Transcript
Page 1: Renards et risque de transmission de la maladie de Lyme · la fouine par rapport aux autres prédateurs étudiés. D’une part, même si tous les prédateurs identifiés sont des

1

Synthèsedel’articleCascadingeffectsofpredatoractivityontick-bornediseaserisk

RenardsetrisquedetransmissiondelamaladiedeLyme:uneffetencascade.

REFERENCEHofmeesterTR, JansenPA,WijnenHJ,CoipanEC,FonvilleM,PrinsHHT, SprongH,vanWierenSE.2017Cascadingeffectsofpredatoractivityontick-bornediseaserisk.Proc.R.Soc.B284:20170453https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5543215

Lestiquessontdesanimauxparasitesappartenantàl’embranchementdesarthropodes,àla

classedesarachnidesetàlasous-classedesacariens.Ilsontuncyclecomplexeincluantdesphasessuccessivessurlesol(éclosion,métamorphose,quêted‘unhôte)etsurdifférentshôtescommedesrongeursaustadelarvaire(1erstadededéveloppement)etnymphal(secondstade),puisdesgrandsherbivores au stade adulte. Ces tiques peuvent être contaminées, à l’occasion de leurs différentsrepassanguins,pardesagentspathogènestransmissiblesàl‘hommecommeBorreliaburgdorferi.Laprévalencedelacontaminationaugmentedoncavec lenombrederepassanguinaucoursducyclede vie de la tique. Commeun repas sanguin est pris à chaque stade, les larves, qui constituent lapopulationlaplusnombreuse,sontdoncmoinscontaminéesquelesnymphes,quisontàleurtour,moinscontaminéesquelesadultes.Ladensitédepopulationsdenymphescontaminéesconstitueleparamètreécologique leplus importantpourdéterminer le risquede transmissionde lamaladieàl‘homme(cettedensitédépendantenpremier lieudunombreabsoludes larvescontaminées,maisaussi de la densité de populations des hôtes potentiels et de leur charge infectieuse). D‘autresparamètresinterviennentaussicommeleclimatetlescaractéristiquesdel‘habitatquiinfluentsurlasurviedestiques.

Desétudesantérieuresavaientdéjàdémontrédeseffetsencascadesdirects(diminutiondeshôtes)etindirects(changementducomportementdeshôtes)dusauxprédateurssurlaréductiondurisquedetransmissiondelamaladiedeLyme.Levietal.ontainsiétablien2012quel‘augmentationduréservoird‘hôtescompétents(c‘estàdirecapables de se contaminer et de transmettre le pathogène) était le facteur explicatif principal larecrudescencedemaladiedeLymeenAmériquedunord.Ainsi, le déclin du renard roux, prédateur spécialiste de l‘hôte le plus compétent pour Borreliaburgdorferi (le rongeurPeromyscus leucopus), était à l‘origine de l‘augmentation de lamaladie deLyme.Eneffet,dansquatreEtatsdesEtats-Unis, des corrélations fortesontétémisesenévidenceentre l‘incidencede lamaladiedeLyme, l‘abondancedescoyotes(occupant lanicheécologiquedurenard) et la rareté des renards, alors qu‘aucune corrélation n‘a été établie entre l‘abondance descerfs(hébergeantlestiquesadultes)etlamaladie.Cependant,cetteétuden‘apasétéjusqu‘àlamiseenévidence,surleterrain,derelationsentrelenombredenymphescontaminéesetlesdensitésderongeurs.

Parailleurs,danslamêmeétude,leschercheursontmontréquelespressionsnonlétalesdesprédateurs étaient également susceptibles de réduire la densité de nymphes contaminées en

Page 2: Renards et risque de transmission de la maladie de Lyme · la fouine par rapport aux autres prédateurs étudiés. D’une part, même si tous les prédateurs identifiés sont des

2

diminuant les chances de rencontre des hôtes avec les tiques par le biais de modifications decomportement : rongeurspluscraintifs,explorantmoins l‘environnementetpassantplusde tempsdansleurrefugeenprésencedeprédateurs.

L‘étude de Hofmeester et al. s‘est attaché à mettre en évidence l‘existence d’effets encascades entre l‘activité des prédateurs et la densité des nymphes contaminées pour trois agentspathogènes transmissibles par les tiques (Borrelia afzelii,apparenté àB. burgdorferi,B.miyamotoiandCandidatusNeoehrlichiamikurensis).

Leschercheursontanalysé,dans20parcellesforestièresdeunhectaresituéesdans19forêtsdes Pays-Bas, la densité des rongeurs, leur taux d’infestation par les trois agents pathogènes, ladensitétotaledesnymphesetladensitédesnymphescontaminées.Lessitesontétéchoisisselonungradient représentatifdevégétationetd’abondancedeprédateurs (dansundes sitesdesmesuresontétéprisespourexclurelesgrandsherbivoresetlesprédateursetdescontrôlesparcamérasontpermisdevérifierlaréalitédecetteexclusion).Le renard roux (Vulpes vulpes) était présent dans 18 parcelles sur 20, lamartre des pins (Martesmartes) dans 12 parcelles sur 20, la fouine (Martes foina) dans 6 parcelles sur 20 et le putoisd’Europe(Mustelaputorius)dans5parcellessur20.Différentsindicateursontétéutilisésdanscetteétude:

L’activitédesprédateurs,c’estàdirelapressionexercéeparlesprédateurssurlesrongeurs,a

étéestiméeenmesurantletauxdepassageparespècedansdestramesinstrumentées(enthéorie504joursdepiégeagefilméparparcelle.Certainesparcellesn’ontpaspubénéficierde504joursdepiégeageenraisondevolsdecaméras).

La densitédepopulationsde rongeursaétéétablieenutilisant lesmodèlesde«capture-marquage-recapture» d’Otiset al.,ou en utilisant le nombreminimumd’individusobservéen viecommeestimationdeladensitédesrongeurs.Leurchargeentiquesaétéestiméeencomptantlenombremoyendelarvesetdenymphessurlesdeux espèces de rongeurs, le campagnol roussâtre (Myodes glareolus) et le mulot sylvestre(Apodemus sylvaticus) capturés sur chaque parcelle (piégeage pendant trois jours et relevé despiègestoutesles12heures).Touteslestiquesidentifiéesàcestadeétaientdel’espèceI.ricinus.

L’abondance totale des larves et nymphes de tiques a été estimée par leur ramassagesystématiquesur1200m²parparcelle,unefoistouteslesquatresemaines,d’avrilàseptembreetenconditionsoptimales(jourssecs,températuresupérieureà10°Cetvégétationinférieureà60cmdehauteur).

Pour déterminer la densité de nymphes contaminées, desanalysesont été effectuées surtoutes les nymphes collectées pour détecter et identifier les trois pathogènes ciblés.UnprotocolespécialaétémisaupointpourdétecterB.afzeliipourlaquelleaucuneméthodededétectionn’étaitdisponible.Autraversdecesanalyses,lerôleducampagnoletdumulotentantqueréservoirpourB.miyamotoietCa.N.mikurensisenco-infectionsavecB.afzeliiaétéconfirmé.Celasuggèreque leslarvessont infectéesparcestroisagentspathogènesprobablementàpartirdumêmeprélèvementsanguin.CeciestmoinsétablipourB.miyamotoi,probablementparcequel'infectionparleslarvesetlatransmissiontrans-ovariennejouentégalementunrôledanslamaintenancedecepathogène,maispaspourlesautres.

Les études statistiques ont ensuite étémenées pour déterminer les corrélations entre cesdifférents paramètres. Des corrections ont été apportées pour lisser les effets des différencesd’humidité,devégétationetd’annéesdeprélèvement.Enfin,uneparcelleoùaucunrongeurn’aété

Page 3: Renards et risque de transmission de la maladie de Lyme · la fouine par rapport aux autres prédateurs étudiés. D’une part, même si tous les prédateurs identifiés sont des

3

trouvéaétéexcludesanalysesetdeuxautres,oùaucuncampagnolroussâtren’aétéidentifiéontétéexcluesdesanalysesdechargeentiques.Résultats:

Lesrésultatsonttoutd’abordmontrédegrandesvariationsentrelesparcellesentermesdedensitédenymphescontaminéesetd’activitédesprédateurs.Densitédepopulationsderongeurs:

• aucunecorrélationn’aétémiseenévidencedanscetteétudeentrel'activitédurenardrouxet de la fouine et les densités de populations du campagnol ou du mulot. Ce résultat,apparemment contre-intuitif, trouve son explication dans le fait que les sites abritant unefortedensitédepopulationsderongeursattirentlesprédateursetqueconsécutivementlescorrélationsà faibleéchellespatiale (moinsd’unha)peuventcacher la relationprédateurs-proies.

Infestationdesrongeursparleslarvesoulesnymphes:• la charge nymphale sur les campagnols et les mulots ne dépend pas de l’activité des

prédateurs (bien qu’une tendance négative ait été observée entre la charge nymphale desmulotsetl’activitédesrenards)

• lachargelarvairesurlesdeuxhôtesprincipauxcompétents,lecampagnol(M.glareolus)etlemulot(A.sylvaticus),augmenteavec l’abondancedeslarves,maisdiminueavecl'activitédedeuxprédateurs:lerenardroux(V.vulpes)etlafouine(M.foina)

• aucunecorrélationn’aétémiseenévidenceentre l’abondancedesrongeurset leurchargelarvairemoyenne

Abondancetotaledesnymphesetabondancedesnymphescontaminées:• Dansl'ensemble,l’abondancedesnymphesainsiquel’abondancedesnymphesinfectéespar

les trois pathogènes transmis par les tiques -B. Afzelii, B. miyamotoi et Ca. Neoehrlichiamikurensis-aaugmentéaveclachargelarvairesurcesrongeurs

• Unecorrélationnégativeindirecteaégalementétédémontréeentrel'activitédurenardrouxetdelafouineetl’abondancetotaledesnymphesetl’abondancedesnymphescontaminéespour les trois agentspathogènes transmispar les tiques viadesdifférencesdans la chargelarvairemoyennesurlesrongeurs

• aucune corrélation n’a été établie entre les densités de populations de rongeurs etl’abondancedesnymphescontaminéespourl'undesagentspathogènes

• Parmiles16617nymphesanalysées,lespourcentagesdeco-infectionétaienttrèsfaibles.

Cesrésultatssontconformesauxétudesantérieuresquiontdémontréqueplusilyadenymphesde tiques, plus elles sont infectées par des pathogènes,mais plus il y a de prédateurs, moins lesrongeurs sont infestés par les nymphes de tiques. Ils confirment l’hypothèse selon laquelle lesprédateurs, en régulant les populations de rongeurs, diminuent la prévalence desmaladies qu’ilstransmettent via plusieurs phénomènes: d’une part ils éliminent les rongeurs, d’autres part lesrongeurs deviennentmoins actifs en présence de prédateurs, ce qui réduit leur taux de rencontreaveclestiquesetdonclesrisquesdefixationdecelles-ci.Parailleurs,lesrongeursquisedéplacentplus vont être plus infectés par les tiques, tout en subissant une prédation plus importante. Cephénomènepeut conduire à une prédation sélective des carnivores sur des animaux très infestés.Des recherches supplémentaires restent néanmoins nécessaires pour tester cette dernièrehypothèse.

Les renards roux et les fouines hébergent aussi quelques tiques, néanmoins, les auteursconcluent qu'il est peu probable que la corrélation négative entre l'activité des prédateurs et lachargelarvairesurlesrongeurssoitcauséeparuneffetdedilutionoùlesprédateursdétourneraientverseuxdestiquesquinormalementseseraientnourriessurdesrongeurs.

Page 4: Renards et risque de transmission de la maladie de Lyme · la fouine par rapport aux autres prédateurs étudiés. D’une part, même si tous les prédateurs identifiés sont des

4

Enfin,deuxhypothèsespeuventexpliquerl’effetencascadeplusfortdel’activitédurenardetde

la fouine par rapport aux autres prédateurs étudiés. D’une part, même si tous les prédateursidentifiés sont des généralistes qui se nourrissent d'une grande variété d'aliments, c’est le renardrouxquiprésentelaproportionlaplusélevéedepetitsrongeursdanssonalimentation.D’autrepart,la fouine et le renard sont les deux plus grands prédateurs de l’étude et leur incidence sur laréductiondesdéplacementsetsurl’augmentationdelatendanceàseréfugierdansleursterriersdesrongeurspourraitdecefaitêtreplusélevée.Suitedestravaux:

Même si les premiers résultats soulignent l'importance des différences de charges larvaireentre lessites, lesanalysessesontprincipalement intéresséesauxrelationsentre lesprédateursetles nymphes de tiques. Des études similaires pourraient également porter sur les larves, car lesprédateurs pourraient notamment modifier le nombre de larves s’alimentant sur les rongeurs etpeut-être aussi le nombre de larves se nourrissant d'hôtes non-rongeurs qui sont des proies desmêmes prédateurs. Par ailleurs, il sera nécessaire de corriger ces résultats par des analyses surplusieurs années consécutivespourmettre en évidence un décalage temporelpotentieldes effetsdesprédateurs sur la densitédes rongeurs.Ostfeldet al.1ont ainsi trouvéune corrélationpositiveentreladensitédesrongeursdel'annéen-1etladensitédesnymphesd’I.scapularisdel'annéen.Enfin, selon l’échelle spatiale considérée, l'activité des prédateurs peut réduire la densité depopulation des rongeurs tandis que, simultanément, des sites présentant une forte densité depopulations de rongeurs peuvent attirer les prédateurs issus des zones environnantes. Ainsi, lesétudesdecorrélationsurunepetiteéchelle spatiale (inférieureouégaleà1ha)pourraientnepasêtre enmesure demontrer la régulation des rongeurs par les prédateurs. Des étudesportant surplusieursannéesetsurdifférenteséchellesspatialessontdoncnécessairespourmieuxcomprendrelescorrélationsentrel'activitéduprédateuretladensitédesrongeursetdestiques.

ParHélène Soubelet,docteurvétérinaireetdirectricede laFondationpour la recherchesur labiodiversité2

Relecteur:Jean-FrançoisSilvain,directeurderechercheàl’IRDetprésidentdelaFondationpourlarecherchesurlabiodiversité.

1OstfeldRS,CanhamCD,OggenfussK,WinchcombeRJ,KeesingF.2006Climate,deer,rodents,andacornsas

determinants of variation in Lyme-disease risk. PLoS Biol. 4, 1058– 1068. (doi:10.1371/journal.pbio.0040145)

2Touteerreurdetraductionoud’interprétationdutexteoriginalestassuméeparl’auteurdelasynthèse.


Recommended