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© Dunod, 2020
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoffwww.dunod.com
ISBN 978-2-10-081371-1
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Sommaire
Remerciements 1
Introduction 3
Chapitre 1 n ConnaĂźtre son lecteur 13
Chapitre 2 n Les mots 27
Chapitre 3 n La phrase 49
Chapitre 4 n Le plan 97
Chapitre 5 n La titraille 133
Chapitre 6 n LâĂ©criture inclusive 159
Conclusion 173
Du mĂȘme auteur 177
Index 179
Table des matiĂšres 183
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Remerciements
Ă Mam, qui mâa dâabord encouragĂ© dans la voie de lâĂ©criture.
Pascale, Antoine, Florian, Jérémie, qui suivent mes élucubrations au quotidien.
Ă quelques-uns croisĂ©s ici et lĂ et qui mâont offert des opportunitĂ©s, ouvert des voies, enrichi par leurs remarques sans quâils se rendent toujours compte de ce quâils mâont apportĂ©. Câest lâoccasion de leur dire merci. Ils sont nombreux. Jâen nommerai trois : Emmanuelle pour sa confiance puisque je lui dois lâanimation de ma toute premiĂšre for-mation aux techniques rĂ©dactionnelles, François Bon pour ses conseils sur lâĂ©criture littĂ©raire, Romain Saillet pour les Ă©changes autour des stratĂ©gies Ă©ditoriales.
Ce livre ne serait pas ce quâil est sans les milliers dâĂ©changes avec des centaines de stagiaires et dâĂ©tudiants croisĂ©s ces vingt derniĂšres annĂ©es. Leurs trouvailles, leurs interrogations, leurs difficultĂ©s ont largement nourri ma pratique.
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Introduction
« La premiĂšre ligne devrait inviter le lecteur Ă commencer lâhistoire. Elle devrait dire âĂcoute. Viens ici. Tu veux savoir ce qui se passe.â »
Stephen King
Tout le monde saurait Ă©crire. On en apprendrait les bases dĂšs lâĂ©cole primaire et, au prĂ©texte que lâon arrive Ă aligner trois mots, on a un avis sur la question. Je pensais savoir Ă©crire Ă la fin de mes
Ă©tudes supĂ©rieures. Jâai Ă©tĂ© formĂ© Ă la littĂ©rature, Ă lâuniversitĂ©, je pouvais tenir une conversation sur le style de quelques auteurs, jâavais une vague idĂ©e de la maniĂšre dont ils sây Ă©taient pris pour inscrire leur nom dans lâhistoire littĂ©raire, je lisais de la poĂ©sie. Alors, vous pensez bien que je devais savoir Ă©crire ! Il ne mâa pas fallu longtemps pour comprendre que ce nâĂ©tait pas si simple. Jâalignais des mots, je savais exprimer des idĂ©es, mais aprĂšs ?
Ăcrire ? On nâa jamais autant Ă©crit. On nâa jamais autant lu. Mais com-prend-on ce quâon lit ? Ce que lâon Ă©crit est-il comprĂ©hensible par le lecteur quâon vise ? Quâest-on prĂȘt Ă abandonner pour rendre son texte lisible, comprĂ©hensible ? La lisibilitĂ© et la clartĂ© sont-elles les ennemis du style ?
La formation Ă lâĂ©criture est trĂšs lĂ©gĂšre en France, pour ne pas dire inexistante. Dans le cadre des Ă©tudes initiales, lâĂ©criture est pourtant un outil primordial, un outil dâĂ©valuation, mais limitĂ© Ă la production de rĂ©dactions, de dissertations, de commentaires composĂ©s. Ce nâest pas lâĂ©criture de la communication, alors mĂȘme quâInternet et les
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rĂ©seaux sociaux font de lâĂ©crit un canal privilĂ©giĂ© de lâĂ©change dâinfor-mation dans la vie professionnelle comme dans la vie de tous les jours. La maĂźtrise du texte argumentatif, privilĂ©giĂ©e par le milieu scolaire, ne suffit pas Ă communiquer efficacement par la suite.
Convaincre, faire passer un message, sĂ©duire mĂȘme : tout cela demande une maĂźtrise de lâĂ©crit qui nâest pas ou trĂšs peu enseignĂ©e. Ce sont pourtant des besoins fondamentaux pour tout professionnel aujourdâhui. Et pas seulement au sein des services communication ou pour les journalistes. Dans la plupart des mĂ©tiers, on produit du texte. Un simple mail, un rapport, une note de service : ce sont chaque fois les mĂȘmes techniques de base. Il ne suffit pas de maĂźtriser lâortho-graphe et la grammaire, pourtant indispensables. Comme il ne suffit pas Ă un musicien dâapprendre le solfĂšge. Il faut expliquer, racon-ter pour faire passer le message que lâon veut que son interlocuteur retienne. Et tout cela sâapprend.
Ce livre sâappuie sur mon expĂ©rience de lâĂ©criture et sur mon expĂ©-rience dâenseignant, de formateur. Jâai publiĂ© vingt-cinq livres, dans des genres trĂšs diffĂ©rents, du manuel technique au roman. Jâai mĂȘme Ă©crit pour dâautres, me glissant dans leur rythme, leur vocabulaire, pour que leur livre leur appartienne totalement. Et câest sans compter des milliers dâarticles en tant que journaliste et du contenu pour les plus grandes marques. Mon propos sâappuie Ă©galement sur des Ă©tudes scientifiques : la maniĂšre dont on lit, ce que lâon retient dâun texte, la maniĂšre dont fonctionne le cerveau, la comprĂ©hension, la mĂ©moire. On fait de grands progrĂšs dans ces domaines. Mais ils ne sont pas toujours pris en compte : sempiternelle sĂ©paration des savoirs entre littĂ©raires et scientifiques !
LâidĂ©e dâun livre sur les techniques rĂ©dactionnelles sâest imposĂ©e parce que je nâavais pas de livre Ă conseiller Ă mes Ă©tudiants, pas de manuel Ă recommander lors des sessions de formation continue que jâanime. Le dĂ©faut flagrant des manuels qui existent : distinguer le bien du mal, le beau du laid. Ils sont fondĂ©s sur des distinctions binaires, entre ce quâil faut dire et ce quâil ne faut pas dire. Câest peut-ĂȘtre rassurant.
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Introduction
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Introduction
On Ă©crit beau, on Ă©crit bien : lĂ nâest pas mon propos. Il ne sâagit pas dâesthĂ©tique, sauf si lâesthĂ©tique est au service dâun but.
Mais, en Ă©crivant cela, je suis bien conscient quâon est toujours vic-time de son temps. De la « façon » du moment : il y a nĂ©cessairement un parti pris, fut-il inconscient. Jâaime, ou je nâaime pas, certaines choses, certaines tournures, certains rythmes. Et je sais bien quâil en est de mĂȘme pour celui qui me lit. Cela tient Ă ce quâon a lu, dĂ©jĂ , Ă ce qui nous a Ă©mu, au rapport que lâon a Ă la langue. Pour autant, je cherche Ă mâen dĂ©tacher pour une vision la plus objective possible de comment lâon Ă©crit. La plus objective possible, câest-Ă -dire avec encore un brin de subjectivitĂ© dont il me semble honnĂȘte dâadmettre quâon ne peut se dĂ©faire tout Ă fait.
Ce manuel dâĂ©criture fournit les mĂ©thodes pour Ă©crire des textes efficaces, dans la mesure oĂč ils permettent au message de passer de lâĂ©metteur Ă son destinataire. Câest la dĂ©finition de lâefficacitĂ©. Du choix des mots Ă la structure du texte, en passant par celle des phrases, ce livre donne les clefs dâune Ă©criture qui atteint ses objectifs.
Je voudrais dĂšs ces premiĂšres pages dynamiter la notion dâinspira-tion : vous ne demandez pas Ă votre plombier dâĂȘtre inspirĂ©. Vous ne vous attendez pas Ă trouver un maçon au pied du mur en train dâatten dre que « ça lui vienne ». Il en va de mĂȘme pour lâĂ©criture : câest dâabord une question de technique. On branche un fil sur un autre, on attrape le bon tournevis dans la boĂźte Ă outils. Et on avance. Ă certains moments, on travaille mieux, plus facilement. Parfois on coince devant un problĂšme inĂ©dit. Le plombier et le maçon aussi.
Jâai, pendant quelques annĂ©es, eu un voisin horloger. Il rĂ©parait des montres, des pendules ; un horloger Ă lâancienne, fĂ©ru de mĂ©canique de prĂ©cision. Son atelier Ă©tait une caverne dâAli Baba pleine de trĂ©-sors, de piĂšces dĂ©tachĂ©es et dâoutils incroyables. Nous prenions le cafĂ© ensemble tous les matins. Jâavais vraiment lâimpression que nous faisions le mĂȘme mĂ©tier. Jâaurais Ă©videmment Ă©tĂ© incapable de rĂ©pa-rer le moindre chronomĂštre, mais il sâagissait pour lui comme pour
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moi de rouages, de ressorts et de prĂ©cision. Bref, de la technique, de lâartisanat bien plus que de lâart.
Je voudrais que ce manuel permette aussi dâaller plus loin, de dynamiser son style, de lâenrichir, mais jamais au dĂ©triment du message. Bien au contraire : maĂźtriser son Ă©criture, câest mettre la structure de ses phrases, leur rythme, au service de son propos. Câest aussi construire ses textes efficacement pour que le lecteur en retienne lâessentiel.
Ăcrire clairement, pour ĂȘtre compris, avec un seul objectif : que le message passe. Câest ce quâon appelle le langage clair. Tout a peut-ĂȘtre commencĂ© le 9 aoĂ»t 1940, lorsque Winston Churchill rĂ©dige un mĂ©mo concernant lâĂ©criture des rapports et leur efficacitĂ©. Son propos est limpide : il sâagit ni plus ni moins que gagner du temps en pĂ©riode de guerre :
« Pour faire notre travail, nous devons tous lire une masse dâarticles. Presque tous sont beaucoup trop longs. Cela fait perdre du temps, alors que lâĂ©nergie doit ĂȘtre dĂ©pensĂ©e pour rechercher les points essentiels. »
Et il enchaßne par des conseils précis :
« Je demande à mes collÚgues et à leur personnel de veiller à ce que leurs rapports soient plus courts.
i) Lâobjectif devrait ĂȘtre des rapports qui exposent les principaux points dâune sĂ©rie en paragraphes courts et nets.
(ii) Si un rapport sâappuie sur une analyse dĂ©taillĂ©e de certains facteurs complexes ou sur des statistiques, ceux-ci devraient ĂȘtre placĂ©s dans une annexe.
(iii) Souvent, lâobjectif est mieux atteint en soumettant non pas un rapport complet, mais un âAide-mĂ©moireâ composĂ© uniquement de titres, qui peuvent ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s oralement si nĂ©cessaire.
(iv) Terminons des phrases comme celles-ci : âIl est Ă©galement important de garder Ă lâesprit les considĂ©rations suivantesâŠâ, ou âIl faudrait envisager la possibilitĂ© de mettre en vigueurâŠ..â. La plupart de ces phrases pompeuses ne sont que de simples rembourrages, qui peuvent ĂȘtre laissĂ©s de cĂŽtĂ© ou remplacĂ©s par un seul mot. Ne rechignons pas Ă utiliser une phrase courte, expressive, mĂȘme si elle est plus proche du langage parlĂ©. »
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Introduction
En 1946, la guerre est gagnĂ©e et George Orwell enfonce le clou. Il publie Politics and the English Language. Au dĂ©part, ce constat quâil fait Ă propos de la langue anglaise :
« Elle devient laide et imprĂ©cise parce que notre pensĂ©e est stupide, mais ce relĂąchement constitue Ă son tour une puissante incitation Ă penser stupidement. Pourtant ce processus nâest pas irrĂ©versible. Lâanglais moderne, et notamment lâanglais Ă©crit, est truffĂ© de tournures vicieuses qui se rĂ©pandent par mimĂ©tisme et qui peuvent ĂȘtre Ă©vitĂ©es si lâon veut bien sâen donner la peine. Si lâon se dĂ©barrasse de ces mauvaises habitudes, on peut penser plus clairement, et penser clairement est un premier pas, indispensable, vers la rĂ©gĂ©nĂ©ration politique ; si bien que le combat contre le mauvais anglais nâest pas futile et ne concerne pas exclusivement les Ă©crivains professionnels. »
Câest encore une guerre Ă mener, et celle-ci est politique. Orwell dresse un « catalogue dâescroqueries et de perversions du sens des mots ». Pour lui :
« Le principal ennemi du langage clair, câest lâhypocrisie. Quand il y a un fossĂ© entre les objectifs rĂ©els et les objectifs dĂ©clarĂ©s, on a presque instinctivement recours aux mots interminables et aux locutions rabĂąchĂ©es, Ă la maniĂšre dâune seiche qui projette son encre. »
Mais, surtout, il donne quelques conseils dâĂ©criture :
« 1. Nâutilisez jamais une mĂ©taphore, une comparaison ou toute autre figure de rhĂ©torique que vous avez dĂ©jĂ lue Ă maintes reprises.
2. Nâutilisez jamais un mot long si un autre, plus court, peut faire lâaffaire.
3. Sâil est possible de supprimer un mot, nâhĂ©sitez jamais Ă le faire.
4. Nâutilisez jamais le mode passif si vous pouvez utiliser le mode actif.
5. Nâutilisez jamais une expression Ă©trangĂšre, un terme scientifique ou spĂ©cialisĂ© si vous pouvez leur trouver un Ă©quivalent dans la langue de tous les jours.
6. Enfreignez les rĂšgles ci-dessus plutĂŽt que de commettre dâĂ©vidents barbarismes. »
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Il précise pour finir son objectif :
« Je nâai pas considĂ©rĂ© ici la langue dans son usage littĂ©raire, mais seulement en tant quâinstrument permettant dâexprimer la pensĂ©e, et non de la dissimuler, encore moins de lâinterdire. »
Le langage clair a poursuivi sa route jusquâĂ aujourdâhui. Son usage est parti-culiĂšrement ancrĂ© aux Ătats-Unis. Un site gouvernemental lui est consacrĂ© : https://plainlanguage.gov/
On y apprend notamment que le Plain Writing Act a Ă©tĂ© signĂ© le 13 octobre 2010, par Barack Obama, treize ans aprĂšs que le prĂ©sident Clinton a publiĂ© son propre mĂ©morandum Plain Writing in Government. Le titre complet du document signĂ© par Obama : « Loi visant Ă amĂ©liorer lâaccĂšs des citoyens aux informations et aux services gouvernementaux en Ă©tablissant que les documents gouvernementaux dĂ©livrĂ©s au public doivent ĂȘtre rĂ©digĂ©s clairement ». Une loi, sur la façon dâĂ©crire.
Câest un acte symbolique fort, au plus haut niveau de lâĂtat considĂ©rĂ© comme le plus puissant du monde. Des guides de rĂ©daction ont Ă©tĂ© mis en ligne. Chaque agence fĂ©dĂ©rale doit dĂ©signer une personne pour superviser la mise en Ćuvre de la loi, et les chefs dâagence doivent publier des rapports annuels sur la conformitĂ© des textes produits. Mais il nây a pas de sanctions pour les agences qui continueraient de produire des documents indĂ©chiffrables.
Pas de loi en France. Le site Web « Portail de la transformation de lâaction publique » propose une page intitulĂ©e : « Un langage clair, ça simplifie la vie ! » Ă partir de laquelle il est possible de tĂ©lĂ©charger un guide de la rĂ©daction administrative au format PDF. Lâobjectif est louable et on ne saurait que conseiller la lecture de ce guide. Y compris aux rĂ©dacteurs de la page qui y donne accĂšs !
Je ne résiste pas à une déconstruction du deuxiÚme paragraphe de cette page. Veuillez me pardonner cette digression, mais elle me semble utile et éclairante. Voici le paragraphe dans son intégralité :
« Trop de courriers de lâadministration, de formulaires et dâimprimĂ©s sont encore rĂ©digĂ©s dans un langage technique et juridique inadaptĂ© voire
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Introduction
dĂ©suet avec le risque de crĂ©er des incomprĂ©hensions chez lâusager, voire
des malentendus et au final générer une perte de temps pour lui comme
pour lâadministration. »
La chose appelle plusieurs remarques.
Ce paragraphe est constituĂ© dâune seule phrase. Une phrase de 46 mots ! Autant dire quâon est loin des canons de la lisibilitĂ©. Nous le verrons en dĂ©tail plus tard, mais Ă moins dâune structure particuliĂšrement fluide, une phrase devient difficilement comprĂ©hensible pour un lecteur moyen si elle dĂ©passe 20 mots. Alors, 46 mots pour le deuxiĂšme paragraphe dâune seule phrase dans une page sur la simplification du langage administratif, câest, comment direâŠ
La construction, ensuite ? Au cĆur de la phrase, le pire du jargon techno-cratique. Pas un jargon qui touche le vocabulaire, non, mais du jargon grammatical. La phrase est au passif. Regardez qui est le sujet du verbe : « Trop de courriers de lâadministration, de formulaires et dâimprimĂ©s ». Toutes ces choses sont rĂ©digĂ©es. Mais on ne dira pas par qui. Pas ques-tion de dĂ©signer un coupable. Pas question de montrer une action. Non : dans lâadministration, les choses se font. Toutes seules. Surtout lorsquâelles sont mal faites.
Le pire est vu, mais ce nâest pas fini. Notez la prĂ©sence de « voire ». Deux fois : « voire dĂ©suet », « voire des malentendus ». LĂ on est dâaccord, du malentendu nâest pas Ă exclure. La rĂ©pĂ©tition de la tournure nâest pas du meilleur effet. Et appartient-elle encore au langage courant ? Voire au langage soutenu ?
Un peu de lourdeur dans ce monde de brutes ? « Le risque de crĂ©er des incomprĂ©hensions chez lâusager, voire des malentendus et au final gĂ©nĂ©rer une perte de temps pour lui comme pour lâadministration. » Afin dâaugmenter la lisibilitĂ© du texte, on eut Ă©tĂ© bien inspirĂ© dâĂ©crire « et au final de gĂ©nĂ©rer ». La rĂ©pĂ©tition du « de » comme panneau indicateur aurait permis de dire Ă quoi ce « gĂ©nĂ©rer » peut bien se rattacher, câest-Ă -dire au risque (sauf sâil ne se rattache Ă rien, câest une option). Pire, il y a 12 mots entre « usager » et « lui », cela limite la
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chance que le lecteur comprenne que câest lui lâusager. De nombreux lecteurs, arrivĂ©s au douziĂšme mot, auront oubliĂ© celui lu une douzaine de vocables plus tĂŽt. Ă moins dâun retour du regard dans la phrase Ă la recherche de ce quâon a dĂ©jĂ oubliĂ©, on est perdu. Et câest ce qui gĂȘne la lecture, hachĂ©e au lieu de fluide.
Une derniĂšre petite chose. Le vocabulaire. Qui connait « dĂ©suet » ? Le mot nâest pas loin dâĂȘtre obsolĂšte⊠Câest un joli mot, qui sent la dentelle (câest trĂšs personnel, mais je le vois comme ça).
Une telle accumulation a quelque chose dâironique, non ? De quoi voir George Orwell et Winston Churchill fulminer, Ă coup sĂ»r ! Reste que lâadministration française Ă©volue. Pour preuve ? Depuis le 1er janvier 2019, la juridiction administrative applique les recommandations dâun Vade-mecum sur la rĂ©daction des dĂ©cisions de la juridiction administrative publiĂ© par le Conseil dâĂtat. LâidĂ©e gĂ©nĂ©rale est de rendre les dĂ©cisions intelligibles pour le justiciable comme pour lâensemble des publics ame-nĂ©s Ă les lire.
« Il y a une marque de fabrique des décisions de la juridiction administrative,
qui met lâaccent sur la rigueur et la clartĂ© du raisonnement juridique,
la retenue et lâĂ©lĂ©gance du propos, lâexactitude et la prĂ©cision des termes
employés.
[âŠ]
Le rĂ©dacteur doit ainsi sâefforcer de veiller Ă la cohĂ©rence et Ă la clartĂ©
de la dĂ©cision quâil prĂ©pare, Ă la rigueur de son raisonnement juridique,
à la précision de ses motifs de fait, à la qualité de son expression
et la concision de son style, en adoptant toujours le ton mesuré, sobre
et objectif qui caractérise les décisions de la juridiction administrative. »
La tension entre lâintelligibilitĂ© des dĂ©cisions par le justiciable et la rigueur juridique du propos est prise en compte. Et ce nâest pas la moindre dif-ficultĂ© de la rĂ©daction des dĂ©cisions.
Voir ici : https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/juridiction-administrative-nouveaux-modes-de-redaction-des- decisions
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Fin 2019, la Cour de cassation opĂšre un tournant similaire et considĂšre pour la rĂ©daction de ses arrĂȘts, devoir recourir au style direct. Forte de ce constat :
Rendre une dĂ©cision plus aisĂ©ment intelligible, câest aussi se placer du point de vue de son lecteur.
Si le langage clair de lâadministration et des juridictions doit tenir compte de la rigueur juridique, la prise de conscience se gĂ©nĂ©ralise. Et les entre-prises sont de plus en plus nombreuses Ă sâassurer de la clartĂ© du langage utilisĂ© sur leurs canaux de communication. Câest une question dâeffica-citĂ©, mais aussi dâaccessibilitĂ© et dâinclusion.
Fin 2018, le cabinet dâĂ©tudes et de conseil Occurrence a menĂ© une enquĂȘte pour lâagence de communication Avec des Mots auprĂšs de 1059 Français ĂągĂ©s de 18 Ă 65 ans. Les rĂ©sultats sont Ă©difiants :
« 41 % des Français sont rĂ©guliĂšrement confrontĂ©s Ă des textes dont ils ne comprennent pas la signification. De fortes disparitĂ©s existent selon le niveau dâĂ©tudes. 1 non diplĂŽmĂ© sur 2 avoue ainsi ne pas saisir la signification de certains documents alors que cette proportion est de 1 sur 4 pour les Bac + 4/5. Si 4 Français sur 5 comprennent une phrase Ă©crite en langage clair, seul 1/3 de la population comprend les Ă©noncĂ©s les plus complexes. »
Un enjeu de taille puisque :
« 81 % des Français affirment avoir confiance en une entreprise ou une marque lorsquâils comprennent bien sa communication Ă©crite. »
Une enquĂȘte Labrador/BVA, rĂ©alisĂ©e en septembre 2019, met en avant les avantages du langage clair. LâĂ©tude a consistĂ© Ă faire lire des textes Ă©crits en langage clair, et dâautres non. Puis de comparer les rĂ©sultats obtenus.
Arrive-t-on Ă lire un texte Ă©crit en langage clair en moins de 30 secondes ? Oui, pour 60 % des participants Ă lâĂ©tude. Ils ne sont que 31 % Ă y par-venir pour un texte « standard » de mĂȘme longueur. Mais il ne sâagit pas
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seulement de vitesse. Les lecteurs sont 80 % plus nombreux Ă dĂ©clarer avoir compris un texte rĂ©digĂ© en langage clair. Et prĂšs des deux tiers des lecteurs estiment en avoir mĂ©morisĂ© les informations. La proportion est quasi inverse Ă la lecture des textes « standards » : 58 % estiment ne pas avoir retenu ce quâils ont lu. Lâeffort de rĂ©daction vaut bien dâĂȘtre tentĂ©, non ?
Voici le type de textes sur lesquels lâĂ©tude a portĂ©. La version standard dâabord, la version « traduite » en langage clair ensuite :
AVANT : « Traduction de la volontĂ© dâallouer prioritairement ses moyens Ă lâexploitation du plein potentiel des rĂ©seaux Banque Solidaire et Caisse dâAssurances, Transparency assurances a dĂ©cidĂ©, en 2013, de mettre en sommeil son activitĂ© dâassurance vie dĂ©veloppĂ©e par lâintermĂ©diaire de CGPI (conseillers en gestion de patrimoine indĂ©pendants) et banques privĂ©es, compte tenu de lâimportance des investissements requis pour dĂ©velopper un segment de marchĂ© caractĂ©risĂ© par des marges unitaires faibles et lâimportance des positions acquises par les acteurs historiques de ce segment. »
APRĂS : « Transparency Assurances a suspendu son activitĂ© dâassurance vie en 2013 pour privilĂ©gier le dĂ©veloppement prometteur des rĂ©seaux Banque Solidaire et Caisse dâAssurances. Cette dĂ©cision rĂ©sulte dâune forte concurrence dâacteurs historiques et de marges unitaires faibles, le marchĂ© de lâassurance vie nĂ©cessitant dâimportants investissements. »
Le langage clair est lisible, comprĂ©hensible, inclusif, explicite, accessible. Les qualificatifs positifs ne manquent pas. Je ne le juge pas dâun point de vue esthĂ©tique, mais jâen mesure lâefficacitĂ©. Dans le cadre dâĂ©crits professionnels, nâest-ce pas lâobjectif que lâon doit rechercher ?
Pour autant, il ne sâagit pas ici de vous proposer stricto sensu un manuel dâĂ©criture en langage clair. Nous nous Ă©loignerons parfois de ses obli-gations, lorsque, pour des soucis dâefficacitĂ©, et en fonction du lectorat, il semblera justifiĂ© de faire des choix spĂ©cifiques.
En nous plongeant ensemble dans les techniques rĂ©dactionnelles, nous allons voir comment privilĂ©gier le message et mettre le style Ă son ser-vice autant quâil est possible.
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Chapitre 1
ConnaĂźtre son lecteur
« Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs. »
Jean de La BruyĂšre
Executive summary
Pour quâun texte soit efficace, il doit sâadresser Ă un lecteur ou une lectrice. Ce qui semble une condition de bon sens nâest cependant possible que si lâon sait Ă qui lâon parle. Câest une dimension essentielle, et pourtant souvent oubliĂ©e.
Une fois dĂ©finie la personne Ă qui vous Ă©crivez, vous pouvez rĂ©flĂ©chir Ă la meilleure façon de la toucher, en fonction de ce quâelle est, et de ce qui lâintĂ©resse.
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Le principal Ă©cueil pour un texte est de nâĂȘtre Ă©crit pour personne. Ou dâĂȘtre Ă©crit pour tout le monde : câest la mĂȘme chose. Un texte efficace est Ă©crit en pensant Ă son lecteur. Encore faut-il le connaĂźtre ou lâavoir dĂ©fini.
Câest une technique de focalisation que les orateurs connaissent bien. Face Ă un petit groupe, le regard va de lâun Ă lâautre pendant quâon parle ; face Ă une assistance plus large, celui qui parle choi-sit un visage connu, bienveillant, au milieu du public et le fixe : on sâadresse toujours Ă quelquâun.
Jâai longtemps Ă©crit pour la presse jeunesse. Mon lecteur, ma lec-trice, avaient entre 8 et 14 ans. Cette tranche dâĂąge Ă©tait dĂ©jĂ un Ă©lĂ©ment de la connaissance que jâavais dâelle, de lui. Mais câĂ©tait insuffisant. On ne sâadresse pas à « des » enfants de cet Ăąge. Dâautant quâon perd assez vite la notion de ce qui est comprĂ©hensible ou non par les plus jeunes, une fois arrivĂ© Ă lâĂąge adulte. Alors je me suis choisi une cible, une personne que je connaissais, pile au milieu de ceux Ă qui je voulais mâadresser. Un prĂ©-ado que je croisais rĂ©guliĂšre-ment. Il avait alors 12 ans, bon Ă©lĂšve. Jâai beaucoup Ă©crit en pensant Ă lui.
Lorsque jâĂ©cris dans la presse quotidienne rĂ©gionale, je pense Ă ma mĂšre. Les articles sont Ă©crits pour elle. Câest une lectrice type. Je suis parti dâelle et je lâai un peu modifiĂ©e, arrangĂ©e, pour quâelle corresponde exactement Ă ce que jâimagine ĂȘtre la per-sonne qui va lire mon article. Elle ne le sait pas â je ne crois pas lui avoir jamais dit â, mais câest elle qui mâaide Ă Ă©crire des articles comprĂ©hensibles.
En sâadressant Ă quelquâun, celui qui Ă©crit sâaffranchit pour une bonne part de lâangoisse de la page blanche. Dites ce que vous avez Ă dire. Quelle angoisse vous empĂȘcherait de le faire si vous aviez la personne devant vous, lĂ ? Alors allez-y : Ă©crivez votre texte. Ensuite, ce nâest que de la technique.
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