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Les pirates et les brigands dans le roman grec ancienPrez Isabelle
To cite this version:Prez Isabelle. Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien. Littratures. 2013.
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Universit Stendhal (Grenoble 3)
UFR de Lettres et Arts
Dpartement de Lettres Classiques.
Les pirates et les brigands dans le roman grec ancien.
Mmoire de recherche pour le Master 2 Lettres et Arts, spcialit Langues et civilisations de
lantiquit
Prsent par : Directrice de recherches :
Isabelle Perez le 22/05/2013 Me Franoise Ltoublon
Professeur de Littrature grecque.
Docteur Honoris Causa.
Anne universitaire 2012-2013.
2
INTRODUCTION p. 5
PARTIE 1 : DES FIGURES ROMANESQUES.
CHAPITRE 1 : LE VOCABULAIRE DE LA PIRATERIE ET DU
BRIGANDAGE. p. 9
I. La famille de .
II. La famille de .
III. La famille de .
IV. La distinction entre le et le / .
CHAPITRE 2 : LA PRESENCE INCONTOURNABLE DES PIRATES ET DES
BRIGANDS p. 18
I. Le schma narratif des romans grecs.
II. Les dbuts de romans : des personnages catastrophiques.
III. Les milieux de romans : des opposants envahissants et criminels.
A. Des personnages actifs.
B. Des personnages voqus.
a. dans les rsums.
b. dans les rves.
c. dans les explications dpisodes non lucids.
d. dans les lamentations.
IV. Les fins de romans : des ennemis limins.
CHAPITRE 3 : LES CATEGORIES DE PIRATES ET DE BRIGANDS . p. 30
I. Les chefs de troupes.
A. Les chefs des pirates, brigands et Bouviers.
B. Les cas de Thyamis et dHippothoos.
II. Les troupes.
a. Certains brigands se distinguent.
3
b. La plupart restent anonymes.
CHAPITRE 4 : PORTRAITS DES PIRATES ET DES BRIGANDS p. 37
I. Aspects physiques.
A. Les pirates et les brigands.
B. Les Bouviers.
II. Aspects moraux.
A. Les pirates et les brigands.
a. Le point de vue des victimes.
b. Le point de vue des brigands.
III. Le mode de recrutement.
IV. Une socit hirarchise et organise.
A. Des chefs et des troupes.
B. Une socit de brigands.
C. Des lois.
D. Des repaires.
PARTIE 2 : LE RLE DES SOURCES.
CHAPITRE 5 : LE ROLE DES SOURCES HISTORIQUES : CONSTITUTION DES
FIGURES DES PIRATES ET DES BRIGANDS p.54
I. Les pirates et ses brigands du monde mditerranen.
II. Les Bouviers du delta du Nil.
A. Des gardiens de bufs ?
B. Des brigands ?
III. Deux vnements et leurs retentissements.
A. Lenlvement de Jules Csar par des pirates ciliciens.
B. La rvolte des Bouviers du delta du Nil.
a. Un pisode dramatis.
b. Un rcit dtourn.
4
CHAPITRE 6 : LE ROLE DES SOURCES LITTERAIRES : CONSTITUTION DES
FIGURES DE PIRATES ET DE BRIGANDS p. 66
I. Pirates et brigands dans littrature gyptienne.
II. Pirates et brigands dans mythogie grecque et romaine.
A. Les brigands.
B. Les pirates.
C. Les ekphraseis.
III. Pirates et brigands dans la tragdie.
IV. Pirates et brigands dans la comdie.
V. Pirates et brigands dans les discours rhtoriques et judiciaires.
CHAPITRE 7 : JUGEMENTS ET CONDAMNATIONS PORTES SUR LES
PIRATES ET LES BRIGANDS . p. 78
I. La lutte contre le brigandage au quotidien.
II. Jugements et condamnations des romanciers.
III. Le triomphe des valeurs grecques dans les romans.
A. La dfaite des pirates et des brigands.
a. La btise des pirates et brigands.
b. Le triomphe des armes sur les brigands.
B. Le triomphe de la beaut et de la noblesse.
PARTIE 3 : DETOURNEMENT DES STEREOTYPES.
CHAPITRE 8 : COMMENT LES ROMANCIERS UTILISENT-ILS LE
STREOTYPE DU PIRATE ET DU BRIGAND ? ............................................................ p.84
I. Chariton dAphrodise : une critique dAthnes.
II. Achille Tatius :
A. Les Bouviers : outils du sensationnel.
B. Les ekphraseis : des nigmes dcoder.
III. Hliodore.
5
A. Du brigand au prtre.
B. Un hros de tragdie grecque.
IV. Longus : La mtaphore du brigandage damour.
V. Xnophon dEphse : Multitude et varit.
CHAPITRE 9 : LES PIRATES ET LES BRIGANDS FACE A LAMOUR p. 94
I. Attitude des pirates et des brigands face lamour.
A. Des sparateurs de couples.
B. Des amoureux impulsifs
II. Mtaphores du pirate et du brigand sappliquent des gens libres et bien ns.
A. Les mtaphores du pirate, du repaire de pirates et de la bte sauvage chez Achille
Tatius.
B. Les mtaphores du cur de brigand chez Hliodore .
C. La mtaphore du brigandage damour chez Longus.
III. Le pouvoir dErs : renversement des identits.
A. Clitophon.
B. Callisthns.
C. Thyamis.
D. Chairas.
IV. Lamour idal contre lamour mprisable.
CHAPITRE 10 : LES PIRATES ET LES BRIGANDS CHEZ PETRONE ET CHEZ
APULEE ... p. 108
I. Ptrone, Le Satiricon.
II. Apule, Lne dor ou Les mtamorphoses.
CONCLUSION.. p. 115
BIBLIOGRAPHIE. p. 117
ANNEXES.. p.121
6
INTRODUCTION.
Un roman daventures nest pas seulement un roman o il y a des aventures ; cest
un rcit dont lobjectif premier est de raconter des aventures, et qui ne peut exister sans elles.
Laventure est lirruption du hasard, ou du destin, dans la vie quotidienne, o elle introduit un
bouleversement qui rend la mort possible, probable, prsente, jusquau dnouement qui en
triomphe. crit Jean-Yves Tadi dans Le roman daventures. Cette dfinition peut
sappliquer aux romans grecs anciens.
Lirruption du hasard dans les romans grecs se nomme (la Fortune), prsente
comme une desse qui prside au sort des deux jeunes hros. Elle est tantt bonne, tantt
mauvaise. Le premier bouleversement quelle introduit est la rencontre des deux jeunes gens.
Sensuit lintervention dEros qui rend les deux adolescents amoureux, puis leur fuite et, au
dtour de chaque aventure, la mort possible. Aussi bien la Fortune quErs sont
imprvisibles : ils aiment jouer avec les hommes. Ers, dont la toute-puissance est annonce
ds les dbuts des romans, triomphera avec le dnouement, mais la fin. En attendant, la
Fortune, derrire qui se cache le romancier, est plus puissante quErs et elle amnera
pripties et revirements, mise en scne et suspens.
Les romanciers grecs suivent tous le mme schma narratif 1: deux jeunes gens, trs
beaux et dorigine noble, se rencontrent par hasard et tombent amoureux. Mais de graves
obstacles les empchent de sunir et les conduisent loin de leur foyer. Durant leur fuite ils
doivent affronter de nombreux dangers et de de grandes souffrances, soit isols soit en
compagnie dautres personnages. Ils restent toujours fidles lun lautre, et les dieux les
guident dans les moments les plus difficiles. Ils se retrouvent la fin. Les mchants sont punis
et les deux jeunes gens retrouvent leur foyer dorigine.
Le suspens porte sur la faon dont une jeune fille et un jeune homme, magnifiques en
tous points de vue, vont parvenir vivre leur amour en dpit des aventures quils subissent,
avec toutes leurs panoplies dmotions telles que la peur, langoisse, la violence, la jalousie,
la passion. Mais, bien sr, dans les cinq romans grecs, le jeune couple parvient se runir et
saimer aprs avoir tenu le lecteur en haleine. Les pirates et les brigands reprsentent quelques
unes des preuves que les amoureux doivent franchir et ils remplissent toutes les conditions
pour offrir au lecteur cette gamme dmotions et dactions violentes dans le roman grec. Le
1 Franoise Ltoublon, Les lieux communs du roman, E. J. Brill, Leiden, 1993.
7
thme de la piraterie et du brigandage investit deux domaines : celui de laventure et de ses
violences et celui de lamour et de ses passions.
Certes les romans grecs voquent tous les aventures dun jeune couple damants, tous
deux trs beaux, et semblables des dieux, promens au gr de Fortune, et des pirates, et des
brigands, ou parfois des deux, dans le vaste monde mditerranen mais leur intrt tient la
faon dont ils vont parvenir franchir les diffrents obstacles et progresser jusqu atteindre
la perfection amoureuse et sociale des gens bien ns. Deux types damour sont prsents dans
les romans et ils se livrent bataille. Il sagit de lamour vulgaire avec ses plaisirs corporels
contre lamour pur, qui slve au-del des considrations corporelles et permet le
perfectionnement de lme. Les pirates et les brigands vont aussi livrer bataille.
Les cinq romanciers suivants mettent en scne les cruels personnages des pirates et des
brigands dans leurs romans 2:
Achille Tatius dans Le roman de Leucipp et Clitophon
Chariton dAphrodise dans Le roman de Chairas et Callirho
Hliodore dans Les Ethiopiques, Thagne et Charicle
Longus dans Pastorales ( Daphnis et Chlo)
Xnophon dEphse dans Les Ephsiaques.
Nous trouvons des bouviers, des pirates et des brigands chez Achille Tatius ; des
pirates et brigands chez Chariton dAphrodise ; des troupes de brigands rivales, des bouviers,
des pirates de Pharos chez Hliodore ; des brigands tyriens chez Longus ; des pirates
phniciens, des brigands et des bergers chez Xnophon. Ils sont tous des personnages
secondaires et des personnages catastrophiques qui sparent mais peuvent aussi runir,
contre toute attente, hros et hrones ; ils tombent amoureux, parfois violemment, font
preuve de cruaut ou au contraire de bont et ressemblent aussi aux autres hommes. Il y a en
effet les vrais et les faux pirates ou brigands. Certains brigands sont danciens hommes libres
de haute naisance qui ont connu des malheurs sentimentaux ou sociaux. A linverse, certains
hommes ou femmes libres ainsi que leurs esclaves se comportent parfois comme des pirates
ou des brigands ; et mme le hros peut tre trait de brigand. Les pirates ou brigands que le
romancier veut distinguer sont au singulier : le faux brigand Thyamis ; ou le brigand
occasionnel Hippothoos ; ou le pirate Thron ; ou leffrayant pirate Corymbos ; ou Manto,
fille et pouse de pirates. Les pirates et brigands strotyps sont au pluriel. Nous pouvons
2 Titres proposs par ldition des Belles Lettres, Paris.
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ainsi nous demander do viennent toutes ces figures littraires, quel point de vue les
auteurs adoptent et dans quel but.
Le roman grec se caractrise par son ouverture toutes les influences, il est le lieu o
se rencontrent et se mlent divers genres littraires : pope et histoire, tragdie classique,
comdie nouvelle, contes mythologiques, ekphrasis, etc. Quelles sont ses sources ? Sont-elles
historiques, mythologiques, orales, littraires, picturales et dans quel sens sest produit
linfluence ? et que veut-il raconter ? Les pirates et les brigands ont-ils une fonction
symbolique particulire ? Illustrent-ils des personnages reprsents dans des mosaques ou
des peintures ? Sont-ils le reflet de la pense morale de leurs auteurs ? Sont-ils les
reprsentants de la barbarie ? Les questions sont nombreuses Notre tude permettra de
poser plus prcisment ces questions et dexaminer les diffrentes rponses possibles et
pertinentes avec le rle des pirates et des brigands dans les romans pour fil directeur.
Pour mener bien une telle tude, la premire partie examine les figures des pirates et
des brigands romanesques. Le premier chapitre essaie danalyser le vocabulaire de la piraterie
et du brigandage en partant de ltymologie pour aller jusqu lutilisation quen font les
romanciers et de dgager ainsi les diffrences entre les et les tant dans
lusage du vocabulaire que dans les types de brigandage que lon peut rpertorier dans les
romans. Le deuxime chapitre analyse le schma narratif des romans en montrant que la
prsence des pirates et des brigands est incontournable et envahissante. Puis les chefs des
pirates et des brigands, et en particulier Thyamis et Hippothoos, ainsi que leurs troupes sont
envisags pour en faire leurs portraits physiques et moraux et dcrire leur organisation. Aprs
cette premire partie littraire, nous nous proccuperons des sources de nos romanciers,
quelles proviennent de la ralit, de textes historiques ou de textes littraires, en examinant
dans quelle mesure les romanciers ont pu tre influencs. Nous pouvons nous demander si la
ralit des pirates et des brigands, et en particulier ceux qui ont fait la Une des actualits du
Ier sicle avant notre re et du IIme, ont impos les bases dun archtype du pirate et du
brigand et si les romanciers sen sont servis ou carts pour laborer leurs figures littraires.
Aprs cet expos historique et littraire, le chapitre huit pose la question des jugements et des
condamnations dans la ralit historique et dans les romans. La troisime partie voque
lutilisation spcifique que le romanciers grecs et latins font de ces figures littraires. Le
chapitre neuf voque loriginalit des romanciers dans leur manire personnelle dutiliser les
pirates et les brigands en les mettant aux prises avec lamour, en montrant le pouvoir dErs
sur eux et les autres, et dveloppant lide dun amour idal. Ce travail sachvera sur une
9
comparaison avec les deux romans latins et lutilisation que Ptrone et Apule font de leurs
brigands.
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CHAPITRE I : LE VOCABULAIRE DE LA PIRATERIE ET DU
BRIGANDAGE.
Il est tout dabord ncessaire dentreprendre ltude du vocabulaire afin de
comprendre ce que les romanciers entendent par pirates et brigands. Nous pouvons nous
demander si les sens modernes de pirate et de brigand correspondent aux sens que leur
donnaient les anciens.
Le mot pirate, emprunt au latin pirata emprunt lui-mme au grec , dsigne
aujourdhui un aventurier qui court les mers pour piller les navires, ralit aussi ancienne
que la navigation 3. Lemploi du mot en apposition, avec par exemple vaisseau pirate, prend
le sens de clandestin, illicite . Le mot brigand, emprunt litalien brigante, driv de
briga troupe et aussi querelle, lutte , dsigne un voleur arm . Par extension le mot
est employ en parlant dune personne malhonnte4. Les pirates ralisent donc leurs exactions
sur mer ; les brigands sur terre pour les modernes. Ltymologie et lhistoire des mots vont
nous permettre de dgager des dfinitions plus prcises des pirates et brigands de lantiquit et
de mieux comprendre lutilisation quen font les romanciers grecs.
Les romanciers utilisent principalement les noms , , et pour
dsigner leurs hors-la-loi.
I. La famille de .
Le nom dagent est issu de la famille de mots de qui signifie, selon le
Dictionnaire tymologique de la langue grecque de Pierre Chantraine, tentative, exprience,
essai , parfois fait de mettre lpreuve , parfois attaque, tentative de sduire
une femme . Ces trois champs smantiques se retrouvent dans les verbes dnominatifs
, et, plus rarement, , qui signifient tenter de faire quelque chose avec
linfinitif ; mettre quelquun lpreuve , lattaquer avec le gnitif (chez Homre et
Thucydide, les emplois militaires sont assez nombreux) ; chercher sduire une femme .
Le verbe est employ depuis Homre jusqu lpoque romaine.
Les drivs du nom sont qui constitue un essai ; (neutre
pluriel) preuve au tribunal ; nid de pirates, bande de pirates ; le nom
d'agent brigand, pirate apparat la priode hellnistique avec le sens militaire
3 Dfinition du Dictionnaire historique de la langue franaise. Paris, 2010. 4 Id.
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de celui qui attaque , do qui concerne les pirates , se conduire
en pirate .
Cette famille de mots s'est prte des emplois assez divers, souvent expressifs
comme ceux d'attaquer au sens militaire, de s'en prendre une femme, de tenter, de faire
succomber la tentation.
Le nom repose sur *per-ya dont la notion originelle serait aller de l'avant,
pntrer dans . On peut rapprocher de cette racine le latin periculum preuve d'o
danger, pril , peritus expriment , experior prouver, faire l'exprience de .
La recherche dans le Thesaurus Linguae Graecae5 porte sur le thme -, prsent
dans , et rpertorie soixante mots dans les cinq romans : le roman de Longus nen
contient quun (lpisode des pirates est bref) ; les quatre autres en contiennent une quinzaine
chacun ; ce qui en fait, chez ces derniers, un thme assez frquent. Mais les pirates peuvent
aussi tre dsigns par une priphrase, ou par leur prnom, une fois quils ont t prsents
par lauteur, ou par des pronoms de reprise. Leur place et leur rle sont importants dans quatre
romans sur cinq. Les mots de la famille de prcits et contenant le thme - se
retrouvent chez les cinq romanciers grecs, ainsi rpartis :
Achille Tatius Chariton Hliodore Longus Xnophon
3 2 0 0 11
, ,
3 3 3 0 0
/
5 2 2 0 0
tenter
1 6 6 1 4
5 TLG : base de donnes regroupant lensemble des textes crits en grec rassembls par des professeurs de luniversit de californie Irvine.
12
Ladjectif , , qui concerne les pirates, de pirate est utilis par
Chariton dAphrodise, Hliodore et Achille Tatius. Il qualifie quatre fois fois lembarcation
des pirates, deux fois une bande de pirates, une fois des pcheurs de pourpre qui sadonne la
piraterie, une fois lhybris dont font preuve les pirates selon Leucipp, lhrone dAchille
Tatius, une fois le temprament naturel dun esclave. Nous pouvons constater quAchille
Tatius napplique pas cet adjectif uniquement aux pirates eux-mmes et leur environnement
mais aussi un esclave. Cette mtaphore se poursuit avec le nom nid de pirates,
troupe de pirates. En effet le se situe, toujours chez Achille Tatius, chez
Thersandre et Mlit, des hommes et femmes libres, ou bien il dsigne, avec ironie, une
troupe de philosophes. Deux occurrences dsignent une troupe ou des dangers chez Chariton
et Hliodore. Le mot au pluriel dsigne, chez Hliodore, une preuve au tribunal, comme le
signale Pierre Chantraine.
Les verbes et prennent toujours le sens de tenter de avec
l'infinitif parmi les formes verbales contenant -, cest dire les troisimes personnes du
singulier du prsent actif, de limparfait actif ou du parfait passif. Et les pirates ne sont pas les
seuls personnages tenter de faire quelque chose : tous les catgories de personnages tentent
de faire quelque chose, le verbe tant courant en grec.
Il y a seize occurrences du nom , dont onze chez Xnophon. Le nom pirate est
utilis quinze fois au pluriel chez les romanciers, except une fois au singulier chez
Xnophon. Les auteurs dsignent ainsi un groupe car on ne rencontre les pirates quen bande
dans les romans, et, mme si parfois le chef des pirates se singularise, comme Thron chez
Chariton dAphrodise, il nest jamais appel le pirate mais le brigand . Les sens
premiers tenter de faire quelque chose et de mettre quelquun lpreuve et d
attaquer associ au suffixe de nom d'agent - indique que le pirate est celui qui met
lpreuve, qui attaque. Les pirates des romans en effet attaquent les personnages du rcit,
hros et hrones en particulier, et les mettent lpreuve sur le plan physique : ces derniers
risquent le viol ou la mort. Ltymologie cependant ne prcise pas quils sont lis la mer
comme le sens moderne linclut dans sa dfinition.
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II. La famille de .
Le terme de pirate est moins utilis que celui de brigand alors que son usage est attest
ds Homre.
Le nom est issu de la famille de mots de , issu du ionien *, qui
signifie, selon le Dictionnaire tymologique de la langue grecque de Pierre Chantraine,
butin sous toutes ses formes : btail, prisonniers, captives, etc.
Le verbe dnominatif est emmener comme butin des animaux, des
captives, etc. chez Homre et Hrodote, se procurer chez Hsiode, piller un pays, un
peuple, etc., faire du brigandage . Les noms dagent sont brigand notamment
pirate avec dit de vaisseaux, de manires, de personnes ; bande de
brigands, bateau de brigands, repaire de brigands .
Le terme usuel pour dsigner le brigand sans rapport avec une action militaire est
avec de pirates . Le verbe dnominatif est pratiquer le
brigandage, la piraterie . Le mot repose sur *F- . Il ny a pas dtymologie tablie pour
ce mot.
Les mots de la famille de cits ci-dessus et contenant le thme - se retrouvent
chez les romanciers, ainsi rpartis :
Achille
Tatius
Chariton Hliodore Longus Xnophon
69 26 28 9 34
4 5 0 1 22
, ,
1 0 25 0 3
5 0 12 0 0
1 4 2 0 0
,
,
1 0 0 0 0
,
,
0 0 0 0 1
2 2 0 0 4
0 0 0 0 1
14
Il y a deux cent soixante-deux occurrences du thme - dans les cinq romans soit
huit fois plus que celles de -. Il y a une grande frquence de ce thme chez Achille
Tatius, puis Hliodore et Xnophon, rpartis galement dans les diffrents livres. Les
occurrences sont concentres dans les livres I et III chez Chariton ; dans le livre I, 28-32 chez
Longus o il ny a quun seul pisode de brigandage.
Trois mots sont rares : et sont employs une fois chacun
par Xnophon, est employ une fois par A. Tatius.
Lutilisation du nom et du verbe est trs peu frquente. Les
romanciers choisissent des verbes daction usuels appartenant au langage courant.
Le nom est utilis cinq fois par Achille Tatius au livre III, 21-22, pour
dsigner le chef des brigands gyptiens. Hliodore lutilise douze fois pour dsigner Thyamis
qui a un rle du livre I au livre VII, en tant que chef des brigands dabord et un autre rle en
tant que prtre qui veut retrouver son sacerdoce ; il est donc aussi nomm Thyamis, de plus en
plus frquemment au fur et mesure de lvolution de lintrigue, puisquil perd son statut de
brigand pour redevenir prtre.
Ladjectif est employ vingt-cinq fois par Hliodore. Trois fois comme
adjectif substantiv la troupe de pirates , les autres fois comme adjectif
qualifiant des termes aussi varis que , , , , , ,
, , , , , les deux derniers permettant des mtaphores.
Les occurrences de prdominent dans chacun des cinq romans. Il y en a 166 au
total.
La plus grande partie est au pluriel : 141 sur 166, car les brigands agissent en groupe
dans les romans grecs, de mme que les pirates. Utiliser le pluriel a un impact plus grand chez
le lecteur car cela dsigne un groupe plus ou moins nombreux et mal dfini qui suscite ainsi
plus de peur. Au singulier, il est souvent (8 fois sur 25) prcd du nom du brigand
chez Chariton (5 fois), chez Xnophon (2 fois),
chez Hliodore (une fois) : cela permet de dcliner lidentit du personnage : lauteur
insiste sur son statut et non sur son origine familiale comme pour les autres personnages. Il est
aussi utilis par mtaphore pour rvler la face cache de certains hommes libres ou esclaves
tels que Thersandre et Sosthns chez Achille Tatius.
Le sens premier voler, piller et le suffixe des noms dagent indiquent que le
brigand est celui qui vole ou pille, puisque, selon Pierre Chantraine ; le nom usuel perd son
sens militaire de butin conquis la guerre.
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III. La famille de .
La recherche dans le Thesaurus Linguae Graecae porte sur le thme - prsent
dans (bouvier).
Le thme est issu de la famille de qui signifie selon le Dictionnaire tymologique
de la langue grecque de Pierre Chantraine espce bovine sans prcision de sexe. Ce mot a
de rares emplois drivs mais il a jou un grand rle en composition. La forme est en principe
- devant une consonne. Ainsi nous trouvons bouvier do
troupeau de bufs et, au neutre pluriel troupeaux de vaches . Le nom
troupeau de gros btail et la rgion des ptres . Le verbe dnominatif est
faire patre employ mtaphoriquement dans des expressions familires au sens
de nourrir, entretenir et parfois de tromper quelquun, lentretenir de fausses
esprances . Les mots de cette famille se rpartissent ainsi chez les cinq romanciers :
A. Tatius Chariton Hliodore Longus Xnophon
15 1 18 16 0
0 0 0 2 0
0 0 1 0 0
0 0 0 1 0
,
,
0 0 0 2 0
Il y a 56 mots contenant le thme - dans les cinq romans. Le thme sert
former le nom pour 50 des occurrences. Il faut cependant distinguer les diffrents
bouviers. En effet les bouviers dAchille Tatius et dHliodore sont diffrents de ceux de
Chariton et de Longus. Si ceux des deux derniers sont de vrais bouviers cest dire des
gardiens de bufs, ceux dAchille Tatius et dHliodore sont avant tout de vrais brigands, qui
lvent accessoirement des bufs. Le mot dsigne, chez ces deux romanciers, les bouviers
gyptiens ou les brigands gyptiens qui habitent le delta du Nil.
Ce terme renvoie aussi lune des activits de production alimentaire importante des
zones humides du delta : llevage.
Le nom bouviers peut se trouver seul, comme toujours chez Achille Tatius, ou
proximit du mot brigands qui prcise sa catgorie (VI, 7,
4) ou (VI, 2, 4) puis, aprs cette prcision, Hliodore
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peut substituer un mot lautre. Les romanciers associent vraisemblablement les Bouviers
aux insurgs qui ont svi dans divers villages au cours de la seconde moiti du IIme. Il ny a
en revanche aucun type de bouviers (avec le thme -) chez Xnophon. Lauteur utilise
cependant le nom pour dsigner des bergers des ctes de Phnicie qui sont aussi des
brigands et font dHabrocoms leur prisonnier puis le vendent (III, 12, 2). Mais les bergers de
Xnophon sont-ils les mmes que ceux dA. Tatius et dHliodore ? Le terme de Xnophon
est diffrent de ceux de Tatius et dHliodore et ne renvoie pas la mme localisation. Ils sont
peut-tre de vritables bergers qui font occasionnellement du brigandage vers Pluse.
Le mot est le plus souvent au pluriel (31 occurrences) et dsigne une troupe de
Bouviers brigands insparables ou envisags comme tels, aux ordres dun chef, qui forme
une sorte de une communaut indivisible chez Hliodore et Achille Tatius. Le mot se trouve
17 fois au singulier.
Chariton emploie au singulier au livre II, 3, 2, pour dsigner un des bouviers
de Dionysos avec le sens de gardien de bufs. Longus lemploie 13 fois pour dsigner un
gardien de boeufs particulier : le bouvier Dorcon, amoureux de
Chlo ; le bouvier Philtas qui fait fonction darbitre dans le conflit
entre Mthymne et Mytilne ; le bouvier plein darrogance Lampis .
Chez Longus, le bouvier est plus grand que le chevrier, il vaut plus que lui qui est pauvre et
sent mauvais. Il nest pas un brigand mais il est un rival amoureux, capable de ruse et de
stratagmes comme le sont les brigands dans les autres romans : cest le cas de Dorcon et de
Lampis. Achille Tatius lemploie au singulier ( deux occurrences II, 2, 3 et 6) pour raconter la
lgende du don du vin aux humains : il sagit du bouvier tyrien qui Dionysos fait cadeau du
vin, et, au livre III, 9, 2, pour nommer la peuplade des bouviers.
Le verbe est utilis une fois par Longus avec la signification de faire
patre (IV, 14, 2), ce qui est normal dans un roman bucolique, pour faire une comparaison
entre Apollon, qui faisait patre les bufs de Laomdon, et Daphnis. Ladjectif
qualifie une fois une tourterelle (I, 27, 1) une autre fois la flte (I, 15, 1) chez Longus. Seul
Hliodore utilise ( I, 5, 2) que le traducteur Jean Maillon traduit par pays des
ptres .
Les bouviers qui nous intressent sont les bouviers dEgypte parce quils font partie de
la catgorie des brigands. Nous carterons bien sr de notre tude les gardiens de bufs de
Longus.
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IV. La distinction entre le et le / .
Le mot ainsi que le mot dsignent aussi bien le pirate que le brigand
dans lantiquit. Le est ainsi lorigine celui qui fait un butin conquis la guerre
que ce soit sur terre ou sur mer ; le mot a un rapport avec une action militaire. Nous
retrouvons cet emploi chez Longus dans la guerre entre les Mthymniens et les Mytilniens (
II, 19-21) o le chef de larme , Bryaxis, reoit lordre de mettre la mer dix
galres pour aller ravager leur ctes et ramener un butin, fait de btes et dhumains, dont
Chlo. Nous le retrouvons aussi chez Hliodore (V, 7-8) o le lieutenant Mitrans
rapporte Charicle comme butin et cherche piller les bergers. Le terme ne
dsigne donc pas toujours un brigand ou un pirate : il peut aussi dsigner un soldat qui
rapporte un butin. La frontire entre les soldats et les brigands reste mince chez les romanciers
comme dans la ralit antique.
Lvolution du sens montre que les mots de pirate ou de brigand perdent leur sens
militaire. Ils deviennent de simples pilleurs. Maurice Sartre6 prcise que les pirates ne vivent
pas toujours sur leau mais quils ont des repaires sur terre o ils peuvent commettre des actes
de brigandage tels que les enlvements ou le pillage de villes.
Cest pourquoi les romanciers ne font pas la distinction entre les deux types de
brigandage : les personnages de pirates ne se contentent pas toujours dattaquer des navires
dans les romans. Ils accostent aussi et commettent des exactions sur terre. Chez Chariton, par
exemple, les pirates se font pilleurs de la tombe de Callirho ; leur chef, Thron, dbarque
plus tard Milet pour vendre sa captive o il sjourne pendant quelques temps. Leur rle ne
se limite donc pas la mer : ils prennent le rle du brigand sur terre. Chez Xnophon, nous
voyons que leur repaire se situe sur terre, proximit des ctes.
De la mme faon, les brigands peuvent monter labordage dun navire et le piller
sans quils soient appels pirates. Chez Hliodore, un brigand slance labordage dun
navire (V, 25, 1) : , , : un brigand, le plus audacieux, slana labordage
Leur rle ne se limite pas la terre : ils prennent le rle du pirate tel quon lentend au
sens moderne. Il y a cependant une ambigut dans lemploi du vocabulaire. Tantt les auteurs
distinguent trs nettement pirates et brigands et nous pouvons le constater dans les
numrations que les hros et hrones font de leurs malheurs. Chez Hliodore, Thagne se
lamente ainsi :
6 Maurice Sartre prcise, dans une mission intitule Correspondance des temps consacre aux pirates dans lantiquit du 13 avril 2013 sur France Culture, que les pirates oprent sur mer et sur terre.
18
, ; : Quelle est linsatiable Erynnie qui nous a livrs aux prils de la mer et aux prils de la piraterie, fait tomber aux mains des brigands ?
( II, 4, 1).
Chez Xnophon, Anthia numre les malheurs quelle et Habrocoms ont subis :
: je tai donc retrouv aprs tant de courses errantes et sur terre et sur mer, aprs avoir chapp aux menaces des brigands, aux embches des pirates (V, 14,1 ).
Les deux types de brigandage et leurs deux termes associs sont nettement distingus
ici : les pirates sont associs la mer, les brigands la terre.
Tantt ils substituent un terme lautre au cours du rcit. Chez Chariton, Hermocrate
dit Chairas : ,
( VIII, 7, 8) : mais tu tombas en mer sur le bateau des pirates o tu dcouvris tous les brigands morts de soif
Chez Achille Tatius, Thersandre sexclame :
; ; ( VI, 21, 3) : une vierge a pass la nuit avec tant de pirates ? Ctaient donc des eunuques que tes brigands ?
Les deux termes du brigandage peuvent tre associs ou employs lun pour lautre.
En conclusion malgr lexistence du mot ds lpoque hellnistique, les
romanciers ne distinguent pas toujours les actions des pirates de celles des brigands, ni ne
distinguent toujours lemploi des deux termes et . Cela amne les traducteurs
traduire par pirate ou par brigand. Les termes le plus frquemment
utiliss pour dsigner les pirates, ainsi que tous ceux qui s'appliquent aux actes de pillage,
valent pour les brigands (terrestres) aussi bien que pour les pirates (maritimes). Isoler la
piraterie (sur mer) du brigandage (sur terre), c'est donc rompre l'unit d'un seul et mme
phnomne historique et toujours selon des critres fort discutables puisque ces deux types
d'activit prdatrice taient, dans la pratique elle-mme, difficilement sparables (la piraterie
antique tant, en rgle gnrale, une activit ctire plutt que de haute mer). 7
Les romanciers utilisent donc les deux termes indiffremment.
7 Yvon Garlan, Signification historique de la piraterie grecque in Dialogues dhistoires anciennes, vol. 4.
19
CHAPITRE 2 : LA PRESENCE INCONTOURNABLE DES PIRATES ET DES
BRIGANDS.
Les jeunes hros et hrones se rencontrent, tombent amoureux, et se jurent des
serments ternels damour et de fidlit. Puis ils sont spars, se retrouvent, connaissent
nouveau la sparation, les voyages, les temptes qui causent parfois des naufrages. Ils
rencontrent des pirates et des brigands, se font enlever et vendre, subissent de mauvais
traitements et des morts apparentes, sont lobjet du dsir amoureux ou de la passion violente
de diffrents personnages, voient lautre subir des souffrances et en souffrent eux-mmes,
deviennent parfois jaloux et violents, puis se retrouvent et peuvent enfin vivre un amour
paisible.
I. Le schma narratif des romans grecs.
Les cinq romans grecs de notre corpus sont des romans daventures et damour qui
respectent tous le mme schma narratif.8 En dautres termes, les romans grecs prsentent
tous la mme structure narrative que lon peut diviser en cinq tapes de longueur variable :
1. Prsentation des deux hros.
2. Eveil amoureux et serments.
3. Mise lpreuve de lamour sentimental, moral et physique et
pripties.
4. Punition des mchants et retrouvailles du jeune couple.
5. Reconnaissance par leur famille dorigine et mariage sil na pas dj eu
lieu.
Le fil directeur du rcit est la puissance dErs. Les aventures mettent lpreuve les
sentiments, la fidlit et la chastet des jeunes hros amoureux, en particulier celle des jeunes
filles, Clitophon chez Achille Tatius et Daphnis chez Longus seront initis lamour
physique au cours du roman.
La partie centrale des romans, cest--dire la mise lpreuve de lamour et les
pripties, est de loin la plus longue. Elle contient de nombreux, et parfois de longs, pisodes
contenant de nombreux pirates et brigands. On trouve, prsents sur plusieurs livres, des
brigands gyptiens, des Bouviers et des pirates de Pharos chez Achille Tatius ; des pirates et
des brigands barbares chez Chariton dAphrodise ; des brigands gyptiens, des Bouviers, des 8 Franoise Ltoublon, Les lieux communs du roman, Strotypes grecs daventure et damour, E. J. Brill, Leiden, 1993.
20
pirates, des brigands de Bessa chez Hliodore ; des pirates phniciens et des brigands de
toutes sortes chez Xnophon. Seul Longus fait figure dexception par la petite proportion de
brigands quil fait intervenir dans ses Pastorales et la brivet dun pisode unique les
concernant : lenlvement de Daphnis par des brigands de Tyr et sa fuite (I, 28-30). Ce qui
explique la relative absence de pirates et de brigands est le fait que Daphnis et Chlo ne
voyagent pas mais restent dans lle de Lesbos, Mitylne. En outre Longus est intress par
la peinture dune passion rciproque dans son dveloppement commente Jean-Ren
Vieillefond dans sa prface des Pastorales, et ddaigne toute allure de roman de cape et
dpe ou daventures . Cependant des brigands sont prsents car ils restent des personnages
incontournables du genre romanesque. Chacun des romans grecs de notre corpus contient en
effet son lot de pirates et de brigands, personnages faciles faire apparatre puis disparatre
selon les besoins de lintrigue, aptes aussi susciter des motions fortes et donc procurer du
succs aux romanciers. Leurs interventions sont attendues des lecteurs et sont un des lieux
communs9 trs attendus du roman.
II. Les dbuts de romans : des personnages catastrophiques.
Dautre part tous ces pirates et ces brigands interviennent rapidement dans les
romans : ds le livre I chez Chariton dAphrodise, Hliodore, Longus, ou Xnophon. Trs vite
donc les deux hros rencontrent des opposants : au livre I de Chairas et Callirho, Callirho
se rveille dans son tombeau quand des pirates, plus prcisment des pilleurs de tombe
, dont le chef est Thron, lenlvent dans le but de la vendre Milet ; le dbut
des Ethiopiques montre une scne de massacre perptre par des pirates vue par une troupe de
brigands gyptiens. Les deux jeunes gens, Thagne et Charicle, sont faits prisonniers par les
Bouviers et amens dans leur camp (I, 1-7) ; Longus raconte que des brigands de Tyr enlvent
Daphnis, que Dorcon meurt la suite de blessures faites par les brigands mais que le bateau
des brigands fait naufrage et que Daphnis revient la nage (I, 28-30) ; au dbut des
Ephsiaques, des pirates phniciens abordent le navire dAnthia et dHabrocoms Rhodes :
de nombreux Ephsiens prissent noys, dautres sont gorgs. Le chef des pirates pargne
Habrocoms et Anthia, mais il met le feu au navire o lquipage prit dans les flammes. Ils
dbarquent Tyr o Corymbos, le chef des pirates, sprend dHabrocoms tandis
quEuxinos, le lieutenant, sprend dAnthia et lun et lautre sefforcent de persuader les
jeunes gens de leur cder (I, 13-16 ). Chez Achille Tatius en revanche lintervention des
9 Voir F. Ltoublon, Les lieux communs du roman, p. 86-87.
21
pirates a lieu au livre II seulement: Callisthns, un jeune homme de Byzance, amoureux de
Leucipp sans lavoir vue et rejet par son pre Sostrats, arrive Tyr. Son esclave engage
une troupe de brigands qui place une chaloupe en embuscade non loin de Tyr pour enlever
Leucipp. Mais il se trompe et enlve Calligon (II, 16-18). Cet pisode rapide (II, 16-18) et
spectaculaire sert les jeunes hros du roman- ici donc les pirates ne sont pas des opposants -
puisquainsi le mariage de Clitophon avec Leucipp pourra tre envisag. Il faudra attendre la
fin du roman pour comprendre quune autre histoire sest joue : celle du jeune noble
Callisthns, transform en brigand par la puissance dErs.
Les pirates ou les brigands de dbut des romans sont toujours des opposants aux deux
jeunes personnages principaux ou des personnages secondaires proches dans un premier
temps. Ceux-l ont pour fonction demmener les jeunes hros, sparment ou ensemble, loin
de leur patrie et de leur famille ou de les dtourner de leur chemin initial, de les sparer lun
de lautre pour un temps plus ou moins court, de mettre lpreuve lamour quils prouvent
lun pour lautre, mais avant tout de leur faire violence.
Cependant, Hliodore djoue la chronologie habituelle des cinq tapes du rcit telles
quelles ont t dcrites ci-dessus. Hliodore ouvre son roman par une de ses pripties :
: une troupe de brigands observe un tonnant spectacle : un
navire est chou, le rivage est jonch de morts, il reste des traces de festin, le butin est intact,
une jeune fille dune beaut merveilleuse se lamente sur le corps dun jeune homme la virile
beaut Le roman commence in medias res par des brigands contemplatifs qui seront trs
vite chasss par une autre troupe de brigands qui enlvera puis sparera le jeune couple.
Hliodore est original sur deux points. Le premier par cette technique narrative qui fait
commencer le rcit au cur de lintrigue et surprend le lecteur ; le second par le point de vue
interne de brigands qui voient se drouler une scne mystrieuse du haut de leur promontoire,
frapps dpouvante devant Charicle, quils prennent pour une desse. Lauteur plonge
immdiatement ses lecteurs dans des pripties qui les tiendront en haleine. Le dbut du
roman ne correspond pas au dbut de lhistoire. Le livre VI correspond au dbut de lhistoire
et nous y retrouvons les pirates qui ont attaqu le navire de Charicle et Thagne au dbut du
roman, parmi lesquels le chef des pirates, Trachinos, veut clbrer ses noces avec la belle
hrone.
Les pirates et les brigands, ds le premier livre et sa premire phrase chez Hliodore,
sont des opposants au jeune couple de hros de romans et ils le confirment dans la suite.
22
III. Les milieux de romans : des personnages envahissants et criminels.
Ils font subir de nombreuses preuves aux deux jeunes personnages principaux mais
aussi aux personnages secondaires et enfin aux personnages lambda qui les croisent, pour leur
plus grand malheur. Les pirates et les brigands apparaissent en tant que personnages actifs
dans cette partie centrale des romans, qui est aussi la plus longue des romans puisquelle
occupe les trois quarts des rcits.
A. Des personnages actifs.
Les cinq auteurs de notre corpus relatent lenlvement des deux jeunes gens. Ce thme
de lenlvement est devenu un lieu commun ; il sera mme repris dans le cours dun mme
roman : plusieurs enlvements successifs peuvent se produire lintrieur du mme roman.
Xnophon enchane en les juxtaposant de nombreuses scnes denlvement. Anthia en effet
est tout dabord enleve par la troupe du pirate Corymbos au livre I, puis, sur le point dtre
vendue des brigands ciliciens, elle est enleve par Hippothoos au livre II, aprs plusieurs
pripties, des brigands lemmnent Alexandrie au livre III pour la vendre, elle est enfin
rachete par Hippothoos au livre V. Xnophon enchane les enlvements rapidement sans se
soucier des dtails : il raconte des faits et multiplie sans transition les actions, ce qui a valu
son roman dtre assimil un rsum.
Les Bouviers dAchille Tatius, comme ceux dHliodore, enlvent le jeune couple de
hros. En effet peine arrivs sur les ctes de lEgypte, Clitophon et Leucipp sont capturs
par les et amens leur chef chez A. Tatius dans Le roman de Leucipp et
Clitophon (III, 9, 2). Le dbut des Ethiopiques montre une scne de massacre perptre par
des pirates vue par une troupe de brigands gyptiens stupfaits : les victimes sont nombreuses,
les vainqueurs absents, le butin intact, une belle jeune fille pleure sur le corps dun beau jeune
homme. Une autre troupe de brigands survient et met la premire en fuite. Les deux jeunes
gens, Thagne et Charicle, sont faits prisonniers par les Bouviers et amens dans leur camp.
(I, 1-7). Dans ces deux romans, les jeunes gens restent parmi les brigands. Mais brigands et
pirates enlvent les jeunes gens dans le but de les vendre comme esclaves et de les vendre
cher car ils sont beaux. Leur beaut leur permet davoir la vie sauve dans les cinq romans
grecs. Longus raconte lpisode des brigands de Tyr qui enlvent Daphnis dans le but de le
vendre comme esclave. Chariton dAphrodise, au livre IV, dcrit des pirates barbares qui,
aprs avoir enchan Chairas, le vendent en Carie.
Ils pillent aussi des spultures et rcuprent tous les objets de valeur ainsi que la jeune
enterre vivante. Chez Xnophon, des voleurs entrent dans la chambre funraire dAnthia,
lenlvent et lembarquent pour Alexandrie o elle sera vendue (III, 8, 3-7). Chez Chariton
23
dAphrodise, Callirho se rveille dans son tombeau Syracuse quand des pirates aussi
appels des pilleurs de tombe , dont le chef est Thron, lenlvent dans le but
de la vendre Milet (I, 7-14).
Lenlvement puis lemprisonnement ou la vente dun des personnages principaux
sont des thmes rcurrents dans nos romans. Cest la premire preuve, qui en amnera
dautres
En effet, pirates et brigands tombent amoureux, veulent sduire puis amener les jeunes
gens leur cder et lhrone les pouser. Nous pouvons noter ce propos un exemple
unique damour homosexuel chez Xnophon. Il se produit un double coup de foudre chez les
pirates : Corymbos sprend dHabrocoms tandis quEuxinos sprend dAnthia et lun et
lautre sefforcent de persuader les jeunes gens de leur cder (Les Ephsiaques, I, 13-16 ).
Chez Hliodore, le chef des brigands, Thyamis, qui est en ralit un prtre vinc de
son sacerdoce par son frre Ptosiris, tombe amoureux de Charicle et veut lpouser (Les
Ethiopiques, I, 19-23). Dans un long discours la troupe de ses brigands, il explique quil
veut Charicle pour femme puis, se tournant vers la jeune fille, il lui demande une rponse.
Les brigands prfrent la persuasion la violence car ils pensent le consentement des deux
parties ncessaires pour un mariage : ,
. (I, 21, 2). Cependant, en cas de danger, ils prfrent tuer leur
bien-aime la voir prisonnire dun autre. Thyamis enferme Charicle dans une caverne
pour lcarter du danger dune guerre entre brigands, mais, par peur de la perdre, il la tue (
Les Ethiopiques, I, 29-33). Les brigands en effet prouvent des amours violentes.
Mais parfois leur amour est plus agressif et ils choisissent dutiliser la violence comme
le pirate Trachinos, chez le mme auteur, qui enlve Charicle pour lpouser (V, 22-26) et
prvient son pre que leurs noces auront lieu le soir mme ! Malgr leur folle passion, aucun
des pirates ou des brigands ne tentent de violer lhrone dans nos romans, ce que refuse de
croire Thersandre dans Le roman de Leucipp et Clitophon : "
" : Vierge ? quelle audace, quelle plaisanterie! Vierge, aprs avoir pass des nuits avec tant de pirates ? C'taient donc des
eunuques, que tes brigands ? Et leur repaire une cole de philosophes ? Aucun d'eux n'avait-il des yeux ? (VI,
21, 3) Exception faite, chez Xnophon, du brigand Anchialos quAnthia tue car il tait sur le
point de la violer dans Les Ephsiaques, IV, 5-6.
24
Pirates et brigands chouent dans toutes leurs tentatives de commettre un acte
irrversible sur nos jeunes hros. Les Bouviers dAchille Tatius sacrifient Leucipp mais il
sagit dun faux sacrifice ; ses pirates la dcapitent mais il sagit dune autre ; un brigand tente
de violer Anthia mais il est tu ; Thyamis croit tuer Charicle mais en tue une autre sa place.
Toute tentative de meurtre ou de viol choue dans les romans, sans quoi ce serait la fin de
lhistoire !
En revanche ils tuent sans vergogne les inconnus ou les dcapitent, ou bien ils les
pillent et les vendent aprs avoir incendi leurs navires.
Dans Chairas et Callirho, des brigands barbares attaquent la trire grecque de
Chairas au livre IV de, et gorgent la plupart de ses occupants, puis enchanent et vendent
Chairas en Carie.
Dans Les Ethiopiques, la scne douverture prsente un vritable massacre dont
lauteur se plat nous livrer les dtails : , ,
, ,
: Au demeurant le rivage tait tout couvert de gens frachement massacrs, dont les uns taient dj tout raides morts, les autres ne l'taient qu' demi, et il y avait
quelques parties de leurs corps qui battaient et remuaient encore. Ce qui donnait connatre qu'il n'y avait gure
que le combat tait fini. (I, 1, 3). Dans Les Ephsiaques, des pirates phniciens abordent le navire dAnthia et
dHabrocoms Rhodes : de nombreux Ephsiens prissent noys, dautres sont gorgs. Le
chef des pirates pargne Habrocoms et Anthia, mais il met le feu au navire o lquipage
prit dans les flammes :
, . : Et l, la plupart des phesiens se jetaient d'pouvante la mer et mouraient ; d'autres se mettant en dfense, taient gorgs. ( I, 13-16).
Les descriptions rendent compte avec dlectation des membres arrachs qui bougent
encore, du sang qui coule et des cris des malheureux. Ce sont des morceaux de genre trs
apprcis des lecteurs avides de sensations fortes et rpugnantes !
Considrs comme des ennemis, ils sont contraints de sengager dans des batailles
contre larme du pays. Chez Achille Tatius , les Bouviers se battent contre larme
gyptienne : des soldats hoplites attaquent les brigands qui se battent avec des mottes de terre
et en sortent victorieux dans un premier temps. Le stratge attend des renforts pour sattaquer
leur repaire (III, 13-14, 1) et les Bouviers sont finalement vaincus.
25
Le prfet dEgypte dcide de mener une guerre contre les brigands avec, sa tte,
Polydoros. Polydoros veut purger lEgypte des brigands et les tue tous (Les Ephsiaques, V,
3-4).
Sils ne sont pas dissmins par larme, ils sliminent entre eux : ils sattaquent entre
eux et se dtruisent. Ils sont alors des personnages actifs qui ne nuisent pas directement nos
hros et rjouissent le lecteur, bien content de les voir victimes de leur propre cruaut.
Thyamis et Ptosiris, les deux frres ennemis ont engag des brigands afin de lutter pour le
sacerdoce. Cependant une troupe de brigands, qui se rvlera tre commande par Ptosiris,
attaque le camp. Plus loin dans le rcit, Trachinos est sur le point dpouser Charicle, quand,
grce une ruse de Calasiris qui attise la jalousie du lieutenant Ploros contre son chef,
Trachinos, les pirates sentretuent:
, ,
.
, , , .
,
,
.
. : On aurait dit, chez ces hommes, une mer brusquement souleve par la prsence d'un cueil, tant ils se jetrent aveuglment les uns contre les autres, entrans par une passion sauvage
et en proie au vin et la colre. Finalement, Trachinos fit mine de frapper Ploros avec le cratre, mais l'autre,
qui tait sur ses gardes, lui pera le premier la poitrine avec son poignard. Trachinos tomba, mortellement bless,
et les autres engagrent un combat sans merci; ils se frappaient rciproquement, sans quartier, les uns pour
venger leur chef, les autres pour dfendre Ploros et le droit. Ce n'tait plus qu'une clameur, tandis que morceaux
de bois, pierres, cratres, tisons, tables voltigeaient de l'un l'autre (V,1-2). Les batailles que les pirates ou brigands se livrent sont particulirement meurtrires et
cruelles et lon voit toute leur sauvagerie se dchaner grce aux descriptions prcises des
auteurs.
B. Des personnages voqus.
Ils sont aussi voqus dans les rves, les lettres, les plaidoyers, les rsums des auteurs
ou de leurs personnages. Ils perdent ici de leur impact sur les personnages mais restent tout
aussi effrayants. La simple vocation du nom de pirate ou de brigand fait surgir des images
lourdes de violence et de cruaut et ractivent les strotypes dans linconscient imaginaire
des personnages et des lecteurs.
26
a. Les rsums.
Chariton fait le rsum des obstacles subis, qui se prsentent comme une longue
numration des diffrentes pripties auxquelles les voleurs de spulture appartiennent :
, , : comment elle reprit vie dans la tombe et fut emmene loin de la Sicile, la nuit, par des profanateurs de tombeau, qui, s'tant rendus en Ionie, la vendirent
Dionysios, (V, 1, 1-2).
Clitophon rsume ses aventures :
, , , , ,
, , ,
, : Alors, je raconte tout notre voyage : notre dpart de Tyr, notre traverse, le naufrage, l'gypte, les bouviers,
l'enlvement de Leucipp, le ventre postiche devant l'autel, la ruse de Mnlas, la passion du commandant, et le
philtre de Chaeras, l'enlvement par les pirates, la blessure que j'ai reue la cuisse. (VIII, 5, 1)
Ce type de procd littraire est inexistant chez Hliodore ou Longus.
b. Les rves.
Ils restent aussi menaants dans les rves que dans la ralit.
Dans Le roman de Leucipp et Clitophon dA. Tatius, Panthia est terrifie par le
songe dun brigand qui aurait ouvert le ventre Leucipp avec son sabre. Surprenant alors
Clitophon dans la chambre de sa fille, elle interprte son rve : le ventre ouvert reprsentait en
fait un viol perptr par le jeune homme : .
, , . : Panthia rvait qu'elle voyait un brigand arm d'une pe nue, et que cet homme prenait sa fille, la couchait sur
le dos, et lui ouvrait les entrailles en continuant la blessure qu'il trouvait dj faite. ( II, 23, 4 - 25, 1).
Le songe de Charicle constitue un mauvais prsage : un homme la chevelure
hirsute, aux yeux menaants et la main sanglante lui arrache loeil droit.
. : Charicle fut visite par le songe que voici : un homme la chevelure inculte, au regard de bte prte bondir, les mains
sanglantes, enfona son pe dans son oeil droit et le lui arracha.(II, 16, 1). Sensuivent plusieurs
interprtations (II, 16, 1-6). Cet extrait ne contient pas le mot brigand mais le portrait de
27
lhomme rappelle celui de Thermoutis, le brigand aux regards farouches et rudes et au
regard plein de meurtre 10 car il est furieux davoir perdu sa bien-aime.
c. Les explications dpisodes non lucids.
Leucipp raconte la fin de lhistoire sa dcapitation par les brigands de Pharos, la
mort de Chairas par la troupe de brigands, et sa vente en tant quesclave :
, , ,
,
,
, , ,
, , , , ,
. : Lorsqu'ils m'eurent enleve, comme tu l'as vu, et mise bord de leur bateau, et qu'ils se furent enfuis de toute la vitesse de leurs rames, ils s'aperurent que le navire qui les poursuivait allait les rattraper; alors ils
dpouillrent la malheureuse femme de ses bijoux et de ses vtements et m'en revtirent, puis ils l'affublrent de
mes habits. Ensuite ils la firent monter sur la proue, pour que vous puissiez bien la voir, vous qui nous
poursuiviez, et lui couprent la tte. Aprs quoi ils jetrent le corps dans la mer et la tte,lorsquelle tomba, ils la
gardrent sur le navire (VIII, 15-16).
Au livre V des Ethiopiques, Hliodore explique la premire scne de massacre du livre
I par la voix de Calasiris : en route vers la Crte, puis vers lAfrique, Charicle et Thagne
sont rejoints par le brigantin de pirates de Trachinos. Celui-ci va pouser Charicle, quand,
grce une ruse de Calasiris, les pirates sentretuent (V, 30-32). Mais, l-dessus, une troupe
de brigands survient et enlve Charicle et Thagne. Alors Calasiris ne peut que pleurer. Le
roman commenait avec cette scne : le rcit de Calasiris sarrte ici.
d. Les lamentations avec reproches aux dieux de toutes les injustices subies.
Callirho se lamente sur son sort dans une longue numration de ses malheurs, dont
pirates et brigands font partie, alors quelle est en route pour Babylone. Elle sadresse la
Fortune ainsi : ,
, ,
: Fortune jalouse et qui te plais triompher d'une seule femme, tu m'as d'abord enferme vivante dans un tombeau, d'o tu m'as tire, non par piti, mais pour me livrer des pirates. (V, 1, 4-7)
Clitophon se lamente sur son enlvement : ," , "
, ,
; ,
.
10 Hliodore, Les Ethiopiques, II, 13.
28
.
; : O dieux et dmons, dis-je, si vous existez vraiment et si vous m'entendez, quels si grands crimes avons-nous donc commis pour qu'en quelques jours nous ayons t plongs dans un aussi grand nombre
de maux! Voici maintenant que vous nous avez livrs des brigands gyptiens, afin que nous ne puissions plus
obtenir de piti. Un pirate grec aurait pu tre sensible la parole, la prire aurait pu l'attendrir, car les mots
servent souvent introduire la piti; qui souffre dans son coeur, la langue prte ses bons offices et permet la
supplication, qui peut adoucir la colre dont est rempli le cceur de ceux qui l'entendent. Mais aujourd'hui, en
quelle langue formuler nos prires ? (III, 10, 1-6)
, ,
, ; : Quelle est cette Erinye insatiable qui, dans son dlire, s'attache nous nuire? Qui nous a exils loin de notre patrie, exposs aux dangers de la mer et aux
dangers de la piraterie, livrs aux brigands, et privs, plusieurs reprises, de nos biens? (Les Ethiopiques, II, 4)
Anthia se plaint ainsi : , , , ; : ce
ntait pas assez que des tombeaux, des meurtres, des chanes, des brigandages ? (Les Ephsiaques, V, 5, 5
et V, 7, 2).
Les plaintes et lamentations des hros et autres personnages sont trs frquentes sur
lensemble de nos cinq romans. Cela rapproche ce genre du thtre.
IV. Les fins de romans : des ennemis limins.
Ils sont peu prsents en tant que personnages actifs dans les derniers livres des romans.
Seuls restent Hippothoos qui est devenu ami du jeune couple chez Xnophon et Callisthns,
amant redevenu tempr (un homme au comportement de brigand) chez Achille Tatius.
Cependant ces derniers nont t que des brigands occasionnels aprs stre fait emporter par
la puissance dEros : lun est devenu brigand par dpit amoureux, lautre au contraire par
passion amoureuse, mais les deux ont retrouv un tat modr et humain la fin de lhistoire.
Les deux auteurs insistent sur leur changement dans les derniers paragraphes de leurs uvres :
,
.
,
,
: Cependant, en toutes choses, il se montrait bien lev, mesur, sage; c'tait, brusquement chez ce jeune homme, une mtamorphose tonnante! Il se levait lorsque
29
entrait quelqu'un de plus g, il prenait grand soin d'tre le premier saluer ceux qu'il rencontrait et sa
prodigalit, jusque-l sans discernement, cessa d'tre celle d'un dbauch pour devenir prudente, tout en restant
gnreuse envers ceux que leur pauvret met dans la ncessit d'accepter ce qu'on leur donne. Si bien que tout le
monde s'tonnait de ce soudain passage du pire quelque chose de vraiment excellent. (Achille Tatius, Le roman
de Leucipp et Clitophon, VIII, 17, 5). Ils insistent aussi sur leur stabilit affective retrouve :
.
,
. : Hippothoos ne les quitta pas non plus. Aprs avoir envoy des ouvriers Lesbos pour y btir un spulcre digne du bel Hyperanths, il adopta Clistne
pour son fils, et passa dans Ephse le reste de sa vie avec son cher Abrocoms et la belle Anthia. Xnophon dEphse, Les Ephsiaques, V, 15.
Mais ils sont absents des Pastorales de Longus o la brve priptie des brigands de
Tyr est rapidement rsolue au livre I, ainsi que des Ethiopiques dHliodore o ne figure
aucun brigand dans les trois derniers livres puisque lhistoire sachve avec une longue scne
de guerre suivie dune longue scne de reconnaissance. Dans Chairas et Callirho de
Chariton dAphrodise, les pirates et les brigands sont voqus dans la lettre de Callirho
Dionysios o elle le remercie de lavoir libre des brigands et de lesclavage (VIII, 4, 5-6) ;
Chairas, aprs Hermocrate, raconte ses aventures la foule :
, ,
."
, : Mais, la nuit, des pirates phrygiens qui faisaient une descente sur la cte mirent le feu la trire, turent la plupart des hommes qui s'y trouvaient, nous enchanrent, Polycharme et moi, et nous
vendirent en Carie. Une lamentation funbre clata dans la foule ces mots, et Chairas dit : Permettez-moi
de taire ce qui vient ensuite, car cela est encore plus triste que le dbut. Alors, le peuple cria : Dis tout! Il
continua donc. (VIII, 7, 44-11). Le peuple de Syracuse est friand de pripties et dactions terrifiantes, tout comme le
lecteur qui veut quon lui raconte tout, surtout ce qui est horrible.
Nous pouvons conclure que les pirates et les brigands ont perdu leur dangerosit la
fin des romans soit parce que quils ont t condamns mort comme Thron au livre III, ou
crass par larme comme les Bouviers dAchille Tatius, ou tu comme Anchialos par
Anthia chez Xnophon, soit parce quils se sont enfuis comme les pirates de Pharos dAchille
Tatius, soit parce quils ont t oublis par le narrateur comme Manto et Moris, soit parce
quils sont passs du statut dennemi au statut dami comme Thyamis dHliodore et
Hippothoos chez Xnophon. Ils ne sont en tous cas plus des ennemis actifs car toutes les
30
pripties ont t rsolues avant les derniers paragraphes des romans. Ils sont tout au plus
voqus dans les rcapitulatifs et les rsums que les jeunes gens font leur entourage.
Anthia : ,
: je t'ai donc rejoint force de parcourir et la terre et les mers, m'tant sauve et des menaces des brigands, et des embches de barbares corsaires, et des outrages des trafiquants de femmes !
Chanes, fosse, bois, poison, spulcres, je me suis chappe de tous ces dangers, (V, 14)
Chariton dAphrodise rsume les diffrentes actions des livres prcdents et
ajoute : : plus de brigandage ni desclavage (VIII, 1, 1-5), ce qui
pourrait servir de fin chacun des romans Lhistoire est finie : tout est redevenu normal et
calme.
31
CHAPITRE 3 : LES CATEGORIES DE PIRATES ET BRIGANDS.
Il y a deux catgories de pirates et de brigands : les chefs et leurs troupes. Ils sont
distinguer car le portrait et lattitude des premiers sont plus nuancs que ceux des troupes qui
reposent davantage sur un strotype, comme nous le verrons. Dautre part deux chefs,
Thyamis chez Hliodore et Hippothoos chez Xnophon dEphse, sont examiner plus
prcisment car ils ont un double rle en passant du statut de brigands celui dhonntes
citoyens.
I. Les chefs de troupes.
A. Les chefs des pirates, brigands et Bouviers.
Les chefs de bande portent tous un nom et ont une place importante dans le roman. Il
sagit du chefs des pirates Thron chez Chariton ; de Trachinos chez Hliodore et dApsyrtos
chez Xnophon. Aucun chef ne se distingue chez Achille Tatius ni chez Longus ;
Les chefs Thron et Apsyrtos sont remarquables car ils sont les seuls chefs ne pas
tomber amoureux de la jeune hrone. Ils ne se montrent donc pas violents avec elle. Thron
au contraire se montre dlicat : : Il la prit donc
par la main et la conduisit dehors (I, 9, 7), et lui accorde d'autre part tout ce qui peut servir son
confort. Cette dlicatesse et ces prcautions ne sont pas conformes avec son rle de pirate.
Elles seraient conformes avec le rle du mari mais, dans le roman de Chariton, les rles sont
inverss : Thron, chef des pirates, ramne Callirho la vie en la faisant sortir de son
tombeau tandis que son mari sest montr violent au point de tuer sa femme. Ironie du sort qui
dtourne le clich de grosse brute du pirate. De plus il constate sa beaut mais la dsigne
toujours comme une femme et non comme une desse sans se
laisser emporter par l'amour comme les autres pirates ou brigands des romans. Il songe mme
la jeter la mer selon lavis de sa troupe - mais il ne le fait pas- si elle reprsente un butin
trop difficile couler :
: jette la mer cette femme si gnante et si encombrante, et ne te
charge plus dun butin difficile couler (I, 12, 4). Il reste donc particulirement lucide devant son
exceptionnelle beaut et songe seulement au profit qu'il peut tirer de sa vente :
, : Cette attitude ntait pas dicte par un sentiment dhumanit, mais par un esprit de gain : il agissait plus en trafiquant quen
brigand.(I, 12, 1).
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Le champ lexical de l'merveillement habituellement utilis par les spectateurs de
Callirho , est seulement utilis par Thron devant l'opulence
de la maison de Lonas : (I, 13, 1).
Thron est un des seuls chefs ne pas se laisser entraner par la passion amoureuse.
Mais il est aussi le seul tre jug et condamn mort. Nous analyserons plus loin le symbole
de sa crucifixion face la mer .
Apsyrtos, le chef des pirates chez Xnophon, a bien constat la beaut des deux jeunes
quil retient prisonniers mais il ne tombe pas amoureux. Il espre seulement, comme Thron,
tirer un bon prix de leur vente et demande un de ses esclaves den avoir grand soin.
Cependant, aprs un renversement de situation, il se montre cruel et intransigeant et fait
torturer Habrocoms jusquau sang puis le jette en prison. Enfin, sapercevant de son erreur, il
sexcuse auprs dHabrocoms et lui confie lintendance de sa maison. Ce chef de bande est
surprenant par ses voltes-faces et sa facilit passer de la bienveillance la cruaut puis la
confiance ( II, 2, et II, 10).
Le chef des pirates Trachinos chez Hliodore est, quant lui, remarquable par sa
btise. En effet, aprs une dispute avec son lieutenant, grce une ruse de Calarisis, les
pirates sentretuent et lauteur dcrit les pirates se jetant les uns sur les autres sous lemprise
du vin et de la fureur. Pas un ne survit mais les deux jeunes sont vivants (V, 30-32).
Leur portrait est plus long et plus prcis que ceux des autres pirates ou brigands et
leur rle plus frappant. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.
B. Les cas de Thyamis et dHippothoos.
Deux brigands voient leur rle voluer positivement entre le dbut et la fin du roman :
Thyamis qui veut tuer Charicle au livre I devient lami du jeune couple et particulirement
de Thagne au livre VII, 6,1 :
: Sur quoi, ils s'treignirent en pleurant et se donnant des baisers, chez Hliodore. Chef
respect et craint, il se montre reconnaissant envers les Bouviers quil a utiliss, Thyamis leur
promet :
: Thyamis avait renvoy les gens de Bessa, en leur exprimant sa reconnaissance pour leur dvouement, et leur
promettant de leur faire parvenir, bientt, la pleine lune, cent boeufs, mille moutons et dix drachmes pour
chacun.(VII, 8, 4). Thyamis sait aussi faire preuve damiti et de gnrosit.
33
Hippothoos qui a enlev Anthia et veut la sacrifier Ars au livre II lui permet
finalement de retrouver Habrocoms au livre V puis stablit avec le jeune couple Ephse
dans Les Ephsiaques.
Nous pouvons cependant considrer que Thyamis et Hippothoos ne sont pas de vrais
brigands : ils sont des brigands doccasion. Thyamis est devenu chef des brigands bouviers
parce quil a t vinc de son sacerdoce et compte le reprendre par la force avec sa troupe ;
Hippothoos est devenu chef dune troupe par dsespoir amoureux. Ces raisons peuvent
expliquer leurs changements dattitude et de sentiments. Ils ont en effet deux faces qui
correspondent des parties distinctes dans les romans. Au livre I des Ethiopiques, Thyamis
est un redoutable chef tandis quil redevient mesur au livre VII. Hippothoos est un
redoutable chef du premier au dernier livre et redevient tempr dans les derniers paragraphes
des Ephsiaques. Deux personnalits en fonstion du rle quils assument : celle du brigand,
dmesure et violente, et celle de lhomme bien n, modre et sensible. Ces revirements
contribuent adoucir et nuancer leur portrait de guerriers redoutables et cruels puisquils
peuvent se montrer amicaux, gnreux et humains. Ils assument cependant trs bien leur rle
de brigands dont ils pousent compltement les comportements en particulier en ce qui
concerne leur attitude amoureuse. Thyamis en effet tue celle quil aime (ou croit la tuer)
, ,
. ()
()
. : Car l o une fois les barbares dsesprent de leur salut, ils ont accoutum de tuer et faire mourir premirement tous ceux qu'ils ont aims en leur vivant, ou parce qu'ils
estiment qu'aprs la mort ils seront encore avec eux, ou bien qu'ils les veulent ter des mains de leurs ennemis, et
par ce moyen les tirer du danger d'tre injurieusement viols et outrags. Cest pourquoi Thyamis () forcen
d'amour, de jalousie et de courroux,() lui jeta la main gauche sur la tte et de la droite tira son pe qu'il lui
passa tout au travers du corps au-dessous de la mamelle (I, 30, 6-7) et se comporte comme un vritable
brigand, dmesur et violent.
Hippothoos veut sacrifier Anthia Ars au livre II des Ephsiaques, puis au livre IV,
aprs lavoir enferme dans une caverne o elle a tu un brigand qui tentait de la violer, il la
jette dans une large fosse avec deux normes chiens froces. Hippothoos se montre totalement
arbitraire et dmesur. Ils relvent alors tous les deux du strotype et revtent chacun un
vritable rle de brigand. Puis, progressivement, ils redeviennent ceux quils taient avant
leurs msaventures et montrent de vritables qualits humaines : amiti, tendresse, gnrosit.
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II. Les troupes.
A. Certains se distinguent.
Quelques pirates ou brigands portent des noms et sont remarquables par leur violence
et leur cruaut, exerces la plupart du temps sur les hros, parfois sur des personnages
secondaires ou mme entre eux. Ce sont les Bouviers qui sacrifient Leucipp et mangent ses
entrailles ; Gorgias, brigand qui est responsable de la folie de Leucipp en la droguant ; les
pirates de Pharos qui dcapitent lhrone chez Achille Tatius ; Thermoutis, lcuyer de
Thyamis, qui enlve Thisb et veut tuer Thagne et Cnmon chez Hliodore ( II, 12-13) ; le
pirate Trachinos et son lieutenant Ploros chez Hliodore ; le pirate Corymbos qui incendie le
navire phsien et fait prir tout lquipage dans les flammes ; Manto, fille du pirate Apsyrtos,
qui fait torturer et emprisonner Habrocoms et qui ordonne de faire tuer Anthia ; le brigand
Anchialos qui tente de violer Anthia, chez Xnophon. Ils ont des actions limites quelques
paragraphes, qui sont parfois spectaculaires et frappantes mais la plupart nont pas un rle
important dans le roman, les Bouviers dAchille Tatius excepts.
Trois pirates font figures dexception dans nos romans, pour des raisons diffrentes, et
se trouvent tous dans Les Ephsiaques. Il sagit de Manto, de Corymbos et dAmphinomos.
Manto est la fille du pirate Apsyrtos : elle est lunique femme appartenant une troupe de
pirates (elle nest pas proprement parler une femme-pirate mais elle est fille de pirate,
fiance un pirate et vit parmi les pirates) qui soit dcrite dans notre corpus et elle a un
comportement similaire aux pirates et brigands : viril et violent. Elle-mme se nomme la
femme barbare et les personnages seffraient plusieurs reprises de la colre de la femme
barbare . Le pirate Corymbos est exceptionnel dans le roman car il est homosexuel et
prouve de lamour pour Habrocoms quil va tenter de sduire. Enfin le brigand amoureux
Amphinomos aide Anthia survivre aux cts des deux chiens froces puis la dlivre
dHippothoos par piti et par amour. Il est le seul aider une hrone et sa compassion et son
amour seront constants. En crant ces pirates exceptionnels, Xnophon se dmarque des
autres auteurs peut-tre parce quil a cr un grand nombre de personnages et quil peut se
permettre de leur donner des rles divers dautant que Xnophon est lauteur qui offre le plus
grand nombre de pripties sans quelles aient un rapport entre elles. Il peut donc faire vivre
des personnages totalement originaux et diversifis.
Dautres sont seulement nomms et nont finalement aucun rle dans le roman chez
Chariton : deux pirates sont nomms par Thron la recherche dune troupe quand il value
leurs capacits mener bien une mission : Znophane de Thourioi et Mnon de Messine
mais ils sont carts pour leur lchet ou leur tratrise.
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B. La plupart restent anonymes.
Beaucoup sont anonymes. Il agissent en bande et ne sont pas nomms mais sont connus par
leur lieu dexactions ou dorigine. Il sagit de la troupe de pirates de Thron recrute
Syracuse et des brigands barbares qui attaquent la trire grecque de Chairas vers Milet chez
Chariton dAphrodise ; des brigands gyptiens ou Bouviers chez Achille Tatius et Hliodore ;
des brigands de Tyr chez Longus ; des pirates phniciens et de la troupe itinrante
dHippothoos chez Xnophon. Les auteurs emploient alors soit les noms ou
au pluriel, soit ils utilisent des groupes nominaux tels que :
( Hliodore V, 24, 1) , (Achille Tatius VIII, 16, 5) : la
foule des brigands, : troupe de brigands ( Hliodore I, 7, 1) ; ou, plus
frquemment, les noms usuels et . Ils dsignent ainsi la troupe
de pirates ou de brigands attache un chef (Thron, Thyamis, Apsyrtos, Hippothoos). Les
auteurs insistent en mme temps sur laspect anonyme et effrayant dune troupe dont les
membres restent anonymes et mconnus. Ils sont alors davantage sujets aux strotypes que
les pirates et brigands singuliers qui portent un nom.
Nous les retrouvons dans les plaintes et numrations de malheurs ou dans les
rsums. Chez Chariton, Callirho se plaint et fait la rcapitulation de ses aventures :
, ,
. : Fortune de mauvais sort qui te complait accabler de ton hostilit une femme seule, tu mas enferme vivante dans un tombeau, et tu men as sortie non
certes par piti, mais pour me livrer aux mains de brigands. ( V, 1, 4) ; chez Hliodore, Thagne se
lamente ainsi :
, : Quelle est linsatiable Erynnie qui nous a livrs aux prils de la mer et aux prils de la piraterie, fait tomber aux mains des
brigands ? ( II, 4, 1) ; chez Xnophon, Anthia numre les malheurs quelle et Habrocoms ont
subis :
: je tai donc retrouv aprs tant de courses errantes et sur terre et sur mer, aprs avoir chapp aux menaces des brigands, aux embches des pirates(V, 14,1 ).
Les pirates et les brigands sont toujours au pluriel dans les plaintes et rcapitulations
o ils forment une troupe indistincte et violente, menaante et dangereuse, associe la
mauvaise fortune et la mort. Les personnages distinguent les pirates des brigands et les deux
types de brigandage uniquement comme pour exagrer les dangers quils ont subis et, en
jouant sur les clichs et les strotypes, pour montrer combien ils ont t courageux. Ils ne
sparent pas les pirates et les brigands qui ont su se montrer humains avec eux de ceux qui se
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sont montrs impudiques et cruels, malgr lexprience quils ont eue : certains se sont en
effet montrs amicaux et gnreux avec eux et sont parfois devenus des amis mais ils
choisissent de gnraliser et dutiliser un strotype pour manipuler leurs interlocuteurs (et les
lecteurs) en accentuant les malheurs quils ont subis et le courage dont ils ont su faire preuve.
Cette vision manichenne du monde est rassurante pour de nombreux lecteurs et le but,
parfois moralisateur du romancier, est ainsi facilit : tous les pirates et brigands sont des
mchants. Chez nos cinq romanciers en effet, les pirates et les brigands sont, les chefs
excepts, des figures indfinies, des groupes inconnus toujours associs la mort violente. En
effet ils sont immdiatement associs au meutre et au carnage chez Chariton :
;
: Une troupe de pirates barbares a attaqu brusquement de nuit une trire grecque ; le jour venu, nous avons vu leau mle de sang et
des cadavres charris par les flots (III, 7, 2). Dans la mme phrase, la brusque apparition des pirates
est immdiatement suivie de sang et de cadavres. La parataxe souligne le lien inextricable et
presque naturel qui unit les pirates et les brigands des consquences dsastreuses : pirates et
massacres sont sur le mme plan, ils sont insparables chez les romanciers, comme, sans
doute, chez les lecteurs. Entours de sang et de cadavres, souvent arms de sabres, bord ou
proximit dun bateau lger, sur une mer pleine de dangers, les pirates sont une
reprsentation, voire une allgorie11 de la sauvagerie antique sur mer. Cette allgorie est
prsente chez tous nos romanciers.
Les brigands, quant eux, sont une allgorie de la sauvagerie sur terre. La soudaine
apparition dhommes terrifiants et sauvages, la peau noire et au physique trapu chez Achille
Tatius se prsente comme un tableau et suscite la terreur de nos voyageurs :
: , -
-, ,
, : . : Au mme moment, la terre fut remplie dhommes terrifiants et sauvages, tous grands, la peau noire -non dun noir sans mlange comme celle
des Indiens, mais la faon dun mtis dEthiopie- le crne ras, les pieds menus, le corps trapu ; ils parlaient
tous une langue barbare. (III, IX, 2) Les personnages du roman deviennent alors des victimes : les verbes la voix passive,
dont le complment dagent est le mot pirates ou brigands , sont nombreux :
: jai t livr(e) ; : jai t vendu(e) tandis que les verbes la
11 Image rsultant de la reprsentation dune ide abstraite et gnrale par un tre anim, compos de traits concrets qui caractrisent lide en question.
37
voix active tmoignent de la violence : ils incendirent ; : ils
gorgrent ; : ils nous vendirent
Le strotype vhicul dans les romans sadressent des lecteurs de culture grecque
qui redoutent et condamnent eux aussi ces hors-la-loi.
38
CHAPITRE 4 : PORTRAITS PHYSIQUES ET MORAUX DES PIRATES ET
DES BRIGANDS.
I. Aspects physiques.
A. Les pirates et les brigands.
Il ny a pas de portrait physique du pirate Thron. Son origine nest pas prcise non
plus dans le roman de Chariton dAphrodise mais lauteur prcise toujours que les autres
pirates sont des pirates barbares . Aussi on peut penser quil est dorigine grecque, peut-
tre Sicilien car il porte le nom dun tyran dAgrigente du Vme sicle av. J. C. mais rien
nest crit. Il est, en tous cas, le pirate le moins effrayant de notre corpus car il est le moins
violent. Peut-tre car il est grec ? Le romancier Achille Tatius distingue en effet le brigand
grec du brigand gyptien : les brigands grecs sont quand mme plus doux ! :
, .
. : Et maintenant, vous nous avez mme livrs des brigands gyptiens, afin que nous ne rencontrions mme pas la piti. Car un brigand grec, le son dune voix le flchirait et
une supplique ladoucirait III, 10, 2. Les deux troupes de pirates du livre V dAchille Tatius ne sont pas dcrites non plus.
Nous savons seulement quils sont de Pharos et quils exercent le mtier de marin pour les
premiers, le mtier de pcheurs de pourpre pour les seconds.
Le pirate peut cependant se reconnatre son regard. Chez Xnophon, le chef des
pirates Corymbos est grand, au regard farouche, aux cheveux longs et sales :
; (I, 13, 3). Chez Hliodore, le brigand
Thermouthis se prsente ainsi :
: Et il aborda Thagne et ses amis, en jetant des regards farouches et rudes, et le dessein cach de son me transparaissait
dans ses yeux (II, 13, 1). Il est noter que le regard se modifie lorsquun homme tombe
passionnment amoureux et, sil est incapable de matriser sa passion, quil se transforme en
regard de pirate. Nous le vrifierons plus loin dans notre tude.
a. Les armes.
Thron dautre part ne porte pas darmes. Sa troupe utilise de simples outils de maon
pour ouvrir le tombeau de Callirho. Ils sont donc moins agressifs : ils nattaquent pas et
pillent seulement un tombeau ! La plupart des pirates et brigands sont munis dune
pe : ou dun sabre : pour attaquer, tuer ou dcapiter leurs adversaires.
Longus dveloppe davantage la description des armes des pirates :
39
: ils portaient sur la poitrine des cuirasses
couvertes dcailles, et ils taient munis de jambarts montant jusqu mi-jambe (I, 30, 3). Ces derniers
ressemblent des soldats.
b. Les bateaux.
Dautre part, les pirates utilisent de petits bateaux rames, faciles manier et rapides
tels que la vedette : , un vaisseau lger avec un banc de rameurs o ils
entreposent leur butin et gagnent un pays lointain chez Chariton dAphrodise. Il y a peu de
termes techniques prcis de navigation : le nom : bateau est frquemment utilis.
Hliodore nomme le bateau utilis par les pirates : il sagit de vaisseau lger, manuvr la
voile ou la rame : : navire lger, barque de pche, brigantin ou bien :
navire lger, brigantin, chaloupe. Ces navires lgers sont faciles manier et rapides : ils
permettent aux pirates daccoster et de repartir rapidement aprs avoir fait du butin.
Les pirates phniciens de Xnophon se trouvent dans une grande galre :
(I, 13, 1) feignant de transporter des marchandises, et effectueront une longue
traverse pour rejoindre leur repaire de Tyr.
Les auteurs ne livrent pas de renseignements prcis sur le physique, les armes ou les
bateaux des pirates.
B. Les Bouviers.
Les brigands gyptiens dAchille Tatius et dHliodore sont en revanche prcisment
localiss et dcrits physiquement. Ce sont des brigands qui se trouvent au nord du delta du
Nil, sur les ctes de lEgypte, entre Alexandrie et Pluse. Bien connus, ils sont appels
: les Bouviers.
Achille Tatius fait leur portrait physique en insistant sur leur aspect inhumain :
: , -
-, ,
, : . : Au mme moment, la terre fut remplie dhommes terrifiants et sauvages, tous grands, la peau noire -non dun noir sans mlange comme celle
des Indiens, mais la faon dun mtis dEthiopie- le crne ras, les pieds menus, le corps trapu ; ils parlaient
tous une langue barbare. (III, IX, 2). Ils apparaissent dune manire quasiment surnaturelle, ds
lapproche de nos hros ; ils sont si nombreux quils recouvrent la terre et, la soudainet de
leur apparition associe lhyperbole ( la terre fut remplie ) donne limpression quils
sagit de forces chtoniennes surgies spontanment de la terre, ce qui les rapproche des
hommes sems , les Spartes, gants arms et menaants, sortis de la terre. Les brigands
dAchille Tatius semblent aussi envahir la terre miraculeusement. Plus loin, ils se battent avec
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des mottes de terre de mme que Cadmos tue le dragon avec une pierre et fait sentretuer les
spartoi en lanant une pierre parmi eux. Les Bouviers tiendraient-ils de ces cratures
monstrueuses ? En tous cas, Achille Tatius insiste sur leur aspect archaque.
Les deux premiers adjectifs terrifiants et sauvages qualifient leur aspect
physique gnral ; les suivats prcisent leur portrait : et , ils ont aussi
un physique trapu : et . Le romancier commente
avec prcision la couleur de leur peau : il ne sagit pas dun noir profond mais dun ton
mtiss, ce qui parat plus inquitant encore. Les Bouviers sont diffrents des autres brigands
et semblent plus monstrueux quhumains ; ils parlent de plus une langue barbare. Le portrait,
ralis en une phrase, rend leur prsentation saisissante et laisse prsager une mort certaine,
comme sexclame le pilote du navire leur vue : Nous sommes perdus ! (III, 9,
3). Hliodore fait aussi le portrait physique des bouviers gyptiens en insistant sur le teint de
leur peau et sur leur aspect sale : : elle
vit leur teint noir et leur aspect repoussant (I, 2, 1). La jeune hrone les prend pour des fantmes de
morts et qualifie dtrange : le teint noir de leur peau. Ce teint de peau est toujours
signal et prsent comme remarquable par les romanciers car il est inconnu des jeunes hros,
donc trange.
Plus loin dans Le Roman de Leucipp et Clitophon, limage du pirate monstrueux est
enrichie dune nouvelle assimilation : ,
. : , :
. : Alors un homme, avec une chevelure longue et hirsute, arriva, sur son cheval. Et le cheval avait aussi une une longue crinire, il navait pas de harnais, ne portant ni selle ni
ornements : cest ainsi que sont les chevaux des brigands. (III, XII, 1). Ladjectif revient dans
la description de la chevelure des brigands. Ils taient au paragraphe IX, ils sont
hirsutes au paragraphe XII car il ny a pas de longueur intermdiaire chez les brigands ce qui