29
Directeur de la publication : Edwy Plenel Lundi 5 Septembre www.mediapart.fr Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 1/29 Sommaire Un procès fictif pour Jacques Chirac Par Michel Deléan p. 3 - L'école est à bout de souffle: les raisons d'une crise inédite Par La rédaction de Mediapart p. 5 - En Israël, le mouvement social le plus important de l’histoire résiste à tout Par Pierre Puchot p. 6 - Les loupés de Copé à la tête de l'UMP Par Marine Turchi p. 9 - La révolution syrienne : la liberté sinon rien Par La rédaction de Mediapart p. 11 - Le PS marseillais en ordre de déroute Par Louise Fessard p. 13 - L'énigme François Hollande Par Laurent Mauduit p. 18 - Filmer l'usine et les ouvriers, nouvelle manière Par Ludovic Lamant p. 19 - Washington est extrêmement embarrassé par la reconnaissance de l'Etat palestinien Par Thomas Cantaloube p. 20 - L'aporie des pauses de Pioneer Par Michel de Pracontal p. 22 - Gravelines: dix heures au pays radieux du nucléaire Par Jade Lindgaard p. 24 - De si jolis petits vélos dans les livres... Par Christine Marcandier p. 27 - Enquête Takieddine: Mediapart visé par des menaces de mort Par Edwy Plenel Un procès fictif pour Jacques Chirac Par Michel Deléan Le lundi 5 septembre 2011 Les avocats et conseillers de Jacques Chirac sont des gens formidables. Non contents d'avoir su éviter, ces dernières années, que l'on puisse voir une seule photo de l'ancien maire de Paris dans un tribunal, que ce soit lors de ses deux mises en examen, de ses interrogatoires par les juges d'instruction, et maintenant à la réouverture de son procès, ils viennent livrer aujourd'hui un combat courageux et remarquable contre tous ceux qui pourraient contrarier l'édification du mythe, ou salir la belle légende de ce grand homme d'Etat. De vrais nettoyeurs. Ce lundi 5 septembre, devant la XI e chambre du tribunal correctionnel de Paris, Jean Veil peste ainsi contre les « fuites médiatiques » sur le rapport médical estimant Chirac incapable d'assister à son procès, et s'indigne des « commentaires » de la presse. « Je lance un appel solennel, je demande un minimum de pudeur », lance l'avocat. Il faut respecter Chirac, sa famille et ses proches. De quoi se mêle la presse, après tout ? Jean Veil l'assure, l'ex-président de la République voulait participer au procès, et il ne s'est d'ailleurs jamais dérobé jusqu'ici, mais sa santé ne lui permet pas de comparaître. Et si ses avocats ont attendu vendredi, juste avant la reprise des débats, pour fournir le dossier médical au tribunal, c'est dans « un souci de discrétion », assure-t-il. Un signe évident de respect de la justice, puisque le dossier fourni in extremis au tribunal contient un rapport de juillet 2011, un scanner cérébral d'avril 2010, et un examen neurologique de juin 2011. Après les journalistes trop curieux, les magistrats trop bavards... Georges Kiejman, autre avocat de Chirac, s'en prend pour sa part aux parties civiles présentes au procès, qu'il qualifie – entre autres joyeusetés – de « paranoïaques narcissiques » (pour les moins sérieux) ou de « mouvements politiques » (pour d'autres). Il « exige » que l'association Anticor soit déclarée irrecevable. Ah mais ! L'idée est séduisante, en effet : on aurait donc un procès sans le principal prévenu, sans accusation, puisque le parquet demandera la relaxe de Chirac, et sans voix discordante qui puisse évoquer de façon insolente le système d'emplois fictifs mis en place à la mairie de Paris et au RPR par Chirac et ses hommes. De la magie. «De l'acharnement juridique et judiciaire» D'autres avocats viennent en renfort. L'un invoque le « délai raisonnable » dans lequel son client a le droit d'être jugé, faisant mine de croire que le gel des dossiers pendant douze ans pour cause d'immunité présidentielle et les nombreux recours déposés représentent une faute imputable à la justice. Vient le tour de Jean-Yves Le Borgne. Voix de stentor, diction ultra-théâtrale, l'avocat de Rémy Chardon (ancien directeur de cabinet de Chirac) fait un véritable numéro, et en appelle au respect des grands principes avec une emphase et un style ampoulé qui font sourire la salle. « N'écoutez pas la vox populi et la rumeur ! », supplie-t-il. Auteur de la QPC qui a retardé le procès de six mois, Me Le Borgne assure maintenant que la connexité entre les deux dossiers fausse les règles de la prescription. « Vous êtes là pour constater qu'il est trop tard pour juger », lance-t-il au tribunal. « C'est de l'acharnement juridique et judiciaire, je vous demande d'y mettre fin. » Emouvant. Pour faire bonne mesure, Jean Veil se relève et tape à nouveau sur les parties civiles, parmi lesquelles il discerne des « coucous judiciaires », mais aussi quatre dangereux criminels emprisonnés qui se sont constitués par le biais d'une association fantaisiste. On tremble. L'après-midi passe, sans qu'il ait été question de détournements de fonds publics, d'abus de confiance ni de prise illégale d'intérêts, délits reprochés à Jacques Chirac, et qui sont passibles de dix ans de prison.

Journal mediapart du_5_septembre_2011

Embed Size (px)

DESCRIPTION

mediapart du 5.9.11

Citation preview

Page 1: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel Lundi 5 Septembre www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 1/29

SommaireUn procès fictif pour Jacques ChiracPar Michel Deléan

p. 3 - L'école est à bout de souffle: les raisons d'une crise inédite ParLa rédaction de Mediapart

p. 5 - En Israël, le mouvement social le plus important de l’histoirerésiste à tout Par Pierre Puchot

p. 6 - Les loupés de Copé à la tête de l'UMP Par Marine Turchi

p. 9 - La révolution syrienne : la liberté sinon rien Par La rédactionde Mediapart

p. 11 - Le PS marseillais en ordre de déroute Par Louise Fessard

p. 13 - L'énigme François Hollande Par Laurent Mauduit

p. 18 - Filmer l'usine et les ouvriers, nouvelle manière Par LudovicLamant

p. 19 - Washington est extrêmement embarrassé par la reconnaissancede l'Etat palestinien Par Thomas Cantaloube

p. 20 - L'aporie des pauses de Pioneer Par Michel de Pracontal

p. 22 - Gravelines: dix heures au pays radieux du nucléaire Par JadeLindgaard

p. 24 - De si jolis petits vélos dans les livres... Par ChristineMarcandier

p. 27 - Enquête Takieddine: Mediapart visé par des menaces demort Par Edwy Plenel

Un procès fictif pour Jacques ChiracPar Michel Deléan

Le lundi 5 septembre 2011

Les avocats et conseillers de Jacques Chirac sont des gensformidables. Non contents d'avoir su éviter, ces dernières années,que l'on puisse voir une seule photo de l'ancien maire de Parisdans un tribunal, que ce soit lors de ses deux mises en examen,de ses interrogatoires par les juges d'instruction, et maintenant àla réouverture de son procès, ils viennent livrer aujourd'hui uncombat courageux et remarquable contre tous ceux qui pourraientcontrarier l'édification du mythe, ou salir la belle légende de cegrand homme d'Etat. De vrais nettoyeurs.

Ce lundi 5 septembre, devant la XIe chambre du tribunalcorrectionnel de Paris, Jean Veil peste ainsi contre les « fuitesmédiatiques » sur le rapport médical estimant Chirac incapabled'assister à son procès, et s'indigne des « commentaires » de lapresse. « Je lance un appel solennel, je demande un minimum depudeur », lance l'avocat. Il faut respecter Chirac, sa famille et sesproches. De quoi se mêle la presse, après tout ?

Jean Veil l'assure, l'ex-président de la République voulaitparticiper au procès, et il ne s'est d'ailleurs jamais dérobé jusqu'ici,mais sa santé ne lui permet pas de comparaître. Et si ses avocatsont attendu vendredi, juste avant la reprise des débats, pour fournirle dossier médical au tribunal, c'est dans « un souci de discrétion »,assure-t-il. Un signe évident de respect de la justice, puisque ledossier fourni in extremis au tribunal contient un rapport de juillet2011, un scanner cérébral d'avril 2010, et un examen neurologiquede juin 2011. Après les journalistes trop curieux, les magistratstrop bavards...

Georges Kiejman, autre avocat de Chirac, s'en prend pour sapart aux parties civiles présentes au procès, qu'il qualifie – entreautres joyeusetés – de « paranoïaques narcissiques » (pour les

moins sérieux) ou de « mouvements politiques » (pour d'autres).Il « exige » que l'association Anticor soit déclarée irrecevable. Ahmais !

L'idée est séduisante, en effet : on aurait donc un procès sans leprincipal prévenu, sans accusation, puisque le parquet demanderala relaxe de Chirac, et sans voix discordante qui puisse évoquerde façon insolente le système d'emplois fictifs mis en place à lamairie de Paris et au RPR par Chirac et ses hommes. De la magie.

«De l'acharnement juridique et judiciaire»

D'autres avocats viennent en renfort. L'un invoque le « délairaisonnable » dans lequel son client a le droit d'être jugé, faisantmine de croire que le gel des dossiers pendant douze ans pourcause d'immunité présidentielle et les nombreux recours déposésreprésentent une faute imputable à la justice.

Vient le tour de Jean-Yves Le Borgne. Voix de stentor, dictionultra-théâtrale, l'avocat de Rémy Chardon (ancien directeur decabinet de Chirac) fait un véritable numéro, et en appelle aurespect des grands principes avec une emphase et un styleampoulé qui font sourire la salle. « N'écoutez pas la vox populi etla rumeur ! », supplie-t-il. Auteur de la QPC qui a retardé le procèsde six mois, Me Le Borgne assure maintenant que la connexitéentre les deux dossiers fausse les règles de la prescription. « Vousêtes là pour constater qu'il est trop tard pour juger », lance-t-il autribunal. « C'est de l'acharnement juridique et judiciaire, je vousdemande d'y mettre fin. » Emouvant.

Pour faire bonne mesure, Jean Veil se relève et tape à nouveausur les parties civiles, parmi lesquelles il discerne des « coucousjudiciaires », mais aussi quatre dangereux criminels emprisonnésqui se sont constitués par le biais d'une association fantaisiste. Ontremble.

L'après-midi passe, sans qu'il ait été question de détournements defonds publics, d'abus de confiance ni de prise illégale d'intérêts,délits reprochés à Jacques Chirac, et qui sont passibles de dix ansde prison.

Page 2: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 2/29

Le vieux président (dont l'attachée de presse était dans la salle)aurait certainement goûté le spectacle. Lui qui peut encore écrireses mémoires, présider une fondation, et rester membre duConseil constitutionnel, réussit le tour de force de rester invisibleaux yeux de la justice, et d'escamoter les questions qui fâchent etles affaires gênantes.

L'autre grande affaire du jour était de savoir si le président Pauthese contenterait du dossier médical fourni vendredi par la défense,ou s'il demanderait une contre-expertise, voire une comparution

de Chirac. Prudents, les avocats de l'ex-président, comme leparquet, expliquaient qu'ils s'en remettraient à la sagesse dutribunal.

Après en avoir délibéré, la XIe chambre correctionnelle décidedonc lundi soir que le procès se poursuivra sans Chirac. L'ancienmaire de Paris sera donc jugé en son absence, comme le permetla loi. Une victoire de plus. Nul doute que les autres prévenusen tireront argument pour dire que leur défense s'en trouvecompliquée.

Page 3: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 3/29

L'école est à bout desouffle: les raisons d'unecrise inéditePar La rédaction de Mediapart

Le lundi 5 septembre 2011

Par Lucie Delaporte

Et maintenant les leçons de morale…C'est la dernière lubie rue de Grenelle:introduire des cours de morale à l'écoleprimaire, apprendre que la liberté dechacun s'arrête là où commence celled'autrui, qu'il ne faut pas faire à autrui ceque l'on ne voudrait pas qu'il vous fasse…

L'annonce, alors que le primaire perdencore près de 9.000 postes cette rentréeet que 1.500 classes sont fermées, anaturellement suscité la consternation (lireici). Pourquoi pas, d'ailleurs, apprendrel'anglais dès 3 ans, comme le préconisaitil y a quelques mois encore Luc Chatel? Pathétique déconnexion avec le terrainou cynisme de celui qui sait que cesfumigènes font toujours leur petit effet surla machine médiatique?

L'exercice d'autosatisfaction qu'a constituéla conférence de rentrée de Luc Chatel,n'hésitant pas à parler, à propos dela «personnalisation des enseignements»qu'il se félicite d'avoir instaurée, de«révolution» comparable à celle del'école laïque de Jules Ferry ou à ladémocratisation des années 1970 laissesongeur.

Quelques jours plus tôt, une enquêtedu syndicat des chefs d'établissement, leSNPDEN (lire ici), avait jeté une lumièrebeaucoup plus crue sur cette rentrée : 12%des établissements du secondaire disent neplus assurer les horaires nationaux, l'aideindividuelle étant de fait sacrifiée. Leschiffres décrivent une institution exsanguequi se demande comment colmater lesbrèches à la veille de la rentrée scolaire dedouze millions d'élèves.

Certes, la crise profonde de l’école estancienne et gloser sur les échecs dusystème scolaire français est devenu unrituel. Selon l'historien de l'éducationClaude Lelièvre, «lorsqu'on prend les

indicateurs statistiques internationaux,le paquebot de l'éducation nationaleapparaît sur son aire depuis une quinzained'années». Un système en cale sèche,ou du sur-place qui n'en finit pas dereproduire les inégalités, laisse en grandedifficulté scolaire 15 à 20% des élèves àl'issue du primaire… Tout cela est connu.

Reste que, depuis quatre ans, leschoix politiques ont donné une inflexionnouvelle à cette crise.

D'abord, l'application à marche forcéedu non-remplacement d'un fonctionnairesur deux dans l'éducation a asphyxié unpeu plus un système déjà à la peine.66.000 suppressions de postes en quatreans : malgré tous les efforts pour rendreces coupes invisibles au grand public –on supprime, ici, l'aide aux enfants endifficultés, on rogne, là, sur l'année destage des nouveaux entrants dans le métier–, tout cela a fini par se voir.

Mais l'essentiel est peut-être aussi ailleurs.Car sur ce point, le gouvernement peutrappeler que les moyens dévolus àl'éducation sont les mêmes qu'il y a vingtans et restent, au regard des comparaisonsinternationales, très importants.

L'application d'un libéralismeméthodique, par la mise en concurrencegénéralisée du système, a sans doutemodifié bien plus profondément encorel'école. Assouplissement de la cartescolaire, internats d'excellence ouétablissements ECLAIR (ex-ZEP) pourlesquels le climat scolaire est l'uniquepréoccupation… L'ensemble dessine uneécole qui, sous couvert d'élitismerépublicain, assume comme jamais samécanique inégalitaire.

Enseignants: une pénurie bienorganisée

«Je veux rassurer les parents des 12millions d’élèves : il y aura bienun professeur devant chacun d’eux»,déclarait il y a quelques jours Luc Chatelau Parisien. Comme objectif de rentrée,on aurait certes pu attendre un peu plusd'ambition, mais c'est bien que la choseaujourd'hui ne va plus tout à fait de soi. Etqu'en réalité, le compte n'y est pas.

Académie par académie, enseignants etchefs d’établissements égrènent les trous.«Sur l’académie de Lyon en anglais, il y a182 heures non affectées. Cela correspondà près de 45 classes sans profs d’anglais. Ilmanque 64 heures de maths pour l'instant,soit l'équivalent de douze classes sansenseignants dès la rentrée, rapporte lesecrétaire académique du SNES, Jean-Louis Perez. Ils vont tenter de les imposeren heures supplémentaires.» Pas sûr quecela suffise. Comme le révélait l’enquêtedu syndicat des chefs d’établissementpubliée lundi, les enseignants, surtout aulycée, font déjà en moyenne deux heuressupplémentaires par semaine.

1.- Des remplacements plus aléatoiresque jamais

Utiliser le contingent des remplaçants dèsla rentrée? La ficelle, usée jusqu'à lacorde, est, là encore, sur le point decraquer. Ces dernières années, pour faireface à la pénurie croissante de profs, lesenseignants-remplaçants sont affectés dèsseptembre sur des postes pleins. Autant quimanqueront pour assurer au fil de l’annéeles besoins en remplacement.

«Mon fils n’a pas eu école parce quele remplaçant du remplaçant n'était paslà», entendait-on à une sortie d’écoleprimaire. Et encore ceux-là ont eu lachance de bénéficier d'un remplaçant. «Ily a 59 TZR (titulaires remplaçants) enmaths sur Lyon et déjà plus que huitdisponibles», prévient Jean-Louis Perez.Les difficultés de remplacement vont doncse poser encore plus tôt dans l’année et defaçon bien plus importante que les annéesprécédentes.

2.- Des classes surchargées

Au ministère de l'Education, on rappelle labaisse du nombre d'élèves depuis 15 ans– 500.000 en moins – alors que 35.000postes d'enseignants étaient créés. C'estoublier qu'en vingt ans, les conditionsd'enseignement ont totalement changé etque revenir au taux d'encadrement de lafin des années 1980 mettrait à mal tous lesdispositifs visant justement à améliorer laqualité de l'enseignement: demi-groupes,élargissement de la palette d'options…

Page 4: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 4/29

Par ailleurs, la tendance démographiquepointée par le ministère s'est déjà inversée:les enfants du baby-boom de l’an 2000arrivent cette rentrée au collège. Depuisonze ans, il semble que le phénomèneaurait pu être anticipé sans grand mal...«C’est le point le plus difficile surl’académie de Rennes. Depuis 2008, nousavons gagné 5.400 élèves et on nous aretiré 360 équivalents temps pleins. Lesinspecteurs ont donné l’ordre de faire dusurbooking. Au-delà de 35-36 élèves parclasses, les établissements deviennent despetites marmites», déplore Gwenaël LePaih, représentante du SNES en Bretagne.

Toutes les classes à faible effectifsont désormais supprimées au risque decompromettre un peu plus l’offre deformation. L'aide individuelle, chère à LucChatel, devient pour le moins chimérique.

3.- Toujours moins de recrutements

Et la situation n'est pas près des'améliorer… La pesante campagne decommunication autour du recrutementde 17.000 enseignants (au moment où l'onsupprimait autant de postes!), montrantune Laura heureuse d'avoir le «poste de sesrêves» et un Julien ravi d'exercer le métier«à la hauteur de ses ambitions», n'a passuffi à endiguer une chute sans précédentdes vocations.

Les candidats présents au CAPES externeétaient 12.491 cette année contre 22.074en 2010, soit presque moitié moins! Enmathématiques, il y a eu cette annéepresque autant de postes que de candidats.Résultat, des centaines de postes mis auconcours non pourvus. Ce seront doncdes contractuels ou des vacataires, dontcertains viennent de rater le concours, quiseront recrutés sur ces postes.

Précarité

Car la précarisation du statut d'enseignantest bien la face cachée des réformes.Désormais, le recours à des non-titulaires,contractuels ou vacataires, pour faire faceaux manques structurels d’enseignantsest devenu systématique. Alors que l’ondépasse les 60.000 suppressions de postes

d’enseignants depuis 2007, le nombre decontractuels a bondi de 25% sur la mêmepériode.

Le gouvernement assume d’ailleurspleinement cette politique en mettant enscène des «job dating» de profs, durecrutement express par Pôle emploi quipeut puiser dans un vivier d’étudiantsde licence, master ou doctorat. Maiscomme on sait depuis la réformede la masterisation que le métierd'enseignant s'apprend sur le tas…pourquoi s'inquiéter?

Recours à des précaires, généralisationdes heures supplémentaires pour lestitulaires : le changement de statut desenseignants, prochaine étape des projetsgouvernementaux – et sur lequel avancedéjà à tâtons le parti socialiste – existe defacto.

4.- Quelques-uns seront sauvés…

Certains se souviennent encore desdiscours du candidat Nicolas Sarkozysur l'école et l'égalité des chances. Or,année après année, dans les enquêtesinternationales telles que PISA, la Franceapparaît comme un des pays de l’OCDEoù le milieu social exerce la plus grandeinfluence sur le niveau scolaire des élèves.La tendance n'a fait que s'accentuer.

Mais dans une vision de plus en pluslibérale de l'institution scolaire qu'importesi quelques-uns s'en tirent?

«Nous avons un système qui ne fonctionnepas pour les moyens, les élèves médiocres,note l'historien Claude Lelièvre. Notrepolitique éducative reste foncièrementélitiste. L'argent a en priorité été distribuéà ceux qui étaient les plus sélectionnés. Ondonne ainsi énormément pour les classesprépa, beaucoup pour le lycée, un peupour le collège et pratiquement rien pourle primaire. Je pense qu'il faut remettre lapyramide sur son socle.»

Les internats d'excellence constituentl'exemple parfait de la conception deplus en plus libérale de l'institutionscolaire. «Exfiltrer des quartiers ceuxqui peuvent s'en sortir, en mettanténormément de moyens sur ce tout petitnoyau, tant pis pour les autres», affirme

le sociologue Benjamin Moignard quiétudie ces nouveaux dispositifs. Mais ilconvient désormais à chacun de construireson parcours scolaire, faire le choix dubon lycée, de la bonne orientation... Etl'on est prié de croire que cela profiteranaturellement à tous…

L'assouplissement de la carte scolaire, quidevait susciter «une émulation entre lesétablissements» et «inciter chacun d’entreeux à améliorer ses performances», allaitbien évidemment dans ce sens. La fuitevers le privé engendrée par cette miseen concurrence tous azimuts est, semble-il, observée rue de Grenelle avec la plusgrande bienveillance. L'Unsa-éducation amême calculé que, pour la rentrée 2011,l’enseignement privé, «scolarisant 16,9%des élèves, ne sera touché que par moinsde 11% des suppressions. Cela représente,en ne tenant même pas compte despublics accueillis, un détournement de747 emplois de l’enseignement public versl’enseignement privé».

Et pour les établissements de périphérie,où la ghettoïsation n'a jamais été si forte,une solution «sur-mesure» a été trouvée.

ECLAIR, chronique d'un échecannoncé

Créés pour remplacer les ZEP, les zonesd'éducation prioritaire, qui ont échouémalgré d'importants moyens pour sortir del'ornière ces zones de relégation scolaireet sociale, les ECLAIR (Ecoles, collègeset lycées pour l'ambition, l'innovation etla réussite) sont censés remédier de leurcôté à tous les problèmes de l'éducationprioritaire.

Premier étape : on change d'objectif et onmet en avant «le climat scolaire», la luttecontre la violence, l'enseignement passantaprès. D'ailleurs, grâce à une autonomieaccrue de ces établissements, ils pourrontadapter un peu – comprendre alléger –les programmes pour ce public décidémentrétif. Car le maître mot sans doute un peumagique pour le gouvernement, mais aussipour une partie du PS, est l'autonomie.

Pour pallier le problème bien connudes ZEP où le turn-over des équipesrendait de fait difficile la continuité des

Page 5: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 5/29

projets, et où des jeunes profs étaientrégulièrement envoyés au casse-pipe, leschefs d'établissement peuvent désormaisrecruter eux-mêmes un personnel «motivéautour du projet d'établissement». Ainsi325 collèges et lycées vont expérimenterl’autonomie de recrutement, c'est-à-direun recrutement d’enseignants sur «avis»du chef d’établissement. Sauf que… descandidats, il n'y en a pas.

Dans les vingt-deux collèges et lycéesECLAIR de l'académie d'Amiens, la plusforte densité en France, «la moitié despostes à pourvoir pour cette rentréesont restés vacants!», rapporte Hervé LeFlivenec, représentant de la FSU. «Unetrentaine de postes sur l'académie n'onteu aucun candidat. Du coup, on est alléchercher des stagiaires dont on connaîtdéjà les difficultés! Au niveau de lapermanence des équipes pédagogiques,c'est un peu compromis puisque lesstagiaires changent d'affectation au boutd'un an», ironise-t-il. Serait-il à craindreque «le climat scolaire» ne s'apaise pasmiraculeusement?

5.- Violence et climat scolaire

«Le risque existe de se satisfaired'une école qui enseigne moins maisqui surveille et punisse plus», écriventles sociologues Christian Laval, FrancisVergne, Pierre Clément et Guy Dreux dansLa Nouvelle Ecole capitaliste, qui vient deparaître à La Découverte. Il est vrai que lediscours le plus sécuritaire s'est peu à peubanalisé concernant l'école. En déclarantune resanctuarisation des établissementsscolaires, en lançant des pistes sur lafouille des élèves ou les portiques desécurité, Xavier Darcos avait ouvert lavoie il y a trois ans.

Depuis, on s'est accommodé de la présencepolicière dans certains établissements, dela généralisation de la vidéosurveillancedans des zones de relégation socialeoù l'unique solution semble de créerdes collèges bunker, protégés desquartiers (lire ici pour un exemple àGennevilliers).

Mais toute annonce sur le sujet faittoujours son petit effet, comme parlerd'imposer des travaux d'intérêt généralaux élèves sanctionnés dès cette rentrée.Le ministère sait très bien que la choseest techniquement impossible à mettreen place dans un délai aussi court, maisl'impression de fermeté demeure… Ce quiest bien l'essentiel.

En Israël, le mouvementsocial le plus important del’histoire résiste à toutPar Pierre Puchot

Le lundi 5 septembre 2011

Jamais Israël n'avait connu cela. Samedi3 septembre, plus de 400.000 personnessont descendues dans les rues de Tel-Avivet de plusieurs autres villes, pour la plusgrande manifestation de l'histoire du pays.« Un jour, les étudiants apprendront qu'encette soirée capitale, une société civileest née en Israël », écrit Gideon Levydans le quotidien Haaretz, en pointe dansla couverture du mouvement. Pour cetéditorialiste emblématique de la gaucheradicale, habitué de nos colonnes maismarginalisé depuis des années en Israël,cette journée de samedi était un test décisif

pour les quelque 7 millions d'habitantsque compte Israël. Ils furent encore plusnombreux qu'au cœur de l'été.

Les causes d'une telle mobilisation sontconnues. Si le mouvement est né finjuin en raison du prix d'un fromagedevenu trop élevé, s'il a pris son essorsur Facebook, s'il s'est construit autourde campements dressés dans toutes lesgrandes villes du pays, les raisons de lacolère israélienne sont, une fois n'est pascoutume, toutes économiques. Malgré unecroissance supérieure à 5% depuis 2006,les chiffres sont là, mis à disposition parl'OCDE et la banque d'Israël. Disposant dequelque 75% à 120% du revenu médian,la classe moyenne représentait, en 1988,33% des ménages israéliens. En 2000,elle n'en représente plus que 28%. Dansle même temps, sa part dans le revenunational est passée de 21,7% à 20,5%.Le taux de pauvreté (qui rassemble lesménages gagnant moins de la moitié durevenu médian) était, en 2000, de 17,6%,contre 20,5% en 2009. Les foyers arabescomptent pour 53,9% en 2009 (contre42,9% de ce taux en 2000). Autre chiffrepertinent: alors que la croissance repartà partir de 2004 – une fois absorbés leseffets de la seconde Intifada – et atteint enmoyenne 5% par an, le taux de pauvreté nerégresse pas pour autant.

Page 6: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 6/29

Incontestablement, les classes moyennesn'ont que peu profité de la croissancedu PIB israélien, et les inégalités sesont creusées en Israël depuis 30 ans.En 2011, Israël est donc, devant lesEtats-Unis, le pays qui en souffre leplus. Un grand paradoxe pour cet Etatqui s'est construit sur le mythe del'homme nouveau, capable de prouesseséconomiques inédites. (Retrouver icinotre enquête sur la fin de l'homoeconomicus israélien.)

Si le gouvernement de BenjaminNétanyahou est directement la cible desmanifestants, c'est également en raisondes arbitrages budgétaires largementfavorables au budget de la défense et descolonies de Cisjordanie. L'armée absorbeprès de 7% du PIB annuel, évalué à195 milliards de dollars. La constructiondes colonies, si l'on en croit une étudereprise par le quotidien israélien Haaretz,a coûté plus de 17 milliards de dollarssur une quarantaine d'années, sans compterle coût du «mur de séparation» ou lesexonérations fiscales et avantages queperçoivent ceux qui y résident.

Reconstruire une véritable sociétécivile, critique à l'égard d'elle-même

Ce qui fascine les éditorialistes israéliensdans cette mobilisation, c'est que cemouvement brouille toutes les lignespolitiques, et fait naître une consciencesociale chez des jeunes de 25 ans, élevésdans des milieux historiquement prochesde la droite, et habitués à voter pour leLikoud, ou plus à droite encore.

À 26 ans, après avoir voté pour l'extrêmedroite en 2009, Tal Arbeli endossedésormais le costume de leader étudiant,par pur pragmatisme. Faute de pouvoirpayer son loyer, il vit encore chez sagrand-mère, à plusieurs kilomètres ducentre-ville : «Nous tentons de mettrela pression sur le gouvernement, parcel'inflation des prix est insupportable, etle problème du logement, une causenationale, explique-t-il. Les loyers sontplus chers, en proportion du pouvoird'achat, qu'aux Etats-Unis et en Europe.La classe moyenne n'existe plus. Lesmédecins, les enseignants, tous ceux quirendent service au pays, ne parviennentpas à boucler leur fin de mois. C'est

inacceptable. C'est notre combat de tenterde faire bouger tout cela.» (Lire ici notrereportage à Tel-Aviv et Jérusalem.)

En 2011 en Israël, le sécuritaire ne faitplus recette. Ce sont les problèmes duquotidien, leurs salaires, le logement,qui obsèdent la classe moyenne. Ceconstat a sans doute évité une nouvelleoffensive israélienne à Gaza mi-août, legouvernement ne souhaitant pas s'engagerdans une guerre impopulaire (lire ici lesdétails des conséquences des attaquesd'Eilat).

«Ce que l'on veut, nous confiait finaoût Ohad, étudiant à Jérusalem etélecteur de Benjamin Nétanyahou en2009, c'est pouvoir poursuivre et élargirnotre mouvement malgré la rentréescolaire, et sans se faire noyer par lesconférences de presse de Bibi sur lasécurité, Gaza ou les Palestiniens.» Àdéfaut de débouché politique immédiatpour ce mouvement social inédit, ilest le signe d'un premier changement,considérable, qui peut à terme modifier ladonne régionale. Israël prend conscienceque sa fragilité n'est pas militaire, et pasdavantage causé par les menaces virtuelleset aléatoires de ses «voisins arabes», maisinterne et économique. Fort de ce constat,Israël est peut-être, enfin, en train dereconstruire une véritable société civile,critique à l'égard d'elle-même, et capablede réinvestir l'espace public.

Les loupés de Copé à la têtede l'UMPPar Marine Turchi

Le lundi 5 septembre 2011

Marseille, de notre envoyée spéciale

Page 7: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 7/29

«La tâche est impossible. C'est un jobtrès difficile», confie Patrick Devedjian.Le patron des Hauts-de-Seine sait de quoiil parle: il a été un secrétaire généralde l'UMP aux mains liées par l'Elyséeentre septembre 2007 et décembre 2008.En s'emparant, à l'automne, du partiprésidentiel, Jean-François Copé pensaitsans doute appliquer la méthode qui avaitpayé dans le groupe des députés UMP –qu'il a présidé pendant trois ans: laisservivre le débat d'idées.

Le 17 novembre 2010, à son arrivée ruede La Boétie, le député de Seine-et-Marneavait d'ailleurs martelé son souhait de«rassembler», réaliser «l'union sacrée»en réconciliant les différentes sensibilitésde l'UMP, irritées par le remaniement quiavait fait la part belle au canal gaulliste. Lanomination de deux secrétaires générauxadjoints, l'un centriste (Marc-PhilippeDaubresse), l'autre libéral (Hervé Novelli),était un premier signal fort. «Nous sommesà dix-huit mois de l'élection présidentielle.Nous passons à la phase action», avait-ilpromis.

Mais Jean-François Copé s'était montrémeilleur en position d'outsider. A latête du groupe UMP, il avait laissés'exprimer les divergences quand il neles organisait pas lui-même. Près d'un anaprès sa nomination à la direction du partimajoritaire, c'est un flop: la machine UMPest sclérosée, la fabrique à idées est enpanne, le parti s'est littéralement scindé endeux. Mediapart dresse le bilan.

Incapable de réussir l'unité

Il devait rassembler; l'UMP n'a jamais étéaussi divisée. Jean-François Copé n'est pasparvenu à retenir Jean-Louis Borloo, quia finalement quitté le parti en avril pourcréer le sien, l'Alliance républicaine. Il alaissé la Droite populaire, née le 14 juillet

2010, prendre une place démesurée ausein de la majorité, se mettant à dos lescentristes. En juin, il a même vexé Marc-Philippe Daubresse en dévoilant avant luiles propositions de la convention justicesociale qu'il devait piloter.

Après cela, le Campus d'été deMarseille devait être une démonstrationd'«unité», un «anti-La Rochelle». MaisCopé a eu beau multiplier lesdéclarations de mobilisation autour dufutur candidat («Merci, Nicolas, noussommes rassemblés par toi et pour toi»;«tous unis avec Nicolas Sarkozy»; «lafeuille de route que je vous proposetient en un mot: victoire»), le campusa été entaché par deux coups de sang.Celui de Jean-Pierre Raffarin, qui aannoncé, sur son blog, qu'il se mettait encongé des petits-déjeuners de la majoritéaprès les propos du chef de l'Etat –et c'est Sarkozy qui doit recoller lesmorceaux lundi à 8h30. Celui de PatrickDevedjian, qui a estimé, dansLe Monde,le 2 septembre, qu'il ne voyait «encorenulle part» le «grand projet de société»nécessaire à la victoire en 2012.

A Marseille, Bruno Le Maire, qui étaitchargé d'élaborer de projet, a dû reculeret se contenter de proposer un «pointde départ» en guise de projet: «à vousde l'enrichir». Enfin, Jean-François Copés'est montré incapable de faire respecterles consignes passées lors d'un dîner avecle chef de l'Etat, le 24 août, à l'Elysée,et répétées le 1er septembre lors du petit-déjeuner de la majorité.

Sans compter que le député de Meaux adû jouer les pompiers après les propospolémiques d'Alain Marleix, qui a qualifiésamedi l'écologiste Jean-Vincent Placé de«Coréen national». «Les propos d'AlainMarleix sur Jean-Vincent Placé sontmaladroits. Je les regrette, je les récuse»,a-t-il écrit sur son compte Twitter. Jean-Vincent Placé annonce son intention deporter plainte.

A l'issue de la première journée ducampus, Jean-François Copé a tenté derectifier l'impression de désordre devantles journalistes. «J'ai cru comprendre quecertains d'entre vous allaient titrer que

l'UMP était aussi divisée que le PS..., a-t-il soupiré. C'est vrai qu'il y a eu ceproblème entre Raffarin et Sarkozy, maisça n'est absolument pas le reflet de l'espritdes personnes de l'université.» Si incidentil y a eu, assure-t-il, c'est à cause «ducompte-rendu amplifié» qui a été fait dece petit-déjeuner, et non de «difficultésstructurelles».

«Le but de notre table ronde sur lesvaleurs était de montrer que toutes lescomposantes s'exprimaient, et ça, on yest arrivé», s'est-il efforcé de convaincre,rappelant son choix de faire ouvrir le débatpar Pierre Méhaignerie. Autant dire quesa formule – «Ce qui nous rassemble estinfiniment supérieur à ce qui nous divise»–, prononcée une vingtaine de fois, étaitinaudible.

«C'est l'université d'été de l'UMP ou lacaserne? Je m'attendais à trouver icidavantage un lieu de liberté intellectuelleplutôt que d'entendre des adjudants,explique à Mediapart Patrick Devedjian.Quand j'étais secrétaire général, jeveillais à ce qu'il y ait une entière libertéde parole.»

«Il faut bien choisir ses thèmes et bienles traiter...»

Un projet vide et déjà contesté

Jean-François Copé comptait sur laprésentation des «grandes lignes» duprojet de l'UMP par Bruno Le Mairepour montrer que le parti présidentielse concentrait «sur les débats et lefond», comme il l'avait promis en amontdu campus (lire notre article du 1erseptembre). Lui qui avait appelé de sesvœux un «projet courageux» a assuré leministre de l'agriculture de «tout (son)

Page 8: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 8/29

soutien et toute (sa) confiance»,affirmantque, côté idéologique, «l'UMP (était) enpointe».

Mais il a eu beau demander qu'on «necloue pas au pilori ceux qui font despropositions», les deux mesures pharede ce «bilan d'étape» – fiscalisation desallocations familiales et remise en cause del'indemnisation chômage des cadres – ontsuscité des levées de boucliers avant mêmeleur présentation officielle. A tel point queBruno Le Maire a dû faire marche arrièreen se contentant d'interpeller la salle avecdes questions.

«Je sonne l'alarme. Aujourd'hui, nousn'avons pas de projet alternatifsuffisamment attractif par rapport à lagauche. Il faut un grand projet et nonun catalogue», assène Patrick Devedjian.«Quand j'étais secrétaire général, j'avaisdit que l'UMP devait être en amont dugouvernement», rappelle le patron desHauts-de-Seine.

Dans les allées du Campus, XavierBertrand, Christian Estrosi et leurstroupes parlementaires se sont chargésde remettre tacitement en cause leprojet, s'interrogeant sur ses orientationsen matière sociale. «Sur le premier pilier,le régalien, nous serons toujours les pluscrédibles. Sur le deuxième pilier, le social,on peut être meilleurs. Pas seulementmeilleurs que les socialistes, maiségalement meilleurs que nous-mêmes», aexpliqué Christian Estrosi au Figaro. Lemaire de Nice l'a répété, «le P de populairedoit trouver tout son sens».

«La justice sociale n'est pas une option»,a ajouté Xavier Bertrand, autre ennemidu secrétaire général de l'UMP. Leministre du travail a balayé les deuxtrouvailles de Bruno Le Maire. Réduireles indemnités chômage des cadres à hautsrevenus? «Attention de ne pas donnerl'impression que les cadres seraientdes privilégiés, ce serait dément», a-t-ilprévenu. Accorder une allocation familialedès le premier enfant et fiscaliser lesallocations familiales? «Qu'est-ce qui estmieux? Quelques dizaines d'euros de pluspour le premier enfant, ou quelquesmilliers de places en crèche de plus?»,

a-t-il interrogé. Quant à la fusion dela CSG et de l'impôt sur le revenu,fermement défendue par Copé, «elleconduirait inévitablement à la hausse desimpôts pour les classes moyennes», aassené Xavier Bertrand.

Des conventions fiasco

Les conventions thématiques avaientpermis à l'UMP, en 2006, d'être à la pointeet de remporter la bataille idéologique.Relancées par Jean-François Copé, ellesont suscité plus de polémiques et dedivisions (lire notre article) qu'ellesn'ont apporté de propositions au projetprésidentiel. En avril, le débat sur l'islamde l'UMP, devenu «convention sur lalaïcité», avait scindé l'UMP en deuxet engendré un flot de critiques. Enjuin, la convention sur la justice sociales'ouvrait en pleine polémique entresociaux et libéraux après les proposde Laurent Wauquiez sur le RSA etles«assistés», «cancer de la société».

Celle sur la refondation sociale puis cellesur l'immigration, avant l'été, ont laisséla voie libre à l'aile droite du parti(lire notre reportage du 7 juillet surles débordements de la convention«immigration»). Hervé Novelli, le chefde file des libéraux, a relancé le débatdes 35 heures. Lionnel Luca, le co-fondateur de la Droite populaire, adénoncé la «frilosité» de l'UMP sur lesquestions d'immigration, obtenant de Copél'organisation d'un débat sur la nationalitéà l'automne...

«Il faut bien choisir ses thèmes et bienles traiter..., glisse Patrick Devedjian. Ily a des gens d'origine étrangère, dansles discours qu'on tient, il faut faireattention.» Le président des Hauts-de-Seine trouve une circonstance atténuanteau patron de l'UMP: son entourage. «Il ales troupes qu'il a», ironise-t-il.

Une ébauche de projet qui ne lie pas leprésident-candidat

Un patron loin des militants

Lors d'une conférence de presse, auprintemps, Jean-François Copé le disait demanière décomplexée: les présidents defédération, il les reçoit à Paris. Pas besoinde mouiller la chemise en multipliant lesdéplacements de terrain. Cette attitudetranche nettement avec celle de sonprédécesseur. Malgré un mauvais bilan,Xavier Bertrand pouvait au moins sevanter d'avoir quadrillé le territoire ense rendant dans chacune des fédérationsdépartementales.

Certes, Copé est apprécié des députés,qui n'oublient pas la liberté de parolequ'il leur a laissée lorsqu'il était présidentdu groupe. Mais au-delà de son clubGénération France, il est peu populairechez les militants. Certains lui reprochentson élitisme. Le député de Seine-et-Marnes'avère plus doué pour susciter le débatd'idées que pour motiver ses troupes sur leterrain.

Un front anti-Copé

Le patron de l'UMP a su s'attirer lesfoudres de plusieurs ténors de la majorité.Avec Xavier Bertrand, la rivalité estancienne et notoire. L'an dernier, à Port-Marly, Copé a remis de l'huile sur le feuen plombant le Campus d'été de XavierBertrand, le secrétaire général de l'époque,qu'il a accusé d'avoir «sclérosé» le

Page 9: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 9/29

parti. Depuis un an, c'est avec FrançoisFillon que la cohabitation est difficile.Au lendemain des cantonales de mars,le nouveau secrétaire général de l'UMPa publiquement reproché à Fillon de ne«pas avoir joué collectif». Parallèlement,il a tenté de mettre en selle RachidaDati pour les législatives de 2012 àParis, alors que le premier ministrelorgne la capitale. Dimanche, il a denouveau expliqué que l'ancienne garde desSceaux était la seule candidate déclaréedans la 2e circonscription de Paris, cettemême circonscription dans laquelle Fillonsouhaite être candidat.

Le retour de bâton devait arriver. PourChristian Estrosi, Copé «a mis l'UMP àson service pour 2017». Depuis mars, lemaire de Nice met toute son énergie à bâtirun front anti-Copé. Critiques ouvertesde sa gestion du parti, dénonciations desa «dérive libérale», alliance avec XavierBertrand, François Fillon et LaurentWauquiez. Cet été, l'ancien ministre del'industrie a même mis sur pied avecBertrand une contre-université d'été danssa ville, le 11 septembre.

Ce front est d'autant plus gênantpour Copé que le quatuor qu'il avaitconstruit (avec François Baroin, BrunoLe Maire et Valérie Pécresse) se délite.Le remaniement de juin dernier et ledéchirement de Le Maire et Baroin pour lasuccession de Christine Lagarde a en effetfait éclater le groupe des Mousquetaires.

En amont de l'université d'été de Marseille,Jean-François Copé avait pris soin de seréconcilier avec Christian Estrosi. Il avaitégalement calé un dîner samedi avec lepremier ministre, devant les caméras, et aumilieu de 3.000 Jeunes Pop. Le but étaitclair: montrer qu'il allait jouer le jeu del'unité pour 2012, respectant un deal tacitepassé avec le chef de l'Etat.

Mais à son arrivée sur le site du Campus,François Fillon a été accueilli par desmilitants (notamment de l'UNI) hurlant«Sarkozy, Sarkozy!». Officiellement pourne pas attiser les divisions entre lesdeux rivaux et afficher l'unité autourdu candidat. Mais certaines mauvaiseslangues y voient une consigne de

l'entourage de Copé pour humilier lepremier ministre... «L'unité doit s'imposerpartout sur les ambitions personnelles»,a dit François Fillon dimanche dans sondiscours de clôture, mettant en gardecontre «les logiques narcissiques».

A la tribune, ce week-end, Jean-FrançoisCopé a demandé aux militants de«défendre le bilan» du chef de l'Etat.Il a aussi tenté de sauver le sien,évoquant «la refonte de notre conseilnational, devenu le Parlement du parti»,«la réunion du bureau politique», devenue«hebdomadaire», «avec ceux qui ferontla relève de l'UMP», le travail desnombreux «secrétaires nationaux». «Copés'en tire pas trop mal, estime Devedjian.Moi aussi j'ai eu ça. Il doit rassemblertout le monde. Il a la problématiquedu parti majoritaire.» Comprendre: laproblématique d'un chef de l'Etat qui a lahaute main sur son parti. Jean-FrançoisCopé ne l'a-t-il d'ailleurs pas lui-mêmereconnu, en disant que «le futur candidatn'était absolument pas lié au projet del'UMP»?

La révolution syrienne : laliberté sinon rienPar La rédaction de Mediapart

Le lundi 5 septembre 2011

Une chronique de Nadia Aissaoui et ZiadMajed.

Tout au long du mois de ramadan et dela fête de l’Aïd, la guerre des volontés enSyrie s’est poursuivie obstinément. Contrela machine de mort du régime qui a fait en30 jours plus de 400 morts et 5000 détenus(dont plusieurs ont succombé sous latorture – voir le rapport de Amnesty), lacontestation populaire a continué à menerdes petites et moyennes manifestationsquotidiennes, de jour comme de nuit, dansplus de 200 localités à travers le pays.

Les calculs du régime et sa nouvellestratégie de terreur

Le régime adopte depuis des semaines unestratégie d’isolement et de siège militairepermanent des grandes villes. A cela

s’ajoutent des incursions sécuritaires de24h dans les moyennes et petites villeset une présence lourde dans toutes lesbanlieues de Damas.

Ainsi, les chars de l’armée occupentles places publiques de Homs, Hamaet Deir-Ezzour, théâtre des plus grandesmanifestations de la révolution syrienne.Les trois villes ont été divisées par descheck-points en différents secteurs afinde rendre impossibles tout rassemblementcentral et toute communication entre lessecteurs.

Sur le littoral méditerranéen, les quartiersde Jabla ont été bombardés. Lamarine syrienne y a même participé.Probablement en action pour la premièrefois de son histoire, elle a bombardé lecamp de réfugiés palestiniens de Ramlfaisant 23 morts et forçant des milliers depersonnes à fuir la région. Les Palestiniensétaient accusés par le régime d’avoirparticipé aux manifestations de Lattaquié,principale ville côtière bombardée à sontour.

Ailleurs dans le pays, assassinats etcampagnes d’arrestations sont pratiquésquotidiennement. Damas et Alep sontparsemées de barricades. Des troupesmilitaires et des Chabbihas (les voyousarmés du régime) sont déployés autourdes mosquées mais aussi sur les voiesprincipales pour faire en sorte que lesmanifestations de quartiers ne débouchentpas sur les grandes places.

Le régime Assad tente de réduirele mouvement à des manifestationsdispersées dans le pays, notamment dansses zones rurales pour faire croire qu’ilcontrôle bien la situation et que lecalme a été rétabli dans les villes etautour de Damas. Cela lui permettraitde mettre en scène une conférencepolitique médiatisée annonçant des« réformes ». Il espère ainsi échapper auxpressions internationales grandissantes età l’isolement diplomatique. Ayant laRussie et la Chine comme soutien,il croit pouvoir esquiver les sanctionséconomiques visant en particulier sonpétrole. Il s’imagine même que, sur leplan géostratégique, des « deals » lui

Page 10: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 10/29

seront proposés plus tard par l’Occident(par crainte de la déstabilisation régionale)pour rétablir sa légitimité perdue. Cela aété notamment le cas durant la périodeAssad père, puis la période 2004-2007(durant la crise libanaise).

Les oppositions : persévérance, refusde la violence et espoir

Malgré la fatigue et les sacrifices desix mois de contestation à mains nuescontre un régime qui a déployé sonartillerie lourde, les manifestants ne sedécouragent pas pour autant. N’ayantplus accès aux grandes places publiquesurbaines, ils ont dû modifier leur tactique :des manifestations-surprises, petites etcourtes dans la durée dans la majorité desvilles, y compris Damas, avec ses procheset lointaines banlieues. Cette tactiques’est avérée payante puisque l’effet dedispersion a compliqué la tâche des forcessécuritaires qui ne sont pas parvenues àmettre fin aux manifestations quotidiennesdurant le mois de ramadan et les journéesde l’Aïd.

Deux importants développements durantcette période sont à signaler puisqu’ils fontaujourd’hui l’objet d’un débat au sein desopposants :• Le refus de toute militarisation de la

révolution

Certains messages ont circulé dans lesmédias et sur les réseaux sociaux incitantau recours aux armes pour ne pluspermettre « aux bandes du pouvoirde nous tuer comme des mouches »et appelant les soldats déserteurs àdéfendre les manifestants. A ces messages,des intellectuels syriens dissidents, demême que les comités et unions decoordination sur le terrain, ont ripostéen rejetant fermement toute allusionà la militarisation et en insistant surl’aspect pacifique de la révolution et sasuprématie politique et morale : « Lamilitarisation mènera la révolution surun terrain où le régime dispose d’unimportant avantage. Elle ne fera queporter atteinte à la supériorité moralequi a caractérisé la révolution depuis

son premier jour » (Déclaration descomités de coordination sur le sujet – enanglais).• Un conseil national

Le second développement a trait auxdifficultés que soulève l’organisationpolitique de la révolution. Depuisles arrestations des leaders de la« Déclaration de Damas pour lechangement démocratique » (qui arassemblé lors de sa fondation en2005 des partis politiques de gauche,des mouvements issus du nationalismearabe, des personnalités politiquesindépendantes, des chefs tribaux, desformations kurdes et des islamistesmodérés), les oppositions syriennes nesont pas parvenues à matérialiser uncorps de coordination et une plateformepolitique commune. Par ailleurs, et durantla révolution, ont vu le jour des comitéslocaux de coordination et des unions decoordination qui ont joué un rôle majeurdans l’organisation des manifestations etle choix des slogans politiques. Ceux-ci ont aussi publié des communiquéset rédigé différents documents politiquesconcernant leur vision de la Syrie del’après Assad.

Toutefois, entre les acteurs de ladéclaration de Damas, les personnalitéset intellectuels influents par rapport àl’opinion publique, vivant à l’intérieurcomme en exil, et les comités etunions travaillant sur le terrain, un lienmanque manifestement. Six mois aprèsle début de la révolution, beaucoupévoquent la nécessité de créer un conseilnational, réunissant tous les acteurs cités.Différentes initiatives ont eu lieu dans cesens, sans grand succès jusqu’à présent.

La semaine dernière, une nouvelleinitiative rassemblant les noms de94 personnalités de l’intérieur et del’extérieur a été annoncée à Ankara par ungroupe d’activistes syriens. Bien que cespersonnalités représentent la majorité destendances de l’opposition, cette initiativea suscité une polémique sur le faitque le conseil ait été constitué sansélections. Ce qui a conduit une grandepartie des personnes concernées (surtout

de l’intérieur) à s’abstenir d’y participer.D’autres personnalités ont accepté cettemission, considérant à la fois l’urgencede la situation et la nécessité absoluede formaliser une dynamique politiquecrédible, représentant tous les acteursprincipaux de la révolution et leurssoutiens à l’extérieur du pays. Despourparlers sont toujours en cours pourtenter de trouver un consensus concernantcette démarche ou d’autres alternatives.

Une nouvelle phase : les bases durégime tremblent

Selon de nombreux activistes etintellectuels syriens, des secteurs de labourgeoisie syrienne (jusque-là grandsoutien du régime) seraient en trainde revoir leur position, notamment àDamas. Ils affirment également quecertains hésitants auraient basculé du côtéde la révolution, vu la violence desforces du régime et les atrocités qu’ellescommettent.

Par ailleurs, il semblerait que le régime aitde plus en plus de difficultés à financersa gigantesque machine de répressionet ses milliers de chabbihas. A celas’ajoutent le coup moral et psychologiqueque le régime a accusé après la chutede son allié et semblable libyen, lepoids des sanctions économiques (surtout

Page 11: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 11/29

dans le secteur pétrolier), de même quel’isolement diplomatique de plus en pluseffectif.

Un des signes flagrants de l’extrêmeexaspération et nervosité du pouvoir aété l’agression récente et symbolique ducaricaturiste Ali Farzat (voir son site ici).A travers ses dessins, ce dernier incarnele symbole de la lutte pacifique pourla liberté. En lui broyant les doigts, lerégime a fait non pas une démonstrationde force puisque le rapport est clairementinégalitaire, mais il a donné la preuvequ’une plume pouvait être une arme d’unepuissance redoutable. Par cet acte, il asigné son engagement définitif dans lavoie de la déchéance.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Le PS marseillais en ordrede déroutePar Louise Fessard

Le dimanche 4 septembre 2011

C'est une belle photo de famille dessocialistes marseillais, réunis en haut dela Canebière ce samedi 3 septembre, pour

le lancement de la primaire, alors qu'àquelques kilomètres de là, le campus UMPs'ouvrait sur des polémiques internes.

L'avocat Jean-Pierre Mignard, porte-parole de la haute autorité de la primairedu PS, vante le stylo électronique,qui éloignera tout risque de fraude,et l'organisation de ce scrutin dansles Bouches-du-Rhône qui «constituentvraiment ce qu'il y a de meilleur enFrance». Seul absent, et de taille, leprésident du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini, considérépar Harlem Désir, premier secrétaire parintérim du PS, comme un potentiel «bouletmoral» pour le PS.

Plus question de «contrat de rénovation»,si Jean-Noël Guérini «est mis enexamen, je demanderai le respect dela présomption d'innocence. Il devranéanmoins se mettre en retrait du parti etde la présidence du conseil général pourpréparer sa défense», répétait HarlemDésir dans La Provence le 31 août.D'abord très timorés face à l'homme fortde la quatrième fédération PS de France,Martine Aubry, puis François Hollande,se sont depuis, peu ou prou, alignés sur laposition d'Harlem Désir.

«C'est la possibilité d'une incriminationpour association de malfaiteurs qui a faitbouger le parti, estime Patrick Mennucci,

maire PS des 1er et 7e arrondissementà Marseille. Nous ne serions plus dansla petite prise illégale d'intérêt.» Jean-Noël Guérini doit être entendu le 8septembre par deux juges d'instructionmarseillais sur l'affaire de marchéspublics frauduleux dans laquelle son frère,Alexandre Guérini, est déjà poursuivi.Pour plusieurs socialistes locaux, en casde mise en examen, la mise en retraitdes instances de Jean-Noël Guérini, qui

a déjà dû quitter en avril son poste depremier secrétaire fédéral et siège encoreau conseil fédéral et au bureau national duPS, est quasiment actée.

Justement, selon Le Monde, le présidentdu conseil général devrait se voir signifierce jour-là sa mise en examen pour«complicité d'obstacle à la manifestationde la vérité», «prise illégale d'intérêts»,«trafic d'influence» et «association demalfaiteurs en vue du trafic d'influence».«Je ne suis pas le premier élu socialisteà être mis en examen!», rétorque leconvoqué qui recense: «Il y a Baylet,et Teulade, Boucheron, Ayrault… J'aipréparé une liste de 56 noms avec mesavocats.»

«J'ai rencontré Jean-Noël Guérini, je luiai dit que, selon la tournure de l'audiencedu 8 septembre, il y aurait des décisionspolitiques, et je suis convaincu qu'il negênera pas son parti et ne laissera pasl'occasion à la droite de polluer laprimaire», explique son ancien conseiller,Jean-David Ciot, qui a depuis démissionnédu conseil général pour prendre la tête dela fédération le 21 juillet 2011.

Mais rien n'est moins sûr en ce quiconcerne la présidence du Conseil général,pièce maîtresse du système Guérini.«Moi je gère le PS, la gestion descollectivités concerne les élus locaux»,répond évasivement Jean-David Ciot, quidéfend son ancien patron bec et onglesdepuis le début des affaires. Or «lepouvoir, c'est ici que ça se passe, ettant qu'il ne se retirera pas de l'exécutif,l'image de l'institution sera brouillée etla rénovation du PS impossible», estimela conseillère générale PS, Marie-ArletteCarlotti, désignant de son bureau le restedu Paquebot bleu, l'immense siège d'undépartement au budget de 2,4 milliardsd'euros et employant plus de 4000 agents.

Car c'est précisément pour êtresoupçonné d'avoir détourné certainspouvoirs du conseil général des Bouches-du-Rhône, au profit des affaires de sonfrère, que Jean-Noël Guérini est convoquédevant le juge. Et c'est, comme le rappelleLes Echos, ce même «enchevêtrement

Page 12: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 12/29

douteux entre le conseil général et le partiqui constituait le terreau du clientélismede Guérini».

«Un homme public, inculpé à tort ouà raison dans l'institution qu'il dirige,doit s'en retirer le temps de son procès,comme l'avait fait en son époque DSK»,défend, depuis mars 2011, le conseillermunicipal apparenté PS Jean Viard.Le socioloque, qui s'était aventuré enpolitique derrière Jean-Noël Guérini auxdernières municipales marseillaises, jugeque «dans une période de crise sociale,pour qu'il soit moralement légitime demettre aux Baumettes les gamins quiarrachent des colliers, il faut que de l'autrecôté, le reste de la société, police commemonde politique, soit irréprochable».

Un système defferriste dévoyé

Ce n'est pas la première fois que le PSet la justice enquêtent sur les pratiquesmarseillaises. «Moi-même j'ai participé àquelques rénovations», se souvient avecun petit sourire, le conseiller généralMichel Pezet, qui, à son arrivée à la têtede la fédération en 1979, tenta de réformerle système clientéliste. «J'avais mis unesection par quartier et, puis la vieillegarde m'a mis tout ça par terre», dit-ilaujourd'hui.

Rappelons qu'en juillet 1998, le jeunerapporteur du budget Jean-Noël Guériniprend la tête du département, après queson prédécesseur, le socialiste FrançoisBernardini, également ancien patron de lafédération, a dû démissionner à la suite demalversations politico-financières.

Reconnu comme «comptable de fait»dès 1995 pour l'usage illégal qu'ilavait fait de subventions auprès dediverses associations, ce qui entraînait soninéligibilité, et mis en examen en 1997pour ingérence et détournement de fondspublics, François Bernardini n'avait quittél'exécutif du conseil général qu'une fois

toutes les voies de recours épuisées, leConseil d'État l'ayant sommé en juin 1998de se démettre de ses mandats électifs*.

Un an plus tard, en 1999, comme le relateLibération, dans une nième tentative derénovation, «François Rebsamen, alorssecrétaire national aux fédérations, avaitfait envoyer des lettres aux 11.400militants inscrits des Bouches-du-Rhône,pour savoir ceux qui répondaient àl'adresse indiquée. Seuls 7.050 avaitretourné une réponse. Les autres (40%tout de même) avaient été radiés.»

Plus récemment, plusieurs autres élusPS locaux ont eu maille à partir avecla justice. Le sénateur-maire de Berre-l'Etang, Serge Andréoni, est égalementconvoqué chez les juges le 14 septembrepour des faits présumés de complicité detrafic d'influence. C'est justement à Berre-l'Etang, un des bastions de la fédérationavec plus de 500 cartes, qu'aura lieu le 10septembre la Fête de la Rose, censée lancerdans la joie la rentrée socialiste dans lesBouches-du-Rhône.

Déjà condamné en première instance à unan de prison ferme, en janvier 2010, pourfavoritisme et corruption passive dansun marché de traitement de déchets,Bernard Granié, le président du syndicatd'agglomération nouvelle (SAN) OuestProvence (qui regroupe une dizaine decommunes autour d'Istres et Fos-sur-Mer), attend lui la délibération de laCour d'appel d'Aix en Provence, quidevrait tomber le 7 septembre, commele rappelle Marsactu. Il risque gros,l'avocate générale ayant requis «pas moinsde trois ans» d'emprisonnement, 150.000euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité.

Au sein même de la collégialitécensée mettre en œuvre le «contrat derénovation», la députée et conseillèrerégionale PS des quartiers Nord deMarseille, Sylvie Andrieux, qui vientde remplacer le sulfureux Théo Balalasà la tête du bureau des adhésions dela fédération, est elle-même mise enexamen depuis le 8 juillet 2010 pour«complicité de tentative d'escroquerie» et«complicité de détournement de fonds

publics». Le juge Frank Landou a boucléson information judiciaire, et le parquetserait en train de rédiger son réquisitoire.

Entre 2005 et 2008, quelque 740.000euros de subventions de la région Pacaauraient été versés à une quinzained'associations fictives, situées pour laplupart sur la circonscription de SylvieAndrieux, «dans un but que l'on peutqualifier d'électoraliste et de clientéliste»,selon son ancien assistant parlementaireRolland Balalas (fils de Théo).

-----------------------------------

* François Bernardini a été condamné enappel en 2001 à dix-huit mois de prisonavec sursis, 400.000 francs d'amende etcinq ans d'inéligibilité. L'ex-patron du PSest depuis 2008 maire d'Istres.

La rénovation déjà «morte etenterrée» ?

Jean-David Ciot a donc beau jeu d'évoquerl'héritage clientéliste de Gaston Defferrepour expliquer les dérives de la fédération,et Jean-Noël Guérini de se présentercomme «bouc émissaire».

A la différence notable, note PierreOrsatelli, l'un des plus farouchesopposants de Jean-Noël Guérini à la têtedu collectif Renouveau PS 13, qu'«avec laperte de la mairie en 1989, le centre dusystème s'est déplacé au Conseil général»,et que Gaston jouait collectif, là où les«Guérini et consorts se sont emparésd'un appareil politique pour en détournerl'usage dans une approche uniquementclanique».

«On ne peut même plus parler desocialistes, lance-t-il. Un des objectifspremiers devrait être de traiter les affairesdu conseil général sans aucun lien avecla fédération, en mettant fin à un système

Page 13: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 13/29

clientéliste qui constitue une ruptured'égalité des financements accordés defaçon discrétionnaire.»

«Le système Guérini n'est pas différent,d'un point de vue sociologique de celuidu réseau Masse ou Andrieux (deux élushéritiers de dynasties PS bâties sousGaston Defferre, ndlr), analyse égalementJean Viard. Le problème, c'est quandce clientélisme vient s'opposer à lacompétence, qu'il devient clanique etoutrepasse les règles, et c'est ce qui estreproché aux Guérini.»

Reste maintenant à appliquer lesrecommandations de la commissionRichard : limitation de la taille dessections à 250 militants (quand, fin 2008,Allauch affichait 913 personnes inscritesau PS pour une population municipalede 18.728 habitants), limitation desadhérents non résidents dans les sections,suppression des sections hors sol,limitation du nombre de responsablesfédéraux ou de secrétaires de sectionsalariés du conseil général, etc. Pasgagné quand même l'élection du premiersecrétaire fédéral du 21 juillet a étécontestée par Renouveau PS 13 devant lacommission nationale des conflits.

Autre handicap, les contestataires sont enminorité au sein de la nouvelle directionpartagée, élue ce 21 juillet (ils détiennentquatre postes, contre six au campde Jean-Noël Guérini, et quatre autresaux différents courants des primaires).Direction qui ne s'est toujours pas miseau travail, ses six membres guérinistes,dont le secrétaire fédéral à la rénovation,devant être nommés le 8 septembre au soir,lors d'un conseil fédéral prévu juste aprèsl'audition de Jean-Noël Guérini. «Le 21juillet, on a fait voter les militants sur desnoms en blanc, ce qui est pour le moinscurieux», critique Patrick Mennucci.

«Comment enfin espérer que notrefédération s'engage dans un travail derénovation réelle, alors qu'elle resteraitcontrôlée par ceux-là mêmes qui n'ontjamais su faire de la politique autrementqu'en créant des relations de vassalitédont ils sont eux-mêmes le pur produit?»,demandait le 9 juillet sur Mediapart

Pierre Orsatelli. Il estime aujourd'huila rénovation «morte et enterrée». «Cesera un processus long, car certainespersonnes ont pris leurs habitudes et iln'est pas question de faire les choses defaçon arbitraire et imposée, avance deson côté Jean-David Ciot. Mais il y a desvrais militants dans cette fédération, qui sebattent.»

A Aix-en-Provence, Jacky Lecuivre, qui apris en septembre 2010 la section au nezet à la barbe du candidat soutenu par lafédération, y croit également, même s'il adû batailler pendant six mois pour obtenirla liste des adresses mél de ses militants.«J'avais reçu une liste squelettique de lapart de mon prédécesseur, avec même pasun quart des adhérents, et la fédérationa refusé de me donner les emails, j'aipassé des dizaines d'heures à reconstruirele fichier, explique-t-il. Maintenant ilva falloir se débarrasser de toutes cesrancœurs du passé pour essayer de jouerun peu plus collectif.»

Pas fous, les contestataires semblentavoir pris en main l'organisation dela primaire, confiée à un militant,Joël Canicave, et sous le contrôled'un magistrat, Jean-Pierre Deschamps,conseiller honoraire à la cour d'appel.«L'affaire Guérini nous a déjà pollué lescantonales, il ne faut pas gâcher le matchdes primaires, dit Marie-Arlette Carlotti.Nous ne voulons pas que les gens croientque, dès qu'on s'approche d'une urne tenuepar le PS, les dés sont pipés.»

L'énigme FrançoisHollandePar Laurent Mauduit

Le lundi 5 septembre 2011

Obnubilés par les fluctuations erratiquesdes sondages – qui, dans le cas présent,ont encore moins de pertinence qu’àl’accoutumée –, se passionnant beaucoupplus pour les «petites phrases» et lesquerelles d’écuries que pour les débatsd’idées ou de doctrines, la plupart desgrands médias n’y ont pas encore prêté

attention, mais le constat n’en saute pasmoins aux yeux: il y a une énigme FrançoisHollande.

Une énigme qui tient à la campagne qu’ila décidé d’engager; qui tient à la petitemusique qu’il veut faire entendre. Uneénigme qui se résume en fait en cettequestion principale: mais pourquoi donc a-t-il choisi de se faire le champion d’unepolitique «droitière»? Pourquoi donc a-t-il décidé, si l’on peut dire, de se «strauss-kahniser» à ce point?

Etrange, en effet! A suivre les discoursqu’il prononce ou les émissions auxquellesil participe, François Hollande donneclairement le sentiment de conduire lacampagne du second tour de l’électionprésidentielle et non celle des primairessocialistes. A l’écouter, on croirait qu’ilprend bien soin de parler aussi au campd’en face et que son souhait n’est pasd’abord de mobiliser son propre camp, deparler à ce que l’on appelait, en d’autrestemps, «le peuple de gauche».

Vidéo disponible sur mediapart.fr

Bien sûr, François Hollande est hommehabile et par surcroît bon orateur, enjouéet moqueur. Une salle, il sait donc la fairevibrer. Et face à un auditoire socialiste quirêve d’en découdre avec la droite, il sait,mieux que d’autres, en appeler au passéglorieux de la gauche, à son histoire et àsa mémoire, à ce «roman national» qu’ilse plaît fréquemment à évoquer, qui va dela Révolution française jusqu’à 1981, enpassant par le Front populaire. Il sait aussi,comme on l’a vu faire la semaine passéeà La Rochelle (voir la vidéo notamment àpartir de 28 minutes 25), se moquer avecjubilation des plus riches, dont NicolasSarkozy est le champion.

Mais enfin! A mille petits riens, cela sesent, François Hollande est profondémentsoucieux d’envoyer aussi des signes aucamp d’en face. Soucieux de parler

Page 14: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 14/29

aux milieux d’affaires. Soucieux derigueur économique et de respectabilitéfinancière. Et si, en certains points, ilse démarque du projet officiellementadopté par le Parti socialiste, s’il avancedes propositions complémentaires ou desamendements, c’est donc fréquemmentdans le même sens: pour rassurer le campd’en face et non pas pour faire vibrerle sien. L’énigme, la voici: lui qui, à ladifférence de Dominique Strauss-Kahn oude Laurent Fabius, n’a jamais versé dansles outrances du social-libéralisme ou de latroisième voie, il semble par moment tentéd’occuper ce créneau politique.

Examinons en effet ces premiers mois decampagne et les signes multiples envoyéspar François Hollande.

Le premier de ces signes intervient enseptembre 2010, alors qu’il n’a pas encoredéclaré officiellement sa candidature auxprimaires socialistes. François Hollandepropose alors un débat sur Internet surle thème: «Parlons de la France». Etle petit livre numérique qu’il dévoile àcette occasion (on peut le télécharger ici)fait dresser l’oreille en certaines de sespropositions.

D’abord, de la première à la dernière ligne,François Hollande multiplie les appels àla raison et à la modération comme s’ilfallait tout faire pour que de vieux slogansne reviennent pas hanter la gauche, le«Tout est possible!» de Marceau Pivertde 1936, ou le «Changer la vie!» de1981. Ligne après ligne, le candidat putatifenvoie donc sans cesse le même messagepour dissuader la gauche de «multiplierles propositions, comme si nous avionstous les moyens pour agir et disposionsde tous les leviers». «Les trésors cachésn’existent pas. Et les prélèvements surles revenus financiers comme sur lesgrandes fortunes, aussi légitimes soient-ils, ne peuvent suffire pour combler tousles déficits de notre protection sociale»,insiste-t-il.

Et François Hollande ajoute: «Cecomportement peut être séduisantélectoralement: nos concitoyens préfèrententendre que "tout est possible", plutôt que"l’Etat ne peut pas tout". Et quand des

dirigeants politiques, avec sincérité, ontfixé les limites de l’action publique, ils onteu à subir bien injustement les foudres del’opinion publique.»

Et ces petites phrases, qui, à l’époque, sontpassées inaperçues, sont lourdes de senscar, sans le dire explicitement, FrançoisHollande donne là un coup de chapeaurétrospectif à Lionel Jospin qui méritequ’on s’y arrête. Qu’on se souvienne! Ala fin de l’été 1999, le groupe Michelinannonce tout à la fois un doublement deses bénéfices et un nouveau plan social,prévoyant la suppression de 7.500 postesdont 1.880 en France. La double annoncedes profits et des licenciements choquelégitimement le pays, qui découvre alorspour la première fois les outrances ducapitalisme anglo-saxon auquel les grandsgroupes français se sont convertis et les«licenciements boursiers» auxquels ils ontdésormais recours: des licenciements nonpas pour éviter le dépôt de bilan mais pourverser des dividendes encore plus juteuxaux actionnaires.

« L'Etat ne peut pas tout »

Or, interpellé sur cette scandaleusemutation du capitalisme français et surce nouveau type de licenciement, LionelJospin dit son impuissance face à latyrannie des marchés, lors d’un entretiensur France-2, le 13 septembre 1999.Dans une formule qui est restée pour lagauche tristement célèbre et qui augurede son naufrage de 2002, il lâche: «Il nefaut pas attendre tout de l’Etat.» LionelJospin signifie alors qu’il n’honorera pasla promesse qu’il avait pourtant faitede rétablir l’autorisation administrativepréalable aux licenciements. Quelquesmois plus tard, devant des ouvrierslicenciés de Lu, le premier ministre faitune variation sur le même thème: «L’Etatne peut pas tout.»

François Hollande, qui n’a rien oublié detout cela, ne parle donc pas à la légère.Loin de saluer l’action de Lionel Jospinle volontariste, celui de 1995 ou 1997,qui cherchait à faire sortir la gauche del’ornière libérale des années Bérégovoy,il salue l’autre Lionel Jospin, celui quicède face aux marchés et retombe à

partir de 1999 dans la même ornière,à l’instigation des deux sociaux-libérauxde l’époque, Dominique Strauss-Kahn etLaurent Fabius.

Dans son petit opuscule Parlons de laFrance, il ne fait d’ailleurs pas que fixerles principes d’une politique économiquemodérée ou néo-libérale. De la parole auxactes, il fait aussi quelques propositionsconcrètes, qui vont dans le même sens.Oubliant que le Parti socialiste a votéen 2003 contre la disposition de laloi Fillon sur la réforme des retraitesprévoyant l’allongement au-delà de 40ans de la période d’activité donnant droità une pension complète, il lâche cettepiste sulfureuse: «Afin de tenir comptede l’allongement de la durée de lavie, il est logique d’augmenter la duréede cotisation au fur et à mesure quel’espérance de vie augmente.» Logique?Au sein des différentes composantes dela gauche ou de la gauche radicale,la proposition pourrait, à l’avenir, fairefigure de chiffon rouge…

François Hollande a ensuite administréun autre signe de son nouveaupositionnement, lors du face-à-face qu’ila eu avec l’économiste Thomas Piketty,organisé par Mediapart (lire Hollande-Piketty: confrontation sur la révolutionfiscale).

Il faut, certes, lui en donner crédit: si leParti socialiste s’est converti à la nécessitéd’une «révolution fiscale», c’est parce queFrançois Hollande a longtemps plaidé ence sens. Et le projet qui a finalementété retenu, celui d’une fusion de l’impôtsur le revenu et de la Contributionsociale généralisée (CSG), pour refonderun véritable impôt général et progressif surtous les revenus, c’est en grande partie lesien.

Vidéo disponible sur mediapart.fr

Page 15: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 15/29

Il n’empêche! Pour qui réécoute cetéchange et notamment la deuxième vidéoauquel il a donné lieu (vidéo ci-dessus),le constat est patent: François Hollandefait tout pour que la «révolution fiscale»soit la moins radicale possible. Et, surtout,qu’elle ne conduise pas à une trop fortetaxation des plus hauts revenus.

Le dirigeant socialiste émet donc desréserves sur le barème d’impositionpréconisé par Thomas Piketty, qui est trèsmodéré pour les bas et moyens revenusmais qui peut aller jusqu’à 50% pourles revenus mensuels de 50.000 euros etde 60% pour les revenus mensuels de100.000 euros. Observant que ce tauxsupérieur de 60% ne concernerait quequelques milliers de contribuables, ledirigeant socialiste exprime ses doutes:«Je considère que les taux faciaux pourun tout petit nombre de contribuables sontdes taux inefficaces», dit-il, insistant surles risques de délocalisation. «Je préfèreun impôt payé à un impôt fraudé», assène-t-il.

Réaction agacée de Thomas Piketty: «Jerecommande à François Hollande deproduire son barème, parce que tout sepaye. Si on réduit à 50% le taux supérieur,alors on sera obligé d’augmenter lestaux d’imposition des revenus moyens ouinférieurs», réplique-t-il.

Affichant des désaccords assez nets surcette question de la fiscalité des revenus,le dirigeant socialiste et l’économistesont aussi sur des longueurs d’ondeassez différentes en matière de fiscalitédu patrimoine. Car, dans ce domaine,François Hollande reprend à son compteune idée assez droitière, dont la paternitérevient en d’autres temps à DominiqueStrauss-Kahn, consistant à ce que l’impôtde solidarité sur la fortune (ISF)puisse venir en déduction des droits desuccession.

Or, on comprend bien les conséquencesque pourrait avoir ce projet: il pourrait toutà la fois conduire à une quasi-suppressionde l’ISF qui ne dirait pas son nom en mêmetemps qu’à une minoration des droits desuccession. Il est donc loin d’être certainque la proposition enflamme le «peuplede gauche»; le moment venu, elle pourraitplutôt constituer un gage d’apaisementpour les milieux les plus fortunés. C’estdans cet esprit que Dominique Strauss-Kahn l’avait conçue.

Alignement sur le principe ultralibéralde l'équilibre budgétaire

Mais c’est surtout dans les premiersmois de 2011 que François Hollandecreuse ce sillon de manière encore plusnette. Ce n’est qu’une anecdote, mais elleest significative. Le 24 mars 2011, lejournal Les Echos demande au détourd’un entretien avec François Hollande s’ilaccepte une filiation avec Raymond Barre,le père-la-rigueur que la gauche a chasséde son poste de premier ministre en 1981.«On vous qualifie parfois de RaymondBarre de gauche. Est-ce un complimentà vos yeux?», lui demande le journal.Réponse de l’intéressé: «Je le prends avecprécaution, car on ne peut pas dire quesa réussite à l’élection présidentielle aitété totale! On ne peut dire non plus quesa gestion ait été parfaite. Mais il a eu lesouci de remettre nos finances publiques àflot.» En clair, il ne s’offusque pas de cecousinage; il s’en amuse…

Inquiétante filiation! En 1981, RaymondBarre est, avec Valéry Giscard d’Estaing,le symbole de la politique réactionnairequ’il faut mettre en échec, le premierministre des injustices sociales, duchômage et des premiers petits boulots.Trente ans après le 10 mai 1981 (ontrouvera ici les références du livre queMediapart a écrit pour commémorer àsa façon l’anniversaire et là celles d’undébat sur le même sujet, en présencede François Hollande et d'ArnaudMontebourg, organisé par Mediapart),le voici en partie réhabilité par les héritiersde ceux qui l’ont battu.

On pourrait penser que ce constatest exagéré et que François Hollandea simplement répondu avec courtoisie,sans y prendre garde, à une questionqu’il jugeait accessoire. Et pourtant,non! Car quelques mois plus tard,François Hollande, qui, dans l’intervalle, aofficiellement déclaré sa candidature auxprimaires socialistes, confirme de manièrespectaculaire qu’il est partisan d’une forterigueur budgétaire (lire Adieu Keynes!Vive Raymond Barre!).

Alors que le projet socialiste, refusant lapolitique d’austérité du gouvernement etla réduction à marche forcée des déficitspublics, préconise un retour des déficitspublics français sous la barre des 3% duproduit intérieur brut (PIB) seulement àl’horizon de 2014, et non en 2013 commes’y est engagé Nicolas Sarkozy, FrançoisHollande prend en effet ses distances avecles priorités de son propre parti pourapplaudir celles de la droite. Sous le titre«François Hollande: la dette est l’ennemiede la gauche et de la France», c’est à lafaveur d’un entretien au Monde (daté du 16juillet) qu’il se livre à cet exercice.

«Dans le projet socialiste, il est questionde ramener les déficits à 3 % du PIB en2014. N’est-ce pas trop tard?, interroge lequotidien.

– Il faut rééquilibrer nos comptes publicsdès 2013, répond François Hollande.

– Dès 2013?, insiste le journal.

– Oui. Je ne le dis pas pour céder à je nesais quelle pression des marchés ou desagences de notation mais parce que c’estla condition pour que notre pays retrouveconfiance en lui. Nous ne pouvons paslaisser gonfler la dette publique au risquede faire de la charge de nos intérêts lepremier budget du pays, ce qui altéreraittoutes nos marges de manœuvre. La detteest l’ennemie de la gauche et de la France.Si je suis élu, la première réforme duquinquennat sera la réforme fiscale. Lecandidat qui annonce qu’il n’y aura pasd’effort supplémentaire après 2012 seraun président qui se parjurera», confirmeFrançois Hollande.

Page 16: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 16/29

On connaît la suite: dans une étonnantecompétition libérale, sa rivale dans laprimaire, Martine Aubry, fait aussitôtcomprendre que, elle aussi, si elle étaitélue, n’aurait de cesse que de bafouer lesengagements pris par le Parti socialisteet de mettre en œuvre une politiqued’austérité. Et elle promet, en cas devictoire de la gauche, que les marges demanœuvres budgétaires seraient affectéesnon pas pour moitié mais aux deux tiersau désendettement. Autant dire qu’il neresterait plus grand-chose pour financerles priorités, qu’il s’agisse de l’éducationou de la lutte contre le chômage et lapauvreté.

Etrange campagne, donc. Car, en 1997,même le très libéral Dominique Strauss-Kahn ne prônait pas un retour à l’équilibredes finances publiques. A l’époque,seul Alain Madelin – c’est dire! – endéfendait le principe. Quinze ans plus tard,le socialiste François Hollande s’y estconverti, et plutôt que de plaider pour unepolitique concertée de relance, il défendles principes budgétaires réactionnaires dupacte de compétitivité, condamné par lessocialistes européens. Des principes quipourraient priver la gauche, en cas devictoire, de toute marge de manœuvre…

Et ces principes, François Hollande ytient, visiblement. Car ils sont encoreau centre du discours qu’il tient (ilpeut être consulté ici) le 24 août,à l’occasion d’une réunion avec desexperts économiques. «La gestion au filde l’eau, l’accoutumance aux déficits, laprogrammation sur la base d’hypothèsesirréalistes, l’acceptation d’un niveautoujours plus élevé d’endettementsont autant de manifestations d’uneirresponsabilité qui nous a trop coûtéet à laquelle il est temps de mettre unterme. Cet effort sera de longue haleine,il devra être mené avec résolution,sans compromettre notre croissance ninos objectifs en matière de justicefiscale et sociale», martèle-t-il, avant deconfirmer qu’il fait siens les objectifsde réduction des déficits retenus parle gouvernement: «Nos engagementseuropéens nous imposent de ramener

notre déficit à 4,6 points de PIB en2012 puis à 3 points de PIB en 2013alors que le déficit attendu pour 2011s’établit à 5,7 points de PIB. On levoit, l’essentiel de l’effort serait qu'untel scénario se réalise en 2013. Or, c’estmaintenant que la France doit montrersa détermination à combattre les déficits;c’est aujourd’hui que le gouvernementdoit montrer qu’enfin, il ne se contenteplus de paroles mais passe aux actes pourprotéger les Français contre les risquesque font peser sur eux les soubresauts desmarchés financiers.»

Un économiste réactionnaire en vedette

A l’affût de toutes les bonnes nouvellespour les milieux d’affaires, le site InternetWansquare applaudit (l’article est ici):il souligne que François Hollande nes’est certes pas rallié à la «règle d’or»budgétaire défendue par Nicolas Sarkozy,mais que cela y ressemble fort. Ou à toutle moins, c’est une «règle de platine»…

Il n’y a d’ailleurs pas que le contenudu discours de François Hollande, ce 24août, qui retient l’attention. L’assistanceest aussi digne d’intérêt. Comme s’il étaitentré dans le «cercle de la raison» sicher à Alain Minc, François Hollande ainvité ce jour-là à débattre avec lui uneétonnante brochette d’économistes, parmiles plus convenus de Paris, parmi les plusmondains ou les plus conventionnels.

Foin des jeunes chercheurs ouéconomistes, qui essaient, dans cecontexte de crise historique, d’explorer desvoies nouvelles pour la gauche, il y avaitlà l’économiste multicartes Elie Cohen; lelibéralo-conservateur Jean-Hervé Lorenzi,qui préside le Cercle des économistes(bien-pensants), très proche des milieuxd’affaires et en particulier de MauriceLévy, le patron de Pubicis; et mêmel’économiste Gilbert Cette.

Vidéo disponible sur mediapart.fr

Peu connu du grand public, ce dernieréconomiste, qui apparaît sur la vidéoofficielle retraçant les travaux de laréunion, mérite une mention particulière.Attaché à la Banque de France, il est

seulement connu des initiés et des…abonnés de Mediapart! Il s’est en effetdistingué en co-signant en 2008 un rapportpublic pour François Fillon préconisant niplus ni moins que de casser le système dusalaire minimum. Mediapart s’en était faitl’écho et avait révélé le rapport le 9 avril2008 (lire Un rapport officiel veut casserle salaire minimum).

Or, le plus surprenant, ce n’est pas queGilbert Cette ait été convié aux agapes –après tout, si un dirigeant socialiste estune force d’attraction qui va au-delà deson camp, tant mieux! C’est que GilbertCette a donné le ton. Lors de la réunion,il a sorti sa rengaine réactionnaire contrele salaire minimum. Et cette rengaine a étéretenue comme parole d’évangile. On entrouve trace dans le compte-rendu officiel(il est ici) de la troisième table ronde quia eu lieu ce jour-là, dénommée – ce n’estguère enthousiasmant ni mobilisateur! :«Concilier pouvoir d’achat, compétitivité,et consolidation des finances publiques».

Car ce que dit ce compte-rendu officiellaisse songeur. Cela commence parl’énoncé suivant: «Cette troisième tableronde a permis de définir des pistesde conciliation entre, d’une part, lasauvegarde du pouvoir d’achat et, d’autrepart, deux forces contraires: un regainde compétitivité qui plaide pour unemodération salariale et un contexte desobriété budgétaire susceptible de toucherles dépenses dont bénéficient les foyersmodestes.»

Autrement dit, la table ronde fait siens tousles poncifs réactionnaires de la politiquelibérale, qui a été le socle des politiqueséconomiques suivies par la droite commepar la gauche depuis le virage de1982/1983: une politique salariale tropgénéreuse fait le lit du chômage et nuit àla compétitivité. Cela a été en particulierle credo de Pierre Bérégovoy comme celuid’Edouard Balladur. Il faut donc conduireune politique de l’offre plutôt qu’unepolitique de la demande. Tout est dit danscette formule: il faut privilégier «un regainde compétitivité» et cela «plaide pourune modération salariale». Même Nicolas

Page 17: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 17/29

Sarkozy, dont les discours sont écrits parl’habile Henri Guaino, n’ose plus dire leschoses avec cette brutalité technocratique.

Et le compte-rendu officiel poursuit:«S’agissant des classes populaires, lesparticipants font le constat d’un tassementde l’échelle des salaires lié à uneprogression du Smic plus rapide que celledu salaire médian. Les intervenants se sontaccordés pour dire qu’un Smic élevé n’estpas le meilleur outil de soutien aux plusmodestes, les dispositifs de solidarité detype RSA ou PPE étant mieux adaptéscar sans incidence directe sur le coût dutravail. Ces outils pourront être évaluéset ajustés, mais les moyens qui leur sontalloués devront être ménagés afin que laphase de désendettement ne génère pasde nouvelles inégalités.» Plus brutalementdit, si «un Smic élevé n’est pas le meilleuroutil», on peut en déduire qu’il ne faudraitdonc pas donner de «coup de pouce»au Smic. C’est la ligne de conduite queNicolas Sarkozy a précisément suiviecontinûment, ces cinq dernières années…

La réédition des erreurs commises parJospin en 2002

François Hollande y a-t-il seulement prisgarde? Lui qui a beaucoup de syndicalistesdans ses proches, tout particulièrementde l’Unsa, mais aussi de la CGT, levoilà donc qui les laisse en arrière-plan et qui ne s’affiche qu’avec desexperts bien-pensants ou bien en vue, lesnotables de l’économie ou de la «penséeunique». Cela s’est d’ailleurs poursuivijusqu’à l’Université d’été de La Rochelle,où le candidat socialiste a affiché saproximité avec un autre économiste, Jean-Paul Fitoussi qui a fait une cour assidueà Nicolas Sarkozy depuis 2007 et qui a

fréquemment été vu arpentant les salonsde l’Elysée ces dernières années, bien au-delà de ce qu’exigeaient ses fonctionsde président de l’Office français desconjonctures économiques (OFCE). Et levoici intronisé subrepticement maître àpenser de la gauche «hollandaise» – celalaisse pantois!

Cela génère donc une cascaded’interrogations: avec un telpositionnement, comment FrançoisHollande espère-t-il reconquérir lesmilieux populaires qui ont fait sicruellement défaut à la gauche en 2002et qui, pour certains d’entre eux, ontmême basculé dans le vote protestataireen faveur de l’extrême droite? Commentpeut-il espérer seulement préparer dansde bonnes conditions le rassemblementindispensable de toute la gauche, dansla perspective du second tour del’élection présidentielle? C’est ici queréside l’énigme François Hollande: laisse-t-il apparaître depuis quelques mois savraie nature, ce qui est le fond de sesconvictions? Ou y a-t-il une part de calculpolitique?

En vérité, c’est difficile de le savoir, caril y a indéniablement plusieurs FrançoisHollande.

Il y a un François Hollande militant dela transformation sociale, attachée auxvaleurs réformatrices de la composante dumouvement ouvrier qu’a longtemps été lasocial-démocratie française. Un partisanaffiché du réformisme radical. Qui nese souvient des combats qu’il a menés,comme député, pendant tout le secondseptennat de François Mitterrand – et ilen a payé le prix en ne devenant pasministre – contre les dérives libérales desannées Bérégovoy? A l’époque, beaucoupà gauche ont cédé à ce que l’on appelaitalors les «années fric » ou «l’argent fou » –

en clair les années Tapie. Pas lui. Ses livresde l’époque, dont ceux écrits avec PierreMoscovici, en portent témoignage.

Plus récemment, le livre de dialogue avecEdwy Plenel (devenu depuis directeurde Mediapart), écrit en 2006 (Devoir devérité, Stock), témoigne de ce mêmeet profond attachement aux valeurstransformatrices de la gauche.

Mais il y a aussi un second FrançoisHollande, plus conservateur en véritéqu’il y paraît – et très lié en amitiéà des vrais conservateurs ou libéraux,tel l’ancien ministre sarkozyste, Jean-Pierre Jouyet – au rythme où vont les

Page 18: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 18/29

choses, ne va-t-il pas finir par l’appelerà ses côtés! C’est le François Hollandeque l’on a vu tout à l’heure voler ausecours d’un indéfendable Lionel Jospin,quand celui-ci avoue son impuissanceface aux licenciements boursiers. Et c’estaussi le François Hollande qui rédigeavec le journaliste Pierre Favier unouvrage beaucoup plus convenu (Droitsd’inventaire, Seuil, novembre 2009), danslequel il porte un regard assez peu critiquesur les dérives libérales des années Jospin.Ce qui lui permet de redire que «L’Etatne peut pas tout »: «Cette formule étaitjuste et je la revendique pleinement en cequ’elle signe un rapport de vérité dans larelation politique.»

Mais si ce n’est pas la personnalité deFrançois Hollande qui est en cause, s’agit-il donc d’un calcul politique? Est-il sisûr de lui, qu’il fasse l’impasse sur lesprimaires et ne pense déjà qu’au secondtour de l’élection présidentielle?

Si c’est le cas, on ne peut s’empêcherde penser qu’il risque de rééditer l’erreurde Lionel Jospin pendant la campagne de2002 – cette étrange campagne au cours delaquelle le candidat s’est si peu soucié deparler à son camp et de le mobiliser qu’ila même fini par faire l’aveu stupéfiantmais logique que son projet n’était « passocialiste ».

Voilà donc l’énigme! François Hollandeassure qu’il est celui qui a le plus dequalités pour rassembler la gauche, toutela gauche, d’ici 2012. Mais, pour l’heure,il n’en apporte pas la preuve.

Filmer l'usine et lesouvriers, nouvelle manièrePar Ludovic Lamant

Le lundi 5 septembre 2011

Lussas, de notre envoyé spécial

Entrée du personnel, découvert aux Etatsgénéraux du documentaire de Lussas(Ardèche), clos fin août, réussit une petiteprouesse: bousculer la vieille catégorieusée du film d'usine. Sa réalisatrice,Manuela Frésil, s'est introduite au

cœur d'une dizaine d'abattoirs industrielsfrançais, du petit matin à la sortie d'usine,aux côtés d'ouvriers à la chaîne, quitranchent, dépiautent, ficellent, chargent.

Les patrons l'ont laissée filmer, pensantqu'il s'agissait d'un énième filmcommercial, à la gloire du secteuragroalimentaire. Ils se sont fait piéger dansles grandes largeurs: Entrée du personnelraconte l'emballement des cadences etla répétition infernale, l'affolement desgestes quotidiens jusqu'à ce que le corpslâche, la déshumanisation de ces ouvriersqui travaillent la chair animale: «On estcomme des machines», dit l'un d'eux.

Misère de la condition ouvrière, encoreet toujours, encore pire, semble suggérerManuela Frésil, dont le précédentfilm documentait le quotidien d'éleveursde porcs (Si loin des bêtes, 2003).Empruntant des éléments au film d'horreur(les abattoirs, le sang qui gicle,les cauchemars), Entrée du personnelconfronte, sans détour, la douleur deshommes aux calvaires des bêtes qu'ilsdépècent, et réfléchit à la porosité entre cesdeux mondes, humain et animal. On sortlessivé de cette exploration de la conditionanimale de l'ouvrier.

A l'instar d'Entre nos mains, de MarianoOtero, chronique de la récupération d'uneusine de textile par ses salariées, quise terminait en comédie musicale, lefilm de Manuela Frésil tente de restituerautrement la parole ouvrière. A partirde dizaines de témoignages, recueillisen amont et pendant le tournage, laréalisatrice a ré-écrit un texte («J'aiconstruit des destins», résume-t-elle), lupar des comédiens, mais qui pourrait trèsbien sonner, pour le spectateur non averti,comme des témoignages bruts. Méthodeassumée, qui consiste à distendre la parole

des prolétaires, pour mieux la défendre. Lefilm y gagne en intensité ce qu'il perd enexactitude: le flot de paroles, par instants,court aussi vite que le tapis sur lequel lespoulets sont éventrés un à un, jusqu'auvertige.

Simone Weil chez Alsthom

A Lussas, la projection d'Entrée dupersonnel a résonné très fort avec untravail plus abstrait, Je suis Simone, deFabrizio Ferraro, présenté dans le cadred'un état des lieux du documentaire italien.De quoi s'agit-il? D'une mise en image,façon Jean-Marie Straub, d'extraits dujournal de bord de la philosophe SimoneWeil, La Condition ouvrière, lors de sonpassage, de 1934 à 1935, aux usinesAlsthom de l'île Séguin, à Paris.

Là encore, le film décrit l'écœurementet l'aliénation «devant une besogne quinous épuise», et l'absurdité d'une viepassée à fabriquer, au même poste toutela journée, des milliers de pièces à desrythmes infernaux. Comme chez ManuelaFrésil, le travail de Ferrero joue sur l'écartentre le texte lu et l'image. En filmant,dans un noir et blanc glacial, les ruinesindustrielles de l'île Séguin, et les chantiersdu Paris d'aujourd'hui, Je suis Simonerestitue quelque chose de l'intemporalitédes écrits de Simone Weil – rien n'achangé, ou pas grand-chose, nous est-ilsoufflé.

Cette rétro italienne de grande tenue,orchestrée par le critique milanaisFederico Rossin, a surtout permis deprésenter un chef-d'œuvre des années1970, quasiment inconnu en France,devenu la matrice de tout un pandu cinéma politique transalpin: Anna,d'Alberto Grifi et Massimo Sarchielli.Nous l'avons découvert un vendredi matin,

Page 19: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 19/29

dans des conditions assez sublimes, alorsque l'orage grondait dans l'Ardèche audehors, et se mêlait au flot de paroles decette jeunesse révoltée, encore portée parl'élan de 68, mais déjà confrontée à seséchecs. Quelques années plus tard, l'Italiebasculerait dans le terrorisme.

Anna est le premier long métrage tournéen vidéo en Italie. Comme Jean-LucGodard ou la cinéaste suisse CaroleRoussopoulos s'y adonnaient au mêmemoment, cette pratique pionnière visaitexplicitement à filmer contre l'industriedu cinéma, et les intérêts du «capital»cinématographique, en s'emparant d'unetechnologie moins coûteuse, plus souple.

Sélectionné en 1975 aux festivals deCannes et Venise, puis à Berlin l'annéesuivante, le film est projeté, durant plusd'un an, dans une petite salle de cinémaexpérimental à Rome (le FilmStudio),avant de tomber dans l'oubli. Il seraredécouvert à la faveur d'un passage à latélévision italienne, en 1994, mais surtoutgrâce aux rétrospectives consacrées, dansles années 2000, à Alberto Grifi, devenuentre temps une grande figure du cinémad'avant-garde, mort en 2007.

Une héroïne warholienne

Des 12 heures de rushes, tournés surdeux mois de la vie d'Anna, en 1972,la version montée en conserve presquequatre: à l'écran, des blocs de «vraievie» défilent. Anna est en fuite: mineure,enceinte, paumée, abrutie par les drogues,elle s'est échappée de son collège debonnes sœurs. Massimo, l'un des deuxréalisateurs, l'accueille. Un pacte douteuxest conclu: contre hébergement, Anna serafilmée, et figurera l'héroïne éponyme d'unfilm qui reconstituerait son histoire.

Elle devient un objet de foire que l'onexhibe, filmée par endroits comme uneobsédante héroïne warholienne, ailleurs

comme un zombie terrifiant. Mais Annas'émancipe en cours de route des règlesdu tournage, s'autorisant une histoired'amour avec un technicien de l'équipedu film... Sa désobéissance, mélanged'amour et de manipulation, va devenirun acte révolutionnaire – ce gesteque, précisément, la bande de jeunesintellectuels romains qui l'entourent et,souvent, la méprisent, semblent incapablesd'accomplir.

Une version restaurée de ce filmpassionnant, prise en charge par lacinémathèque de Bologne, a été montréedimanche à la Mostra de Venise, preuveque la sortie d'Anna de son relatifanonymat ne fait que commencer.

Washington estextrêmement embarrassépar la reconnaissance del'Etat palestinienPar Thomas Cantaloube

Le dimanche 4 septembre 2011

Comme la plupart des chancellerieseuropéennes, l'administration Obama aété prise de court par les révolutionsarabes de ce début d'année 2011 qui ontforcé les pays occidentaux à mettre leursactes en accord avec leur parole et àrenégocier les compromissions passées.Mais, contrairement à la France, les Etats-Unis sont parvenus à négocier habilementce retournement géopolitique et à sereplacer publiquement dans le sens del'histoire: Washington a très tôt coupé lesponts avec Ben Ali, œuvré en coulissespour faciliter la sortie de Moubarak etson remplacement par l'armée; en Libye,elle a joué un rôle actif tout en restant audeuxième plan. Comme le font remarqueravec fierté les diplomates américains:«Aucun drapeau américain n'a étébrûlé durant toutes les manifestationsdu printemps arabe!» Ce qui n'étaitpas gagné après les guerres d'Iraket d'Afghanistan, le conflit permanentavec l'Iran, les compromissions avec les

dictatures saoudienne ou algérienne, sansmême parler de l'attitude protectrice vis-à-vis de Tel-Aviv.

Pourtant, d'ici moins de trois semaines,tous ces bons points engrangés parBarack Obama risquent de disparaîtreface à la question de la reconnaissancede l'État palestinien. Celle-ci doit êtresoumise au vote des Nations unies lorsde l'assemblée générale de fin septembre.L'Autorité palestinienne, lasse de voir legouvernement israélien bafouer tous lesaccords sur le gel des colonies et refuser des'engager dans des négociations sérieuses,a choisi une option unilatérale quiembarrasse au plus haut point Washington.Lors de la réunion annuelle de tous lespays de l'ONU, l'Autorité palestinienneva soumettre deux candidatures. Lapremière devant le Conseil de sécuritévisant à obtenir une reconnaissance pleineet entière en tant qu'État membre del'organisation internationale. La secondedevant l'Assemblée générale afin dedécrocher le statut d'État associé (« non-member state ») qui lui ouvrirait uneparticipation à tous les organismesdépendant de l'ONU, mais aussi le droitde porter plainte devant la Cour pénaleinternationale.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Les Israéliens sont bien évidemmentopposés à ces deux demandes. LesAméricains également, en dépit du faitque la création d'un État palestinienest une notion acceptée par Washingtondepuis plusieurs années. Les États-Unisse retrouvent donc dans la situationextrêmement inconfortable de s'opposerà une action qu'ils approuvaient tantqu'elle restait théorique, mais qu'ilsrejettent maintenant qu'elle a des chancesde se concrétiser. « La position deWashington est intenable et difficilementcompréhensible, assène Ibrahim Sharqieh,un expert du Proche-Orient à la BrookingsInstitution de Doha. Comment peut-onsoutenir les aspirations d'un peuple à laliberté et à l'autodétermination en Syriepar exemple et refuser la même choseaux Palestiniens? Cette situation expose le

Page 20: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 20/29

double discours de Washington et va fairebeaucoup de mal à la politique étrangèreaméricaine.»

Face à la première demande (lareconnaissance pleine et entière devant leConseil de sécurité), la Maison Blanchen'a d'autre alternative que d'approuverquelque chose dont elle ne veut pasou de mettre son veto en tant quemembre permanent – et exposer alorsses contradictions. Pour ce qui est de laseconde demande (le statut de membreassocié), les Etats-Unis sont encoreplus démunis. Il suffit en effet qu'unemajorité de pays membres de l'Assembléegénérale se prononcent en faveur pourque la résolution soit approuvée, sansaucun moyen de la bloquer. Or, il estfort probable que l'Autorité palestinienneobtiendra cette majorité simple.

Les pressions de la diplomatieaméricaine sur l'Autorité palestinienne

Pourquoi l'administration Obama seretrouve-t-elle dans une situation quirisque de provoquer une crise majeurede sa politique étrangère ? « La seuleexplication qui me paraît valable estqu'une fois de plus les Etats-Unis sontvictimes de la pression israélienne »,explique Ibrahim Sharqieh. « L'uniqueraison est que le Parti démocrate a peurde perdre l'argent de la communauté juiveaméricaine et du lobby israélien Aipac»,poursuit MJ Rosenberg, un activistedémocrate, et ancien de l'Aipac. « Le Partidémocrate n'a pas peur de perdre desvoix, car les Juifs américains votent etvoteront toujours massivement à gauche,mais il a peur de perdre ses sources definancement. En cela, il a tort, car toutesles enquêtes d'opinion montrent depuisdes années que le sort d'Israël n'est quela sixième ou septième préoccupation desJuifs américains derrière l'économie, lesocial, l'environnement, etc. »

Elias Sanbar, l'ambassadeur palestinienà l'Unesco, avance une explication plusgéopolitique : « Les Américains se plientaux demandes israéliennes bien sûr, maissurtout, si les Palestiniens parviennentà leurs fins devant l'ONU, les Etats-

Unis ne seront plus les juges de paix duconflit israélo-palestinien, ils ne serontplus les maîtres de toutes les négociations.Alors qu'avec l'effondrement du mur deBerlin et la première guerre du Golfe,ils étaient devenus la première puissancesolitaire, ils sont désormais en train deperdre pied. » MJ Rosenberg ajoute unfacteur plus personnel: « Obama s'estattaché comme conseiller Dennis Ross,un diplomate qui travaille depuis vingtans sur le dossier israélo-palestinientout en étant très proche des positionsisraéliennes. Ross a échoué dans toutce qu'il a entrepris et il fait en sortequ'aucune nouvelle idée n'émerge sur lesujet. Il est un facteur de paralysie à laMaison Blanche. »

Depuis plusieurs mois, tous les effortsde la diplomatie américaine se sontconcentrés non pas sur le meilleurmoyen de relancer les négociationsentre Israéliens et Palestiniens, ousur la façon de modérer Nétanyahou,mais sur le moyen de faire renoncerl'Autorité palestinienne à sa demande dereconnaissance devant l'ONU. Jusqu'icisans succès. « Je ne vois pas commentles Américains arriveraient à leurs fins.Les révolutions arabes ont changé ladonne », analyse Ibrahim Sharqieh de laBrookings. « Autrefois, il suffisait de fairepression avec suffisamment de vigueursur l'Autorité palestinienne pour qu'elleobtempère. Désormais, il faut convaincreles peuples. Les Américains ne doivent passeulement convaincre Mahmoud Abbas, leprésident de l'AP, mais les Palestiniensdans leur ensemble, à moins de vouloirrisquer un soulèvement. »

Dans cette partie de bras de fer, il y aun autre acteur : l'Europe. Un ministre etun diplomate palestiniens assurent qu'ilsont reçu des garanties de la part dela France et de la Grande-Bretagne queces deux pays voteraient en faveur desdemandes palestiniennes, mais rien n'estjoué. « On nous a fait des promesses, maisnous savons qu'elles peuvent changer audernier moment. Rien n'est jamais sûr,confie le ministre. Mais si la plupart despays européens se rangent derrière notre

demande, cela fera pencher la balance ennotre faveur, car ils entraîneront dans leursillage des pays qui hésitent, en Amériquedu Sud ou en Asie. Cela sera mêmesusceptible d'influencer Washington quine voudra pas se retrouver isolée. »

Que vont faire les Etats-Unis dans lessemaines qui restent avant la date fatidiquedu 20 septembre ? Poser leur veto auConseil de sécurité et tenter de tordrele bras à un maximum de pays del'Assemblée générale, en courant le risquede se retrouver du mauvais côté? Oualors s'échiner à trouver une porte desortie alternative? Certains analystes etdiplomates évoquent la possibilité d'unengagement ferme d'Obama : en échangede l'abandon des demandes palestiniennesdevant l'ONU, les Etats-Unis garantiraientl'avancée de négociation sur les questionsde colonies, du retour des réfugiés etdu statut de Jérusalem, en promettantune reconnaissance de l'Etat palestiniendans une certain délai (la fin de l'année2011 ou d'ici un an) si ces négociationséchouent. « Cela pourrait représenterun bon deal pour les Palestiniens »,suggère un diplomate français, qui n'a pasl'autorisation de parler en public à se sujet.« Mais c'est une position bien plus avancéeque la plus avancée des positions d'Obamajusqu'ici, y compris celle qu'il a prise surla reconnaissance des frontières de 1967.Donc, je ne suis pas très optimiste... »

L'aporie des pauses dePioneerPar Michel de Pracontal

Le lundi 5 septembre 2011

Un phénomène inexpliqué a-t-il perturbéla trajectoire des sondes jumelles Pioneer10 et 11, lancées par la Nasa en 1972 et1973 pour explorer les régions lointainesdu système solaire ? Cette questionintrigue les scientifiques depuis qu'unphysicien a découvert en 1980 que Pioneer10 s'éloignait de la Terre un peu moinsvite que prévu, comme si elle était freinéepar une force mystérieuse. Certes, l'écartde vitesse par rapport à ce que prédisaient

Page 21: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 21/29

les calculs n'était que d'un millionièmede millimètre par seconde ! Mais cetteminuscule anomalie contredisait les loisde la physique, sauf à supposer qu'elleait été la manifestation d'une «nouvellephysique», encore inconnue... Trente ansaprès, le mystère n'est pas totalementéclairci : la dernière publication surl'anomalie des sondes Pioneer, parue le19 août dans Physical Review Letters,avance une explication plausible mais noncertaine. Et reporte la réponse ultime à uneprochaine «étude méticuleuse» qui devraitparaître «bientôt».

Cette histoire digne d'un scénario de X-Files débute par le lancement de Pioneer10 le 2 mars 1972. La sonde robotisée,d'un poids de 258 kilos, est destinée àexplorer la ceinture d'astéroïdes, zonesituée entre les orbites de Mars et deJupiter où évoluent des centaines demilliers d'astéroïdes et de planètes naines ;Pioneer 10 doit aussi visiter les environsde Jupiter, effectuer des observations surle vent solaire et les rayons cosmiques,avant de filer aux confins du systèmesolaire. Première sonde spatiale à partirà la rencontre de Jupiter, Pioneer 10 approche la planète géante le 4 décembre1973, après avoir survécu à d'intensesradiations. En juin 1983, elle devientle premier vaisseau spatial construit parl'homme à quitter le système solaire. Lecontact radio est définitivement perdu le23 janvier 2003. Dans l'intervalle, Pioneer11, conçue sur le même modèle, est lancéeen 1973. Elle s'approche de Saturne en1977. Contact perdu le 30 novembre 1995.

En plus de leur mission d'explorationspatiale, les deux sondes Pioneeront été chargées d'une tâche moinsrigoureusement scientifique : chacunedes deux sondes jumelles transporteun message adressé par l'humanité à

d'éventuelles intelligences extra-terrestres,sous forme d'une plaque d'aluminiumrevêtu d'une couche d'or (par anodisation).L'idée fut émise par un journalistebritannique, qui en a parlé à l'astronomeet écrivain scientifique Carl Sagan. Cedernier a été chargé par la NASA deconcevoir le message, avec son collègueFrank Drake, dans le délai record de troissemaines.

Le Fox Mulder de l'histoire s'appelleJohn Anderson

Le message représenté sur les deuxplaques Pioneer s'efforce de transmettreune signification universelle. Il comportele dessin stylisé des corps nus d'un hommeet d'une femme. L'homme salue en levantla main droite, ce qui fait apparaître sonpouce opposable, détail qui ne devrait pasmanquer de frapper les E.T. ! La plaqueporte aussi un schéma qui représente uneraie spectrale de l'hydrogène, l'élément leplus abondant de l'univers. Le chiffre 8,écrit en numération binaire, figure sur lecôté droit de la plaque, et il est censéindiquer la taille de la femme, en prenantcomme unité la longueur d'onde de la raiede l'hydrogène, qui est de 21 centimètres(21 × 8 = 168 cm). D'autres symbolesreprésentent le système solaire, la sondePioneer, sa trajectoire, etc.

Le Fox Mulder de l'histoire s'appelleJohn Anderson. En 1980, ce physiciendu Jet Propulsion Laboratory (JPL),un laboratoire de la NASA, décèleune infime anomalie dans la trajectoirede Pioneer 10 : les deux sondessubissent un minuscule freinage qui tendà ralentir la vitesse à laquelle elless'éloignent du Soleil. En 1998, Andersonpublie ses conclusions, avec cinq autresscientifiques, dans une étude basée surles données radiométriques des deuxsondes. Autrement dit, les signaux radio

qu'elles ont émis depuis leur lancementet qui permettent de reconstituer leurtrajectoire et leur vitesse à tout moment.Même si l'échelle du phénomène est celled'un grain de sable perdu sur une grandeplage, ce grain de sable suffit à fausser lescalculs des ordinateurs du JPL. Problème.

Pour tirer l'affaire au clair, Andersonpoursuit et affine ses calculs pendantde longues années. En 2002, un nouvelarticle, long de plus de 50 pages,confirme l'analyse de 1998 : même aprèsavoir traqué toutes les sources d'erreurspossibles, les deux sondes subissent bel etbien un freinage, de même intensité pourles deux, et qu'on n'explique par aucunmécanisme évident. Anderson et ses co-auteurs (les mêmes qu'en 1998) avancentdeux explications possibles, mais en lesréfutant :• Des fuites de gaz qui modifieraient

la trajectoires des sondes. Si lephénomène est courant dans lesvaisseaux spatiaux, et peut produirel'effet observé, il est peu vraisemblableque les deux sondes aient subi des fuitesà des taux similaires, et orientées dela même manière. Les auteurs jugentcependant que ce n'est pas totalementimpossible.

• Un dégagement de chaleur non isotrope– autrement dit variant selon lesdirections – qui produit un effet de«recul». Cette explication est la plusplausible aux yeux des auteurs. Lessondes sont équipées de générateurs auplutonium qui émettent de la chaleuren quantité suffisante pour produirel'effet. Mais, comme les générateurs auplutonium perdent de l'énergie au coursdu temps, le freinage devrait lui aussidiminuer. Or, d'après nos chercheurs, ilest constant.

Si les explications classiques nemarchent pas, qu'est-ce qui causel'anomalie ? Anderson envisage une«nouvelle manifestation de la physiqueconnue». C'est-à-dire un effet conformeaux lois déjà admises mais suffisammentrare pour ne pas avoir été observé jusqu'ici.L'hypothèse la plus élaborée est celled'un décalage des signaux radio dus à la

Page 22: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 22/29

gravitation et dépendant de la distanceà laquelle se trouvent les sondes etde la densité des poussières cosmiques.L'idée est séduisante, mais la densité dematière dans la ceinture d'astéroïdes esttrop faible pour expliquer l'effet observé.

L'explication la plus plausible est unphénomène thermique

Si la «physique connue» échoue, il nereste que la physique nouvelle, encoreinconnue. Anderson et ses collèguesspéculent sur des phénomènes mettanten jeu la matière noire. Il s'agit d'unematière hypothétique, non détectée parcequ'elle n'émet ni lumière ni rayonnement,et qui serait composée d'étoiles mortes,de trous noirs et autres objets exotiques.Cette matière invisible pourrait modifierla gravitation dans certaines régions del'espace, et ainsi perturber la trajectoired'une sonde spatiale. Mais après réflexion,Anderson et ses collègues écartent lamatière noire et les modifications duchamp gravitationnel : «Nous ne pouvonspas trouver de mécanisme ou de théoriequi explique l'anomalie (...), écrivent-ils.Jusqu'à plus ample informé, nous devonsadmettre que la cause la plus plausible estun processus inconnu.»

Le feuilleton vient de rebondir, avec unnouvel article, cette fois sans Anderson,désormais à la retraite. L'auteur principal,Slava Turyshev, est lui aussi chercheurau JPL et a cosigné les précédentes étudesdirigées par Anderson. Il a bénéficiéégalement du soutien d'une associationfondée par Carl Sagan, The PlanetarySociety, qui promeut l'exploration dusystème solaire et la recherche de la vieextra-terrestre. Turyshev a réanalysé leproblème en s'efforçant de reconstituer unensemble de données quasiment exhaustifsur les deux missions Pioneer. Il s'estlivré à un véritable travail d'archéologie

contemporaine dans les archives de laNASA, exhumant des enregistrements auxformats obsolètes, effectués sur les bandesmagnétiques à 7 ou 9 pistes que l'onutilisait comme mémoires de masse pourles ordinateurs dans les années 1960-1970.

Ces efforts, qui ont demandé près d'unedécennie, ont confirmé une partie desdécouvertes antérieures : l'anomalie existebel et bien et son intensité correspond à cequi avait été calculé précédemment. Mais,contrairement à ce que concluait Andersonen 2002, Turyshev montre que l'anomaliediminue légèrement au cours du temps.Autrement dit, le freinage exercé sur lessondes devient de plus en plus faible àmesure que l'on s'éloigne du soleil le longde leur trajectoire.

Ce point est crucial, car c'est la constancedu freinage qui avait conduit Andersonà écarter l'explication par le dégagementde chaleur. Celle-ci se trouve réhabilitée,et elle est considérée comme l'hypothèsela plus plausible par Turyshev et ses co-auteurs. Mais notre Fox Mulder, aliasJohn Anderson, n'a toujours pas rendu lesarmes, si l'on en croit la revue Science.Sitôt le papier de Turyshev publié, il arefait les calculs en se basant sur lesnouvelles données. Anderson persiste etsigne: le dégagement de chaleur ne peutpas rendre compte de la totalité de l'effet;il reste une partie de l'anomalie qui nepeut s'expliquer que «par un phénomènephysique nouveau ou un phénomèneclassique mais non observé jusqu'ici».

Pour trancher, les chercheurs doivent faireune ultime vérification : pour chaquepoint de la trajectoire d'une sonde, ilfaut calculer exactement la force de reculproduite par le phénomène thermique, etconfronter l'effet de cette force à la vitessede la sonde déterminée grâce aux donnéesradio. Ce travail minutieux fera l'objetd'une prochaine publication.

Deux résultats sont possibles : soitle phénomène thermique expliqueentièrement l'anomalie et le mystère dessondes Pioneer sera enfin éclairci ; soit ledégagement de chaleur n'explique qu'unepartie de l'anomalie, et il subsiste un effetinexpliqué. Dans la seconde hypothèse,

la Nasa n'aurait plus d'autre recours quede faire appel aux services de Mulder etScully –- les vrais, pas John Anderson… Après tout, peut-on formellement exclureque le message de Drake et Sagan soitfinalement parvenu à ses destinataires, etque l'anomalie des sondes Pioneer soit uneffet de la malice des extra-terrestres ?

Gravelines: dix heures aupays radieux du nucléairePar Jade Lindgaard

Le dimanche 4 septembre 2011

La centrale nucléaire de Gravelines,c'est le chauffeur de taxi qui en parlele mieux : utile, sûre, elle est aussiécologique puisqu'elle permet, comble duchic, d'élever bars et daurades dans uneferme aquacole alimentée en eau rejetéepar l'installation. J'ai le sentiment deme retrouver face au figurant d'un filmpublicitaire. L'attachée de presse d'EDFqui m'accompagne se recroqueville sur sonsiège: «Je vous promets qu'on ne l'a pasbriefé.»

C'est le service de communication del'électricien qui a lancé l'invitation à lasuite des articles de Mediapart sur desincidents à la centrale de Paluel et labanalisation par EDF de l'exposition àl'atome de ses travailleurs. «Ça vousdirait de visiter une centrale nucléaire?»Réponse, bien sûr, affirmative. Je proposele site de Gravelines, le plus gros d'Europede l'Ouest avec ses six réacteurs faceà la mer, comme à Fukushima, et l'undes plus vieux du pays puisque sa plusancienne unité entre, en 2011, dans satrentième année. Elle fonctionne au MOX,ce mélange de plutonium et d'uraniumparticulièrement radioactif. C'est là qu'enmai, Nicolas Sarkozy a déclaré que sortirdu nucléaire reviendrait à faire «le choixdu Moyen Âge».

Vidéo disponible sur mediapart.fr

Page 23: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 23/29

La visite s'organise vite, en quelquesjours. Coïncidence, elle tombe lelendemain de la venue de François Fillonà la centrale du Bugey et de sa déclarationconfirmant la ligne élyséenne sur le mixénergétique hexagonal : « la France abesoin du nucléaire » (voir ici).

C'est dans ce contexte de cap atomiquetenu sans trembler que démarre le rendez-vous, le 30 août, à 7h30 du matin. Ladirectrice de cabinet du directeur de lacentrale nous attend, un gros dossier« Mediapart juillet 2010 » sous le bras.Commence alors un voyage de dix heuresau pays radieux du nucléaire qui ne faillitjamais. Un véritable tour organisé, aumillimètre près, de l'installation sise àquelques kilomètres à peine de Dunkerqueet de sa zone industrielle peuplée de 14sites classés à risque.

« Vous avez vu une fuite ? »

Dans l'immense salle des machinescommune à quatre réacteurs du site, lechef de la mission sûreté-qualité décritl'usage des turbines, rotors, stators et dudédale de tuyaux qui s'étalent sous nosyeux. Soudain, il se retourne : «Vous avezvu une fuite? Eh non, EDF a fait un travailconsidérable sur les fuites !» Euh... il y abien ce petit nuage de vapeur qui s'échappedu gros tuyau en bas à gauche. «Ah, oui ça,c'est normal.»

Dans la salle des commandes de latranche n°3, le pilote est un jeune hommesouriant à l'accent du Sud. Deux jeunes

chimistes blondes consultent des relevés.« A Gravelines, on compte 9% de femmesdont 90% sur les métiers techniques », sefélicite le directeur de la centrale, Jean-Michel Quilichini. La visite se poursuit.Passage par la conciergerie qui aide agentset prestataires à trouver logements et baby-sitters – et même à se faire livrer leurscourses. Il y a aussi l'espace bien-êtreavec son offre de massages et sa sallede musculation. Et une salle pour jouerà la Wii. Impossible dans l'immédiat devérifier avec les salariés du site ce qu'ilspensent de leurs conditions de travail.Le rendez-vous pris la veille avec leresponsable d'une section syndicale futannulé à la dernière minute pour causede rendez-vous imprévu avec sa directionexactement au même moment...

La centrale de Gravelines a reçula certification environnementale ISO14001, gratifiant l'existence de démarchesenvironnementales. A l'entrée du centred'information du public se dresse unepoubelle de piles usagés. A la cantine,après le déjeuner, la directrice de cabinetrattrape les plateaux repas déjà partis surle tapis électrique vers les cuisines pouren retirer les bouteilles d'eau en plastiqueet les jeter dans le récipient des déchets àrecycler.

La directrice adjointe du site témoignede sa passion pour le nucléaire. Parcequ'on ne s'y ennuie pas, qu'il y a tantde choses à faire, le contact avec lesmachines. Des métiers pas banals, on nevend pas des chaussettes. Le nucléaire,division reine d'EDF. Pour la directricede cabinet du directeur, il y a aussi lamise en tension des gens, le sentiment d'unengagement. La rigueur. La complexité.On nous demande toujours plus. Et unecommunauté. Les enfants vont à l'écoleensemble. Parfum d'un monde idyllique.

L'attachée de presse d'EDF s'en inquiète:«On ne vend pas un monde parfait. Cen'est pas les Bisounours.» Elles évoquentencore une nouvelle recrue, agent deconduite, fille d'un ancien de la centrale.C'est un esprit familial.

«Où croyez-vous qu'habitent mafemme et mes enfants ?»

La famille, c'est justement l'argument finaldu directeur de la centrale de Gravelinespour convaincre de l'infaillible sûreté deson site : « Où croyez-vous qu'habitent mafemme et mes enfants ? A moins de 2 kmde la centrale. » Sous son casque et sonblouson frappés du sigle d'EDF, il prend lavisite à cœur, et y consacre plus de troisheures avant de partir en réunion à Paris.

Il veut « faire de la pédagogie ». Mais à samanière : aux questions précises que je luipose, tirées des rapports d'incidents et deslettres de suite que lui a envoyées l'autoritéde sûreté du nucléaire (ASN), il répondpar des principes et par la description deprocédures. Son « code de la route ». Lesrejets de la centrale dans l'environnementqui inquiètent l'ASN ? « Nos rejets deliquides radioactifs sont les plus faiblesjamais atteints. » Le vieillissement del'installation, dont les plus vieux réacteursdatent de la même année que Fessenheim ?« Les matériels sont plus sûrs aujourd'huiqu'il y a 30 ans. » L'exposition des agentsaux rayonnements ionisants, notammentlors des entrées dans le bâtiment réacteur ?« La dose collective prise à Gravelines abaissé de 3 ou 4 en 15 ans. » Les dangerspour la santé du travail dans le nucléaire ?« J'ai une maison de granit en Corse, j'yprends plus de radioactivité en une moisqu'à proximité de la centrale en un an. »

C'est un dialogue de sourds. Comme siquestions et réponses se croisaient sans serencontrer, formulées dans deux languesétrangères.

Au retour, c'est l'épouse du chauffeur detaxi du matin qui nous ramène à la gare.Elle connaît par cœur les horaires de trainpour Paris et le temps de trajet tant elle a

Page 24: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 24/29

fait d'allers-retours entre le site nucléaireet le centre de Dunkerque. Son fils vientd'y terminer un stage.

On quitte la centrale par la rue del'Aquaculture qui conduit au village dePort-Saint-Louis. Les tours des réacteursnucléaires de Gravelines se fondent dansle paysage, parfaitement alignées dans laperspective de l'église paroissiale dédiéeà Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours. Aquelques enjambées de ses quelquesmilliers de riverains, l'usine trentenaireproduit près de 10% de l'électricitéfrançaise.

De si jolis petits vélos dansles livres...Par Christine Marcandier

Le samedi 3 septembre 2011

La littérature aime les cycles : passeulement les massifs romanesques enplusieurs tomes mais les vélos. Il seraitvain de vouloir dresser un catalogue des «àbicyclette» de la littérature contemporaine.Citons simplement, pour le plaisir, lefameux Quel petit vélo à guidon chroméau fond de la cour? de Georges Perec

(1966) et Méli-Vélo (2009), abécédaireamoureux d’un autre oulipien, PaulFournel.

En exergue de ce drôle de dico, une phrasede Jean-Noël Blanc dans La Légendedes cycles – on appréciera le clin d’œilà l’épopée hugolienne – pourrait ouvrirle peloton des vélos de cette rentréelittéraire: «Les dictionnaires qui possèdentla réputation d’avoir raison sur tout setrompent sur un point: le vélo n’est pas unmoyen de locomotion. C’est un conte de

fées.» Et un embrayeur de récits. En selle,David Byrne, Catherine Cusset, SergePàmies et Graham Robb et leurs petitsvélos.

L’historien anglais Graham Robb ditdevoir son Histoire buissonnière de laFrance (Flammarion) à «22.500 km enselle et 4 années en bibliothèque».Son parcours, savant et passionnant, estune véritable «expédition», «relativementchronologique, de la fin du règne de LouisXIV à la déclaration de la première guerremondiale, s’autorisant parfois quelquescrochets par la Gaule préromaine et laFrance actuelle». Une volonté: explorer,réduire «le fossé entre savoir livresque etvécu».

Un moyen: cette «machine miraculeuse»,le vélo, qui «déroule un panorama à360 degrés sur le paysage, permet d’ensaisir les moindres gradations à traversles changements de braquet et de tensionmusculaire, de sorte qu’il est difficile d’enperdre une miette» et autorise les cheminsde traverse.

Le résultat: la saisie d’un pays «enperpétuelle mutation»: «plus qu’unrécit définitif», «un itinéraire possible».Graham Robb explore les cartes ettemporalités de cette France qui, àla veille de la Révolution, «mesuraittrois semaines de long (de Dunkerqueà Perpignan) et autant de large (deStrasbourg à Brest)». Il analyse lamanière dont s’est construite une identiténationale, véritable «propagande» depuisla Révolution pour unifier ce pays «puzzlede micro-provinces» jusqu’alors animépar un «patriotisme local», des langues etdes coutumes très contrastées.

Cette topographie buissonnière, àbicyclette, est un recueil de récitsde voyageurs (explorateurs, écrivains,travailleurs migrants, touristes), commeune analyse des moyens de locomotion(bateaux, diligences, trains, voitures)qui ont profondément modifié notreperception de l’espace. C'est une miseen perspective de l’histoire de la France,fourmillante d’anecdotes, de portraits, devignettes dont le vélo est le prétexte.

Page 25: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 25/29

Byrne, Journal à bicyclette

Le Journal à bicyclette de David Byrnes’offre comme le récit d’«explorationscyclistes de diverses villes», le vélovenant «lier» un «ensemble de pensées,de rêveries et d’anecdotes». Une narrationqui n’a de cesse de «prendre la tangente» :liberté, voyage, réflexions politiques,esthétiques, sociologiques, une forme de«vélosophie» en somme.

Le chanteur des Talking Heads n’y estpas une star mais un simple promeneurqui pédale, à New York («cette vieilledingue»), Paris, Manille, Buenos Aires,San Francisco, Istanbul – «J'adore cetteville. J'adore l'eau qui la cerne, et sarépartition sur trois masses de terre, dontl'une est le début de l'Asie» – ou Londres.Il photographie des lieux, enregistre desépisodes, quotidiens et symboliques. Son«journal cycliste» couvre une douzaine

d’années, une ville pour chaque chapitre(le chanteur ne se déplace jamais sans sonvélo pliant).

Durant ses parcours du monde, DavidByrne se ménage des pauses à bicyclette,le vélo est le lien de sa vie morcelée:«Cela me permet de conserver ma santémentale, malgré le sentiment d'éclatementet de dispersion lié à ces périodespassées hors de chez moi. Errer ensuivant son nez vide la tête» et favorisel'inspiration. La bicyclette abolit lesfrontières, géographiques comme sociales:le vélo est «synonyme de pauvreté un peupartout dans le monde».

Pédaler, c'est la liberté, le contact avec«la vibration de la rue». La bicycletteest «un observatoire», une «fenêtrepanoramique», en particulier sur les villes:«traverser à vélo un tel assemblagerevient à surfer le long des synapses d'unesprit global géant, à s'offrir une vraiedescente dans la psyché collective d'ungroupe humain compact». Le vélo estaussi un engagement: pour une politiqueurbaine qui cesse de donner la partdu lion à l'automobile, pour une «villehumaine» (voir Prolonger) qui rompeavec l'uniformisation qu'il constate:

«Ici à Manhattan, le jour même où je tapece texte (NDLR : consacré à Istanbul),une grue vient de basculer. Selon lesdernières informations, sa chute a tuéquatre personnes et fracassé un immeublevoisin. (...) Sous couvert de progrès etd'élévation, on construit des bâtiments quidéshumanisent les gens, lorsqu'ils ne lestuent pas. Le béton armé, le verre etl'acier qui les constituent sont identiquesà ceux des voies rapides, des barrages etdes ponts. Mais les gracieuses courbes,typiques des échangeurs d'autoroutes, nese retrouvent jamais dans les cages à lapincubiques. Et celles-ci, contrairement auxpremiers, ne sont pas prévues pour durer.Elles font exister le futur ici et maintenant,

mais pour un instant seulement: leurfutur à elles va disparaître et tomber enpoussière sous nos propres yeux.

C'est ainsi qu'au lieu d'un petitnombre de "monuments" authentiquementimpressionnants, comparables à ceuxque nous a légués un passé historiqueaujourd'hui dédaigné, notre siècle nelaissera à la surface de la planète qu'unsemis de structures presque identiques.Elles composent, pourrait-on dire, unmonument conceptuel à la fois uniqueet vaste, dont les éléments s'éparpillentdans toutes les villes et dans toutes lesbanlieues du monde. Une seule cité enmaints endroits.»

David Byrne ne produit pas un banalrécit de voyage, il s'engage, parlepolitique, société, art contemporain, meten perspective Amérique/Europe/Asie,son texte est un journal dans tous les sensdu terme.

Page 26: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 26/29

Cusset, la possibilité d’une ville

New York, journal d'un cycle de CatherineCusset a d'abord paru au Mercure deFrance en 2009, dans la collection «Traitset portraits» qui offre aux écrivains uneforme libre pour parler d'eux-mêmes. Ilressort, le 15 septembre, en Folio dans uneédition revue et corrigée.

Pour parler d'elle comme de sa villed'élection, Catherine Cusset a choisison vélo ou plutôt le cycle, jouant dela polysémie du terme: parcourir NewYork est une manière d'autoportrait, viades instantanés d'images, de lieux, demoments. La ville est un organisme, quiobéit lui aussi à un cycle, vie, mort,comme la narratrice qui surveille sescycles menstruels, «la tristesse d'une caseblanche sur un test de grossesse quand onveut un enfant». Cycle, «kuklos en grec»,la «forme parfaite».

«On dit un cercle infernal, un cerclevicieux, le cycle menstruel, le cycle dessaisons. On recycle les journaux, lesbouteilles et les employés. On programmeles cycles des machines à laver. Ça netourne pas rond là-dedans. On tourne enrond, on n'avance pas. On en a fait letour.»

Faire le tour de soi, d'une ville, de l'hommeaimé, d'un désir d'enfant vécu dansla frustration et l'impuissance. Journald'un cycle, au singulier, puisque le vélounifie le récit, texte et photographies,qui juxtapose les bicyclettes suspendues,tordues, garées, tombées, rassemble lesmots: «Vélo volé, l'anagramme et lechiasme sont parfaits, les deux mots sont

faits pour s'accoupler. En verlan c'est lové,comme un fœtus dans le ventre de samère.»

«À vélo, je peux aller partout», jusqu'auplus intime. Catherine Cusset dit le dangerde circuler à vélo dans NY, les insultes,les accidents mais aussi un immensesentiment de liberté, faire corps avec uneville ouverte sur «la mer», «la lumière etl'odeur de la mer».

Les roues du vélo comme les difficultésdu trafic, dans ce texte qui se donnecomme un «trajet», figurent le rythmecirculaire de la vie, ses aléas, ses accidents,ses pics d'intensité, associent la violencede la circulation dans une ville (insultes,accident, franchissement de lignes) à celledu couple. Dire la peur de dérailler,s'attacher à «ce qui ne tourne pas rond».

«Une des choses les plus importantes aumonde pour moi, c'est mon vélo. (...) Levélo est aussi une manière de ne pas tropréfléchir. Évacuer plutôt. Rouler. Pédaler.Avec un vélo on ne dérive pas. Impossiblede se laisser aller n'importe où, au grédes courants et des vents. On sait où onva. On peut se perdre, mais en gardant lecontrôle de la machine entre ses jambes.(...) Le vélo, c'est la forme. C'est celaaussi, l'écriture: la forme. La possibilité dedonner forme. De travailler sur la forme.D'exercer du contrôle par la forme.»

Pàmies, quel petit vélo?

Serge Pàmies nous propose, lui, un voyageimmobile. La Bicyclette statique, titre durecueil décapant que publient les éditionsJacqueline Chambon le 7 septembre, quin'est pas même celui de l'une des nouvellesqui le composent. Drôle de paradoxe qued'inclure ce texte dans un «cycle descycles» alors que le narrateur de «Troisfaçons ne pas dire je t'aime» renonceà un projet de roman dont les deuxpersonnages devaient se rencontrer dansun avion, «mais c'est alors que commençala mode de donner aux avions un rôleprépondérant dans tous les films, lesromans et les séries télévisées».

Aucun vélo, de fait, dans cet ensemblede textes très brefs, si drôles dans leurtonalité noire, entre gravité et absurde:des tramways, des chaussures, des taxis,

Page 27: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 27/29

beaucoup d'avions (dont celui de Saint-Exupéry) mais aucun vélo. Pas même encouverture du roman (un robinet).

Pourquoi alors cette «bicicleta estàtica»en version originale catalane? Parceque les personnages, en plein naufrageexistentiel, pédalent dans le vide... Ainsile protagoniste de «Benzodiazéphine» enplein dédoublement – «j'ai rendez-vousavec moi-même dans deux heures. Je neme connais pas personnellement, maisnous avons beaucoup chatté sur Internet»– ou celui de «Quatre nuits» qui revient surla nuit de sa conception «Moi, je n'existepas, même comme projet». Une poétiquede l'effacement, d'une folie intérieure quisaisit jusqu'au «petit vélo» du titre, absent.

C'est une habitude chez cet auteur quise moquait déjà du problème des titresdans Le Dernier Livre de Sergi Pàmies(Jacqueline Chambon, 2007): quel que soitle nombre de mois qu'un écrivain aurapassés à imaginer un livre surprenant et/ou poétique, les gens vont en librairie pourdemander «le dernier livre de (auteur àvotre convenance)». «Quel petit vélo?»,donc, comme s'en amusait déjà Pérec.

• David Byrne, Journal à bicyclette,traduit de l'anglais (USA)par François Landon, Seuil,"Fiction&Cie", 398 p., 23 €

• Catherine Cusset, New York, journald'un cycle, Folio, 4 € 85 (Parution le15 septembre 2011)

• Sergi Pàmies, La Bicyclette statique,nouvelles traduites du catalan parEdmond Raillard, Ed. JacquelineChambon, 110 p., 14€50

• Graham Robb, Une histoirebuissonnière de la France, traduit del'anglais (Royaume-Uni) par IsabelleD. Taudière, Flammarion, 575 p., 24€ (Feuilleter quelques pages)

Enquête Takieddine:Mediapart visé par desmenaces de mortPar Edwy Plenel

Le samedi 3 septembre 2011

Mercredi 31 août, Fabrice Arfi, journalisteà Mediapart, a déposé plainte contre Xauprès du procureur de la République deParis du chef de menaces de mort. Cetteplainte fait état de menaces explicitesreçues au début de notre enquête sur lesdocuments Takieddine, alors qu'elle n'étaitpas encore publique. Elles émanaient dePierre Sellier dont la société d'intelligenceéconomique, Salamandre, évolue dans lescercles du pouvoir sarkozyste et qui atravaillé pour le marchand d'armes ZiadTakieddine.

Le premier article de notre enquête sur lesdocuments Takieddine, menée en équipepar Fabrice Arfi et Karl Laske, a été misen ligne le 10 juillet 2011 (le retrouverici). Dans les jours qui ont précédé cettepublication, précisément entre le 2 etle 8 juillet, Fabrice Arfi recevait surson téléphone mobile une cascade deSMS – huit exactement – envoyés depuisle téléphone portable de Pierre Sellier.Certains de ces SMS étaient dupliqués etégalement adressés sur le téléphone dudirecteur de Mediapart.

Relevant d'un incontestable harcèlementet adressés parfois en pleine nuit, cesSMS étaient à la fois grossiers dansleur formulation, confus dans leur proposet menaçants dans leur intention. Parexemple, celui-ci, du 3 juillet à 18h06 :« Ma poule, t'avais raison ! A Karachi, on

va "briser des genoux". J'espère que tu asenfin réussi à te raser la barbe. Amitiés ».Ou cet autre, du 7 juillet à 23 heures :« Plenel le moustachu et Arfi le barbu, sije vous prends désormais à encore essayerd'enculer le juge Trevidic (il s'agit dumagistrat chargé de l'enquête sur l'attentatde Karachi-NDLR), je vais vraimentme facher, Cela est une MENACE DEVERITE pour protéger le juge, Dénoncezmoi au juge, SVP ».

Nous n'aurions pas prêté plus d'attentionà ce délire si nous ne connaissions pasla personnalité et le parcours de PierreSellier. Fondateur, actionnaire majoritaireet président par intermittence de la sociétéd'intelligence économique Salamandre, cepersonnage évolue dans les milieux durenseignement, en marge des servicesofficiels. Des anciens responsables de laDGSE, de la DST et de la Police judiciaire,et non des moindres, ont accepté detravailler avec lui ou de cautionner sonentreprise.

C'est pourquoi, intrigués par ces messagesqui tombaient de nulle part, notre enquêtesur les documents Takieddine n'étant pasencore publique et n'ayant donné lieu àaucun contact avec ce monsieur, nousavons décidé d'en avoir le cœur net. KarlLaske a donc appelé Pierre Sellier, le5 juillet, conversation que nous avonsenregistrée par précaution. Se présentanten sa qualité de journaliste à Mediapart,Karl Laske a expliqué à son interlocuteurqu'il souhaitait comprendre le sens desmessages envoyés.

Voici la réponse de Pierre Sellier :« Mediapart n'est pas un journal, c'estune merde. (...) Ecoute-moi. Je suis untueur. Je suis un tueur du service Action,tu le sais cela. Arfi, je vais le dézinguer.Lui raser la barbe et toutes ses couilles.Edwy Plenel, la moustache. Je lui rase lamoustache. Je l'encule. Je suis cent foisplus intelligent que toi. J'ai rien contretoi, tu écris ce que tu veux. Tu peux mediffamer. Je m'en tape. Toi, Karl Laske, j'airien contre toi. Par contre, Arfi, je vais lemassacrer, l'enculer. Je vais le défoncer.

Page 28: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 28/29

Enculé, enculé. Tu comprends ? Je vais letuer. Service Action. Trois balles dans latête. Enculé ».

Comme l'explique la plainte déposée aunom de Fabrice Arfi par notre avocat Jean-Pierre Mignard, plainte dont Mediapart estévidemment solidaire (retrouver la plaintein extenso sous l'onglet Prolonger), cespropos tombent sous le coup de l'infractionprévue à l'article 222-17 alinéa 2 du Codepénal (le retrouver ici), qui réprime lesmenaces de commettre un crime ou undélit contre les personnes et aggrave lespeines « s'il s'agit d'une menace de mort »(trois ans d'emprisonnement et 45.000euros d'amende).

Un « fou utile » proche du pouvoirsarkozyste

Nous avons évidemment hésité avantde déposer cette plainte. Le journalismed'enquête, quand il dérange des intérêtspuissants et des réseaux occultes, esthabitué à croiser des hurluberlus, illuminésou agités. Et, sauf à sombrer dans uneinutile paranoïa, ils ne méritent pasd'ordinaire qu'on leur donne l'importancequ'en vérité, ils recherchent. Mais si,sur les conseils de notre avocat, nousnous y sommes finalement résolus, c'estqu'en l'occurrence, Pierre Sellier n'estaucunement un personnage secondaire.

Ce « fou utile », comme l'avaient déjàqualifié Fabrice Arfi et Fabrice Lhommedans Le Contrat (Stock), leur livre surl'affaire Karachi déterrée par Mediapartdès 2008, navigue en effet dans les cerclesdu pouvoir actuel, lequel a eu parfoisrecours à ses services. Les compétences desa société Salamandre, dont il est redevenuprésident le 29 juillet, sont utilisées par dessociétés liées au monde de la défense etde l'armement. Surtout, c'est un proche deZiad Takieddine à tel point que nous avons

trouvé, dans la masse de documents de cetintermédiaire du clan Sarkozy, plusieursmentions de Pierre Sellier.

Salamandre est l'une de ces officinesprivées qui permettent de sous-traiterce que le renseignement officiel nepeut assumer. Deux anciens pontes dela DGSE, François Mermet et MichelLacarrière, ont notamment figuré à sonconseil d'administration. En 2009, PierreSellier va inonder les rédactions de mailsou de SMS – ce qui lui vaudra lesurnom de « Zorro du texto » dansParis Match (lire l'article ici) – dansune explicite opération de désinformationdont l'enjeu était l'affaire Karachi relancéepar Mediapart, avec en arrière-plan lefinancement occulte de la campagneprésidentielle d'Edouard Balladur en 1995et l'implication possible de NicolasSarkozy lui-même dans ce dossier.

« Chaque fois que Pierre Sellier monteau créneau, écrivaient à ce propos FabriceArfi et Fabrice Lhomme dans Le Contrat,c'est pour défendre Nicolas Sarkozy –et attaquer les ennemis du président,les chiraquiens. De telle sorte qu'unequestion, évidente, s'impose : Sellier et sonofficine ont-ils été mandatés par l'Élyséepour mener campagne(s) ? Pierre Sellier,qui a brutalement cessé à partir de la fin del'année 2009 d'inonder les rédactions de

ses imprécations pro-sarkozystes, contesteavoir été instrumentalisé. “Je ne suis pasmandaté par l'Élysée et je ne l'ai jamaisété, à aucun moment les sarkozystes nem'ont sollicité”, affirme-t-il. »

Le problème, c'est que, depuis, nosconfrères de Bakchich ont révélé, fin2010, que leur site d'information avaitfait l'objet en 2008 d'une surveillanceintéressée à la demande de Claude Guéant,alors secrétaire général de l'Elysée etdepuis ministre de l'intérieur. Or la notesur le fonctionnement de Bakchich remiseà la présidence de la République, viaM. Guéant, a pour auteur Salamandre, lasociété de Pierre Sellier (lire ici l'articlede Bakchich et la note de Salamandre àClaude Guéant).

De même, dans la masse des documentsTakieddine, nous avons découvert que cedernier a été le destinataire de nombreusesétudes réalisées par Pierre Sellier aunom de Salamandre, notamment sur lesentreprises Veolia, Sagem ou Gemplus,mais aussi sur la Libye, avec rien de moinsqu'un projet de « think-tank » entre laFrance de Nicolas Sarkozy et la Libye ducolonel Kadhafi, destiné « à formuler puisproposer des axes forts de coopération àlong terme en matière de sécurité et deprospérité communes ».

On trouve même dans les documentsTakieddine une longue note tenant lieude portrait de Nicolas Sarkozy, retraçantson origine, son enfance et son itinéraire,dont l'auteur est Salamandre. Ces travauxne sont évidemment pas désintéressés.Les documents Takieddine ont gardé latrace ancienne d'au moins un versement de150.000 euros de l'intermédiaire en ventesd'armes du clan Sarkozy à destination dePierre Sellier, remontant à 2005.

Au vu de tous ces faits et du contextequ'ils établissent, nous avons donc décidéde prendre au sérieux les menaces dePierre Sellier, aussi grand-guignolesquespeuvent-elles paraître. Car il ne fautpas s'y tromper : ces harcèlementstéléphoniques, ces intimidations verbaleset ces menaces explicites cherchentà semer la peur et le doute, enincitant les journalistes à renoncer ou

Page 29: Journal mediapart du_5_septembre_2011

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr

Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à contact@mediapart: fr si vous souhaitez le diffuser. 29/29

reculer. Foncièrement antidémocratiqueset profondément violentes, ces pratiquessont d'autant plus condamnables qu'ellesviennent d'une personnalité dont lesservices sont utilisés sans états d'âme parle pouvoir actuel et les intermédiaires quile servent.

Nous ne connaissons pas les motivationsexactes de Pierre Sellier et nousne savons pas s'il était en servicecommandé. Notre plainte vise à obtenir ces

réponses. Mais, surtout, avec Fabrice Arfi,principale victime de ces agissements,nous demandons à la justice d'intervenirpromptement pour mettre fin à cesagissements et les sanctionner sévèrement.

Directeur de la publication : Edwy Plenel

Directeur éditorial : François Bonnet

Directrice général : Marie-Hélène Smiéjan

Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editricede Mediapart (SAS).Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du

24 octobre 2007.

Capital social : 1 538 587,60€.

Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS.

Numéro de Commission paritaire des publications et agences

de presse : 1214Y90071.

Conseil de direction : François Bonnet, Jean-Louis Bouchard,

Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président),

Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires

directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet,

Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-

Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société

Ecofinance, Société Doxa ; Société des Amis de Mediapart.

Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris

Courriel : [email protected]

Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08

Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 80 ou 01 90

Propriétaire, éditeur et prestataire des services proposéssur ce site web : la Société Editrice de Mediapart, Société

par actions simplifiée au capital de 1 538 587,60 euros,

immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS, dont

le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.

Abonnement : pour toute information, question ou conseil,

le service abonné de Mediapart peut être contacté par

courriel à l’adresse : [email protected]. Vous

pouvez également adresser vos courriers à Société Editrice de

Mediapart, 8 passage Brulon, 75012 Paris.