Transcript

I

CAHIERS DE L'ASSOCIATION INTERNATIONALEDES ÉTUDES FRANÇAISES

TSABELLE DE cHARRIÈnr

(BELLE VAN ZUYLEN)

(17 40-1805)

ALEXANDRE DUMAS

DU TEXTT À LA SCÈNT

Mai 201 2 N" ó4

Publié avec le concours du Centre Natlonal du Livre

Diffuslon : LES BELLES LETTRES - 25, rue du Gênéral Leclerc - 94270 LE fne¡^UN-glChne

www,bldd,fr

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LES PROVERBES DE MUSSET,DE LA REVUE DES DEUX MONDES

AU succÈs rHÉÂrnnr

Communication de Mme Valentina PONZETTO

(FNS/Université de Genève)

øu LXilP Congrès de I'Association,le 6 juillet 2011-

Musset offre un cas exemplaire de théâtre pour lequel lepassage du texte à la scène ne semblait pas aller de soi ø

priori, a longtemps été considéré comme problématique ets'est fait par étapes successives, non sans heurts.

Un simple aperçu chronologique le montre clairement:du choc fondateur de décembre 1830, date de l'échec reten-tissant de Lø Nuit aénitienne,jusqu'en novembre 1847, créa-tion d'Un cøprice, il a écrit des pièces qu'il n'a même pascherché à faire représenter, se contentant de les publierdans la Reaue des Deux Mondes, puis en volume. Si les pro-verbes de salon ont rapidement suivi Un cøprice au réper-toire de la Comédie-Française, d'autres pièces ont dû subirl'épreuve des remaniements ou un plus long purgatoire. Ledécalage entre la date d'écriture et celle de création s'avèreainsi très important, notamment dans le cas de Lorenzaccio,écrit en 1833 et représenté seulement en 1896, dans une ver-sion largement remaniée par Armand d'Artois (1).

(1) Voir : Henry Lyonnet, Les Premières rl'Alfted de Musset, Paris, Delagrave,1927; Sylvie Chevalley, < Musset à la comédie Française ", Europe,583-584,nov-déc 1977, p. 77-39. Pour le cas spécifique de Lorenzøccio voir l'article dePatrick Besnier dans ce même volume et celui de Frédérique Plain dans lesactes du colloque de Cerisy, Poétiques de Musset (à paraître).

JL

La formule du spectacle døns un fauteuil, titre que MussetIui-même donne à ses deux premiers recueils de pièces de1832 et 1834, où figurent ses chefs-d'æuvre les plusconnus, semblait d'ailleurs suggérer que son théâtre étaitécrit exclusivement pour la lecture et non pensé pour lascène, thèse maintes fois reprise par la critique dès la Paru-tion des pièces. Aux yeux des contemporains, celles-ci

ésentables. Et quand la pra-est née la légende d'un théâ-aurait presque miraculeuse-

ment trouvé la voie des planches.Or, d'un avis unanime la critique d'aujourd'hui consi-

dère que rien n'est plus faux. Depuis l'étude fondatrice deLoïc Chotard (2) sur le théâtre de Musset coÍrne < théâtreà l'essai >, ensuite grâce aux travaux de Frank Lestringantet Sylvain Ledda, il ne me semble plus à démontrer que lethéâtre de Musset est bel et bien écrit pour la scène, servipar une profonde connaissance de la dramaturgie et duthéâtre en général (3). Simplement, il est pensé Pour unescène idéale, potentielle, non pour tel ou tel comédien,théâtre, ou directeur de théâtre. Il a donc été conçu dans laplus complète insouciance des habitudes, des modes et descontraintes techniques de son temps. lJne contre-épreuvevient d'ailleurs de la pratique théâtrale des XX" et XXI" siè-cles, puisque Musset est sans doute aujourd'hui avec Hugole plus représenté des dramaturges romantiques.

C'est donc sut ce parcours du texte réputé injouable ausuccès scénique, avec ses enjeux, ses embûches et ses

étapes mémorables, que je veux faire le point. Iiangled'observation idéal sera offert par les proverbes et plus

322 VALENTINA PONZETTO

(2) Loïc Chotard, " Le Théâtre de Musset, ou le théâtre à l'essai ", [in]Approches du XIK siècle, Paris, PUPS, 2000, p. 149-1'61'.

(3) Voir : Frank Lestringant, Préface à La Nuit aénitienne, Paris, Gallimard,2010 , p . 1 ; Florence Naugrette, Le Pløisir du spectøteur au thêâtre , Rosny-sous-bois, Bréal, 2002, p. 44.

LES PROVERBES DE MUSSET 323

particulièrement par Un caprice, qui a marqué le début dela résurrection théâtrale de Musset et qui constitue l'autremoment clé de cette trajectoire après Ie four de La Nuitaénitienne.

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peinture verte et un manchon de fourrure de Russie.La première incarne symboliquement le fameux échec

de Lø Nuit aénitienne et sort tout droit de l'épique compte

cris forcenés couvraient les voix des acteurs, et le parterres'acharnait après les plus jolis mots du dialogue, commes'il fût venu avec l'intention bien arrêtée de ne rien enten-dre (5) o. Pour comble de malheur, à peine Parue surscène, Mlle Béranger, qui jouait Laurette, en se penchantau balcon tâcha sa robe blanche avec la peinture du décorqui n'avait pas eu le temps de sécher' Quand elle se

rãtourna vers la salle toute bariolée de vert les riresmoqueurs ensevelirent la pièce... jusqu'au XX" siècle (6).

(4) Nuit oénitienn¿: un fiasco fécond ', Cahiers de

l'As des étudesftançaises,39,L987,p.279-288.(5) raphie d'Alfred de Musset, sa aie et ses æuures,Paris,

Charpentier, 1877, p. 97.(6) Ii faudra attenäre le 1.1 décembre 1929, date de la création à la Comédie-

Française, pour revoir la pièce sur scène.

t

324 VALENTINA PONZETTO

lune, condamna La Nuit uénitienne sans vouloirl'entendre (7) >. Ou plutôt, ce qu'on entendit ne plut à per-solìne : ni aux critiques, tenants sourcilleux d'tm classicisme

n'ont pas changé en1.837, quand Philarète Chasles écrit àpropos d'Un spectacle dans un føuteuil :

M. de Musset était à l'aise dans un fauteull quand il a écrit toutcela ; mais le lecteur est fort en peine d'y trouver vn spectacle.

Quelques éclairs d'imaginatior¡ quelques phrases vives et colo-rées ne rachètent poin|labizarr:e faiblesse de l,ouvrage (12).

(7) Musset,.Gaares Conrplètes, Paris, Charpentier,1866, t. ilI, p. 4g.(B) Voir : Alexandre Arnoux, Etudes et ciprices, paris, Albin'Michel, 1953,

itienne : un fiasco fiécond >, art, cit., p. 286-lø nostalgie libertine, Genève, Oroi, 2002,

, op. cit., p.299.

(71) Reaue de Paris,5.12.IB30, p. 54.(12) lournal des débnts, 4.70.1832,

LES PROVERBES DE MUSSET 325

La réaction de Musset à ces critiques dénote au fond uneassurance/ voire même une arrogance rare : < blessé d'unprocédé si injuste >>/ comme l'écrit son frère, il < conçutcontre le public des spectacles des préventions dont il nerevint qu'au bout de dix-sept ans (13) o; mais il changeafort peu à sa dramaturgie. Les intrigues de ses pièces sui-vantes, comédies ou proverbes, seront sans doute plus sui-vies, mais le dialogue y tiendra toujours une place prépon-dérante dans l'avancement de l'action, et la langue y seratout aussi choisie, raffinée et mondaine. Ainsi, il continued'écrire ses pièces comme il les veut et les publie dans laReaue des Deux Mondes, où elles restent donc largementignorées du grand public, le lectorat de la revue demeu-rant plutôt choisi (14).

Il fait aussi un choix singulier en se tournant vers ungenre délaissé et considéré comme mineur: le proverbedramatique. Ce genre présentait à ses yeux un doubleavantage : des intrigues habituellement fort minces, tout-nant autour de l'illustration plus ou moins appuyée d'unproverbe, et une tradition de sociabilité et de mondanitéqui renvoyait à Ia bonne compagnie, anx salons et aux théâ-tres de société d'Ancien Régime, règne d'une conversationbrillanté érígée en art, donc du dialogue souverain.L"adoption assumée du proverbe permettait ainsi de met-tre en valeur précisément les caractéristiques qu'on rePro-chait à son théâtre et qu'il cultivait par contre soigneuse-ment. Qui plus est, par sa qualité de genre non codifié,négligé par les théoriciens du théâtre, le proverbe laissaitla voie ouverte à toutes les expérimentations.

(13) Paul de Musset, Biographie d'Alfred de Musset, op. cit., p.98.(14) D'après Marie-Louise Pailleron, la revue comPtait 1000 abonnés en

1834,2000 en 1843, 5000 vers 1850 (François Buloz et ses amis. La aie littérairesous Louis-Philippe, Paris, Calmann-Lévy, 1930, p.20). Voir aussi NellyFlrman, La Reaue des Deux Mondes et Ie romantisme, 1830-L848, Genève, Droz,t975.

326 VALENTINAPONZETTO

Musset s'y adonne, en le perfectionnant jusqu'à devenirun maître et presque un nouveau fondateur du genre,

notamment après le tournant de L835-36, à savoir après laConfession d'un enfønt du siècle,la rupture définitive avec

Sand et l'entrée dans la sphère mondaine et chic de

Caroline Jaubert. En 1836 paraissent II ne faut iuter de rien(RDM) et Fnire søns dire dans le volume collectif ditDodécøton. Suivront IJn caprice (1837) et Il faut qu'une porte

soit ouaerte oufermée (1845), toujours dans la RDM, puis en1.849 On ne saurait penser à tout, écrit cette fois directementpour la représentation. Car entre temps , en 1847,Ia scène

a redécouvert Musset.

La seconde partie de la légende, qui voit le retour duthéâtre de Musset sur les planches et le rendez-vous enfinheureux avec le public, tient du romanesque. l"héroine en

est Louise Allan, qui découvÅt Un cøprice lors de son

séjour en Russie et le ramena à Paris < dans sonmanchon (L5) ", selon l'expression de Sainte-Beuve sou-vent reprise depuis.

Fln1847,I)n caprice, corìnu seulement de quelques happy

few àParis, jouissait depuis dix ans d'un franc succès enRussie grâce à l'actrice Alexandra Karatyguina qui, l'ayantremarqué dès sa parution, en avait réclamé une traduc-tion, sûre de faire fureur dans le rôle de Mme de Léry (16).

Sous le titre de L'Esprit féminin aøut mieux que tous les rai-sonnements, sans doute jugé plus conforme au genre duproverbe, cette traduction fut immédiatement publiéedans la Bibliothèque de lecture et acceptée au théâtre

(1.5) Sainte-Beuve, Cøuseries du lundi, 11 mai 1852 Paris, Gamier frères, 3"

éd., vol. 13, [s.d.], p. 372, repris lnl Alfred de Musset. Mémoire de la critique,64.détaillée de la fortune du Cøprice en Russie, voir

La véritable histofue d'Un cøprlce de Musset en Russie ',mparêe, janv.-mars L930, p. L24-1'47.

LES PROVERBES DE MUSSET JZ/

Alexandrinsky de Saint-Pétersbourg, où elle fut créée le8 décembre L837, restant ensuite à l'affiche pendant plu-sieurs saisons.

C'est là que la découvrit Louise Allan, qui justement en1837 avait rejoint la troupe française du théâtre Michel deSaint-Pétersbourg. Elle s'y lia d'amitié avec AlexandraKaratyguina et l'ayant vue jouer le rôJe de Mme de Léry,elle souhaita le reprendre à son tour. A son grand étonne-ment, elle eut le plaisir d'apprendre qu'elle n'avait mêmepas besoin d'un traducteur. Un caprice, ou Un jeune curé føitles meilleurs serlnons fut ainsi créé en français le 4 décembre1843 au théâtre Michel.

En russe ou en français, les modalités de présentationdu spectacle restent à peu près les mêmes: en tant quenouveauté, lJn cnprice est annoncé en tête d'affiche sur leprogramme de la soirée, mais il prend en réalité placeentre deux autres pièces, un drame et un vaudeville, ouuice-oersa, comme une sorte d'entracte ou de transition deton (17). De plus, dans les deux cas la première s'inscritdans le cadre d'une soirée au bénéfice d'un comédien,sorte d'avatar de l'usage mondain des proverbes drama-tiques comme représentations exceptionnelles afin delever des fonds pour quelque æuvre charitable. ,, Les sai-sons suivantes > du Théâtre Michel, écrit GrégoireMorgulis, " de 1.844 à 1847, font encore figurer Un cøprice

parmi les pièces le plus souvent représentées (L8) ", indiceassez fiable d'un bon succès de public.

En 1847 Louise Allan revint donc à Paris, fortementdéterminée à y jouer cette pièce qu'elle aimait et qui luiréussissait si bien. I1 ne faut pourtant pas surestimer sonrôle et son influence. Si elle parvint facilement à faire jouerle Caprice à la Comédie-Française dès son retour et < mit

(1.7) Les programmes complets sont reproduits par G. Morgulis, ibid , p' 134et742-143.

(1,8) Ibid., p. Ma.

328 VALENTINA PONZETTO

chacun en goût de telle friandise (19) ", c'est qu'en Franceaussi les temps étaient mûrs pour la pièce et le projet de lamonter y était dans l'air depuis deux ans.

En septembre 1845, Bocage, alors directeur de l'Odéon,avait eu l'idée de la monter dans son théâtre avec une nou-velle recrue, Mlle Naptal, dans le rôle de Mme de Léry. Lajeune comédienne avait l'indéniable avantage d'être fortjolie, et avait fait ses débuts entre la Comédie-Française etl'Hôtel de Castellane, le meilleur théâtre de société del'époque, où elle avait notamment incarné une Célimènepleine de ., gracieuse malice (20) ". Musset, tenté, avaitdoruré son accord, tout en restant sceptique, comme entémoignent ses lettres à Alfred Tattet, où il dit avoiraccepté, (< après avoir pris avis des plus grands connais-seurs en matière de fiasco ", le projet de Bocage, venu luidemander < l'autorisation de faire siffler un petit proverbede [sa] façon ',. ,, Vous aurez le droit de partager lespommes cuites jetées à votre ami (21) > badine-t-il, etquelque jour plus tard il renchérit : < Tout le monde ditque ce sera charmant, délicieux etc. Seul contre tous, fortdu passé et ne doutant pas de l'avenir, je compte héroïque-ment sur les pommes cuites (22) ".

Malgré cette attitude de méfiance et de déni, le projetsemble en réalité flatter secrètement Musset et lui tenir à

cceur, car il en parle deux fois, et assez longuement, à sonami, alors que d'habitude il ne fait presque pas allusion à

sa vie littéraire et artistique dans sa correspondance.

(19) Sainte-Beuve, Ctuseríes du lundi, 11 mai L857, op. cit.' p. 372, n. 1.

(20) La M0de,23.1.1847,p.124. MIle Naptal [Gabrielle Planat], avait reçu sonnom de scène justement à l'Hôtel de Castellane. Les théâtres de société étantune scène privilégié pour les proverbes, elle pourrait en avoir joué chez iecomte de Castellane, mais il m'a été impossible de trouver des informationsà ce sujet.

(21) Musset, (f.uz,r es posthurne s, P aris, Charpentier, 1866, p. 323-324.(22)Léon Séché, La leunesse dorée sous Louis Plilippe, Paris, Mercure de

France, 1910, p. 27, Lettre s.d. communiquée à I'auteur par les héritiers Tattet.

LES PROVERBES DE MUSSET

(23) Edmond Got, lournø\,10.5.1846, Paris, Plon, 1'970, p.201(24) tbid., p.225-226.

329

Bocage finit par renoncer, mais l'année suivante EdmondGot et les deux Brohan s'intéressèrent au Cøptice. Dans son

lournal, Got raconte avoir conseillé lui-même à SuzarrreBrohan de monter le proverbe/ au moment où, pressée parle besoin d'argent, elle songeait à organiser << une représen-tation à son bénéfice > et cherchait < avec sa fille uneæuvre ce l'attention dupublic endiablées de laèhose, auteur avait été

gagné bien vite (23) ". Seulement, .,la saison étant un peuavancée > l'exécution du projet fut remise provisoirementau mois d'octobre, puis définitivement abandonnée.

Entre temps François BuIoz,le tout-puissant directeurde la Reaue des Deux Mondes, avait été nomméCommissaire Royal, puis en 1847 administrateur de laComédie-Française, et il comptai! brgn y faire représenter<< ses > auteurs. À son retour de Russie, Louise Allantrouva donc un terrain plus que pftparé et très favorable

PLuon ne parlait que de Musset et du Cnprice. < C'est unebonne entrée de jeu, et le succès a été vú Q$ )>, noteEdmond Got.

Quelques journalistes ne manquèrent pas d'accueillir leproverbe par des critiques négatives, reProduisant les

äccusations d'inconsistance et de vide babillage quiavaient cloué au pilori La Nuit aénitienne. CharlesMonselet, dans L'Artisfe, résume la pièce par des raccour-cis volontairement incongrus : < Les détails finement cise-

lés de cette scène ne peuvent se décrire ; btef , le thé est

330 VALENTINA PONZETTO

détestable, on le jette par la fenêtre ; et le public rompt ses

gants à applaudir une chose si naturellement ravissante >'

Toute la pièce, pour lui, tient dans le " joli mot > de cøprice

qui vaut tous les coups de pistolet des mélodrames dumonde, tous les soi-disant effets de théâtre de Scribe [...]'Voilà la pièce de Musset : ne la trouvez-vous Pas coquette et

galante au possible, et n'êtes-vous pas comme moi fortétonné de ce qu'elle n'ait pas été sifflée vertement pour l'es-prit et la fleur de poésie qu'elle renferme (25) ?

Tout en reconnaissant à Musset < beaucoup d'esprit, de ladélicatesse d'observation et de la métaphysique de senti-ment >/ |amet, dt Moniteur Uniaersel, insiste de son côté

sur la faiblesse du sujet, l'absence d'action, la longueurdes dialogues/ où .. quelques couPures > mettraient à sonavis < un surcroît de vivacité que le manque d'événementsy rend assez nécessaires >>, et un ton trop uni et élégant, si

bien que < la gaîté n'y passe pas le sourire, et l'émotion n'yva jamais jusqu'à l'attendrissement (26) "'

Ce genre de critique représente pourtant une minoritévite réduite au silence. La raison en est d'abord queMusset a beaucoup changé depuis 1830. Sa charge de pro-vocation est devenue moins évidente, plus discrète/ et sonécriture s'est ultérieurement affinée. Extrêmement élé-gante et fluide, spirituelle et mondaine comme le doubleépuré d'une conversation de salon, elle ne manque pas deconquérir le grand public.

De plus,les temps aussi ont changé. Les dix-sept ans quiséparent IJn caprice de La Nuit aénitienne ont vu se dévelop-per et se clore la parabole du drame romantique. Le prin-cipe du mélange des genres,la présence sur scène de piècesinclassables selon la doctrine classique sont désormais uni-versellement acceptés. En même temps, un certain souffle

Charles Monselet, L' Artiste, 5.12.7847.

Jamet, Le Moniteur Uniuersel, 29.72,7847(2s)(26)

épique et grandiose, une emphase à la fois sublime et éche-velée sont passés de mode. Par contrecouP/ on assiste à unmouvement de retour vers le classicisme, marqué par le

Gengembre, <<appar Yeuxd'unpublic qui veut )".

Plusieurs critiques cette

évolution du goût. Certaines vont jusqu'à dresser un tableaude ce toumant dans la pratique théâtrale, où le proverbe de

Musset vient s'inscrire de manière emblématique. C'est le cas

de l'article du Constitutionnel où l'on peut lire : < Ce grandévi-ldedes

fines æuvres n'est point perdu, et que le parterre a gardé sa

préférence pour l'art contenu, délicat et correct (29) ".Théophile Gautier, qui souhaitait depuis longtemps voir

Musset enfin mis en scène, salue ,, tout bonnement ungrand évé il souligne lesqualités é écriture qui, à

Íépreuve la Prodigieusehibileté, t des planches o

jusque là méconnues deconduit plus adroitementabsolu de la pièce bien føiblement (30). Or,le succè

LES PROVERBES DE MUSSET 331

débuts de Mlle Rachel "

l',l.l;?,1)'o"' ;:: o*þ'siècle ( 17 B 9 -1.9 00 ), P atís,

A. Colin, 1999,p.138.(29) Le Constitutionnel, L3.12.1847.(30) Théophile Gautier, La P resse, 29.11.1'847.

-r332 VALENTINAPONZETTO I

tines et les manies :

Les directeurs et les acteurs, voilà les seuls obstacles' Ce sont

eux, encore une fois, qui s'entêtent à ces vieilles routines, ["']qui ont ce sincère amour du plat et du banal, et cette aversion

invincible pour tout ce qui est rare, éclatant, imprévu (32)'

mai 1849.e jeunessela scène,

t parfois àapparais-

sent ou disparaissent, des scènes sont supprimées ou ajou-

tées, dépla-ées ou refondues, les hardiesses stylistiques ou

(31) Id., La Presse,6.12.7847(32) rbid.

LES PROVERBES DE MUSSET 333

morales des dialogues sont gommées ou atténuées. L¿s

Caprices de Mørinnne,, surtout, connaît, en plusieurs étap9s

successives, des changements radicaux, tandis qrr'Andtédel Sarto et Le Chnndelier se voient dotés de dénouementsalternatifs rétablissant l'ordre moral. En ligne générale, les

interventions ramènent l'écriture originale vers un plusstricte respect desavec la suppressionsexuel, politique oution du foisonnemeacte au maximum. C'est ainsi que Pour la plus grande par-

Comédies et Proaerbes (33).

Face à l'affadissement de l'écriture de Musset tant dansles nouvelles productions que dans la révision des

anciennes, on peut se demander si ce retour à la scène a

vraiment été bénéfique pour son æuvre, du moins dans unpremier temps. Il reste pourtant indéniable que, commel'écrivait son frère Paul à ProPos du Caprice, ..la vogueextraordinaire de ce petit acte a plus fait pour la réputation

Sansrbes,tté lale de

les redécouvrir.

(34) Paul de Musset, Biographie d'Alfted de Musset, op cít., p.308'

-

1851-) d'évidente inspiration mussétierure' On peut donc

dire que le succès d'Un cøpric¿ marqua un tournant non

seuleirent dans la carrière de Musset, mais aussi dans les

334 VALENTINA PONZETTO

(35)VoirletableaudresséparS.Chevalley,[in]"MussetàlaComédie-Française ", nrt. cit., P.38.

(36)'Barbey d'Aureïiily, Les Quørante médqillotts de lAcadénie, Paris, Dentu'

Àe,í, p.30.'Sur son c"úrr.e ,roit Alice Borresen, Le Théâtte d'Octøz¡e Feuillet'

Paris, SPES, 1929.(37) Jules Janin, Le lournal des débnts,29 11.1837 '

LES PROVERBES DE MUSSET 335

n'excédant pas les trois quarts d'heure de représentation,faisaient notamment dt Caprice et d'Il føut qu'une porte deslevers de rideau de choix, continuellement à l'affiche tant

redécouvrir ce proverbe: " dépouillé du cabotinisme parlequel on l'alourdit ailleurs, et présenté dans un cadreréduit, il prend une signification et une importance quel'on soupçonnait à peine (38) ". Les versions de René

Rocher à l'Odéon (1942), de Roland Pietri à la Comédiedes Champs-Elysées (1945), d'Alice Cocéa au Théâtre des

Mathurins (1947), de Claude Sainval à la Comédie des

Champs-Elysées (195L), ou de |ean-Laurent Cochet à

l'Athénée (1963), furent aussi généralement bien accueil-lies, et firent parler d'elles. Quant à la Comédie-Française,on y compte 1154 représentations d'Un caprice depuis sa

créátion jusqu'en 1978, date de la mise en scène de MichelEtcheverry, la dernière à ce jour dans la maison de

Molière (39).r-abandon de Ia pratique du lever de rideau, vers 1980,

mit fin à un long chapitre de carrière théâtrale tant du

la mise en scène des proverbes. Dès l'après-guerre, il arri-

(38) Claude Roger-Marx, Comoediø illustré ls.d.; [in] Le Théâtre du Vieux-Colombier, répertoire, saison 1920 /2I,BnF, Arts du spectacle, Fonds Copeau,4-col-1(5)l

(39) Statistique tirée de la base de données Mascarille, consultation73.07.2011,.

336 VALENTINA PONZETTO

'oîffå,:îjïd"*"sans rien ajouter deiennes [...] sentai[ent

Il restait donc à retrouver enfin la modernité et la violencefaussement civilisée d'l,In caprice, qualités inscrites dans letexte original, mais corrune recouvertes par la patine d,unsiècle de représentations plus ou moins conventionnelles,ayant fini par transformer ce puissant choc de sentiments,d'orgueils et d'intelligences en un marivaudage anodin,embaumé dans de la naphtaline Louis-Philippe.

Le défi est brillamment relevé par les mettèurs en scènede ce début du XXI" siècle, parmi lesquels on retiendra,notamment, JeanLe spectateur (re)suelle et sexuellecoups et d'un dialogue volontiers parsemé d'allusionspiquantes, discrètement gommées dans les mises ens-cèngs antérieures (41) ; le regard désabusé et pessimistede Musset sur les rapports hommes/femmes/ d-'une éton-

aujourd'hui promis à un bel avenir théâtral.

Valentina PONZETTO

(40) Guy Dumur, Le Nouoel Obseraateur, 5.6.1978, à propos d,LIn caprice àlaComédie-Française.

.sur .la .queue> qui a

à plat quand le mot este-Française en 1.847 etau).

Tlnrn pss IvIATIÈnss

Allocution du Président

PRnN'ttÈRs JounNÉP

TSABELLE DE CHARRTÈnE pEt ln vAN ZUYLEN) (1740-180s)

Présídente: Mme Madeleine VAN STRIEN-CHARDONNEAU

Mme Madeleine Vnu SrnlsN-CF{enooNNEAU : Introduction

Mme Suzan V¡N DUr : La correspondanced'Isabelle de Charrière en ligne

Mme Valérie Cossv : Isabelle de Charrière :

les lumières des femmes.

Mme Marie-Hélène CH¡.¡ur : Masculin/féminine :- -

à¿tiq""t de l'équivoque dans la fiction de Charrière '

Mme Monique Mos¡n-V¡nnnv : Isabelle de Charrière' < Salonnière --virtuelle, : un réseau épistolaire du XVIII" siècle ' ' 75

Mme Virsinie Pescss : Le classicisme d'Isabelle de Charrière"^i;" ;ilïttãtui"t" du tournant des Lumières 93

M. Edwin VeN M¡nRrum : Les écrits politiques de Madame de- Cîarrière et les Provinces-Unies dé ta fin du XVIII" siècle ' I09

M. Paul PBlcrvtRtrls '. Les Ruines deYedburg

et le refus des chimères

5

13

29

4T

57

125

-l

TABLE DES MAIIERES

DpuxrÈrr¡¡ lounNÉ¡

ALEXANDRE DUMAS

Président; M. Roger TOUMSON

M. Roger ToulvrsoN : Introduction

Mme Anne-Marie Cannr-BIANCo : Dumas avant d'Artagnan :

un jeune romancier au carrefour des genres

M. Léon-François HorrvauN : Les personnages noirs et mulâtres,la traite et l'esclavage dans l'æuvre d'Alexandre Dumas ..

Mme Barbara T. Coop¡n : Richnrd Dørlington et Catherine Houtard :

deux pièces <( anglaises > de Dumas père .. .

Mme Christine PnÉvosr : Conjuration et corruption dansle théâtre de Dumas : un ressort dramatique singulier .. . ..

Mme Corinne Semrleoevan-Pnnnnq: Prologues d'une révolution r

loseph Balsømo (1847)

M. Claude Scnopp : Dumas et l'homme Renaissance

Mme Béatrice DIor¡n : Deux < génies de la vie " :

Alexandre Dumas et George Sand. .

403

2r9

235

251

t43

155

t71

187

203

TnorslÈru¡ louRNÉE

DU TEXTEÀIESCÈN¡Présidente : Mme Hélène LAPLACE-CLAVERIE

Mme Hélène Leprec¡-CrlvnRr¡ : Introduction .. 263

Mme Florence Naucnnt'r¡ : La réception du théâtre de Hugoà la scène, de 1867 à nos jours : histoire d'une redéfinitioncontinue du romantisme théâtral 269

Mme Sylviane Ro¡aRprv-EppsrElN : À la recherche des variationsscéniques dans le théâtre de Dumas père : textes-leurres etdocuments-témoins . .. 285

Mme Annie Bnuoo : Du roman à la scène :

Frønçois Ie Champi de George Sand . . 301

404 TABLEDESMATTÈRES

Mme \y'âlentina PoNzsrro : Les proverbes de Musset,-'-lià n*"e des deux Mondes åu succès théâtral ' ' ' ' ' 321'

M. Patrick BnsNsn ;Le Lotmzøccio d'Armand d'Artois ' " ' ' ' ' ' 337

M. julien Scnus : Ubu au XX" siècle' 35L

M. Fabrice van de Krncrcrove : Le premier théâtre de Maeterlincþ^'^r^ th¿âtt"lo* tu scène ? Llinsþiration foraine 365

M. Olivier Gosrz : Edmond Rostand et le défi scénique

de Chantecler

Mme Hélène Llprecn-Ct¡wnrs : Conclusion " "

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Imprimé par SIPAP OUDIN à Poitiers (France)

Dépôt légal no 1967 ,2" trimestre 2012

EAN 9782913718135 - ISBN 2-913718-13-2


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