reconnaĂźtpas [ou, dans une leçon primitive, qui divise (luei)] JĂ©sus nâest pasde Dieu ». Le JĂ©sus historique est ici indissolublement compris dansla confession de foi au Christ. Les gnostiques semblent avoir aussirefusĂ© le sang rĂ©dempteur du Christ, car 1 Jean 5, 6 souligne avecinsistance que JĂ©sus Christ nâest pas venu avec lâeau seulement, maisavec lâeau et le sang. Le refus gnostique du sang du Christ JĂ©susrencontre la doctrine christique du salut, particuliĂšrement la doctrinedu pĂ©chĂ© et de lâexpiation (entendue comme purification).
Ignace dâAntioche (premiĂšre moitiĂ© du second siĂšcle) combat luiaussi, dans les sept lettres quâon lui attribue, les hĂ©rĂ©tiques docĂ©-tistes, qui ne prennent au sĂ©rieux ni lâhumanitĂ© de JĂ©sus, ni sa venuedans la chair. Ils ne le reconnaissent pas comme sarcoforos, porteurde chair (Smyr, 5, 2). Ignace insiste de maniĂšre dĂ©cisive et pour desraisons sotĂ©riologiques sur la nature charnelle de la personnehumaine et divine de JĂ©sus Christ. Ce nâest quâainsi que noussommes dĂ©livrĂ©s. JĂ©sus Christ « fut vraiment clouĂ© pour nous danssa chair, dont il fit le fruit (dont nous sommes issus) librement offertĂ Dieu » (Smyr, 1, 2).
Mais notre Ă©poque nâest peut-ĂȘtre plus tant marquĂ©e par unechristologie docĂ©tiste ou gnostique 5. De plus en plus, beaucoup dechrĂ©tiens et de non-chrĂ©tiens sont fascinĂ©s par le JĂ©sus terrestre,notre frĂšre et ami, par ses paroles et par ses actes, par son engage-ment en faveur des abandonnĂ©s et des exclus.
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5. Voir Ulrich MĂŒller, Die Menschwerdung des Gottessohnes. FrĂŒhchristlicheInkarnationsvorstellungen und die AnfĂ€nge des Doketismus, Stuttgart, 1990.
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Pourtant, maints phĂ©nomĂšnes Ă lâintĂ©rieur et Ă lâextĂ©rieur duchristianisme ecclĂ©sial semblent trahir des tendances gnostiques.Il y a une sorte de piĂ©tĂ© christique, voire de mystique chrĂ©tiennepour lesquelles le Christ est une figure du salut qui ressemble enbien des traits au sauveur gnostique 6. Ce nâest pas un hasard si lesodes de Salomon 7, dâinfluence gnostique, inspirent aujourdâhui lapiĂ©tĂ© de nombreux chrĂ©tiens. Ce qui engage auprĂšs de JĂ©sus etattache Ă lui, câest le chemin de la RĂ©demption, qui conduit Ă lâunitĂ©de lâĂąme avec Dieu. Le JĂ©sus historique et terrestre devient unsimple schĂšme. Il devient un prototype de lâĂąme qui veut trouverson chemin vers le salut, un Guide vers le salut, dâoĂč affluent pourchacun lumiĂšre et force, joie et paix. Il nây aurait rien Ă redire si uncritĂšre de sĂ©lection typiquement gnostique ne sây trouvait cachĂ©. DuJĂ©sus terrestre, chacun ne reconnaĂźt souvent que ce qui sâajuste auxrails de ses propres pensĂ©es. Lâautre aspect du JĂ©sus historique, sacritique dâune piĂ©tĂ© lĂ©galiste et Ă©gocentrĂ©e, tout comme ses exi-gences critiques envers la sociĂ©tĂ©, ne sâadaptent que malaisĂ©ment Ă une christologie gnostique.
LâĂglise est toujours tenue de se conformer Ă lâĂvangile du Christet de le rendre fĂ©cond pour le temps prĂ©sent. Ă cette fin, elle doitannoncer la totalitĂ© du mystĂšre du Christ, la vĂ©ritable divinitĂ© ethumanitĂ© de JĂ©sus Christ, sa souffrance, sa mort sur la croix et saRĂ©surrection. Par sa mort pour nous, il nous a libĂ©rĂ©s du pĂ©chĂ© et dela mort, et par sa RĂ©surrection, nous indique le chemin nouveau versla vie. En cherchant le sens de sa vie, le chrĂ©tien doit rencontrer leChrist intĂ©gral, tel que lâannonce lâĂglise 8. « En rĂ©alitĂ©, le mystĂšrede lâhomme ne sâĂ©claire vraiment que dans le mystĂšre du VerbeincarnĂ©. (...) Nouvel Adam, le Christ, dans la rĂ©vĂ©lation mĂȘme dumystĂšre du PĂšre et de son amour, manifeste pleinement lâhomme Ă lui-mĂȘme et lui dĂ©couvre la sublimitĂ© de sa vocation » (Gaudium etspes, § 22). Le difficile dĂ©fi auquel est confrontĂ©e lâĂglise aujour-dâhui â comme au deuxiĂšme siĂšcle â consiste Ă se dĂ©fendre dâunechristologie sĂ©lective dans laquelle chacun nâaccepte du Christ quece qui sâadapte Ă sa propre conception de la vie. AssurĂ©ment, il y a
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6. Hans-Joseph Klauck, Die religiöse Umwelt des Urchristentums II, Stuttgart,1996, 174-180.7. Oden Salomos, ĂŒbersetzt u. eingeleitet v. Michael Lattke, Freiburg i. Brisgau,1995.8. Katechismus der Katholischen Kirche, MĂŒnchen, 1993, n° 389-682.
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pour le chrĂ©tien diffĂ©rentes voies dâaccĂšs au Christ JĂ©sus et diffĂ©-rents traits de sa vie terrestre qui le touchent particuliĂšrement. Maistout doit en dernier lieu ĂȘtre situĂ© dans la totalitĂ© du mystĂšre duChrist, car ce nâest que le mystĂšre tout entier qui possĂšde une forcelibĂ©ratrice.
2. La figure humaine du Christ
On cite souvent comme dĂ©finition de la gnose la phrase de ThĂ©odoteque lâon trouve chez ClĂ©ment dâAlexandrie (vers 200 aprĂšs J.-C.)dans les Extraits de ThĂ©odote, recueil de paroles de diffĂ©rentsmaĂźtres gnostiques : « Qui Ă©tions-nous ? Que sommes-nous deve-nus ? OĂč sommes nous jetĂ©s ? Dans quelle direction nous hĂątons-nous ? De quoi sommes-nous libĂ©rĂ©s ? Quâest-ce que naissance, etnouvelle naissance ? » 9. Ce ne sont pas ces questions en soi, maisles rĂ©ponses qui leur sont apportĂ©es, ou plutĂŽt lâĂ©tat dâesprit fonda-mental qui les inspire qui dĂ©finissent la gnose. Que cet Ă©tat dâespritfondamental ne soit pas si Ă©tranger que cela Ă lâhomme dâaujour-dâhui, câest ce que montre un aperçu dâun livre culte de la fin desannĂ©es soixante. Ernst Bloch commence son Ćuvre majeure Le Prin-cipe espĂ©rance par les questions suivantes, semblables Ă celles deThĂ©odote : « Qui sommes-nous ? DâoĂč venons-nous ? OĂč allons-nous ? Quâest-ce qui nous attend ? Quâattendons-nous ? » 10. Le sen-timent de peur, le sentiment dâĂȘtre menacĂ© dans le monde dominedans une large mesure la gnose dâhier et dâaujourdâhui. Le mondeprĂ©sent est Ă©prouvĂ© comme un pays Ă©tranger dans lequel lâhommesâest Ă©garĂ© et dont il doit partir pour regagner lâautre monde, patriede ses origines. Le chemin qui y conduit se nomme gnose, connais-sance, comprĂ©hension du vĂ©ritable contenu des choses, de lâĂȘtrevĂ©ritable des objets. Une comprĂ©hension nĂ©gative du monde, unrapport nĂ©gatif Ă celui-ci tout comme lâaspiration Ă en ĂȘtre dĂ©livrĂ©constituent les expĂ©riences fondamentales des gnostiques. LâĂgliseest aujourdâhui, comme Ă toutes les Ă©poques, mise au dĂ©fi de rĂ©pondreaux anciennes et nouvelles questions gnostiques fondamentales quiconcernent la RĂ©vĂ©lation. Il sâagit tout particuliĂšrement de restaurerla dignitĂ© de lâhomme crĂ©Ă© Ă lâimage de Dieu. Câest dans cet ĂȘtre Ă lâimage de Dieu que se trouve ancrĂ©e lâinviolable dignitĂ© de lâhomme.
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9. Excerpta ex Theodoto, 78, 2 (GCS, 172, 131, 17-19).10. Ernst Bloch, Das Prinzip Hoffnung, Bd, 1, Frankfurt a. M., 1967, 1.
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Contre un dualisme platonicien qui dĂ©value le corps et qui estaussi prĂ©sent dans la gnose, lâĂglise souligne lâunitĂ© de lâhomme :« Corps et Ăąme, mais vraiment un, lâhomme est, dans sa conditioncorporelle mĂȘme, un rĂ©sumĂ© de lâunivers des choses qui trouventainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur CrĂ©ateur(Daniel, 3, 57-90). Il est donc interdit Ă lâhomme de dĂ©daigner la viecorporelle. Mais, au contraire, il doit estimer et respecter son corpsqui a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour. Toute-fois, blessĂ© par le pĂ©chĂ©, il ressent en lui les rĂ©voltes du corps. Câestdonc la dignitĂ© mĂȘme de lâhomme qui exige de lui quâil glorifieDieu dans son corps, sans le laisser asservir aux mauvais penchantsde son cĆur » 11.
Ă partir de la RĂ©vĂ©lation, lâĂglise peut aussi rĂ©pondre aux ques-tions du sens de la vie humaine et de ce dont nous sommes libĂ©rĂ©s.Le sens de la vie humaine consiste en une vie humaine comblĂ©e,ancrĂ©e dĂ©jĂ ici-bas dans une communion avec Dieu et avec leshommes. La communion avec Dieu nâest pas quelque chose qui nese produira quâau-delĂ de la mort ; elle est dĂ©jĂ la rĂ©alitĂ© dĂ©termi-nante de notre vie. Par le baptĂȘme, nous participons dĂ©jĂ Ă cettecommunion avec Dieu par le Christ dans lâEsprit, mĂȘme si elle nâat-teindra son entiĂšre plĂ©nitude que dans la gloire cĂ©leste.
La figure humaine du Christ, que lâĂglise dĂ©fend contre des ten-dances gnostiques, part de JĂ©sus Christ, perfection achevĂ©e delâhomme et en mĂȘme temps vrai Dieu. Câest de lui que les vieillesquestions gnostiques de lâorigine et de la destinĂ©e de lâhommereçoivent une rĂ©ponse de foi. Car câest en JĂ©sus Christ que Dieu,avant la CrĂ©ation du monde, nous a choisis et destinĂ©s Ă la RĂ©demp-tion, qui fait de nous son bien propre (ĂphĂ©siens 1, 3-14).
3. Réincarnation et christologie chrétienne
La doctrine de la rĂ©incarnation, prĂ©sente dans lâhindouisme et lebouddhisme, mais aussi chez les Pythagoriciens, Platon, lâhellĂ©-nisme et les gnostiques (Basilide), rencontre aujourdâhui de plus enplus dâadeptes. DâoĂč vient que cette croyance, dâaprĂšs laquelle nousaurions dĂ©jĂ vĂ©cu une ou plusieurs fois et reviendrions vivre aprĂšsla mort, attire beaucoup dâhommes de notre Ă©poque ? Ă la diffĂ©rencedes religions extrĂȘme-orientales, dans lesquelles il sâagit de libĂ©rer
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11. Gaudium et spes, 14.
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lâĂąme du cycle des nouvelles naissances, la rĂ©incarnation est comprisepar ses adeptes europĂ©ens comme une image de lâespĂ©rance 12. EndĂ©pit de lâallongement considĂ©rable de la vie humaine, lâidĂ©e delâunicitĂ© de la vie humaine reste pourtant inacceptable pour unadepte de la rĂ©incarnation. La rĂ©incarnation offre la possibilitĂ© dâunerĂ©alisation progressive de soi et devient un chemin dâautorĂ©demp-tion graduelle. Le prĂ©sent intĂ©rĂȘt pour la rĂ©incarnation a des racinesdiverses : la rencontre des religions orientales, lâanthroposophie deRudolf Steiner (1861-1925), les rĂ©cits de personnes qui, dans un Ă©tatdâhypnose, se sont souvenues dâune vie antĂ©rieure. Les personnescliniquement mortes qui se sont rĂ©veillĂ©es Ă la vie passent poursâĂȘtre remĂ©morĂ© plusieurs morts, plusieurs naissances et plusieursvies antĂ©rieures 13.
Le christianisme a constamment refusĂ© lâidĂ©e de la rĂ©incarnation.Dans ce refus, câest la figure humaine du Christ qui joua le plusgrand rĂŽle, avec aussi les paroles de saint Paul : « Et comme le sortdes hommes est de mourir une seule fois, aprĂšs quoi vient le juge-ment, ainsi le Christ fut offert une seule fois pour enlever les pĂ©chĂ©sde la multitude » (HĂ©breux, 9, 27) 14. Saint Paul Ă©tablit ici un paral-lĂšle entre lâunicitĂ© de la vie humaine et lâunicitĂ© du sacrifice duChrist. Lâanthropologie, la sotĂ©riologie et lâeschatologie chrĂ©tiennessont dĂ©terminĂ©es par cet hapax (une seule fois pour toujours).
Ce refus de la rĂ©incarnation est justifiĂ© par les idĂ©es suivantes,que lâĂglise doit clairement mettre en Ă©vidence dans son dĂ©batactuel avec les gnostiques. DâaprĂšs la conception chrĂ©tienne,lâhomme tout entier, qui est « un dans son corps et dans son Ăąme »(Gaudium et spes, 14), a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par Dieu. Dieu lâa destinĂ© Ă la vieĂ©ternelle, maintenant dĂ©jĂ , par son Ăąme immortelle (ordre de la crĂ©a-tion), par la foi et par le baptĂȘme (ordre de la grĂące), et Ă la fin destemps, par la rĂ©surrection de la chair et des morts, au retour duChrist. Mais puisque lâhomme est, corps et Ăąme, une crĂ©ature de
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12. Christoph Schönborn, Existenz im Ăbergang. Pilgerschaft, Reinkarnation,Vergöttlichung, Einsiedeln/Trier, 1987, 122-127.13. Reinhart Hummel, Kult statt Kirche, Wurzeln und Erscheinungsformenneuer ReligiositĂ€t auĂerhalb und am Rande der Kirchen, in GĂŒnter Baadte/Anton Rauscher (Hg.), Neue ReligiositĂ€t und sĂ€kulare Kultur, Graz/Wien/Köln, 1988, 43-61 (Bibl.).14. Voir aussi Lumen Gentium, 48, 4.
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Dieu, il a aussi Ă©tĂ© voulu par Dieu comme cette personne dĂ©termi-nĂ©e, dotĂ©e de ses qualitĂ©s propres dans cette Ă©poque concrĂšte. Lâuni-citĂ© de la personne contredit la pluralitĂ© des rĂ©incarnations. LamisĂšre et la grandeur de lâhomme, câest quâil doive, dans sa vieunique, prendre une dĂ©cision dĂ©finitive : quâil opte pour ou contreDieu quâil rencontre dans le Christ et dans lâĂglise. Ă ceux quinâont pas rencontrĂ© le Christ, Dieu rĂ©serve les chemins sur lesquelsson salut leur sera accordĂ© 15. La signification unique de JĂ©susChrist dans lâanthropologie, la sotĂ©riologie et lâeschatologie chrĂ©-tiennes est un Ă©lĂ©ment important dans le dĂ©bat qui les oppose Ă ladoctrine de la rĂ©incarnation. Saint Paul rĂ©sume une expĂ©rienceimportante du christianisme dans la phrase suivante : « Car pourmoi, le Christ est la vie et mourir mâest un gain » (Philon 1, 21). Lavie est dĂ©terminĂ©e par le Christ, mais aussi la mort. Pour saint Paul,la vie et la mort ne sont pas en soi si dĂ©cisives. Ce qui est pour luidĂ©cisif, câest de savoir pour qui nous vivons et pour qui nous mou-rons : « Nul dâentre nous ne vit pour soi-mĂȘme, comme nul ne meurtpour soi-mĂȘme ; si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, si nousmourons, nous mourons pour le Seigneur. Que nous vivions ou quenous mourions, nous appartenons au Seigneur » (Romains 14, 7-8).
La doctrine de la rĂ©incarnation nâa de ce fait aucune place dans lechristianisme, car elle contredit les convictions essentielles de la foide lâĂglise. Qui a trouvĂ© le Christ a aussi trouvĂ© le sens et le but desa vie. Il ne pourrait pas trouver un meilleur sens ou un meilleur butĂ sa vie dans des rĂ©incarnations rĂ©pĂ©tĂ©es. Câest ce que garantissentau moins deux paroles de lâĂvangile de saint Jean : « Celui qui vientĂ moi, je ne le rejetterai pas » (Jean 6, 37) ; « quand jâaurai Ă©tĂ© Ă©levĂ©de terre, jâattirerai tous les hommes » (Jean 12, 32).
4. La méditation sur le Christ et la nouvelle gnose
Sous le vocable de « nouvelle gnose », on dĂ©signe des mouve-ments actuels dâĂ©sotĂ©risme et de mysticisme de la nature que lâonpeut rassembler sous le terme plus large de « New-Age » 16. Cette
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15. Michael Figura, AuĂerhalb der Kirche kein Heil ?, in : ThPh 59 (1984),560-572.16 Voir Medard Kehl, Gnosis, 2, Neognosis und Christentum, in Hans Gasper/Joachim MĂŒller/Friedericke Valentin (Hg.), Lexikon der Sekten, Sondergrup-pen und Weltanschauungen, Freiburg i. Brisgau, 1990, 388-393.
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nouvelle gnose est Ă©galement dĂ©terminĂ©e par diffĂ©rents courants dela mĂ©ditation et de la mystique qui prennent leur source hors duChrist 17. Sous la forme dâune mystique panthĂ©iste de la nature oudu cosmos, par une descente dans son propre moi et par le moyende lâexpĂ©rience personnelle, certains cherchent Ă se libĂ©rer de mul-tiples expĂ©riences sociales et personnelles malheureuses. Pour lanouvelle gnose, câest lâexpĂ©rience personnelle qui est caractĂ©ris-tique. Elle va de pair avec lâexpĂ©rience qui revient Ă sâĂ©prouverinclus dans un cosmos que lâon a divinisĂ©. Ă cette attitude est liĂ©un refus de la foi de lâĂglise, de la confiance en la parole de Dieu eten la RĂ©vĂ©lation divine par laquelle Dieu lui-mĂȘme se proclame lecentre de la vie de lâhomme. Les dogmes, dans lesquels lâĂglise for-mule sa foi, sont aussi pour la nouvelle gnose quantitĂ© nĂ©gligeable.
La foi est liĂ©e Ă des expĂ©riences que le croyant rencontre sur sonchemin de foi. Mais il y a aussi dans la foi un surcroĂźt dâactiondivine et de coopĂ©ration humaine qui nâest pas accessible Ă lâexpĂ©-rience, comme le fait de se trouver dans la grĂące sanctifiante.
LâĂglise prend au sĂ©rieux le besoin dâexpĂ©rience. Elle peut indi-quer Ă cette occasion le riche trĂ©sor de la mystique chrĂ©tiennecomme cognitio experimentalis. Mais elle doit en mĂȘme temps sou-ligner clairement que la mĂ©ditation et la mystique reprĂ©sentent unapprofondissement de la RĂ©vĂ©lation, dans laquelle Dieu ne dĂ©voilepas des vĂ©ritĂ©s individuelles, mais dans laquelle il sâannonce Lui-mĂȘme. Dieu, dans sa sagesse et sa bontĂ©, a dĂ©cidĂ© de se rĂ©vĂ©lerLui-mĂȘme et dâannoncer le mystĂšre de Sa volontĂ©. Dans cette RĂ©vĂ©-lation, le Dieu invisible, dĂ©bordant dâamour, sâadresse aux hommescomme Ă Ses amis et converse avec eux pour les inviter Ă entrerdans Sa communion et les y accepter.
Le texte de la CongrĂ©gation pour la doctrine de la foi, adressĂ© auxĂ©vĂȘques de lâĂglise catholique et portant sur quelques aspects de lamĂ©ditation chrĂ©tienne (15.10.1989), parle de quelques formes dĂ©fec-tueuses de priĂšre et nomme Ă cette occasion la pseudognose et lemessalianisme 18.
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17. Voir Joseph Sudbrack, Neue ReligiositĂ€t - Herausforderung fĂŒr die Christen,Mainz, 1987 ; Die vergessene Mystik und die Herausforderung des Christen-tums durch New-Age, WĂŒrzburg, 1988 ; GĂŒnther Schiwy, Der Geist des NeuenZeitalters. New-Age-SpiritualitĂ€t und Christentum, MĂŒnchen, 1987.18. Mot formĂ© Ă partir du participe syriaque qui signifie prier. Ces prieursfurent accusĂ©s dâĂȘtre des dĂ©bauchĂ©s, ou des agitĂ©s, ou encore des enthousiastes.On leur reprochait de sâĂ©carter des normes sociales en permettant aux hommes
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3. Jésus Christ comme le Chemin, la Vérité et la Vie(Jean 14, 6).
La nouvelle gnose â anthroposophie, New-Age, religions extrĂȘme-orientales â constitue un dĂ©fi pour lâĂglise : jusquâoĂč est-ellecapable de tirer de son dĂ©pĂŽt de foi une rĂ©ponse convaincante pourrĂ©pondre Ă des questions nouvelles dans les domaines de la christo-logie, de lâanthropologie, de lâeschatologie, de la mystique, voire dela mĂ©ditation ? Elle ne le pourra quâĂ la condition de fixer les yeuxsur JĂ©sus qui est le Chemin, la VĂ©ritĂ© et la Vie, et de se laisser indi-quer par Lui les rĂ©ponses aux questions dĂ©cisives quâelle doit for-muler dâune maniĂšre nouvelle pour notre temps.
(Traduit de lâallemand par Nicolas Aumonier.Titre original : Erneute Herausforderung der Kirche durch Gnosis
und Gnostizismus.)
MichaĂ«l Figura est nĂ© en 1943 Ă Glisswitz. Il a fait ses Ă©tudes de thĂ©ologie Ă Mayence, Rome et Fribourg. OrdonnĂ© prĂȘtre en 1969, il est secrĂ©taire de laCommission pour la foi au sein de la ConfĂ©rence Ă©piscopale allemande, etmembre du ComitĂ© de rĂ©daction de la Communio allemande.
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et aux femmes de vivre ensemble et de ne pas travailler. Cette hĂ©rĂ©sie, princi-palement orientale (Ăgypte, Antioche,...), dĂ©pourvue de chef de file, apparutdĂšs la IIe moitiĂ© du IVe siĂšcle. Elle fut condamnĂ©e en 381 par un synode tenu Ă Antioche puis au concile dâĂphĂšse en 431 (N.d.T.).
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DANS la conscience de lâhumanitĂ© dâaujourdâhui, la libertĂ©apparaĂźt comme le bien suprĂȘme, auquel tous les autres sontsubordonnĂ©s. Dans la lĂ©gislation, on a donnĂ© Ă la libertĂ© de
crĂ©ation et Ă la libertĂ© dâexpression la prĂ©sĂ©ance sur toutes les autresvaleurs. Des valeurs qui sont en concurrence avec la libertĂ© et peu-vent nĂ©cessiter une limitation de celle-ci apparaissent comme desentraves, des « tabous », câest-Ă -dire des reliquats dâinterdits ou depeurs archaĂŻques. Lâaction politique se doit de toujours favoriser lalibertĂ©. La religion elle-mĂȘme ne peut se mettre en valeur quâen tantque facteur de libĂ©ration pour lâhomme et lâhumanitĂ©. Sur lâĂ©chelledes valeurs, la libertĂ© apparaĂźt comme la valeur par excellence et ledroit fondamental de lâhomme
Face Ă ces prĂ©supposĂ©s, nous considĂ©rons le concept de vĂ©ritĂ©plutĂŽt avec mĂ©fiance : on se souvient que nombre de pensĂ©es et desystĂšmes ont revendiquĂ© pour eux ce concept de vĂ©ritĂ© ; trop sou-vent lâaffirmation de la vĂ©ritĂ© a Ă©tĂ© un moyen pour opprimer lalibertĂ©. Ă cela sâajoute le scepticisme, nourri par les sciences natu-relles, envers tout ce qui Ă©chappe Ă lâexplication ou Ă la preuveexactes.Il semble quâil nây ait plus lĂ quâune apprĂ©ciation subjec-tive, qui ne peut plus prĂ©tendre Ă une obligation universelle. Câest lemot de Pilate qui exprime le mieux lâattitude moderne : « quâest-ceque la vĂ©ritĂ© ? ». Celui qui affirme ĂȘtre au service de la vĂ©ritĂ© par sesparoles et par ses actes doit sâattendre Ă ĂȘtre traitĂ© de fou ou de fana-tique. Car « le regard vers lâau-delĂ nous est fermĂ© ». Cette parole deGoethe, dans Faust, caractĂ©rise notre sensibilitĂ© moderne.
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Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
Cardinal Joseph RATZINGER
Liberté et Vérité
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Quâest-ce que la libertĂ© ?
Il y a sans aucun doute de bonnes raisons, devant toute manifes-tation dâun pathos de la vĂ©ritĂ©, de demander avec circonspection :quâest-ce que la vĂ©ritĂ© ? Mais il existe autant de bonnes raisons dedemander : quâest-ce que la libertĂ© ? Que pensons-nous vraimentlorsque nous glorifions la libertĂ© et que nous la plaçons au sommetde notre Ă©chelle de valeur ? Je crois que ce qui est gĂ©nĂ©ralementcontenu dans lâexigence de libertĂ© est exposĂ© de façon trĂšs juste parKarl Marx lorsquâil exprime son rĂȘve de libertĂ©. Dans la sociĂ©tĂ©communiste, il deviendra possible de « faire ceci aujourdâhui, etcela demain, chasser le matin, pĂȘcher lâaprĂšs-midi, le soir faire delâĂ©levage, et se livrer Ă la critique aprĂšs le dĂźner, exactement commejâen ai envie » 1. Câest prĂ©cisĂ©ment ainsi que le sens commun non-rĂ©flĂ©chi comprend, sous le mot de libertĂ©, le droit et la possibilitĂ© defaire tout ce que nous souhaitons et de ne pas devoir faire ce quenous ne voulons pas. Autrement dit, la libertĂ© signifierait que lavolontĂ© individuelle est la seule norme de notre action, que la volontĂ©peut tout vouloir et a la possibilitĂ© de rĂ©aliser tout ce quâelle a voulu.Ceci amĂšne dâautres questions : dans quelle mesure la volontĂ© est-elle vraiment libre ? Dans quelle mesure est-elle rationnelle ? Etpuis : une volontĂ© non rationnelle est-elle vraiment une volontĂ©libre ? Une libertĂ© non rationnelle est-elle vraiment libertĂ© ? Est-ellevraiment un bien ? La dĂ©finition de la libertĂ© comme possibilitĂ© devouloir et de faire ce qui a Ă©tĂ© voulu ne doit-elle pas ĂȘtre complĂ©tĂ©epar un rapport avec la raison, avec lâunitĂ© de la personne, pourquâelle ne deviennent pas la tyrannie de lâirrationnel ? Il est clairque dans la question de la rationalitĂ© de la volontĂ© est dĂ©jĂ posĂ©e laquestion de la vĂ©ritĂ©.
Ce ne sont pas seulement des considĂ©rations philosophiques abs-traites qui nous obligent Ă nous poser de telles questions, mais notresituation sociale concrĂšte, dans laquelle, certes, lâexigence de libertĂ©reste intacte, mais dans laquelle aussi toutes les formes antĂ©rieuresdes mouvements de libĂ©ration et des systĂšmes libertaires sont misesen doute de façon radicale. Nâoublions pas que le marxisme, une desgrandes forces politiques de notre siĂšcle, a prĂ©tendu conduire aumonde nouveau de la libertĂ© et de lâhomme libĂ©rĂ©. Câest prĂ©cisĂ©-ment la prĂ©tention de connaĂźtre le chemin conduisant scientifique-
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1. K. Marx, F. Engels, Werke, 39 volumes, Berlin 1961-71, tome III, p. 33
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ment Ă la libertĂ© et la promesse de crĂ©er un monde nouveau qui asĂ©duit beaucoup des esprits les plus audacieux de notre Ă©poque. CesystĂšme apparu comme la force qui pouvait enfin transformer ladoctrine chrĂ©tienne du salut en une rĂ©elle action de libĂ©ration,comme la force qui pouvait ramener le rĂšgne de Dieu Ă un vĂ©ritablerĂšgne de lâhomme. Lâeffondrement du communisme rĂ©el dans lesĂtats est-europĂ©ens nâa pas totalement anĂ©anti de tels espoirs, quisubsistent ici et lĂ et cherchent de nouvelles formes. Dans la mesureoĂč lâeffondrement politique et Ă©conomique nâa pas Ă©tĂ© accompagnĂ©de sa liquidation intellectuelle, la question soulevĂ©e par le marxismereste posĂ©e. En tout cas, il est patent que son systĂšme nâa pas fonc-tionnĂ© comme il lâavait promis. Personne ne peut sĂ©rieusement nierque ce quâon avait supposĂ© ĂȘtre un mouvement de libĂ©ration a Ă©tĂ©, Ă cĂŽtĂ© du national-socialisme, le plus grand systĂšme dâesclavage destemps modernes. Lâampleur de la destruction cynique de lâhommeet du monde est certes souvent passĂ©e sous silence, elle ne peut plusĂȘtre mise en doute...
Pourtant, la supĂ©rioritĂ© morale apparente du systĂšme libĂ©ral enpolitique et en Ă©conomie ne provoque aucun enthousiasme. Lenombre est trop grand de ceux qui nâont pas part aux fruits de cettelibertĂ©, ou mĂȘme qui perdent toute libertĂ© : le chĂŽmage redevient unphĂ©nomĂšne de masse ; le sentiment dâĂȘtre inutile, surnumĂ©raire, estau moins aussi douloureux que la pauvretĂ© matĂ©rielle. Lâexploita-tion sans scrupule se dĂ©veloppe. La criminalitĂ© organisĂ©e exploiteles opportunitĂ©s du monde libĂ©ral, et partout guette le spectre dunon-sens. Le philosophe polonais Andrej Szizyplorski a dĂ©crit sanscomplaisance le dilemme de la libertĂ© qui a rĂ©sultĂ© de la chute dumur : « Il ne fait pas de doute que le capitalisme a reprĂ©sentĂ© ungrand progrĂšs. Et il ne fait pas de doute non plus quâil nâa pas comblĂ©toutes les attentes. On entend toujours au sein du capitalisme le crides masses gigantesques dont les dĂ©sirs nâont pas Ă©tĂ© satisfaits... Enpratique, dans la vie politique et sociale, le naufrage de la concep-tion soviĂ©tique du monde a signifiĂ© la fin de la servitude pour desmillions dâhommes. Mais pour la pensĂ©e europĂ©enne, Ă la lumiĂšrede la tradition des deux derniers siĂšcles, la rĂ©volution anticommu-niste a signifiĂ© aussi la fin des illusions des LumiĂšres, câest-Ă -dire ladestruction du socle intellectuel sur lequel reposait le dĂ©veloppe-ment europĂ©en. Nous sommes entrĂ©s dans une Ă©poque singuliĂšre,inconnue jusquâici, dâuniformitĂ© de lâĂ©volution sociale. Sans doute
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pour la premiĂšre fois dans lâhistoire, il apparaĂźt soudain quâil nây aquâune seule voie, un seul modĂšle et une seule maniĂšre de modelerle futur. Et les hommes ont perdu la foi dans un sens de ces trans-formations. Ils ont aussi perdu lâespoir que lâon puisse vraimenttransformer le monde, et quâil vaille la peine de le transformer. Maislâabsence actuelle dâalternative pose aux hommes des questionsnouvelles : et dâabord, peut-ĂȘtre lâOccident nâa-t-il pas raison ? Maissi lâouest nâa pas raison, qui donc a raison ? Et parce que personneen Europe ne doute vraiment de ce que le communisme nâavait pasraison, apparaĂźt une troisiĂšme question : peut-ĂȘtre personne nâa-t-ilraison ? Mais sâil en est ainsi, la pensĂ©e des LumiĂšres tout entiĂšrenâa plus de valeur. Peut-ĂȘtre la vieille machine Ă vapeur des LumiĂšres,aprĂšs deux siĂšcles de bons et loyaux services, sans problĂšmes, sâest-elle arrĂȘtĂ©e sous nos yeux et par notre fait. Et la vapeur se perd dansles airs. Sâil en est effectivement ainsi, les perspectives sont biensombres » 2.
Quelles que soient les objections Ă opposer Ă Szizyplorski, on nepeut nĂ©gliger le rĂ©alisme et la logique de son argumentation. Maisface Ă un tel diagnostic, on ne peut rester sans rĂ©action. Ainsi, per-sonne nâaurait raison ? Il nây aurait pas de droit ? Les fondementsdes LumiĂšres europĂ©ennes, sur lesquels reposent notre voie vers lalibertĂ©, sont-ils faux ou simplement insuffisants ? La question« quâest-ce que la libertĂ© » est-elle en fin de compte aussi complexeque la question « quâest-ce que la vĂ©ritĂ© » ? Le dilemme des LumiĂšres,devant lequel nous nous trouvons indubitablement, nous oblige Ă poser Ă nouveau ces deux questions, et Ă chercher Ă nouveau leurrapport. Pour y parvenir, nous devons repenser le chemin modernevers la libertĂ©, le reprendre Ă son point de dĂ©part. Je ne peux natu-rellement, dans le cadre restreint qui est le mien, que tenter dâes-quisser les grandeurs et les faiblesses de la voie moderne, pourtenter de trouver, au-delĂ des sombres perspectives dâaujourdâhui,des voies nouvelles.
Liberté et modernité.
Il nây a aucun doute sur le fait que lâĂ©poque que nous appelons« moderne » est dĂšs son origine intimement liĂ©e au thĂšme de la
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2. Manuscrit inédit.
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libertĂ© : lâĂ©lan vers des libertĂ©s nouvelles est bien la seule raison quipuisse justifier une telle pĂ©riodisation. Câest sur ce terrain queLuther, avec De la libertĂ© du chrĂ©tien, se place avec force. Cet appelĂ la libertĂ©, qui a dĂ©clenchĂ© un vĂ©ritable sĂ©isme par les Ă©crits dâunmoine, ont crĂ©Ă© un mouvement de masse qui a bouleversĂ© le mondemĂ©diĂ©val. Il en allait de la libertĂ© de conscience face Ă lâautoritĂ©ecclĂ©siastique, câest-Ă -dire de la libertĂ© de lâhomme la plus intĂ©-rieure. Ce ne sont pas les ordres communautaires qui sauventlâhomme, mais sa foi toute personnelle au Christ. Que soudain toutle systĂšme des ordres de lâĂglise mĂ©diĂ©vale ne compte plus, voilĂ qui est apparu comme un formidable bond vers la libertĂ©. Ces ordresqui devaient porter les hommes et les sauver apparaissent soudaincomme des charges, ils nâengagent plus, ils ne signifient plus lesalut. Le salut est libĂ©ration, libĂ©ration du joug des ordres supra-individuels. MĂȘme si lâon ne peut parler dâun individualisme de laRĂ©forme, il nâen reste pas moins que lâimportance nouvelle de lâin-dividu et la modification des rapports entre la conscience indivi-duelle et lâautoritĂ© en sont des traits fondamentaux. Ce mouvementde libĂ©ration resta toutefois circonscrit au domaine religieux. Lorsquece mouvement devint, avec les guerres des paysans et le mouve-ment baptiste, un programme politique, Luther lui-mĂȘme sây opposafermement. Dans le domaine politique, lâautoritĂ© temporelle sâestvue bien au contraire renforcĂ©e et affermie, avec la crĂ©ation desĂglises dâĂtat et des Ăglises locales. Dans le monde anglo-saxon,les Ăglises libres vont rompre avec ce mĂ©lange de pouvoir religieuxet politique et deviendront les prĂ©curseurs dâune nouvelle configu-ration historique, qui prendra vraiment forme dans la deuxiĂšmephase de la modernitĂ©, les LumiĂšres.
La volontĂ© dâĂ©mancipation, au sens du sapere aude de Kant â osefaire usage de ta propre raison â, est un trait commun Ă toutes lesLumiĂšres. Il y va de lâĂ©mancipation de la raison individuelle desentraves de lâautoritĂ©, qui doivent toutes ĂȘtre soumises Ă la critique.Seul ce qui est clair pour la raison doit avoir cours. Ce programmephilosophique est Ă©galement, en soi un programme politique : seulela raison doit rĂ©gner, il ne doit y avoir dâautre autoritĂ© que cellede la raison. Ce qui nâest pas rationnel ne peut ĂȘtre contraignant.Mais cette orientation fondamentale des LumiĂšres se traduit pardes philosophies sociales et des programmes politiques diffĂ©rents,voire opposĂ©s. Je distinguerai deux grands courants : dâune part lecourant anglo-saxon, plus naturaliste, qui tend Ă la dĂ©mocratie
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constitutionnelle comme seul systĂšme de libertĂ© rĂ©aliste ; de lâautrela tentative radicale de Rousseau, qui tend Ă la suppression totale dupouvoir. La pensĂ©e du droit naturel critique le droit positif, lesformes concrĂštes du pouvoir, Ă la lumiĂšre du droit innĂ© des per-sonnes, dont dĂ©coule tout ordre lĂ©gislatif et dont il est le juge et lefondement. « Lâhomme a Ă©tĂ© crĂ©Ă© libre, et il est libre, serait-il nĂ©dans les fers », a dit Friedrich von Schiller. Ce nâest pas lĂ unephrase destinĂ©e Ă consoler les esclaves avec des considĂ©rations mĂ©ta-physiques, câest une phrase de combat, une maxime pour lâaction.Les ordres juridiques qui crĂ©ent lâesclavage sont des ordres injustes.Depuis sa crĂ©ation, lâhomme a des droits, qui doivent ĂȘtre mis enĆuvre pour que rĂšgne la justice. La libertĂ© nâest pas confĂ©rĂ©e Ă lâhomme de lâextĂ©rieur. Il a des droits parce quâil a Ă©tĂ© crĂ©Ă© libre.Câest sur la base de telles rĂ©flexions que les droits de lâhomme sontdevenus la Magna carta du mouvement de libĂ©ration moderne. Sâilest question ici de la nature, il ne sâagit pas dâun systĂšme biologique,mais plutĂŽt de lâaffirmation quâavant tout ordre social lâhomme lui-mĂȘme a des droits de par sa nature. En ce sens, lâidĂ©e des droits delâhomme est avant tout une idĂ©e rĂ©volutionnaire : elle sâoppose Ă lâabsolutisme, Ă lâarbitraire de la loi positive. Mais elle est aussi uneidĂ©e mĂ©taphysique : dans lâĂȘtre lui-mĂȘme gĂźt une exigence Ă©thiqueet juridique. Il nâest pas une pure matĂ©rialitĂ© que lâon peut modelersuivant ses fins. La nature porte en elle lâesprit, elle porte lâethos etla valeur. Dans son principe, il sâagit ici absolument du concept denature de Romains 2, inspirĂ© par les stoĂŻciens et transformĂ© par unethĂ©ologie de la crĂ©ation : les paĂŻens connaissent « par nature » la Loiet se tiennent donc Ă eux-mĂȘmes lieu de Loi (Romains 2,14).
Si cette Ă©cole de pensĂ©e est spĂ©cifiquement moderne, câest que lesexigences de la nature contre les pouvoirs existants sont avant toutune affirmation du droit de lâindividu face aux institutions. Ce quelâon entend par la nature de lâhomme, câest dâabord quâil a desdroits contre la communautĂ©, des droits qui doivent ĂȘtre protĂ©gĂ©s dela communautĂ© : lâinstitution apparaĂźt comme le pĂŽle opposĂ© Ă lalibertĂ©, dont lâindividu doit ĂȘtre totalement Ă©mancipĂ©.
Câest ici que ce premier courant rejoint le second, par ailleursbeaucoup plus radical dans ses principes : pour Rousseau, tout cequi a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par la raison et la volontĂ© se dresse contre la nature,la corrompt et la contredit. Le concept rousseauiste de nature estanti-mĂ©taphysique, subordonnĂ© au rĂȘve dâune libertĂ© sans limites.Il en va de mĂȘme chez Nietzsche, lorsquâil oppose lâivresse diony-
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siaque Ă lâordre apollinien, et confirme ainsi les oppositions fonda-mentales de lâhistoire des religions. Les rĂšgles de la raison, dĂ©fen-dues par Apollon, corrompent lâivresse libre et sans entraves de lanature. Klages a repris le mĂȘme motif, avec son opposition de lâespritet de lâĂąme : lâesprit nâest pas la grande et neuve facultĂ©, par laquelleseule advient la libertĂ©, mais le destructeur de lâOriginel, de sapassion et de sa libertĂ©. En un sens, cette dĂ©claration de guerre Ă lâesprit est contraire aux LumiĂšres, et câest dans cette mesure que lenational-socialisme, avec son aversion pour les LumiĂšres et sa glori-fication du « Blut und Boden », a pu se rĂ©clamer de telles thĂ©ories.Mais en fait, câest le motif fondamental des LumiĂšres, lâappel Ă lalibertĂ©, que lâon retrouve ici, transformĂ© en une forme radicale.Dans les radicalismes politiques des siĂšcles prĂ©cĂ©dents comme dunĂŽtre, celle-ci a toujours dĂ©bordĂ© la forme dĂ©mocratique et domes-tiquĂ©e de la libertĂ©. La RĂ©volution française, qui avait commencĂ©par lâidĂ©e de dĂ©mocratie constitutionnelle, sâest vite dĂ©barrassĂ©e deces liens pour adopter lâidĂ©e rousseauiste et anarchiste de la libertĂ© ;câest prĂ©cisĂ©ment ainsi quâelle est devenue â inĂ©vitablement â unedictature sanglante.
Le marxisme, lui aussi, poursuit cette ligne radicale : il a toujourscritiquĂ© la libertĂ© dĂ©mocratique comme une apparence de libertĂ©, etpromis une libertĂ© meilleure, plus radicale. Câest de cette promesseque sâest nourrie la fascination quâil inspirait. Deux aspects du sys-tĂšme marxiste me paraissent particuliĂšrement importants pour cettequestion de la libertĂ© et de la vĂ©ritĂ© :
a) Le marxisme part du principe que la libertĂ© est indivisible, etnâexiste donc que lorsquâelle est la libertĂ© de tous. La libertĂ© est liĂ©eĂ lâĂ©galitĂ©. Pour que la libertĂ© existe, il faut dâabord instaurer lâĂ©ga-litĂ©. Cela signifie que, pour parvenir Ă la libertĂ© totale, des renonce-ments Ă la libertĂ© sont nĂ©cessaires. La solidaritĂ© de tous ceux quiluttent pour la libertĂ© commune passe avant la rĂ©alisation des liber-tĂ©s individuelles. La citation de Marx dont nous sommes partismontre que, si le but final est la libertĂ© individuelle sans limite, lalibertĂ© est pour lâinstant subordonnĂ©e Ă la dimension collective, Ă lâĂ©galitĂ©, et donc le droit de lâindividu Ă celui de la collectivitĂ©.
b) Sây rattache le supposĂ© que la libertĂ© du particulier dĂ©pend dela structure de lâensemble, et que le combat pour la libertĂ© nâest pasdâabord un combat pour les droits de lâindividu, mais pour la trans-formation du monde et de ses structures. Cependant, le marxisme nâapas rĂ©pondu Ă la question de savoir Ă quoi la nouvelle structure
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ressemblerait, ni par quels moyens rationnels elle pourrait ĂȘtre ins-taurĂ©e. En fait, mĂȘme un aveugle aurait pu voir quâaucune structureconstruite ne permet une libertĂ© totale, mais quâau contraire elleexige des renoncements Ă la libertĂ©. Mais les intellectuels sontaveugles quand il y va de leurs constructions conceptuelles. Câestpour cela quâils ont pu renoncer Ă tout rĂ©alisme et continuer decombattre pour un systĂšme dont les promesses ne pouvaient ĂȘtretenues. On recourait Ă une fuite vers la mythologie : la nouvellestructure allait crĂ©er un homme nouveau â et en effet, câĂ©tait seule-ment avec des hommes nouveaux, des hommes totalement diffĂ©-rents que la promesse pouvait se rĂ©aliser. Si le caractĂšre moral dumarxisme rĂ©side dans son exigence de solidaritĂ© et lâidĂ©e dâindivi-sibilitĂ© de la libertĂ©, son annonce dâun homme nouveau est, elle, unmensonge, qui paralyse lâĂ©lan moral. Les vĂ©ritĂ©s partielles sontordonnĂ©es Ă un mensonge, et câest la totalitĂ© qui est un Ă©chec. Lemensonge de la libertĂ© annihile les Ă©lĂ©ments de vĂ©ritĂ©. La libertĂ©sans la vĂ©ritĂ© nâest pas une libertĂ©.
VoilĂ oĂč nous en sommes. Nous revenons prĂ©cisĂ©ment aux pro-blĂšmes soulevĂ©s par Sziziplorski Ă Salzbourg. Nous savons dĂ©sor-mais ce quâest le mensonge â au moins en rapport avec les diffĂ©rentesformes du marxisme. Mais nous ne savons pas pour autant ce quâestla vĂ©ritĂ©. Et la crainte grandit : peut-ĂȘtre nây a-t-il pas de vĂ©ritĂ© dutout ? Peut-ĂȘtre nây a-t-il pas de droit et pas de juste ? Peut-ĂȘtredevons-nous nous contenter de simples mesures dâurgence ? Maispeut-ĂȘtre celles-ci ne rĂ©ussiront-elles pas non plus, comme les Ă©vĂ©-nements rĂ©cents dans les Balkans et dans tant dâautres parties dumonde tendent Ă le montrer ? Le scepticisme grandit, ses bases sâaffer-missent, mais nous ne devons pas renoncer Ă la volontĂ© dâabsolu.
Le sentiment que la dĂ©mocratie nâest pas encore la bonne formede la libertĂ© est trĂšs gĂ©nĂ©ral et se rĂ©pand de plus en plus. On ne peutpas simplement Ă©carter la critique marxiste de la dĂ©mocratie : dansquelle mesure les Ă©lections sont-elles libres ? JusquâĂ quel point lavolontĂ© est-elle manipulĂ©e par la publicitĂ©, câest-Ă -dire par le capital,par quelques puissants rĂ©gnant sur lâopinion publique ? Nâexiste-t-ilpas une nouvelle oligarchie de ceux qui dĂ©cident de ce qui estmoderne, de ce qui fait partie du progrĂšs, de ce quâun hommeĂ©clairĂ© doit penser ? La cruautĂ© de cette oligarchie, le pouvoir quâila de lyncher quelquâun sur la place publique, sont bien connus.Celui qui voudrait se mettre en travers de leur chemin est un ennemide la libertĂ©, parce quâil entrave la libertĂ© dâexpression. Et quâen
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est-il de la prise de dĂ©cision dans les instances de la reprĂ©sentationdĂ©mocratique ? Qui voudrait encore croire que le bien de tous y estle critĂšre dĂ©terminant ? Qui pourrait douter du pouvoir des intĂ©rĂȘts,alors que leurs mains sales se font de plus en plus visibles ? Etdâailleurs, le systĂšme majoritaire lui-mĂȘme est-il un systĂšme delibertĂ© ? Et les groupes dâintĂ©rĂȘts de toutes sortes ne deviennent-ilspas plus forts que la reprĂ©sentation proprement politique, le parle-ment ? Dans cet enchevĂȘtrement de forces, le problĂšme de lâingou-vernabilitĂ© se fait de plus en plus menaçant. La volontĂ© de chacunde sâimposer bloque la libertĂ© de lâensemble.
Le flirt avec les solutions autoritaires, la fuite devant une libertĂ©incontrĂŽlable, existent. Mais cette attitude nâest pas dĂ©terminantedans lâesprit du siĂšcle. Le courant radical des LumiĂšres nâa rienperdu de sa puissance, il devient mĂȘme plus fort. Câest prĂ©cisĂ©mentĂ propos des limites de la dĂ©mocratie que lâappel Ă une libertĂ© totalese fait plus fort. Aujourdâhui comme hier, « la loi et lâordre » passentaux yeux de tous pour les contraires de la libertĂ©. Aujourdâhui commehier, institution, tradition, autoritĂ©, apparaissent comme le pĂŽleinverse de la libertĂ©. Les traits anarchiques de lâexigence de libertĂ©se renforcent, parce que les formes ordonnĂ©es de la libertĂ© dans unecommunautĂ© ne satisfont pas. Les grandes promesses de la moder-nitĂ© nâont pas Ă©tĂ© tenues, mais son pouvoir de fascination reste intact.On ne peut plus dĂ©fendre aujourdâhui par telle ou telle rĂ©forme lĂ©gis-lative la forme dĂ©mocratiquement organisĂ©e de la libertĂ©. Il y va deson fondement mĂȘme. Il y va de ce quâest lâhomme, et de la maniĂšredont il peut vivre justement en tant quâindividu et en gĂ©nĂ©ral.
On le voit, les aspects politiques, philosophiques et religieux duproblĂšme de la libertĂ© sont devenus un tout indissociable. Celui quiveut tracer des chemins vers lâavenir doit avoir cette totalitĂ© Ă lâespritet ne pas se contenter dâun pragmatisme superficiel. Avant dâabor-der, dans une derniĂšre partie, les directions qui me semblent aujour-dâhui ouvertes, je voudrais examiner encore la philosophie de lalibertĂ© peut-ĂȘtre la plus radicale de ce siĂšcle, celle de Jean-PaulSartre, dans laquelle la question apparaĂźt dans toute sa dimension etsa gravitĂ©. Sartre voit la libertĂ© de lâhomme comme sa damnation.Ă lâinverse de lâanimal, lâhomme nâa pas de « nature ». Lâanimal vitson existence Ă partir des rĂšgles dont il a hĂ©ritĂ©. Il nâa pas besoin derĂ©flĂ©chir Ă ce quâil veut faire de sa vie. Mais lâessence de lâhommeest indĂ©terminĂ©e. Câest une question ouverte. Je dois dĂ©cider moi-mĂȘme de ce que je veux entendre par « ĂȘtre homme », de ce que je
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veux en faire, de la maniĂšre dont je veux lui faire prendre forme.Lâhomme nâa pas de nature, il nâest que libertĂ©. Il doit faire prendreĂ sa vie une direction, mais elle mĂšne toujours vers le vide. CettelibertĂ© absurde est lâenfer de lâhomme. Ce qui est passionnant danscette pensĂ©e, câest quâelle opĂšre la sĂ©paration radicale de la libertĂ©et de la vĂ©ritĂ© : il nâexiste aucune vĂ©ritĂ©. La libertĂ© nâa aucune direc-tion, aucune mesure 3. Mais cette absence totale de vĂ©ritĂ©, de toutlien moral ou mĂ©taphysique, cette libertĂ© absolument anarchiquecomme propre de lâhomme, se rĂ©vĂšle ĂȘtre, pour celui qui essaie dela vivre, non pas le degrĂ© suprĂȘme de lâexistence, mais le nĂ©ant dela vie, le vide absolu, la damnation elle-mĂȘme. Dans cette extrapo-lation dâun concept radical de libertĂ©, dont Sartre a fait une expĂ©-rience vĂ©cue, il devient manifeste que se libĂ©rer de la vĂ©ritĂ© neproduit pas la pure libertĂ©, mais la supprime. La libertĂ© anarchique,comprise de façon radicale, ne libĂšre pas, mais fait de lâhomme unecrĂ©ature ratĂ©e, un ĂȘtre absurde.
Liberté et vérité :
1. Quâest-ce que la libertĂ© humaine ?
AprĂšs cette tentative pour comprendre lâorigine du problĂšme, ilest temps de chercher des rĂ©ponses. Il est maintenant clair que lacrise de lâhistoire de la libertĂ©, Ă laquelle nous assistons aujourdâhui,repose sur un concept obscur et unilatĂ©ral de la libertĂ©. Dâune part,on a isolĂ©, et donc faussĂ©, ce concept : la libertĂ© est un bien, maiselle lâest seulement en rapport avec dâautres biens, avec lesquels elleforme une unitĂ© indissoluble. Dâautre part, on a rĂ©duit le concept delibertĂ© lui-mĂȘme aux seuls droits individuels Ă la libertĂ©, et on lâaainsi dĂ©possĂ©dĂ© de sa vĂ©ritĂ© humaine. Je voudrais clarifier ce pro-blĂšme de la comprĂ©hension de la libertĂ© Ă lâaide dâun exempleconcret, celui de lâavortement. Dans la radicalisation de la tendanceindividualiste des LumiĂšres, lâavortement apparaĂźt comme un droitde la libertĂ© : la femme doit pouvoir disposer dâelle-mĂȘme. Elle doitavoir la libertĂ© de mettre au monde un enfant ou de sâen libĂ©rer. Elledoit pouvoir dĂ©cider pour ce qui la concerne, et personne dâautre ne
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3. Cf. J. Pieper, « KreatĂŒrlichkeit und menschliche Natur. Anmerkungen zumPhilosophischen Ansatz von J. P. Sartre », in Ăber de Schwierigkeit, heute zuglauben, MĂŒnich, 1974, p 304-321
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peut â nous dit-on â lui imposer de lâextĂ©rieur une norme contrai-gnante. Il en va du droit de libre dĂ©termination. Mais, dans lâavorte-ment, la femme dĂ©cide-t-elle vraiment dâelle-mĂȘme ? Ne dĂ©cide-t-ellepas prĂ©cisĂ©ment dâun autre â de ce quâon dĂ©nie la libertĂ© Ă un autre,de ce que le lieu de la libertĂ© â la vie â lui est pris, parce quâil esten contradiction avec ma propre libertĂ© ? Quâest-ce donc quâunelibertĂ© qui sâarroge le droit de supprimer dĂšs son origine la libertĂ©dâun autre ?
Quâon ne dise pas que le problĂšme de lâavortement est un casparticulier sans rapport avec le problĂšme de la libertĂ© dans sonensemble. Non, câest prĂ©cisĂ©ment dans cet exemple que se rĂ©vĂšle lafigure fondamentale de la libertĂ© humaine, son essence typiquementhumaine. Car de quoi sâagit-il ? LâĂȘtre dâun autre homme est liĂ© siĂ©troitement Ă lâĂȘtre de cette personne, sa mĂšre, quâil ne peut momen-tanĂ©ment subsister que dans une coexistence corporelle avec samĂšre, dans une unitĂ© physique avec elle, qui pourtant ne supprimepas son altĂ©ritĂ© et ne permet pas de mettre en cause son identitĂ© per-sonnelle. Bien sĂ»r, cet ĂȘtre-soi est de façon radicale un ĂȘtre-de, unĂȘtre-par les autres. Inversement, lâĂȘtre de lâautre â la mĂšre â esttransformĂ© par cette coexistence en un ĂȘtre-pour qui contredit savolontĂ© propre dâĂȘtre elle-mĂȘme et qui est ainsi ressentie commeopposĂ©e Ă sa propre libertĂ©. Il faut ajouter que lâenfant, mĂȘme sâilnaĂźt et que la forme extĂ©rieure de son ĂȘtre-de et de son ĂȘtre-avec estmodifiĂ©e, reste toujours dĂ©pendant, toujours liĂ© Ă un ĂȘtre-pour. BiensĂ»r, on peut lâenvoyer dans un foyer et le confier Ă un autre ĂȘtre-pour, mais la structure anthropologique reste la mĂȘme, il reste ce quiest « de » et qui rĂ©clame un « pour », une acceptation des limites dema libertĂ©, ou plutĂŽt une expĂ©rience de ma libertĂ© non commeconcurrence mais comme soutien mutuel.
Mais si nous nous faisons attentifs, nous nous apercevons quecela nâest pas vrai seulement de lâenfant. Ce que lâenfant dans lesein de sa mĂšre nous donne Ă voir, câest lâessence de lâexistencehumaine tout entiĂšre. Lâadulte, lui aussi, ne peut ĂȘtre quâavec lesautres et par eux, et il est toujours ramenĂ© Ă cet ĂȘtre-pour quâil vou-drait justement exclure. Plus prĂ©cisĂ©ment, lâhomme admet de lui-mĂȘme lâĂȘtre-pour des autres, tel quâil sâest formĂ© dans le rĂ©seau desservices rendus, mais il voudrait lui-mĂȘme Ă©chapper Ă la contraintede cette vie « par » et « pour », pour devenir tout Ă fait indĂ©pendant,pouvoir faire et faire faire tout ce quâil veut. Cette exigence delibertĂ© radicale, qui sâest manifestĂ©e toujours plus clairement dans
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les LumiĂšres et particuliĂšrement dans la voie ouverte par Rousseau,et qui dĂ©termine aujourdâhui la conscience commune, voudrait neprovenir de personne et ne se destiner Ă personne, nâĂȘtre de personne,ni pour personne, mais seulement ĂȘtre totalement libre. En dâautrestermes, elle considĂšre la structure fondamentale de lâexistencehumaine elle-mĂȘme comme un attentat contre sa libertĂ© ; elle voudraitĂȘtre libĂ©rĂ©e de sa propre essence humaine pour devenir un « hommenouveau ». Dans la nouvelle sociĂ©tĂ©, cette dĂ©pendance aliĂ©nante etcette obligation de se donner soi-mĂȘme ne devront plus exister.
Fondamentalement, câest une promesse qui se tient derriĂšre lâexi-gence radicale de libertĂ© de la modernitĂ© : vous serez comme Dieu.MĂȘme si Ernst Topitsch a cru pouvoir affirmer quâaucun hommeraisonnable ne voulait plus aujourdâhui ĂȘtre semblable Ă Dieu, ilnous faut, aprĂšs examen, affirmer lâexact contraire : le but implicitede tous les mouvements modernes de libĂ©ration est de devenir enfincomme un dieu, ne dĂ©pendre de rien ni de personne, nâĂȘtre pluslimitĂ© dans sa libertĂ© par celle dâun autre. Une fois que lâon a dĂ©celĂ©ce noyau thĂ©ologique dans la volontĂ© de libertĂ© radicale, on perçoitcette erreur fondamentale Ă lâĆuvre mĂȘme lĂ oĂč un tel radicalismenâest pas directement voulu, ou est mĂȘme rejetĂ©. Ătre totalementlibre, sans la concurrence dâune autre libertĂ©, sans un « par » ou un« pour », ce nâest pas lĂ lâimage dâun dieu, mais celle dâune idole.Lâerreur originelle de cette volontĂ© radicale de libertĂ© rĂ©side danslâidĂ©e dâune divinitĂ© conçue sur un mode purement Ă©goĂŻste. Un dieuainsi conçu nâest pas un dieu mais une idole, lâimage de ce que latradition chrĂ©tienne appellerait le diable â lâanti-Dieu â, parce quecâest prĂ©cisĂ©ment lĂ le contraire absolu du Dieu vĂ©ritable : le DieuvĂ©ritable est par essence tout entier ĂȘtre-pour (le PĂšre), ĂȘtre-de (leFils), ĂȘtre-avec (lâEsprit Saint). Et lâhomme est Ă lâimage de DieuprĂ©cisĂ©ment en ce que ces « de », « pour » et « avec » forment lastructure anthropologique fondamentale. LĂ oĂč on essaie de se libĂ©-rer dâelle, on ne se dirige pas vers la divinitĂ©, mais vers la dĂ©shu-manisation, vers la destruction de lâĂȘtre par la destruction de lavĂ©ritĂ©. La variante jacobine de lâidĂ©e de libĂ©ration (appelons ainsiles radicalismes modernes) est une rĂ©bellion contre lâĂȘtre de lâhommelui-mĂȘme, une rĂ©bellion contre la vĂ©ritĂ©, et elle conduit ainsi leshommes â comme Sartre lâa vu avec perspicacitĂ© â Ă une existencede la contradiction avec soi-mĂȘme, que nous appelons enfer.
Il devient donc clair que la libertĂ© est liĂ©e Ă un critĂšre, le critĂšrede la rĂ©alitĂ© â elle est liĂ©e Ă la vĂ©ritĂ©. La libertĂ© de sâautodĂ©truire ou
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de dĂ©truire les autres nâest pas la libertĂ©, mais sa parodie diabolique.La libertĂ© des hommes est une libertĂ© partagĂ©e, une libertĂ© dans lacoexistence des libertĂ©s, qui se limitent mutuellement et ainsi seportent. La libertĂ© doit se mesurer Ă ce que je suis, Ă ce que noussommes, faute de quoi elle se dĂ©truit elle-mĂȘme. Nous en venonsainsi Ă corriger substantiellement la conception superficielle etaujourdâhui dominante de la libertĂ© : si la libertĂ© humaine ne peutconsister quâen une coexistence ordonnĂ©e des libertĂ©s, cela signifieque lâordre â le droit â nâest pas le concept opposĂ© de celui de lalibertĂ©, mais sa condition, un Ă©lĂ©ment constitutif de la libertĂ©. Le droitnâest pas un obstacle Ă la libertĂ©, il la constitue. Lâabsence de droitest absence de libertĂ©.
2. Droit et responsabilité
Ce rĂ©sultat pose lui-mĂȘme une nouvelle question : quâest-cequâun droit conforme Ă la libertĂ© ? Comment le droit doit-il ĂȘtreconstituĂ© pour ĂȘtre un droit de libertĂ© ? On sait quâil existe une appa-rence de droit qui est un droit dâesclave et qui de ce fait nâest pas undroit, mais seulement une forme rĂ©gulĂ©e dâinjustice. Mais notre cri-tique ne doit pas pour autant se porter contre le droit lui-mĂȘme, quiappartient Ă lâessence de la libertĂ© ; elle doit dĂ©masquer les appa-rences de droit et Ćuvrer Ă lâinstauration du vĂ©ritable droit â ce droitqui est conforme Ă la vĂ©ritĂ© et donc Ă la libertĂ©.
Mais comment le trouver â câest lĂ la grande question, la questionde lâhistoire de la libĂ©ration vĂ©ritable, enfin correctement posĂ©e. Iciencore, nâutilisons pas les concepts abstraits de la philosophie, maisessayons de nous approcher de la rĂ©ponse Ă partir des rĂ©alitĂ©s delâhistoire. Si nous commençons par une petite communautĂ© facile-ment observable, nous pourrons, Ă partir de ses possibilitĂ©s et desses limites, savoir quel est lâordre qui sert le mieux la vie en com-mun de tous, de telle maniĂšre que de leur coexistence Ă©merge uneforme commune de libertĂ©. Mais aucune petite communautĂ© ne sesuffit Ă elle-mĂȘme ; elle est incorporĂ©e et dĂ©terminĂ©e dans son ĂȘtremĂȘme par des ordres supĂ©rieurs auxquels elle appartient. PendantlâĂšre des Ătats-nations, on partait du principe que la nation Ă©taitlâunitĂ© de rĂ©fĂ©rence, que son bien commun Ă©tait aussi le juste critĂšrede la libertĂ© commune. Les Ă©vĂ©nements de notre siĂšcle ont suffi-samment montrĂ© quâon ne pouvait se contenter de ce point de vue.Saint Augustin dit Ă ce propos quâun Ătat qui ne se dĂ©termine quepar rapport Ă ses intĂ©rĂȘts communs, et non Ă la justice elle-mĂȘme,
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nâest pas structurellement diffĂ©rent dâune bande de brigands bienorganisĂ©e, qui ne fait rien dâautre que considĂ©rer son bien propreindĂ©pendamment de celui des autres. Si nous considĂ©rons lâĂ©poquecoloniale et les dĂ©gĂąts quâelle a laissĂ©s derriĂšre elle dans le monde,nous voyons bien que des Ătats, aussi ordonnĂ©s et civilisĂ©s soient-ils, se rapprochent effectivement des bandes de brigands lorsquâilsne pensent pas au bien en soi, mais seulement Ă leur bien propre. LalibertĂ© ainsi garantie a donc en elle-mĂȘme quelque chose de lalibertĂ© du brigand. Ce nâest pas la vraie libertĂ©, la libertĂ© vraimenthumaine. Dans la recherche du vrai critĂšre, on doit considĂ©rer toutelâhumanitĂ©, et â cela est de plus en plus clairement â seulement lâhu-manitĂ© dâaujourdâhui, mais aussi celle de demain.
Le critĂšre du droit vĂ©ritable ne peut donc ĂȘtre que le bien du tout,le bien en soi. Câest Ă partir de lĂ que Hans Jonas a proposĂ© leconcept de responsabilitĂ© comme concept central de lâĂ©thique 4. Celasignifie que la libertĂ©, pour ĂȘtre bien comprise, doit toujours ĂȘtrepensĂ©e en rapport avec la responsabilitĂ©. Lâhistoire de la libĂ©rationne peut de ce fait se dĂ©ployer que comme histoire dâune responsabi-litĂ© grandissante. La croissance de la libertĂ© ne peut plus consistersimplement en un recul indĂ©fini des limites de la libertĂ© individuelleâ ce qui mĂšne Ă lâabsurditĂ© et Ă la destruction de ces libertĂ©s indivi-duelles elles-mĂȘmes. La croissance de la libertĂ© doit ĂȘtre une crois-sance de responsabilitĂ©. Cela comprend une acceptation des liens quirĂ©sultent des exigences de la vie en commun, de la conformitĂ© Ă lâessence de lâhomme. Si la responsabilitĂ© est une rĂ©ponse Ă la vĂ©ritĂ©de lâĂȘtre de lâhomme, alors nous pouvons dire quâune continuellepurification par la vĂ©ritĂ© est le corollaire de lâhistoire de la libĂ©ration.Câest dans la purification des individus et des institutions par lavĂ©ritĂ© que consiste la vĂ©ritable histoire de la libĂ©ration.
Le principe de responsabilitĂ© pose un cadre qui a besoin dâĂȘtrecomplĂ©tĂ© par un contenu. Câest dans ce contexte quâil faut com-prendre le projet de formation dâune Ă©thique mondiale, pour lequelHans KĂŒng sâest passionnĂ©ment engagĂ©. Sans aucun doute est-il trĂšssensĂ©, et mĂȘme nĂ©cessaire dans la situation prĂ©sente, de rechercherles fondements communs aux traditions Ă©thiques des diffĂ©rentesreligions et cultures. En ce sens, une telle dĂ©marche est tout Ă faitimportante et appropriĂ©e. Mais les limites de cette tentative sont
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4. H. Jonas, Le principe responsabilitĂ©, Ăd. du Cerf, 1991.
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manifestes. Câest ce que montre par exemple Joachim Fest dans uneanalyse bienveillante mais aussi trĂšs pessimiste, qui rejoint dâailleursle scepticisme de Szizyplorski 5. Il manque finalement Ă ce mini-mum Ă©thique distillĂ© Ă partir des religions mondiales le caractĂšrecontraignant, lâautoritĂ© intĂ©rieure dont a besoin lâĂ©thique. MalgrĂ©tous les efforts, il lui manque aussi lâĂ©vidence rationnelle, qui danslâidĂ©e des auteurs pourrait et devrait remplacer lâautoritĂ©. Il luimanque aussi le caractĂšre concret, qui rend une Ă©thique vraimentopĂ©ratoire.
Une idĂ©e me paraĂźt juste dans cette tentative : la raison doit Ă©cou-ter les grandes traditions religieuses, si elle ne veut pas devenirsourde, aveugle et muette sur tout ce qui constitue lâessentiel de lavie humaine. Il nây a pas de grande philosophie qui ne vive delâĂ©coute et de lâappropriation de la tradition religieuse. LĂ oĂč cerapport est rompu, la philosophie se dessĂšche et devient un pur jeude concepts. La nĂ©cessitĂ© dâune telle Ă©coute est particuliĂšrementmanifeste concernant ce problĂšme de la responsabilitĂ©, câest-Ă -direla question de lâancrage de la libertĂ© dans la vĂ©ritĂ© du bien, dansla vĂ©ritĂ© de lâhomme et du monde. En effet, aussi pertinent que soitle concept de responsabilitĂ© dans son principe, il reste toujours laquestion de savoir comment nous devons reconnaĂźtre ce qui est bonpour tous, et ce qui est bon non seulement pour aujourdâhui, maisaussi pour demain.
3. La vérité de notre humanité
La question des rapports entre la responsabilitĂ© et la libertĂ© nepeut ĂȘtre tranchĂ©e par une simple considĂ©ration des consĂ©quences.Nous devons revenir Ă lâidĂ©e selon laquelle la libertĂ© humaine estune libertĂ© dans la coexistence des libertĂ©s ; câest seulement ainsiquâelle est vraie, quâelle est conforme Ă la condition humaine. Celasignifie que je ne dois pas chercher Ă introduire du dehors des Ă©lĂ©-ments corrigeant la libertĂ© de lâindividu : libertĂ© et responsabilitĂ©,
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5. J. Fest, Die schwierige Freiheit (la difficile libertĂ©), Berlin, 1993, parti-culiĂšrement p 47 Ă 81. Page 80, il rĂ©sume ainsi lâ« Ă©thique mondiale » deKĂŒng : « plus on avance dans un consensus basĂ© sur des concessions, plus lesnormes Ă©thiques deviennent lĂąches et donc impuissantes, jusquâĂ ce que le pro-jet revienne finalement au renforcement de cette morale non contraignante quinâest prĂ©cisĂ©ment pas le but mais le problĂšme ».
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libertĂ© et vĂ©ritĂ© resteraient alors des contraires, ce quâelles ne sontpas. La reconnaissance de ce quâest vĂ©ritablement lâindividu ren-voie dâelle-mĂȘme au tout, aux autres. Câest pourquoi nous pouvonsdire quâil y a une vĂ©ritĂ© commune, reposant en chaque homme, denotre humanitĂ©, ce que la tradition a appelĂ© « nature » de lâhomme.La foi en la crĂ©ation nous permet de dire, plus prĂ©cisĂ©ment, queDieu a une idĂ©e de lâhomme, Ă laquelle notre tĂąche est de rĂ©pondre.En elle, libertĂ© et communautĂ©, ordre et orientation vers lâavenir nefont plus quâun.
La responsabilitĂ© signifierait alors vivre lâĂȘtre comme rĂ©ponseâ rĂ©ponse Ă ce que nous sommes en vĂ©ritĂ©. Cette vĂ©ritĂ© de lâhomme,dans laquelle le bien de tous et la libertĂ© sont indissolublement liĂ©slâun Ă lâautre, est exprimĂ©e dans la tradition biblique par le DĂ©ca-logue, qui dâailleurs coĂŻncide Ă beaucoup dâĂ©gards avec les grandestraditions Ă©thiques des autres religions. Le DĂ©calogue est Ă la foisauto-prĂ©sentation de Dieu et explication de lâĂȘtre humain, manifesta-tion de sa vĂ©ritĂ© rendue visible dans le miroir de la divinitĂ©, parce quelâhomme ne peut ĂȘtre pleinement compris quâĂ partir de Dieu. Vivrele DĂ©calogue signifie vivre sa propre ressemblance avec Dieu,rĂ©pondre Ă la vĂ©ritĂ© de notre ĂȘtre et ainsi faire le bien. Pour le redireencore autrement : vivre le DĂ©calogue signifie vivre la divinitĂ© delâhomme, et câest prĂ©cisĂ©ment ceci qui est libertĂ© : lâunion de notreĂȘtre avec lâĂȘtre divin et lâharmonie de tous avec tous qui en rĂ©sulte 6.
Pour bien comprendre cette affirmation, il faut encore ajouter uneremarque. Toute grande parole humaine pĂ©nĂštre, au-delĂ de ce quiest dit, dans une profondeur plus grande. Dans le dit se tient toujoursun non-dit, qui fait croĂźtre la parole avec le dĂ©roulement du temps.Et si cela est vrai du discours humain, Ă plus forte raison lâest-ce dela Parole qui vient de la profondeur divine. On nâa jamais fini decomprendre le DĂ©calogue. Dans les situations successives et chan-geantes oĂč se trouve engagĂ©e la responsabilitĂ© historique, il apparaĂźtĂ chaque fois dans une perspective nouvelle, dans une dimensionnouvelle de sa signification. Nous sommes Ă chaque fois introduitsdans la totalitĂ© de la vĂ©ritĂ©, une vĂ©ritĂ© qui ne peut ĂȘtre contenue dansun moment historique (cf. Jean 16, 12 et suiv.). Pour les chrĂ©tiens,lâexplication qui a Ă©tĂ© donnĂ©e dans la Parole, la Vie, la Passion et laRĂ©surrection du Christ est lâexplication dĂ©cisive dans laquellesâouvre une profondeur inimaginable auparavant. Câest pour cela
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6. Cf. catĂ©chisme de lâĂglise catholique, n° 2052-2082.
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que lâ Ă©coute humaine de la Bonne Nouvelle de la foi nâest pas larĂ©ception passive dâune information inconnue par ailleurs, maislâĂ©veil de notre mĂ©moire enfouie et lâouverture de nos capacitĂ©s decomprĂ©hension, qui en nous attendent la lumiĂšre de la vĂ©ritĂ©. Unetelle comprĂ©hension est un processus hautement actif, dans lequellâĂ©tude strictement rationnelle des critĂšres de notre responsabilitĂ©arrive vraiment Ă son terme. LâĂ©tude rationnelle nâest pas Ă©touffĂ©emais libĂ©rĂ©e dâune spirale dĂ©sespĂ©rĂ©e et remise sur la voie. Que leDĂ©calogue, dĂ©ployĂ© par la comprĂ©hension rationnelle, soit larĂ©ponse Ă lâattente intĂ©rieure de notre ĂȘtre ne signifie pas quâil soitle contrepoids de notre libertĂ©, mais au contraire sa forme rĂ©elle.Il est le fondement de tout droit Ă la libertĂ©, et la vĂ©ritable force libĂ©-ratrice de lâhistoire humaine.
Pour conclure
« Peut-ĂȘtre la vieille machine Ă vapeur des LumiĂšres, aprĂšs deuxsiĂšcles de bons et loyaux services, sans problĂšme, sâest-elle arrĂȘtĂ©esous nos yeux et par notre fait. Et la vapeur se perd dans les airs. »Câest par le diagnostic pessimiste de Szizyplorski que nous avonscommencĂ© notre rĂ©flexion. Sans problĂšmes, le travail de cettemachine ne lâa jamais Ă©tĂ© â il suffit de penser aux deux guerres mon-diales et aux dictatures de notre siĂšcle. Mais je voudrais ajouter quâilnâest absolument pas nĂ©cessaire de rĂ©pudier lâhĂ©ritage des LumiĂšresen tant que tel et en totalitĂ©, de le ranger au rayon des machinesobsolĂštes. Ce qui est vĂ©ritablement nĂ©cessaire, câest de corriger soncours, sur trois points essentiels, qui rĂ©sumeront mes rĂ©flexions.
1. La conception de la LibertĂ© comme rĂ©sultant dâune libĂ©rationpar la disparition des normes, la continuelle extension des libertĂ©sindividuelles, jusquâĂ la libĂ©ration totale de tout ordre, est uneconception fausse. La libertĂ©, pour ne pas conduire au mensonge etĂ lâautodestruction, doit sâorienter vers la vĂ©ritĂ©, câest-Ă -dire vers ceque nous sommes vĂ©ritablement, et qui correspond Ă notre ĂȘtre.Puisque lâhomme est un ĂȘtre-de, un ĂȘtre-pour et un ĂȘtre-avec, lalibertĂ© humaine ne peut consister quâen coexistence ordonnĂ©e deslibertĂ©s. Le droit nâest donc pas le contraire de la libertĂ©, il en estla condition, il en est mĂȘme constitutif. La libĂ©ration ne consiste pasen une progressive abolition du droit et des normes, mais en unepurification de nous-mĂȘme et en une purification des normes, de
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telle sorte quâelles rendent possible la coexistence des libertĂ©shumaines.
2. De la vĂ©ritĂ© de notre ĂȘtre dĂ©coule autre chose : jamais ne se rĂ©a-lisera, dans notre histoire humaine, lâĂ©tat absolument idĂ©al, jamaisne pourra ĂȘtre Ă©difiĂ© un ordre dĂ©finitif des libertĂ©s. Lâhomme esttoujours en chemin et toujours fini. Face Ă lâiniquitĂ© Ă©vidente delâordre socialiste et face Ă tous les problĂšmes de lâordre libĂ©ral,Szizyplorski avait posĂ© une question pleine de doutes : peut-ĂȘtre nâya-t-il pas de droit ? Ă cela, nous devons rĂ©pondre quâen effet, lâordreidĂ©al des choses, qui est le vrai droit, nâexistera jamais 7. Une telleprĂ©tention ne peut pas ĂȘtre exprimĂ©e en vĂ©ritĂ©. Si la foi dans le pro-grĂšs nâest pas fausse Ă tous les Ă©gards, il nâen est pas de mĂȘme dumythe du monde bientĂŽt libĂ©rĂ©, dans lequel tout sera diffĂ©rent, toutsera bon. Nous ne pouvons jamais Ă©difier que des ordres relatifs, quine peuvent jamais ĂȘtre que relativement justes. Mais nous devonsprĂ©cisĂ©ment nous efforcer de nous approcher autant que possible dudroit vĂ©ritable. Tout le reste, toute eschatologie Ă lâintĂ©rieur de lâhis-toire ne libĂšre pas mais trompe et par lĂ mĂȘme asservit. Lesconcepts qui lâaccompagnent, tels que changement et rĂ©volution,doivent eux aussi ĂȘtre dĂ©mythifiĂ©s. Le changement nâest pas un bienen soi. Le fait quâil soit bon ou quâil soit mauvais dĂ©pend de soncontenu concret et de ce qui sây rapporte. Je le rĂ©pĂšte, lâidĂ©e selonlaquelle le principal devoir dans la lutte pour la libertĂ© serait latransformation du monde est un mythe. Dans lâhistoire, il y auratoujours des hauts et des bas. En ce qui concerne la nature moralede lâhomme, elle ne se dĂ©ploie pas de façon linĂ©aire, mais consisteen rĂ©pĂ©titions. Notre tĂąche est de lutter aujourdâhui pour unemeilleure organisation de la coexistence des hommes, et pour celade dĂ©fendre le bien acquis, de surmonter le mal existant et dâempĂȘ-cher lâintrusion de forces de destruction.
3. Nous devons aussi renoncer au rĂȘve de lâautonomie absolue dela raison et de son autosuffisance. La raison humaine a besoin desâappuyer sur les grandes traditions religieuses de lâhumanitĂ©. ElleconsidĂ©rera de façon critique chaque tradition religieuse. La patho-logie de la religion est la maladie la plus dangereuse de lâesprithumain. Elle existe dans les religions, mais elle existe prĂ©cisĂ©ment
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7. Cf. la constitution du concile Vatican II Gaudium et spes,n° 78 : « numquampax pro semper acquista est ... »
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aussi lĂ oĂč la religion est rejetĂ©e en tant que telle et oĂč on donneĂ des biens relatifs une valeur absolue : les systĂšmes athĂ©s dela ModernitĂ© sont les exemples les plus effrayants dâune passionreligieuse dĂ©tournĂ©e de son principe, câest-Ă -dire dâune maladiemortelle pour lâesprit humain. LĂ oĂč Dieu est niĂ©, la libertĂ© nâest pasconstruite mais au contraire privĂ©e de son fondement et par lĂ dĂ©for-mĂ©e 8. LĂ oĂč les traditions religieuses les plus pures et les plus pro-fondes sont rejetĂ©es, lâhomme se sĂ©pare de sa vĂ©ritĂ©, il vit contre elleet perd sa libertĂ©. MĂȘme lâĂ©thique philosophique ne peut ĂȘtre complĂš-tement autonome. Elle ne peut renoncer Ă lâidĂ©e de Dieu, ni Ă lâidĂ©edâune vĂ©ritĂ© de lâĂȘtre ayant un caractĂšre Ă©thique. Sâil nây a pas devĂ©ritĂ© de lâhomme, alors lâhomme nâa pas de libertĂ©. Seule la vĂ©ritĂ©rend libre.
(Titre original : Freiheit und Wahrheit ;traduit de lâallemand par Bernard Pauthier et Nicolas Bauquet.)
Joseph Ratzinger, nĂ© en 1927. Professeur de thĂ©ologie dogmatique, archevĂȘquede Munich et de Freising, cardinal en 1977. Depuis 1982, prĂ©fet de la CongrĂ©-gation romaine pour la doctrine de la foi, Ă©lu en 1992 membre de l'AcadĂ©miedes sciences morales et politiques de l'Institut de France. DerniĂšre publication :La Mort et l'au-delĂ , nouvelle Ă©dition augmentĂ©e, Communio-Fayard, 1994.
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8. Cf. J. Fest.
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LâĆuvre du P. GonzĂĄlez de Cardedal est peu connue enFrance 1. Il sâagit pourtant dâun Ă©minent thĂ©ologien catho-lique espagnol. NĂ© prĂšs dâĂvila en 1934, il a Ă©tudiĂ© la
thĂ©ologie Ă Munich et Ă Oxford. Membre de la Commission thĂ©olo-gique internationale, il fut appelĂ© par Hans Urs von Balthasar pourparticiper Ă la fondation de lâĂ©dition espagnole de Communio.Il enseigne la thĂ©ologie Ă lâUniversitĂ© pontificale de Salamanque.Sa magistrale Ă©tude de christologie, JesĂșs de Nazareth, a connu troisĂ©ditions et a Ă©tĂ© traduite en plusieurs langues (sauf en français).Dans plusieurs autres livres, il a montrĂ© son goĂ»t pour la poĂ©sie, sanostalgie pour lâEspagne et la qualitĂ© de sa rĂ©flexion esthĂ©tique etthĂ©ologique. Dans la somme quâil vient de publier (La entraĂźneurslangues (sauf, Salamanca 1997, 2e Ă©d. 1998), Olegario GonzĂĄlez deCardedal expose son approche existentielle et radicale du christia-nisme et de lâĂȘtre-chrĂ©tien. En attendant la parution, trĂšs souhai-table, dâune traduction française de cet ouvrage, les « bonnesfeuilles » du prologue proposent un accĂšs Ă lâessentiel de sa pensĂ©e.
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Olegario GONZĂLEZ DE CARDEDAL
Au cĆur du christianisme*
Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
* La entrade lâespagnol par J, Salamanca 1997, 2e Ă©d. 1998, tr. fr. des p. IX Ă XV. Nous avons traduit entrala (litt.: viscĂšre, entrailles) par « cĆur », plusadaptĂ© en français. 1. On trouvera des articles du P. GonzĂĄlez de Cardedal dans Communio, tomeXX, 4 â n° 120 (N.d.T.).
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Quel est lâobjet de ce livre ? Il se propose de prĂ©senter le chris-tianisme dans ses Ă©lĂ©ments et principes les plus essentiels, non pascomme une accumulation de faits et dâidĂ©es, de normes et de pro-messes, mais Ă partir de ses racines et de sa structure originale, enfaisant attention Ă son contenu thĂ©ologique, Ă sa genĂšse historique etĂ sa signification existentielle. Pour cela, nous distinguons a priorientre le christianisme (principe historique et thĂ©ologique), la chrĂ©-tientĂ© (principe communautaire et institutionnel) et lâĂȘtre-chrĂ©tien(principe subjectif et personnel). Dieu, la communautĂ© et lâhommeen constituent la rĂ©alitĂ©. Le mot ĂȘtre-chrĂ©tien dĂ©signe la rĂ©alisation(au sens du terme de realization chez le cardinal Newman) descontenus chrĂ©tiens dans la conscience et la libertĂ© de chacun qui nese mettent Ă exister vraiment pour lâhomme que lorsque, enaccueillant le don que Dieu lui octroie par la mĂ©diation de lâĂglise,il le convertit en principe dĂ©terminant de sa propre existence.
I
Depuis le dĂ©but du XVIe siĂšcle, la conscience moderne a tentĂ© dese tourner vers le christianisme primitif et de redĂ©couvrir lâessencedu christianisme en allant, moins Ă lâhistoire et Ă la surface quâĂ cequi en constitue le noyau et la racine, pour discerner lâessence ou lasubstance qui le constitue et Ă la fois le diffĂ©rencie des autres reli-gions et idĂ©ologies. Quel est le noyau thĂ©ologique du chrĂ©tien dansune telle coquille historique et quelle est la sĂšve religieuse qui coulesous lâĂ©corce institutionnelle et sociale ? Câest la question qui aconduit des philosophes comme Feuerbach et Troeltsch, des histo-riens comme Semler ou Harnack, des thĂ©ologiens comme Adam,Guardini, Söhngen, Schmaus et Urs von Balthasar Ă penser et Ă Ă©crire des essais classiques sur « lâessence du christianisme ». AuXIXe siĂšcle, sous lâinfluence de Hegel, les grands maĂźtres de lâĂcolede TĂŒbingen, Drey et Staudenmaier, Newman, dâautres encore, ontparlĂ© de lâ« esprit du christianisme », du « concept du christianisme »,de lâ« idĂ©e du christianisme ». De nos jours, Welte et Rahner ontĂ©crit dans le mĂȘme sens. Aucune Ćuvre portant ce titre nâexiste enespagnol. Nous avons Ă©cartĂ© le mot « essence » parce que, mĂȘme sinous sommes animĂ©s du mĂȘme souci que les auteurs que nousvenons de citer, ce mot ne nous est pas apparu le plus appropriĂ©.
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Lorsque nous faisons rĂ©fĂ©rence Ă quelque chose, nous parlons deson « essence » ; en revanche, lorsque nous parlons dâune personne,en voulant dĂ©signer ce quâelle a de plus intime en elle, nous parlonsde son cĆur. Le christianisme est une rĂ©alitĂ© de caractĂšre personnel,tant pour son fondateur, lâhomme JĂ©sus, que pour le contenu de sonmessage, lâautorĂ©vĂ©lation de Dieu et pour son objectif ultime :configurer la personne Ă la vie mĂȘme de Dieu, par la mĂ©diationdu Christ et de lâEsprit saint. Dans le christianisme, nous voyonscomme le cĆur misĂ©ricordieux de Dieu, manifestĂ© en la personne deJĂ©sus, livrĂ© pour nous Ă la mort et qui par la rĂ©surrection nous arendu possibles une vie nouvelle et la rĂ©surrection de toute chair.Le cĆur du christianisme est que Dieu a pris corps de lâhomme(lâIncarnation) et Ă cause de cela a pris un cĆur dâhomme, il saitde lui-mĂȘme ce que câest que lâhomme, avec sa rĂ©alisation dansle temps (lâhistoire) et sa consommation par le temps (la mort). Lechristianisme passe du cĆur de Dieu incarnĂ© au cĆur de lâhommemortel et pĂ©cheur, rachetable et ressuscitable dans sa constitution laplus intime. Lâhomme est chair, Ăąme et esprit. Avec ce mot de« cĆur » qui guide toute lâorientation de ce livre, nous avons vouluoffrir une comprĂ©hension historique et thĂ©ologique, intime et per-sonnelle, du christianisme qui puisse dĂ©passer toute comprĂ©hensionrationaliste et moraliste, ou simplement institutionnelle ou pratique.
La thĂ©ologie française a toujours soulignĂ© la dimension histo-rique du christianisme et sa signification culturelle ; la thĂ©ologieallemande a cherchĂ© son essence et a Ă©laborĂ© une conception philo-sophique ; la thĂ©ologie espagnole a perçu son intentionnalitĂ© per-sonnelle, en montrant comment sa substance est la communionintime du destin, de lâexpĂ©rience et du futur entre Dieu et lâhomme,rĂ©alisĂ©e extĂ©rieurement pour tous les hommes par lâIncarnation etintĂ©rieurement en chacun de nous par le don de lâEsprit saint. Lemeilleur exposĂ© est celui de Jean de la Croix, avec une thĂ©ologieprĂ©cise dans son orientation biblique et trinitaire, qui se rĂ©fĂšre auFils (le Cantique), Ă lâEsprit (la Vive Flamme) et au PĂšre (la Nuit).Les historiens ont cherchĂ© lâorigine des expressions « essence duchristianisme » et « substance du christianisme » en remontant duromantisme aux LumiĂšres et au delĂ jusquâĂ la spiritualitĂ© françaiseet la rĂ©forme protestante. Il y a un texte de Jean de la Croix qui unitla substance objective de la rĂ©alitĂ© chrĂ©tienne avec lâexpĂ©rienceintime quâelle comporte :
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« parce quâil y a des choses si intĂ©rieures et si spirituelles pour les-quelles les mots font couramment dĂ©faut, parce que le spirituelexcĂšde le sensible, il est bien difficile de dire quoi que ce soit de lasubstance ; car on parle bien mal de ce quâon a le plus Ă cĆur, sinondans un esprit cordial » 2.
Prolongeant la concentration sur lâhumanitĂ© du Christ, dont sainteThĂ©rĂšse est au principe et qui fut actualisĂ©e en France par les CarmĂ©-lites dĂ©chaussĂ©es, le cardinal de BĂ©rulle 3, qui Ă©tait venu les chercherpersonnellement Ă Salamanque, Ă©crivait en 1623 :
« Comme Dieu a fait, en lâhomme, un abrĂ©gĂ© du monde et de soi-mĂȘme, aussi a-t-il voulu faire, en lâhomme-Dieu, en une maniĂšre bienplus excellente, un divin composĂ© de lâĂȘtre crĂ©Ă© et incrĂ©Ă©, un abrĂ©gĂ©de soi-mĂȘme et du monde, ou pour mieux dire, un nouveau monde etbien plus excellent : un monde incomparable, le soutien, le salut, lâap-pui et la fin* du monde. Et, en ce monde nouveau, incomparable etdivin, il fait non un raccourcissement, mais une Ă©tendue et diffusionde ses grandeurs et perfections divines, oĂč la profusion et la plĂ©nitudede la divinitĂ© reluit singuliĂšrement et sây rend Ă©galement aimable etadorable. » 4 (Bien noter le sens finaliste du mot employĂ© ici.)
Au XXe siĂšcle, nous trouvons de nouvelles expressions de ladimension dâincarnation et dâintimitĂ© du christianisme. UnamunosuggĂšre comment lâĂternel a dĂ©ployĂ© son cĆur sur le monde :
« le temps se retire, /et lâĂ©ternel dĂ©ploie son cĆur ».
Xavier Zubiri explicite avec rigueur la dĂ©finition personnelle dela vĂ©ritĂ© et de lâimplication corporelle du Dieu :
« le corps de la vĂ©ritĂ© est un corps (sĂŽma) intrinsĂšquement historique.Et, prĂ©cisĂ©ment Ă cause de cela, il va nous Ă©clairer sur Dieu et sur leChrist, mais pas sĂ©parĂ©ment. Le Christ nâa pas rĂ©vĂ©lĂ© Dieu en disantce que Dieu Ă©tait, mais il le fit dâune maniĂšre plus modeste, plus radi-cale aussi. Il nous a rĂ©vĂ©lĂ© Dieu non pas en parlant, mais en lâĂ©tant.DâoĂč lâimplication intĂ©rieure, âsomatiqueâ entre lâidĂ©e de Dieu quise dĂ©ploie dans le christianisme et lâidĂ©e de la rĂ©alitĂ© mĂȘme duChrist » 4 ;
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2. Nous avons essayĂ© de rendre lâintraduisible jeu de mots de Jean de la Croix :« tambiĂ©n porque se habla mal en las entra » La vive flamme dâamour (N.d.T.). 3. Cardinal Pierre de BĂ©rulle, Ćuvres complĂštes, discours 11. t. VII, p. 427,Ăd. Oratoire de JĂ©sus, Ăd. du Cerf, 1996.4. X. ZUBIRI, El problema filosĂłfico de la historia de las religiones, Madrid,1993, p. 267-268.
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On ne peut parler en vĂ©ritĂ© de lâessence du christianisme que sion comprend Dieu et lâhomme sur le mode de lâincarnation et de larelation, Ă la lumiĂšre de la double mission trinitaire : lâincarnationdu Fils, qui confĂšre Ă Dieu figure dans le monde et lâenvoi de lâEsprit,qui lui confĂšre forme dans lâĂglise et contenu dans la conscience dechaque homme. Câest pour cela que le cĆur du christianisme ne secomprend quâĂ la lumiĂšre du cĆur humain du Christ, oĂč la majestĂ©de Dieu coexiste avec la petitesse de lâhomme, sa gloire avec nospĂ©chĂ©s, dans un admirable Ă©change. Depuis que Dieu et lâhomme sesont rencontrĂ©s, câest lĂ que se trouvent le cĆur du monde et lecentre de lâhistoire. Tertullien a formulĂ© dâune façon indĂ©passablecomment en Christ le Deus semper major (le « Dieu toujours plusgrand ») se fait Deus semper minor (« le Dieu toujours plus petit »),afin que lâhomme qui par le pĂ©chĂ© sâĂ©tait trouvĂ© au plus bas de toutfut exaltĂ© au plus haut. « Deus pusillus inventus est ut homo maxi-mus fieret » (« Dieu sâest fait le plus petit pour que lâhomme devĂźntle plus grand » 5). Le cĆur du christianisme ne se comprend que dansun culte en esprit, joint Ă la docilitĂ© Ă lâEsprit, qui est lâactualitĂ© duChrist et lâactualisation du PĂšre dans lâhomme et dans le monde.
II
Nous avons voulu commencer par cet enracinement de Dieu et delâhomme dans le Christ pour remonter le long du tronc et desbranches du christianisme historique. Ces racines permettent decomprendre lâĂ©pais feuillage de tant dâinstitutions et de situationsqui parfois nous cachent, comme des arbres, la forĂȘt ou comme desfeuilles, les fruits. Il arrive Ă beaucoup de nos contemporains lamĂȘme chose qui arriva Ă saint MillĂĄn 6, quand de berger il voulutdevenir ermite et, reconnaissant quâil ne savait pas le contenu ni lesfondements de la foi, se rendit devant lâabbĂ© pour lui exposer sonsentiment :
« je ne sais pas les lettres, daigne me les apprendre ; de la croyance sainte, je ne comprends pas la racine ;
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5. Tertullien, Contre Marcion II, 27, 7. 6. Ămilianus, qui fonda au VIĂšme siĂšcle le monastĂšre de la Cogolla, dans laprovince de la Rioja. Sa vie fait lâobjet dâun long poĂšme de Gonzalo de Berceo(XVIIIe siĂšcle) (N.d.T.).
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pĂšre, prends pitiĂ© de moi, prosternĂ© Ă tes pieds, pour quâen cette misĂšre, tu me tendes la main 7. »
Le thĂ©ologien a voulu accomplir sa mission en « tendant lamain », câest-Ă -dire en Ă©tendant la main pour rendre le christianismeintelligible, crĂ©dible et aimable Ă nos contemporains. La tĂąche pri-mordiale de la thĂ©ologie aujourdâhui est de conjuguer la rĂ©alitĂ© deDieu et la vocation de lâhomme, dĂ©passant lâĂ©cart entre lâhistoire etle dogme, le rĂ©cit Ă©vangĂ©lique et la pensĂ©e mĂ©taphysique, la piĂ©tĂ©individuelle et lâappartenance ecclĂ©siale, lâexistence historique etlâexistence chrĂ©tienne. Ce travail de « conjugaison » constitue le plusgrand apport que la thĂ©ologie puisse faire Ă la vĂ©ritĂ© et Ă la plĂ©nitudede lâexistence humaine.
Le rythme intĂ©rieur de ce livre a Ă©tĂ© commandĂ© par deux objec-tifs. Le premier est de comprendre la trajectoire de la consciencemoderne, de la Renaissance Ă nos jours, pour voir comment elle aconditionnĂ© la maniĂšre dont les rĂ©alitĂ©s chrĂ©tiennes sont conçues etjugĂ©es. Le second objectif est dâoffrir les contenus essentiels de lafoi, tels quâils sont exprimĂ©s dans le credo, en rĂ©fĂ©rence et en dia-logue avec leur histoire. Nous partons de lâextĂ©rioritĂ© historiquepour atteindre lâintĂ©rioritĂ© personnelle et atteindre pour finir lâaltĂ©-ritĂ© mĂ©taphysique. Le christianisme prĂ©suppose ces trois dimen-sions : la transcendance, lâhistoricitĂ©, lâintĂ©rioritĂ©. Il met en jeu tousles dynamismes de la personne humaine : mĂ©moire, intelligence,volontĂ©. Il actualise les trois temps de lâhomme : passĂ©, prĂ©sent etavenir. Il ouvre au mystĂšre de Dieu comme Principe absolu (PĂšre),comme Figure dans lâhistoire (Fils), comme Don dans lâintĂ©rioritĂ©(Esprit saint). Câest la logique qui dĂ©termine les trois parties de celivre.
Tout ceci Ă©tant dit, nous nâavons pas pour autant lâintention dedonner une dĂ©monstration du christianisme Ă partir de faits quigarantissent sa vĂ©ritĂ© positive, ni Ă partir de principes gĂ©nĂ©raux dontlâĂ©vidence logique rende lâadhĂ©sion nĂ©cessaire. Dieu, dans sa trans-cendance comme dans son incarnation, nâest pas dĂ©ductible commeune consĂ©quence des prĂ©misses ; et il est encore moins rĂ©ductiblecomme on rĂ©duit un ennemi, un fauve ou un dĂ©ment. Dieu est parnature personnel, il est un sujet de libertĂ© et un arbitre de souverai-
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7. G. de Berceo, Vida de San MillĂĄn de la Cogolla, strophe 18 in Obra CompletaMadrid 1992, p. 131.
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netĂ©. Il nâest connu que sâil est reconnu, cherchĂ© et aimĂ©, et, commetout ĂȘtre personnel, il nâaccepte ni violence ni violation. Pour leconnaĂźtre, il faut sâengager dans une relation rĂ©ciproque de libertĂ©et dâamour.
Le christianisme nâa pas besoin de dĂ©monstration thĂ©orique ni devĂ©rification empirique : il a besoin dâune interprĂ©tation intellectuelleet dâune mise en Ćuvre rĂ©elle. La philosophie antique parlait dĂ©jĂ des « exercices spirituels » 8, les PĂšres de lâĂglise de la « gymnas-tique des yeux du cĆur », saint Ignace de Loyola passe de lacontemplation thĂ©orique aux « exercices spirituels » et Kierkegaardoppose au christianisme spĂ©culatif de Hegel un « exercice du chris-tianisme Ă©vangĂ©lique ». La thĂ©ologie ne doit pas tant dĂ©montrer lafoi que la montrer, comme on montre une Ćuvre dâart ou on inter-prĂšte une symphonie. Sa vĂ©ritĂ© se dĂ©voile dans la rĂ©vĂ©lation Ă ceuxqui ont des yeux aimants et des oreilles attentives. Sa vĂ©ritĂ© sâat-teste, sâaccrĂ©dite et se dĂ©fend par elle-mĂȘme ; mais davantage Ă ceuxqui veulent lâaccueillir et qui la « cherchent », parce que toutĂ©chappe aux yeux aveugles et aux oreilles sourdes. Mais les perlesne cessent pas pour autant dâĂȘtre des perles, mĂȘme si tous les ani-maux ne les reconnaissent pas. LâĂvangile rĂ©vĂšle toute sa beautĂ©et toute sa puissance quand il cesse dâĂȘtre une partition de notesmortes pour devenir un concert dâhommes vivants. Les vraiscroyants, et parmi eux les saints, montrent la diffĂ©rence et la conti-nuitĂ© entre la musique Ă©crite et la musique vivante. François de SalesĂ©crivait justement : « quâest autre chose la vie des saints que lâĂvan-gile mis en Ćuvre ? Il nây a non plus de diffĂ©rence entre lâĂvangileĂ©crit et la vie des saints quâentre une musique notĂ©e et une musiquechantĂ©e » 9. Lorsquâune personne paraĂźt, lorsquâun tableau estdĂ©voilĂ© ou quâune symphonie est interprĂ©tĂ©e, on ne rĂ©pond paspar des arguments, avant de lâavoir contemplĂ©e, Ă©coutĂ©e et accueillie.Le christianisme est un fait qui doit se situer dans lâhistoire, uneproposition de sentiment qui doit sâintĂ©grer dans la personne,une promesse qui doit sâinterprĂ©ter aprĂšs lâouverture profonde denotre esprit au Futur absolu.
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8. Voy. Pierre Hadot Quâest-ce que la philosophie antique ? Paris, 1995 p. 276-333 (N.d.T.). 9. Lettre du 5 octobre 1604 Ă Mgr FrĂ©myot, archevĂȘque de Bourges et frĂšre deJeanne de Chantal (Ćuvres complĂštes, Annecy, 1902, t. 12, p. 306 ).
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III
Je me suis proposĂ© dans le prĂ©sent ouvrage dâĂ©tablir un pont entrela thĂ©ologie scientifique, qui travaille entre ses murs, et la piĂ©tĂ© desfidĂšles, qui, dans les intempĂ©ries et hors des murs, vit de rĂ©flexionnourriciĂšre et dâillumination critique. Ce livre voudrait offrir un fildâAriane pour sâorienter dans le christianisme comme un fait vĂ©ri-fiable, une idĂ©e pensable et une proposition vivable, afin quâil nenous apparaisse pas comme un labyrinthe oĂč lâon nâa pas dâaccĂšs sion est au dehors et oĂč on se perd si on se trouve Ă lâintĂ©rieur. Le lec-teur excusera la taille excessive de ce livre, mais il peut dâabord sâentenir aux cent premiĂšres pages du livre, qui sont une anticipation dela totalitĂ© (ou comme un seul et mĂȘme chapitre rĂ©Ă©crit dans tous lesautres). Chaque chapitre est suivi dâune bibliographie minimale, quipermet de continuer Ă penser. Lâauteur a toujours enviĂ© lâadmirablemonotonie du QuatriĂšme Ăvangile, oĂč chaque chapitre traite tou-jours de la mĂȘme chose, tout en ayant Ă chaque fois un caractĂšre denouveautĂ© ! Le reste du livre est une explicitation et nâa peut-ĂȘtre devaleur que parce quâau dessus de lui comme le bel encadrementdâun tissu grossier, apparaissent les centaines de textes que jâai tirĂ©sde la meilleure tradition chrĂ©tienne. Ils composent notre horizon spi-rituel, nous arrachant Ă la concentration dans lâinstant temporel oĂčnous enferment les pouvoirs dominants afin de nous distraire etde nous empĂȘcher de rĂ©pondre Ă tout autre appel quâĂ leur service.Lâhistoire nâest pas dâabord une source dâinformation : elle estdâabord une source de libĂ©ration. Ne peut vraiment connaĂźtre lechristianisme que celui qui sait ce quâil a donnĂ© de lui-mĂȘme dansles trente siĂšcles de son existence, ce quâil contient aujourdâhui, etce quâil permet dâespĂ©rer pour demain. Notre mĂ©thode dâexpositionest une mĂ©thode de pĂ©nĂ©tration concentrique et non pas dâavancĂ©elinĂ©aire, de sorte que dans chaque thĂšme les questions apparaissent,qui sont connexes de maniĂšre directe ou indirecte avec lui. Un indexgĂ©nĂ©ral permet au lecteur de retrouver les thĂšmes, les auteurs, lespassages de la Bible, quâil peut chercher.
Le style du livre a voulu ĂȘtre tout Ă la fois Ă©difiant, critique etmĂ©ditatif. Ă©difiant, parce quâil a Ă©tĂ© Ă©crit avec lâamour qui seulconstruit. Critique parce que la foi donne des yeux Ă notre espritpour discerner et deviner ce qui est au delĂ de notre regard naturel,mĂ©ditatif enfin parce quâil implique le sujet pensant avec son destinpensĂ© et parce que la vĂ©ritable mĂ©ditation ne sâarrĂȘte jamais. Depuis
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cette extension Ă lâinfini et cette connaturalisation avec lâInfini,devenu finitude par lâIncarnation en Christ, nous pouvons distinguerla gloire de Dieu et admirer dans sa lumiĂšre notre gloire dâhommes.« Per quem glorificatur Pater et glorificatur homo » (« lâhomme estaussi glorifiĂ© par Celui par qui le PĂšre est glorifiĂ© »), disait saintIrĂ©nĂ©e 10. Dans le christianisme, il est question de cĆur et dâappĂ©tit,et pas seulement dâidĂ©es et de raisons. Un des maĂźtres de la pensĂ©ethĂ©ologique du vingtiĂšme siĂšcle, Henri de Lubac, a Ă©crit, dans unelettre Ă Maurice Blondel :
« si trop souvent aujourdâhui la vie gĂ©nĂ©rale de lâhumanitĂ© seretire du christianisme, câest peut-ĂȘtre quâon a trop souvent dĂ©racinĂ©le christianisme des viscĂšres intimes de lâhomme » 11.
Les trois paroles clefs de ce livre sont : racine, cĆur et christia-nisme ; elles parlent dâun christianisme radical, intime et vraimentchrĂ©tien.Elles nous renvoient au mystĂšre qui, Ă©tant le Principe Ă©ter-nel, a jailli comme une source dans notre monde, est parvenu Ă touthomme comme une eau vive, qui arrose sa terre et Ă©claire saconscience. La rĂ©alitĂ© divine qui est rĂ©vĂ©lĂ©e possĂšde une dimensionabsolue, une dimension objective et une dimension subjective ; Ă cause de cela, la mĂ©taphysique, lâhistoire et la mystique sont Ă©gale-ment nĂ©cessaires au christianisme, chacun en son lieu propre, sanspouvoir remplacer les autres. Au delĂ dâune conception statique(essence du christianisme) et en deçà dâune conception tragique(agonie du christianisme), nous proposons une comprĂ©hensiondynamique, valide en thĂ©orie et vivable dans lâhistoire.
Ce livre ne prĂ©tend certes pas rĂ©server Ă lâexercice ou Ă lâenga-gement Ă©thique de la raison lâaccĂšs Ă lâabsolu, mais il demande delâintĂ©grer Ă la route jusquâĂ la rencontre, de mĂȘme quâil faut intĂ©grerlâhistoire comme le lieu possible oĂč la libertĂ© souveraine de Dieuvisite et rencontre lâhumanitĂ©.
(Traduit de lâespagnol par J. R. Armogathe.)
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10. Contre les hĂ©rĂ©sies IV, 17, 6. 11. Lettre du 3 avril 1932, reproduite dans MĂ©moire sur lâoccasion de mesĂ©crits Namur 1989, p. 189.
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En 1992, la revue Communio a consacrĂ© un numĂ©ro substantiel Ă la pensĂ©e du cardinal Henri de Lubac (1896-1991) 1. Nous y ren-voyons le lecteur. Cet article-ci vise uniquement Ă annoncer la paru-tion des Ćuvres complĂštes du cardinal. Les Ăditions du Cerfviennent, en effet, dâentamer leur publication et se donnent huit anspour lâachever. Le premier des 50 volumes Ă paraĂźtre, Le Drame delâhumanisme athĂ©e 2, fut prĂ©sentĂ© Ă la presse le 11 dĂ©cembre dernier,
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Georges CHANTRAINE
LâactualitĂ© de lâĆuvredu cardinal Henri de Lubac
Pour annoncer la publication des Ćuvres complĂštes du cardinalHenri De Lubac
Communio, n° XXIV, 2 â mars-avril 1999
1 Henri de Lubac, le thĂ©ologien Ă lâĆuvre, Communio 17-5 (1992) 142 p.2 PubliĂ© sous la direction scientifique de Georges Chantraine s. j. et MichelSales s. j. assistĂ©s de Fabienne Clinquart, Paris, Ăd. du Cerf, 1998, 448 p.,185 F. Les volumes Ă paraĂźtre en 1999 sont : Paradoxes (Paradoxes + Nou-veaux Paradoxes + Autres Paradoxes + 1 inĂ©dit). PrĂ©sentation de GeorgesChantraine s. j. et Michel Sales s. j.: Le mystĂšre du surnaturel. PrĂ©sentation deMichaĂ«l Figura : La rencontre du Bouddhisme et de lâOccident. PrĂ©sentation deJean NoĂ«l Robert : MĂ©ditation sur lâĂglise (+ 4 articles + 1 inĂ©dit). PrĂ©sentationdu cardinal Jean-Marie Lustiger : La pensĂ©e religieuse du P. Theillard deChardin. PrĂ©sentation de Michel Sales s. j.: Corpus mysticum. LâEucharistie etlâĂglise au moyen Ăąge. Ătude historique (+ 4 articles). PrĂ©sentation de GeorgesChantraine s. j.: Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme (+ 5 articles).PrĂ©sentation de Jean Stern ms. Hors sĂ©rie : Henri de Lubac et le mystĂšre delâĂglise. Actes du colloque tenu Ă lâInstitut de France le 12 octobre 1996.
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Ă Paris, Ă lâInstitut de France, en prĂ©sence du cardinal Jean-MarieLustiger. Pourquoi le P. Nicolas-Jean Sed, directeur gĂ©nĂ©ral des Ădi-tions du Cerf, sous la direction scientifique de lâAssociation Inter-nationale Cardinal Henri de Lubac 3, a-t-il souhaitĂ© mettre Ă laportĂ©e de tous 4 cette Ćuvre considĂ©rable 5 ? Quelle est lâactualitĂ© dela pensĂ©e de Henri de Lubac ?
La vie et lâĆuvre du P. de Lubac 6.
ArdĂ©chois par son pĂšre, bressan par sa mĂšre, Henri de Lubac estnĂ© Ă Cambrai en 1896. TroisiĂšme de six enfants, il a « Ă©tĂ© Ă©levĂ© âpour reprendre ses propres mots â avec beaucoup dâaffection maisavec un soin sĂ©vĂšre ». Il « en a une immense reconnaissance Ă ses
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3. Cette association internationale, crĂ©Ă©e en 1994, a pour but de diffuserlâĆuvre ecclĂ©siale, scientifique, culturelle et humaine du cardinal de Lubac etde rassembler du matĂ©riel documentaire concernant sa personne et ses activitĂ©s.On peut y adhĂ©rer et verser sa cotisation Ă lâordre de lâAssociation, 128, rueBlomet, F-75015 Paris, par chĂšque postal au numĂ©ro de CCP : La Source 40790 66 H (clĂ© RIP 78). Cotisation annuelle ordinaire : 130 F, Ă©tudiant : 50 F,soutien : 500 F. La cotisation inclut lâabonnement au Bulletin annuel de lâAsso-ciation et une rĂ©duction sur le prix de vente des livres.4. Un accĂšs simple et aisĂ© Ă chaque Ćuvre est assurĂ© grĂące Ă des outils adĂ©-quats : prĂ©sentation du contexte historique, de la place de lâouvrage dans lâen-semble de lâĆuvre et de la portĂ©e thĂ©ologique de chaque ouvrage ; traductiondes textes citĂ©s en langues Ă©trangĂšres, anciennes et modernes ; index des nomsde personnes.5. En janvier 1978, le P. de Lubac a Ă©tabli le programme de ses Ćuvres complĂštesen vue de leur publication en langue italienne ; Ă ses livres il a joint ses articlesles plus significatifs. Les PP. G. Chantraine et M. Sales ont mis ce programmeĂ jour ; ils y ont ajoutĂ© les ouvrages et des articles publiĂ©s depuis 1978, desĂ©crits de jeunesse, les correspondances rassemblĂ©es et annotĂ©es par le PĂšre lui-mĂȘme et sa bibliographie ; une section est rĂ©servĂ©e Ă la publication dâinĂ©dits.Ces Ćuvres, reprenant de maniĂšre thĂ©matique bien des livres et des articlesaujourdâhui introuvables, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme complĂštes ; nâontĂ©tĂ© laissĂ©s de cĂŽtĂ© que des articles mineurs.6. Pour cette partie biographique, nous renvoyons aux articles du P. MichelSales, « Les richesses de la RĂ©vĂ©lation » dans France catholique, 13/9/91 et deJ. de la RosiĂšre « Ăloge du cardinal de Lubac », dans Communio 19-4 (1994),dont nous nous sommes inspirĂ©.
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parents » 7. AprĂšs avoir accompli, Ă Lyon, ses humanitĂ©s chez lesjĂ©suites et une annĂ©e universitaire en droit, il entre le 9 octobre 1913au noviciat de la Compagnie de JĂ©sus rĂ©fugiĂ© en Angleterre Ă SaintLeonards (Sussex), depuis les mesures antireligieuses prises par laRĂ©publique française. Il fera la premiĂšre guerre mondiale au coursde laquelle il sera griĂšvement blessĂ©. DĂ©mobilisĂ© en 1919, il pour-suit, en Angleterre, puis Ă Lyon-FourviĂšre, les Ă©tapes normales de lalongue formation intellectuelle et spirituelle des jĂ©suites, avecquelques dĂ©rogations en raison de sa santĂ©. Il y accomplit ses Ă©tudesde philosophie et de thĂ©ologie. OrdonnĂ© prĂȘtre Ă Lyon le 22 aoĂ»t1927, il prononcera ses vĆux solennels de religion le 2 fĂ©vrier 1931.
En octobre 1929, il est nommĂ© Ă la chaire de thĂ©ologie fonda-mentale de la FacultĂ© catholique de Lyon et, un an plus tard, Ă celledâhistoire de la religion. Il les occupera jusquâĂ sa retraite en 1960.Quand paraĂźt son premier livre, Catholicisme, Les aspects sociauxdu dogme (1938 ; 7e Ă©d., Ăd. du Cerf, 1983), il a 42 ans passĂ©s. Amiintime du P. Pierre Chaillet, fondateur des Cahiers clandestins duTĂ©moignage chrĂ©tien, il participe activement dĂšs la fin de lâannĂ©e1940 Ă la rĂ©sistance spirituelle au nazisme. Il fonde aussi avec leP. Jean DaniĂ©lou, en 1941, la collection « Sources chrĂ©tiennes »,destinĂ©e Ă mettre Ă la disposition dâun large public les textesmajeurs, grecs et latins, de la tradition chrĂ©tienne (cette collectionen est aujourdâhui Ă son 430e volume !). Les annĂ©es de lâOccupationsont pour lui un temps dâintense travail intellectuel qui se traduira,Ă la LibĂ©ration, par de nombreuses publications. La plus fameuse estSurnaturel (1946 ; 2e Ă©d., DDB, 1990) : ce livre devait bientĂŽt setrouver au centre de ce que ses adversaires dĂ©nommeront abusive-ment la « Nouvelle thĂ©ologie », dĂ©viation moderniste de thĂ©ologiensfrançais jĂ©suites et dominicains.
En 1950, en effet, va sâouvrir dans la vie du P. de Lubac et de plu-sieurs de ses confrĂšres, une pĂ©riode de crise qui ne durera pas moinsde dix ans. Suspendu de son enseignement par les autoritĂ©s de laCompagnie de JĂ©sus, le P. de Lubac mettra Ă profit le temps dont ildispose pour rĂ©diger et publier, entre autres, trois importantsouvrages sur le bouddhisme quâil considĂšre comme le phĂ©nomĂšne leplus considĂ©rable de lâhistoire religieuse Ă cĂŽtĂ© du christianisme :
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7. Henri DE LUBAC, « Un inĂ©dit : MĂ©moire sur mes vingt premiĂšres annĂ©es (I),Ă©ditĂ© et annotĂ© par Georges Chantraine et Fabienne Clinquart », dans Bulletinde lâAssociation Internationale Cardinal Henri de Lubac I (1998), 11.
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Aspects du Bouddhisme (Seuil, 1951), La Rencontre du Bouddhismeet de lâOccident (Aubier-Montaigne, 1952), Amida (le plus popu-laire des bouddhas, vĂ©nĂ©rĂ© au Japon) (Seuil, 1955). Câest Ă©galementĂ cette Ă©poque quâil Ă©dite sa cĂ©lĂšbre MĂ©ditation sur lâĂglise (1953 ;4e Ă©d., DDB, 1985).
En 1958, il est Ă©lu Ă lâAcadĂ©mie des sciences morales et poli-tiques. Deux ans plus tard, au mois dâaoĂ»t 1960, il est nommĂ© par lePape Jean XXIII expert thĂ©ologique dans la Commission prĂ©para-toire au Concile de Vatican II. Reconduit dans la Commission thĂ©o-logique, de loin la plus importante du concile au point de vuedoctrinal, il sera lâun des artisans de Vatican II, travaillant en deslieux-clĂ©s sur des points majeurs, nĂ©gligeant Ă dessein la vainepublicitĂ© des mĂ©dias. On peut le dĂ©couvrir dans Entretiens autourde Vatican II, Souvenirs et rĂ©flexions (Ăd. du Cerf, 1985).
Les obligations de Henri de Lubac, expert du Concile, ne lâem-pĂȘchent pas de poursuivre ses travaux de fond, notamment lesquatre tomes de sa monumentale ExĂ©gĂšse mĂ©diĂ©vale, les quatre sensde lâĂcriture (Aubier-Montaigne, I-II : 1959, III : 1961, IV : 1964).Avant lâouverture du Concile, il fut le premier Ă dĂ©fendre lamĂ©moire et la valeur de son confrĂšre, Pierre Teilhard de Chardin,dans un livre traduit en de nombreuses langues : La pensĂ©e reli-gieuse du P. Teilhard de Chardin (Aubier-Montaigne, 1962).
Le Pape Paul VI le nomme successivement consulteur du SecrĂ©-tariat pour les non-chrĂ©tiens et de celui pour les non-croyants (1965-1974) et membre de la Commission ThĂ©ologique internationale(1969-1974). Dans la conjoncture difficile de lâaprĂšs-concile, ilpublie plusieurs ouvrages dĂ©veloppant ou Ă©clairant lâenseignementde Vatican II sur des points de premiĂšre importance : ainsi La RĂ©vĂ©-lation divine (1968 ; 3e Ă©d., Ăd. du Cerf, 1983), Les Ăglises particu-liĂšres dans lâĂglise universelle (Aubier-Montaigne, 1971).
Le 2 fĂ©vrier 1983, en mĂȘme temps que Mgr Lustiger, archevĂȘquede Paris, il est crĂ©Ă© cardinal par le Pape Jean-Paul II. MalgrĂ© lesĂ©preuves de son grand Ăąge, il continua Ă publier des livres, en parti-culier un prĂ©cieux MĂ©moire sur lâoccasion de mes Ă©crits (1989),rĂ©digĂ© entre 1973 et 1988, document historique capital sur soixante-dix ans de lâhistoire de lâĂglise, dont il fut Ă la fois un acteur discretet dĂ©cisif en mĂȘme temps quâun tĂ©moin lucide et courageux. Le4 septembre 1991, il mourut Ă Paris, oĂč il rĂ©sidait depuis 1974, chezles Petites SĆurs des Pauvres, qui prirent soin de lui les deux der-niĂšres annĂ©es de sa vie.
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DĂšs 1943, ses livres ont Ă©tĂ© traduits en de nombreuses langues :anglais, allemand, italien, espagnol, portugais, japonais, catalan,polonais, nĂ©erlandais. Il a participĂ© Ă maintes manifestations scien-tifiques internationales et a Ă©tĂ© fait docteur honoris causa de nom-breuses universitĂ©s. Ses Ćuvres complĂštes sont dĂ©jĂ publiĂ©es enlangue italienne.
Le Cardinal a par ailleurs dĂ©ployĂ© une impressionnante activitĂ©dâĂ©diteur. Câest ainsi quâon lui doit, par exemple, presque tous lesouvrages du P. Yves de Montcheuil, les Ăcrits du temps de la guerre(1916-1919) de Teilhard et des correspondances abondammentannotĂ©es de Maurice Blondel, Gabriel Marcel, Gaston Fessard,Pierre Teilhard de Chardin, Ătienne Gilson.
LâactualitĂ© de la pensĂ©e du P. de Lubac
« Si trop souvent aujourdâhui la vie gĂ©nĂ©rale de lâhumanitĂ© seretire du christianisme, câest peut-ĂȘtre quâon a trop souvent dĂ©racinĂ©le christianisme des viscĂšres intimes de lâhomme » 8. Cette pensĂ©edu P. de Lubac inspira toute son Ćuvre. Il la partageait avec sesguides : Pierre Teilhard de Chardin, Auguste Valensin, LĂ©once deGrandmaison ; avec ses frĂšres dâĂ©tudes : Gaston Fessard, Yves deMontcheuil, Charles Nicolet, Jean Zupan 9 ; et avec ses disciples :Jean DaniĂ©lou, Hans Urs von Balthasar, François Varillon. OĂč donctrouver les racines intimes de lâhomme dâoĂč jaillit le christianismeen vue de rendre la vie chrĂ©tienne accessible Ă lâhumanitĂ© ?
1. Les racines intimes de lâhomme se trouvent dans lâesprit. Cemot « esprit » est chez lui un mot-clĂ©. Lâesprit demeure en Dieu etdans lâhomme. Dans ce dernier, lâesprit est capable dâaimer Dieu.Car lâesprit, qui est en lâhomme, vient de Dieu et le tourne versDieu. Mais, parce quâil est une crĂ©ature, lâhomme, fait pour aimerDieu en son Fils, est capable aussi de refuser dâaimer Dieu en
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8. Henri DE LUBAC, MĂ©moire sur lâoccasion de mes Ă©crits, Namur, Culture etVĂ©ritĂ© (diffusion Ăd. du Cerf), 2e Ă©d., 1992, 189. Lettre du P. H. de Lubac Ă Maurice Blondel, 3 avril 1932.9. Cf. Henri DE LUBAC, Trois jĂ©suites nous parlent. Yves de Montcheuil (1899-1944), Charles Nicolet (1897-1961), Jean Zupan (1899-1968), Paris, Lethielleux,1980.
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sâaimant lui-mĂȘme. CrĂ©ature spirituelle, lâhomme ne peut agir avecplĂ©nitude quâen accueillant lâEsprit donnĂ© Ă la PentecĂŽte. Son espritest alors pleinement libre. Il entre dans sa destinĂ©e surnaturelle.Ainsi ĂȘtre homme, câest laisser guider son esprit par lâEsprit deDieu. Câest ĂȘtre enracinĂ© dans le MystĂšre et se rĂ©aliser en lui. Henride Lubac lâa expliquĂ© dans Surnaturel, dans Le MystĂšre du surna-turel (Aubier-Montaigne, 1965), dans Petite catĂ©chĂšse sur nature etgrĂące (Fayard, 1980) 10.
2. Cette union de lâesprit humain et du Saint-Esprit se rĂ©alise etse manifeste dans lâĂglise et lâEucharistie. H. de Lubac le mettra enlumiĂšre dans Catholicisme, Les aspects sociaux du dogme et dansCorpus Mysticum. Eucharistie et Ăglise au Moyen Ăge (1944 ;3e Ă©d., Aubier-Montaigne, 1968). Dans lâEsprit-Saint, lâĂglise estunie au Christ sâoffrant Ă son PĂšre pour les hommes : câest lâoffrandede la Croix et de lâEucharistie. Aussi lâĂglise se constitue-t-elle Ă lâintĂ©rieur de lâEucharistie, qui fait la communion des saints : rĂ©alitĂ©qui se dĂ©ploie dans le temps, elle est personnelle et sociale. ChaquebaptisĂ©, qui se laisse conduire par lâEsprit dans lâĂglise, devient unepersonne dans la communion de ceux qui vivent aussi selon lâEsprit.Le collĂ©gialitĂ© des Ă©vĂȘques unis entre eux et avec leur chef, le suc-cesseur de Pierre, manifeste sacramentellement ce lien constitutifentre lâĂglise et lâEucharistie. Les Ăglises particuliĂšres dans lâĂgliseuniverselle le mettront en relief avec une rare profondeur.
Unie Ă son Ăpoux quâelle offre dans lâEucharistie, lâĂglise leconnaĂźt dans lâEsprit-Saint : elle en lit lâhistoire et la destinĂ©e danslâAncien Testament et en voit lâaccomplissement dans le NouveauTestament. Câest ainsi que lâĂglise lit et comprend lâĂcriture dans saliturgie, dans son enseignement et dans la vie spirituelle. Ellecontemple le sens spirituel, dont lâexĂ©gĂšse critique assure les fon-dements historiques et littĂ©raires. Seul le sens spirituel peutconstruire lâesprit de lâhomme et animer toute culture. Henri deLubac a eu la joie de le faire voir dans son magnifique livre sur Ori-gĂšne, Histoire et Esprit (Aubier-Montaigne, 1950) et dans les quatretomes dâExĂ©gĂšse mĂ©diĂ©vale.
Dans la postĂ©ritĂ© spirituelle de Joachim de Flore (Lethielleux,I : 1979, II : 1981), â Joachim de Flore est un abbĂ© cistercien (vers
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10. Le P. H. de Lubac esquissa ce dernier livre dans « Petite catéchÚse sur lanature et la grùce », Communio 2-4 1977.
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1130-1202) â, Henri de Lubac a montrĂ© une dĂ©viation possible dusens spirituel qui se manifeste depuis le XIIIe siĂšcle. LâEsprit fait,certes, connaĂźtre Ă lâĂglise son Seigneur et son histoire parmi leshommes. Il nâest pas cependant au-delĂ du Seigneur ; ce serait uneillusion de vouloir dĂ©passer la rĂ©alitĂ© sacramentelle de lâĂglise pourtrouver le vĂ©ritable Esprit et sâattacher Ă un Esprit sans institutionecclĂ©siale, sans dogme, sans sacrement. Le chrĂ©tien ne peut pascrĂ©er dâexpĂ©rience authentique de lâesprit en dehors de lâĂglise. Encelle-ci, lâEsprit fait connaĂźtre JĂ©sus de Nazareth comme le Fils deDieu incarnĂ©, plĂ©nitude de Dieu.
3. Ainsi lâhomme ne devient vraiment spirituel que dans lâĂglise ;celle-ci a pour mission de communiquer la vie de Dieu Ă tous leshommes. Aussi lâĂglise est-elle MystĂšre et elle agit pour faire accĂ©-der au MystĂšre de Dieu, oĂč lâhomme lui-mĂȘme est mystĂšre. Elle estParadoxe et MystĂšre (Aubier-Montaigne, 1967) : elle seule faitatteindre Ă lâhomme sa rĂ©alitĂ© derniĂšre, qui est spirituelle. Face auxsociĂ©tĂ©s, tentĂ©es par la volontĂ© de puissance, lâĂglise affirme la des-tinĂ©e spirituelle de la personne humaine. Aussi, fidĂšle Ă lâĂglise,Henri de Lubac ne fit-il aucune opposition politique aux occupantset aux nazis 11, mais il mena une rĂ©sistance spirituelle Ă lâantisĂ©mi-tisme, au nazisme et au communisme marxiste. Ce quâil avait ensei-gnĂ© dans Catholicisme, il le pratiqua par sa RĂ©sistance chrĂ©tienne Ă lâantisĂ©mitisme (Fayard, 1988) et il espĂ©ra lâhomme nouveau 12 aumilieu de la dĂ©tresse vĂ©cue du Drame de lâhumanisme athĂ©e (1944).
4. Ayant ainsi contemplĂ© lâesprit dans lâhomme et dans lâĂglise,la pensĂ©e de Henri de Lubac ouvre deux voies : comment donc les
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11. Le P. de Lubac ne fit pas partie de groupes de rĂ©sistants. Il fit lui-mĂȘmeremarquer que son opposition ne fut pas politique...: Je ne saurais accepter cequâa Ă©crit rĂ©cemment le P. Congar dans le livre dâinterviews quâil a donnĂ©s Ă Jean Puyot Centurion 1975 : « Mon rĂ©flexe anti-nazi Ă©tait dâessence patrio-tique ; il Ă©tait alimentĂ© Ă©galement par mes convictions chrĂ©tiennes mais il nedĂ©bouchait pas, je le reconnais, sur un engagement politique, comme le firenten France des amis comme les PP. Chaillet, de Lubac, Chenu, Maydieu ». Il estdâailleurs tout naturel que le P. Congar alors prisonnier en Allemagne nâait pusaisir exactement la nature de notre engagement (H. de Lubac, MĂ©moires surlâoccasion de mes Ă©crits).12. Le premier chapitre des affrontements mystiques (Paris Ă©d. du TĂ©moignagechrĂ©tien 1950) sâintitule : « La recherche dâun homme nouveau », publiĂ©dâabord dans les Ătudes sous ce titre, octobre 1947.
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hommes ont-ils rĂ©ussi Ă connaĂźtre Dieu au cours de leur histoire ?Quel est le contenu de leurs religions ? Avec une acuitĂ© qui confonddâadmiration les spĂ©cialistes actuels, Henri de Lubac a Ă©tudiĂ© lebouddhisme. Il voit Bouddha et ses disciples se dĂ©tacher aussicomplĂštement que possible dâeux-mĂȘmes pour ne connaĂźtre quâunerĂ©alitĂ© impersonnelle, le Soi. Ce dĂ©tachement est merveilleux. Seu-lement, lâhomme y perd sa rĂ©alitĂ© personnelle. Disparaissent ainsipersonne et communion. Seul le Dieu Trinitaire les donne. Le dia-logue interreligieux demande dĂšs lors au chrĂ©tien dâentrer dans lavie religieuse intime de lâhindou, ou du bouddhiste ou dâautresencore, dâen connaĂźtre intĂ©rieurement la puissance religieuse etde sâoffrir lui-mĂȘme comme le Seigneur sâest offert : câest ce quefit lâabbĂ© Monchanin (Images de lâabbĂ© Monchanin [Aubier-Montaigne, 1967]).
5. Tournons-nous maintenant vers la communautĂ© chrĂ©tienne.Comment a-t-elle reçu ce don de lâamour ? Dans lâhistoire de la pen-sĂ©e chrĂ©tienne, le P. de Lubac a constatĂ©, outre la dĂ©viation joachi-mite, trois autres changements de paramĂštre dont il a montrĂ©lâimportance thĂ©ologique. Le premier changement date du XIIe siĂšcle,le second du XIIIe siĂšcle, le troisiĂšme du XVIe siĂšcle. Ă partir duXIIe siĂšcle, les thĂ©ologiens se sont montrĂ©s de plus en plus attentifsĂ la prĂ©sence rĂ©elle du Seigneur dans lâEucharistie ; ils en sont venusĂ perdre de vue lâunitĂ© entre lâEucharistie et lâĂglise. LâecclĂ©siolo-gie tendit dĂšs lors Ă ne plus ĂȘtre eucharistique. Ă la suite des travauxde H. de Lubac, le Concile de Vatican II a remis en honneur uneecclĂ©siologie eucharistique 13 : dans lâĂglise faite par lâEucharistie,le Concile put voir dĂšs lors lâunion des chrĂ©tiens entre eux Ă lâintĂ©-rieur du Peuple de Dieu, Corps du Christ, et le collĂšge des Ă©vĂȘques,uni Ă la primautĂ© du pape.
Au 13e siĂšcle, la scolastique a construit une thĂ©ologie qui Ă©labora,Ă lâaide de la philosophie grecque, particuliĂšrement celle dâAristote,la rationalitĂ© de la RĂ©vĂ©lation et de la foi qui la comprend. Chezsaint Thomas, que H. de Lubac a scrutĂ© depuis ses Ă©tudes de philo-sophie, sâest dĂ©veloppĂ©e et sâest inscrite dans la pensĂ©e chrĂ©tienneune intelligence intellectuelle qui risquait de considĂ©rer de maniĂšreabstraite le don de lâamour divin. Elle y a suscitĂ©, de fait, une ten-sion entre un universel devenu abstrait et le concret de la RĂ©vĂ©la-
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13. J. RATZINGER, Ăglise, ĆcumĂ©nisme et politique, Paris, Fayard, 1987, 17-21.
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tion, perçu chez les scotistes et les nominalistes comme provenantde la volonté divine. H. de Lubac a souligné et critiqué cette fauterationaliste successivement dans Surnaturel, Le MystÚre du surnatu-rel et La foi chrétienne. Essai sur la structure du Symbole des ApÎtres(1969 ; 2e éd., Aubier-Montaigne, 1970). Il y a vis moins la penséede saint Thomas, que celle de ses commentateurs du XVIe siÚcle à nos jours.
Ă partir du XVIe siĂšcle, en effet, la majoritĂ© des thĂ©ologiens,dominicains et jĂ©suites sans distinction, se sont mis Ă penserlâhomme au moyen de cette rationalitĂ© abstraite : ils en sont venusainsi Ă perdre de vue ce que saint Thomas avait continuĂ© Ă contem-pler selon lâĂcriture et les PĂšres de lâĂglise : lâhomme est dans leconcret aimĂ© par Dieu ; il a une seule destinĂ©e rĂ©elle qui est de vivrede la vie divine. En inventant la notion de « nature pure », ces thĂ©o-logiens (Suarez et Bannez par exemple) ont donnĂ© Ă lâhumanitĂ© undestin qui se limite Ă la terre et aux besoins de la vie en sociĂ©tĂ©. Il enest rĂ©sultĂ© deux choses : la sociĂ©tĂ© civile pouvait sâorganiser sansDieu et sans lâĂglise ; lâhomme Ă©tait en mesure de se connaĂźtre lui-mĂȘme par la philosophie, puis, en notre siĂšcle, par les scienceshumaines. Câest la voie du sĂ©cularisme. Dâautre part, la thĂ©ologie amis en Ćuvre une connaissance de la RĂ©vĂ©lation qui satisfaisait lesbesoins religieux sans se laisser interroger par la philosophie. AinsithĂ©ologie et philosophie en viennent Ă ĂȘtre sĂ©parĂ©es ; la thĂ©ologienâentend plus les questions que les hommes se posent, et ne reçoitplus de la philosophie les moyens dâinterroger la RĂ©vĂ©lation. Elleest tentĂ©e par lâintĂ©grisme. Inversement, elle nâappelle plus la phi-losophie Ă dĂ©battre au-delĂ de ses propres questions, dites ration-nelles, et Ă savoir que la rationalitĂ© se dilate et sâapprofondit dans laconnaissance du Dieu rĂ©vĂ©lĂ©. Elle laisse croĂźtre le rationalisme. LaderniĂšre encyclique de Jean-Paul II, Fides et ratio 14, vient de rap-peler les liens intrinsĂšques entre foi et raison, thĂ©ologie et philoso-phie par-delĂ cette sĂ©paration entre ces deux couples de termes,contre laquelle H. de Lubac a luttĂ© sa vie durant. Celui-ci les avaitunis au contraire, dĂšs ses premiers Ă©crits, puis dans Sur les cheminsde Dieu (1956 ; 3e Ă©d., Ăd. du Cerf, 1983) et ses Paradoxes, suivi deNouveaux Paradoxes (1959 ; 2e Ă©d., Seuil, 1983).
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14. JEAN-PAUL II, La Foi et la raison. Lettre encyclique Fides et ratio, prĂ©sen-tation par Michel Sales, Paris, Bayard Ăditions-Centurion, Fleurus-Mame, Ădi-tions du Cerf, 1998, 146 p.
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Il est toutefois impossible pour la philosophie de rester sĂ©parĂ©e.DâoĂč un nouveau champ de recherche du P. de Lubac. Chez Hegel,Feuerbach, Marx et Nietzsche, sâinspirant de lâhĂ©ritage luthĂ©rien, ouchez Auguste Comte, le pĂšre du positivisme, la pensĂ©e humainetend Ă sâemparer de la RĂ©vĂ©lation et Ă se lâapproprier selon samesure. Par deux voies diverses, les hĂ©ritiers de Luther et le positi-viste français crĂ©ent une thĂ©ologie inversĂ©e. Ils suscitent ainsiLe Drame de lâhumanisme athĂ©e (1944). Son aboutissement : quandlâhomme se substitue Ă Dieu, il disparaĂźt lui-mĂȘme. La mort de DieuentraĂźne la mort de lâhomme. La sociĂ©tĂ© se veut totalitaire. Ce tota-litarisme fut, du temps du P. de Lubac, le national-socialisme et lecommunisme marxiste. Il nâa pas disparu avec la fin de ces rĂ©gimes.Au niveau individuel, se dĂ©veloppent individualisme, dĂ©sespoir etsuicide. La vie nâa plus de prix : Câest le vide. LâespĂ©rance demeure,au contraire, chez qui regarde lâhomme comme esprit. Elle permetde projeter, Ă la lumiĂšre de la Constitution pastorale Gaudiumet spes, une idĂ©e chrĂ©tienne de lâhomme affrontĂ©e Ă la rĂ©alitĂ©du monde actuel, au sein duquel le chrĂ©tien doit vivre et agir.H. de Lubac sây est essayĂ© dans AthĂ©isme et sens de lâhomme(Ăd. du Cerf, 1968).
Conclusion.
« Comme Claudel et Theillard Ă©taient nĂ©s avec la passion delâUnivers, le PĂšre de Lubac portait la passion de lâĂglise catholiqueet des Ăąmes et donc de lâunitĂ© » 15. Quâil sâagisse de considĂ©rerlâhomme dans sa recherche de Dieu avant le Christ ou lâhomme quia connu, fĂ»t-ce de loin, dans le Christ, le don de Dieu, le P. de Lubaca mis toute son Ă©nergie et sa foi Ă sâouvrir Ă la NouveautĂ© Absoluedu Dieu trinitaire dans le Christ JĂ©sus en le recevant de toute laTradition chrĂ©tienne. Avec une intelligence aussi docile que « cri-tique » 16, il en a accueilli la richesse dĂ©bordante, une dans sa diver-sitĂ© dĂ©concertante. « Jâai cherchĂ© Ă faire connaĂźtre quelques-uns desgrand lieux communs de la tradition catholique. Jâai voulu la faire
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15. X. Tilliette s. j. « le legs du thĂ©ologien, dans Communio 17/5 (1992).16. V. Carraud « une Ćuvre nĂ©cessairement immense » dans Communio 17/5(1992).
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aimer, en montrer la fĂ©conditĂ© actuelle. 17 » Cette fĂ©conditĂ© ouvreles esprits Ă lâactualitĂ© de la pensĂ©e et de la vie. Telle est lâactualitĂ©de lâĆuvre du cardinal Henri de Lubac.
Georges Chantraine, nĂ© Ă Namur en 1932, entrĂ© dans la Compagnie de JĂ©susen 1951, prĂȘtre en 1963. Docteur en philosophie et lettres (Louvain, 1968) eten thĂ©ologie (Paris, 1978). Professeur ordinaire Ă la FacultĂ© de thĂ©ologiejĂ©suite de Bruxelles. Directeur scientifique, avec le P. Michel Sales s. j., de lapublication des Ćuvres complĂštes du Cardinal Henri de Lubac aux Ăditions duCerf. Vice-prĂ©sident de lâAssociation Internationale Cardinal Henri de Lubac.Cofondateur et membre du comitĂ© de rĂ©daction de la Revue catholique inter-nationale Communio. Expert de la CongrĂ©gation pour le clergĂ© (depuis 1995).RĂ©dige actuellement une biographie du cardinal Henri de Lubac.
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17. Henri DE LUBAC, MĂ©moire sur lâoccasion de mes Ă©crits (n. 6), 147.
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LE CREDO ââââââââââââââââââââ
La confession de la foi (1976/1)« JĂ©sus, nĂ© du PĂšre avant tous lessiĂšcles » (1977/1)« NĂ© de la Vierge Marie » (1978/1)« Il a pris chair et sâest fait homme »(1979/1)La passion (1980/1)« Descendu aux enfers » (1981/1)« Il est ressuscitĂ© » (1982/1)« Il est montĂ© aux cieux » (1983/3)« Il est assis Ă la droite du PĂšre »(1984/1)« Le jugement dernier (1985/1)LâEsprit Saint (1986/1)LâĂglise (1987/1)La communion des saints (1988/1)La rĂ©mission des pĂ©chĂ©s (1989/1)La rĂ©surrection de la chair (1990/1)La vie Ă©ternelle (1991/1)Le Christ (1997/2-3)LâEsprit saint (1998/1-2)Le PĂšre (1998/6-1999/1)
LES SACREMENTS âââââââââââââ
GuĂ©rir et sauver (1977/3)Lâeucharistie (1977/5)La pĂ©nitence (1978/5)LaĂŻcs ou baptisĂ©s (1979/2)Le mariage (1979/5)Les prĂȘtres (1981/6)La confirmation (1982/5)La rĂ©conciliation (1983/5)Le sacrement des malades (1984/5)Le sacrifice eucharistique (1985/3)
LES BĂATITUDES âââââââââââââââ
La pauvretĂ© (1986/5)Bienheureux persĂ©cutĂ©s ? (1987/2)Les cĆurs purs (1988/5)Les affligĂ©s (1991/4)LâĂ©cologie : Heureux les doux (1993/3)Heureux les misĂ©ricordieux (1993/6)
POLITIQUE âââââââââââââââââââ
Les chrĂ©tiens et la politique (1976/6)La violence et lâesprit (1980/2)Le pluralisme (1983/2)Quelle crise ? (1983/6)Le pouvoir (1984/3)Les immigrĂ©s (1986/3)Le royaume (1986/3)LâEurope (1990/3-4)Les nations (1994/2)MĂ©dias, dĂ©mocratie, Ăglise (1994/5)Dieu et CĂ©sar (1995/4)
LâĂGLISE âââââââââââââââââââââ
Appartenir Ă lâĂglise (1976/5)Les communautĂ©s dans lâĂglise(1977/2)La loi dans lâĂglise (1978/3)LâautoritĂ© de lâĂ©vĂȘque (1990/5)Former des prĂȘtres (1990/5)LâĂglise, une secte ? (1991/2)La papautĂ© (1991/3)Lâavenir du monde (1985/5-6)Les Ăglises orientales (1992/6)BaptĂȘme et ordre (1996/5)La paroisse (1998/4)
LES RELIGIONSNON CHRĂTIENNES âââââââââââââ
Les religions de remplacement(1980/4)Les religions orientales (1988/4)Lâislam (1991/5-6)Le judaĂŻsme (1995/3)Les religions et le salut (1996/2)
LâEXISTENCEDEVANT DIEU âââââââââââââââââ
Mourir (1976/2)La fidĂ©litĂ© (1976/3)LâexpĂ©rience religieuse (1976/8)GuĂ©rir et sauver (1977/3)La priĂšre et la prĂ©sence (1977/6)La liturgie (1978/8)Miettes thĂ©ologiques (1981/3)Les conseils Ă©vangĂ©liques (1981/4)Quâest-ce que la thĂ©ologie ? (1981/5)Le dimanche (1982/7)Le catĂ©chisme (1983/1)Lâenfance (1985/2)La priĂšre chrĂ©tienne (1985/4)Lire lâĂcriture (1986/4)La foi (1988/2)Lâacte liturgique (1993/4)La spiritualitĂ© (1994/3)La charitĂ© (1994/6)La vie de foi (1994/5)Vivre dans lâespĂ©rance (1996/5)Le pĂšlerinage (1997/4)La prudence (1997/6)La force (1998/5)
PHILOSOPHIE âââââââââââââââââ
La crĂ©ation (1976/3)Au fond de la morale (1997/3)La cause de Dieu (1978/4)Satan, « mystĂšre dâiniquitĂ© » (1979/3)AprĂšs la mort (1980/3)Le corps (1980/6)Le plaisir (1982/2)La femme (1982/4)
LâespĂ©rance (1984/4)LâĂąme (1987/3)La vĂ©ritĂ© (1987/4)La souffrance (1988/6)Sauver la raison (1992/2-3)Homme et femme il les crĂ©a (1993/2)
SCIENCES ââââââââââââââââââââ
ExĂ©gĂšse et thĂ©ologie (1976/7)Sciences, culture et foi (1983/4)Biologie et morale (1984/6)Foi et communication (1987/6)Cosmos et crĂ©ation (1988/3)Les miracles (1989/5)LâĂ©cologie (1993/3)
HISTOIRE ââââââââââââââââââââ
LâĂglise : une histoire (1979/6)Hans Urs von Balthasar (1989/2)La RĂ©volution (1989/3-4)La modernitĂ© â et aprĂšs ? (1990/2)Le Nouveau Monde (1992/4)Henri de Lubac (1992/5)BaptĂȘme de Clovis (1996/3)Le PĂšlerinage (1997/4)
SOCIĂTĂ âââââââââââââââââââââ
La justice (1978/2)LâĂ©ducation chrĂ©tienne (1979/4)Aux sociĂ©tĂ©s ce que dit lâĂglise(1981/2)Le travail (1984/2)SaintetĂ© dans la civilisation (1987/5)Foi et communication (1987/6)La famille (1986/6)LâĂ©glise dans la ville (1990/5)Conscience et consensus ? (1993/5)La guerre (1994/4)La sĂ©pulture (1995/2)LâĂglise et la jeunesse (1995/6)Lâargent (1996/4)La maladie (1997/5)
ESTHĂTIQUE ââââââââââââââââââ
La saintetĂ© de lâart (1982/6)Lâimagination (1989/6)
LE DĂCALOGUE ââââââââââââââââ
Un seul Dieu (1992/1)Le nom de Dieu (1993/1)Le respect du sabbat (1994/1)PĂšre et mĂšre honoreras (1995/1)Tu ne tueras pas (1996/1)Tu ne commettras pas dâadultĂšre(1997/1)Tu ne voleras pas (1998/3)
Prochain numéro : mai-juin 1999Décalogue VIII : Tu ne porteras pas de faux témoignage
Titres parus
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C O M M U N I OR E V U E C AT H O L I Q U E I N T E R N AT I O N A L E
AIX-EN-PROVENCE :Librairie du BaptistĂšre13, rue Portalis
AMIENS : Brandicourt13, rue de Noyon
ANGERS : Richer6, rue ChaperonniĂšre
ANGOULĂME : Auvin38, avenue Gambetta
BEAUVAIS : Prévot20, rue Saint-Pierre
BESANĂON : Chevassu119, Grande-Rue
BORDEAUX :Les Bons Livres35, rue FondaudĂšge
BREST : La Procure2, rue Boussingault
BRUXELLES : U.O.P.C.Chaussée de Wavre, 216
CHANTILLY : Les FontainesB.P. 205
CHOLET :Librairie Jeanne-dâArc29, rue du Commerce
CLERMONT-FERRAND :â Vidal-Morel3, rue du Terrailâ Librairie Religieuse1, place de la Treille
FRIBOURG (Suisse) :â Librairie Saint-Augustinrue de Lausanne, 88â Librairie Saint-PaulPĂ©rolles, 38
GAP : Librairie Alpine13, rue Carnot
GENĂVE : Labor et Fidesrue de Carouge, 53
GRENOBLE :Librairie Notre-Dame2, rue Lafayette
LA ROCHELLE :Le Puits-de-Jacob32, rue Albert-Ier
LE PUY : Cazes-Bonneton21, bd Mal-Fayolle
LILLE : Tirloy62, rue Esquemoise
LIMOGES :Librairie Catholique6, rue de la Courtine
LYON : Decitre6, place Bellecourâ Ăditions OuvriĂšres9, rue Henri-IVâ Librairie Saint-Paul8, place Bellecour
MARSEILLE Ie r : Le Mistral11, impasse Flammarion
MARSEILLE 6e :Librairie Saint-Paul47, bd Paul-Peytral
MONTPELLIER : Logos29, bd du Jeu-de-Paume
NANCY : Le Vent30, rue Gambetta
NANTES : Lanoë2, rue de Verdun
NEUILLY-SUR-SEINE :Kiosque Saint-Jacques167, bd Bineau
NICE : La Procure10, rue de Suisse
NĂMES : Biblica23, bd Amiral-Courbet
PARAY-LE-MONIAL :Apostolat des Ăditions16, rue de la Visitation
PARIS Ie r : Librairie Delamain155, rue Saint-Honoré
PARIS 4e : Ăcole-CathĂ©drale8, rue Massillon
PARIS 5e : PUF49, bd Saint-Michelâ Saint-Jacques-du-Haut-Pas252, rue Saint-Jacques
PARIS 6e :â Apostolat des Ăditions46-18, rue du Fourâ La Procure3, rue de MĂ©ziĂšresâ Librairie Saint-Paul6, rue Cassette
PARIS 7e :â Basilique Sainte-Clothilde23 bis, rue Las-Casesâ Saint-François-Xavier12, pl. PrĂ©sident Mithouardâ Librairie du Cerf29, bd Latour-Maubourgâ Stella Maris132, rue du Bac
PARIS 9e : Saint-Louis-dâAntin63, rue Caumartin
PARIS 12e : Paroisse du Saint-Esprit1, rue CanebiĂšre
PARIS 16e :â Lavocat101, avenue Mozartâ Notre-Dame-dâAuteuil2, place dâAuteuilâ Pavillet50, avenue Victor-Hugo
PARIS 17e : Chanel26, rue dâArmaillĂ©
PARIS 18e :Librairie de la Basilique35, rue du Chevalier-de-la-Barre
PAU : Duval1, place de la Libération
POITIERS : Librairie Catholique64, rue de la Cathédrale
QUIMPER : La Procure9, rue du Frout
REIMS : Largeron23, rue Carnot
RENNES :â BĂ©on Saint-Germain6, rue Nationaleâ Matinales9, rue de Bertrand
ROUEN : La Procure24, rue de la RĂ©publique
SAINT-BRIEUC : SOFEC13, rue Saint-François
SAINT-DIĂ : Le Neuf15, place dâAlsace
SAINT-ĂTIENNE :Culture et foi20, rue Berthelot
STRASBOURG :Librairie du DÎme29, place de la Cathédrale
TOULON :Librairie Catholique Saint-Louis6, rue Anatole-France
TOULOUSE :â Ăglise de Gesu22, rue des Fleursâ Jouanaud19, rue de la TrinitĂ©â Sistac Maffre33, rue Croix-Baragnon
VALENCE : Le Peuple Libre2, rue Ămile-Augier
VERSAILLES :â Arts et Commerces1, place Saint-Louis
VINCENNES : Notre-Dame82, rue Raymond-du-TempleComités de presses paroissiaux
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Ă RETOURNER ACCOMPAGNĂ DE VOTRE RĂGLEMENT Ă :Communio â 5, passage Saint-Paul â 75004 Paris â CCP 18676 23 F Paris
pour la Belgique : « Amitié Communio », rue de Bruxelles 62, B 5000 Namurpour la Suisse : « Amitié Communio », monastÚre du Carmel, CH 1661, Le Pùquier
pour le Canada : PERIODICA CP 444 OUTREMONT QC. H2V1E2 114 $ + Taxes (avion Ă©conomique)130 $ + Taxes (avion prioritaire)
â OUI, je mâabonne Ă Communio Ă partir du prochain titre Ă paraĂźtre pourâ un an ou â deux ans.
â Je me rĂ©abonne (n° de lâabonnement : ........................ ).â Je parraine cet abonnement au prix prĂ©fĂ©rentiel de : Pour la Belgique : 1 775 FB ; la Suisse :
80 FS ; la France et les Autres pays : 280 FF. (Lâoffre de parrainage est limitĂ©e Ă un premierabonnement dâun an.)
â Je souhaite que le bĂ©nĂ©ficiaire de ce parrainage soit informĂ© de mon identitĂ© que je vousprĂ©cise ci-dessous :
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Type de1 an 2 ans Adresse
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Normal 2 150 FB 3 950 FBBelgique
Soutien 2 675 FB 5 025 FB
Normal 95 FS 175 FSSuisse
Soutien 120 FS 225 FS
Ăconomique 380 FF 710 FF
Autres paysPrioritaire 420 FF 785 FF(par avion)
Soutien 430 FF 810 FF
BULLETIN DâABONNEMENT
Communio, CCP - 18676 - 23 F Paris5, passage Saint-Paul, 75004 Paris
« Amitié Communio », rue de Bruxelles61 B-5000 NamurCCP 000 0566 165 73
« Amitié Communio », monastÚrede Carmel, CH 1661 Le PùquierCCP 17-3062-0 Fribourg
Communio5, passage Saint-Paul,75004 Paris
* Indiquez le montant de votre rÚglement aprÚs avoir coché dans le tableau de tarifs, ci-dessus, la case correspondant à votre choix.
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C O M M U N I OR E V U E C AT H O L I Q U E I N T E R N AT I O N A L E
pour lâintelligence de la foi
Publiée tous les deux mois en français par « Communio », association déclarée à but non lucratif selon la loi de 1901, indépendante de tout mouvement ou institu-tion. Président-directeur de la publication : Olivier BOULNOIS. Directeur de larédaction : Vincent CARRAUD. Rédacteur en chef : Isabelle LEDOUX. Rédacteuren chef-adjoint : Corinne MARION. Secrétaire de rédaction : Marie-ThérÚse BESSIRARD. Secrétaire général : Jean MESNET.
CONSEIL DE RĂDACTION EN FRANĂAIS âââââââââ
Jean-Robert Armogathe, Nicolas Aumonier, Jean-Pierre Batut, ThierryBedouelle, Olivier Boulnois, RĂ©mi Brague, Vincent Carraud (Caen), OlivierChaline (Rouen), Georges Chantraine (Namur), Marie-HĂ©lĂšne Congour-deau, Jean Duchesne, Marie-Christine Gillet-Challiol, Yves-Marie Hilaire(Lille), Pierre Julg (Strasbourg), Serge Landes, Isabelle Ledoux, CorinneMarion, Jean-Luc Marion, Dominique Poirel, Robert Toussaint, IsabelleZaleski.
COMITĂ DE RĂDACTION EN FRANĂAIS âââââââââ
Jean-Luc Archambault, Jean Bastaire (Grenoble), Guy Bedouelle(Fribourg), Françoise Brague, Christophe Carraud, Jean Congourdeau,Philippe Cormier (Nantes), Michel Costantini (Tours), Mgr Claude Dagens(AngoulĂȘme), Marie-JosĂ© Duchesne, Michel Dupouey, IrĂšne Fernandez,Jean Greisch, Stanislaw Grygiel (Rome), Roland Hureaux, Didier Laroque,Patrick Le Gal, Marguerite Lena, Ătienne Michelin, Paul McPartlan(Londres), Jean Mesnard, Jean Mesnet, Xavier Tilliette (Rome et Chantilly),Miklos Vetö (Poitiers), et lâensemble des membres du conseil de rĂ©daction.
Rédaction : ASSOCIATION COMMUNIO, 5, passage Saint-Paul, 75004 Paris, tél.: (1) 42.78.28.43, fax : (1) 42.78.28.40.
Abonnements : voir bulletin et conditions dâabonnement en fin de numĂ©ro.
Vente au numéro : Consultez la liste des libraires dépositaires en fin de numéro.
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DĂ©pĂŽt lĂ©gal : avril 1999 â N° de CPPAP : 57057 â N° ISBN : 2-907212-74-5 â N° ISSN : X-0338-781-X â N° dâĂ©dition : 95196 â Directeur de la publication :Olivier Boulnois â Composition : DV Arts Graphiques Ă Chartres â Impression :Imprimerie Sagim Ă Courtry â N° dâimpression : 3259.
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