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Guerre, couvade, chamanisme, sorcellerie, chasse aux têtes, rituels funéraires et mythologie… Rédigés par certains des meilleurs spécia-liÒes contemporains de l’ethnologie de l’Amazonie, les trente-trois textes réunis dans cet ouvrage nous éclairent, entre autres, sur ces thématiques classiques de l’américanisme tropical. Si l’ayahuasca, le venin de rainette (kampo), les sarbacanes, les ornements corporels, le cannibalisme rituel, les arts oratoires et les dilemmes inhérents aux premiers contaCs avec les Blancs occupent le devant de la scène, les problématiques plus contemporaines transparaissent également dans les deux volumes de ce recueil, qu’il s’agisse de l’introduCion du football dans les villages amérindiens ou de l’implication croissante des jeunes femmes dans la vie politique de communautés kayapo mobilisées contre l’implantation de barrages hydro-éleCriques sur leurs terres. Les queÒions d’éthique sont également très présentes dans ces « trophées » dédiés à Patrick Menget — Wgure pionnière de l’ethnologie et de l’indigénisme —, avec des contributions qui traitent de l’attitude à adopter face à la cruauté inXigée aux ani-maux ou face aux diYcultés rencontrées par les ethnologues qui s’immergent dans des univers conceptuels amazoniens aussi syÒé-matiquement fascinants que parfois déconcertants.

c o l l e c t i o n r e c h e r c h e s a m é r i c a i n e s

s o c i é t é d ’ e t h n o l o g i eu n i v e r s i t é p a r i s o u e s t n a n t e r r e l a d é f e n s e

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Ethnologue et indigéniÒe d’envergure internationale, Patrick Menget a démarré sa carrière à l’université Harvard, avant d’enseigner plus durablement à l’université Paris X-Nanterre puis, dans le sillage de Marcel Mauss, à l’École pratique des hautes études. Il a également fondé et longtemps présidé la seCion française de l’ong Survival International.

SpécialiÒe de parenté, d’hiÒoire des idées et d’anthropologie religieuse, il a enquêté chez les Tzotzil de Chamula au Chiapas (Mexique), chez les Kaliña au Surinam, chez les Kogi de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie et, surtout, dans la région du haut Xingu, au Brésil, où il s’eÒ tout particulièrement concentré sur une ethnie minoritaire de langue caribe : les Ikpeng.

Ses travaux précurseurs sur la couvade, l’onomaÒique, le chamanisme, les rituels et les trophées de guerre ont fait date, inspirant toute une génération d’américaniÒes dont un panel inter-national s’eÒ conÒitué pour lui oVrir ce liber amicorum amazoniensis.

En couverture : La vuelta del malón, du peintre argentin

Angel Della Valle (1892, n° inv. 6297 du musée national des Beaux-Arts d’Argentine). L’œuvre représente une troupe d’Araucans (ou Mapuches) ramenant son butin à travers la pampa argentine : une captive blanche, des têtes trophées, un chien, une valise et divers trésors pillés dans une église.

Tableau photographié par Federico Bossert, avec l’aimable autorisation des responsables du Musée.

MaqueTe de couverture :Sophie Laporte

volume i : couvade, terrains et engagements indigénistes

Avec les contributions de

Bruce Albert, Renato Athias, Laurent Barry, Jean-Michel Beaudet, Véronique Boyer, Frederico Delgado Rosa, Hélène Erikson Weisbrod, Philippe Erikson,

Marcos Guevara Berger, Florent Kohler, Patrick Menget, Rose-France de Farias Panet, Anne-Marie Peatrik, Anthony Seeger, Émilie Stoll,

Márnio Teixeira-Pinto, Emmanuel de Vienne, Eduardo Viveiros de Castro.

TrophéDÉtudD EhnologiquD, indigéniSD

E amazoniSD oVertD à Patrick MengE

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édité par

P H I L I P P E E R I K S O N

Société d’ethnologie

volume i

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isbn 978-2-36519-018-3isbn 978-2-36519-016-9prix du présent volume : 21 € prix des deux volumes : 38 €

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Je souhaite dans les quelques pages qui suivent souligner l’importance, pour le bon déroulement d’un parcours doCoral, de la qualité de l’enca-drement et de la richesse du milieu académique dont peut bénéWcier le candidat. Une véritable orientation du travail universitaire, un processus d’éducation au vrai sens du terme, dans le dialogue et la conÒruCion de la connaissance, sont indispensables pour la réussite d’une thèse. Dans ce contexte, la présence d’un tuteur eÒ souvent cruciale (et souvent même exigée par l’académie). Dans mon cas, c’eÒ Patrick Menget qui a joué ce rôle capital.

J’ai connu Patrick Menget par l’intermédiaire de deux collègues français, Bruce Albert et Dominique Buchillet, qui se reconnaissaient eux aussi comme ses disciples. C’était à la Wn des années 1970. Je vivais alors à Manaus, mais étais en correspondance régulière avec eux et nous nous sommes Wnalement rencontrés quand je suis arrivé à Paris pour faire la maîtrise et le doCorat en ethnologie à Nanterre (Athias 1982, 1995). En plus de leurs précieux conseils, j’y ai aussi bénéWcié de l’orientation de Julian Pitt-Rivers, de mémoire bénie, et de Jacques Galinier. Dans les pages qui suivent, je voudrais leur rendre hommage à travers ce compte rendu très personnel des conversations et des séances d’orientation académique que nous avons eues pendant ce temps autour de la thématique qui m’intéressait alors, à savoir les relations asymétriques entre Hupd’äh et Tukano.

Ma carrière a été largement consacrée aux recherches anthropo-logiques chez les Hupd’äh (de la famille linguiÒique Maku) dans la région du haut Rio Negro. En 1980, lorsque je suis venu terminer mes études à Paris, les archéologues ne situaient pas encore Lutèce à Nanterre plutôt qu’à l’île de la Cité (Viand 2008). Mais pour ma part, si j’ignorais tout des Parisii, j’avais en revanche déjà une bonne connais-sance préalable du terrain, de l’environnement, de la langue et de la culture des Hupd’äh. J’arrivais donc avec un nombre considérable de doutes et d’interrogations, partagés avec Patrick au cours de longues,

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Du Uaupès à Lutèce, et retour…Regard rétrospeCif sur un parcours doCoral « nomade »

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1. La thématique avait déjà retenu l’atten-tion des principaux voyageurs, chroniqueurs et ethnologues qui avaient travaillé dans la région : Wallace (1870), Coudreau (1886),

Stradelli (1890), Koch-Grünberg (1906), Rivet, Kok et Tastevin (1925), Nimuendajú (1927), Goldman (1963), Jackson (1983), pour ne citer que les principaux.

innombrables et mémorables conversations. La discussion portait souvent sur l’inégalité des relations entre chasseurs-nomades (tels les Hupd’äh) et agriculteurs-sédentaires (tels les Tukano), queÒion tout à la fois classique1 et encore pertinente aujourd’hui, en particulier pour ceux qui travaillent avec les peuples autochtones de cette « aire cultu-relle ». J’appris grâce à Patrick que des phénomènes similaires exiÒaient aussi dans d’autres parties du monde et lus avidement tout ce qu’il me conseillait de lire sur le sujet.

Patrick m’avait indiqué les références importantes à l’époque, telles Service (1966) et TeÒart (1982), qui me Wrent réorienter ma probléma-tique vers la queÒion des relations patron-client susceptibles d’unir des chasseurs-cueilleurs à leurs voisins agriculteurs. Nos discussions tour-naient souvent autour de la possibilité d’appliquer les idées qu’il m’expo-sait au contexte ethnographique que je lui apportais du haut Rio Negro. Mais, au début, j’étais loin d’être convaincu. Sans entrer dans les détails, ma première objeCion était que les soi-disant chasseurs-cueilleurs, et en particulier les Maku, étaient en fait loin d’ignorer la domeÒication. La notion de chasseur-cueilleur était donc pour le moins Xoue, et pire, entachée d’évolutionnisme en raison de ses liens avec l’époque où l’ethnographie visait avant tout à classer les peuples dans une optique hiérarchique, à partir de vagues comparaisons entre les principaux traits des sociétés contemporaines et ceux des sociétés préhiÒoriques. Pour les évolutionniÒes du xixE siècle, la condition de « sauvage » coïncidait avec celle de chasseur-cueilleur et Taylor, tout comme Morgan, consi-dérait l’apparition de l’agriculture comme marquant le dépassement de cet état de « sauvagerie ». En d’autres termes, je ne voyais pas comment de telles notions pouvaient s’appliquer aux Hupd’äh, même si j’avais bien conÒaté qu’ils étaient souvent employés comme chasseurs profes-sionnels au service de ceux des groupes de langue tukano avec qui ils entretenaient des relations privilégiées.

Dans la littérature ethnologique, le concept de nomadisme a été associé, en termes analytiques, à la mesure des déplacements de cer-taines communautés particulièrement mobiles (principalement des chasseurs-cueilleurs). Mais la plupart de ces travaux utilisent la notion de nomadisme sans en donner une déWnition très précise, ni surtout proposer une typologie Wne des déplacements. Les discussions en cours

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2. Sahlins a été professeur invité à Nanterre en 1968-1969 (Sahlins 1999), à l’inÒar d’autres chercheurs notoires, tels John David Sapir

(1972-1973), John Murra (1975-1976), Jon ChriÒopher Crocker (1974-1975) ou encore Vincent Crapanzano (1982-1983).

sur le thème de la mobilité (cf. Kelly 1992, Alexiades 2011) gagneraient à incorporer des éléments nouveaux pour enrichir la réXexion sur les concepts de nomadisme, de sédentarisation et de déplacement. À cet égard, mes données ethnographiques hupd’äh font ressortir :1) des relations commerciales et services rendus aux voisins (Tukano) ;2) la pratique de la chasse, la cueillette de fruits et autres produits d’extraCion en tant que principale aCivité économique de subsiÒance et de troc ;3) le maintien d’une aCivité agricole minimale de subsiÒance.

Ces éléments révèlent la singularité de la mobilité des Hupd’äh qui, bien que n’étant pas considérés comme ÒriCement sédentaires, ont toutefois des aCivités agricoles, entre autres traits généralement consi-dérés comme caraCériÒiques des communautés qui le sont.

AWn d’approfondir l’enquête sur la mobilité amérindienne, je me suis penché sur ce que Lee et Devore (1968 : 11) disaient à l’époque. C’était simple : ils aYrmaient que les chasseurs-colleCeurs « se déplacent beaucoup », mais sans préciser ce qu’il fallait entendre par « beaucoup ». Certes, la littérature ethnologique concernant les Hupd’äh insiÒe syÒé-matiquement sur leurs déplacements conÒants, mais c’eÒ la déter-mination du syÒème qui gouverne cette mobilité qui nous semblait ici intéressante. Les données disponibles à cette époque permettaient d’aYrmer que certains groupes de chasseurs-cueilleurs se déplacent moins fréquemment que certaines sociétés d’horticulteurs considé-rées sédentaires. Associer la mobilité aux communautés de chasseurs- cueilleurs reÒreignait donc outre mesure cette notion, riche de la diversité des déplacements des groupes ethniques.

Mauss (1905), l’un des premiers à employer le terme « mobilité », associait à ce concept, dans le cas des Inuits, des dimensions morales et religieuses. Sahlins (qui by the way avait lui aussi enseigné à Nanterre2) employait également ce terme, le mettant en relation avec les attitudes du groupe par rapport aux biens matériels (Sahlins 1972). Certains archéologues qui analysent le processus de sédentarisation mettent l’accent sur les changements subÒantiels découlant de la réduCion de la mobilité, concernant, entre autres : le Òockage des aliments, le com-merce, les relations entre les sexes, la conception de la territorialité et la démographie (cf. Kelly 1992 : 43). Patrick m’encourageait à creuser ces notions et concepts aWn de rendre compte de façon adéquate des

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déplacements de groupes ethniques comme les Hupd’äh. Il me conseil-lait de réXéchir aux faCeurs engendrant la mobilité, au lieu de la tenir pour acquise, comme c’était le cas dans la plupart des études plus anciennes. Reid (1979), qui avait séjourné quelques années auparavant chez les Hupd’äh, utilisait la notion de Xuidité (tirée de Turnbull 1961 : 100-109) pour caraCériser un syÒème social comprenant un haut degré de mobilité au sein de et entre groupes sociaux. Il s’interrogeait aussi sur la pertinence d’une diÒinCion entre mobilité et Xuidité (cf. Reid 1979 : 96). Dans son analyse des déplacements des Mbuti, Godelier (1974 : 183) évoquait pour sa part trois « contraintes » :1) « dispersion » du groupe local en groupes réduits jusqu’à la limite de l’eYcacité dans la prospeCion des ressources ;2) « coopération », diVérenciée selon l’âge et le sexe, entre les individus composant le groupe, pour maximiser les capacités du processus de produCion ;3) « Xuidité » (avec pour référence, ici aussi, la déWnition de Turnbull) aVeCant la composition du groupe local à certains moments.

Ces trois conditions sociales garantiraient la reproduCion du pro-cessus de produCion chez les Mbuti. Les processus de produCion des Hupd’äh semblent conditionnés par des faCeurs identiques. Leurs déplacements au sein de leur espace social, j’insiÒe sur ce point, sont principalement fondés sur l’adaptation à l’écosyÒème et visent à opti-miser l’exploitation des ressources nécessaires à la survie. La mobilité des Hupd’äh eÒ donc en rapport avec leur processus de produCion. Les trois « contraintes » — principalement celle relative à la « Xuidité » — peuvent être observées non seulement chez les Hupd’äh, mais aussi dans d’autres groupes linguiÒiques dans la région.

Howard Reid (1979 : 96) diÒinguait deux types de mobilité chez les Hupd’äh, qu’il appelle respeCivement « mobilité à long terme » et « mobilité à court terme ». À la première sont associés les déplacements de l’ensemble du groupe local, lorsque celui-ci déménage et se Wxe col-leCivement en un lieu nouveau. À la seconde sont associés les dépla-cements qui sont le fait d’individus ou de groupes de taille inférieure à celle du groupe local, et qui concernent la prospeCion des ressources et les aCivités de produCion. Le mieux serait peut-être d’employer les expressions « mobilité résidentielle » et « mobilité logiÒique », comme le suggère Binford (1990), du fait que sont en jeu les motifs des déplace-ments et non leur durée. Binford opère une diÒinCion entre fourrageurs et cueilleurs en fonCion des formes d’adaptation à l’environnement. Il considère les cueilleurs plus sédentaires que les fourrageurs, du fait qu’ils sont mieux caraCérisés par la mobilité résidentielle que par la

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mobilité logiÒique. On pourrait dire en somme que mobilité résiden-tielle et mobilité logiÒique font partie de la ÒruCure des groupes, qui ont de profondes relations avec les ressources, et de leur adaptation à l’environnement.

Nous pouvons employer ces inÒruments d’analyse pour les Hupd’äh. La mobilité logiÒique eÒ alors en rapport intime avec les relations qu’ils entretiennent entre eux ou avec leurs voisins tukano. La mobilité rési-dentielle, qui correspond au déménagement de l’ensemble du groupe, n’eÒ quant à elle pas toujours associée à une meilleure exploitation des ressources ; elle peut aussi être liée aux rapports sociaux entre Hupd’äh et Tukano. Notons rapidement au passage que les Hupd’äh disposent de deux verbes diÒinCs pour se référer aux aCions relatives à la « quête de ressources » : 1) kó’ai quand il s’agit de la prospeCion — chasse, pêche ou cueillette — au sein de la forêt ;2) bu’úi pour tout ce qui implique une certaine obligation de « travail-ler », notamment sur les terres et le village des Tukano.

Ces deux mêmes termes indiquent aussi des direCions de déplace-ment, selon qu’on se déplace vers la forêt ou vers les bords du Xeuve, là où vivent les Tukano.

Ce n’eÒ plus le cas aujourd’hui, mais d’après mes données de l’époque, la population des hameaux hupd’äh, tout comme celle des villages tukano, ne dépassait jamais la centaine d’habitants. En 1984, sur le Xeuve Tiquié par exemple, parmi les soixante-quatre villages tukano, seuls trois avaient une population supérieure à cent habitants : Pari-Cachoeira (siège de la mission), Bela ViÒa et Cunuri. Au-delà de cent personnes, il semble que surgissaient toujours des problèmes, découlant en particulier de la surexploitation des ressources autour du village.

Dans les ethnographies régionales, le débat concernant la relation entre les Tukano et les Hupd’äh s’eÒ beaucoup centré sur la queÒion de ce que j’ai appelé, au début de ce texte, la relation patron-client. Évidemment, dans une perspeCive plus ethnologique, toutes ces thé-matiques sont en profonde interrelation, et de fait, la plupart de mes recherches ont été dédiées à mieux comprendre le caraCère très parti-culier de ce type de relations interethniques. Or dans un contexte régio-nal élargi, si une relation de type patron-client semblait bien unir les Hupd’äh et les Tukano, il était cependant diYcile de généraliser à tous les groupes de la famille linguiÒique. Même dans cette région du bas-sin du Uaupés, on pouvait conÒater que les Hupd’äh n’entretenaient des relations asymétriques qu’avec certains clans des Tukano, Tuyuka,

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Desana et Tariano, mais certainement pas avec tous les clans de la famille linguiÒique tukano. Les outils analytiques proposés par Louis Dumont (1978) dans son œuvre sur la hiérarchie en Inde se sont donc avérés particulièrement utiles pour décrypter la situation amérindienne.

Le complexe dit « du Jurupari » propose un ensemble de règles de conduite morale qui ordonne la vie des groupes selon le modèle de l’exogamie patrilinéaire. Ces valeurs régulent les relations inter ethniques. Chaque groupe interprète à sa manière les règles du jurupari, indiquant ainsi sa conception du monde et la manière dont il s’insère dans le syÒème culturel. Chez les Tukano, un ensemble de récits, appelé miniã-pora, réunit les axes du mythe de jurupari. Le mot jurupari vient cer-tainement du nheengatu (langue véhiculaire d’origine tupi) puisque le même ensemble de règles a pour nom kó’ai chez les Arawak (Baniwa, Curipako et autres) et dó’hãi chez les Hupd’äh. L’ensemble des mythes qui composent le jurupari eÒ transmis aux garçons lors de cérémo-nies formelles ou de conversations informelles au cours desquelles on mange du pú’hunk (ipadu) et où il y a toujours du tabac. La maloca eÒ en quelque sorte la concrétisation du jurupari. Elle matérialise l’espace symbolique du dabucuri (fête ritualisée). Chez les Tukano et les Arawak, la maloca représente le monde réel, où s’opèrent les relations internes du sib/clan. C’eÒ la grande demeure, l’endroit où les groupes indigènes célèbrent leurs fêtes et répètent leurs rituels. À la diVérence des Tukano et des Arawak, les Hupd’däh ne conÒruisent pas de grandes malocas. Leurs habitations sont de taille réduite et, bien souvent, n’ont pas de murs. Mais cela ne signiWe pas que leurs petites habitations/malocas n’aient pas le même poids symbolique que les grandes demeures des Tukano. Leur taille réduite n’empêche pas que célébrations et rituels s’y déroulent.

Chez les Tukano, les Hupd’äh et les Arawak, les grandes malocas ont disparu. La plupart de ces Amérindiens vivent aujourd’hui dans de petites maisons conÒruites avec l’appui des missionnaires et se trou-vant sur le site de l’ancienne maloca. Nous pensons que les aCuels vil-lages et hameaux sont en quelque sorte des avatars de la maloca. Même si les communautés sont aujourd’hui divisées en familles nucléaires ou groupes domeÒiques, chacun vivant dans sa propre maison, on y retrouve le modèle de la maloca du Uaupés. Le cycle de l’exiÒence au sein du village eÒ le même que celui de la maloca. La ÒruCure des petites maisons reXète en quelque sorte celle de la maloca. Le village eÒ le lieu de référence principal, l’endroit qui — tant chez les Arawak que les Tukano — sert de point de repère tout au long de l’exiÒence. Cette référence, la maloca, représente symboliquement l’utérus du sib

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(Reichel-DolmatoV 1968 : 69). Elle correspond à un espace délimité, ordonné et hiérarchisé, sans pour autant que la relation avec le tout soit oubliée.

L’exiÒence d’un lieu de référence Wxe, comme la maloca ou le village chez les Tukano, eÒ moins évidente chez les Hupd’äh du fait de leur mobilité incessante. Pour eux, l’igarapé (le cours d’eau) joue néanmoins ce rôle. Le groupe local hupd’äh, qui réunit deux ou trois clans, a quant à lui un rôle comparable à celui du village tukano, qui regroupe généralement les membres d’un sib. Le lieu de référence du groupe local eÒ l’igarapé autour duquel ont lieu ses déplacements. Par ailleurs, les relations que le groupe local hupd’äh entretient avec les Tukano sont généralement Wxes.

Des inÒitutions telles que Jurupari, Dabucuri et Maloca s’avèrent donc des éléments importants pour l’ensemble des relations sociales. Elles correspondent en fait chacune à un domaine particulier du syÒème hiérarchisé du bassin du Uaupés. Le Jurupari établit des liens entre les divers groupes. Le Dabucuri concerne les relations entre sibs/clans, les liens d’aYnité. La Maloca, même aujourd’hui, avec tout son symbo-lisme, représente quant à elle l’univers des relations au sein d’un même sib/clan, le quotidien d’un sib/clan ou groupe local.

Nos analyses se sont appuyées sur les contributions théoriques essentielles de Louis Dumont (1978), notamment la démonÒration du potentiel analytique des concepts de hiérarchie et de valeur. De l’interprétation de processus hiÒoriques spéciWques, Dumont tire deux principes ayant trait aux organisations et aux idéologies : le principe holiÒe et le principe individualiÒe qu’on peut voir dans le langage et dans la pratique sociale. Il considère que les relations de produCion et de domination sont présentes dans chaque processus. Alors que l’idéologie holiÒe, qui valorise le tout et y subordonne les parties (les individus), opère par oppositions asymétriques (ce qui suppose l’idée de valeur), l’idéologie individualiÒe opère par oppositions symétriques, diÒinCives, qui n’attribuent pas de valeur aux idées, occultant ainsi la relation entre les parties et le tout.

Grâce aux piÒes oVertes par Dumont et aux discussions qu’on a eues avec Patrick, la réXexion sur les relations entre les Hupd’äh et cer-tains groupes tukano a permis d’aller un peu plus loin que le Òade de la simple description ethnographique, pour formuler des propositions plus ambitieuses sur le plan théorique. Tenir compte de la possibilité de relations de domination et de sujétion au sein même des relations interethniques/intertribales apporte par exemple de nouveaux éléments susceptibles d’enrichir les schémas de l’anthropologue brésilien Cardoso

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de Oliveira (1978) concernant la « friCion interethnique ». Cette piÒe a d’ailleurs été ultérieurement suivie par Ramos (1983).

Au sein du syÒème interethnique du Uaupés, on diÒingue deux niveaux, deux sous-syÒèmes, où s’eVeCuent les relations entre Hupd’äh et Tukano. Il s’agit, en d’autres termes, de niveaux diÒinCs d’un syÒème intégré où exiÒent des éléments communs résultant d’une interprétation semblable d’un même contexte (de la part des deux groupes indigènes en queÒion). Ces deux niveaux, contradiCoires et complémentaires, représentent la toile de fond d’un unique contexte, d’un espace social partagé par tous les groupes indigènes du bassin du Uaupés. L’un de ces deux niveaux de relations interethniques correspond à l’ordre idéo-mythologique. Les trois éléments que l’on trouve à ce niveau et que partagent tous les groupes indigènes du Uaupés sont le Jurupari, le Dabucuri et la Maloca. Et tous les groupes indigènes partagent non seulement un même territoire mais aussi un même symbolisme. On retrouve, dans chacun de ces groupes, une même idéologie où les trois éléments susnommés sont fortement liés entre eux.

Dans le premier niveau, il y a unité d’un univers idéologique présent dans toutes les relations interethniques. Les diVérences entre les divers groupes ne sont pas perçues par les Indiens en tant que prétextes ou motifs d’une domination de l’un par l’autre. Ces diVérences corres-pondent au contraire à l’identité spéciWque de chaque groupe ethnique et permettent les échanges rituels entre les groupes, dans une optique de complémentarité. Ces échanges rituels, sous la forme du Dabucuri, mettent donc en valeur la spéciWcité de chaque groupe et permettent d’équilibrer l’ensemble des relations économiques et la relation avec l’environnement.

Le deuxième niveau de relations interethniques eÒ relié à l’ordre fonCionnel, où l’on trouve les diVérences techno-économiques entre groupes et les diVérences d’adaptation à l’environnement économique (les Hupd’äh à l’intérieur de la forêt et les Tukano au bord du Xeuve). À ce niveau, les diVérences entre groupes indigènes sont identiWées et hiérarchisées par tous les groupes indigènes de la région. Ces diVé-rences prennent ici un tour radical et se manifeÒent dans les relations entre ces groupes exploitant un même espace géographique. C’eÒ à ce niveau qu’il y a séparation entre eux. La diVérence eÒ concrète et discriminatoire pour ce qui eÒ des relations quotidiennes.

Lorsque l’on décrit les relations entre Hupd’äh et Tukano au niveau idéo-mythologique, on perçoit que les Tukano englobent les Hupd’äh dans leur conception cosmogonique, et vice versa. À ce niveau, il exiÒe une hiérarchie dans laquelle chaque groupe a une place spéciWque,

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suivant un ordre qui va du plus vieux au plus jeune, du supérieur à l’inférieur, et qui eÒ fonCion de l’ordre de naissance des ancêtres fondateurs. On conÒate une har-monie de fait entre tous les groupes de ce syÒème hiérarchisé, qui eÒ à la fois global et présent au sein de chaque groupe ethnique.

L’analyse qui se fonde sur le modèle de l’opposition hiérarchique permet de déterminer le lien entre l’idéologie collec-tive et la pensée individuelle, non plus en tant que relation direCe où la ÒruCure de l’une déterminerait le fonCionnement de l’autre, mais en tant que relation indireCe, moyennant l’agrégation synthétique de la participation de divers aCeurs — entre deux modèles d’organisation sociale diVé-rents. Ce modèle suggère, en somme, que la relation entre les deux plans eÒ disconti-nue et complexe. Le passage de l’idéologie colleCive au fonCionnement particulier — nous parlons ici de la pensée individuelle qui conÒruit l’ensemble — correspond non pas à une extrapolation des principes élé-mentaires mais à l’apparition d’une logique que nous pouvons qualiWer de neuve.

Pour teÒer l’eYcacité de cette analyse selon ce modèle que nous avons proposé, il faudrait déteCer précisément le syÒème de représentation colleCive et le passage à la pensée individuelle dans la région du Uaupés. Une recherche plus ample, concernant d’autres communautés indigènes et donc un complexe réseau de relations, serait nécessaire, surtout parce que cette région connut de grandes transformations sociales, bouleversant la conception de la territorialité et l’organisation sociale. Sans doute cette tâche, dont la réalisation requerrait de s’aventurer sur les sentiers d’un nouveau parcours doCoral, sera-t-elle à la charge de quelqu’un d’autre que moi, guidé par quelqu’un d’autre que Menget. Mais j’espère que cette personne sera aussi bien encadrée que je l’ai été et y trouvera autant de satisfaCions que j’en ai connues à l’époque où mes pérégrinations académiques me conduisaient du Brésil à Nanterre, du Uaupés à Lutèce, et retour.

Sarbacane (cliché R. Athias, 1984).

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Références citées

Alexiades, Miguel 2011 Mobility and migration in indigenous Amazonia (New York/Oxford,

Berghahn Books).

Sur la piSe des hup’ (en haut, à gauche), pilonnage des feuilles de coca (en haut, à droite), rires d’enfants (en bas)

(clichés R. Athias, 1984).

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Athias, Renato 1982 La notion d’identité ethnique dans l’anthropologie brésilienne de Roquette Pinto

à nos jours, mémoire de maîtrise (Nanterre, Université Paris X), non publié.

1995 Hupdë-Maku et Tukano : relations inégales entre deux sociétés du Uaupés amazonien (Brésil), thèse de doCorat (Université Paris X-Nanterre), non publié.

Binford, Lewis R. 1990 Mobility, housing, and environment. A comparative Òudy, Journal of

Anthropological Research, 46, pp. 119-152.Cardoso de Oliveira, Roberto 1978 Identidade, etnia e eSrutura social (São Paulo, Pioneira Editora).Coudreau, Henri 1886 La France equinoxiale. Voyage à travers les Guyanes et l’Amazone (Paris,

Hachette).Dumont, Louis 1978 Homo hierarchicus. Essai sur le sySème des caSes (Paris, Gallimard).Godelier, Maurice 1974 Un domaine conteSé : l’anthropologie économique. Recueil de textes (La Haye/

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Guerre, couvade, chamanisme, sorcellerie, chasse aux têtes, rituels funéraires et mythologie… Rédigés par certains des meilleurs spécia-liÒes contemporains de l’ethnologie de l’Amazonie, les trente-trois textes réunis dans cet ouvrage nous éclairent, entre autres, sur ces thématiques classiques de l’américanisme tropical. Si l’ayahuasca, le venin de rainette (kampo), les sarbacanes, les ornements corporels, le cannibalisme rituel, les arts oratoires et les dilemmes inhérents aux premiers contaCs avec les Blancs occupent le devant de la scène, les problématiques plus contemporaines transparaissent également dans les deux volumes de ce recueil, qu’il s’agisse de l’introduCion du football dans les villages amérindiens ou de l’implication croissante des jeunes femmes dans la vie politique de communautés kayapo mobilisées contre l’implantation de barrages hydro-éleCriques sur leurs terres. Les queÒions d’éthique sont également très présentes dans ces « trophées » dédiés à Patrick Menget — Wgure pionnière de l’ethnologie et de l’indigénisme —, avec des contributions qui traitent de l’attitude à adopter face à la cruauté inXigée aux ani-maux ou face aux diYcultés rencontrées par les ethnologues qui s’immergent dans des univers conceptuels amazoniens aussi syÒé-matiquement fascinants que parfois déconcertants.

c o l l e c t i o n r e c h e r c h e s a m é r i c a i n e s

s o c i é t é d ’ e t h n o l o g i eu n i v e r s i t é p a r i s o u e s t n a n t e r r e l a d é f e n s e

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Ethnologue et indigéniÒe d’envergure internationale, Patrick Menget a démarré sa carrière à l’université Harvard, avant d’enseigner plus durablement à l’université Paris X-Nanterre puis, dans le sillage de Marcel Mauss, à l’École pratique des hautes études. Il a également fondé et longtemps présidé la seCion française de l’ong Survival International.

SpécialiÒe de parenté, d’hiÒoire des idées et d’anthropologie religieuse, il a enquêté chez les Tzotzil de Chamula au Chiapas (Mexique), chez les Kaliña au Surinam, chez les Kogi de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie et, surtout, dans la région du haut Xingu, au Brésil, où il s’eÒ tout particulièrement concentré sur une ethnie minoritaire de langue caribe : les Ikpeng.

Ses travaux précurseurs sur la couvade, l’onomaÒique, le chamanisme, les rituels et les trophées de guerre ont fait date, inspirant toute une génération d’américaniÒes dont un panel inter-national s’eÒ conÒitué pour lui oVrir ce liber amicorum amazoniensis.

En couverture : La vuelta del malón, du peintre argentin

Angel Della Valle (1892, n° inv. 6297 du musée national des Beaux-Arts d’Argentine). L’œuvre représente une troupe d’Araucans (ou Mapuches) ramenant son butin à travers la pampa argentine : une captive blanche, des têtes trophées, un chien, une valise et divers trésors pillés dans une église.

Tableau photographié par Federico Bossert, avec l’aimable autorisation des responsables du Musée.

MaqueTe de couverture :Sophie Laporte

volume i : couvade, terrains et engagements indigénistes

Avec les contributions de

Bruce Albert, Renato Athias, Laurent Barry, Jean-Michel Beaudet, Véronique Boyer, Frederico Delgado Rosa, Hélène Erikson Weisbrod, Philippe Erikson,

Marcos Guevara Berger, Florent Kohler, Patrick Menget, Rose-France de Farias Panet, Anne-Marie Peatrik, Anthony Seeger, Émilie Stoll,

Márnio Teixeira-Pinto, Emmanuel de Vienne, Eduardo Viveiros de Castro.

TrophéDÉtudD EhnologiquD, indigéniSD

E amazoniSD oVertD à Patrick MengE

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édité par

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Société d’ethnologie

volume i

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isbn 978-2-36519-018-3isbn 978-2-36519-016-9prix du présent volume : 21 € prix des deux volumes : 38 €

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