1.1.L ’ histoire du terme postmodernité
Le terme de post-modernité, né avec les années 1970(même si sa genèse date de 1870 en
tant qu’il sert a désigner la peinture impressionniste anglaise), et qui a une certaine consécration
en France avec Lyotard à partir des années 80, renvoie indéniablement aujourd’hui à une certaine
négativité critique. En effet, ce qui est entendu par ce terme semble dépréciatif. Le contexte
mondial et national est pour une certaine part cause de cette critique: société en crise de repères,
en crise de normes morales, perte du politique par l’individu narcissique, zombification des
hommes liee a la consommation et au systeme de la mode, etc... On reconnait ici la langue-liste
des griefs qui se donnent comme leitmotivs dans les discours de rappels a l’ordre. L’epoque
post-moderne – definie comme l’effondrement des meta-recits au sens de Lyotard dans La
condition postmoderne – implique l’effacement de toute forme d’unite intentionnelle permettant
un monde commun. Un effacement au profit de la dispersion des interets prives, qui recherchent
avant tout a s’accomplir, a obtenir des plaisirs. Cette epoque caracteriserait ainsi une derive vers
une certaine forme d’hedonisme, conduisant les individus a perdre de vue l’urgence des
questions politiques ou a en rester tres superficiels aussi bien au niveau de leur conscience
sociale qu’au niveau de leur creation artistique ou litteraire, comme a plusieurs reprises
La post-modernite – en tant que dissolution des unites meta-historiques, politiques, de
classe, etc... – serait determinee par la liaison entre l’hyper-acceleration de la production et de la
diffusion symbolique d’une part, et la mise en relation, dans la seule volonte du temps present et
de ce qui peut advenir, du processus d’individuation et de la consommation, d’autre part. La
verite ne serait plus eparpillee dans chaque discours. Elle ne serait plus qu’un essaim de
contradictions.
Cette deperdition de la conscience est caracterisee, depuis la premiere partie du XXeme
siecle, par le processus de transformation technologique du monde, qui peut mener a la pensee
d’une esthetique de la disparition. Paul Virilio, en marque les traits dans son essai eponyme : «
Le monde percu cesse d’etre juge digne d’interet a force d’etre theatralement exhume, analyse,
epure par les pilleurs de tombe. (...) La pensee collective imposee par divers medias vise a
annihiler l’originalite des sensations, a disposer de la presence au monde des personnes en leur
fournissant
« Le moderne ou meme l’avant-gardisme, ce n’est pas la table rase, c’est au contraire le
lien maintenu (le lien amoureux : passionne et conflictuel) avec la culture, avec la bibliotheque :
c’est l’idee du moderne qui vehicule et refonde la tradition. (...) L’oubli du moderne est aussi
oubli de cela et l’art post-moderniste a souvent transforme la profondeur substantielle de ce
dialogue en un academisme de la citation et du collage ». Il est evident que pour une part Prigent
a ici raison dans sa critique des nouveaux academismes (cut-up, collage, ready-made), mais la ou
reside un impense pour lui, c’est dans les principes de la hierarchisation historique de ce qui
importe du point de vue du passe. En effet, Prigent, ouvrant une histoire parallele de la litterature
(la reouvrant, au sens ou ce geste d’ouverture est une constante chez les avant-gardes, cherchant
sans cesse leur genealogie, comme cela se percoit des Raoul Haussmann), subordonne aux prin-
cipes fondateurs de cette histoire (la question du reel, de l’authenticite d’etre de l’animal parlant
a travers l’invention idiolectale de la litterature) le reste de l’histoire de la litterature. Resolument
moderne, Prigent semble rester assujetti a une verite qui ordonne un meta-recit, et en cela ne peut
que juger negativement l’horizontalisation des principes existentiels et referentiels des hommes :
un stock d’informations destine a programmer leur memoire. Par la mediation technologique et
sa vitesse, il y a une production exponentielle d’informations et de donnees, dans laquelle peu a
peu se distille toute forme reelle d’interet. La pensee unique qui apparait alors tient a la
production et la consommation des productions et symboles ephemeres de la societe. Or cette
pensee unique se definit, me semble-t-il, comme une structure comportementale dans un rapport
au monde pragmatique et consumeriste et non comme une forme ideologique.
Constat paradoxal : le monde post-moderne semble etre caracterise par sa fragmentation
infinie, non pas selon des traits singuliers, mais selon une seule et unique logique,
pragmatiquement determinee, de la capitalisation et de la consommation.
Dialectique de l’imitation et processus d’individuation
En effet, par les processus d’uniformisation, de repetitions mediatiques de l’information,
de constructions de simulacres, il y a bien une surdetermination qui [im]pose la conscience dans
le rapport a des institutions symboliques. Ces processus predeterminent non pas seulement ses
choix mais aussi les conditions de reception des donnees a choisir en enfermant chaque chose
dans l’unite de significations symboliques.
Toutefois, comme le note Gilles Lipovetsky, dans une certaine opposition a la conception
de l’epoque post-moderne , ces processus de controle de la volonte et de la perception des indivi-
dus se font eux-memes deborder par un processus d’individuation en oeuvre dans l’activite
meme de l’imitation. Il nomme cela proces de personnalisation.
Il est evident que l’individu pour se constituer – symboliquement, linguistiquement,
identitairement – absorbe et repete l’ensemble des determinations qui lui sont rattachees par la
diversite des pouvoirs instituants. Toutefois, ce processus de construction de soi par la
reconnaissance des autres – qui s’adressent a l’individu, le nomment, lui repondent, qui
impliquent de sa part la repetition –, est lui-meme dialectiquement suivi par celui de la
differenciation, voire de l’individuation. Si ce trait est surtout caracteristique de l’habitus
bourgeois, comme le note Bourdieu, il n’est qu’a lire le fourmillement des classes proletaires
dans la litterature du XIXeme siecle pour s’apercevoir que cette differenciation n’est pas
determinee selon les seules conditions de classe. Elle est une constante anthropologique liee a la
question du desir, de sa satisfaction et de la demarcation au desir lui-meme.
On reproche aux individus de repeter, d’imiter. Toutefois la dynamique de leur processus
d’individuation les amene aussi a se differencier, a s’opposer, a mettre en critique les modeles
qui leur seraient proposes tout aussi bien explicitement qu’implicitement. Lipovetsky note que la
reproduction, au sens ou certains evenements reintroduisent la sur-determination des meta-recits
qui initient des processus d’imitation sociale. En bref, on pourrait penser que c’est l’impact
affectuel de l’evenement qui induit une situation de repetition et d’adhesion pour l’individu, lui
permettant de se repositionner face a un impact affectuel qui l’a ebranle. L’engagement de la
population americaine lors de l’attentat du WTC et son appui a la decision d’attaquer l’Irak
temoignent parfaitement de cette reification du meta-recit, toutefois eux-memes traduits –
comme les nombreux reportages sur des hommes particuliers en ont temoigne.
La reproduction d’une valeur ou d’une ideologie devrait etre interrogee pragmatiquement
quant a sa possibilite. En ce sens, parler de post-modernite n’evacue aucunement la question de
l’imitation et production a l’identique de normes symboliques sociales, liees a la consommation,
ne correspond qu’au debut de la societe democratique. Le narcissisme actuel, fonde sur la
consommation, « represente ce degagement de l’emprise de l’Autre, cette rupture avec l’ordre de
la standardisation des premiers temps de la societe de consommation ». Il y a bien des imitations,
mais elles se micro-localisent, se micro-particularisent. Elles ne concernent plus que des micro-
angularites et, ceci, toujours dans la dynamique d’une intensification pensee par l’individu.
L’impossible sujet
Contrairement a la modernite qui est hantee par l’unite authentique du sujet, meme si elle
la pense comme l’impossible meme du langage, (pure negativite ou aporie), la pensee post-
moderne tente de saisir non pas un sujet, mais une dynamique d’individuation. S’il y a une
condamnation de la post-modernite, elle se fait a l’aune de cette preconception – heritee de la
metaphysique occidentale – du sujet en tant qu’unite d’etre enveloppant la verite d’un sens de
l’existence, ou, encore, la verite d’une relation au monde.
Ecartelees entre modernite et tradition, les oeuvres postmodernes instaurent un dialogue
different avec l’histoire, paradoxe d’une nouvelle simplicite qui veut pourtant esquiver
l’expression nostalgique d’un retour.
Le compositeur Wolfgang Rihm presente l’esprit postmoderne comme un vaste ensemble
de renaissantegiques : instabilite de la zone frontiere entre tradition et modernite, deni d’une
ecriture complexe et parametree en faveur d’un langage simplifie, ou encore abandon d’un style
international au profit des langues vernaculaires.
Par-dela les particularites des oeuvres postmodemes, il convient de prendre acte d’une
prise de conscience des createurs qui decident d’instaurer, par des modalites renouvelees, un
dialogue avec l’histoire. Assurement c’est pour notre epoque une chose naturelle alors meme
qu’elle s’oriente vers la connaissance historique et s’investit dans des operations de restauration
– il n’est que de songer a l’engouement suscite par la musique baroque ces dernieres decennies,
faisant resurgir du tombeau les partitions oubliees, ou tantot a la pointe de l’avant-garde
moderniste, encore d’evoquer le developpement des labels d’enregistrements historiques.
Neo-garde, neoclassicisme, neoavant-garde, neo-romantisme, nouveau-neo-
romantisme,nouveau-neo-avant-gardisme, postneonouveau, post-romantisme-avant-
gardiste,post-neo-nouveau-vieux-avant-gardisme»1. Une telle confusion n’est pas sans reveler
un peu de verite : aujourd’hui, les criteres qui designent la condition postmoderne d’une oeuvre
sont pour le moins discutes, voire discredites, pretextant souvent la multiplicite des references
pour denier la modernite de la creation. Suggerer quelques elements de reflexion dans cette
controverse esthetique qui parait opposer une nouvelle fois anciens et modernes, ou des oeuvres
afin de signifier les conditions d’existence de la postmodernite, tout en gardant a l’esprit le role
ambivalent de certains acteurs situes tantot a celle de la postmodernite. Il n’est pas inutile de
rendre compte brievement de l’origine historique du terme «postmoderne » qui apparut de
maniere ponctuelle a la fin des annees 30 sous la plume de critiques litteraires americains, puis
s’imposa principalement en architecture au milieu des annees 60 comme un concept pluriel et
instable, envahissant progressivement le champ lexical du cinema, du theatre, puis de la
musique. L’information s’en empara egalement a son tour en 1995 lorsque le New York Times
qualifia le conflit bosniaque de «guerre postmoderne».
2.1.Le monde postmoderne et les oeuvres postmoderniste
2.1.2.VERS UNE SIMPLIFICATION DE L’ECRITURE
La seconde «raison strategique» peut etre apprehendee a travers le role specifique de
l’ecriture dans l’oeuvre postmoderne. Devant l’apparente impasse dans laquelle se developpait a
la fin des annees 60 une modernite qui devait justifier chaque jour davantage de sa legitimite
face au dualisme production-consommation, devant l’ere du soupcon que l’avenement de la
physique quantique et les decouvertes de la logique formelle (avec le theoreme de Godel)
faisaient lever sur toutes les speculations encloses dans un systeme trop rigide, donc
indirectement sur les theories musicales totalisantes d’apres-guerre (serialisme, multiserialisme,
dodecatonalite, metatonalite, pointillisme, ainsi que sur les musiques stochastiques), certains
compositeurs modifierent sensiblement leur rapport a l’ecriture. Ainsi, un trait de la
postmodernite se manifesta dans la simplification de l’ecriture avec la Neue Einfachheit
(nouvelle simplicite) qui esperait le retour d’un sens considerablement affaibli par le pointillisme
de l’ecriture serielle.
Cette approche implique toutefois une redefinition de l’auteur : ce n’est plus l’Auteur-
Dieu mais l’auteur dialogique de Bakhtine qui apparait. Celui-ci s’apparente a un auteur-sujet en
proces, qui a renonce a la maitrise de son oeuvre, et qui est construit et se construit a travers ses
creations. Cet auteur, vu du cote spectatoriel, sera une figure plurielle, composee a partir du
realisateur, du scenariste, des comediens (et des connaissances que peut en avoir le spectateur a
partir du texte et du paratexte : entretiens, articles de presse, publicite etc.). Quoi qu’il en soit, ce
sera, meme dans le cas ou l’on considere le realisateur comme l’auteur, une figure hybride,
traversee par l’alterite, construit a partir de la relation intersubjective avec son equipe.
Pour ce qui est du spectateur, j’adopte une approche cognitive (plutot que
psychanalytique) de l’experience spectatorielle que je tente ensuite de reconcilier avec un
discours post-structuraliste. Ce spectateur, loin d’etre concu comme un simple decodeur dont la
tache se limite au dechiffrage des codes et indices preenregistres, sera egalement considere
comme un interlocuteur dont l’apport actif va lui permettre d’entrer dans un « dialogue » certes
virtuel, mais non moins essentiel au fonctionnement de l’evenement filmique.
2.1.2.« Chassez le sujet… »
La deconstruction de la metaphysique de la presence entreprise par Derrida implique une
remise en question fondamentale et radicale de la notion d’intentionnalite et du sujet en tant
qu’agent dont les actes sont animes par cette intentionnalite. Et pourtant, le texte derridien lui-
meme est le produit d’une intention et d’une volonte formidables. On pourrait en dire de meme
pour ce qui est de la conscience dans ce sens que la notion de conscience implique, au moins
traditionnellement, la presence a soi du sujet de la reflexion. Ceci se constate dans la definition
de la conscience comme « connaissance immediate de sa propre activite psychique », « acte ou
etat dans lequel le sujet se connait en tant que tel et se distingue de l’objet qu’il connait. Or,
l’enonciation se presente bien comme l’acte d’une conscience. Cela peut paraitre contradictoire
de vouloir donner une lecture d’inspiration derridienne, puis de parler de « conscience » etant
donne que ce terme nous vient de la meme metaphysique de la presence qui est fortement
critiquee, pour ne pas dire demolie. Conscience sous rature ? Non pas, bien evidemment, egale a
la conscience du realisateur, il s’agit d’un sujet hybride composite qui renvoie a l’alterite
constitutive de tout sujet individuel. Mais sujet quand meme. Tout texte filmique construit des
effets de sujet ponctuels (au moyen de la camera subjective, par exemple) et un effet plus global.
C’est celui-ci qui sera recu par le lecteur/spectateur comme proferant le texte et que je designerai
par le terme de « sujet de l’enonciation. »
Une fois que s'est impose le postmodernisme, vers 1960 , le passe est recupere et integre
“en bloc”. Sans que se cree a la verite une nouvelle poesie, les postmodernistes prennent a leur
compte la tradition critique et ironique. Une resurrection de l'esprit d' avant-garde s' opere ainsi,
parallelment a l' action de valorisation de formes de la poesie moderniste. Selon l' opinion d'un
chercheur avise de la poesie roumaine, N. Manolescu, “le postmodernisme doit etre considere
comme une poesie sans frontiere” qui tient ce qu' il a de bon de partout. Dans le paysage si
complexe du postmodernisme l'on a vu apparaitre le mouvement paradoxiste, dont le principal
promoteur est Florentin Smarandache, comme un espace de conscience critique exacerbee ou il
trouve son expression dans le deplacement de formes de pensee et de langage pratiquant l'
autonegation de la litte-rature et l'ouverture vers d'autres representations de l'acte d'ecriture. Un
systeme de conventions (en fait quelque chose comme un accord rhetorique) est actualise, mais
l'etat de crise totale est traverse (non depasse ) par une destructuration du texte parfois incohe-
rente et illogique allant jusqu'a son annulation absolue. A travers des modalites absurdes de
desagregation du langage, comme chez Urmuz, il est demontre que le texte peut eclater en toutes
les combinaisons de denotation et de connotation possibles, mais peut aussi provoquer une
implosion ayant pour resultat non une page blanche pure et simple, mais un black-hole absorbant
quelque trace de sens que ce soit.
Mais le paradoxisme ne cherche pas la destruction de la litterature. Il s' interesse a la
decouverte que nous pouvons faire de pratiques d' ecriture efficientes et concentrees, conservant
l' energie obtenue de la rencontre entre des champs semantiques opposes. L'impact, cependant,
sera toujours imprevisible. Si les avant-gardistes ont pousse la methode de destruction du
langage a un point extreme, semlables a des apprentis-sorciers entrant en possession de la
formule magique inattendue et je ne sais quoi d'autre qui arrete le developpement des faits, les
paradoxistes experimentent avec lucidite les consequences tragiques d'un tel eparpillement du
langage.
Ce qui individualise le paradoxisme par rapport aux programmes non conformistes
anterieurs est son radicalisme. Mais “etre destructeur, iconoclaste, terroriste, nihiliste tend a se
confondre avec l’absence meme d’avant-garde” 5), ecrit Adrian Marino. Ceci ne signifie pas que
le Mouvement Paradoxiste serait une resurrection d’ experiences epuisees. Utiliser le paradoxe
par besoin (carence de communication) fait naitre avec peine la fonction poetique, ce qui signifie
la precarite de la condition humaine en general. Une humanite qualifiee par des prefixes: sub,
supra, anti etc. A partir de la, il devient preferable d’ utiliser le prefixe non . L’auteur est un non-
poete, ses poesies se nomment nonpoemes, on vise a l’ intelligibilite du non-intelligible, on
cultive le style du non-style. Pour rechercher l’attitude negativiste en litterature, nous ajouterons
la conclusion que le paradoxisme existait avant le mouvement paradoxiste statutaire, de meme
que le bacovianisme existait avant Bacovia, pour donner un exemple du domaine symboliste de
la poesie roumaine, premiere expression de ce genre du modernisme, auquel le post-modernisme
a emprunte le critere du poetique.
Dans l’ ouvrage “Le sens du non-sens” (1983), Florentin Smarandache Il faut dire, des le
debut, que le paradoxisme ne se resume pas a une attitude ludique, bien que le jeu represente la
formule magique du passage “du regne de la necessite a celui de la liberte”. Deja, avec le
deplacemant de l’accent de la nemesis a la poiesis, la conscience creatrice, par le discours,
affirme de facon claire que la liberte n’est jamais le fruit de la realite immediate, mais bien de la
realite des mots. Toute experience limite, comme l’est la parado-xisme, radicalise une tradition
poursuivie au nom de la totale liberation de l’ esprit, par le jeu de la poesie sentie comme la
restauration d’ un univers dans lequel l’ essence humaine puisse se realiser. “Je suis venu en
Amerique pour reconstruire la statue de la Liberte”, declare le chef de l’ ecole paradoxiste
Florentin Smarandache. Serait-ce seulement une bienfaisante utopie de l’ absolue disponibilite
du langage?
Pour apprecier la gravite du jeu entendu comme remodelage du monde, rappelons-nous
Necuvintele (Les impertinences) de Nichita St|nescu, poete qui claque la porte a la figure du
positivisme et du conformisme: “Les mathematiques se font en ecrivant des chiffres, / mais la
poesie ne s’ ecrit pas avec des mots./ Cocorico!” Le poete dynamite les expressions consacrees,
interrompt le fonctionnement stereotype de la langue et experimente des deviations de la
communication par des detournements grammaticaux,par l’ invention de nouveaux mots et
meme d’ une langue de “poetisation” qui denote autre chose qu’ une langue artificielle, morte,
genre esperanto, mais une langue vivante, “hypostase de fete de la langue roumaine” .
D’ ailleurs, la derniere etape de la poetique de Stănescu se caracterise par la negativite du
langage, l’ autonomie defonctionnalisee des signes. Opposee a celle de Nichita St|nescu est la
creation poetique de Marin Sorescu, autre manipulateur du paradoxisme, dans laquelle
predomine le regard ironique, demythisant sur les mots. Chez ce poete, le jeu de mots apparait
comme s’appropiant le mobile de l’ imagination lyrique. Dans de tels cas, il specule sur la
polysemie d’un mot, en recourant a l’ interpretation litterale d’une possible signification
symbolique et a l’amplification paradoxale des details. Un exemple de ce genre est commente
par Ion Pop: Le poeme de la Traduction (d’ un poeme) qui commence avec un calembour: “Je
passai I’ examen de langue morte,/ Et il fallait qu’ on me traduise/ De l’ homme en guenon”. “La
Traduction” symbolique, deja hilare, est interpretee ensuite a la lettre, pour proceder de facon
ludique a la recherche de ces elements de la creature qui pourraient constituer “l’ equivalent” de
la descente de l’ humain par l’ echelle animale. Le comique enorme vient justement de cette
mecanique transposante du systeme de reference, purement spirituel, dans le concret plus
prosaique de la corporalite humaine: “La traduction devenait cependant / Toujours plus
difficile, / Comme je m’ approchais de moi./ Avec un petit effort,/ J’ ai pourtant trouve des
equivalents satisfaisants / Pour les ongles et le poirier ou me tenir.”.
Un art combinatoire ingenieux, realise par la dissemination-echo (Demoiselle ambulante/
Come a Boulogne, a Istanboul./ Tu te montres blanche et bouffante,/ Sans meme un
preambule…”), des alliterations et derivations (“ Ballade de la baionnette dans Bayonne”), le
calembour etendu (“Les demoiselles cinephiles/ de Los Angeles New York/ les cine files
reviendront “), tautophonies (“un mare şal = un grand chale, un marechal”), c’est ce que propose
Şerban Foarţă, poete qui “tisse” le poeme non comme Penelope attendant le retour d’une
signification de l’ exterieur, mais comme l’horrible araignee Arachne qui ourdit les toiles febriles
dans sa propre substance.
Aux mecaniques oppressives, alienantes de l’univers, on repond par les mecanismes
liberateurs du paradoxe.
3.1.UNE HYPOTHÈSE ROUMAINE SUR LE POSTMODERNISME
Si paradoxal que cela puisse paraître pour un concept dont on cherche encore les
définitions (ou dont on admet le caractère indéfinissable), notre démarche vise une possible
histoire des théorisations du postmodernisme, en discutant un chapitre «roumain» de celles-ci;
cela relève plutôt de l'histoire des idées littéraires que de l'actualité. L'intérêt pour le
postmodernisme tient, selon nous, non pas à la vogue du concept (assez marquée dans la critique
roumaine), mais plutôt à un projet critique de grande envergure, où – si l'on admet que le point
de départ est un acte primordial de lecture – on doit commencer par relever l'auto-définition,
absolument postmoderne, du poéticien. La nouvelle épistémè suppose la réévaluation de la
position du moi lecteur (avatar du sujet mis en cause par la critique postmoderne); la formule
apparaît dès le début comme symptomatique pour le cadre où se situera par la suite la méditation
sur le postmodernisme comme solution ontologique : «Si – d'après Einstein et les expériments de
la physique moderne – l'objet observé se modifie selon le processus de l'observation, la
transcendance de la conscience du sujet, son identité avec lui-même, la clôture de l'objet se
révèlent illusoires dans un univers où la seule réalité est, d'un point de vue sartrien, la mise en
situation ou, en termes plus généraux, l'interrelation des phénomènes compris comme pur
processus. Ici, dans l'espace de la nouvelle épistémè, moi, lecteur, je deviens producteur de sens
et – oubliant que le sens est processus, c'est-à-dire interrelation – j'essaie de prendre ma revanche
en me substituant au poète qui m'a institué jadis comme réponse à sa propre solitude».
L'abolition postmoderne des limites devient un point d'appui important (qui doit être
défini comme tel) dans le projet amorcé par Ioana Em. Petrescu, projet d'une histoire de la poésie
roumaine; le langage poétique y est généralement redéfini comme une «permanente victoire sur
les limites du langage, préparant la langue pour les nouveaux concepts par lesquels elle
assumera, au compte de la pensée humaine, l'univers [...] dans un effort de réauthentification des
rapports humanité-univers». La poésie devient par conséquent une «annonce» de la nouvelle
épistémè, qu'elle accompagnera ensuite tout le long de son évolution – qu'elle accompagne,
maintenant, sous nos yeux. Ce statut du poétique lui permet d'expliquer «l'hermétisme» de la
poésie moderne (l'objectivation de l'esprit postmoderne sera par la suite analysée dans l'œuvre
«hermétique» par excellence de la poésie roumaine, celle de Ion Barbu) comme «volonté
d'annexer à la connaissance humaine de nouveaux territoires du réel, non pas par la mise en
détail discursive-rhétorique de l'univers déjà organisé en concepts, mais par l'éternelle
exploration des niveaux de réalité plus profonds, où le concept n'advient pas encore, où le
concept n'aboutira qu'après leur annexion par la vocation de pionnierat perpétuel du langage
poétique, qui leur donnera forme au niveau de la logique concrète de l'imaginaire». Le
postmodernisme comme «style culturel d'une époque» serait le terminus d'une recherche sur la
spécificité de la «poéticité», où «le sentiment à l'égard du monde (envisagé comme type de
relation ontologique) me semble être non pas un caractère dérivé, mais un caractère définitoire».
Dans la bibliographie théorique du postmodernisme, la référence principale est Ihab
Hassan (qu'elle regarde d'ailleurs d'un œil assez critique); nous avons choisi à notre tour de
respecter ces mêmes références, pour en révéler les diffractions.
3.1.1. Un problème de mutation. Le projet suppose l'analyse parallèle, intégratrice, de la
mutation de l'épistémè scientifique de notre siècle et de l'appropriation de celle-ci comme
attitude culturelle par des écrivains d'ailleurs très différents; l'appropriation précède, de manière
paradoxale, la mutation des sciences exactes (mais quoi de plus normal que le paradoxe dans une
perspective postmoderne), et c'est pourquoi les analyses «de la révolution du langage poétique»
découvrent «la révolution du concept de poéticité, [qui] correspond à une mutation fondamentale
du modèle général de la pensée, mutation préparée dans la seconde moitié du siècle passé et
achevée par l'épistémè de notre siècle». C'est une perspective semblable qu'amorce – sans trop de
conviction – Ihab Hassan aussi, en affirmant que «it is now clear that science, through its
technological extensions, has become an inalienable part of our lives [...] Of this we can be more
certain: the epistemological concerns of science must concern us all the more in that scientists
themselves, defying difficulties I have noted, insist on philosophizing, speaking not in
mathematics but in natural languages. [...] relativity, uncertainty, complementarity and
incompleteness are not simply mathematical idealizations; they are concepts that begin to
constitute our cultural languages; they are part of a new order of knowledge founded on both
indeterminacy and immanence. In them we witness signal examples of thedispersal of
discourse».Ce parallélisme culture/nouvelle épistémè scientifique n'est pas valable uniquement
pour l'époque postmoderne; elle répond ainsi aux questions rhétoriques-provocatrices du même
Ihab Hassan, du type «can we understand postmodernism in literature without some attempt to
perceive the lineaments of a postmodern society, a Toynbean postmodernity, or future
Foucauldianépistémè, of which the literary tendency I have been discussing is but a single, elitist
strain?». Dans sa vision, non seulement le postmodernisme ne peut être compris autrement, mais
cette compréhension intégrée est nécessaire à chaque «style culturel», où la littérature n'est pas
une couche superposée, élitiste, mais l'expression même d'un mode d'être. C'est une perspective,
reconnaissons-le, audacieuse, ne serait-ce que parce qu'elle attribue au postmodernisme, comme
caractère définitoire, non pas le fragmentaire du pluralisme, mais sa tendance vers une nouvelle
synthèse. Sur quels principes ?
Premièrement, le critère fondamental est le statut de la catégorie de l'individuel; elle
marque la différence entre le modernisme et le postmodernisme «Nous proposons donc –
écrivait-elle en 1988 – comme critères de différenciation des deux modèles culturels la dé-
structuration – respectivement, la re-structuration – de la catégorie de l'individuel, en précisant
que cette restructuration [...] a la conscience de la crise moderne du sujet et tente une solution, ce
qui conduira à une redéfinition du sujet et à „une nouvelle acception de l'individuel”, conçu non
pas comme une entité, mais comme un „système dynamique”, un nœud structurel de relations
par lesquelles la texture de tout le système existe».
Non moins importante est, à notre avis, la vision du modernisme et du postmodernisme
comme évoluant en parallèle et non pas successivement, ce qui aboutit au dépassement d'une
tension entre les termes: «Avec une note importante: je ne considère pas le postmodernisme
comme une étape qui suit une étape moderniste achevée, mais comme un modèle culturel
synthétique, émergeant – comme réponse au modèle culturel moderniste – déjà dans la période
d'entre les deux guerres et se développant jusqu'aujourd'hui, parallèlement au modèle
moderniste, encore actif (la preuve – la vogue du textualisme et de la déconstruction,
phénomènes spécifiques à la crise moderniste). En proposant l'hypothèse d'une coïncidence
temporelle partielle des deux directions, je reste dans les limites d'une liberté modérée quant à
l'usage du terme». La mutation qui intègre le postmodernisme est donc entendue comme solution
à une crise de longue durée, une crise du «modèle humaniste de la Renaissance». C'est une crise
dont l'emblème dans la philosophie européenne est à chercher chez Nietzsche (annonciateur de la
solution postmoderne) et chez Bachelard. Son «nouvel esprit scientifique» tente une solution
dans les limites de la rupture moderniste, «car toute son œuvre se fonde sur l'opposition
(structurelle et fonctionnelle) entre la méditation (scientifique) étudiée dans les textes de la
philosophie de la science, et la rêverie (poétique), étudiée dans ses fameux textes de
psychanalyse (ensuite, de phénoménologie) de l'imagination matérielle, c'est-à dire sur
l'opposition raison vs. imagination». La nouvelle épistémè abandonne le modèle culturel
anthropocentrique et individualiste, construit dans la Renaissance, aussi bien que le concept
classique descientificité; elle se caractérisera par la transgression des limites qui
séparent raison et imagination. Il faut insister insiste sur les déterminations scientifiques de la
mutation (fait insolite dans la critique roumaine, prisonnière encore de l'idée d'une séparation
entre art et science). Elle citera «les catégories transindividuelles» de la philosophie de Nietzsche
(qui «retrouvent une première cristallisation littéraire dans les expérimentations poétiques de
Mallarmé (chez nous, dans les expérimentations de Ion Barbu et, plus récemment, de Nichita
Stănescu), mais hésitent longuement à englober les études humaines, marquées jusque tard, d'une
manière ou d'une autre, par le modèle de la pensée scientifique positiviste du siècle passé»), les
géométries non euclidiennes, le contenu pluriel de la nouvelle réalité scientifique, l'option pour la
relation au détriment de l'entité, le nouveau rapport observateur-observé. Celles-ci, dans sa
vision, mettent en cause, d'emblée, la catégorie de l'individuel, nœud de la crise moderniste,
prémisse du postmodernisme et solution pour cette crise même. L'histoire de ces mutations se
trouve synthétisée dans l'essai sur Ion Barbu et la poétique du postmodernisme. L'histoire du
modernisme/postmodernisme pourrait être contenue dans le cadre d'une telle synthèse: «Nous
voilà donc de retour au point de la pré Renaissance où l'Europe devait choisir entre la Grèce et
Rome, entre les Mathématiques et la Rhétorique, entre la divine science des rapports
transindividuels et l'art fondé sur l'unité de mesure qu'est l'individu. L'humanisme a choisi Rome
et la Rhétorique et a consolidé par la suite la culture anthropocentrique, axée sur le culte des
valeurs individuelles: non pas l'être mais l'homme; non pas l'homme en général, mais l'individu,
réalisation globale des valeurs particulières, souvent par une violente opposition (opposition
de „condottiere”) à l'existence informe. Le modernisme signifie [...] l'achèvement du cycle
culturel humaniste, ouvert par la Renaissance. En revenant au point antérieur à l'option
renaiscentiste, Barbu rêve „d'un nouvel humanisme, mathématique” [qui] se distinguerait de
l'humanisme classique par une „certaine modestie de l'esprit et la soumission à l'objet.” [...] Non
anthropomorphe, „libre de la figure humaine”, le nouvel art, consubstantiel aux mathématiques
pures, n'est pas moins „humaniste”, car il n'est pas libre de l'esprit humain; au contraire, il est
appelé à le refléter d'une manière infiniment plus fidèle que le vieil art, égaré dans l'accidentel et
le particulier de la figure, en respectant un concept mathématique de la réalité».
En proposant une définition du (une «hypothèse» sur le) postmodernisme, Ioana Em.
Petrescu profite du vague des acceptions habituelles du concept, qui lui laissent «la liberté de le
définir dans des termes corrélatifs à ceux utilisés dans la définition du modernisme».
«Corrélées», les deux définitions trouvent un même centre dans l'attitude envers l'individuel : «Je
définirai le Modernisme comme l'expérience culturelle de ce qu'est, dans la pensée scientifique,
la crise de la catégorie de l'individuel, et je soulignerai, ensuite, la dynamisation – et la
dynamitation – de la catégorie en discussion, dans le cadre des grandes mutations de la pensée
scientifique de notre siècle. Les mutations produites par la théorie de la relativité [...] mèneront
[...] à une nouvelle image du monde, composée non pas d'objets discrets, non pas d'entités
individualisées substantiellement, mais d'une texture d'événements reliés entre eux». En ce qui
concerne la définition du postmodernisme, Ioana Em. Petrescu n'est pas d'accord avec Hassan,
qui affirme que le postmodernisme est l'espace culturel d'existence de tendances contradictoires
(et non pas d'une synthèse de celles-ci). Elle commente l'échec du pluralisme comme critère de la
différenciation modernisme / postmodernisme et propose comme hypothèse de travail la notion
de postmodernisme («faute d'autre terme» mais dérangée par les glissements conceptuels de
celui-ci) pour nommer le «modèle culturel qui aspire vers une nouvelle synthèse, en intégrant et
en surmontant la crise du modernisme, dans une tentative de réhabilitation (sur des bases
dynamiques) de la catégorie de l'individuel». Le postmodernisme correspondrait ainsi à une
nouvelle ontologie, celle du complémentaire, tout en étant le nom d'un début, non pas d'une fin,
d'une redéfinition, d'une nouvelle synthèse.
3.1.2. Une symptomatologie. La pensée postmoderne roumaine. Face à la célèbre
chaîne de Hassan, contenant les 11 traits du paradigme postmoderne, on estime que l'attitude
envers l'individuel suffit, à elle seule, pour différencier les deux paradigmes. Il y a là un parfait
accord avec le principe fondamental de toute une histoire du concept de poéticité dans la poésie
lyrique roumaine: la poésie comme expression d'un mode d'être dans le monde. Dans le cadre
de ce mode d'être se retrouveront l'immanence, l'indécidable, le fragmentaire, le relationnel, le
processuel. Cette approche théorique met en discussion des exemples extra-littéraires
symptomatiques pour l'acception de l'individuel comme système dynamique, tels le
structuralisme génétique de Piaget dans la psychologie contemporaine, le nouveau modèle
cosmologique anthropocentrique, «cristallisé dans la formule du principe anthropique» et la
«holonomie» de Jeffrey S. Stamps.
La relecture de textes importants de la philosophie, de la théorie littéraire et de la
littérature roumaine, comme solutions postmodernes à la crise de l'individuel, nous semblent
d'une importance particulière. Avant de les présenter, nous tenons à préciser que le critique
n'avance pas l'idée de quelque «protochronisme» roumain face au postmodernisme; ses
commentaires ont le mérite d'intégrer (ce qui est déjà beaucoup) la pensée roumaine dans un
espace auquel elle appartient de droit. Elle ne fait que rappeler «le subconscient cosmotique de la
philosophie de Blaga, les structures archétypales que Mircea Eliade déchiffre dans la pensée
mythique et dans les mécanismes du roman contemporain, le néopitagoréisme dynamique de
Matyla Ghyka» comme solutions «que la pensée roumaine apporte dans l'effort (nous l'avons
appelé: postmoderne) de resynthétiser l'individuel, pulvérisé par la crise moderniste, en
dépassant l'acception traditionnelle du sujet isolé et en redéfinissant l'individuel dans des termes
relationnels, comme un „nœud” souvent instable, mais extrêmement important, car ce n'est que
par lui que la totalité acquiert une existence et un sens». On accorde en échange un espace
privilégié à la logique de l'individuel de Constantin Noica. Philosophe d'ailleurs en vogue dans
l'espace culturel roumain des dernières décennies, Noica est lu dans une perspective insolite,
comme logicien postmoderne, participant à la réauthentification de l'individuel.
La poétique de Ion Barbu «représente la plus radicale appropriation du transindividuel
moderniste de la littérature roumaine, mais, d'autre part, le transindividuel est conçu non pas
comme expression de la crise de l'individuel, mais comme élément constructif, définitoire, pour
la structure rationnelle de l'univers [...] c'est pour cela que son œuvre n'est pas [...] l'expression
du sentiment de la crise d'une culture, mais le commencement d'un nouveau cycle culturel.».
L'analyse de la lyrique de Barbu aboutit sur des propositions essentielles pour la théorie du
postmodernisme:
1. L'évolution de la poétique chez Ion Barbu, du modernisme au postmodernisme,
ayant comme fin la redécouverte, dans la perspective de l'être, de la valeur de l'individuel,
vu dans le contexte de l'existence universelle («celui-ci ne disparaît plus, en laissant à sa
place le vide, le néant, il est sacrifié pour accéder à un univers des essences» ).
2. Conséquence du précédent : l'alternative postmoderne de Barbu récupère une
composante orphique de l'art, en réalisant, comme la sculpture de Brancusi, une synthèse
de l'archaïque et du moderne («une poétique du non-figuratif et une nouvelle attitude
culturelle [...] à travers un retour à un univers originaire [...] dans une méditation essentielle
sur les chemins de l'art moderne dans un moment crucial, de crise et de renaissance, mais
surtout comme une méditation sur les modalités de rendre à l'Art son sens primordial,
salvateur.»).
3. L'affirmation de l'infraréalisme (la poétique transindividuelle et non anthropomorphe
de Ion Barbu) comme point de séparation du modernisme (l'infraréalisme «définit la composante
initiatique à travers laquelle le transindividuel n'infirme plus – comme dans le modernisme –
l'individuel, mais le transcende en l'intégrant»).
4. Conséquence du précédent : l'opposition de la solution proposée par la poétique de
Barbu (comme joie de la libération de l'individuel) à la poétique de Mallarmé, celle d'une
torturante stérilité de la création, d'essence moderne : «D'ailleurs, la transcendance „de la
personnalité courante” de l'auteur (Barbu) ou le sacrifice du créateur (Brancusi) a un tout autre
sens que la „disparition locutoire du poète” (Mallarmé). Dans l'espace créé par l'absence
auctoriale (Mallarmé) on institue, de manière moderniste, le texte auto-référentiel, au-delà
duquel il n'y a que le Vide, le Néant. Dans l'espace créé par le sacrifice de soi (Barbu-Brancusi)
s'élève, dans la lignée d'une solution postmoderne, un univers des essences, le monde caché de
l'Idée, que la valeur initiatique de l'œuvre nous dévoilera».
5. Enfin, l'identification du postmodernisme non pas à une crise, ni à une fin, mais,
explicitement, à un triomphe d'une nouvelle épistémè, d'un «nouvel humanisme», signalé
par la nouvelle acception de l'individuel: «Quitter la conscience orgueilleuse de la suprématie
de l'être humain par rapport à la totalité de l'existence signifie un acte de compréhension
libératrice et de sacrifice de l'individualisme qui nous sépare des grands rythmes, éternels et
intégrateurs, de la vie universelle». En proposant une première personne du pluriel, Ioana Em.
Petrescu élargit de manière explicite la sphère de sa méditation, de la poétique de Ion Barbu à
notre «condition d'habitants» du territoire de la crise postmoderne, «observateurs-participants»
aux solutions postmodernes. A cet endroit, elle rencontre les commentaires d'Ihab Hassan, qui ne
privilégie pas «le nouvel humanisme», sinon la «déshumanisation», comme une caractéristique
déterminant, dans le modernisme aussi bien que dans le postmodernisme, la révision du statut du
héros littéraire et auctorial. La différence de «niveau» (ontologique vs. textuel, littéraire)
décourage toute autre comparaison entre les deux perspectives théoriques.
3.1.3. Postmodernisme et déconstruction. Les hypothèses sur le postmodernisme ont
comme point final le postmodernisme de la déconstruction et surtout celui de la philosophie de
Derrida, dans une perspective moins commune aux années 1985-1989, quand elle commence à
écrire un livre sans aucune chance, à l'époque, de le faire publier, un livre sur la déconstruction
«découverte» aux États-Unis, entre 1981 et 1983. Il s'agit d'une perspective polémique assumée:
«face à la fidélité de la critique de la déconstruction, je préfère une déconstruction de la
déconstruction. Malgré l'opposition véhémente de Derrida à l'idée que les pseudoconcepts
grammatologiques sont appropriés par la philosophie, „son système” ne paraît pas opposé à toute
ontologie, mais il paraît participer, sans le vouloir, à la construction d'une nouvelle ontologie, où
les éléments essentiels viennent du côté des sciences exactes, une ontologie qui doit repenser le
statut de l'être et de l'existant, la relation entre le temps, l'espace et la substance et, évidemment,
le statut du „sujet”, qui se trouve mis en cause depuis plus d'un siècle. La redéfinition de ces
termes me semble plus fructueuse que l'infinie application mécanique de la thèse de
l'autoréferentialité du texte. La critique pourrait participer ainsi à la reconstruction conceptuelle
que Derrida, réticent, confie, „au texte général”». La perspective théorique de Derrida lui
apparaît, dans le contexte, plus intéressante que les aspects pratiques de la déconstruction, par «la
réunification de la critique et de la philosophie (longuement séparées par la psychologie, la
linguistique et la sémiotique), par les suggestions qu'elle offre et, ce qui me semble plus
important, par la participation – inconsciente – à la construction d'un nouveau modèle de la
pensée, consonant à celui des sciences contemporaines», donc au modèle postmoderne.
Fiche de synthese sur la postmodernité
Elle apparait au 20éme siecle avec la perte de foi dans le progres.
✗ Fin de la colonisation et de son reve d'imposer le modele occidental au monde entier.
✗ Guerres mondiales.
✗ Incertitudes politiques (scandales .....)
✗ Decouverte des risques ecologiques.
✗ Chute du communisme et de son ideal.
La science et les techniques ne resolvent pas les problemes humains.
D'ou naissance d'un scepticisme a leur egard.
Jean-Francois Liotard definit la postmodernite comme la fin des metanarratifs,
les grands recits qui cherchent a donner un sens a l'histoire
(christianisme marxisme, socialisme ...), CL
lLA POSTMODERNITE
SENTIMENT
EXPERIENCE
INSTANT
PRESENT
EPANOUISSEMENT
PERSONNEL
FRAGMENTATION
INDIVIDU
ABSENCE D'ABSOLU
Multiplicite des idees et opinions
Relativite de toutes, pas de verite une, la meme pour tous et partout
Tolerance d'ou abolition de la pretention a une verite universelle
Absence de cadre de reference donc plus d'absolu, de vrai ou de faux, de bien ou de mal.
La majorite decide de ce qui est bien et modifie les lois en consequence.
Pas de religion superieure aux autres – Pourvu qu'on soit sincere
A chacun sa verite – C'est mon affaire.
Vie dans le present
La pre modernite et la 1ere modernite mettaient l'accent sur le passe. Il fallait vivre selon
les principes eprouves par les anciens, maintenir les traditions.
La 2nde modernite se tournait vers l'avenir (cf l'Internationale) :
«Groupons-nous et demain, l'Internationale fera le genre humain»
La postmodernite vit dans le present
Culture du changement: On change d'emploi, de logement, d'organisation ; la vie est une
succession de presents. Recul de l'engagement : le passe ne doit pas lier l'avenir cf attitude face
au mariage
Multiplication des choix
On est passe d'un pluralisme descriptif (reconnaissance de l'existence d'une diversite) a un
pluralisme ideologique : aucune voix ne peut pretendre etre vraie
Consequence: il nous faut apprendre a vivre non avec des consensus, mais avec des
dissensus.
Exemple dans l'art :
Sculpture et peintures modernes juxtaposant des materiaux heteroclites.
Melange dans un meme film, un meme roman, de fiction et de realite.
En musique, chacun des 12 demi-tons de la gamme a meme valeur : musique atonale
Il faut «preferer ce qui est positif et multiple, ce qui est different a ce qui est uniforme, les
courants aux unites, les arrangements mobiles aux systemes».
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Académie de Science de Moldova
Université de l’ Académie de Science de Moldova
L’exposé
La postmodernité et le postmodernisme
(Le portofeuille de la langue français)
du candidat au doctorat, I année (sans fréquence),
spécialité 10.01.01.- littérature roumaine
Şimanschi Ludmila
Chişinău 2010