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PETER HORNL'animal poétique

La poésie ne s'impose plus, elle s'expose.Paul Celan

Car une fois pour toutes / quand cela chante, c'estOrphée.Rainer Maria Rilke

N'oubliez pas qu'un poème, quand bien mêmecomposé dans le langage de l'information, n'est pasun jeu de langage visant à donner une information.Ludwig Wittgenstein

Je ne puis vous dire ce qu'est la poésie. Il estimpossible de définir ce qu'est la poésie, parce qu'ilne s'agit pas d'un objet ou d'un ensemble d'objetsdont les frontières permettraient de clairementdélimiter ce qui relève de la poésie et ce qui lui estextérieur. La poésie est quelque chose qui « faittrembler les limites de notre langage1 ». La «poéticité » n'est pas une essence naturelle, unepropriété intrinsèque du poème. Ce n'est pas unequalité positive. C'est pourquoi la seule manière dontje puisse parler de la poésie, consiste à le faireavec la voix froide et précise d'une « mystique » quidira ce que la poésie n'est pas.Il existe de par le monde un grand nombre d'objetslinguistiques, sous forme de documents écrits etimprimés ou sous forme de séquences de mots mémoriséesou « spontanément » inventées, qui à un moment ou à unautre ont été appelés poèmes. Mais la difficultécommence dès que l'on se demande pourquoi telleséquence sonore est qualifiée de poème alors que telle

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autre ne l'est pas, et sur quelles caractéristiques ettraits distinctifs reposent ces verdicts. Pour lecritique, et tout particulièrement pour le critiqueuniversitaire qui est appelé à justifier lesdistinctions qu'il opère, la tentative de définitionde la poésie est le fondement à partir duquel il peutensuite émettre des jugements sur la qualité du texte.Les questions « qu'est-ce que la poésie ? » et « est-ce un bon poème ? » ne sont pas indépendantes l'une del'autre, elles sont entrelacées : « Un mauvais poèmeest-il encore un poème ou n'est-ce plus un poème dutout ? », demandait naguère Gottfried Benn2. En cettematière, on n'a jamais cessé d'émettre des jugements,et dans toute société, en tout temps, ils reposent surdes conventions : mais « la convention même qui permetà une communauté de s'accorder sur le statutlittéraire de tel ou tel phénomène demeure précaire,instable et sujette à révisions3 ». J'emploie àdessein le mot jugement: en disant que ceci est (oun'est pas) un poème, vous tendez à instaurer une loi,un principe exécutoire, qui vous permet d'inclure etd'exclure, d'établir des normes, de donner des ordres,d'afficher des interdictions, de proclamer des « ilfaut » et « il ne faut pas ». Vous entrez dans lesterritoires de la loi, quand bien même, vous récriant,vous affirmeriez haut et fort que votre seul souci estde décrire de manière « objective » et « empirique »ce qu'est un poème. Un poème n'est pas une chose quipuisse être décrite. Et donner à quoi que ce soit lenom de poème est toujours un jugement de valeur. SiHume dans son traité Of the Standard of Taste (1757)estimait encore que les «principes du goût sontuniversels et pratiquement identiques chez tous leshommes », tout en prenant la précaution d'ajouter que« peu d'entre eux sont qualifiés pour juger desoeuvres d'art », ses certitudes ne sont plus guère

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partagées de nos jours. Qualifier un texte de poème,c'est lui attribuer une valeur. Voilà pourquoi le motmême de poésie est un champ ouvert à la dispute. Lesjugements de valeur fonctionnent toujours selon unelogique et une perspective créées par une classe etune culture dominantes. La plupart du temps, leslecteurs forment leur appréciation dans le cadre deleur propre culture et réagissent aux particularitéstextuelles de la poésie en fonction de la consciencequ'ils ont de ce qu'est un poème, de ce qui leconstitue comme tel à travers l'histoire. Au seind'une même communauté culturelle, les besoins desclasses dirigeantes peuvent changer, tout comme ceuxdes individus. La notion de poème est sujette elleaussi à des évolutions, parfois lentes, parfoisrapides. Il faut également compter avec lesoppositions conscientes aux hégémonies : il arrivequ'on assiste à des tentatives pour briser dessuprématies littéraires opposer aux canons en vigueurune approche subversive du concept même de poésie.Ainsi les jugements de valeur sont-ils souventprononcés dans un climat de tension entre le textelittéraire et les attentes du public, entre 1anovation et le système des normes et conventionsesthétiques 4.Certaines des lois qui disent ce qui est poème et cequi ne l'est pas sont très superficielles. Elles n'enpèsent pas moins sur la conception générale de lalittérature et sur la distinction opérée entre poésieet prose : au sein de la tradition européenne, lepoème doit être en vers, posséder un mètre régulier,recourir à la rime, à l'allitération, mettre en oeuvredes formes complexes de répétition, etc. D'autresexigences touchent de plus près le coeur même de lapoésie, qu'il s'agisse des images, des dispositifsrhétoriques, des métaphores et métonymies, sans que

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l'on explique pourquoi tout cela est nécessaire au «discours poétique » et pour quelle raison certains deces dispositifs sont également employés dans desformes de discours persuasifs, de la rhétoriquepolitique aux messages publicitaires. Mais l'art neconsiste pas simplement à penser par images etsymboles. Dans sa critique des « Imagistes » russes,Victor Chklovski écrivait : « Bien des gens persistentà croire que la pensée par images, "les chemins et lesombres", "les sillons et les lisières" représentent letrait principal de la poésie. » Contre cette visiondes choses il affirmait que « les imagesn'appartiennent à personne » et le travail des poètes« consiste beaucoup plus en la disposition des imagesqu'en leur création 5 ». Les descriptions inadéquatesdes élements constitutifs du « discours poétique » ontsuscité des kyrielles de textes richement ornés quiaspirent à être des poèmes : « Aujourd'hui comme hier,la plupart des mauvais poèmes ne sont mauvais enraison d'une pauvreté de langue, mais à cause d'uneprofusion inflationniste qui sonne faux. Dans l'espritde leurs auteurs, tout se passe comme si la valeur desmots allait de soi, et comme s'ils pouvaient produiresans effort un choc émotionnel, pour peu qu'unecertaine perfection descriptive ait été atteinte [...]Nombre de poèmes médiocres exhibent tous les signes dela belle écriture. 6 » Maints jugements formulés par des critiquess'inscrivent dans une logique circulaire qui faisaitdire à T.S. Eliot que pour savoir si un poème est bonou pas, il faut avoir eu l'expérience de la bonnepoésie. Dans le droit fil de cette idée, un critiquedoit d'abord nous convaincre de son aptitude àdistinguer entre un bon et un mauvais poème, avant quenous accordions crédit à ses réflexions théoriques surla poésie : « Du critique théoricien, nous attendons

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qu'il sache reconnaître un bon poème quand il seprésente à lui.7 » Dans ces conditions, le contactavec « la bonne poésie » risque fort de nous inciter àvaloriser le genre de poésie auquel nous avons étéexposé et à nourrir des préventions à l'encontre de cequi dévie de ce modèle. Eliot estime qu'il y a commeune essence du bon poème et que certaines personnessont aptes à la reconnaître, même si nul ne peutvraiment dire pourquoi tel texte est un poème, voireun bon poème. Il affirme que la poésie est une entitéincommensurable et que « l'expérience de la poésie,comme n'importe quelle autre expérience, ne peut êtreque partiellement traduite en mots 8 ».Hegel a critiqué le concept d'un sens inné de lapoésie, « capable dès le départ et par ses seulsmoyens de distinguer la beauté », mais aussi leconcept de « goût » en tant que sens de la beautéformé par l'éducation. Dans l'Introduction à l'Esthétique, ilécrivait : « le goût comme moyen d'appréhension et dejugement immédiats ne saurait mener bien loin et estincapable d'approfondir une chose. La chose exige unjugement en profondeur ; le goût, le sentiment, nepeut rester qu'à la surface et se contenter deréflexions abstraites. C'est pourquoi le goût s'entient aux détails, afin qu'il y ait accord entre ceux-ci et le sentiment, et redoute la profondeur del'impression que peut produire le tout. Ce quiintéresse le goût, ce sont les aspects extérieurs,secondaires, accessoires de la chose. Les grandscaractères, les grandes passions peints par le poètesont suspects au goût ; son amour de la petitebrocante n'y trouve aucun intérêt. Le goût recule etdisparaît devant le génie. 9 » La poésie n'est pas unsupplément d'âme conféré au discours à travers desornements rhétoriques mais une réévaluation complètedu discours en toutes ses composantes. La littérature,

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a dit Roland Barthes, est « le mode même del'impossible, puisqu'elle seule peut dire son vide, etque le disant, elle fonde de nouveau une plénitude10

».Un malentendu offense la poésie, dès lors qu'il luiest demandé de se conformer comme à une loi au soi-disant « langage poétique ». On ne s'étonne pas qu'enleur temps T.S. Eliot et Ezra Pound aient été traitésde « Bolcheviks littéraires » et d' «ilotes avinés »". Il est impossible au poète d'obéir à la loi. Etsurtout à la loi fondamentale de l'irréversibilité dela mort. L'existence même cette loi force le poète àprendre son stylo et à cheminer dans outre-monde commeOrphée plaidant la cause d'Eurydice auprès des dieuxdes ténèbres : « Celle qui fut tant aimée, qu'une lyrepour elle / fit entendre plus de plaintes que toutesles pleureuses / au point qu'un monde de plaintesnaquit, / un monde où tout fut recréé », écrivaitRilke. La souffrance d'Orphée est si émouvante qu'elleincite les dieux à libérer sa bien-aimée. Mais à cemoment-là, la loi antérieure est remplacée par unenouvelle loi, peut-être plus arbitraire encore : enrevenant du monde des morts, Orphée ne doit en aucuncas se retourner pour regarder Eurydice. Commentaccepter d'obéir à pareille loi ? Le désir qui aconduit le poète dans outre-monde est si fort qu'il netolère aucune entrave. Il vit dans le reject absolu detout ce qui le sépare de l'objet de son désir. Orphéepeut que faire violence à l'autorité de la loi, etperdre à nouveau Eurydice, cette fois pour toujours.S'il avait été capable d'obéir à la loi, il n'auraitpas été homme à descendre aux Enfers pour demanderqu'Eurydice lui soit rendue 12. Pourtant, la loi n'estpeut- pas entièrement arbitraire : par-delà la mort,Orphée réclame la présence « réelle » de sa bien-aimée, tandis que le poème ne permet jamais qu'une

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présence imaginaire. Wordsworth en avait clairementconscience lorsqu'il écrivit que le poète, plus queles autres hommes, « montre une disposition à êtreaffecté par des choses absentes comme si elles étaientprésentes ; une aptitude à faire sourdre en lui despassions qui sont loin d'être identiques à cellesqu'engendrent les événements réels 13 ». Tout autantqu'il se rebelle contre la loi de la mort, peut-êtrele poète se rebelle-t-il contre la loi qui l'empêchede contempler l'objet de son désir. Et peut-être cetterébellion est-elle la source même de l'énergie quiproduit des passions plus réelles que cellesauxquelles les autres hommes sont accoutumés.Pour compliquer encore les choses, on remarqueraqu'une ambiguïté s'attache au mot « loi », car ceterme ne concerne pas le seul domaine du droit, maiségalement la nature. Les législateurs ont souvent jouéde cette ambiguïté pour suggérer que les lois établiespar l'homme étaient réellement des lois naturelles. Àl'inverse les poètes ont eu tendance à traiter toutesles lois, même les lois naturelles, comme si ellesétaient faites par l'homme et donc sujettes àrévision. Dans ces conditions, il n'est pas étonnantque les citoyens de la république aient reconnu dansle poète un camarade incertain, un individu quiébranle cette belle assurance que la loi doit au moinsfeindre d'arborer. Ceux qui ont accusé de subversionle Don Juan de Byron étaient peut-être plus avertis enmatière de poésie que ne le pensait le poète, lui quifeint d'être plus inoffensif qu'il ne l'est en réalité:

Certains m'accusent d'un étrange desseinContre les croyances et la morale de ce mondeEt le traquent en chaque vers de ce poème...14

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Toute tentative de définition de la poésie, touteffort pour trouver un dénominateur commun permettantde loger des textes à son enseigne, ne peut aboutirqu'à un noeud de contradictions, car la poésie estdéfi à la loi, débordement, excès, participation sansadhésion. Quand bien même les poèmes présenteraient-ils des particularités de style ou de genresusceptibles d'être retenues comme preuves qu'ilsdoivent être lus en tant que poèmes, il faudrait serendre à l'évidence que ces particularités n'ont riende définitif 15. « Le formaliste est celui quis'accroche aux formes » disait Brecht 16. John Searlesoutient que les objets d'art n'ont pas de traitscommuns qui nous permettraient de les définir commetels. Il estime que le concept de « littérature » nese réfère pas à une propriété interne des oeuvres maisconcerne davantage nos propres attitudes vis-à-vis decertains textes 17. Les critiques littéraires professionnels, toutparticulièrement au sein de l'université, ont intérêtà maintenir « l'intégrité » de leur domaine et à seprémunir contre tout déplacement de frontière entre cequ'ils considèrent comme leur pré carré et d'autresdisciplines. Ils ont tendance à rejeter la confusiondes genres et la subordination à des intérêtsextérieurs, qu'ils relèvent de la linguistique, del'histoire, de la sociologie, de la religion ou de lapolitique 18. T.S. Eliot affirme : « Les processuspoétiques qui se déploient dans l'esprit de tous lespoètes doivent avoir quelque chose en commun. 19 »Quiconque essaie de décrire, d'analyser, de classifierla multitude d'objets textuels qui existent de par lemonde voudra s'en persuader « Il doit y avoir un traitauquel se fier pour décider que tel événement textuel,telle "oeuvre" relève de telle classe (genre, type,mode, forme, etc.) Et il doit donc y avoir un code

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permettant de juger, grâce à ce trait, del'appartenance à une classe. 20 » Mais par unprocessus complexe, décrit en détail par JacquesDerrida, le poème constamment en échec ce désir: « Ense marquant de genre, un texte s'en démarque. 21 » Ilse déplace, traverse les frontières, même celles qu'ila établies en son propre sein. C'est un nomade. Sacondition est entre l'être et le non-être, il connaîtla plénitude tout en étant vide du caractère que nouslui attribuons. Mais cette plénitude est à certainségards problématique, comme l'a relevé IngeborgBachmann : « Je n'élève pas d'objection contre lespoèmes, mais il m'arrive de penser que l'on pourraitbrusquement élever quantités d'objections à leurendroit, face à chaque métaphore, chaque son, chaqueimpulsion à laisser les mots se rapprocher tout prèsles uns des autres, contre ce bienheureux surgissementde paroles et d'images. 22 » En essayant de dire ce que la poésie n'est pas, noussommes constamment tentés de quitter le royaumeaustère d'une mystique négative. Car même si nousfaisons de notre mieux pour l'éviter, toute assertionnégative contribue en fait à définir les contours dece que la poésie est. La résistance même d'un grandpoète comme Ingeborg Bachmann face aux séductions dela poésie consolide encore le champ de forces qui nousaimante par son magnétisme. La négativité du noncommence soudain à dire oui. Pourtant, et c'est là lesens du rejet de la poésie et de la métaphore dontparle Ingeborg Bachmann, chaque oui est une trahisondu poème.La poésie est exposée à tous vents, nulle règle etnulle frontière ne la protègent. C'est pourquoi elleest toujours perdue, comme Eurydice, l'objet du désir.Au nom de l'amour qu'il lui porte, le poète aentrepris son voyage au pays des ombres. Dans sa

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relation à lui même et avec les autres textes, lepoème ne reste jamais le même ni ne demeure à la mêmeplace. Aussi le poète est-il sans recours : il ne peutfaire fond sur aucune technique, aucun métier, aucuneprovision de thèmes ou de sujets, aucune trésorerie detropes exquis. Pour exister, la poésie doit toujourscommencer à neuf, perdre la clé qui hier ouvraittoutes les portes, oublier ses compétencesantérieures, revenir aux pages non écrites. Quand lepoète est assis devant la page vierge ou l'écranblanc, il se rend compte qu'il est vide d'idées aucommencement il y a toujours cette absolue nudité.Assis à sa table, il se confronte à une forme denéant, de mort, d'entropie. Dans ce sens, et dans cesens seulement, je partage l'avis de Harold Bloomquand il dit: « La triste vérité est que les poèmesn'ont pas de présence, d'unité, de forme ou designification. La présence est une foi, l'unité uneerreur, sinon un mensonge, la forme est une métaphore,la signification est une métaphysique arbitraire etpleine de répétitions. [...] Hélas, un poème nepossède rien et ne crée rien. 23 » Mais j'ajouteraisque la poésie se confronte à ce rien, qu'elle formeavec lui et contre lui un front commun. Ce néant, biensûr, est un terme métaphysique comme tant d'autresmots sacrés de la philosophie, une substancemétaphysique produite par des philosophes comme Sartreet Heidegger : « Le néant est aussi opaque, aussiarbitraire, aussi artificiel que tout autre signeculturel susceptible d'être démystifié. 24 » Enécrivant sur la poésie, je m'aperçois que je ne peuxproduire aucune sorte de texte sans employer au moinsun mot de ce type, dont je fais usage comme d'unaxiome en mathématiques c'est un terme qui n'a aucunevaleur de preuve mais qui soutient l'édifice entierdes mots bâti sur son échine. « Néant » fonctionne ici

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comme un mot servant à décrire la situation du textepoétique, parce que celui-ci se trouve comme sur unemarge, au bord du néant, pour produire (où, comment etpour qui ?) des valeurs, un bien, par-delà le bien et le malpeut-être, ou un sens qui pourrait surgir au revers dece qui n'a pas de sens. Se confronter à ce néant estla tâche de la poésie. Elle insiste sur letranscendantal en tant que possible inaccompli, nonréalisé, et qui entend pour cela même assigner enjustice la vie ou la société afin que ce qui demande àêtre puisse advenir: en ce sens la poésie est critique,et c'est en tant que telle qu'elle est essentiellepour toute société. La poésie appartiendrait donc auroyaume de la téléologie, dont Nietzsche a dit qu'ellerelevait elle-même du royaume humain de lapossibilité, et non pas du royaume naturel de lanécessité. Le poète est un Möglichkeitsmensch. La poésieest une aptitude à vivre dans l'incertitude et ledoute, dans le possible. Coleridge a décrit lapuissance synthétique et magique de l'imaginationcomme un équilibre ou une réconciliation entre desqualités contraires et discordantes 25. Sans cettetranscendance de la poésie, aucune critique n'estpossible, à commencer par l'exigence que ce qui estlaisse la place à ce qui devrait être. La loiuniverselle de l'entropie affecte tout ce qui est,mais ce que souhaite le poème, ce qu'il désire, c'estne pas être transitoire. Comme la vie, la poésie est une force contraire àl'entropie, elle entre en tension avec l'éphémère etle transitoire de toute existence dans le temps. Elleaccroît l'ordre et réduit le désordre, mais l'ordrequi la concerne n'est pas celui de la loi, il serapproche plutôt de l'organisation du vivant. C'est ceque Rilke appelle « la plus douce loi » (sanftestesGesetz), celle qui surmonte l'entropie sans cesser d'en

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redevenir la proie. Désespérée, elle dit alors : Nein,du sollst nicht verirren, « Non, tu ne dois pas te perdre...» (Gottfried Benn), trop consciente qu'en dernièreinstance l'anti-entropie ne peut vaincre l'entropie.Mais après tout, « tandis qu'il reflue vers sonéquilibre final, vers l'informe bain de chaleur del'entropie maximale, l'univers réussit à créer desstructures pleines d'intérêt 26 ». L'imagination,selon Coleridge, est « une puissance vive » : « agentprincipal de toute perception humaine », elle est «essentiellement vitale, même si tous ses objets (entant qu'objets) sont essentiellement fixes et morts 27

». Cette approche, frappée au sceau du romantisme, sefie au miracle de l'inspiration. Mais le poème aspireau miracle, même sous forme de métaphore. Ou pour ledire autrement : le poème oeuvre au triomphe duprincipe de plaisir, libérant le signifiant dusignifié qui, comme le principe de réalité, représenteles conditions limitatives de l'existence 28. Le poèmeoppose l'ardeur exultante de son mouvement au «sérieux de la mort et de la douleur [qui ] est laservilité de la pensée 29 ». Cette tâche de la poésie n'exclut pas d'autresobligations, plus urgentes, plus concrètes etimmédiates, contre les forces de mort telles que lefascisme, l'apartheid, le fanatisme religieux, labigoterie morale, etc. En vérité, sa tâche la plusfondamentale implique de telles obligations. Le poèmen'est pas weltfremd [étranger au monde]. Il se tournevers les conditions concrètes et historiques del'existence humaine et « il opère précisément là oùs'entrecroisent une pluralité de passés et deprésents, à l'intersection du personnel et del'impersonnel, du réel et du fictif 30 ». Parce que lavie est sa fonction même, il ne peut méconnaître cequi répand la mort. Il ne détourne pas son regard de

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la Somalie et du Rwanda, des enfants des rues et desvictimes du Sida, des violences urbaines et des mafiasde la drogue. « Est-ce que ça garde un sens de vivrequand il y a des hommes qui vous tapent dessus jusqu'àvous casser les os ? » demandait Sartre 31. Le poèmen'hésite pas à poser de telles questions. Aucun textene peut - ou ne veut - éliminer complètement lesréférences au monde réel, car s'il le faisait ildétruirait jusqu'à sa propre trace. Le bon sens nous dit: « Il vous faudra mourir ». Commel'enfant, le poète demande: « Pourquoi ? » La répliquedu bon sens est déjà prête, mais comme la plupart desréponses aux questions enfantines, elle n'est pas trèséclairante : « Vous ne pouvez pas vivre toujours. »Orphée demande à juste titre : « Pourquoi pas ? »Seuls les enfants et les poètes posent ces follesquestions. Le sérieux des poèmes est pareil à celuides enfants quand ils nous interrogent. Il doit yavoir une réponse, il doit y avoir moyen de ramenerEurydice sur les rives de la vie. Il n'y a niconsolation ni réconfort dans les phrases quis'écoulent de la bouche des bureaucrates de la mort,des officiants et des membres pensionnés du clergé detoute religion, qui nous assurent que nous nousretrouverons dans un au-delà que personne n'a jamaisvu mais auquel nous devons croire. Hormis ces contesde fées, il y a le silence, le bruit blanc, le chaos,le hasard, la contingence. Il doit exister une hachepour briser la blanche indifférence de l'entropie, unchemin pour descendre au royaume des ombres et portersecours à la vie, un stylo pour inscrire une marque ouun signe qui restera inconsommé par l'espace videautour de nous. Les poèmes posent des revendications déraisonnables.Leur imagination n'est pas « polie ». Leur vie n'estpas « oisive et innocente » et il se peut que leurs

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plaisirs soient « criminels », selon le sens variableque l'État et la société confèrent à ce mot. Rendezmoimon fils ! (Pablo Neruda) Une demande insensée qui nepeut venir que d'un poète, et qui ne sera jamaissatisfaite par le réconfort de la religion ou par lepessimisme raisonnable de Schopenhauer affirmant quela mort qui nous concerne est notre mort en tantqu'individus, mais que notre existence comme individusn'est ellemême qu'une illusion dans le monde desapparences, de sorte que la mort qui marque la fin del'individualité ne constitue en aucun cas une réalitéultime. Peut-être, mais à cette vision de choses nepeuvent souscrire ni Orphée ni Neruda. On ne permetaux poèmes de formuler des demandes si déraisonnablesque parce qu'on les lit comme des métaphores, et noncomme des demandes. Les poèmes posent des exigencesimpossibles - « Soleil, arrête-toi sur Gabaon, / Ettoi, lune, sur la vallée d'Ajalon ! » - et attendentqu'elles soient satisfaites « Et le soleil s'arrêta,et la lune suspendit sa course » (Livre de Josué, X,12-13). Tout cela, bien sûr, n'est pas seulementabsurde, mais sans pertinence et tout à fait superfludans un monde qui a soldé nos avenirs et vendu lesmoissons qui auraient pu nourrir des multitudes, àseule fin d'engranger des millions pour le compted'une fondation qui s'arroge le nom de Liberté etDémocratie. Au mieux, la poésie sera donc toléréecomme une métaphore, un transfert dans une autreréalité, sans que personne ne doive la prendre ausérieux puisqu'elle ne produit ni profits nidividendes. Mais la liberté des marchés n'est pas laliberté des poètes. On s'en désolera peut-être, maisles poètes ne sont pas des gens «tempérés etraisonnables» qui essaient de nous vendre « du cafésans caféine, du thé sans tannin », comme l'écrivaitT.S. Eliot à propos de Matthew Arnold, et ce ne sont

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pas non plus, « comme les dentistes, des hommesexerçant un travail bien précis 32 ». Les poètes, quine vivent pas hors du monde, ne se sentent pas chezeux parmi les marchands du temple. Ils aspirent à unerenaissance, à un monde autre. Désir infantile,assurément. Mais les désirs les plus merveilleusementpervers sont infantiles: métamorphose, conversion,éternité. Et le ciel bleu, la mer couleur de vin. Quand V N. Voloshinov affirme que « le centreorganisationnel de tout discours, de toute expérience,n'est pas à l'intérieur mais à extérieur - dans lemilieu social qui entoure l'individu 33 », il désignela structure sociale, la loi et la langue quipréexistent à la poésie, mais contre lesquelles lapoésie se manifeste, et c'est précisément l'énergie dece contre, avec tout le sérieux, l'espièglerie etl'esprit d'invention qui en résultent, qui fait que lapoésie est poésie, et non pas sa teneur et sesornements. Ce contre, en tant que transgression, contredit lapensée de Kant selon laquelle la beauté esthétique n'aaucun rapport avec le désir. Il n'y a pas de jugementesthétique qui soit libre de tout lien avec le désir.A fortiori, il n'y a pas de créativité esthétique qui nesoit mue par lui. Le problème, dans l'argumentation deKant, c'est qu'il réfère le désir et l'intérêt à laréalité de l'objet. Si je peux admettre que le désirn'est pas nécessairement lié à la « réalité » del'objet d'art - après ut le désir ne dépend pas de la« réalité » mais de « l' imaginaire » - il seraitpervers d'inciter quelqu'un à considérer ce même objetsans manifester aucun « intérêt », avec une « complèteindifférence » (Cf. Kant, Critique de la faculté de juger,1790).

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L'indifférence est le mode que la science (et laphilosophie) adoptent pour dissimuler leurs penchantsinavoués. La poésie est une figure de la volonté, etnon de la connaissance pour la seule gloire deconnaissance. « Mais que peut donc être un momentcognitif ou épistémologique dans un poème ? »s'interroge Harold Bloom. « Là ou la volontéprédomine, fût-ce malgré elle, quelle place estlaissée à connaissance ? Comment pouvons-nous parlerde degrés de connaissance dans le monde aveugle dudésir, où la vérité est toujours ailleurs, toujoursdifférente, où on ne la rencontre qu'à travers lesconsentements et les rebuffades d'une énergie qui estl'exacte antithèse du renoncement, une force quirefuse toute forme ? 34 » L'un des grands problèmes de la poésie, c'est que pourceux qui consomment l'art à doses thérapeutiques et àtitre de loisir, elle est métaphorique, ce qui est uneaimable façon de dire qu'elle est un mensonge. Danscette optique, un poème ne cesse d'être un mensongequ'à la condition d'être lu comme un texte déconnectédu monde réel, sans rapport avec un véritable désir etun authentique intérêt. Cela signifie que l'espace dela poésie est une « institution fictive qui autoriseen principe à tout dire. [...] Et tout dire c'estaussi franchir la barrière des interdits35». Oui, vouspouvez le faire, mais cela n'a aucune conséquence, nipour le poète, ni pour le lecteur, ni pour le texte.Ce ne sont pas les pensées qui sont libres, ce sontseulement les mots 36. Contre cette tolérancerépressive, le poème insiste : ce qu'il veut, il leveut pour de vrai. Il entend produire un changementréel. Le poème est une fabrique d'énergie. Il vise àproduire une renaissance où l'on se déleste de la peaumorte des habitudes. Le désir de renaissance

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s'enracine dans ce que nous avons été, dans ce quenous étions destinés à être et qui demeure inaccompli.« Renaître », en l'occurrence, c'est revenir au mondeavec des yeux dessillés. Comme si soudain ilsvoyaient, alors qu'ils n'avaient jamais vu. «Renaître»n'a rien de religieux, d'irrationnel ou de surnaturel.Cela relève peutêtre de l'expérience mystique, mais lamystique est à bien des égards le contraire de lareligion et de l'irrationalité, puisque que faisant fide toute orthodoxie et de tout dogme, elle est toutentière et seulement expérience. L'expérience «mystique » ne dépend jamais d'une autorité, qu'ils'agisse d'un pape ou d'un livre, et consiste à sedépouiller de toute assuétude mortifère qui détruitnotre aptitude à penser, à ressentir, à vivre. Lapoésie elle-même doit constamment se réincarner pourque le monde qui toujours s'éloigne et passe au largesoit à nouveau présent dans le poème. La poésie n'est pas communication, elle ne consistepas à envoyer et recevoir des messages. Toutecommunication opère dans l'illusion que nous nouscomprenons les uns les autres, que nous nous sommescompris avant même d'avoir communiqué, et que noussavons parfaitement ce que nous voulons dire quandnous prononçons une phrase. La communication reposesur le socle de l'habitude, que la poésie parsubversion n'a de cesse de saper. « L'automatisation[des gestes quotidiens] avale les objets, les habits,les meubles, la femme et la peur de la guerre. "Sitoute la vie complexe de bien des gens se déroule dansl'inconscience, alors c'est comme si cette vie n'avaitpas été." Et voilà que pour rendre la sensation de lavie, pour sentir les objets, pour éprouver que lapierre est de pierre, il existe ce que l'on appellel'art. Le but de l'art c'est de donner une sensationde l'objet comme vision et non pas comme

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reconnaissance. 37 » Contre le pli habitudinaire où lavie s'étiole et se fripe jour après jour, l'art, selonChklovski, recourt à la défamiliarisation (ostranénié).Il s'agit de mettre fin à ce qui englue le regard dansl'automatisme : une nouvelle manière de dire le mondenous engage à le voir à neuf. Brecht aussi estimaitque le Verfremdungseffekt (effet de distanciation) étaitl'un des dispositifs essentiels de l'art, dans lamesure où il nous amène à nous étonner, à ne plustenir l'ordre des choses pour « naturel » et « normal». Et même le grand adversaire de Brecht, Aristote,semble avoir en tête une préoccupation analoguelorsque dans sa Rhétorique (III, 11, 7) il réfléchit àla force de la métaphore en mettant l'accent sur lasurprise qu'une tournure inattendue provoque en nous,dans un double mouvement d'écart et de proximité, dedistanciation et d'exacte reconnaissance. En affirmant que la poésie ne relève pas de la «communication », que veut-on dire exactement ? Lacommunication communique soit un savoir, uneaffirmation ou une proposition, soit une intention ouun ordre d'agir. La poésie ne nous «informe» pas surle monde comme peuvent diversement le faire lascience, les journaux, les conversations ou lescommérages. Elle ne nous « ordonne » pas davantaged'accomplir certaines choses, comme peuvent nousenjoindre à le faire les autorités militaires ou uneinjonction morale. De manière générale, la poésie nese conforme à aucun des actes de parole qui logentd'ordinaire à l'enseigne de la « communication ».Enfin, elle n'est pas communication dans le sens oùcette dernière doit d'abord veiller à ce que lemessage qu'elle transmet soit aisément compris par lerécepteur. Les poèmes n'ont pas besoin d'êtreimmédiatement compréhensibles par tout un chacun, mêmedans le cas où le poète entend «écrire pour le peuple

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». Écrire pour des petits groupes ne revient pasnécessairement à mépriser les masses, si ces petitsgroupes servent à leur tour les intérêts de lamajorité des citoyens. Les chansons que chante lepeuple sont rarement des chansons issues du peuple. Lemot « populaire », lorsqu'il est employé dans desdébats à caractère « populiste », a toujours le goûtexécrable de la condescendance. On demande pour lepeuple des choses compréhensibles et simples, c'est-à-dire de la communication : Pas de caviar pour lesmasses, je vous en prie ! Servez-leur ce qu'on leurdonne d'habitude, traitezles comme le fait latélévision. Le peuple, c'est bien connu, est un peudur de la comprenette, il assimile lentement (cf.Brecht, « Über den Realismus » 38). À ce compte-là,Hitler pouvait affirmer sans mentir qu'il était unhomme du peuple. Si la poésie ne relève pas de lacommunication, qu'est-elle donc ? Elle est écritured'un événement et inscription d'une expérience. Unpoème est un processus qui instaure un typeparticulier de présence, une origine, un commencement.C'est un événement de parole qui ouvre à l'expériencede l'objet esthétique. Paul Ricoeur a écrit qu'il n'y avait « pas d'actionsans imagination 39 ». L'imagination est nécessairedans un monde sans origines, sans fondations et sansfins dernières: il revient à l'imagination de créerl'origine et le but, qui nous permettent d'agir.L'imagination pérégrine de ce qui est à ce qui n'estpas encore, elle passe de l'effectif au possible. Sansce mouvement, nous ne pouvons nous extirper del'attitude passive où nous confinent le déterminismeet la causalité.Les médias sont le désert de l'imagination : ilsl'assèchent afin de tarir les sources de l'action.Leur tâche consiste à maintenir les humains dans une

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sorte de mouvement suspendu. La poésie est résolumentétrangère au spectacle médiatique, à ses proposexpéditifs, son caquetage chronique, sa vacuitéchronométrée, sa compulsion normalisatrice. Les médiassont « populaires » parce qu'ils tablent sur desspectateurs ou des lecteurs tout faits (ready-made). Lapoésie au contraire doit créer ses lecteurs : « Pardéfinition, le lecteur n'existe pas. [...] C'estl'œuvre qui produit son lecteur. Un lecteur quin'existe pas encore, dont la compétence ne peut êtreidentifiée, un lecteur qui sera "formé", instruit,construit, engendré, et l'on pourrait même direinventé par l'œuvre. 40 » À l'inverse du mouvement hâtif et rapide des médias,la poésie est la vie dans sa lenteur, comme dansl'expérience d'un danger extrême où soudain le tempsse ralentit. Au lieu d'essayer d'absorber de plus enplus d'informations à chaque seconde (ce qui revientparadoxalement à en recevoir de moins en moins), lapoésie nous oblige à assimiler de moins en moinsd'information dans un laps de temps donné, comme sinous éprouvions quelque difficulté à comprendre lalangue que nous parlons depuis l'enfance, et qu'ilnous fallait à nouveau nous assurer du sens de chaquemot. Mais soudain, dans ce mouvement d'une lenteurextrême, les éléments langagiers révèlent dessignifications qui dans le discours ordinairebasculent toujours au-delà de l'horizon, échappant ànotre attention. Rythmes, motifs sonores, scansions,cadences, ou au contraire inhabituel abrasement de lavoix. La poésie n'est pas simplement beauté. L'essence de lapoésie n'est pas poétique. La poésie existe parcequ'il y a des êtres humains qui vivent selon cettesentence : là où nous avons été brûlés, il y auralangue et langage. Les brûlures elles-mêmes ne sont

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pas littérature. La littérature est le rituel depublication de la brûlure, exposée en langue. Ce genred'exposition est obscène : les enfants s'y adonnentmais ils sont supposés ne pas savoir vraiment cequ'ils font ; les poètes séduisent leurs lecteurs pourles entraîner à plonger le regard dans l'interdit. Laséduction est toujours un processus esthétique : lespoèmes n'ont pas l'habitude de s'imposer. La beautéesthétique serait alors une ruse apollinienne pourdonner voix à ce qui n'aurait pu trouver de paroledans aucune autre forme de langage. Les poèmes sontdes énigmes : ils doivent l'être pour avoir droit àl'enfance et pour décourager ceux qui possèdent toutesles réponses. Les poèmes ne veulent pas tomber dans laprose. Au mieux ils pourront dire: « C'est là mon bonet mon mauvais. 41 » Ach ! wir kennen uns wenig, /Denn es waltet ein Gott in uns. (« Ah !si peu nous connaître / Parce qu'en nous règne undieu. ») Le dieu dont parle Hölderlin est bien sûrcelui de la poésie - ou, ce qui revient au même, celuide l'amour. Les amants n'existent que dans la poésie.Là seulement, ils sont réels. Plus réels qu'ils nepourraient jamais l'être dans la vie réelle. Le dieuest la possibilité maintenue de se diriger au-delà dufactuel et de l'empirique, de transcender le donné parles voies de l'art. Le dieu, comme l'a dit un jourPaul de Man, est l'enthousiasme du poète dans lacréation du texte, la victoire sur la mort par labeauté du son, le merveilleux mécanisme qui porte lenom de poème 42. Mais le poète n'est pas l'artisan de belles inanitéssonores. Il lui faut retraverser le miroir etrejoindre le monde réel, où le poème continued'exister comme un artefact, un impérissabletémoignage attestant que le poète a franchi la

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frontière qui nous sépare de l'inaccessible perfection: Einmal /Lebt ich, wie Götter, und mehr bedarfs nicht.

Une fois j'aurai vécu comme vivent les dieux, Il n'en fallait pas davantage. 43

Traduit de l'anglais par Jean-Baptiste ParaPeter Horn, né en 1934 dans les Sudètes, vit enAfrique du Sud. Durant les années de l'apartheid, il apris une part active à la résistance culturelle dupays. Il enseigne à l'Université du Cap. Parmi seslivres de poèmes : Walking through our Sleep (1974), The CivilWar Cantos (1987), An Axe in the Ice (1992), The Rivers thatConnect us to the Past (1996), My Voice is under Control Now(1999). En français Derrière le vernis.du soleil, poèmes 1964-1989, traduits par Jacques Alvarez- Péreyre, Europe /Poésie, 1993. 1. Derek Attridge, « This strange institution calledliterature ». An interview with Jacques Derrida. In :Jacques Derrida, Acts of Literature, edited by DerekAttridge, New York / London, Routledge, 1992, p. 60.

2. Gottfried Bern, « Probleme der Lyrik ». In: GesammelteWerke : Essays and Reden in der Fassung der Erstdrucke, Hg. von BrunoHillebrand, Frankfurt am Main, Fischer, 1989, p. 514.

3. Derek Attridge, op. cit., p. 73.4. W. Krajka et A. Zgorzelski, On the Analysis of the Literary

Work, 2nd ed. Trad. A. Balim, Varsovie, PWN, 1974, p.170 sq.

5. Victor Chklovski, « L'art comme procédé », in Théorie dela littérature. Textes des Formalistes russes, réunis, présentés et traduits parT. Todorov, Paris, Le Seuil, « Points / Essais ».Traduction modifiée par endroits.

6. Martin Harrison, « An Introduction to Veronica Forrest-Thomson's Work » et «The Particularity of Poetry ». In :Denise Riley (ed.), Poets on Writing. Britain 1970-1991,Houndmills, MacMillan, 1992, p. 61.

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7. T.S. Eliot, The Use of Poetry and the Use of Criticism. Studies in theRelation of Criticism to Poetry in England, London, Faber and Faber,1934, [1950, p. 16].

8. Ibid , p. 17.9. Hegel, Introduction à l'Esthétique, trad. S. Jankélévitch,Paris, «Champs » l Flammarion.

10. Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Le Seuil, « Points/ Essais », p. 135.

11. T.S. Eliot, op. cit., p. 7112. Peter Sloterdijk, Zur Welt kommen - Zur Sprache kommen,

Frankfurter Vorlesungen, Frankfurt am Main, 1988, p. 27.13. William Wordsworth, Advertisment, Preface, andAppendix to Lyrical Ballads. In: The Prose Works of WilliamWordsworth, ed. W.J.B. Owen and Jane Worthington Smyser,Vol. 1, Oxford, Clarendon Press, 1974, p. 74.

14. Lord Byron, Don Juan, IV, 5.15. Cf. Peter J. McCormick, Fictions, Philosophies, and the Problems

of Poetics, Ithaca, Cornell University Press, 1988, p. 58.16. Bertolt Brecht, « Über den Realismus », in Gesammelte

Werke, 1967, Bd. 19, p. 286.17. John R. Searle, « The Logical Status of FictionalDiscourse », New Literary History, 1974, 6, p. 320.

18. Cf. Eugene Goodheart, The Sceptic Disposition. Deconstruction,Ideology, and Other Matters, Princeton University Press, 1984,p. 24.

19. T.S. Eliot, op. cit., p. 83.20. Jacques Derrida, « La loi du genre », in Parages,Paris, Galilée, 1986, p. 262.

21. Ibid., p. 264.22. Ingeborg Bachmann, Werke IV: Essays, Reden, Vermischte Schriften.Hg von Christine Koschel, Inge von Weidenbaum undClemens Münster, München, Piper, 1982, p. 25.

23. Harold Bloom, Kabbalah and Criticism, New York, TheSeabury Press, 1975, p. 122.

24. Eugene Goodheart, op. cit., p. 59.25. S. T. Coleridge, Biographia Litteraria or Biographical Sketches of

my Literary Life and Opinions, ed. James Engell and W. JacksonBate, Princeton University Press, 1983, p. 79.

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26. James Gleick, Chaos. Making a New Science, London, Abacus,1994, p. 308.

27. S. T. Coleridge, op. cit., p. 76.28. Eugene Goodheart, op. cit., p. 76.29. Jacques Derrida, L'Écriture et la Différence, Paris, Le Seuil,« Points / Essais », p. 384.

30. Peter Riley, « The Creative Moment of the Poem ». In :Denise Riley (ed.), Poets on Writing. Britain, 1970-1991, London,MacMillan, 1992, p. 94.

31. Jean-Paul Sartre, Morts sans sépulture, in Théâtre 1,Paris, Gallimard, 1947, p. 263.

32. T.S. Eliot, op. cit.33. V N. Voloshinov, « Social Interaction and the Bridgeof Words ». In Marxism and the Philosophy of Language, trans.by Ladislav Matejka and I.R. Titunik, Seminar Press,1973.

34. Harold Bloom, Wallace Stevens : The Poems of Our Climate,Ithaca N.Y, Comell University Press, 1977, p. 387.

35. Derek Attridge, op. cit., p. 36.40. Derek Attridge, op. cit., p. 74.41. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, IIIe partie, « Del'esprit de pesanteur».

42. Paul de Man, « Tropen (Rilke) », in Allegorien des Lesens,Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1988, p. 63.

43. Hölderlin, « Aux Parques », traduction de Guillevic,Europe n° 851, mars 2000.


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