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International Review of Community DevelopmentRevue internationale d’action communautaire
Pourquoi le mouvement pour la paix ne rallie-t-il pas tout lemonde ?Why isn't everybody in favour of the peace movement?ÂżPorque el movimiento por la paz no atrae a "todo" el mundo?Metta Spencer
Le mouvement pour le désarmement et la paixNuméro 12 (52), automne 1984
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034562arDOI : https://doi.org/10.7202/1034562ar
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Éditeur(s)Lien social et Politiques
ISSN0707-9699 (imprimé)2369-6400 (numérique)
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Citer cet articleSpencer, M. (1984). Pourquoi le mouvement pour la paix ne rallie-t-il pas tout lemonde ? International Review of Community Development / Revue internationaled’action communautaire, (12), 73–83. https://doi.org/10.7202/1034562ar
Résumé de l'articleQuelles sont les raisons qui expliquent pourquoi le mouvement pour la paix nerecrute pas tout le monde et comment se fait-il que la question dudésarmement ne soit pas, au Canada, une priorité politique ? Selon l’auteure, lacomplexité des questions soulevées par le problème de la course auxarmements et, en corollaire, l’insuffisance des repères partiels, en l’absence deréférence idéologique permettant de saisir les événements dans leur ensemble,pourraient expliquer la situation. Les intellectuels sont ici invités à construirecette vision du monde cohérente et nécessaire pour encourager uneparticipation élargie aux mouvements pour la paix.
Pourquoi le mouvement pour la paix ne rallie-t-il pas tout le monde ?
M. Spencer
Depuis 1982, la course aux armements nuclĂ©aires a de nouÂveau suscitĂ© beaucoup d'intĂ©rĂŞt et un mouvement social, mondial, exiÂgeant un arrĂŞt de la croissance des effectifs nuclĂ©aires, s'est formĂ©. Pour sa part, ce mouvement canaÂdien s'est presque exclusivement limitĂ© Ă une sĂ©rie d'actions tentant de prĂ©venir les essais des missiÂles de croisière. Ces essais reprĂ©Âsentent aujourd'hui un fait accompli, mais le mouvement n'a cependant pas perdu de son importance et serait mĂŞme possiblement en expansion (en avril 1984, une maniÂfestation tenue Ă Vancouver a Ă©tabli un record canadien, en mobilisant 115 000 personnes).
Néanmoins, le mouvement canadien pour la paix n'est pas comparable aux mouvements de Grande-Bretagne, d'Allemagne de l'Ouest et d'autres pays d'Europe, qui toutefois n'ont pas été assez
forts pour prĂ©venir le dĂ©ploiement des euromissiles. Des sondages rĂ©alisĂ©s dans les pays de l'Ouest indiquent un intĂ©rĂŞt pour la quesÂtion du dĂ©sarmement, sans qu'elle soit considĂ©rĂ©e pour autant comme « fondamentale ». D'autres, telles les politiques Ă©conomiques, sont devenues des enjeux plus imporÂtants dans les programmes des parÂtis politiques en place.
Il est ridicule de chercher Ă savoir pourquoi le mouvement paciÂfiste est nĂ© Ă une Ă©poque oĂą l'arÂmement reprĂ©sente un grave danÂger pour l'humanitĂ©. La seule quesÂtion lucide qu'il reste Ă poser est la suivante : Pourquoi avons-nous mis tant de temps Ă rĂ©agir? Et aussi, pourquoi tout le monde ne fait-il pas partie du mouvement pour la paix ?
Je me propose d'analyser la réalité canadienne, mais comme nous avons affaire à un problème
d'ordre gĂ©nĂ©ral, je tenterai aussi de faire une Ă©valuation de la faiÂblesse relative du mouvement paciÂfiste en gĂ©nĂ©ral.
Les faits relatifs au Canada Il est aisé de repérer les facteurs
culturels et structurels qui limitent la capacité des militants pour la paix de trouver un appui politique au Canada.
Le Canada comme satellite des Etats-Unis
Après son élection comme pre-
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Pourquoi le mouvement pour la paix ne rallie-t-il pas « tout » le monde ?
mier ministre, Pierre Trudeau dimiÂnua les effectifs militaires canadiens au grand dĂ©saccord des adminisÂtrations amĂ©ricaines qui se sont sucÂcĂ©dĂ© au cours de son long leadersÂhip. Ces dernières annĂ©es, les États-Unis ont insistĂ© pour que le Canada « respecte ses engageÂments » et dĂ©pense plus pour des armements destinĂ©s Ă l'Europe. Dans une certaine mesure, le Canada s'est soumis, il a manifestĂ© son engagement vis-Ă -vis l'OTAN en posant un geste symbolique moins onĂ©reux, soit en permettant les essais des missiles de croisière et d'autres armes amĂ©ricaines en sol canadien. Un refus opposĂ© Ă cette requĂŞte amĂ©ricaine aurait impliquĂ© un refroidissement des relations amicales entre les deux pays et une sĂ©rie de consĂ©quenÂces imprĂ©visibles.
Les Canadiens sont très senÂsibles Ă l'interdĂ©pendance Ă©conoÂmique existant entre leur pays et leur voisin du sud. Les États-Unis dĂ©veloppent une attitude protectionÂniste qui peut menacer les intĂ©rĂŞts des Canadiens. Aussi, si le Canada refusait d'accĂ©der aux demandes d'un prĂ©sident amĂ©ricain populaire, il est probable que l'Ă©conomie canaÂdienne s'en ressentirait durement. Les Ă©lecteurs n'ignorent pas cet Ă©tat de choses, mais ils semblent exaÂgĂ©rer les risques qu'il comporte et sous-estiment l'influence qu'ils pourraient exercer sur les politiciens amĂ©ricains qui sont en faveur du
gel de la course aux armements. Ceux-ci apprécieraient le support moral des Canadiens.
Le régionalisme Un autre facteur s'opposant au
dĂ©veloppement d'un mouvement national cohĂ©rent est la rĂ©alitĂ© gĂ©oÂgraphique du Canada : la populaÂtion canadienne est rĂ©partie sur une mince bande de territoire d'un ocĂ©an Ă l'autre et peu d'organisaÂteurs peuvent assumer les coĂ»ts des dĂ©placements et des frais tĂ©lĂ©Âphoniques que cela entraĂ®ne. La diversitĂ© linguistique du Canada implique une organisation basĂ©e rĂ©gionalement plus que dans n'imÂporte quel autre pays concernĂ© par le conflit entre l'Est et l'Ouest. Ă€ date, une seule confĂ©rence natioÂnale a su regrouper les pacifistes en vue d'un effort commun : elle fut tenue en fĂ©vrier de l'annĂ©e en cours sous les auspices de la CamÂpagne de la Caravane de la PĂ©tiÂtion pour la paix (cette campagne fait maintenant du porte-Ă -porte Ă l'Ă©chelle du pays et la pĂ©tition exige que le Parlement dĂ©clare le Canada zone libre d'armes nuclĂ©aires). La plupart des pacifistes travaillent au sein de groupes locaux. Aucune politique cohĂ©rente ne peut ĂŞtre forÂmulĂ©e par le mouvement pour la paix canadien puisqu'aucune coaÂlition nationale n'existe actuellement et n'est prĂ©visible dans un avenir immĂ©diat. Le gouvernement a une politique prĂ©cise et ne peut ĂŞtre accusĂ© de ne pas tenir compte d'un mouvement qui n'en a aucune. Cette absence de ligne prĂ©cise fait que les mĂ©dias ne savent que faire lorsqu'ils interviewent les porte-parole du mouvement pour le dĂ©sarÂmement au Canada.
Le système électoral Un troisième facteur nuisant aux
efforts des antimilitaristes sur la scène politique est le système Ă©lecÂtoral canadien. Certes, ceci demeure un point de moindre importance puisque d'autres pays
connaissent le mĂŞme système. Dans un système Ă©lectoral Ă reprĂ©Âsentation proportionnelle, les Ă©lecÂteurs ne sentent pas qu'ils annuÂlent leur vote en appuyant des partis de moindre importance, pourtant en faveur de changements sociaux. Les Verts, par exemple, ont pu siĂ©Âger au Bundestag en Allemagne fĂ©dĂ©rale, malgrĂ© le faible pourcenÂtage de votes qu'ils recueillirent. Ils ont pu mener une campagne en tant que parlementaires. Aucun groupe de militants ne peut enviÂsager la mĂŞme chose au Canada, en Angleterre ou aux États-Unis oĂą le gagnant « prend tout » lors d'une Ă©lection. MĂŞme si 30 % des CanaÂdiens Ă©taient convaincus de voter en fonction de l'idĂ©e du dĂ©sarmeÂment, ils risqueraient fort de ne trouÂver aucune circonscription Ă©lectoÂrale oĂą ils seraient majoritaires.
La liberté politique Les pacifistes canadiens sont
agacĂ©s par les facteurs Ă©numĂ©rĂ©s ci-haut, mais ces dĂ©savantages sont bien minimes comparĂ©s Ă ceux subis par les pacifistes militant sous des rĂ©gimes rĂ©pressifs oĂą toute manifestation est immĂ©diatement supprimĂ©e par la force. Les CanaÂdiens protestent quand leurs lignes tĂ©lĂ©phoniques sont sur Ă©coute ou quand les forces policières les Ă©vaÂcuent par la force des Industries LitÂton. Ils ont pourtant de plus granÂdes possibilitĂ©s d'organiser des manifestations que nombre d'auÂtres militants. Les facteurs Ă©numĂ©ÂrĂ©s ci-dessus ne suffisent pas Ă expliquer l'Ă©chec des Canadiens de faire de la question du dĂ©sarÂmement une prioritĂ© politique fonÂdamentale. D'ailleurs il ne faut pas tenter d'expliquer l'apathie des Canadiens comme un phĂ©nomène isolĂ©, mais plutĂ´t chercher Ă comÂprendre l'indiffĂ©rence des sociĂ©tĂ©s aux protestations antinuclĂ©aires.
L'analyse des coûts et bénéfices de la mobilisation
La tendance parmi les spĂ©ciaÂlistes des mouvements sociaux est d'expliquer la participation non pas comme une attitude irrationnelle mais comme une dĂ©cision de type classique, prise selon une mesure des coĂ»ts anticipĂ©s versus les bĂ©nĂ©Âfices envisagĂ©s.
La thĂ©orie de la mobilisation des ressources est une approche basĂ©e sur un modèle rationnel de comÂportement... Elle a dĂ©montrĂ© Ă quelÂques reprises jusqu'Ă quel point cerÂtains Ă©vĂ©nements, en principe irraÂtionnels, peuvent ĂŞtre expliquĂ©s en termes de coĂ»ts et bĂ©nĂ©fices, c'est-Ă -dire en termes de risques et rĂ©compenses anticipĂ©s par des indiÂvidus Ă la poursuite d'un idĂ©al comÂmun. En fait, l'aspect le plus riche de ce modèle est sa distinction entre les bĂ©nĂ©fices que peuvent retirer un individu et ceux qui peuvent ĂŞtre gagnĂ©s ou perdus de façon excluÂsivement collective.
Mancur Oison (1965) a Ă©laborĂ© certaines implications de cette disÂtinction en mettant en lumière que les intĂ©rĂŞts personnels d'un indiÂvidu peuvent ĂŞtre en conflit avec les intĂ©rĂŞts d'un individu au sein d'une collectivitĂ©. Les mouvements sociaux sont des efforts collectifs qui visent Ă fournir des bĂ©nĂ©fices au groupe en tant que tel, plus qu'Ă l'individu en particulier. Cependant, chaque mouvement social dĂ©pend
du sacrifice personnel de ses memÂbres. Ceux-ci subissent des risques et des pertes en s'impliquant perÂsonnellement, tout en sachant qu'en cas de succès ils ne gagneÂront rien de plus que ceux qui n'ont pas contribuĂ© au mouvement. L'ĂŞtre rationnel, selon Oison, est le « proÂfiteur », le membre qui ne s'impliÂque jamais dans un mouvement, mais s'empresse d'en tirer des bĂ©nĂ©fices en cas de succès. Oison trouve inexplicable que quelqu'un puisse accepter de lourdes responÂsabilitĂ©s, sans envisager des effets secondaires, tels qu'une renommĂ©e ou une place de leader.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette thĂ©orie comporte des aspects douteux. L'un des plus disÂcutables est la prĂ©somption d'OiÂson Ă l'effet que les intĂ©rĂŞts proÂpres d'un individu sont plus imporÂtants que les intĂ©rĂŞts d'un individu en tant que membre d'un groupe. NĂ©anmoins, cette thĂ©orie est très logique ; participer Ă un mouvement social reprĂ©sente un investissement en temps, Ă©nergie et argent, pouÂvant ĂŞtre motivĂ© par un espoir de succès. Aussi, tout groupement doit-il laisser croire Ă de possibles gains ; le rapport entre les gains probables et les risques relatifs d'une adhĂ©Âsion au regroupement doit ĂŞtre allĂ©Âchant. La thĂ©orie de la mobilisation des ressources prĂ©voit qu'alors le mouvement gagnera l'appui d'un nombre grandissant d'individus, ce qui, en retour, augmentera ses chances de succès (Walsh et Wai-land, 1983). Le pouvoir d'un mouÂvement dĂ©pend donc de la possiÂbilitĂ© de gains pour les individus qui y participent, mais les gains offerts sont rarement intĂ©ressants lors de la formation d'un mouvement.
Nous devons considĂ©rer la valeur de la thĂ©orie de la mobilisaÂtion des ressources et voir si elle apporte quelque rĂ©ponse Ă notre question initiale. L'explication du succès limitĂ© du mouvement pour le dĂ©sarmement serait-elle que la possibilitĂ© d'une victoire dĂ©cisive
semble bien faible comparée aux coûts qu'une telle campagne impose à ses participants?
Il n'existe pas de preuve empiÂrique qui pourrait infirmer cette hypothèse. Toutefois, Ă la rĂ©flexion, on se rend compte de son bas niveau de crĂ©dibilitĂ© au plan de la logique. Les coĂ»ts de la crĂ©ation d'un mouvement pour la paix doiÂvent ĂŞtre mesurĂ©s aux coĂ»ts risÂquant d'apparaĂ®tre si l'on permet une poursuite de la course aux armements. Plusieurs sondages montrent que la majoritĂ© des rĂ©ponÂdants s'attendent Ă une guerre 75 nuclĂ©aire. De plus, un nombre de plus en plus important de gens inforÂmĂ©s sur le sujet (spĂ©cialistes miliÂtaires, scientifiques, ainsi que paciÂfistes) sont d'accord pour dire que la course aux armements peut signiÂfier l'auto-extinction de la race humaine (Ehriich, 1983; Sagan, 1983 ; Turco, 1983). Le coĂ»t ultime de cette course s'exprime en terÂmes de vies humaines : Ă©tant donnĂ© que les consĂ©quences peuvent difÂficilement ĂŞtre pires, ces coĂ»ts sont donc inestimables, voire mĂŞme incommensurables. En comparaiÂson, le coĂ»t d'une participation au mouvement pour la paix, mĂŞme s'il est Ă©levĂ©, demeure une rare aubaine en termes d'invesÂtissement.
Comment peut-on qualifier un individu qui rejette toute implicaÂtion sous prĂ©texte de faire un mauÂvais investissement ? Un ĂŞtre rationÂnel ? Il est permis d'en douter. MalÂgrĂ© tout, de telles personnes exisÂtent, très nombreuses. MĂŞme si, en tant que sociologues, nous nous permettons de les Ă©valuer comme ĂŞtres irrationnels (puisqu'une telle Ă©tiquette nous permet de nous dĂ©barrasser d'une thĂ©orie boiteuse pour la remplacer par d'autres Ă©ven-tuellement meilleures), nous n'avons toujours pas de rĂ©ponse Ă la question que nous nous somÂmes posĂ©e : rationnels ou irrationÂnels, pourquoi nombre d'individus n'adhèrent-ils pas au mouvement
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Pourquoi le mouvement pour la paix ne rallie-t-il pas « tout » le monde ?
pour la paix? Comment peut-on concevoir que les gens ne protesÂtent pas, lorsque leur survie est en jeu ? Nous avons besoin d'une meilÂleure thĂ©orie que les thĂ©ories socioÂlogiques actuelles pour expliquer une attitude semblable.
La négation et la dissonance
Question : qu'y a-t-il de si imporÂtant pour un ĂŞtre humain qu'il ne se soucie pas de l'Ă©ventuelle desÂtruction de la planète ?
RĂ©ponse : une perception du monde stable et cohĂ©rente ; une notion ordonnĂ©e de la rĂ©alitĂ©, en un mot, une idĂ©ologie. Que celle-ci soit vraie ou fausse, il n'en demeure pas moins que nous lui obĂ©issons ; elle nous sert de supÂport au fil des jours. Chaque perÂception du monde est un amalgame d'hypothèses liĂ©es entre elles par des conclusions douteuses ; elles sont trop fragiles pour rĂ©sister Ă l'Ă©preuve de la remise en question. Il est nĂ©cessaire pour les mainteÂnir d'y injecter de grandes doses de foi, tout en soulevant un miniÂ
mum de questions. Lorsqu'il est possible d'incorporer Ă notre vue partielle du monde un autre système de croyances cohĂ©rentes et consistantes auxquelles nous pouvons nous rĂ©fĂ©rer pour comÂprendre les Ă©vĂ©nements de tous les jours, nous le valorisons au point de le considĂ©rer comme indispenÂsable (Y. Festinger, 1957). Gare Ă ceux qui oseraient nous en indiquer les failles.
Mais quel est le rapport de ce constat avec les mouvements sociaux ? Simplement ceci : les gens ont des connaissances limiÂtĂ©es. Si les gens conçoivent un proÂblème de façon claire (et s'ils conÂçoivent aussi de façon claire une solution Ă celui-ci), ils peuvent s'enÂgager Ă le rĂ©soudre. Si la solution envisagĂ©e ne suggère que des difÂficultĂ©s nouvelles et incomprĂ©henÂsibles, ils refusent tout simplement de l'invoquer et se dĂ©sintĂ©ressent des coĂ»ts et bĂ©nĂ©fices d'un tel refus. Ainsi, si une solution requiert trop de changements dans un système plausible de croyances, elle ne sera pas adoptĂ©e.
Certains mouvements sociaux n'exigent que des changements simples et faciles Ă concevoir. La guerre barbare du ViĂŞt-nam s'est rĂ©vĂ©lĂ©e comme telle Ă des auditeurs Ă©coutant quotidiennement le bulÂletin de nouvelles. Il ne fallait guère d'imagination pour trouver une soluÂtion pratique : ramenons les soldats aux États-Unis et laissons aux VietÂnamiens le soin de dĂ©cider de leur propre sort. De mĂŞme, le mouveÂment des droits civiques Ă©tait direct et simple dans ses principes : la disÂcrimination est injuste ; les Noirs doiÂvent jouir du respect dĂ» Ă tout citoyen. Le mouvement Ă©tudiant international des annĂ©es 60 Ă©tait très clair aussi dans ses demandes d'une universitĂ© Ă Ă©chelle humaine, administrĂ©e dĂ©mocratiquement. Quant au mouvement fĂ©ministe, il demandait que l'on Ă©tablisse une nouvelle structure sociale ; qu'on fĂ»t d'accord ou pas, il Ă©tait aisĂ© d'en
prĂ©voir les consĂ©quences. Le mouÂvement Ă©cologique peut ĂŞtre coĂ»Âteux et plein d'embĂ»ches, mais les solutions demeurent faciles Ă conÂcevoir. Il suffit d'installer des filtres sur les cheminĂ©es d'usines et de pĂ©naliser les firmes qui versent des produits toxiques dans les rivières, et le tour est jouĂ©. En comparaison avec ces mouvements sociaux, la contestation de la course aux armeÂments est d'une rare complexitĂ©. Dans un premier temps, l'esprit s'embourbe, puis dans un second temps, il cesse de fonctionner.
Après avoir dirigĂ© des discusÂsions publiques sur la question, les pacifistes se sentent rarement satisÂfaits des rĂ©sultats obtenus. Ils sont le plus souvent frustrants et stĂ©riÂles. Les discussions ont toujours un bon dĂ©but ; les gens admettent les consĂ©quences catastrophiques d'une guerre nuclĂ©aire telles que prĂ©dites par les experts, ils presÂsentent que les bombes nuclĂ©aires ne laisseront aucun survivant et refusent les armes nuclĂ©aires. Puis la discussion entre dans une deuxième phase oĂą se pose la question : « Qu'arriverait-il si l'on dĂ©sarmait ?» Il y a alors tellement de façons de penser, de problèmes et d'objections, qu'aucune discusÂsion ordonnĂ©e ne devient possible. L'argumentation part en tous sens sans atteindre de conclusions. Les participants ont en fait gardĂ© intacte leur vision du monde et changer un seul Ă©lĂ©ment de leur croyance impliÂquerait un changement de l'ensemÂble de leur système de valeurs.
Certaines croyances dans notre sociĂ©tĂ© sont complètement erroÂnĂ©es. Mais les idĂ©ologies sont des systèmes intĂ©grĂ©s, elles ne peuvent ĂŞtre Ă©changĂ©es de façon partielle, par une critique rationnelle, ou par l'addition d'informations justes. Chaque Ă©lĂ©ment idĂ©ologique, corÂrigĂ©, devient dissonant par rapport Ă l'ensemble et l'esprit lutte pour maintenir la cohĂ©rence de son système de connaissance. Seuls les mouvements sociaux deman-
dant une adaptation minimale du système culturel ont des chances de gagner un appui des masses.
Je n'irai pas jusqu'Ă dire qu'il existe une solution Ă ce problème. Je me contenterai de dresser une liste des principales idĂ©es qui surÂgissent dans les auditoires lorsque la question du dĂ©sarmement nuclĂ©aire est Ă©tudiĂ©e sĂ©rieusement. Nous pourrons voir les liens comÂplexes existant entre les divers sujets de questionnement et les proÂblèmes que pose toute rĂ©ponse parÂtielle et non globale. Il peut ĂŞtre utile d'Ă©valuer ces questions et de s'atÂtarder sur celles qui posent plus de problèmes que d'autres. De plus, au sein des groupes pacifistes canadiens, il existe une certaine spĂ©cialisation ; je tenterai de donÂner une liste des divers organismes en indiquant lesquels sont prĂ©ocÂcupĂ©s par les questions soulevĂ©es.
Les considérations
Nous avons besoin de bombes pour dissuader toute agression possible
Une inquiétude fondamentale ressentie par presque tous est la peur de se retrouver vulnérables à la suite d'un désarmement. Les individus savent qu'il n'existe aucune défense face aux armes nucléaires ; ils trouvent consolation dans l'idée d'une capacité de riposte tellement sévère qu'aucun ennemi en pleine possession de ses moyens ne provoquera une guerre nucléaire ; « Après tout, les armes nucléaires nous ont épargné une
guerre mondiale depuis presque quarante ans », ajoutent-ils.
Les groupes pacifistes sont absolument unanimes dans leur réponse à cet argument.
1- Historiquement, les politiques de dissuasion ont gĂ©nĂ©ralement conduit Ă la guerre, et non pas Ă une paix stable. De chaque cĂ´tĂ©, le sentiment de menace, crĂ©Ă© par la politique de dissuasion de l'adÂversaire, dĂ©bouche sur une militaÂrisation accrue ; ce cercle vicieux est prĂ©cisĂ©ment le phĂ©nomène de la course aux armements. L'histoire nous apprend que 70 % des guerÂres sont le rĂ©sultat d'une course aux armements (Singer, 1980).
2- Selon une Ă©tude sur la guerre dirigĂ©e par Alan Newcombe, les nations sur-armĂ©es ne sont pas moins exposĂ©es Ă une guerre du fait de leur capacitĂ© de dissuasion. Cette thèse, prenant aussi en conÂsidĂ©ration le niveau de vie du pays en cause, fait remarquer que celui-ci a trente fois plus de chances, dans une pĂ©riode de cinq ans, de s'enÂgager dans une guerre, en compaÂraison Ă d'autres nations moins armĂ©es. Les nations sur-armĂ©es ont tendance Ă s'attaquer entre elles, plutĂ´t que de s'attaquer Ă des nations plus faibles (Newcombe, 1982).
3- La course aux armements, Ă l'heure actuelle, a rĂ©duit consiÂdĂ©rablement la pĂ©riode de temps permettant de vĂ©rifier d'Ă©ventuelÂles fausses attaques ennemies. Plus la pĂ©riode de vĂ©rification est courte, plus la nation est sujette Ă une riposte rapide Ă une fausse attaque ; il est certain que dans ces conditions, une attaque gratuite peut avoir lieu (Bereanu, 1983). Une Ă©tude a estimĂ© que durant une pĂ©riode de crise alors que les « cadenas de sĂ©curitĂ© » de plusieurs missiles n'opèrent plus — il y a 95 °/o de chances que nous riposÂtions Ă une fausse alerte dans une pĂ©riode de moins de huit jours (WalÂlace, 1984).
4- La politique de « destruction
mutuelle assurĂ©e », basĂ©e sur l'esÂpoir de dissuader toute agression, a cĂ©dĂ© graduellement Ă d'autres tactiques militaires qui pourraient utiliser les armes nuclĂ©aires dans un certain nombre de cas. Il est Ă©viÂdent que les effectifs militaires actuels existent en vue d'une agresÂsion directe plutĂ´t que d'une riposte Ă l'agression d'un adversaire. Cette politique, appelĂ©e la stratĂ©gie de « contre-force », ne cherche pas Ă menacer les villes ennemies mais plutĂ´t une attaque surprise contre les missiles de l'adversaire et ses installations militaires. Ainsi toute 77 riposte est impossible. Cette poliÂtique n'a rien Ă voir avec la dissuaÂsion ; elle n'est rien d'autre qu'une politique de prĂ©paratifs de guerre (Zuckerman, 198, p. 53).
5- L'argument qui insiste sur le fait que « les armes nuclĂ©aires nous ont Ă©pargnĂ© la guerre jusqu'Ă ce jour » est erronĂ©. Citons simplement le fait que plusieurs millions de perÂsonnes du Tiers-Monde sont morÂtes dans des « guerres par pays interposĂ©s » depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce serait insulter la logique la plus Ă©lĂ©Âmentaire que de conclure que ce sont ces armes qui ont empĂŞchĂ© la guerre. Ce serait comme affirÂmer : « J'ai fumĂ© pendant près de 40 ans et je n'ai pas attrapĂ© le canÂcer. Donc, fumer prĂ©vient les risÂques de cancer ! »
Bien que ces points aient Ă©tĂ© largement discutĂ©s dans des conÂfrontations publiques, il n'en demeure pas moins que peu de perÂsonnes ont Ă©tĂ© converties Ă la cause du dĂ©sarmement.
Le désarmement mutuel demeure invérifiable
Contrairement Ă ce que croit l'opinion publique, moins de 10 % des pacifistes canadiens croient au dĂ©sarmement unilatĂ©ral. Ils sont pluÂtĂ´t en faveur d'une rĂ©duction graÂduelle et mutuelle des effectifs nuclĂ©aires, soit par voie de traitĂ©s impliquant un processus de vĂ©rifi-
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7g cation ou par une « initiative uniÂlatĂ©rale ». Une telle initiative impliÂquerait une première rĂ©duction d'un nombre prĂ©cis d'armes — disons 10 % — et une seconde si l'autre camp s'engageait Ă en faire autant.
Certains s'inquiètent de savoir si l'autre camp effectuera la dite rĂ©duction et refusent d'initier le proÂcessus de dĂ©sarmement.
D'ailleurs, mĂŞme si les SoviĂ©Âtiques ont abandonnĂ© leurs objecÂtions Ă des inspections sur leur terÂritoire, il n'en demeure pas moins rĂ©aliste de penser qu'il demeure possible de cacher des armes et de prendre des mesures en vue de cette Ă©ventualitĂ©.
Science pour la paix, un orgaÂnisme reprĂ©sentant des spĂ©cialisÂtes de toutes disciplines — surtout des sciences exactes — a menĂ© des discussions sur la vĂ©rification au sein du mouvement pour la paix au Canada. Ces scientifiques ont rĂ©digĂ© un document faisant la proÂmotion d'un organisme, l'Agence internationale de surveillance par satellite, qui serait gĂ©rĂ©e par les Nations Unies. Des photographies rendues disponibles Ă toutes les nations — spĂ©cialement Ă celles ne pouvant pas les produire — aideÂraient Ă surveiller les mouvements de troupes et d'armements.
Des satellites contrĂ´lent certaiÂnes armes. D'autres formes de vĂ©riÂfication sont nĂ©cessaires. Science pour la paix a proposĂ© de mener une Ă©tude descriptive des mĂ©thoÂdes de vĂ©rification, tels la sĂ©ismo-
logie, le contrĂ´le des radiations atmosphĂ©riques et autres technoÂlogies vouĂ©es Ă la dĂ©tection d'arÂmes non nuclĂ©aires de destruction Ă grande Ă©chelle comme les armes biologiques et chimiques. Jusqu'Ă date, aucune aide financière n'a Ă©tĂ© accordĂ©e Ă cet effet. Cependant, certains membres ont suffisamment de compĂ©tence pour Ă©valuer les problèmes de vĂ©rification. Ils sont d'accord sur un point : la course aux armements nuclĂ©aires est parÂticulièrement dangereuse car la vĂ©riÂfication de ces armes est difficile et la perspective d'un traitĂ© de conÂtrĂ´le de ces armes se trouve ainsi diminuĂ©e.
Oui, mais les Russes ? Il est Ă©vident que la course aux
armements se poursuit du fait de l'opposition existant entre les blocs capitaliste et communiste. Si cette hostilitĂ© pouvait ĂŞtre rĂ©duite, le dĂ©sarmement serait chose aisĂ©e et considĂ©rablement moins urgente, car nous n'avons peur que des armes du camp ennemi. On exige des partisans du dĂ©sarmement qu'ils soient en mesure de fournir une analyse de la sociĂ©tĂ© russe compatible avec une politique de rĂ©duction des armements. Ces disÂcussions tournent inĂ©vitablement Ă l'impasse.
La question est conçue de façon simpliste par le grand public : a) Les Russes sont mauvais et nos bomÂbes sont nĂ©cessaires, ou b) Ils sont aussi bons que nous et nous n'avons donc pas besoin d'armes.
Les gouvernements conservaÂteurs des pays de l'Ouest sont insÂpirĂ©s par la première notion. Le prĂ©Âsident Reagan appelle l'Union soviĂ©tique « l'empire du mal » et se flatte de pouvoir la contrĂ´ler par ses menaces militaires implacables. Il prĂ©tend que les SoviĂ©tiques attenÂdent la première occasion de rĂ©aÂliser leur plan diabolique lorsqu'un gouvernement plus faible sera portĂ© au pouvoir aux États-Unis, et seul son militarisme aigu rĂ©ussit Ă les
garder sous contrĂ´le. Il avance des preuves irrĂ©futables de la nature de cette sociĂ©tĂ© ; les citoyens ne jouisÂsent pas des libertĂ©s dĂ©mocratiÂques, mĂŞme celles considĂ©rĂ©es comme les plus fondamentales — libertĂ© de parole et d'assemblĂ©e. Les SoviĂ©tiques ont rĂ©cemment envahi l'Afghanistan comme pluÂsieurs autres pays auparavant. S'ils Ă©taient prĂŞts Ă cĂ©der quelque peu, les États-Unis rĂ©duiraient leur armeÂment, mais dans la situation actuelle, il leur est impossible de le faire.
Le mouvement pacifiste est pleiÂnement conscient que cette vision est une source de danger d'un conÂflit nuclĂ©aire ; il se trouve donc dans l'obligation de fournir un point de vue diffĂ©rent, mais, malheureuseÂment, il n'existe pas de consensus Ă ce sujet au sein du mouvement. Je dresserai une liste des positions, des plus communes aux plus antiÂcommunistes.
1. Les Russes ne sont pas danÂgereux, nous n'avons pas besoin de bombes. Les groupes de paix gauchistes (tel le Conseil canadien de la paix) s'efforce de promouvoir cette optique, sans grand impact sur l'opinion publique.
Leurs porte-parole s'expriment dans les termes suivants : les SoviĂ©Âtiques sont humains, ils ont leurs problèmes. Notre façon de voir la vie en Union soviĂ©tique est souvent dĂ©formĂ©e par les mĂ©dias occidenÂtaux. En connaissant personnelleÂment des Russes, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas tellement diffĂ©Ârents de nous. Il est vrai qu'il y a des prisonniers politiques, mais il n'en demeure pas moins qu'ils ont rĂ©glĂ© ce problème depuis Staline, alors que des millions de gens Ă©taient incarcĂ©rĂ©s. De toute façon, les États-Unis donnent leur appui Ă des rĂ©gimes politiques qui violent les droits de la personne et, Ă cet Ă©gard, ces rĂ©gimes sont cent fois pires que celui de l'Union soviĂ©tiÂque. Le Salvador, les Philippines et le Chili en sont quelques exem-
pies. En URSS, les gens ne sont pas exterminés par des brigades de la mort, comme dans certains pays alliés des États-Unis.
De plus, les apĂ´tres de cette approche « douce » face Ă l'URSS soulèvent le fait que l'Union soviĂ©Âtique a votĂ© Ă maintes reprises — avec la grande majoritĂ© des autres
pays rĂ©unis aux Nations Unies — des motions en faveur du dĂ©sarÂmement. Les États-Unis ont Ă©tĂ© l'un des seuls pays Ă les rejeter. Ce sont les AmĂ©ricains, non pas les SoviĂ©Âtiques, qui ont pris l'initiative de la course aux armements en invenÂtant presque toutes les nouvelles armes nuclĂ©aires. Les SoviĂ©tiques ont Ă©tĂ© « obligĂ©s » de moderniser leur Ă©quipement, accusant un retard de trois Ă quatre ans (Wallis, 1982, p. 34). Pour la première fois, les deux superpuissances sont Ă peu près au mĂŞme niveau, au grand dĂ©plaisir des États-Unis qui persisÂtent toujours Ă vouloir conserver leur avance. Ce sont eux, et non les Russes, qui sont Ă blâmer.
MĂŞme si ces propos contiennent des vĂ©ritĂ©s irrĂ©futables, il n'en demeure pas moins qu'ils ne conÂvaincront pas beaucoup de citoyens canadiens. Il est peu probable qu'ils fassent volte-face en cessant de donner leur appui Ă la position dure de Reagan et de Thatcher pour aller vers l'autre extrĂŞme, c'est-Ă -dire vers un endossement unanime de la position soviĂ©tique. Les gens rĂ©aÂgissent vivement lorsqu'un orateur semble passer sous silence les vioÂlations des droits de la personne en Union soviĂ©tique ainsi que sa domination des pays de l'Europe de l'Est, ou son invasion de l'AfÂghanistan. En voulant attĂ©nuer l'imÂportance de ces problèmes, l'oraÂteur se verra attribuer l'Ă©tiquette de « dupe ».
2. Bien sĂ»r que les Russes sont dangereux, mais c'est parce qu'ils ont peur. Cette perspective n'arrive pas Ă passer sous silence le caracÂtère agressif et rĂ©pressif du rĂ©gime soviĂ©tique. Cependant, cette expliÂ
cation est diffĂ©rente de celle proÂposĂ©e par les anti-communistes endurcis et est adoptĂ©e par la pluÂpart des pacifistes.
Le raisonnement se dĂ©crit comme suit : les Russes ont Ă©tĂ© envahis Ă cinq reprises. Quatorze nations occidentales, y compris les États-Unis, les ont envahis en 1920 pour mettre fin Ă la RĂ©volution. Durant la Deuxième Guerre monÂdiale, plus de 20 millions de SoviĂ©Âtiques ont Ă©tĂ© tuĂ©s par les Nazis. Ils sont très prĂ©occupĂ©s de la quesÂtion de la sĂ©curitĂ© Ă leurs frontièÂres et dĂ©sirent maintenant une zone tampon de pays alliĂ©s. Ils sont rareÂment intervenus en des rĂ©gions Ă©loiÂgnĂ©es, comme ce fut et reste souÂvent le cas pour les États-Unis, mais tout pays voisin Ă©tablissant un système anticommuniste peut s'atÂtendre Ă une riposte vigoureuse de l'URSS. La peur des Russes les rend particulièrement dangereux. De façon Ă rĂ©duire leur anxiĂ©tĂ© et la possibilitĂ© d'une guerre, nous devons Ă©viter Ă tout prix de les intiÂmider militairement. Nous devons faire preuve de notre volontĂ© de dĂ©sarmer. Mais ne leur tordons pas les bras ; rĂ©duisons la pression et observons leur rĂ©action.
C'est Ă ce moment-lĂ que d'auÂtres personnes dans la salle lèvent la main. Quelqu'un demande : « Peut-ĂŞtre, mais voyez de quelle façon ils font taire leurs dissidents ; ce n'est certainement pas parce qu'ils ont peur de nousl »
Les pacifistes ont plusieurs rĂ©ponses diffĂ©rentes Ă cette quesÂtion. Un orateur pourra rĂ©pondre :
Leur rĂ©pression interne vient aussi de la peur — la peur qu'a le gouvernement des citoyens ordinaires. Il croit en gardant un contrĂ´le sĂ©vère Ă©viter des protestations pouÂvant amener un chaos politique et, ultime-ment, sa chute.
D'autres pacifistes ont une vision très diffĂ©rente de la question. Ils prĂ©tendent que la rĂ©pression en Union soviĂ©tique n'est pas motivĂ©e par une crainte spĂ©cifique du gouÂ
vernement, mais relève de la traÂdition. Les tsars ont toujours Ă©tĂ© des tyrans ; les citoyens soviĂ©tiques sont accoutumĂ©s Ă cette pratique et ne dĂ©sirent pas de changement. Ils dĂ©nigrent les dissidents et croient que ceux-ci sont mieux en prison. Ils ne croient pas aux notions d'inÂdividualisme et de libertĂ© personÂnelle. Il est impossible pour nous de changer leur culture et de les faire penser comme nous. Ça ne veut pas dire pour autant qu'ils soient intĂ©ressĂ©s Ă nous attaquer. Sur le plan international, ils veulent la paix.
Il est probable que ni l'une ni l'autre de ces interprĂ©tations ne soit correcte ; la vĂ©ritĂ© se situe quelque part entre ces deux points de vue. Cependant, aucune de ces rĂ©ponÂses, ou combinaison de rĂ©ponses, ne satisfera pleinement l'auditeur canadien. Aucune de ces approÂches ne propose des mĂ©thodes claiÂres et pratiques pour faire face aux SoviĂ©tiques. Quelles que soient les raisons de la rĂ©pression intĂ©rieure, elle n'en demeure pas moins un point Ă©pineux pour les Occidentaux. Il existe, cependant, une troisième interprĂ©tation possible.
3. L'Occident doit Ă©viter de polaÂriser ses relations avec le bloc de l'Est L'ambivalence est malheureuÂsement un Ă©tat mental indĂ©sirable. D'habitude, la façon simpliste de penser est de blâmer ses ennemis pour ses problèmes et de justifier les actions de ses amis. Ceci expliÂque la polarisation qui existe entre les pays du pacte de Varsovie et ceux de l'OTAN. Selon certains pacifistes canadiens — en particuÂlier les Mennonites et les QuaÂkers — toute amĂ©lioration doit comÂmencer par des efforts pour jeter un pont entre ces perspectives opposĂ©es. Ils insistent sur le fait que l'on doit apprendre Ă traiter ses « amis » et ses « ennemis » avec le mĂŞme respect, sans approuver ou dĂ©sapprouver leurs actions. L'harÂmonie vient quand on maintient les communications ouvertes ; on doit
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chercher les terrains propres Ă une entente tout en ne nĂ©gligeant pas les points de vue qui nous sont chers. En faisant affaire avec les SoviĂ©tiques, il faut savoir prĂ©senÂter nos points de vue de façon consÂtructive mĂŞme s'il s'agit de points qui nous touchent profondĂ©ment, comme la question des droits de la personne.
Cette approche nécessite le maintien d'un équilibre délicat, une ambiguïté difficile à maintenir. Il est courant d'identifier les Russes comme amis ou ennemis et de bâtir les relations avec eux sur ces bases.
Les orateurs ayant une telle attiÂtude semblent frustrer leur auditoire qui s'empresse de leur demander : « Mais de quel cĂ´tĂ© ĂŞtes-vous donc ?» La solution Ă la prĂ©sente impasse sera une vision mieux balancĂ©e des choses. Le Canadien moyen a certes raison de considĂ©rer la sociĂ©tĂ© soviĂ©tique comme rĂ©presÂsive, et peu de nous dĂ©sireraient y vivre. Cela ne constitue pas pour autant une raison valable du mainÂtien de l'arsenal de l'OTAN.
Le rĂ´le du mouvement pour la paix (non encore rĂ©alisĂ©) est de prĂ©Âsenter aux Canadiens un mode acceptable et comprĂ©hensible d'Ă©tablissement de rapports avec le rĂ©gime soviĂ©tique, sans pour autant trahir son propre idĂ©al de libertĂ©.
Les facteurs Ă©conomiques de la course Ă l'armement
Les gens s'engagent facilement dans des discussions ambiguĂ«s sur la dissuasion et la question russe. Ils ne sont pas particulièrement empressĂ©s de soulever la question de l'emploi, question dĂ©licate puisÂque la promotion du militarisme peut relever de raisons strictement Ă©coÂnomiques. Cependant, la question demeure prĂ©sente et elle influence plus de dĂ©cisions politiques qu'on ne l'admet. Il n'y a pas de doute que ce sont les dĂ©penses du gouÂvernement durant la Deuxième Guerre mondiale qui ont mis fin Ă la dĂ©pression. Cette conclusion fait partie de la mythologie populaire ; les dĂ©penses militaires sont souÂvent associĂ©es Ă une Ă©conomie saine, de plein emploi.
Il est nĂ©cessaire de contredire cet argument, autrement le dĂ©sarÂmement ne deviendra jamais une politique populaire.
Le problème est trop complexe pour ĂŞtre rĂ©glĂ© rapidement. Les Ă©coÂnomistes sont incapables de faire des prĂ©visions adĂ©quates ; les derÂnières dĂ©cennies nous l'ont monÂtrĂ©. MalgrĂ© ces embĂ»ches, certains groupes pacifistes ont essayĂ© de penser la question. Le projet de reconversion des missiles de croiÂsière constituait une pression Ă©nerÂgique en vue de l'utilisation Ă des fins humanitaires des fonds octroyĂ©s Ă la compagnie Litton, proÂductrice du système de guidage du Cruise. L'initiative chrĂ©tienne pour la paix a de mĂŞme mis l'accent sur ce point tout en utilisant un discours acceptable pour les leaders religieux.
Certains faits peuvent ĂŞtre mis en Ă©vidence dans la relation militarisme-Ă©conomie. Des statisÂtiques fournies par le dĂ©partement de la Main-d'oeuvre amĂ©ricain indiÂquent que les dĂ©penses militaires sont gĂ©nĂ©ratrices de peu d'emplois ; une telle production monopolise des capitaux et fournit très peu d'emÂplois. Pour chaque dollar investi
dans d'autres secteurs — construction, éducation et à peu
près n'importe quel autre — plus d'emplois sont créés que dans le secteur militaire (Sivard, 1981, P. 20).
De plus, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© dans une Ă©tude comparative sur la proÂductivitĂ© de diverses nations indusÂtrialisĂ©es que plus leurs dĂ©penses militaires sont Ă©levĂ©es, plus leur taux de productivitĂ© s'abaisse. Par ce fait mĂŞme, elles sont de moins en moins capables de rivaliser sur les marchĂ©s internationaux (Sivard, 1981, p. 19).
Toutefois, de telles Ă©vidences sont insuffisantes face aux prĂ©ocÂcupations d'ordre rationnel. Les budgets militaires ont prĂ©sentement atteint des proportions importantes. Plusieurs questions doivent ĂŞtre posĂ©es quant aux effets de coupuÂres radicales et d'un rĂ©investisseÂment de ces sommes d'argent dans des productions Ă fin pacifique. La question la plus sĂ©rieuse est celle des effets d'une telle reconvervion sur la demande d'objets de conÂsommation. Ă€ moins que la demande reste forte et constante, plusieurs usines devront fermer leurs portes. Le matĂ©riel militaire possède un avantage pour ses proÂducteurs : il devient vite caduc et doit constamment ĂŞtre remplacĂ©, mĂŞme s'il n'a jamais Ă©tĂ© utilisĂ©. Il est aisĂ© de produire des armes sans jamais se soucier d'un surplus qui pourrait diminuer la demande. La reconversion de ce matĂ©riel en proÂduits socialement utiles crĂ©erait un nouveau marchĂ©, vulnĂ©rable aux fluctuations de la demande (Simoni, 1984, p. 74-100).
Ce n'est probablement pas lĂ un problème très sĂ©rieux. Les pays du Tiers-Monde qui achètent de la technologie militaire aux pays indusÂtrialisĂ©s pourraient contrĂ´ler leurs achats d'outils ou d'autres produits utiles. MĂŞme s'il existe des limites aux besoins des consommateurs des pays riches, les besoins essenÂtiels des pays pauvres restent Ă
combler. En admettant que nous puissions trouver une façon de faire la transition de façon ordonnée, il n'y a aucune garantie que nous soyons capables de répondre à leurs besoins, même en faisant un effort adéquat.
D'autre part, il est clair que le gaspillage dans les sociĂ©tĂ©s capiÂtalistes ne pourra pas durer indĂ©Âfiniment. Les ressources seront bientĂ´t Ă©puisĂ©es. Un niveau de vie un peu plus modeste et une plus grande Ă©galitĂ© entre pays riches et pauvres, voilĂ un concept qui deviendra rĂ©alitĂ© par la force des choses, mĂŞme si nous ne faisons pas volontairement des efforts dans ce sens (ONU — DĂ©sarmement et dĂ©veloppement).
Un virage en direction d'un Ordre Ă©conomique international, tel que proposĂ© par les nations du Tiers-Monde, est une tâche politiÂque aussi imposante que l'objecÂtif du dĂ©sarmement. Dans un preÂmier temps, se crĂ©eraient des insÂtitutions capables d'administrer des sociĂ©tĂ©s multi-nationales et des systèmes bancaires internationaux, contrĂ´lĂ©s Ă l'heure actuelle par aucune nation particulière.
Certains organismes pour la paix ont assumĂ© ce dĂ©fi en Ă©tudiant des recommandations en ce sens. Le projet Ploughshares aborde aussi la militarisation dans le conÂtexte des besoins humains. Un proÂjet Ă©ducatif Ă long terme est mainÂtenant mis sur pied par le CCCI (Conseil canadien de la coopĂ©raÂtion internationale), un organisme qui coordonne le travail des grouÂpes de dĂ©veloppement international.
Le chat est sorti du sac Malgré toute la persuasion dont
pourraient faire preuve les travailÂleurs pour la paix sur les points mentionnĂ©s, plusieurs membres de l'auditoire soulèveront un argument d'importance : l'expertise dans le domaine nuclĂ©aire n'est plus très rare. Un adolescent du niveau
secondaire a conçu une bombe parÂfaitement capable d'exploser, il ne s'est servi que de connaissances acquises Ă l'Ă©cole. N'importe quel groupe terroriste peut se procurer une bombe. MĂŞme en dĂ©samorçant toutes les bombes de la terre, l'huÂmanitĂ© n'oubliera pas de sitĂ´t comÂment en fabriquer de nouvelles (Schell, 1982).
VoilĂ le point ultime et fatal de la question. Cependant tous ne sont pas dĂ©faitistes Ă ce sujet : certains pacifistes canadiens ont des sugÂgestions rĂ©alistes Ă offrir pour qu'une telle possibilitĂ© soit rĂ©duite au maximum.
Bien que l'expertise nuclĂ©aire soit facile Ă acquĂ©rir, le matĂ©riel fis-sible, lui, ne l'est pas. Donc, les groupes qui se sont vouĂ©s Ă l'arÂrĂŞt de la prolifĂ©ration de l'Ă©nergie nuclĂ©aire sont aussi les premiers groupes Ă proposer des mĂ©thodes pour contrĂ´ler la fabrication d'arÂmes nuclĂ©aires. L'Ă©nergie nuclĂ©aire est maintenant reconnue comme une idĂ©e problĂ©matique tant au niveau Ă©conomique qu'au niveau de la sĂ©curitĂ©. S'il y a prolifĂ©ration de nouveaux rĂ©acteurs, la localisaÂtion du matĂ©riel fissible pourrait devenir impossible. Si l'AlEA (Agence internationale d'Ă©nergie atomique) prenait de l'expansion, elle serait davantage en mesure de localiser le matĂ©riel fissible utile Ă la fabrication de bombes.
Il est Ă©vident que ces problèmes nĂ©cessitent des solutions au niveau international et au-delĂ des actuelÂles options politiques. Il y a nĂ©cesÂsitĂ© de lois internationales Ă grande Ă©chelle. Le Canada ne connaĂ®t pas de carences en ce qui a trait aux groupes de paix visionnaires, puisÂque certains ont fait des proposiÂtions en ce sens depuis de nomÂbreuses annĂ©es. Les FĂ©dĂ©ralistes mondiaux et l'Association pour les Nations Unies font figure de chefs de file dans ce domaine. Leurs proÂpositions Ă long terme mĂ©ritent l'atÂtention du public malgrĂ© un retard d'au moins trente ans. La fin du
monde n'est pas encore arrivée ; il s'agit de profiter de la période de sursis dont nous disposons.
Le travail au niveau des idées et le mouvement pour la paix
La recherche de Neil Smelser (1963) sur la sociologie du comporÂtement collectif dresse la liste de plusieurs types de conditions nĂ©cesÂsaires Ă l'Ă©mergence des mouveÂments sociaux. Ce que nous appeÂlons « conditions propices structuÂrelles » est le type d'approche le plus utilisĂ© dans le cadre d'une recherche empirique. Le coup d'oeil que nous jetons dans cet essai sur la structure politique et sociale au Canada ne nous rĂ©vèle rien gĂŞnant l'expansion d'un mouvement social favorable au dĂ©sarmement nuclĂ©aire. Cependant, ce mouveÂment n'a pas gagnĂ© l'Ă©lan souhaitĂ© devant les risques d'une guerre nuclĂ©aire qui vont grandissant.
Tel que mentionnĂ© ci-haut, les limites du mouvement doivent ĂŞtre expliquĂ©es Ă partir d'une autre optiÂque. Les coĂ»ts de participation sont peu Ă©levĂ©s en comparaison de ceux Ă en tirer et de nombreux individus sont conscients des coĂ»ts entraĂ®ÂnĂ©s par le manque de contrĂ´le de la course aux armements. Cette sensibilisation, semble-t-il, ne les pousse pas Ă agir. Ils ont besoin de plus que cela, c'est-Ă -dire de ce que Smelser appelle une « croyance gĂ©nĂ©ralisĂ©e ». Pour s'en-
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gager dans un mouvement de proÂtestation visant un changement social, un individu doit possĂ©der une analyse claire de la situation, des buts poursuivis et des raisons de l'action. Une telle clartĂ© des idĂ©es n'est pas encore apparue au sein du mouvement pour la paix au Canada.
Les Ă©lĂ©ments essentiels d'une « croyance gĂ©nĂ©ralisĂ©e » qui pourÂrait devenir la base d'un tel mouÂvement sont les suivants :
1- Les armes nuclĂ©aires ne sont pas synonymes de sĂ©curitĂ©, mais plutĂ´t d'insĂ©curitĂ©. La dissuasion n'est pas organisĂ©e en vue de la dissuasion de l'agression et consÂtitue plutĂ´t la façon la plus sĂ»re de la faire apparaĂ®tre ;
2- La vĂ©rification est un but rĂ©aÂliste qui doit ĂŞtre poursuivi inlassaÂblement si l'on veut assurer un dĂ©sarmement sĂ©curitaire ;
3- L'Union soviĂ©tique, malgrĂ© certains aspects regrettables, n'est pas insensible aux gestes pacifiÂques. Son attitude dĂ©fensive s'exÂplique en tant que contre-partie de l'attitude dĂ©fensive de l'Occident, attitude qui est issue de la mĂŞme source, c'est-Ă -dire de la peur. AttĂ©Ânuer le sentiment de peur est posÂsible si on rĂ©duit les menaces, mais non si on les augmente;
4- L'Ă©conomie ne bĂ©nĂ©ficie pas des dĂ©penses militaires ; au conÂtraire elle en souffre. FinancièreÂment nous pouvons nous permetÂtre de dĂ©sarmer, et ce faisant rĂ©aÂ
liser probablement des gains financiers ;
5- La prolifération d'armes nucléaires peut être prévenue par des engagements régis par des lois internationales et surveillés ou régis par des agences internationales de contrôle et par le développement des sources alternatives d'énergie.
Il ne suffit pas de savoir que la planète est en danger. L'absence d'une ou de plusieurs des croyanÂces Ă©numĂ©rĂ©es ci-haut suffit Ă dĂ©courager la participation aux mouvements pour la paix, mĂŞme par des personnes qui sont pleineÂment conscientes de l'Ă©ventuelle catastrophe causĂ©e par un Ă©change nuclĂ©aire. Chaque point Ă©numĂ©rĂ© est complexe et sujet Ă discussion et l'opinion populaire n'a gĂ©nĂ©raÂlement pas Ă©tĂ© en accord avec les militants sur ces questions.
Le dĂ©veloppement de la sensiÂbilisation du public sur ces sujets est compromis par les effets proÂbables d'une « dissonance cogniÂtive ». Cela signifie qu'il est difficile d'inciter les individus Ă changer leurs opinions une Ă une. L'esprit tente de maintenir une cohĂ©rence au niveau de ses opinions en mainÂtenant un système plus global. Lorsqu'on change l'opinion sur l'un des points ci-haut traitĂ©s, un Ă©tat de « dissonance » est crĂ©Ă©. Cet Ă©tat d'inconsistance subjective et d'amÂbivalence se traduit gĂ©nĂ©ralement par un Ă©tat de stress.
Pour ces raisons, lorsqu'un pacifiste tente de convaincre son auditoire de ses erreurs de jugeÂment, ces points reviennent Ă la surÂface, crĂ©ant un flot d'idĂ©es qui rejoiÂgnent rarement les attentes paciÂfistes. Un effort concret de la part des intellectuels est donc un besoin urgent. Les citoyens ordinaires n'ont pas la patience requise pour Ă©vaÂluer les composantes d'un système d'opinions d'une telle complexitĂ© ; ils sont frustrĂ©s par les difficultĂ©s du sujet, ce qui les pousse souvent Ă abandonner la partie.
La construction d'une nouvelle
vision cohĂ©rente du monde est une responsabilitĂ© des intellectuels. Les intellectuels devraient la commuÂniquer Ă leurs Ă©tudiants ou Ă la presse populaire sous une forme comprĂ©hensible. Les intellectuels, au Canada, sont probablement intiÂmidĂ©s et avec raison par l'envergure de ce dĂ©fi. Pas plus que le CanaÂdien moyen, ils ont acceptĂ© ce dĂ©fi, ce qui prouve clairement leur inconscience vis-Ă -vis la gravitĂ© de la situation. Leur Ă©chec en est un d'endurance mentale et de courage. Les esprits formĂ©s Ă un travail vigoureux ont maintenant une chance unique de s'engager hĂ©roĂŻÂquement. La situation fâcheuse Ă laquelle nous faisons face a Ă©tĂ© proÂduite par l'imagination humaine. Si les intellectuels n'arrivent pas Ă releÂver ce dĂ©fi, on peut s'attendre au plus grand dĂ©sastre de toute l'hisÂtoire de l'humanitĂ©.
La nature n'a jamais mis en pĂ©ril la survie de notre espèce ; nous sommes nos propres pires enneÂmis. Il y a peu d'espoir. Ce fatalisme n'est rien d'autre qu'une prophĂ©Âtie que nous profĂ©rons et qui s'au-torĂ©alise. Nous imaginons le pire et nous ne faisons rien pour empĂŞÂcher qu'il ne se concrĂ©tise. Il est vain de prĂ©tendre que quelque chose de meilleur surviendra, et c'est sombrer dans le mal suprĂŞme que de se laisser victimiser par nos habitudes de travail indolentes. La prophĂ©tie sort de notre propre bouÂche, et sa rĂ©alisation dĂ©pend de nos actions.
Metta Spencer Université de Toronto
Traduit par Yves Prescott Service d'information sur le
désarmement, Montréal.
NOTES 1 Bernard Bereanu, « The Self-Activation
of the World Nuclear Weapons System », Journal of Peace Research, 20,1,1983.
2 Paul Ehrlich et ai, « Long-Term BioloÂgical Consequences of Nuclear War », Science, 222, 23 dec. 1983.
3 Leon Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance, New York, Row, Peterson, 1957.
4 Amory B. Lovins, Energy/War : Breaking the Nuclear Link, New York, Harper and Row, 1980.
5 Alan Newcombe, The Prediction of War, Dundas, Ont., Peace Research Institute — Dundas, 1982.
6 Mancur Olson, The Logic of Collective Action : Public Goods and the Theory of Groups, New York, Schocken, 1965.
7 Charles Osgood, An Alternative to War or Surrender, Urbana, III., University of Illinois Press, 1962.
8 Carl Sagan, « Nuclear War and ClimaÂtic Catastrophe : Some Policy ImplicaÂtions », Foreign Affairs, hiver 62, p. 257-92.
9 Jonathan Schell, The Fate of the Earth, New York, Avon, 1982.
10 Arnold Simoni, Crisis and Opportunity, New York, Schocken, 1984.
11 J. David Singer, « Accounting for InterÂnational War, The State of the Discipline », Annual Review of Sociology, Annual Reviews, Palo Alto, Calif., 1980.
12 Ruth LĂ©ger Sivard, World Military and Social Expenditures, Leesburg, Va., World Priorities, 1981.
13 Neil J. Smelser, A Theory of Collective Behavior, New York, The Free Press of Glencoe, 1963.
14 R.P. Turco, « Nuclear Winter : Global Consequences of Multiple Nuclear ExploÂsions », Science, 222, 1983, p. 1283-92.
15 United Nations, Disarmament and DeveÂlopment, ST/ECA/174, New York, United Nations Publications Sales Number E.73.IX.1, 1981.
16 Michael Wallace, Accidental Nuclear War : A Risk Assessment, Paper presenÂted to the Second World Congress of Arts and Sciences, Erasmus University, Rot-terdamn, Netherlands, juin 1984.
17 Jim Wallis, Waging Peace, New York, Harper and Row, 1982.
18 Edward J. Walsh et Rex H. Warland, « Social Movement Involvement in the Wake of a Nuclear Accident : Activists and Free Riders in the TMI Area », Ame-rican Sociological Review, 49, 6, dec. 1983, p. 764-80.
19 Lord Solly Zuckerman, Nuclear Illusion and Reality, New York, Random House, 1982.