Thirion Noé – PSL Janvier 2013
Qu’est-ce qu’une révolution scientif ique ?
La conception commune tend à présenter le progrès scientifique dans sa
dimension linéaire et cumulative, c’est-à-dire que les différentes avancées technologiques,
les perfectionnements successifs, la toujours plus grande spécialisation des chercheurs
induite par la division du travail, contribuent à forger une connaissance du monde
toujours plus approfondie et plus vraie. Par exemple, notre conception actuelle de la
nature de la matière est présentée comme bien plus vraie que la perception antique de la
question. Les liens de causalité unissant les différents évènements sont progressivement
précisés et érigés en lois universelles dans le but de mettre à jour un ordre parfait, dont
pourrait potentiellement surgir un déterminisme absolu, visible par un hypothétique Dieu
omniscient. Ainsi, la valeur d’une théorie ou d’une science est avant tout conçue selon sa
valeur de vérité, c’est-à-dire son adéquation avec le milieu observé, postulé comme
commun à tous les êtres vivants. De ce fait, on pourrait concevoir une sorte de
« progrès », une amélioration des connaissances humaines par un procédé cumulatif,
c’est-à-dire que les découvertes antérieures contribueraient directement aux
développements ultérieurs. C’est d’ailleurs à cette interprétation que nous invite
l’étymologie du mot « science », scientia, signifiant « connaissance » en latin, dans un lien
direct à la compréhension du réel. Loin des problèmes ethnocentriques que soulève
l’interprétation du sens par son étymologie, je vous invite à admettre momentanément
cette conception de la science, et par extension, celle du mot « scientifique ».
Dès à présent, il convient, comme nous y invite le sujet, d’associer à l’adjectif
« scientifique » le terme « révolution ». L’acception historique du terme reste très
influencée par le souvenir de la révolution française au XVIIIe siècle, affirmant « la
révolution » comme une période de rupture et d’intenses bouleversements, marquée par
des changements induisant la remise en cause de l’ordre établi. Elle implique souvent une
dimension définitive malgré la rapidité des modifications qu’elle implique, et sous-entend
une certaine étendue, son impact se répercutant sur l’ensemble de la société. Cette
conception s’accorde convenablement avec la vision énoncée plus haut de « la science » :
la science progresserait vers son idéal de vérité, dont les multiples crises ne seraient qu’un
réajustement des théories, le rétablissement d’une progression naturelle et une meilleur
approximation de la réalité par les lois ainsi établies.
Cependant, cette interprétation du terme « révolution » est plus ou moins
erronée, son acception première est tout autre ; Etymologiquement, le terme
« révolution » est issu de la racine latine revolutionem, formé à partir du préfixe « re »
indiquant l’idée d’un recommencement cyclique, accolé à la racine formée à partir du
verbe latin volvere signifiant « rouler ». Littéralement, le terme révolution signifie ainsi
« rouler en arrière » : c’est l’idée de l’achèvement d’un cycle. D’emblée, une première
contradiction fait jour, avec une contradiction entre le sens littérale du mot, et celui que
lui a conféré l’usage commun et historique. En effet, une « révolution » comme
achèvement d’un cycle est un terme couramment utilisé selon cette conception en
science physique par exemple, avec l’idée du cycle périodique d’un astre, ou la rotation
d’un mobile autour d’un axe ; le terme « révolution » étant défini par Grégoire Le Grand
dans Dialogues comme « Le retour périodique d’un astre à un point de son orbite ». La
révolution, c’est l’idée d’un cycle qui se répète, du cycle des saisons, des astres,
parfaitement modélisés par l’image du cercle. La conception cyclique du temps par les
grecs de l’Antiquité dégage éventuellement une compréhension historique du terme avec
la volonté d’un retour à un âge d’or passé. Cette contradiction entre l’étymologie et
l’usage habituel est directement du à une contradiction dans la sémantique même des
mots. Cette deuxième conception du mot « révolution » me semble plus intéressante à
étudier que l’usage commun, forgé par le passé historique français.
Ainsi, il convient de s’interroger sur la manière de concilier dans les révolutions
scientifiques, la dimension cyclique de la révolution avec la conception cumulative du
progrès scientifique.
1. La Question de la Vérité scientifique
LES LIMITES DU PROGRÈS CUMULATIF
N’est-il pas évident que l’Homme s’approche après chaque découverte un peu
plus de la vérité ? Qui oserait aujourd’hui prétendre qu’Einstein n’a pas dépassé
Newton ? La croissante division du travail permet de génération en génération une
spécialisation plus poussée dans la plupart des domaines scientifiques, ce qui permet de
multiplier les découvertes jusqu’à acquérir des connaissances de plus en plus pointues.
Chaque individu nait dans cette vision du monde et celle-ci l’imprègne entièrement.
Il convient néanmoins de constater un paramètre que la science a longtemps
négligé dans ses recherches : la présence de l’observateur. Bien que partiellement ignorée
par la science, la philosophie considère pleinement la pensée du sujet et nous invite à un
regard critique et acéré sur le concept de vérité, et par extension de «vérité scientifique ».
Finalement, je ne connais le Monde que par moi et à travers moi, ces objets que je
perçois, que je sens, puis-je vraiment me baser sur eux pour fonder une réalité universelle
dans laquelle évolueraient tous les humains côte-à-côte ? Sans rentrer profondément dans
la philosophie cartésienne, René Descartes nous invite à nous plonger dans des eaux
troubles, desquels on ne ressort jamais indemne. Cependant, malgré le questionnement
incessant sur l’existence des choses extérieures à soi, malgré l’effondrement des repères et
des valeurs, nous nous débattons rageusement dans l’absolu pour tenter de garder la tête
hors de l’eau. Nos récepteurs sensoriels, par lesquels nous captons et interprétons
l’ensemble des stimuli extérieurs (et ce point est discutable) sont particuliers à chaque
individu, ne réceptionnent qu’une part spécifique et réduite des stimuli extérieurs et
contribuent à lui créer une réalité qui lui est propre. Ce relativisme, ou scepticisme a
longtemps été critiqué pour l’inaction qu’il était sensé engendrer, l’accusation du fameux
« tout ce vaut » est vite venu à bout de la motivation des sceptiques du dimanche après-
midi. Cependant, cet état où toutes les valeurs se sont évaporées n’est pas un état définitif
et stérile, c’est au contraire le départ d’un processus de construction authentique de
repères personnels, propres à chaque individu, dont les fondations s’enfonceront bien
plus profondément dans l’Absolu que celles basées sur des prénotions inculquées par la
société à la naissance.
Le problème posé par l’observateur et par les moyens d’observation a
notamment été mis en avant par Niels Bohr, scientifique très largement impliqué dans
l’élaboration de la théorie quantique. En effet, l’observateur n’est pas neutre dans le
milieu qu’il observe : il en fait partie et l’influence très largement. Ce phénomène, déjà
explicité dans les sciences sociales, conduit par exemple à la modification du
comportement de la population observée lors de la présence du sociologue dans la tribu.
De ce fait, l’ensemble des mesures sont faussées si on ne prend pas en compte l’impact
de l’observateur, et on attribue une valeur toute relative à des résultats qui ne sont créés
que par la présence du scientifique. Ainsi, à l’échelle quantique, la présence ou l’absence
d’observateur au moment de la réalisation du phénomène modifie complètement le
résultat final obtenu. Bohr n’interprète pas cela dans le domaine quantique comme une
influence de l’observateur sur l’expérience en cours, mais plutôt sur le fait que
l’instrument de mesure manié par l’homme ne retient qu’un seul résultat, tandis les
potentialités et possibilités d’interprétation sont multiples par la superposition simultanée
d’états différents.
Ainsi, bien que l’idée d’une vérité scientifique cumulative soit attirante de prime
abord, lorsque l’on introduit le sujet pensant dans ces réflexions, il est bien difficile de
pouvoir affirmer connaître quelque vérité, si ce n’est sur soi-même, et encore moins des
vérités scientifiques, sensées apporter des constantes universelles et stables.
UNE NOUVELLE DÉFINITION DU PROGRÈS SCIENTIFIQUE
Sur quels critères convient-il de ce fait de fonder la vérité scientifique ? Si chaque
individu dispose d’une réalité particulière, comment arriver à une unité et à un progrès
commun ? Il me semble que ce qui permet aux singularités de cohabiter et d’interagir,
c’est la norme et la convention à l’origine d’une réalité commune. Ainsi, d’une certaine
manière, même si le fond est mouvant, nous parvenons à créer une structure solide et
cohérente par le fait qu’elle établit artificiellement des ponts entre les singularités. Le mot,
par exemple, n’a aucun sens réel en lui-même, aucune « vérité propre » si je puis-dire ;
c’est l’association d’un motif perçu visuellement et d’un son. Cependant, nous avons
attaché un sens commun ou « définition » à ce terme, permettant une utilisation
consensuelle par la communauté ; bien que chaque individu soit à même potentiellement
de se forger sa propre interprétation et compréhension de chaque terme, il convient d’en
connaître l’usage commun, car il permet une interaction efficace avec les autres
singularités. De même manière, le rôle primordial de l’éducation n’est pas en soi
d’apporter des connaissances, mais bien de créer des repères communs et des
connaissances partagées. Ainsi, la convention paraît être au fondement même du tissu
social.
D’une certaine manière, y-a-t-il quelque chose de plus détestable que la
convention ? La convention est une paralysie de la créativité, un emprisonnement dans la
facilité des prénotions. Bien qu’il convient avant tout de s’émanciper de ces conventions,
une base solide est cependant indispensable pour permettre la vie en société, et il s’agirait
plus, pour l’artiste il me semble, de remanier les conventions, de les explorer d’une
manière non-conventionnelle justement, plutôt que de tout détruire et se projeter dans le
chaos.
Ainsi, la qualité d’une théorie scientifique ne se définit pas par sa correspondance
avec le réel, car nous n’avons aucune certitude vis-à-vis de celui-ci, mais uniquement par
rapport à son efficacité et à la progression qu’il permet. En soi, le point de vu religieux
sur le monde n’est pas foncièrement faux ni inutile, il permet en outre de donner une
première explication aux phénomènes observables, mais la science comme modèle
explicatif a permis à l’Homme de biens plus grands progrès dans sa réflexion. Les
mathématiques ont en ce sens permis un grand progrès par l’établissement d’un langage
« objectif » et univoque, dont on aurait éliminé toutes les fluctuations sémantiques
possibles. D’une certaine manière, cela peut être évidemment conçu comme limitatif,
mais permet pour l’instant un gain considérable d’efficacité.
Ainsi les théories scientifiques sont des moyens et des outils permettant une
amélioration, un progrès ou un gain en efficacité. De ce fait, il est particulièrement
intéressant d’étudier le concept de révolution scientifique, car c’est justement ce
changement de système explicatif qui permet une modification des conventions, un autre
aperçu du réel et une progression accrue, jusqu’à l’essoufflement du modèle. Ce qui
permet la persistance de ces théories, c’est avant tout une certaine cristallisation par
l’habitude. Dans un monde vidé de son sens, l’enjeu est de poser des nouveaux repères,
des points fixes à partir desquels progresser. Descartes nous a sans doute conféré le plus
solide, la certitude du « Moi » (mais peut être que le Moi se dissout quand nous
dormons ?). Le rôle des vérités scientifiques : établir des points de repère dans l’Absolu.
2. La révolution scientifique à l’origine d’un changement de paradigme
LE CONCEPT DE PARADIGME ET DE RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE
La définition au sens strict du paradigme est le « modèle » ou le « schéma », c’est-
à-dire tout ce qui laisse transparaitre une structure interne. Plus généralement, un
paradigme possède un champ d’application, un certain nombre de problèmes auxquels il
doit tenter d’apporter une réponse grâce à des solutions types formalisées. Le paradigme
s’affaiblit souvent au fur et à mesure qu’on le généralise aux différentes échelles du réel,
mettant à jour un nombre croissant de faiblesses ; lorsque le champ d’application est
particulièrement étendu, le paradigme devient impropre à donner un sens global cohérent
à des phénomènes à chaque fois particuliers. Le but d’un paradigme est de donner des
Ainsi, loin d’une conception
cumulative, le progrès scientifique serait bien
plus une succession de point de vue
permettant un progrès de l’individu dans un
contexte particulier. Cette idée de vérité
scientifique comme point de vue temporaire
a notamment été développé et formalisé par
Thomas Kuhn, épistémologue et historien
des sciences américain, dans un ouvrage
intitulé Les Structures des Révolutions
Scientifiques, paru en 1962, qui a marqué
l’histoire des sciences. Dans celui-ci, il
inaugure la notion de « paradigme », dont le
terme même fait désormais du vocabulaire
commun du scientifique. Tentons dès à
présent d’expliciter efficacement le terme de
paradigme, car il semble résoudre le
problème de la vérité perçue comme absolue.
KUHN, Thomas S., La Structure des révolutions scientifiques, 1962.
interprétations viables et cohérentes du maximum de phénomènes possible à toutes les
échelles afin de donner de solides points d’appui à la communauté scientifique. Tentons
de donner une définition définitive : un paradigme s’affirme comme « un ensemble de
règles ou de normes admises et utilisées par la communauté scientifique afin d’étudier les
faits délimités et problématisés par ce paradigme ».
Le paradigme est un ciment et une boussole pour le groupe. Ciment, car il
constitue un ensemble de contenus théoriques et de valeurs, de savoirs partagés.
Boussole, car il indique les problèmes importants ainsi que les solutions déjà prouvées.
Les paradigmes posent des repères dans l’absolue, desquels il faut se saisir si l’on ne veut
pas sombrer dans la folie.
Tant qu’il est viable et qu’il permet une progression, le paradigme est étoffé, et
parfois modifié, ajusté ou précisé selon de nouvelles conditions, souvent plus précises et
plus strictes. C’est par exemple le cas en mathématique ; les axiomes posés par Euclide
sur l’unité et la nature de l’objet mathématique et géométrique ont donné naissance à une
arborescence de concepts dont les branches ne cessent de se ramifier.
Comme l’affirme Kuhn, chacun de nous développe sa propre perception de la
façon dont le monde extérieur fonctionne et l’intègre en tant que réalité objective dans
son périmètre de conscience. Le paradigme de la réalité permet une stabilisation et une
normalisation du réel tout en conférant à l’individu des repères clairs pour progresser.
Changement de paradigme Universum, C. Flammarion, gravure sur
bois, Paris 1888
Finalement, il y a autant de paradigmes que d’individus, ou
peut-être seulement le mien, ou le votre ; peut-être suis-je un
fragment de votre conscience, qui n’a pour but que de stimuler
votre réflexion sur la question paradigmatique ? Les
bouleversements dans les habitudes du sujet entrainent une
perte de repères qui le conduisent nécessairement à changer sa
vision du monde.
Revenons à présent sur le concept de révolution
scientifique. Elle se définit donc comme l’effondrement
d’un paradigme scientifique et la naissance d’un nouveau et
porte en elle historiquement, l’idée d’une interruption brutale et douloureuse. La
révolution scientifique est donc inextricablement liée au concept de paradigme.
LA STRUCTURE CYCLIQUE DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES
Thomas Kuhn, dans La Structure des révolutions scientifiques met en avant le caractère
cyclique du processus en formalisant des étapes claires qui se répètent à chaque
révolution scientifique, à l’origine de l’effondrement et de l’élaboration d’un nouveau
paradigme. Ainsi, l’épineux problème de la concordance entre le concept cyclique du
terme « révolution » et de la question de la « vérité scientifique » est résolu. Bien loin
d’être cumulative, la succession de paradigmes ne correspond qu’à une modification de
point de vue sur la question. Le processus de révolution scientifique est cyclique et réitère
des étapes similaires, la pensée évoluant par révolution !
Il y a ici d’intéressantes remarques à faire à propos de la contradiction ; celle-ci
demandant également à être dépassée. Comme énoncé ci-dessus, on observe en science
une succession de paradigme qui marque juste un changement de point de vue causé par
la modification même de l’esprit scientifique, lié aux conditions de l’époque. Un
changement d’échelle, de point de vue, de perception, de référentiels est effectué,
invalidant provisoirement le référentiel précédent. Cependant, le paradigme ainsi rejeté
n’est pas faux en lui-même, mais il ne correspond plus aux conditions nécessaires à la
progression. De ce fait, deux états historiques de la science ne sont pas contradictoire,
mais forment une dualité complémentaire. C’est notamment ce que relève Louis Broglie
Illusion d’optique : deux points de vue sur un
même objet
lors de l’étude de la diffraction des électrons par des cristaux, mettant à mal le principe de
non-contradiction cher à la philosophie : les électrons se présentent simultanément sous
deux aspects, un aspect ondulatoire et un aspect corpusculaire ; on parle de dualité onde-
corpuscule. Il affirme la nécessité d’adopter le principe de « complémentarité
contradictoire » plus que celui de la « non-contradiction ». D’une certaine manière,
l’enchainement des paradigmes correspond à cette complémentarité contradictoire.
• Le paradigme normal
Le paradigme normal s’affirme évidemment comme le paradigme en place à un
instant t. C’est celui dans lequel évoluent la plupart des chercheurs et scientifiques, et
surtout ceux qui ont contribués à son élaboration et/ou ont grandi à l’intérieur,
intériorisant la définition particulière des concepts qu’il propose. Le chercheur va tenter
,grâce aux problèmes et solutions types proposés par le paradigme, détendre son champ
d’application en laissant éventuellement de côté, souvent inconsciemment, les éléments
pouvant affaiblir le paradigme, tant qu’ils restent minoritaires.
• Accumulation de contradiction
Cependant, l’élargissement du paradigme à différentes échelles et le travail
constant des chercheurs à son élaboration et à son agrandissement conduit à la mise au
jour de plus en plus de contradiction, souvent aux échelles extrêmes du réel. La plupart
des théories trouvent ainsi un point de faiblesse à l’échelle de l’infiniment petit, l’échelle
de Planck, où toutes les lois de la causalité et de la physique se dissolvent, ou bien à
l’inverse à l’échelle cosmique. Le processus clef est celui de la perte de confiance dans la
valeur du paradigme, en sa capacité à expliquer le réel.
• Révolution scientifique
L’accumulation des contradictions peut aboutir jusqu’à un déséquilibre tel, que
l’on ne peut plus maintenir le paradigme en place. C’est la période de crise, durant
laquelle se déclenche la révolution scientifique ; de nouveaux paradigmes sont testés,
englobant, dépassant ou renouvelant totalement le précédent, jusqu’à en trouver un qui
soit capable d’expliquer de manière plus cohérente les problèmes précédemment
soulevés. De ce fait, la période « révolutionnaire » est marquée par le développement de
multiples alternatives, une réflexion sur les démarches et sur les objets d’études à
envisager prioritairement.
Il est évident que l’ensemble des scientifiques qui ont construit leur vie à
l’intérieur du paradigme s’oppose très vivement à ce bouleversement. Soutenir la
destruction d’un paradigme dans lequel on a toujours évolué, c’est plus ou moins comme
voir une partie de sa vie s’effondrer en poussière. L’homme tend naturellement à un
certain conservatisme qui le pousse à rester dans une situation qu’il connaît et maitrise
pour maintenir une certaine stabilité. Les scientifiques de nouvelle génération, qui
pénètrent seulement progressivement dans le paradigme et peuvent l’observer
« objectivement » de l’extérieur sont plus à même d’en découvrir les failles, et c’est
souvent par le renouvellement des générations que l’on procède à la modification, voire
au changement des paradigmes. Il est bien connu que chaque génération se construit en
opposition de celle qu’elle précède. De nombreux scientifiques novateurs ont ainsi subi
de graves persécutions, menace de mort, de prison, censure, ou simplement déni de la
communauté scientifique. Bien souvent, passer d’un paradigme au suivant n’est pas un
événement indépendant ; chaque paradigme s’inscrit dans un tissu de cohérence global
qui forme l’état de la science à l’instant t. Toucher à l’un des constituants de la structure,
c’est l’amener à un effondrement inévitable, qui peut être souhaitable, mais bien souvent
douloureux. La résistance au changement de paradigme est notamment du à une certaine
professionnalisation du paradigme par la formation d’un vocabulaire et de techniques
particulières et d’un affinement des concepts. Plus le paradigme est étendu, plus il est
possible qu’il révèle des anomalies affaiblissantes, mais plus il est ancré dans l’inconscient
collectif.
Certaines révolutions se font parfois dans une certaine discrétion. Dans ce cas, le
terme révolution n’est pas réellement applicable, vu que la découverte ne concerne
qu’une infime portion des scientifiques. C’est notamment le cas de l’introduction de la
constante de Planck « h » dans les équations mathématiques, marquant le départ de la
révolution quantique. Aucune violence n’a été faite bien que cette nouvelle donnée soit
extrêmement violente scientifiquement parlant. Bohr affirmait à ce propos « Quiconque
n’est pas choqué par la théorie quantique ne la comprend pas ». Le début de la
quantification de l’énergie est un instant fondamental pour la physique, mais l’impact de
la découverte ne permet que de parler d’un changement très spécifique de paradigme, qui
n’impacte que peu sur la vie du citoyen lambda.
Une révolution scientifique est de ce fait marquée par un changement des
concepts, une nouvelle définition de l’objet étudié et un changement de point de vue sur
la question. Les lois fondamentales sont modifiées, de nouvelles analogies et métaphores
sont associées au système, jusqu’à former un nouvel ensemble de valeurs et de normes de
scientificité. La révolution scientifique est donc responsable de la naissance d’une science
révolutionnaire, c’est « la condition préalable et nécessaire à l’apparition de toute nouvelle
théorie » selon Kuhn.
• Affermissement du paradigme, érigé comme « normal »
Cette dernière étape marque la fin du processus cyclique structuré autour de la
révolution scientifique grâce à un consensus trouvé par la communauté scientifique quant
au nouveau paradigme. Il s’agit dès à présent de renforcer le paradigme naissant et de le
hisser au statut de paradigme normal. Pour cela, on distingue 3 étapes. Dans un premier
temps, il y a une détermination des faits significatifs du paradigme, puis on établit un lien
entre les différents faits pour établir une concordance, jusqu’à l’élaboration finale de la
théorie.
Le paradigme se présente à la fois sous une forme visible et invisible. On peut
détecter sa présence par la nature des manuels scolaires, des équations dans l’air du
temps, mais la plupart de ses formes sont invisibles, constituées de pratiques et de
méthodes particulière, ancrées dans l’individu même composant la société et alimentant
le paradigme. Les jeunes scientifiques sont ainsi amenés à intérioriser le nouveau
paradigme, enterrant définitivement le précédent.
Je vais essayer de vous proposer une image qui m’est personnelle. Imaginons la
pensée comme unique substance. Les chemins que notre esprit est amené à emprunter se
canalise au fur et à mesure jusqu’à se cristalliser et former une structure quasiment
physique. Nos pensées sont facilement aspirées par ses chemins et ne cherchent pas à
s’en échapper. Il suffit cependant que, par l’expérience, des failles apparaissent, pour que
la pensée s’y engouffre et forme un nouveau lit, qui se cristallise progressivement.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il convient de rappeler que la vision de la
révolution scientifique comme une période charnière entre deux paradigmes est déjà en
soi une vision relevant d’un paradigme, celui établit par Thomas Kuhn dont le livre serait
une révolution scientifique certaine. Il est évidemment nécessaire que chaque science ou
théorie puisse se prendre soi-même comme objet d’étude.
LE MOTEUR DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES
Bien souvent, c’est l’accumulation de contradictions dans le paradigme normal en
place qui conduit à sa destruction et à l’élaboration d’un nouveau paradigme. Cependant,
d’autres facteurs peuvent influencer sur le déclenchement des révolutions scientifiques.
On constate ainsi une opposition entre deux points de vue sur la question, le point de
vue alternaliste et le point de vue externaliste. Le point de vue alternaliste correspond à
ce que nous avons développé plus haut concernant l’affaiblissement d’un paradigme.
Celui-ci découlerait de l’accumulation de faits empiriques contradictoires à l’intérieur de
la théorie ou entre les théories. Ce serait ainsi des facteurs internes qui seraient à l’origine
de la rupture de paradigme.
Certains épistémologues proposent face à cela un point de vue externaliste, qui
place les évènements socio-culturels, historiques et religieux comme facteurs premiers
des révolutions scientifiques. On pourrait prendre l’exemple du travail sur le projet
Manhattan pour la bombe nucléaire lors de la deuxième guerre mondiale qui permit un
progrès considérable en physique. Les crédits alloués à un laboratoire favorisent
également l’émergence des théories qu’il propose. De même, le charisme des chercheurs
contribue à la réception positive ou négative de la nouvelle théorie dans l’opinion
publique. Il est ici évident que les révolutions scientifiques ne sont pas dues uniquement
à l’une de ces deux nécessités, mais comme bien souvent, c’est une résultante d’une
interaction dynamique. Ce qui change en réalité, c’est le critère de scientificité explicitant
ce qui est intérieur ou extérieur à la science. De même manière, il me semble que nous
avons trop souvent oublié le processus opposé à la causalité venant l’équilibrer ; certains
évènements attirent leurs causes et ont un impact sur nous avant même qu’ils ne se
soient réalisés. J’essayerai de présenter ici quelques facteurs pouvant influencer le
processus de révolution scientifique.
• Le Hasard
Dans certains cas, le hasard a permis aux scientifiques de mettre à jour un nouvel
élément dans le champ scientifique invalidant définitivement le paradigme en place. Le
hasard a toujours joué un rôle important dans les découvertes scientifiques, que ce soit
avec la pénicilline ou la tectonique des plaques, le scientifique tente de trouver une
explication cohérente au phénomène qu’il a observé ou déclenché par inadvertance.
Dans le cas de la tectonique des plaques, modèle proposé par Wegner, celui-ci avait
simplement observé par hasard que les continents s’emboitaient parfaitement les uns
dans les autres. A partir de là, il a élaboré un nouveau paradigme concernant les
mouvements des continents.
• Les facteurs socio-culturels
Dans certains cas, des raisons non-scientifiques ont motivé le changement de
paradigme. La modification des conventions scientifiques en place découle parfois de
révolutions idéologiques ou de modification dans les facteurs socio-culturels, voire
économico-politiques de l’époque. C’est notamment le cas de la révolution darwinienne.
Charles Darwin, présenté comme le père de l’évolution n’a en réalité qu’effectué qu’un
bien mince apport à la théorie de l’évolution, connue depuis très longtemps et formalisée
par Lamarck. Le mot « évolution » apparaît en effet une unique fois dans l’ouvrage de
Darwin De l’origine des espèces. Ce qui a permis à Darwin d’émerger et d’imposer la théorie
de l’évolution, c’est un concours de circonstances entre les conditions de l’époque et la
nature de la théorie. En effet, Darwin met en avant ses travaux en pleine révolution
industrielle durant l’époque victorienne, alors que la colonisation s’étend dans le Monde,
mû par l’impérialisme européen. D’une certaine manière, la théorie Darwinienne a subi sa
propre sélection naturelle et a su proliférer, car ses caractéristiques correspondaient
parfaitement aux conditions environnementales (ici sociales). La croissante sélection et
concurrence entre les hommes trouvent son écho dans la théorie proposée par Darwin,
proposant un paradigme justifiant les comportements humains grâce à la sélection
naturelle des espèces. On constate bien dans ce cas que le changement de paradigme est
impliqué par des modifications sociales et économiques de la société industrielle.
• L’influence Ecclésiastique
Tout au long de l’histoire scientifique, l’Eglise semble avoir été un frein
considérable au progrès scientifique et à la modification des paradigmes. En soi, cela est
tout à fait compréhensible : La religion est un système d’explication du monde très
profondément ancré dans les mentalités et la littérature biblique. Cependant, des
réponses plus précises sur les questions soulevées par la religion furent apportées par la
science, entrainant un changement de paradigme. D’une certaine manière, le paradigme
scientifique englobe et enveloppe le système d’explication religieux en le rationnalisant et
le complexifiant. Cependant, la foi religieuse touche à un tout autre domaine que la
raison scientifique et c’est pour cela que perdure encore la religion, la science ne pouvant
la remplacer intégralement. De plus, la religion propose une réponse au problème de la
Mort, ce à quoi la science n’est pas encore parvenue. Touchant au domaine du sentiment
intime et proposant encore des réponses acceptables aux problèmes existentiels, le
paradigme religieux se poursuit à côté de la science et reste profondément ancré dans les
mentalités. De ce fait, il est concevable qu’on ait pu constater une résistance religieuse
permanente aux bouleversements scientifiques.
LES CONSÉQUENCES DES RÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES
• Anomie
Les différents changements de paradigmes et successions de révolutions
scientifiques ont-ils un impact sur l’homme et plus spécifiquement sur la communauté
scientifique ? La rupture de paradigme entraine une perte de repères conduisant à la
désorientation de l’individu. C’est notamment ce que théorise Emile Durkheim dans son
ouvrage intitulé Le Suicide, concernant les contextes de changements sociaux rapides ; on
peut cependant faire un rapprochement avec la succession des paradigmes scientifiques.
Durkheim met en évidence la perte de sens subie par l’individu, ainsi qu’une absence de
signification et de but. La satisfaction d’un individu est en effet liée à la présence de
repères stables. Il s’ensuit de ce fait une insatisfaction croissante, une démoralisation de
l’individu, jusqu’à une augmentation du nombre de suicides. Cela paraît surtout valable
pour les changements sociaux profonds, mais on peut concevoir de pareilles
conséquences sur un scientifique.
• Anarchisme épistémologique
Evoquons rapidement la question de l’anarchisme épistémologique, concept
développé par Paul Feyerabend dans Contre la Méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la
connaissance. Feyerabend tente d’expliquer le progrès en science en postulant que les
progrès s’effectuent essentiellement durant les périodes de désordre, au moment de la
construction de nouveaux repères, d’un nouveau paradigme. Cette période clef selon
l’épistémologue serait ainsi les révolutions scientifiques elles-mêmes ! Cependant, il me
semble que la présence de période de stabilité correspondant à la mise en place de
paradigmes permet d’éviter l’essoufflement de la communauté scientifique dans cette
dynamique extrêmement créative et constructive, mais tellement instable, qu’est la
révolution scientifique. Ce que cherche à mettre en avant Feyerabend, ce n’est pas la
destruction de toute science, mais bien au contraire, la recherche d’une science plus libre
et plus ouverte, dont la perspective créatrice se rapprocherait plus d’une forme d’Art. Il
réhabilite surtout les théories scientifiques dans les enjeux croissants entre les
scientifiques. Je remarquerai que le terme « anarchie », ici utilisé en synonyme de
« chaos » ne me plait guère ; l’étymologie du mot invite plutôt à concevoir l’anarchie
comme une absence de pouvoir coercitif avec le « a » privatif suivit de l’« arkhé » pour le
pouvoir. Il y bien deux sens qui cohabitent ici, mais je tends à préférer la définition
proposée par Marcel Dieu : « l’anarchie, on ne le répètera jamais assez, c’est l’ordre sans
le gouvernement ». Une conception plus politisée donc, mais dont l’idéal paraît tellement
opposé au chaos que son usage ne peut que me faire grincer des dents.
3. Les révolutions scientifiques dans l’histoire
Il convient d’étudier quelques exemples de révolution scientifiques, afin de
vérifier qu’elles respectent bien les différents aspects d’une révolution énoncés ci-dessus,
de manière certes assez théorique et abstraite. Nous respecterons ici un ordre
chronologique bien que, comme précisé précédemment, la modification des paradigmes
n’engendre pas un progrès cumulatif linéaire, mais bien un changement de point de vue,
de référentiel. Quelles sont donc les révolutions scientifiques qui ont eu le plus d’impact
sur la communauté scientifique, et sur la société dans son ensemble ?
LA DESTITUTION DE L’HOMME
• La révolution copernicienne
Une première révolution, sans doute très connue, mais qu’il convient cependant
de rappeler, est le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme concernant la manière dont
l’Homme se représente l’univers. La conception du Monde par l’Homme jusqu’au XVIe
siècle correspond à une vision géocentrée héritée de l’Antiquité et notamment des
travaux d’astronomie d’Aristote et de Ptolémée au IIe siècle. On constate ainsi que le
paradigme « normal » en place à l’époque est solidement ancré dans les mentalités et les
mœurs des contemporains, ceci expliquant en partie les réticences apparaissant au
moment de rupture du paradigme.
Reproduction du système géocentrique
de Ptolémée Harmonia Macrocosmica, Cellarius
Selon Ptolémée, la Terre serait un
astre fixe et immobile au centre de
l’univers ; tous les mouvements observés
comme les changements de saison ou
l’alternance jour-nuit viennent de
modifications extérieures à la Terre, dont
celle-ci ne serait que la passive
observatrice. De plus, la figure du cercle
parfait domine la conception antique du
cosmos, décrivant la régularité des
chemins empruntés par les différentes
planètes, autre que la Terre.
Cette conception de l’univers est largement reprise par l’Eglise chrétienne,
alimentant l’idée d’une création fixe et immuable, dont l’Homme serait l’élément central.
Philosophiquement, l’héliocentrisme est lié au dualisme, présentant un univers séparé en
deux zones distinctes avec deux types différents d’être ; un monde inaltérable au delà de
la lune se confronte à au monde matériel terrestre.
Cependant, les mesures contredisant cette théorie s’accumulent, jusqu’à ériger un
système concurrent suffisamment viable pour pouvoir espérer mettre à mal le
géocentrisme si solidement enraciné dans la tradition philosophique et judéo-chrétienne ;
il s’agit de l’héliocentrisme. Il est difficile d’attribuer ce nouveau paradigme à un seul
savant, car il s’agit bien ici d’une multitude de recherches réalisées dans un cadre
temporel réduit.
La mise au point par Galilée de la première lunette astronomique en 1610 permet
une augmentation exponentiellement des contradictions dans le modèle géocentrique,
confortant simultanément la théorie héliocentrique. Galilée accompagne ses travaux
d’une diffusion considérable, marquant la naissance d’une opposition systématique et
grandissante. Les ouvrages de Copernic et Galilée sont interdits, car l’adoption de
l’héliocentrisme implique nécessairement l’effondrement d’une partie du paradigme
religieux. Galilée est condamné par l’inquisition à la prison pour développement d’idées
contraires aux Saintes Ecritures, mais l’abjuration lui permet d’éviter la prison en échange
d’un assignement à résidence. Cependant, l’héliocentrisme permettait une explication
Représentation du cosmos selon le système héliocentrique
Harmonia Macrocosmica, Cellarius
On pourra cependant retenir le rôle
central de Copernic, dont le passage du
géocentrisme à l’héliocentrisme prendra le
nom, avec la révolution copernicienne.
Copernic expose la première fois sa théorie
dans De Revolutionibus paru en 1543.
Cependant, les travaux de Copernic ne
sont diffusés qu’à un nombre restreint de
savant, limitant l’impact de la découverte,
ainsi que l’opposition des théologiens et
astronomes classiques.
beaucoup plus satisfaisante de nombreux phénomènes, telles que les marées, les saisons.
L’héliocentrisme finit par triompher, marquant l’effondrement de deux paradigmes : Un
premier paradigme cosmologique concernant la représentation de l’univers et la
modification de la conception de l’Homme.
Ainsi, la révolution copernicienne comprend tous les éléments propres aux
révolutions scientifiques et permet une première illustration efficace du concept de
révolution. En effet, on constate clairement ici le passage d’un premier paradigme, le
géocentrisme, à un second, l’héliocentrisme. Ce changement de paradigme s’accompagne
d’une phase de tension et de résistance avant de céder sous l’accumulation des preuves
favorables à l’héliocentrisme. La révolution copernicienne entraine des conséquences
considérables sur l’ensemble du monde, autant par son étendue que par l’importance des
bouleversements qu’elle entraine. En effet, la révolution copernicienne est à l’origine
même du fondement de la physique moderne, introduisant l’observation et les
mathématiques à la base de la preuve. Il s’agit bien ici d’un changement de point de vue,
de point de vue sur le monde, mais surtout sur l’homme. Le monde auparavant clos,
apparaît désormais comme infini et l’homme a perdu, selon Alexandre Koyré « le monde
même qui formait le cadre de son existence et de son savoir ». L’impact de cette
révolution s’étend jusque dans la modification des systèmes de pensée, influençant la
perception du monde des individus naissant dans le paradigme.
Nous pourrions ici adopter un point de vue sceptique tout à fait légitime. Rien
dans mon expérience du quotidien ne confirme l’idée d’une terre ronde aplatie aux
pôles ; j’ai bel et bien l’impression de marcher sur une surface plane. En ce sens, il serait
légitime de rejeter la théorie héliocentrique comme croyance personnelle, jusqu’au
moment où je pourrais la vérifier de mes propres yeux, ce qui est loin d’être évident.
Cependant, il apparaît clairement que l’idée d’une terre ronde permet un progrès certains
dans toutes les sciences, a permis des avancées technologiques considérables et une
explication beaucoup plus évidentes de certains phénomènes. En ce sens, il convient
d’adopter la théorie héliocentrique, car, même si elle n’est pas confortée par l’évidence
sensible, elle permet au sujet des progrès considérables dans ses réflexions. Il se peut très
bien que dans des décennies à venir, nous découvrions que la Terre correspond à une
forme en 4 dimensions enroulées sur elles-mêmes. Cependant, cela ne fera pas de
l’héliocentrisme une théorie fausse, mais il conviendra de la dépasser si le nouveau
paradigme permet, comme l’a fait le passage à l’héliocentrisme, des avancées
considérables.
Ainsi, ce qui nous paraît plane ne l’est pas toujours forcément ; c’est bien souvent
au contraire une grande surface d’un cercle, dont l’échelle réduite à laquelle nous
l’observons ne permet pas de saisir la courbure générale. Poursuivons la réflexion en
mathématique ; lorsque nous construisons une droite, nous la concevons généralement
comme une trajectoire rectiligne infinie. Peut être pourrions imaginer la droite comme le
fragment d’un cercle que nous ne pourrions percevoir qu’à l’échelle supérieure. Ce genre
de considérations, bien que peu étoffées, pourrait avoir de multiples conséquences dans
l’idée de la représentation de fonctions, de la ligne, …
• La révolution Darwinienne
Après ce premier choc subi par l’homme, il en survient cependant un deuxième à
peine trois siècles plus tard, concernant la place de l’homme dans le Monde du vivant.
Jusqu’au XVIIIe siècle, la théorie créationniste est très largement admise par les
contemporains comme origine de la vie sur Terre. Elle s’inspire de la Genèse, 1er livre de
la Torah revendiqué par chacun des trois grands monothéismes. Dieu aurait créeé
l’univers en 6 jours, donné vie aux animaux et placé l’homme en surplomb du règne
animal, façonné à son image. Un extrait de la Genèse pour preuve :
- Genèse 1.20 Dieu dit : Que les eaux produisent en abondance des animaux
vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l’étendue du ciel.
- Genèse 1.25 Dieu fit les animaux et la terre selon leur espèce, le bétail selon son
espèce, et tous les reptiles de la terre selon son espèce. Dieu vit que cela était
bon.
- Genèse 1.26 Puis Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre
ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel,
sur le bétail, sur toute la terre.
Il est évident que cette conception du règne animal façonné par Dieu postule une
certaine fixité des espèces ; elles furent conçues d’une manière particulière à un instant t ;
il n’y a pas de raison pour que celles-ci évoluent, sachant que les espèces sont en parfaite
harmonie dès le départ. En récapitulant, le créationnisme implique ainsi deux
affirmations : l’Homme se trouve au sommet du monde animal dont la nature des
espèces est fixe.
De ce fait, il est évident que lorsque les travaux de Jean-Baptiste de Lamarck et
de Darwin, proposant une nouvelle théorie basée sur l’évolution des espèces provoquent
de vives réactions dans le milieu scientifique et religieux. Tandis que Lamarck érige une
théorie transformiste, n’excluant pas une part de créationnisme à l’origine des espèces
avec le concept de génération spontanée, le naturaliste anglais Charles Darwin parvient
grâce à un intense travail d’observation sur le terrain et à travers la publication de
nombreux ouvrages dont De l’origine des espèces, à formuler une version de la théorie de
l’évolution basée sur la sélection naturelle. Chaque espèce est façonnée et subdivisée au
cours du temps selon son potentiel d’adaptation à son milieu, lui permettant de proliférer
dans le milieu. L’homme n’apparaît plus comme créé tel quel, à l’image de Dieu, mais
comme un descendant des lémuriens primitifs, ce qui choque les contemporains.
Fresque par Raphaël au Palais pontifical au Vatican, représentant la création du jour et de la nuit selon la Genèse
Nous n’avons guère besoin ici de rentrer plus amont dans les détails ; il est
évident qu’un changement de paradigme s’est effectué aux alentours de 1859, c’est-à-dire
à la date de parution de L’origine des espèces. Comme le passage à l’héliocentrisme, le
darwinisme détrône l’Homme du sommet du règne animal, constitue une remise en cause
directe de la Genèse par Dieu, et plus largement de tout le système explicatif religieux.
Encore une fois, la résistance des partisans du paradigme en place est vive avec la
multiplication des caricatures de Darwin en singe, de schémas simplistes et grotesques ;
résistance qui se poursuit jusqu’à nos jours avec la recrudescence du mouvement
créationniste aux Etats-Unis. Cela nous permet ainsi de constater qu’un paradigme n’a
pas besoin d’une unanime approbation pour s’affirmer comme normal et que parfois,
quelque soit la force des arguments, un fragment tenu de la population persiste hors du
paradigme.
La révolution darwinienne est la deuxième blessure de l’égo de l’homme.
• La révolution Freudienne
Afin de conclure ce triptyque de la destitution de l’homme, je vous propose la
révolution psychanalytique entreprise par l’autrichien Sigmund Freud à l’aube du XXe
siècle. La théorie freudienne constitue un apport majeur dans le domaine de la
« Un orang-‐outang vénérable », caricature de Charles Darwin publié dans The Hornet
Charles Darwin en singe sur la couverture de La Petite Lune
compréhension de la conscience. L’idée d’un inconscient, c’est-à-dire d’une pensée se
déroulant hors de la sphère de conscience de l’esprit, ne date pas à proprement parler des
travaux de Freud, mais bien plus du concept de « petites perceptions » chez Leibniz ou
d’Eduard von Hartmann avec son ouvrage Philosophie de l’inconscient. Cependant, c’est bien
avec les travaux du médecin neurologue autrichien que s’affirme l’inconscient comme
concept central de la théorie psychanalytique, entrainant l’effondrement du paradigme de
la conscience. En s’appuyant sur des cas d’hystérie, maladie mentale surtout féminine,
qu’il tente d’abord de guérir par l’hypnose », Freud met en place une réflexion systémique
sur la sexualité, le rôle de l’enfance conduisant à l’élaboration d’un refoulé, s’exprimant
par l’intermédiaire des rêves, lapsus et actes manqués.
Encore une fois, notre propos ici n’est pas de déceler tous les tenants et les
aboutissants de la révolution psychanalytique, mais bien plus de dégager les différents
aspects qui la rapproche d’une révolution scientifique. Jusqu’alors, l’Homme est postulé
comme parfaitement maître et responsable de ses actes, en pleine possession de tous ses
moyens psychiques. La psychanalyse a cela de révolutionnaire qu’elle invoque la
possibilité d’un déterminisme inconscient « Le Moi n’est pas le maître dans sa propre
maison ». Freud lui même compare son apport scientifique à la révolution copernicienne
et darwinienne : « Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de
l’Humanité deux graves démentis ».
Au fur et à mesure de la succession des exemples, nous semblons parvenir à une
certaine prédominance d’un concept de la révolution paradigmatique sur les autres : l’idée
d’une résistance au changement de paradigme. Finalement, c’est effet est sans doute le
marqueur le plus visible d’une révolution scientifique. Freud n’échappe quant-à-lui
évidemment pas à la critique, et si sa légitimité est aujourd’hui reconnue, l’affirmation de
la psychanalyse en tant que science a relevé d’un processus particulièrement complexe et
violent. En plus de la critique des milieux médicaux, des schismes s’opèrent au sein
même du mouvement psychanalytique sous l’effet des dissensions entre Freud et Jung,
avec Alfred Adler. Le fait d’attribuer une activité sexuelle à l’enfant, alors qu’il était
considéré comme pur contribue à l’effet de rejet de la psychanalyse. On constate ainsi
que le phénomène répulsif est d’autant plus puissant que les conceptions sont ancrées
dans les esprits des gens, ce qui est évident.
La théorie psychanalytique est très largement parvenu à s’imposer dans la
réflexion sur la conscience et la pensée. La psychanalyse a permis de nombreux progrès,
mais cette dimension extrêmement abstraite de l’inconscient rend le travail très difficile et
conduit à une certaine lassitude de la notion. Ainsi, un certain scepticisme peut s’observer
au niveau des hautes sphères philosophiques marquant un épuisement du concept :
Pour Sartre, tous les phénomènes avancés par Freud peuvent être expliquer par la
mauvaise foi de l’individu, c’est-à-dire que « je sais sans vouloir me l’avouer ». De plus,
Freud est à l’origine du « mythologie chosiste », présentant l’inconscient comme une
partie d’un mécanisme matérialisé par une substance : le refoulé. Sartre critique ainsi le
paradigme en tant que volonté de décrire l’esprit comme « une chose » de l’espace, alors
que les travaux de Freud s’approchent bien plus d’une philosophie de l’esprit.
Pour l’épistémologue Karl Popper dans Conjecture et réfutation réfute l’idée que
l’inconscient serait une théorie scientifique en plaçant la psychanalyse et la religion sur un
plan similaire. Le propre d’une théorie scientifique est d’être réfutable et de pouvoir
rentrer en conflit avec l’expérience, tandis que la pensée de l’inconscient est vue comme
théorie totalisante. En effet, la construction de ce paradigme correspond à un système
cohérent érigé par une singularité particulière, la singularité « Sigmund Freud » en
l’occurence. Le concept de complexe d’Œdipe sont directement tirés de l’enfance de
Freud, de même que les soucis de sexualité remonte à une époque où Vienne était
particulièrement libertine. Une théorie par définition, ne peut être totalisante. La
conception humaine de la science tente de créer des points communs, des ponts entre les
mondes subjectifs des singularités, cependant des divergences personnelles subsistent
irrémédiablement. La réflexion sur l’inconscient mené par Freud n’est en soi qu’une
interprétation particulière e l’absolue, qui doit donc pouvoir être réfutée pour pouvoir
être érigée en science, et ne pas rester du domaine de la croyance.
Alain, dans Éléments de Philosophie affirme que la théorie de l’inconscient est
pertinente, mais l’inconscient réveille en nous un animal redoutable : l’Homme serait
obscure à lui-même, l’inconscient est un autre moi diabolique et incontrôlable qui
conduit à la déresponsabilisation de l’individu, et potentiellement au chaos, car détruisant
tout concept de justice.
Ainsi, un paradigme solidement affirmé comme normal n’est pas à l’abri de la
critique, ni d’une éventuelle remise en cause ; c’est ici le nouveau point de départ du
mouvement cyclique d’alternance des paradigmes, et on constate bien que des nouvelles
théories, aussi élaborées et efficaces soient-elles, sont forcément dépassées un moment
ou à un autre, lorsque leur potentiel explicatif a été exploité au maximum.
LES RÉVOLUTIONS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES
• La théorie des cordes
Afin de mettre en avant le rôle des contradictions dans la modification dans les
révolutions scientifiques, il convient de s’attarder quelques brefs instants sur la théorie
des cordes. Jusqu’au XXe siècle s’opposent deux théories en physique : La relativité
générale théorisée par Albert Einstein proposant une explication aux mouvements des
astres et s’appliquant ainsi à une échelle très grande, et le modèle standard, valable pour
les objets de petite dimension telle que les atomes ou les molécules subatomiques. Ces
deux théories s’appliquent parfaitement à leurs échelles et s’avèrent très exactes dans leur
domaine de validité, cependant il est impossible de les concilier.
De nombreux scientifiques ont cependant travaillé sur cette théorie, dont John
Hagelin, professeur de physique quantique au CERN et Nassim Haramein, chercheur
indépendant. Selon eux, l’élément fondamental de la matière, à l’origine de toute chose,
est la corde en vibration. Le modèle de la corde permet en effet une infinité de
représentation possible de par la multitude de fréquence de vibration envisageable. Je n’ai
certes par les qualifications pour rentrer en détail dans un domaine aussi pointer et
présenter les démonstrations, mais il semblerait que les démonstrations concordent. La
vibration de ces cordes serait à l’origine du champ unifié de la conscience dont chaque
individu serait une vibration différente, cristallisant la réalité à différentes échelles.
Cependant, cette théorie fait face à un inconvénient majeur ; toute expérimentation est
exclue à l’échelle de Planck. Ainsi, on peut s’interroger sur l’éventuel possibilité d’un
changement de paradigme basé non pas sur l’expérience, mais sur la résolution
d’équation, ce qui paraît somme toute assez peu probable.
• La révolution fractale
Les mathématiques semblent de prime abord être une science échappant aux
révolutions mathématiques. En effet, depuis l’établissement par Euclide des axiomes
concernant l’unité et la nature des objets mathématiques, les mathématiques n’ont pas
subi de changements fondamentaux ; le paradigme s’étoffant progressivement.
Cependant, on ne peut que constater l’impossibilité pour les mathématiques à figurer
avec précision le réel ; nulle part dans la nature je ne peux observer des cercles ou des
carrés parfaits, ou tout autre forme géométrique. Un nouveau paradigme a cependant été
mis au point par Benoit Mandelbrot proposant le concept de « fractales », théorisé dans
Les Objets fractals : forme, hasard et dimension publié en 1973. Les fractales sont des figures
géométriques caractérisées par leur autosimilarité à toutes les échelles, c’est-à-dire qu’à
chaque fois que l’on effectue un agrandissement sur une partie de la fractale, on retrouve
à nouveau le motif de départ. Les fractales, définies par une relation de récurrence
incluant un nombre complexe, permettent d’ajouter cette irrégularité et de rugosité qu’il
manquait à la géométrie plane pour figurer la Nature et le réel avec efficacité. En effet, il
est désormais évident que les fougères, le chou romanesco, les sinuosités de l’intestin
grêle sont de parfaites fractales auto-similaires. Cependant, même les arbres ne sont que
la répétition d’un motif de division identique au fur et à mesure des ramifications. Il me
semble que la « révolution fractale » est très imminente dans le domaine mathématique.
Encore marginal, le concept s’affirme cependant de plus en plus et tend probablement à
la complexification, voire au remplacement des axiomes géométriques. De plus,
comment croire encore au concept d’unité, régissant les mathématiques euclidiennes,
lorsque l’on introduit des notions de dimensions imbriquées, de fractales ? Le modèle
fractal permet en soi également un gain en efficacité, permettant de prévoir en partie les
fluctuations chaotiques de la bourse. Enfin, si cela reste un progrès pour les marchés
financiers, il faudrait que cela en soit un pour l’humanité, la notion de progression est
également toute relative.
La théorie fractale par le gain d’efficacité qu’elle permet semble devoir
inévitablement révolutionner le monde mathématique, voire la science dans son entièreté.
Cependant, l’évidente complexité du concept ainsi que l’enracinement centenaire de la
géométrie euclidienne n’a pas encore permis aux théories de Benoit Mandelbrot de
révolutionner directement la pratique mathématique, ou du moins, pas à un niveau
praticable et atteignable par les non-spécialistes.
L’ensemble de Mandelbrot Zn+1 = Zn2 + C
Dimension fractale du chou romanesco
CONCLUSION
Comment concilier dans les révolutions scientifiques, la dimension cyclique de la
révolution avec la conception cumulative du progrès scientifique ?
La réponse apparaît désormais comme évidente. Ce qui posait problème, dans ma
conception des choses en tout cas, et donc toute subjective, est la dimension linéaire du
progrès. En tant que singularité proliférant sur l’Absolu, je n’ai guère de certitudes
concernant une éventuelle vérité objective, fondant les règles d’un réel stable et structuré
par des règles universelles. Bien plus qu’une approximation toujours plus précise de la
vérité, les sciences semblent progresser grâce aux révolutions scientifiques, progressant
par révolution cyclique, répétant inlassablement le même schéma d’effondrement et
d’affirmation d’un nouveau paradigme. Bien qu’il soit difficile d’expliciter avec précision
les causes des révolutions scientifiques, celles-ci semblent être le principal facteur de
progression pour l’Homme, non dans la compréhension d’un monde extérieur, mais dans
une perspective ontologique de connaissance de Soi et de l’Homme. L’étude de
différents exemples permet de déceler des constantes à chaque révolution, mais
également une part toujours non-déterminée, que ce soit dans l’étendue de la propagation
de la découverte, dans l’impossible acceptation du nouveau paradigme par une part de la
société ou par une complexité trop élevée du sujet, les révolutions scientifiques, bien que
cycliques, n’ont rien de monotone ou de redondant et constituent pour cela un objet
d’étude majeur pour tout épistémologue, même complètement débutant.
Mentionnons rapidement au passage l’affaiblissement du paradigme socio-
économique actuel, dont l’accumulation des faiblesses tend à montrer l’imminence d’une
révolution à venir (pas nécessairement au sens belliqueux du terme).
Enfin, on peut remarquer deux échelles différentes concernant le concept de
paradigme : le paradigme au sens collectif s’affirme comme l’ensemble de normes posées
afin de permettre une progression commune des scientifiques. Cependant, notre vie à
chacun est également construit sur des paradigmes : le paradigme du langage, celui du
temps, de l’espace et de la causalité.
§)
Au tréfonds sans fonds
Là où les âmes se défonds
Fonds-toi sans façons
) - °
Affres du néant
S’y prélasser sans décrets
Et tout dé/construire
Je cherche de la pensée
pour me panser la panse de pansements paradigmatiques.
Sitographie
- http://lettres.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/coin_eleve/etymon/hist/revol2.htm
- http://www.toupie.org/Dictionnaire/Revolution.htm
- http://www.universalis.fr/encyclopedie/revolution/
- http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Structure_des_r%C3%A9volutions_scientifique
s
- http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_copernicienne
- http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ocentrisme
- http://bible.evangiles.free.fr/genese%201.html
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Gen%C3%A8se
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9ationnisme#Livre_de_la_Gen.C3.A8se
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Sigmund_Freud#Dissensions
- http://utopiktulkas.free.fr/wikitl/cours/F24.pdf
Bibliographie et documents PDF
- DURAND Antonin, “Histoire : rythme, cycles, périodes”, La structure des
révolutions scientifiques un demi-siècle après : regards sur la révolution kuhnienne. Journée
transversale de l’Ecole pratiques des Hautes études 27 mai 2011
- KREMER-MARIETTI Angèle, Le paradigme scientifique : cadres théoriques, perception,
mutation. Université de Picardie, Amiens. Groupe d’Etudes et de Recherches
Épistémologiques, Paris.
- KUHN Thomas S., La structure des révolutions scientifiques, Champs Flammarion
1962.
Reportages
- Reportage ARTE, « Science et philosophie », Les révolutions scientifiques, réalisation
Philippe Thomine. Laboratoire de philosophie et d’histoire des sciences.